Virgil n’irait pas jusqu’à dire qu’il était habitué à ce genre de souvenir mais, disons plutôt qu’il était difficilement impressionnable même s’il avait parfaitement conscience de la gravité de cette situation. D’une manière générale, il n’était pas un être très empathique – mise en part envers de rares personnes - et il avait eu l’occasion de découvrir bon nombre d’horreur lors de son année de stagiaire à Skye : L’esprit humain renfermait les pires exactions, les vices d’une société entière, les actes les plus inavouables et pervers si bien que la mort -presque accidentelle- de Sorden n’était pas si impressionnante même s’il s’agissait tout de même de la perte d’une vie humaine dans une scène aussi violente que terrible. Sasha avait été maltraitée et en retour elle n’avait rien fait pour sauver l’arithmancienne. Elle avait même ressentie une certaine satisfaction à l’idée de la voir mourir. Une véritable pulsion de meurtre. Virgil l’avait perçu avec une extrême clarté et il avait accueilli cette information sans jugement. Comment en vouloir à Sasha ? Comment la blâmer ? Même s’il s’amusait quelque peu à la chambrer sur ce sujet en l’appelant
« la meurtrière », la situation dans laquelle elle s’était trouvée était binaire : C’était Sorden ou elle. A circonstances exceptionnelles, réaction exceptionnelle. Elle n’avait pas vraiment eue de choix à faire si ce n’est écouter son instinct de survie et laisser cette vieille folle périr. Et elle avait réussi. La petite fille avait triomphé du monstre.
Une belle histoire au fond qui méritait bien quelques applaudissements.
Virgil prenait sans doute cette situation avec trop de légèreté mais il ne se voyait pas forcer la compassion auprès de Sasha. Ni faire preuve d’une retenue polie. Ils étaient faits du même bois et ils avaient érigé, l’un comme l’autre, un rempart émotionnel autour d’eux si bien qu’un vrai dialogue de fond était tout bonnement impossible… et impensable en l’état actuel de leur relation.
Virgil aurait pu avoir quelques mots, pourtant. Il aurait pu tendre une perche, faire le premier pas alors que Sasha avait accepté de lui livrer ses plus intimes souvenirs. Admettre que cela avait dû être difficile. Dire qu’il s’était identifier à elle dans cette cave et qu’il comprenait. Qu’il comprenait tout. Même la pulsion de mort qu’elle avait ressentie. Avouer que lui aussi, il lui arrivait d’avoir des pensées similaires même s’il n’était pas sûr de pouvoir franchir le pas le concernant.
Oui, il aurait pu, mais de toute évidence aucun des deux ne voulaient se laisser entrainer dans des confessions trop premier degré. Même si, d’une certaine manière, cet échange de souvenirs les avait incontestablement rapprochés, une forme de rivalité et de méfiance perdurait entre eux et s’était même accrue au fil des jours.
Si bien que ce soir, leurs échanges semblaient complètement décalés par rapport à la gravité des actes auxquels ils faisaient références. Toute cette violence était maintenue à distance par le ton de leur conversation, à la fois badin et cynique. Ils parlaient d’un meurtre et même de menaces de mort comme s’ils évoquaient le dernier épisode de Koh Mantra au détour d’une discussion. C’était le langage de Virgil. Celui dans lequel il se sentait le plus à l’aise, le plus sûr de lui. Cette distance était une seconde nature. Il en usait et en abusait, très certainement.
"Une bonne chose que l'on ait signé un accord de confidentialité n'est-ce pas ?"« Dire que j’aurais pu vendre ton histoire sordide à Cluster ou Multiplettes . Je me serais fait un paquet de galions… Il secoua la tête,
quel gâchis. »Techniquement, il n’y avait pas grand-chose de répréhensible dans ce souvenir si ce n’est la non réactions des forces de l’ordre. De l’avis de Virgil, Sasha n’avait pas rien à se reprocher. Finalement, il la trouvait nettement plus ambivalente dans le précédent souvenir, celui où elle acceptait de suivre l’arithmancienne en dépit de tous ses crimes. Ce n’était pas tant la Sasha meurtrière dont il se méfiait – elle avait essentiellement agi par légitime défense- mais plutôt cette Sasha là. Celle qui, en toute connaissance de cause, avait été prête à s’acoquiner avec une terroriste multirécidiviste. D’ailleurs, Sasha éluda ses questions à ce sujet et préféra ne pas se confronter à cet aspect là de sa personnalité.
Virgil n’était pas blanc comme neige mais il avait l’impression qu’elle était capable d’aller beaucoup plus loin que lui pour réussir dans la vie…
"Penses-y à deux fois si l'envie te prend d'empoisonner mon café un matin, reprit-elle alors,
Ou de pourrir mon évaluation de stage."Virgil esquissa un sourire énigmatique. S’il avait appris quelque chose de Sasha durant son stage d’été, c’était qu’il devait absolument lui barrer la route s’il ne voulait pas la retrouver à Skye en septembre. Elle ne reculerait devant rien pour atteindre ses objectifs, il le savait. Il suffisait de la voir présentement, pleine d’aplomb en train de le menacer de représailles si jamais il osait se mettre en travers de son chemin.
Virgil devait se méfier. Il en était parfaitement conscient. Mais plus sa raison lui dictait d’être prudent…plus son cœur lui intimait le contraire. Sasha avait réveillé chez lui sa drôle d’accoutumance au danger. Face à elle, à cet instant, il se sentait pleinement vivant. Elle était un peu comme la Volubis : aussi dangereuse qu’irrésistible.
« Si j’avais voulu t’empoisonner je l’aurais fait ce soir, loin de Skye. répondit-il avec un regard plein de malice. Il trinqua dans les airs à son attention et termina lui aussi sa coupe pour mettre fin à leur petite entrevue. Le temps était venu pour eux de se quitter. Sasha avait remplie sa part du marché, il allait faire de même dès le lendemain.
Mais avant cela, il allait rédiger au brouillon son rapport d’évaluation. Un long texte, argumenté et précis, déclarant Sasha Benson totalement inapte à la magie de l’esprit.
Fin du RP