Trouble is a friend [Sasha - Clayton]

17 novembre 2011

Le nom de la personne qui avait partagé la vidéo à toute l'école n'avait toujours pas été révélé. Pour la bonne et simple raison que cette personne n'avait pas identifié, plus de deux mois après les faits. Avec la mort de Léopold Marchebank le mois dernier et ce qui s'était passé lors du match d'ouverture de la coupe du monde, la Police Magique avait certainement d'autres dragons à fouetter, Sasha voulait bien le comprendre. Cette affaire ne revêtait aucune importance à leurs yeux, mais elle en avait pour elle. Et s'ils ne faisaient pas leur travail, elle s'en chargerait à leur place.

Elle s'était montré patiente comme une Poufsouffle. Elle avait attendu sagement, sans faire de vagues, avait supporté les moqueries et les insultes sans céder à la tentation de dénoncer Clayton. Elle savait qu'il n'aurait pas eu à subir le même traitement qu'elle -le privilège d'être un homme- mais le voir être mis face à son comportement de pervers et essuyer quelques regards dégoutés lui aurait fait du bien. Le Serpentard continuait à mener sa vie avec un petit peu trop de facilité aux yeux de Sasha. La PM savait qu'il était l'auteur de la vidéo, tout comme la direction de l'école, et pourtant il continuait de se promener dans les couloirs en compagnie de James, sans subir le moindre harcèlement, même s'il semblait se pavaner avec moins d'assurance qu'avant.

Cela faisait maintenant plusieurs jours qu'elle songeait à prendre les choses en main, sans oser franchir le pas. Elle n'avait pas l'intention de s'accorder plusieurs essais, et elle tenait à réussir du premier coup. Si elle se décidait à confronter Clayton, ce serait pour lui arracher la vérité. Finalement prise d'un soudain élan de détermination, elle attendait impatiemment la fin du cours de métamorphose pour intercepter son camarade.

Dès que la cloche retentit, elle rangea précipitamment ses affaires et fut l'une des premières à sortir de la salle de classe, alors qu'elle était plutôt du genre à trainer un peu après les cours -elle aimait échanger quelques mots avec ses anciens au sujet de la leçon du jour. Aujourd'hui devrait faire exception et elle garderait ses questions au sujet du sortilège de Disparition pour une prochaine fois. Elle se posta un petit peu plus loin dans le couloir et observa les élèves qui quittaient la classe par petits groupes. Clayton ne tarda pas à arriver à sa hauteur, comme toujours accompagné de James.

- Hé, l'interpela-t-elle sèchement alors qu'il passait devant elle. Elle tendit le bras pour attraper un pan de sa cape, au cas où ou il aurait l'idée de partir en courant. Il faut qu'on parle. Son regard d'acier passa alors de son camarade à celui de James. Seuls.

Quelque chose lui disait que l'acolyte de Clayton n'avait, de toute façon, aucune envie de se joindre à eux.

Clayton avait pu conserver la métamorphose de justesse. Il avait eu pourtant eu de bons résultats à la plupart de ses examens. Il n’était pas en tête de leur promotion – il laissait ça à des gens comme Sasha Benson, Henry Hallchurch ou Ahren Keller – mais il s’en sortait honorablement bien avec une belle moyenne de E sur toute sa cinquième année. Malheureusement, le BUSE de métamorphose avait été particulièrement complexe, causant l’échec de pas mal de leurs camarades (mention spéciale pour le Troll qu’avait obtenu Baen.) Il s’en était sorti avec un Acceptable, qui normalement n’aurait pas dû lui permettre d’accéder à la classe. Heureusement, devant le peu de nombre d’élèves ayant eu des O et des E, l’enseignant avait accepté de faire une exception pour cette année. Pour autant, le niveau n’en n’était pas moins complexe et ils venaient de passer deux heures à œuvrer sur les transformations humano-animales semi-permanentes (qui duraient donc plus de trois mois.) Il avait pris profusion de notes.

Jusqu’à la fin de cet été, Clayton avait des plans de carrière. Il n’était pas certain de ce qu’il voulait faire après Poudlard mais il avait quelques idées. Il se voyait bien faire des études supérieures, postuler à Lycaon peut-être (même si, avec ses résultats aux BUSES...) Ou bien au Collège Merwyn d’Edinburgh, qui enseignait les Sortilèges, Charmes, Maléfices et Enchantements après les ASPICS. Il ne savait pas quel métier faire après, peut-être entrer au Ministère, au Comité des Sortilèges Expérimentaux, ou bien à la Brigade de Réparation des accidents de Sorcellerie. Il aimait bien cette idée-là, globalement, il aimait bien le Département des Catastrophes et Accidents Magiques.

Tout avait changé depuis la diffusion de la vidéo.

Il avait été auditionné par la Police Magique dès le samedi de la rentrée, accompagné par sa mère. Aucun mot dans la langue anglaise ne suffisait à décrire son état de colère. Il était persuadé que la seule chose qui l’avait retenue de lui mettre une claque était la présence des policiers autour. On lui avait posé beaucoup de questions mais il avait maintenu la version qu’il avait élaborée, notamment avec James. Oui, il avait filmé Sasha lorsqu’ils avaient couché ensemble à la soirée, il le reconnaissait. Il avait hésité à prétendre qu’elle était consentante pour être filmée, sachant que c’était parole contre parole. Mais James lui avait dit que c’était risqué, qu’on pouvait voir sur la vidéo qu’elle ne semblait pas être au courant. Alors il avait juste reconnu avoir filmé. « Pour vos archives personnelles ? » avait ironiquement demandé le policier qui l’interrogeait. C’est à ce moment-là qu’il avait cru se prendre une claque de sa mère. Il avait répondu en balbutiant, que oui, que la vidéo n’était que pour lui. En souvenir. Et qu’il ne l’avait jamais diffusée, jamais envoyée à personne. On avait dû pirater son Pear ou bien le déverrouiller en son absence : son code était 1234 et il avait dit que tout le monde le savait. Que ses copains allaient souvent dans son Pear, qu’ils connaissaient les codes des uns et des autres. « Et donc » avait repris le policier. « Vous savez que vos amis utilisent souvent votre appareil et vous conservez pourtant une vidéo aussi intime à l’intérieur ? » Oui, il avait été stupide de le faire. Mais il n’avait pas pensé que la vidéo serait diffusée. Il était désolé que ce soit arrivé mais il n’avait rien fait. Il regrettait beaucoup d’avoir tourné cette vidéo.

Cette partie-là de son discours était vraie. Il regrettait d’avoir fait ça ce soir-là car sa vie était complètement bouleversée : l’enquête de la PM était encore en cours mais s’il était condamné à quoi que ce soit et que cela lui ouvrait un casier judiciaire... Il ne savait pas s’il pourrait être admis à Merwyn ou Lycaon ou bien au Ministère. Il ne savait pas s’il pourrait travailler un jour. Les policiers avaient dit que cela relevait de la pédopornographie, comme Sasha était mineure. À six mois près ! Il risquait de se faire exclure de Poudlard si l’école le condamnait, il risquait que sa baguette magique soit brisée si cela se faisait avant ses dix-sept ans (qui arrivaient en avril prochain.) Il ne savait pas comment sa mère pourrait lui pardonner un jour d’avoir fait cela, elle était tellement en colère... Elle lui avait hurlé dessus à la sortie du Ministère, jusqu’à en pleurer. Elle lui avait demandé pourquoi il avait fait ça, pourquoi il avait été aussi stupide, pourquoi, pourquoi, pourquoi. À quoi est-ce qu’il pensait ? Elle ne l’avait pas élevé comme cela, il n’était pas comme ça. Il était gentil. Alors pourquoi est-ce qu’il avait fait ça ? Il avait honte d’avoir mis sa mère dans cet état. Il avait honte tout court. Il se sentait désolé pour Sasha aussi, qui n’avait pas mérité ça. Il n’avait jamais voulu que la vidéo se diffuse dans toute l’école... Il voyait bien qu’on l’insultait, qu’on se moquait, que tout le monde en parlait. Mais il n’intervenait jamais. Il voulait se faire le plus discret possible. Personne ne savait encore que c’était lui, personne ne savait encore qu’il avait été interrogé par la police. Il aurait bien voulu aider Sasha mais entre lui sauver la mise et sauver sa peau, le choix était vite fait. C’était trop tard pour elle de toute manière. Lui, il avait encore une chance. C’était bien pour cela qu’il ne révélait pas à qui il avait envoyé la vidéo : cela serait reconnaitre une part de responsabilité qui n’allait pas dans sa version où il était également la victime d’un acte malfaisant.

L’avocat engagé par sa mère lui avait dit de se faire discret aussi et de ne pas entrer en contact avec Sasha afin de ne pas aggraver son cas. Cela n’avait pas été très difficile vu qu’elle n’avait pas cherché à lui parler non plus. Il s’en satisfaisait bien. Il n’avait pas envie de la regarder dans les yeux. Il passait la plupart de son temps avec James, dans le dortoir. Quelques fois avec ses copains, quand ils daignaient lui parler. Andrew et lui s’étaient engueulés comme jamais le soir de la rentrée, ils avaient failli en venir aux mains. Son « ami » l’avait insulté sous toutes les coutures, avait menacé trente fois de le dénoncer s’il ne le faisait pas lui-même, s’il n’assumait pas ce qu’il avait fait. Clayton n’avait rien lâché. Il n’avait fait que filmer, il n’avait pas diffusé la vidéo à tout Poudlard et il n’allait pas prendre cette responsabilité. Baen et Henry avaient dû les séparer avant que la situation ne dégénère de trop : il était prêt à lancer un maléfice au Gryffondor et ce dernier à lui mettre un poing dans la figure. Depuis, ils ne se parlaient plus. Et comme Andrew était visiblement le nouveau Ministre de la Magie, les autres l’avaient bêtement suivi. Baen, Adarsh et Gowan n’assumaient pas de lui parler quand il était dans le coin, sûrement par peur de tomber en disgrâce eux aussi. Sa seule satisfaction était de voir que la moitié de l’école le désignait comme auteur de la vidéo. Cela lui apprendrait à être une telle enflure ! Paul et Henry ne voulaient plus être ses potes, arguant que ce qu’il avait fait était trop grave. Il ne voyait plus trop Benjamin et Adam, qui voulaient se tenir en dehors de cette histoire. Il n’avait plus que James, qui lui avait juré qu’il ne le lâcherait pas.

C’était justement ensemble qu’ils étaient sortis de métamorphose, alors que Gowan et Henry partaient de l’autre côté sans un regard pour rejoindre la tour de Gryffondor. Ils marchaient en silence, Clayton un peu pensif comme souvent ces derniers temps et James absorbé par l’écran de son PearOne. Il fut surpris d’entendre quelqu’un l’interpeller et s’arrêta quand on tira sur sa cape pour rencontrer les yeux froids de Sasha. Des plaques rouges apparurent immédiatement sur ses joues et son cou. Il eut du mal à déglutir lorsqu’elle déclara qu’ils devaient parler. Seuls. James avait refermé son Pear pour le glisser dans la poche de sa robe.

- Mon avocat a dit qu’il ne valait mieux pas... balbutia Clayton. À cause de l’enquête. Désolé. 

Sasha laissa un sourire moqueur s'étirer sur ses lèvres en voyant Clayton devenir instantanément écarlate. Il paraissait à la fois gêné et assez terrifié, et elle aurait presque pu avoir de la peine pour lui si elle n'avait pas éprouvé toute cette haine et cette colère à son encontre. Son sourire se changea en un bref éclat de rire sinistre quand il balbutia que son avocat lui avait dit de ne pas lui parler. La version judiciaire de "ma mère ne veut pas que je joue avec toi", ce que la mère de Clayton lui avait probablement dit aussi, d'ailleurs.

"C'est marrant, mon avocat m'a dit la même chose, fit-elle remarquer sur le ton de l'anecdote. Mais parce que tu es un dangereux pervers dont aucune fille ne devrait plus jamais s'approcher."

C'était faux, pour la bonne et simple raison qu'elle n'avait pas d'avocat. On avait proposé à sa mère d'en prendre un mais Sasha l'avait convaincue de refuser, arguant que ce n'était pas la peine, que c'était de l'argent jeté par les fenêtres. En vérité, elle tenait simplement à tenir sa mère la plus éloignée possible de toute cette histoire. Elle serait majeure dans un mois, et pourrait alors mener les suites de cette affaire comme elle l'entendait, sans devoir en référer à sa génitrice. Si elle devait embaucher un avocat, elle le ferait elle-même, à son nom, et avec son argent.

Sasha avait bénéficié, ses dernières années, d'une relative tranquillité. Elle disait que tout allait bien, ramenait de bonnes notes, et en contrepartie sa mère se désintéressait complètement de tous les autres aspects de sa vie. Tant que sa fille était une bonne élève, cela lui donnait l'impression de bien faire son travail de parent. Cette vidéo volée avait bien failli faire exploser cet équilibre précaire. L'équipe enseignante avait été insensible aux supplications de Sasha et avait insisté pour prévenir sa mère du harcèlement qu'elle subissait à l'école.

Susan avait mis un peu de temps à réaliser -incroyable ce que des années de surdosage d'anti-dépresseurs faisaient sur le cerveau- mais s'était évidement inquiété pour sa fille. Sa fille si sage, qui ne faisait pas de vagues, qui n'avait jamais de problèmes. Il avait fallu à Sasha un minimum d'efforts pour convaincre sa mère que ce n'était rien qu'une mauvaise blague entre adolescents, que tout le monde avait déjà oublié cette histoire, que plus personne n'en parlait et qu'elle s'en fichait complètement. Sa mère s'était laissée convaincre avec une facilité presque vexante, sautant sur l'occasion de se débarrasser de ce problème pour retourner s'enfermer dans l'illusion que tout allait bien.

Elle avait réussi à se débarrasser de sa mère sans trop de difficulté, et ce n'était pas l'avis d'un soit-disant avocat même pas présent qui allait l'arrêter.

"Mais puisque nos avocats ne sont pas là, je propose que l'on fasse une entorse à leurs recommandations, suggéra Sasha en se rapprochant un peu de Clayton. Ce sera notre petit secret, et pas le premier, n'est-ce pas ? ajouta-t-elle avec un sourire mauvais. Maintenant soit tu me suis gentiment dans la salle de classe au bout du couloir, soit je balance à tout le monde que c'était toi sur la vidéo."

Son ton s'était durcit et elle planta son regard clair dans celui de son camarade, bien décidée à se montrer intransigeante. Elle comptait dénoncer Clayton de toute façon -sa tranquillité avait assez duré- mais elle pouvait toujours lui faire miroiter la possibilité de continuer à mener paisiblement sa pathétique petite vie. Ce serait plus facile s'il se montrait un minimum coopératif.

Le bref éclat de rire de Sasha ne disait rien qui vaille à Clayton. À raison. Sa réplique tranchante eut le mérite de faire doubler de superficie les plaques écarlates sur son cou. Il déglutit difficilement et jeta un coup d’oeil à James. Ce dernier ne quittait pas leur camarade du regard. Son meilleur ami était bien plus assuré que lui dans cette situation, qui n’osait même pas répondre qu’il n’était pas un pervers. Elle surinterprétait complètement la situation... mais il savait bien qu’il ne pourrait pas lui faire entendre raison, elle était trop en colère pour cela. Il ne pouvait pas vraiment lui en vouloir pour ça, c’était compliqué pour elle en ce moment, avec toute l’école qui se moquait d’elle. Mais ce qu’elle ne semblait pas vouloir comprendre, c’était que c’était difficile pour lui aussi. Il n’avait jamais voulu que ça se passe comme ça. Il n’avait jamais voulu foutre son avenir en l’air comme ça.

Il n’aimait pas la manière qu’elle avait de lui sourire, avec cet éclat au fond des yeux. Il se sentait très mal à l’aise dans cette situation et l’aurait bien plantée là, si elle n’était pas en train de le menacer directement. La mention de leur « petit secret » lui fit croiser les bras sur son torse. Il se doutait bien qu’elle était capable de balancer son nom à toute l’école, il était même surpris qu’elle ne l’ait pas fait plus tôt... Si personne n’apprenait que c’était lui, s’il n’était pas jugé par un tribunal, il pourrait peut-être passer entre les gouttes. C’était le meilleur scénario pour lui et il était prêt à tout pour qu’il arrive. Alors il céda à Sasha, de mauvais gré.

- Ça va, je te suis, maugréa-t-il. À plus tard... marmonna-t-il à James.

Ils échangèrent un regard silencieux avant que son meilleur ami ne fusille la jeune femme du regard, s’éloignant. Au bout de quelques pas en direction de la salle de classe, alors qu’il suivait silencieusement Sasha, il sentit son Pear vibrer dans sa poche. Il le sortit relativement discrètement, comme il l’aurait fait en classe, pour voir un message de James. « Quelle connasse... » Ouais, songea-t-il en lui-même. Il ne répondit rien, se contentant de verrouiller le petit appareil alors qu’ils passaient la porte de la salle. Immédiatement, il se dirigea vers le bureau de l’enseignant, s’appuyant contre, relativement loin de Sasha.

- J’ai pas longtemps par contre, prévint-il en contemplant le bout de ses chaussures. Mes copains m’attendent en bas.

C’était un mensonge. Cela ne l’aurait pas été l’année dernière, ils avaient tendance à descendre après les cours, quand ils ne finissaient pas tard, pour profiter du thé et des gâteaux qui étaient servis à dix-sept heures dans la Grande Salle. Là, il comptait plutôt rentrer à son dortoir pour potasser la métamorphose et surtout, raconter à James à quel sauce il avait été mangé.

Comme elle s'y était attendue, Clayton n'avait pas été difficile à convaincre. Sasha sentait l'excitation se diffuser dans son corps alors qu'ils se dirigeaient vers une salle de classe déserte au fond du couloir. Elle avait attendu ce moment depuis des semaines, depuis ce jour où elle avait décidé qu'elle ne pouvait pas compter sur la P.M pour obtenir des réponses. Elle ressentait une pointe d'inquiétude également. Elle avait peur de ne pas y arriver, de ne pas réussir à gérer, mais elle chassa ses doutes avec toute l'auto-persuasion dont elle était capable. Elle était entrainée, elle allait réussir.

A peine étaient-ils entrés dans la salle de classe que Clayton se dirigea vers le bureau de l'enseignant. Il aurait pu se cacher en dessous qu'il n'aurait pas eu l'air moins assuré. Il cherchait vraisemblablement à mettre un maximum de distance entre Sasha et lui mais s'éloignait ainsi de la porte de sortie, erreur de débutant que la jeune fille se garda bien de lui faire remarquer.

Elle referma la porte derrière eux et sortit sa baguette pour la verrouiller d'un sortilège informulé. Il valait mieux qu'ils ne soient pas dérangés. Ils s'entrainaient aux sortilèges informulés en Défense contre les Forces du Mal depuis la rentrée et elle avait déjà réussi à lancer plusieurs sorts élémentaires dans le silence le plus complet. C'était un art qui lui plaisait beaucoup, elle aimait l'idée de ne pas énoncer ses intentions, même si en l'occurence le bruit métallique du verrou de la porte l'avait complètement trahie.

"Je suis sûre qu'ils pourront se passer de toi quelques minutes," répondit-elle quand son camarade expliqua que ses amis l'attendaient en bas.

Par "ses amis" il parlait très certainement de James, qui semblait être le seul à lui être resté fidèle. Voir que Clayton s'était plus ou moins fait éjecter de "la bande à Dubois" avait été la seule maigre consolation de Sasha. Cela restait une peine bien trop légère à son goût, mais au moins la diffusion de la vidéo n'avait pas été complètement sans conséquence pour son auteur.

"Mais essayons de faire vite, reprit-elle en braquant son regard sur Clayton. A qui tu as envoyé cette vidéo ?"

Elle anticipait déjà sa réponse : "A personne, on m'a volé mon téléphone, je suis une pauvre victime, je n'ai rien de mal", mais il était clair qu'elle n'allait pas s'en contenter, et elle espérait que Clayton l'avait compris.

Poser les yeux sur lui suffisait à raviver sa colère à son encontre mais elle se força à se calmer. Elle ne devait pas se laisser dominer par ses émotions. Il était important, pour la suite, qu'elle reste parfaitement maitresse d'elle-même. Elle songea à Virgil et à "l'émotivité handicapante" qu'il avait indiqué dans son bilan de stage. Elle aurait presque aimé qu'il soit là, pour lui prouver à quel point il avait tort.

Les sourcils clairs de Clayton se froncèrent en entendant Sasha verrouiller la porte. Pourquoi faisait-elle cela ? Elle voulait quoi, lui lancer un sort pour se venger ? Il n’avait pas l’intention de la laisser lui lancer un maléfice ! Crispé, il se redressa légèrement, ses mains plongeant dans les poches de sa robe où se trouvait notamment sa baguette magique. Peut-être qu’il était paranoïaque mais il ne voyait pas pourquoi elle fermait la porte si c’était juste pour discuter... La probabilité qu’elle veuille de nouveau coucher avec lui était extrêmement basse donc il n’allait pas trop partir dessus.

Mais lorsqu’elle se retourna vers lui, elle n’avait pas sa baguette en main. Juste le regard froid et ce ton méchant. Lorsqu’elle lança le sujet de la vidéo, évidemment, il soupira, lassé. Secouant la tête, il sortit ses mains de sa poche pour croiser ses bras sur son torse.

- Comme je l’ai déjà dit à la police, je ne l’ai envoyée à personne. Quelqu’un a dû la prendre dans mon téléphone. Si ça se trouve, Sasha l’enregistrait, réalisa-t-il. Elle tentait de lui faire dire des choses pour les faire entendre à la police. Bien décidé à maintenir sa version, Clayton en rajouta une couche. Je n’ai jamais montré la vidéo à personne, je la gardais juste pour moi. Pourquoi est-ce que je l’aurai envoyée franchement Sasha ? Pourquoi j’aurai pris le risque d’avoir des ennuis avec la justice ?

Il n’était pas stupide et il avait des ambitions dans la vie : faire de la prison n’était pas l’une d’elle.

Clayton était visiblement agacé, ce qui avait le don d'agacer Sasha. Il n'avait pas, à ses yeux, la moindre raison de soupirer ou de montrer un signe de lassitude. C'était quoi, son problème ? Qu'elle ose venir déranger sa petite vie tranquille ? Qu'elle se permette de le confronter après qu'il ait filmée une vidéo intime d'elle qui circulait depuis dans toute l'école ? Elle estimait qu'elle méritait bien quelques minutes de son temps, et que si quelqu'un devait soupirer ici, c'était elle.

Déjà énervée alors que la conversation n'avait démarré que depuis trente secondes, Sasha leva les yeux au ciel quand son camarade lui répéta exactement ce qu'il avait dit à la police, à savoir qu'il n'avait pas envoyé la vidéo, que quelqu'un avait dû la prendre dans son téléphone. Elle  s'apprêtait à répondre qu'elle ne le croyait pas, bien qu'elle n'ait aucune preuve de ce mensonge, quand il enchaina en affirmant qu'il n'avait montré la vidéo à personne. A vouloir faire trop de zèle, il venait de lui confirmer qu'il mentait.

Elle l'observa avec une certaine satisfaction en essayant d'ignorer la colère qui bouillonnait en elle. Quand il se permit de la prendre de haut pour lui demander, comme si elle était idiote, pour quelle raison il aurait envoyé la vidéo, elle dut réprimer une brusque envie de l'attraper et de le secouer violemment jusqu'à ce que sa tête de poupon se détache de son corps. Elle ne supportait pas sa fausse assurance, cette manière de se présenter comme le type qui n'avait rien à se reprocher, d'agir comme s'il n'était pas le dernier des cognards.

"Dans la mesure où tu es capable de filmer une fille sans son accord, je me dis que tu ne serais pas à une connerie près, se contenta-t-elle de répondre sèchement. Et je sais que tu mens."

Elle avait affirmé ça sans ciller, ses yeux clairs braqués sur le visage encore rougissant de Clayton. Elle lui laissa quelques secondes pour digérer l'information et, peut-être, se racheter avec une confession spontanée, mais n'obtint pas de résultat et enchaina aussitôt.

"Je sais que tu mens parce que je sais que tu as montré cette vidéo à l'anniversaire d'Andrew, dans la cuisine."

Elle n'avait pas l'intention de lui dire comment elle avait eu cette information, qu'elle jugeait parfaitement fiable. Mais elle espérait s'être montré suffisamment précise pour qu'il comprenne qu'elle ne faisait pas que des suppositions. Si Clayton mentait sur le fait de n'avoir montré la vidéo à personne, il y avait fort à parier qu'il mentait également sur le fait de ne pas l'avoir envoyée à qui que ce soit. En tout cas, c'était l'hypothèse de Sasha, et elle était bien décidée à la vérifier.

"Je te laisse encore une chance, annonça-t-elle en se rapprochant de quelques pas de son camarade, menaçante. A qui as-tu envoyé cette vidéo ?"

Clayton maintint son regard dans celui de Sasha quand elle mentionna qu’il avait été assez bête pour la filmer sans son accord. Il n’avait pas cillé mais son coeur battait la chamade. Filmer cette vidéo avait été une connerie, il en payait aujourd’hui les conséquences. Mais là où il avait vraiment été bête, c’est quand il avait fait confiance aux mauvaises personnes. Là avait été son erreur.

- Je ne mens pas.

Il avait la tenace impression qu’elle tentait de le piéger. Il continuait de se dire qu’elle était en train d’enregistrer leur conversation pour apporter des preuves à la police... Il aurait dû lui demander d’éteindre son Pear avant qu’ils ne rentrent dans la salle. Il n’allait rien lâcher, il n’allait rien admettre et il allait être cohérent avec sa déposition. Cette résolution tournait en rond dans sa tête et il s’apprêtait d’ailleurs à lui redire qu’il n’avait rien envoyé à personne quand elle lui balança une information qu’elle n’aurait pas dû avoir.

La surprise fut visible dans ses yeux clairs alors qu’il était projeté pour quelques secondes quelques mois en arrière, à la soirée d’anniversaire d'Andrew. Deux fois. Il avait montré la vidéo deux fois ce soir-là. Mais elle n’aurait pas dû le savoir, il n’y avait pas moyen qu’elle le sache... James. Adarsh. Baen. Gowan. Andrew. La balance n’était pas difficile à identifier. Clayton déglutit avec difficulté, appuyant ses mains un peu tremblantes sur le bureau derrière lui.

- C’est faux. Je ne l’ai jamais montrée à personne, répéta-t-il. Il y eut un instant de silence. C’est Dubois qui t’a dit ça ? Il ment. Il ferait tout pour que je me plante.

Merde, merde, merde. Il avait l’impression que le sol s’ouvrait sous ses pieds. Sa défense tenait dans le fait que la vidéo n’avait jamais été diffusée de sa main, d’aucune manière que ce soit. Si Andrew commençait à raconter qu’il l’avait montrée... Jusque là, ses amis ne l’avaient pas trahi sur ce plan et aucun n’avait parlé de la soirée d’anniversaire. James, Adarsh et Baen pour ne pas le pousser sous le Poudlard Express. Gowan parce qu’il ne prendrait pas le risque et Andrew... Clayton s’était dit qu’il n’irait pas se tirer une balle dans le pied en reconnaissant qu’il était impliqué dans cette histoire depuis des mois. Mais il ne voyait pas comment Sasha aurait pu obtenir cette information si ce n’était pas de sa bouche. Elle fit un pas de plus vers lui et il sentit sa bouche s’assécher. Son ton était devenu menaçant.

- À personne !

Sa voix était devenue plus aigüe. Il se redressa, comme pour profiter du fait qu’il soit plus grand qu’elle.

- Maintenant tu me laisses tranquille, Benson. Je suis désolé de ce qui t’arrive mais ce n’est pas ma faute...

Sasha vit clairement la surprise et l'inquiétude se succéder dans les yeux de Clayton. Elle l'avait déstabilisé. Pourtant il s'accrochait à son mensonge, et niait tout en bloc. Cette défense maladroite et acharnée était ridicule, et agaçait prodigieusement la jeune fille, mais une part d'elle était satisfaite de voir qu'il ne craquait pas. Si elle avait obtenu les informations qu'elle cherchait si facilement, elle n'aurait pas pu mettre la suite de son plan à exécution, et cela aurait été dommage. Une certitude commençait à s'établir : elle n'obtiendrait pas d'aveux de la bouche de Clayton. Tant pis, elle irait les chercher ailleurs.

Elle souffla bruyamment, agacée, quand il accusa Andrew de mentir. Elle n'allait pas prendre sa défense, parce qu'elle n'avait aucune envie de parler du Gryffondor. Elle avait la certitude qu'il lui avait dit la vérité, et cela lui suffisait. Ce n'était pas à elle de se défendre ni de prouver ce qu'elle avançait. Elle n'était pas l'accusé dans ce simulacre de procès. Elle jouait simultanément les rôles du demandeur, du juge, et du bourreau.

Elle ne répondit pas à son accusation sur Andrew et se rapprocha de lui, menaçante, pour lui poser une dernière fois la question. A laquelle elle obtint, évidement, la même réponse. La voix de Clayton vrillait dans les aigus et, si elle continuait d'avancer vers lui, il allait finir par se coucher sur le bureau. Il se redressa pour retrouver un semblant de contenance et Sasha dut lever la tête pour le défier du regard. Il était peut-être plus grand qu'elle mais il ne lui faisait pas peur. Lui, en revanche, semblait terrifié. Elle trouvait la situation particulièrement délectable.

Elle fut un peu surprise quand Clayton sortit de sa rengaine "Je ne l'ai montrée à personne" pour se permettre de lui donner un ordre. Il voulait qu'elle le laisse tranquille. Et puis quoi encore ? Il avait du culot, elle pouvait au moins lui reconnaitre ça. Elle éclata d'un bref éclat de rire sinistre quand il affirma qu'il n'était pas responsable de ce qui lui arrivait. Elle n'arrivait pas à savoir s'il disait ça pour nourrir le mensonge selon lequel il n'avait jamais diffusé la vidéo, ou s'il le pensait vraiment. Avait-il réussi à se convaincre lui-même qu'il n'avait rien fait de mal ? Vivait-il réellement avec la certitude qu'il était une victime de cette histoire ? Mentir et chercher à se défendre était une chose, mais elle avait parfois l'impression qu'il n'avait même pas conscience de la gravité de ce qu'il avait fait.

"Pas de ta faute ? répéta-t-elle en prenant sur elle pour ne pas se mettre à crier. Rien de tout ça ne serait jamais arrivé si tu n'avais pas filmé cette vidéo. Elle se tenait désormais à seulement trente centimètres de lui et ne le lâchait pas du regard. Tout est de ta faute, Clayton. Ce qui m'arrive, et ce qui va t'arriver. Elle joignit le geste à sa parole et brandit sa baguette entre eux, sous le menton de son camarade. Je n'ai pas l'impression que tu sois vraiment désolé, reprit-elle. Mais crois-moi, tu vas bientôt l'être.

Non, ce n’était pas sa faute si la vidéo avait été diffusée dans toute l’école. Il n’avait jamais voulu ça. Filmer ces images avait été une erreur et il n’aurait pas dû mais il n’était pas responsable de ce qui était arrivé après, ce n’était pas lui qui avait envoyé la vidéo à tout le monde ou bien qui l’avait postée sur des sites pornographiques ou bien qui insultait Sasha dans les couloirs. Il subissait aussi cette situation. Il aurait préféré que tout cela n’arrive pas.

- Mais je ne l’ai pas diffusée ! s’exclama-t-il dans un éclat de voix alors qu’elle lui disait que rien ne serait arrivé s’il ne l’avait pas filmée.

Rien ne serait arrivé si elle n’avait pas été envoyée à tout Poudlard le jour de la rentrée. C’était là d’où venait la responsabilité. Mais Sasha ne semblait pas partager cet avis...

Elle brandit brusquement sa baguette magique et la pointa sous son menton. Cette fois-ci, ses mots se firent menaçants. Une bouffée d’angoisse parcourut le corps de Clayton et ses réflexes parlèrent pour lui. Il plongea sa main dans la poche de sa robe pour refermer ses doigts sur sa baguette, qu’il extirpa d’un geste. Ses lèvres formaient déjà son sort et l’extrémité du bois était déjà incandescent de magie lorsque ses doigts la tournèrent vers sa camarade.

- Stu..

Sasha eut à la peine le temps de voir Clayton plonger la main dans sa poche pour attraper sa baguette que déjà il en pointait l'extrémité vers elle avec l'intention de lui jeter un sort. Elle réagit aussitôt et le désarma d'un sortilège informulé sans le laisser aller au bout de son incantation. Elle était mi-impressionnée et mi-outrée de voir qu'il avait opté pour un Stupéfix, un sort d'attaque, alors même qu'elle ne lui avait pas encore jeté le moindre sortilège. Elle aurait presque été tentée de se lancer dans un duel, ne serait-ce que pour évacuer un peu la colère qui bouillonnait en elle, mais elle préférait ne pas perdre de temps.

Ses doigts se refermèrent autour de la baguette de son camarade qu'elle avait attrapée au vol, et elle la rangea dans sa propre poche avec un sourire tranquille.

"Bien tenté, commenta-t-elle sur un ton un peu moqueur. Mais tu n'auras pas besoin de ça pour le moment."

Elle était très satisfaite du sentiment de peur qu'elle semblait provoquer chez son camarade, et s'appliquait à prendre son temps dans chacun de ses gestes, pour faire durer le plaisir. Elle braqua de nouveau sa baguette vers lui, sans agressivité.

"Puisque tu ne veux rien dire... Elle laissa planer une nouvelle seconde de silence dont elle profita pour se concentrer. Elle expira doucement et se força à faire le vide dans son esprit. Legilimens."

C'était la première fois qu'elle entrait dans l'esprit de quelqu'un sans y avoir été invité. Ses précédentes tentatives avaient toutes eu lieu avec le consentement de la personne concernée et dans le cadre d'un entrainement. Alessandro comme Constantine avaient dû baisser leur garde pour lui permettre de connaitre cette expérience et, même si elle ne rencontra aucune résistance au moment d'entrer dans l'esprit de Clayton, la sensation fut complètement différente de tout ce qu'elle avait connu avant. Elle n'avait pénétré l'esprit que de Legilimens entrainés, qui lui avaient ouvert une brèche vers les souvenirs qu'ils acceptaient de mettre à sa disposition. Cette fois-ci rien n'était contrôlé, rien n'était prévu ni anticipé et elle fut aussitôt assaillie par un flot d'images désordonnées, majoritairement composées des souvenirs des derniers instants.

Il était assez étrange de revivre ce moment du point de vue de Clayton -elle paraissait plus petite, dans ses yeux à lui, mais Sasha ne s'y attarda pas. Ce n'était pas ce qu'elle cherchait. Elle se concentra pour se diriger vers des souvenirs plus anciens. Elle voulait découvrir à qui il avait envoyé cette vidéo.

Clayton n’eut pas le temps de terminer son incantation : plus rapide que lui, Sasha l’avait désarmé. Elle saisit sa baguette magique et la rangea dans sa poche, tranquillement, comme si de rien n’était. Brusquement démuni, il envisagea très clairement d’aller la récupérer de gré ou de force... Sauf que s’il agressait Sasha physiquement, en plus de toute l’histoire de la sex-tape, il allait clairement avoir des problèmes. Moins facile de plaider la légitime défense sans témoins et alors qu’elle était plutôt menue face à lui. Il n’apprécia pas son ton moqueur et sa voix se durcit :

- Tu vas lancer un sortilège à quelqu’un de désarmé ? C’est courageux ça !

Étant donné qu’ils appartenaient à la maison Serpentard, pas connue pour sa bravoure, il n’était pas certain que l’argument fasse mouche. Sa baguette magique toujours pointée sous son menton, elle laissa planer un silence après avoir constaté qu’il ne dirait rien. Il n’avait rien à ajouter, il n’avait pas diffusé la vidéo et voilà. Il comptait en rester là.

Mais pas Sasha.

Elle prononça l’enchantement et, avant qu’il ait eu le temps de réagir, il eut comme l’impression de plonger la tête sous une vague. Des dizaines d’images se bousculèrent dans son esprit, des éclats de son, de lumière, comme un manège lancé à pleine vitesse. Il eut l’impression de tituber quelques secondes, avant de perdre contact avec le sol. Brusquement, ils n’étaient plus dans la salle de classe.

Le cours de métamorphose. Complètement penché sur sa table, Clayton écrit. Sa plume gratte le parchemin, quelques gouttes d’encre se sont répandues en haut à gauche. À côté de lui, James a posé sa joue contre la paume de sa main alors qu’il griffonne plus nonchalamment. Pérécliter ou péricliter ? La question s’impose dans son esprit alors que l’enseignante continue son explication. Il se penche vers la feuille de son ami. Péricliter. La plume est replongée dans l’encre.

Brusquement, il se sent arraché à cette image. Il est dans la Grande Salle ce matin. Il verse dans son assiette une grande louche de haricots blancs. Un cri perçant annonce l’arrivée du courrier alors que des dizaines de hiboux et de chouettes pénètrent dans le réfectoire, lâchant des paquets au dessus de leurs propriétaires, se posant entre les plats et carafes pour tendre leur pattes. Rien pour lui. Il a reçu un colis hier...

Et soudain, la Salle Commune des Serpentard. Assis sur un des canapés de cuir vert, pas très loin de la cheminée, ses mains arrachent du papier kraft. La boite envoyée par sa mère se dévoile. Un bonnet pour l’hiver et un petit tupperware contenant des muffins. Un sourire naît sur son visage et à cet instant, Clayton réalise qu’il regarde la scène de l’extérieur. Il se voit plonger la main dans la boite pour en ressortir un des gâteaux. Le tendre à James, assis à ses côtés, ses cheveux bruns encore humidifiés par la pluie qui s’est abattue sur eux à la récréation de quinze heures. « Tu en veux ? » James hoche la tête. « Merci Clayton. » Il se sent basculer en arrière.

« Ah bah merci Clayton ! » Le rire sonore de Gowan retentit dans la Salle des Quatre Maisons. Il tient entre ses mains un parchemin raturé, rempli de notes dans les coins, de flèches qui se chevauchent. Clayton rit aussi, levant les mains en l’air en guise de défense. Il est assis dans un des canapés, sa cravate défaite. « Attends, je ne t’ai jamais dit qu’elles étaient bien mes notes ! » « Non mais quand je t’ai demandé si je pouvais récupérer ton cours en sortilège, je pensais que ça ressemblait vraiment à un cours ! » Baen, assis dans le canapé d’en face, les jambes basculées par dessus l’accoudoir secoue la tête. « Ah bah c’est un cours ! Mais un cours selon Clayton. » « Si tu prenais tes propres notes aussi... » La voix d’Andrew vient de retentir. Il est installé dans l’un des fauteuils, à droite, le visage caché par son livre d’Histoire de la Magie. Gowan hausse les sourcils de manière exagérée avant de se tourner vers lui, tenant toujours le parchemin de sortilèges entre les mains. « Pardon ? Qu’entends-je ? C’est le mec qui récupère tous ses cours de Sasha Benson qui a parlé ? » Andrew abaisse son livre, un sourire amusé sur le visage. « Pas tout les cours ! Juste ceux de potions. Et d’Histoire de la magie. Et de métamorphose. » « Et d’Astronomie » intervient Henry, installé à la table juste derrière, sans relever la tête de sa dissertation. Andrew hausse un sourcil. « On a des cours d’Astronomie ? » Gowan secoue la tête et tend de nouveau le parchemin à Clayton. « Merci mec mais je vais voir si je ne peux pas taper les cours d'Aby, je lui demanderai demain. » Il se voit hocher la tête. « Moi j’arrive à me relire... » Sans répondre, Gowan s’enfonce dans le canapé, croisant les bras sur son visage. « Vivement que les BUSES soient terminés. Moi j’en peux plus, j’ai l’impression de passer ma vie à réviser. Plus qu’un mois dans cet enfer. » Le Pear de Baen, posé sur la table, vibre. Il se penche pour le saisir.

Un vif éclat de lumière renverse tout et il se sent de nouveau aspiré dans un kaléidoscope d’images qui se superposent. Brusquement, il est devant la salle de sortilèges, son Pear entre les mains. Autour de lui, le reste de la promotion bavarde bruyamment. James discute avec Claire du prochain chapitre à réviser en arithmancie. Henry et Benjamin hésitent sur la date de la prochaine réunion des préfets. Henry fait basculer son sac à dos sur son épaule, bousculant légèrement Clayton au passage. « Pardon », fit-il, en sortant un carnet de la poche de devant. « C’est mardi prochain. » Il ne répond rien. Il a le regard fixé sur le dos d’Andrew, qui se tient plus loin dans le couloir, face à Sasha et Cindy. D’ici, il n’entend pas ce qu’ils disent. Il voit les sourcils froncés de Sasha, son air mécontent. La façon dont Hamilton se tient un peu en retrait. Nerveusement, Clayton verrouille et déverrouille son Pear. Juste à côté de lui, Gowan semble constater son anxiété. Leurs regards se croisent. « Il doit lui demander ses notes de potion » murmure-t-il. « Ils ne parlent pas de toi. » Clayton secoue la tête, ses doigts pianotant en l’air. « Hé, Andrew ! » La voix de Gowan retentit dans le couloir, faisant se retourner son ami. Il fait un pas vers Sasha, Cindy et lui. « Tu viens ? Je veux la place près de la cheminée. » Andrew semble hésiter quelques secondes mais finit par abandonner les deux Serpentard, non sans le fusiller du regard alors qu’il s’approche du groupe. Clayton baisse les yeux. Quelques secondes après, son Pear vibre dans sa main. C’est un message de Gowan, qui a saisi le sien discrètement alors qu’Andrew s’est muré dans le silence.

Le Clayton qui observe la scène n’a pas besoin de s’approcher pour déchiffrer les quelques mots sur l’écran lumineux. Il sait parfaitement ce qui y est écrit.

« Tkt. Elle n’est au courant de rien. »

Il ferme les yeux très fort pour chasser cette image au loin.

Le flot d'images défilait trop vite et lui donnait un peu le tournis. Les éclats de lumières se succédaient sur des extraits sonores trop brefs pour qu'elle puisse les identifier. Pendant un moment, Sasha se sentit charriée par cette vague de souvenirs qui l'emportait malgré elle sans qu'elle ne parvienne à remonter à la surface. Elle dut se concentrer pour arrêter cette tempête et se força à fixer son attention sur une image particulière. Son regard accrocha un souvenir et elle se focalisa dessus. Aussitôt, l'ouragan prit fin pour laisser place à des eaux plus calmes, dans lesquelles elle plongea sans hésitation.

Ils sont en cours de métamorphose, tous les élèves sont penchés sur leur notes. Spontanément elle balaye la classe du regard jusqu'à s'identifier au premier rang, concentrée et le poignet glissant sur sa feuille à toute vitesse. Elle reporte son attention sur Clayton, plus distrait, qui jette un coup d'oeil sur les notes de James assis à côté de lui. Il ne se passe rien d'intéressant et Sasha sort du souvenir aussi vite qu'elle y est entrée, un peu déçue.

Ils se retrouvent dans la Grande Salle, hier ou peut-être quelques jours plus tôt. C'est l'heure du courrier, Clayton n'a rien reçu. Elle change de souvenirs, ils sont dans la salle commune et son camarade déballe un colis envoyé par sa mère. Un bonnet et des gâteaux. Toujours rien d'intéressant, Sasha quitte le souvenir en ignorant délibérément la petite pointe de jalousie en elle. Sa mère ne lui envoie jamais rien.

Elle s'agace de ne rien trouver de pertinent. Elle se fiche du quotidien de Clayton, elle voudrait trouver les souvenirs liés à la vidéo mais elle ne sais pas très bien comment s'orienter. Elle n'est pas dans le moteur de recherche de son Pear ou elle pourrait rédiger une requête en toute simplicité. Ici tout est questions d'instinct et d'intention, elle doit réussir à imposer une direction dans les méandres de la mémoire de son camarade. Elle essaie de se concentrer sur les souvenirs qui la concerne, cherche des mentions de son prénom ou de la vidéo.

Ils se retrouvant dans la salle des quatre maison. Elle entend effectivement prononcer son nom, mais il n'est pas question de la vidéo, uniquement des notes qu'Andrew lui empruntait l'année dernière, pour réviser les BUSE. Le souvenir est trop vieux, mais elle sent qu'elle évolue dans la bonne direction. Elle garde le cap, cherche un souvenir plus récent. Soudain, ils sont de nouveau devant la salle de Sortilèges, deux heures plus tôt. Elle se voit parler avec Andrew et son coeur se serra un peu. Clayton les observe, l'air inquiet. Gowan tente de le rassurer en affirmant qu'ils ne parlent pas de lui et Sasha fusille le Gryffondor du regard, même s'il ne peut pas la voir.

La scène se déroule exactement de la même façon que plus tôt dans la journée. Gowan s'avance pour interpeler Andrew, qui hésite brièvement avant de le rejoindre. Sasha s'apprête à quitter le souvenir quand un mouvement de Clayton-du-passé attire son attention. Il vient de déverrouiller son Pear pour y lire un message de Gowan. Elle se penche sur l'écran et fronce les sourcils.

« Tkt. Elle n’est au courant de rien. »

Elle redresse la tête vers le Clayton-du-présent, qui a assisté à ce voyage mémoriel avec elle, mais il a fermé les yeux, comme pour échapper à cette vision. Elle met brusquement fin à son intrusion dans l'esprit de son camarade et ils se retrouvent dans la salle de classe vide. Elle ne lui laisse pas une seconde pour reprendre ses esprits ou se remettre de cette première expérience qu'elle sait très perturbante et attaque tout de suite.

"Au courant de quoi ? Sa baguette est toujours pointée en direction de Clayton. De quoi est-ce qu'il parle ?"

Ses yeux clairs sont braqués sur lui et brillent d'une détermination sans faille. Il a certainement compris qu'il n'avait aucun intérêt à lui mentir ou à garder le silence. S'il ne lui apporte pas les réponses, elle ira les chercher elle-même.

Clayton eut la brusque impression de sortir la tête de l’eau et avala une grande gorgée d’air. L’impression d’étau sur sa tête venait de se desserrer et il était de nouveau dans la salle de classe, avec l’impression que le sol tanguait sous ses pieds. Sonné, il recula d’un pas, ses cuisses rencontrant la table derrière lui. Mais qu’est-ce qui venait de se passer ? Ses yeux rencontrèrent les pupilles glaciales de Sasha, qui avait toujours sa baguette pointée sur lui. Est-ce que... Est-ce qu’elle venait de rentrer dans sa tête ? Elle venait de forcer ses souvenirs ?

Il connaissait bien évidemment l’existence de la légilimancie et de l’occlumancie mais de manière très théorique. Ils n’étudiaient pas ces matières à Poudlard et il n’avait pas particulièrement approfondi ses recherches sur le sujet en dehors de ce qui était demandé aux BUSES. En revanche, il savait très bien que Sasha faisait son stage au centre de réhabilitation mémorielle : elle avait bassiné tout le monde avec ça l’année dernière. L’accès aux souvenirs et leur manipulation, c’était quelque chose qu’elle devait commencer à bien connaître... Et elle venait de le faire sur lui. Comme il s’obstinait à ne pas lui donner de réponses, elle allait les chercher à la source. Elle venait vraiment d’entrer de force dans sa tête. Cela ne pouvait pas être légal. C’était forcément illégal. Sa confusion s’était peu à peu transformée en colère. Ses yeux bleus s’assombrirent alors qu’il se redressait, s’ancrant mieux dans le sol.

- Mais sale garce !

Il avait craché l’insulte avec dégoût.

- Va te faire foutre, je te dirai rien ! 

Brusquement, il la repoussa avec force en la poussant au niveau des épaules, à défaut d’avoir sa baguette magique. Il était hors de question qu’il se laisse faire comme ça.

L'insulte de Clayton glissa sur Sasha sans trouver la moindre prise, comme de l'eau sur un rocher. Elle avait entendu bien pire ces derniers mois, et elle était tristement habituée à se faire cracher ce genre de mots au visage. Si cela avait pu la blesser venant de certaines personnes, ou à force de répétition, Clayton n'avait pas ce pouvoir. Son opinion d'elle n'avait aucune importance et ce qu'il pouvait dire ou penser n'aurait aucun impact sur le déroulé de son plan. Elle allait finir ce qu'elle avait commencé, qu'il le veuille ou non.

Elle manqua de perdre l'équilibre et fit quelques pas en arrière quand il la poussa violemment au niveau des épaules. Ses yeux clairs s'arrondirent sous l'effet de la surprise avant de se braquer sur son camarade avec détermination. Elle raffermit sa prise autour de sa baguette, une lueur de défi dans le regard. Ce n'était pas très malin de sa part, d'utiliser la force physique face à quelqu'un qui était armé et parfaitement capable de répliquer par un sortilège.

"Incarcerem."

Dans la précipitation, elle en avait oublié sa nouvelle préférence pour les sortilèges informulés, mais son sort atteignit sa cible en plein milieu du torse. Des liens magiques apparurent et s'enroulèrent autour des chevilles et des poignées de Clayton, jusqu'à lui faire perdre l'équilibre. Sasha l'observa se débattre avec un malin plaisir et sans chercher à cacher son sourire tranquille. Elle recula un peu et s'assit sur le bord d'une table.

"Cela risque d'être un peu long, j'espère que tu es bien installé. Elle pointa de nouveau sa baguette sur le jeune homme et renouvela son incantation. Legilimens."

Cette fois-ci elle ne se laissa pas happée par le flot de souvenirs. Dès qu'elle eut pénétré dans l'esprit de Clayton, elle manifesta clairement ce qu'elle cherchait. Elle devait récupérer des informations sur Gowan, pour apprendre tout ce qu'il cachait. Sans parvenir à se l'expliquer, elle était un peu déçue que le Gryffondor puisse être lié à la diffusion de la vidéo. Elle n'avait jamais vraiment noué de relation personnelle avec lui mais il était le meilleur ami d'Andrew, elle avait l'habitude de le croiser et d'entendre parler de lui.

Elle se sentait trahie par Gowan, mais elle avait surtout peur de découvrir qu'Andrew soit impliqué aussi. Et si Gowan était responsable de la diffusion, d'une façon ou d'une autre ? Et si Andrew l'avait couvert ? S'il lui mentait depuis des semaines ? Elle chassa cette inquiétude de son esprit pour se concentra sur Gowan. Ce n'était pas le moment d'élaborer des scénarios catastrophes, sinon elle n'arriverait à rien. Elle devait se consacrer entièrement à son objectif. Elle chercha le visage du Gryffondor parmi tout ceux qui défilaient autour d'eux et, dès qu'elle l'identifia un souvenir le concernant, plongea dedans sans hésitation.

Désarmé, Clayton se sentait démuni. Sasha lui avait volé sa baguette magique et l’avait conservée dans sa poche. S’il arrivait à la récupérer... Il la poussa brusquement mais bien évidemment, elle répliqua aussitôt avec un sortilège. L’incarcerem le frappa en pleine poitrine. Immédiatement, des cordes épaisses entourèrent ses poignets et ses chevilles, lui faisant perdre l’équilibre. Il s’écrasa lourdement sur le sol, incapable de se réceptionner correctement. Il ne se fit pas mal mais l’humiliation était suffisante. Même si c’était sûrement peine perdue - il savait sa camarade parfaitement calée en enchantements - il tenta de se débattre pour défaire ses liens, sous le regard satisfait de Sasha qui s’était tranquillement installée sur une table. Elle souriait en plus. Un nombre incalculable d’insultes traversèrent ses pensées. Quand elle se permit de faire un trait d’esprit, il eut envie de la frapper.

- T’es complètement tarée ! Tu crois que tu vas t’en sortir comme ça ? Je te jure que je vais le dire à Forbes et tu seras virée de l’école avant même que...

Elle lança son sortilège, le coupant dans sa vocifération. Les images recommencèrent à défiler dans son esprit sans qu’il ne puisse les arrêter, malgré ses tentatives. Il avait lu des choses sur la théorie, il fallait imaginer des murs ou bien des coffre-forts pour bloquer une intrusion mais il n’arrivait pas à focaliser ses pensées. Il ferma les yeux pour mieux se concentrer mais il avait déjà perdu le contact avec le sol froid de la salle de classe...

Lorsqu’il les rouvrit, il était dans la salle 11, au rez-de-chaussée. Complètement aveugle, elle ne servait que rarement. Des bureaux étaient entreposés dans un coin, dans un équilibre précaire. Des générations d’élèves y avaient gravé des messages. Il avait passé un long moment à les déchiffrer, un soir. On y trouvait de tout : « Cedric Diggory  » « Serpentard bande de bâtards » « J.P + L.E. » « À bas Ombrage » « Potter le tricheur » « Dark Boursouf », des caricatures. Sa préférée s’intitulait « Kelsey’s boobs », selon son auteur. Les résultats d’un match de Quidditch Poufsouffle / Gryffondor. Un Vif d’or gravé dans le bois, avec les détails des ailes. Les chandelles qui vacillaient sur les murs éclairaient une assemblée tout sauf studieuse : ils étaient installés par terre, quelques bouteilles au milieu d’eau, le joint de Baen dégageant une fumée bleuâtre. Il se vit, appuyé contre le mur, une bouteille de bière dans la main, à côté de Benjamin Eriksen. La voix de Gowan retentissait dans la pièce alors qu’il racontait un récit avec animation. « Et là elle me dit "Si tu ne fais pas ta partie du devoir, je le dirai au professeur Corrigan" donc je lui réponds "Bah vas-y, fais-toi plaisir, j’en ai rien à foutre." » Un silence s’établit quelques secondes. Ce fut James, assis à ses côtés, qui le rompit. « Et du coup ? » « Ah bah du coup rien, c’était la fin de l’histoire.  » Le petit groupe éclata de rire après quelques secondes de consternation et Clayton eut le coeur serré. Il ne vivait plus de moments comme ça, désormais. « Mais elle est nulle ton histoire, je pensais qu’il y avait une chute moi »   protesta Benjamin en acceptant entre ses doigts le joint que Baen lui tendait. Il en tira une latte. «  J’ai jamais dit qu’elle était ouf hein ! J’expliquais juste pourquoi Violette était casse-burnes. » Benjamin haussa les épaules. « Elle est cool, quand on la connaît. » « Et elle a une belle peau » intervint Baen qui était en train de rouler entre ses doigts du papier à cigarettes. Il avait sorti un peu de racine de mandragore de sa poche.

Clayton se retourna en entendant la voix d’Adarsh, qui avait résonné juste derrière lui. Assis à côté d’Adam Higgs, il était en train de se resservir de la vodka dans un mug aux couleurs de Poufsouffle. « T’es chelou toi. C’est pour ça que les meufs t’approchent pas hein. » Baen haussa les sourcils et eut un sourire suggestif. « Si tu savais ce que m’a fait Kat Keller hier soir au sixième étage, tu ne dirais pas ça... » Claire, qui était allongée en face de lui, la tête calée par son sac de cours, fronça le nez. « T’es qu'un porc. » Baen lui envoya un baiser. « T’es juste jalouse, ma belle. » Elle secoua la tête, mais un sourire était apparu sur son visage. « Ouais enfin » reprit Gowan en décapsulant une bière « c’est pas un exploit de se faire faire quelque chose par... Mais hé, prenez une chambre au pire, là. »

Clayton tourna la tête vers le coin de la pièce, reculant d’un coup. Il marcha sur Claire... en lui passant à travers. Andrew et Aby étaient installés un peu plus loin, elle à moitié sur ses genoux. Ils se détachèrent l’un de l’autre quelques secondes après l’interpellation de Gowan, Andrew ne retirant pas sa main de la joue de sa petite-amie qu’il était en train d’embrasser. « Quoi ? » lança-t-il, avec l’air de celui qui n’avait rien écouté à la conversation. « Vous n’avez pas lu le règlement intérieur ? Poudlard n’est pas un lupanar... » « Pardon monsieur le préfet » répliqua Andrew, ses doigts quittant le visage d'Aby pour se glisser autour de sa taille. « Tu veux faire de la concurrence à Henry ? Ou bien t'es jaloux ? » « Tout de suite les questions qui fâchent ! » Clayton sursauta. Sa propre voix venait de résonner dans la pièce. Il avait entre les doigts le joint que Benjamin lui avait fait passer et un sourire heureux sur le visage. Gowan eut un soupir avant de tendre les bras vers son meilleur ami. « Oui. Je rêve de toi toutes les nuits Andrew, maintenant je peux enfin le dire ! » Des rires traversèrent le petit groupe et Andrew secoua la tête, un air amusé sur le visage. « C’est donc pour ça que tu roules des pelles à ton oreiller pendant la nuit ? »

Brusquement, la salle bascula. Ils n’étaient plus à Poudlard mais dans la cuisine de l’immense maison des Dubois. Les basses de la musique retentissaient dehors. Clayton réalisa en une seconde qu’ils étaient à l'anniversaire d’Andrew et son coeur manqua un battement. Non. Non, pas ce souvenir là. Gowan, trempé jusqu’aux os, se tenait à côté de son meilleur ami. Il se vit prendre la parole d’un air bravache, James à ses côtés, Adarsh et Baen qui observaient la scène comme on regarde un match de tennis. «  Bah si c’est vrai. Je l’ai pécho, je l’ai croisée en remontant vers le château, on est allé à la Salle Commune ensemble et… » disait-il. Il fut coupé par Gowan. « Et là tu t’es réveillé pour découvrir que tu roulais une pelle à ton oreiller, c’est ça ? » Baen ricana. Ses joues à lui se couvrirent de plaques, comme à chaque fois qu’il était gêné. « Ta gueule, je dis la vérité, elle s’est jetée sur moi et… » « Jetée sur toi ? Carrément ? Benson ? Ouais, on te croit mon gars. » « Bah ouais, elle s’est jetée sur moi, complètement en manque la meuf, dans le couloir devant la Salle Commune. Puis on est monté dans son dortoir et je me la suis tapée toute la nuit. » Non. Non. Non.

L’exclamation lui avait échappé. Pas dans son souvenir mais dans la réalité. Il croisa les yeux clairs de Sasha. Non. Et la scène bascula.

« Il faut dormir la nuit, monsieur McGregor. » Le professeur Adamson était là, face à lui, et Clayton eut un peu de peine en reconnaissant son ancienne enseignante. Ils étaient dans les cachots, en potions. La professeur avait l’air sévère face à un Gowan tout juvénile, assis seul à sa table. Il devait avoir onze ou douze ans à peine, quelques boutons sur la figure, la cravate de travers. Derrière lui, des yeux clairs familiers. Sasha était assise à côté d’Andrew, comme depuis toujours en potions. Leurs chaudrons étaient encore vides, les vapeurs n’avaient pas encore envahi la pièce. Andrew semblait embêter Sasha en décalant son encrier de quelques centimètres à chaque fois qu’elle tentait de plonger sa plume dedans pour écrire les consignes. Elle semblait lui dire à voix basse d’arrêter mais, une ombre de sourire - qu’on ne lui avait plus vue depuis longtemps - planait sur sur son visage. « Avec votre binôme, vous allez réaliser votre potion repousse-niffleurs. Attention au dosage des coeurs de grenouilles ! » La main de Gowan se leva. « Professeur, je n’ai pas de binôme, Henry a la varicelle... » Deuxième année. Henry avait attrapé la varicelle en deuxième année, on ne savait pas trop comment, et toute la promo en avait ri. « Ne vous en faites pas monsieur McGregor, vous allez faire une équipe de trois... » Gowan se retourna immédiatement vers Andrew et Sasha, ce que l’enseignante ne manqua pas. « Je suis certaine que vous pouvez vous passer de monsieur Dubois-Cavill pour deux heures », lança-t-elle un peu sèchement. « Messieurs Payne, Webber, faites donc un peu de place à monsieur McGregor. » James et lui étaient assis à l’autre bout de la salle, son meilleur ami le dépassant d’une tête. Gowan fit la moue en attrapant son sac, lançant un regard désespéré à Andrew. Il se rapprocha de leur table. « Salut... » marmonna-t-il. « Salut » se vit-il répondre en lui tendant la main. « Je suis Clayton. »

Une forte pression lui vrilla la tête. Il tenta de lutter, mais en vain. Il se sentit aspiré en arrière.« Clayton, on en a déjà parlé. Il faut que tu arrêtes d’appeler ta main droite comme les filles de l’école, ce n’est pas très sain. » L’anniversaire. Ils étaient revenus à l’anniversaire. Sasha. C’était elle qui ne voulait pas lâcher ce souvenir, il en était persuadé. Les rires de ses amis retentirent à la moquerie, sauf Andrew, qui restait mutique, appuyé en arrière sur le comptoir de la cuisine. « Mais ferme ta gueule, putain ! Je te dis que c’est vrai, je l’ai baisée ! » James intervint, sa gobière à la main. « Pour le coup, il dit vrai. » « Ah parce que t’étais là, toi ? Vous avez fait un plan à trois ou comment ça se passe ? » « Non mais y’a une vidéo. » Gowan se tut brusquement. Andrew releva la tête, sourcils froncés, l’air abasourdi. « Une vidéo ? »

- Non !

Brusquement, il était de nouveau sur le sol froid de la salle de classe, avec une sensation de pulsation à l’arrière du crâne. Son air colérique avait laissé place à des yeux effrayés.

Sasha n'était pas effrayée par les menaces de Clayton. Elle savait pourtant que son camarade aurait assez de culot pour aller trouver le Pr. Forbes et se plaindre qu'elle avait violé son intimité -il était vraiment sans-gêne ! Mais elle connaissait des moyens d'acheter son silence. Son objectif était de découvrir qui avait diffusé la vidéo à la rentrée, et elle s'était concentrée sur les souvenirs liés à cet évènements, mais elle pouvait ratisser plus large. Elle comptait bien quitter cette salle en emportant avec elle quelques uns des secrets les mieux gardés de Clayton Payne. Elle ne parlerait pas, s'il ne parlait pas non plus.

Elle ne le laissa même pas aller au bout de sa phrase et s'introduisit à nouveau dans son esprit, déterminée à y trouver ce qu'elle cherchait. Elle sentait qu'elle se rapprochait de son but, qu'elle le touchait presque du bout des doigts.

Ils se retrouvèrent aussitôt dans une salle de classe, que Sasha connaissait bien parce qu'elle en avait déjà chassé des élèves pendant ses rondes. Toute la "bande à Dubois" s'y était installée et parlaient des filles de leur promo, notamment de Katrina Keller qui, si elle ne se faisait pas autant insulter que Sasha, n'était pas beaucoup plus respectée par la gente masculine. Ils étaient dans le bon thème, mais dans le mauvais souvenir. Celui-ci est trop ancien. Elle doit viser dans les évènements plus récents si elle Dans le bon thème, mais pas le bon souvenir. Elle devait viser dans les évènements récents si elle voulait trouver qui avait eu accès à cette vidéo avant la rentrée. Elle se souvint alors des explications d'Andrew, dans le Poudlard Express et se concentra sur une soirée en particulier : son anniversaire. Elle essaya de se représenter aussi fidèlement que possible la maison de son père, pour forcer la mémoire de Clayton à les y conduire.

Un instant plus tard, le décor de la salle de classe bascula et ils se retrouvèrent dans la cuisine d'Olivier Dubois. Elle entendait les basses de la musique qui montaient du jardin, et les cadavres de bouteille sur la table laissait à penser que la soirée était déjà bien entamée. Elle jeta un regard noir au Clayton du présent en entendant son souvenir raconter leur aventure de façon complètement déformée. Elle entendit à peine les exclamations de Clayton, trop concentrée sur les paroles qu'il avait prononcé quelques mois plus tôt. Elle s'approchait de la révélation, elle le sentait. Mais d'un seul coup, la cuisine disparut.

- Hé ! protesta-t-elle.

Son éclat de voix se perdit dans la salle de potions sans que personne ne l'entende. Ils étaient en première ou peut-être deuxième année, occupés à fabriquer leur première potion repousse-Niffleurs. Elle chercha Clayton du regard et le trouva, sans surprise, installé à côté de James. Quelques rangs plus bas, elle-même était assise à côté d'Andrew, qui semblait beaucoup s'amuser à l'empêcher de prendre des notes. Elle sentit son coeur se serrer face à cette complicité qu'ils avaient perdu depuis. Elle laissa le souvenir se dérouler quelques minutes, jusqu'à ce que Gowan soit envoyé à la table des deux Serpentard, puis se concentra de nouveau sur la soirée d'anniversaire.

Clayton avait voulu échappé à ce souvenir. Il l'avait souhaité tellement fort qu'il avait réussi à les éjecter de la scène. Elle en déduisait qu'il devait forcément avoir des secrets à protéger, et elle était bien décidée à les découvrir. Un instant plus tard, ils étaient de retour dans la cuisine. Et enfin, entre des plaisanteries et des moqueries obscènes, James mentionna l'existence de la vidéo. Elle se doutait bien de ce qui allait suivre, puisqu'Andrew lui avait raconté que Clayton avait montré l'enregistrement, mais elle se concentra malgré tout, pour ne pas louper le moindre détail. Est-ce qu'un des garçons présents dans la cuisine avait pu volé la vidéo, cette soirée-là, et la diffuser à la rentrée ?

- Non !

Avant qu'elle n'ait pu obtenir une réponse à cette question, elle fut brusquement ramenée dans la salle de classe abonnée, dans le présent. Clayton l'avait chassé de sa mémoire, et ne la regarderait plus avec colère mais avec peur. Il avait réussi à la repousser. C'était un peu humiliant de faillir face à un parfait novice mais elle mentirait si elle prétendait ne pas ressentir une légère excitation à le voir lui résister de la sorte. La lutte était presque aussi intéressante que l'objectif final, mais elle n'avait pas vraiment le temps de jouer. Elle voulait des réponses.

- Si.

Ignorant sa propre fatigue mentale, elle replongea aussitôt dans l'esprit de son camarade et usa de toute sa volonté pour les ramener au coeur du souvenir qu'ils avaient quitté et qui, elle le sentait, ne leur avait pas livrer tous ses secrets. Elle ne le lâcherait pas tant qu'elle n'aurait pas obtenu ce qu'elle cherchait.

Son retour dans la salle de classe ne fut que bref. Impitoyable, Sasha répondit en un mot à ses supplications. Avant de se replonger dans son esprit. Les basses de la musique retentirent de nouveau alors que la cuisine des Dubois se matérialisait autour d’eux. « Une vidéo ? » Andrew venait de se décoller légèrement du comptoir, sourcils froncés. « Ouais. Vas-y Clayton, montre-leur. » C’était la voix de James. Sans pouvoir empêcher le déroulement du souvenir, il se vit plonger la main dans sa poche pour en ressortir son Pear, caché à l’entrée d’Andrew dans la pièce. La vidéo se lança et Clayton tenta désespérément de faire basculer son esprit à un autre souvenir, sans y parvenir. Il avait beau fermer les yeux très fort comme les dernières fois, il restait coincé dans cette cuisine. Sasha donnait tout pour rester-là. Or, cette scène mettait à mal toute la défense qu’il avait construite, comme quoi il n’avait jamais montré ces images à qui que ce soit. La vidéo se termina, laissant place à un silence planant dans la cuisine. Il se vit refermer son appareil, haussant légèrement les épaule. « Vous voyez bien que c’est vrai. »

Il se rappelait très bien de ce qu’il avait ressenti à ce moment-là. De la fierté. Il était fier d’en avoir bouché un coin à ses copains. D’avoir fait taire les moqueries incessantes de Gowan. De leur avoir montré que lui aussi il vivait des choses. Qu’il était tout à fait à leur niveau, voire au dessus encore. Pour une fois, c’était lui qui avait quelque chose à raconter. Pour une fois, c’était autour de lui que tournait leur petite bande. Sauf que la situation avait vite tourné au vinaigre. L’intervention de Baen, pour commenter qu’il n’aurait pas pensé que Sasha était ce genre de fille, fut brusquement coupée par la voix agressive d’Andrew. « Tu l’as filmée ? » Il se vit rentrer sa tête dans ses épaules, quelques plaques rouges apparaissant sur son cou. « Oui, enfin je... » Il aurait dû l’envoyer se faire foutre directement, songea-t-il, honteux d’apparaître aussi faiblard. « Tu l’as filmée ?! Mais faut être quel genre de déchet pour faire ça ? » Le ton de son « ami » s’était encore durci. Ses mots claquaient avec colère dans la cuisine pétrifiée. James tenta bien d’intervenir pour prendre sa défense mais il fut coupé sans ménagement par Andrew, qui avait fait un pas vers eux. Clayton vit ses mains se crisper sur le comptoir derrière lui. « Ta gueule toi, je te parle pas là ! Mais t’es une vraie pourriture en fait ? » Le silence se fit dans la cuisine. « Mais réponds quand je te parle putain ! » La tension était à son comble. Il voulait que cette scène cesse mais n’y parvenait pas, il n’arrivait pas à refaire basculer son esprit. Il s’entendit reprendre la parole, la voix peu assurée. «  J’ai pas l’intention d’en faire quoi que ce soit. Mais vous ne me croyez jamais, Gowan passe sa vie à dire que... » Comme Adarsh et Baen qui avaient fait un pas en arrière, l’écossais tenta immédiatement de s’extraire de la situation. « Wo, je t’ai rien demandé moi ! » Sans écouter son meilleur ami, Andrew avait fait un nouveau pas vers lui, déjà menaçant. « Tu vas la supprimer. Tu supprimes maintenant. » Clayton n’avait jamais supporté qu’il lui donne des ordres comme ça et il se vit réagir, se redressant comme pour mieux faire face au Gryffondor. « Tu me dis pas quoi faire par contre Dubois, je suis pas ton… » « Tu supprimes ! Tu supprimes ou je te jure que je te vais te le faire faire. Tu m’entends ? Je te jure, je te défonce si tu le fais pas. Tu effaces ce truc et tu le fais maintenant. »

À cet instant, il avait vraiment cru qu’il allait le frapper. Il l’avait déjà vu se battre quelques années plus tôt et il le soupçonnait d’en être encore capable. Alors il avait cédé. Il avait ostensiblement supprimé la vidéo, le coeur battant. « Voilà. T’es content, c’est bon ? » Il avait sincèrement pensé que cela suffirait à le calmer. Qu’ils pourraient revenir tranquillement à la soirée. À l’époque, il n’y avait pas de raison d’en faire tout un plat. Les images n’étaient pas encore publiques, c’était juste entre eux... Mais Andrew n’avait pas décoléré. « T’es vraiment qu’un gros Cognard. » Cela avait été les mots de trop pour lui. Il n’avait pas supporté cette insulte supplémentaire de celui qui était censé être son ami. Bravache, il se vit avancer de deux pas, sourcils froncés. « Hé, tu me parles pas comme ça, c’est pas ma faute si toi t’as pas réussi à conclure avec elle à la soirée ! » Tout le monde les avait vu s’éclipser. Malheureusement pour lui, il avait touché un point sensible. Il vit Andrew le repousser avec force, l’envoyant s’écraser contre le comptoir de marbre. D’extérieur, Clayton pouvait voir à quel point il avait été violenté. Il en avait eu un bleu magistral dans le bas du dos. Il n’y avait que James et Gowan qui étaient intervenus, Adarsh et Baen faisant les lâches, comme souvent. James avait levé les mains pour calmer Andrew, tandis que Gowan l’attrapait par les épaules pour le tirer en arrière, évitant sûrement à Clayton de s’en prendre une. « Oh doucement ! Calme-toi, sérieux. » En vain. « T’es qu’un enfoiré Clayton, et vous aussi pour trouver ça normal ! » Le regard du Gryffondor avait englobé tous les membres de leur petite bande. « Allez bien vous faire foutre, sérieux. » Et il était sorti de la cuisine en claquant les portes, les laissant là. « Faut qu’il se détende, hein… » avait commenté Baen, mal à l’aise.

La montée de violence les avait tous laissés un peu sonnés. Clayton se vit grimacer, se frottant le dos là où son énorme bleu allait apparaître. « Ça va ? » avait demandé James. Il avait hoché la tête. « Il m’a fait mal, cet abruti. » « Faut vraiment qu’il se calme » avait répété James. « C’est qu’une vidéo, ça va... » Gowan, qui n’avait pas suivi Andrew, secoua la tête. « C’est abusé quand même Clayton... Elle sait que tu as filmé ? » Immédiatement sur la défensive, il se vit croiser ses bras sur son torse. « Hé, ça va, on voit à peine hein. » « Ouais mais franchement c’est pas cool... C’est abusé mec, ça se fait pas. » Adarsh, qui était resté silencieux jusque là, reprit la parole, visiblement gêné. « Bon, je vais retourner me baigner moi... » Baen hocha la tête. « Ouais, moi aussi... » Andrew avait gâché l’ambiance. Gowan décapsula une bière, avant de pousser un soupir. « J’espère qu’il ne va pas tirer la gueule trop longtemps, c’est son anniversaire quand même... » commenta-t-il en jetant un coup d’oeil par l’une des fenêtres.

Brusquement, Clayton réalisa ce qui arrivait après. Sentant la panique l’envahir, il fit un petit tour sur lui-même comme pour trouver la sortie de secours. Il ne fallait pas qu’elle voit que James... La cuisine disparut. En pensant à son meilleur ami, il avait fait basculer les choses vers une nuit de la fin de l'été qu’il reconnut immédiatement. Ils étaient à quatre jours de la rentrée et des évènements du train. Non. Non, pas ça, ce n’était pas mieux. C’était pire même, c’était vraiment pire. Il tenta de penser à autre chose, à sa mère, son BUSE de métamorphose ou quoi que ce soit mais il restait désespérément coincé là, comme si Sasha avait compris comment bloquer ses tentatives.

Ils étaient dans sa chambre, chez lui. La pièce était plongée dans une relative pénombre, uniquement éclairée par le Pear qu’il tenait devant ses yeux, allongé sur son lit. Au dessus de sa table de chevet, il y avait une affiche des Tornades de Tutshill. La lampe en forme de souaffle était éteinte. Au sol, sur un matelas gonflable, il y avait James, les bras derrière la tête. Tout en scrollant, Clayton répondait à la question que son ami venait de poser. « Bah je sais pas. J’aime bien les regarder. Puis j’ai envie d’être avec elles quoi. De coucher avec. Je voudrais bien sortir avec une fille, ‘fin ça me ferait plaisir quoi. Pourquoi ? » Il avait refermé son Pear, tournant la tête vers James, qui n’avait pas bougé. « Je sais pas. Je me demandais, c’est tout. » « Ça te fait pas ça, toi ? » Un long silence. « Je sais pas. » Clayton se redressa sur un coude. « Après t’as peut-être pas trouvé la fille qui te plaît, hein. » De nouveau un silence. James tourna le dos au lit. « Ouais, peut-être. » Il se vit fixer le dos de son meilleur ami quelques secondes. « Ou bien tu préfères les mecs. » « Dis pas de conneries » répondit immédiatement James, sans se retourner. « Ah bah tu peux » fit Clayton. Il se souvenait très bien qu’il avait essayé de le requinquer à ce moment-là. « Ça fera plus de meufs pour moi. » James avait soufflé du nez. Son ton était amusé lorsqu’il reprit. « T’es con. »

Son Pear s’illumina en vibrant. Il venait de recevoir un hibou. Il ouvrit l’appareil, fronçant les sourcils. « Chelou. » « Quoi ? » « C’est Gowan. Il me demande de lui envoyer la vidéo.  » James se redressa. « Quelle vidéo ? » « Bah celle de Benson. » Clayton eut l’impression qu’il allait vomir. Il refusait ce qui était en train de se passer... Il préférait encore ce qui était arrivé à l’anniversaire d’Andrew. L’anniversaire. L’anniversaire. L’anniversaire. Un souvenir neutre de l’anniversaire. La piscine. Regarder Katrina qui dansait. Le gâteau. Le gâteau c’était bien. La cuisine des Dubois se matérialisa devant eux, les arrachant à sa chambre d’enfants. Claire venait de précautionneusement sortir deux gâteaux pâtissier du réfrigérateur, accompagnée d’Henry. Ils les avaient déposés avec précaution sur le comptoir pendant que James et lui, qui n’avaient pas quitté la pièce depuis les évènements qui étaient arrivés un peu plus tôt, les regardaient faire. La Serdaigle avait posé ses mains sur ses hanches, cherchant quelque chose du regard. « Vous savez si des bougies sont prévues ? » Contrarié, Clayton se contenta de hausser les épaules. « Il y en avait l’année dernière » fit Henry. « Je crois qu’elles sont rangées dans le buffet de la salle à manger. » « Où ça ? » « Dans le tiroir du haut... Attends, je te montre. » Ils quittèrent la pièce, les laissant seuls. Ce ne fut qu’à ce moment-là que Clayton réalisa l’erreur stratégique qu’il venait de commettre. Trop tard. « Allez, arrête de faire la gueule » lança James en lui tapotant l’épaule. « Je te la renvoie la vidéo si tu veux, j’ai pas effacé le hibou que tu m’avais envoyé dans le train... »

Non, non, non. Dans la panique, il recula et aurait renversé quelque chose s’il avait vraiment été dans la pièce. Ses pensées s’emballèrent, tout comme ses souvenirs. Ce fut comme être pris dans une vague, la tête sous l’eau. Une quantité folle d’image se présenta à eux avant que tout se stabilise brutalement. Ils étaient de nouveau dans la chambre, quelques jours avant la rentrée. « Il t’envoie un hibou pour ça ? À cette heure-là ? Je ne veux pas savoir ce qu’il va faire de cette vidéo » ricana James. Clayton se vit hausser les épaules. « Il dit qu’il en a besoin pour prouver un truc. » « Que Benson est une salope ? Ah bah là c’est assez clair. » Clayton eut un sourire en coin. « Tu lui envoies du coup ? » « Bah ouais. Il l’a déjà vue de toute manière, je ne vois pas ce que ça change. » Il verrouilla de nouveau le petit appareil après avoir commis son méfait. « Ta mère t’emmène pour quelle heure au Poudlard Express mardi ? »

Ce fut à ce moment-là qu’il croisa le regard froid de Sasha. Et il sut qu’il avait perdu.
 

Sasha avait réussi, ils étaient de retour à l'anniversaire dans la cuisine des Dubois, le soir de l'anniversaire. Elle jeta un regard noir au Clayton du présent quand elle vit celui du souvenir sortir son Pear de sa poche pour montrer la vidéo à ses camarades. Elle savait déjà que les choses s'étaient passées ainsi puisqu'Andrew lui avait raconté, mais cette fois-ci elle en avait une preuve certaine. Elle lutta contre l'envie de s'extraire du souvenir uniquement pour pouvoir lui filer un coup de pied, et laissa la scène se dérouler. Andrew entra dans une colère noire qui la réconforta autant qu'elle lui fit mal au coeur.

La dispute entre lui et Clayton provoquait en elle un déferlement d'émotions qu'elle avait du mal à appréhender. Elle devinait que certaines étaient celle de Clayton, qu'elle ressentait via son souvenir, mais d'autres étaient les siennes. Une part d'elle était touchée de voir Andrew prendre sa défense, mais une autre continuait de lui en vouloir. Pourquoi ne pas lui avoir parlé de cette vidéo alors même qu'il avait été scandalisé de découvrir son existence ? Il était évident qu'il avait compris à quel point ce qui s'était passé était grave, alors pourquoi ne pas l'avoir prévenue ?

Trop occupée à démêler ses propres pensées, Sasha s'était déconcentrée et Clayton en profita pour les faire basculer dans un autre souvenir. Elle tourna la tête vers lui et fronça les sourcils en voyant la panique sur son visage. Elle pensait avoir visionné tout ce qui s'était passé d'important à la soirée d'anniversaire d'Andrew, mais ce n'était visiblement pas le cas. Son camarade semblait vouloir protéger la suite de ce souvenir, et Sasha se promit d'y revenir dès que possible. En attendant, elle reporta son attention sur la conversation entre lui et James, qui semblait se demander s'il aimait vraiment les filles. Intéressant.

Elle nota l'information dans un coin de sa tête et essaya de se concentrer à nouveau sur l'anniversaire. Etrangement, elle ne rencontra aucune résistance. Alors qu'il avait à tout prix cherché à échapper au souvenir de la soirée, Clayton paraissait soudainement parfaitement enclin à y retourner. Elle ne comprenait plus rien. Qu'avait-il à protéger de plus important dans ce souvenir avec James ? Est-ce que son meilleur-ami avait fini par lui annoncer qu'il était gay ? Est-ce qu'il s'était passé quelque chose entre eux ? Elle abonna finalement l'idée de retourner à l'anniversaire et décida de rester quelques secondes de plus dans la chambre du Serpentard, curieuse de voir ce qui avait pu s'y jouer.

Elle fut partagée entre un sentiment de satisfaction et de dégoût quand le Clayton du souvenir reçut un message de Gowan, qui lui demandait de lui envoyer la vidéo. Elle avait trouvé ce qu'elle cherchait et pourtant elle n'arrivait pas vraiment à s'en réjouir. Sans trop savoir pourquoi, le fait que la personne à l'origine de la diffusion de la vidéo puisse être Gowan la dérangeait. Peut-être parce qu'elle ne pouvait pas s'empêcher de penser qu'il ne faisait jamais rien dont Andrew ne soit pas au courant. Et puis, il y avait quelque chose qui clochait. Ce souvenir paraissait être plus récent que celui de la soirée d'anniversaire, et Clayton avait supprimé la vidéo de son Pear à la demande d'Andrew, il n'avait donc pas pu l'envoyer à Gowan après. Il lui manquait encore des pièces du puzzle.

Un peu sonnée par cette découverte, elle n'eut pas la force mentale nécessaire pour empêcher Clayton de les ramener encore une fois dans la cuisine d'Andrew, le soir de son anniversaire. C'était bientôt l'heure du gâteau, Henry et Claire étaient à la recherche de bougies mais James et Clayton n'étaient d'aucune aide et ce dernier semblait même faire la tête. Certainement dans le but de lui remonter le moral, son meilleur-ami proposa alors de lui renvoyer la vidéo, qu'il avait conservée dans ses messages reçus. Sasha secoua la tête en signe de désapprobation. Les voir parler si légèrement d'un enregistrement qui avait rendu sa vie si pénible lui donnait envie de hurler, mais elle s'efforça de rester concentrer sur les faits.

La chaîne de communication commençait à se dessiner assez clairement. James avait renvoyé la vidéo à Clayton, qui l'avait envoyée à Gowan. Pour en avoir le coeur net, elle invoqua de nouveau le souvenir qui se déroulait dans la chambre de Clayton. Son bref échange avec son meilleur-ami confirma ses soupçons et Sasha posa sur lui un regard glacial. Elle savait tout, maintenant. Il était foutu.

La seconde suivante, ils étaient de retour dans la salle de classe. Sasha resta un instant silencieuse, ses yeux clairs braqués sur Clayton qui était toujours ligoté au sol. La tentation de le ruer de coups de pieds et de lui hurler dessus était forte, mais n'aurait certainement été d'aucune utilité si ce n'était de la défouler un peu. Elle réfréna ses envies de violence et se contenta de quitter la table sur laquelle elle était assise pour se rapprocher un peu de son camarade qu'elle dominait de toute sa hauteur. Elle préférait largement baisser les yeux sur lui plutôt que d'être obligée de lever le menton pour le regarder dans les yeux.

"Et donc, tu n'as montré la vidéo à personne ?" son ton était calme, presque doucereux, mais ses yeux lançaient des éclairs.

Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle espérait obtenir en mettant son camarade face à ses mensonges. Des excuses ? Des aveux ? Elle n'en avait de toute façon plus besoin.

"Tu vas aller voir la P.M, et tu vas leur dire que Gowan t'a demandé la vidéo avant la rentrée, et que tu lui as envoyé."

Elle l'aurait volontiers fait elle-même, mais elle n'avait aucun moyen d'expliquer comment elle avait obtenu ces informations. La pratique de la légilimancie était interdite, sauf dans des cas très précis et encadrés par la loi. Elle aurait pu affirmer que Clayton lui avait tout raconté mais il aurait nié et cela aurait été sa parole contre la sienne. Il devait dénoncer Gowan lui-même.

Le sol de la salle était froid sous son corps figé. Clayton avait le coeur qui battait à tout rompre sous le regard froid de Sasha. Elle savait. Elle savait tout. Il n’avait rien réussi à dissimuler et elle en avait tout à fait conscience. Elle lui fit ironiquement remarquer son mensonge, qui ne valait plus rien désormais. Il était complètement exposé. Mais il ne dit rien, alors que les pensées se bousculaient dans son esprit. Il fallait absolument qu’il sauve la situation, il fallait absolument qu’il se sorte de ce traquenard. Il savait que la police peinait à le croire lorsqu’il disait qu’il n’avait pas diffusé la vidéo... Si Sasha venait à leur raconter tout ça, il était foutu.

Et ce fut justement la PM qu’elle mentionna. Ce fut un ordre qu’elle lui donna. Elle voulait qu’il aille tout leur raconter, lui-même, qu’il revienne sur ses déclarations et dénonce au passage Gowan. Pourtant, ce n’était pas lui qui avait envoyé la vidéo à toute l’école, il le lui avait juré. Lorsqu’il avait vu, dans le Poudlard Express, que la sex-tape commençait à se répandre, il s’était évidemment tourné vers son ami pour l’accuser. Le Gryffondor avait juré que ce n’était pas lui, qu’il n’avait rien fait, qu’il l’avait juste envoyée à quelqu’un il y a quelques jours. Il n’avait pas voulu dévoiler qui. Mais Clayton l’avait cru. Ses yeux clairs fixaient le visage de Sasha, son cerveau s’activant.

- D’abord tu me détaches, ordonna-t-il. Et ensuite, on parle. Parce que tu te trompes complètement. C’est pas Gowan qui a diffusé la vidéo.

Sasha s'était attendue à avoir la pleine et entière coopération de Clayton. Elle venait de le prendre en flagrant délit de mensonge, avait suffisamment d'éléments pour faire tomber toute sa défense, et était capable d'accéder à n'importe lequel de ces souvenirs. De plus, il était désarmé, et ligoté au sol. A ses yeux, il n'était pas vraiment en position de négocier. Aussi fut elle surprise quand il se permit de lui ordonner de le détacher. Elle l'observa un instant en arquant un sourcil, en se demandant s'il était incroyablement culotté ou juste complètement inconscient.

Et elle n'était pas au bout de ses surprises puisque son camarade affirmait qu'elle se trompait complètement, et que Gowan n'était pas à l'origine de la diffusion de la vidéo. Elle croisa les bras sous sa poitrine et s'adossa au rebord d'une table pour s'accorder un instant de réflexion. Il était tout à fait possible que Clayton cherche uniquement à protéger Gowan, mais à vrai dire elle ne comprenait pas pourquoi il ferait une chose pareille. Ils faisaient partie de la même bande mais ne paraissaient pas être les meilleurs amis du monde, et Clayton n'avait pas l'air d'être du genre héroïque, à risque sa peau pour protéger les autres. S'il disait vrai, il y avait effectivement une troisième personne au bout de la chaine, qui avait reçu la vidéo de Gowan et l'avait partagée avec la moitié de l'école.

"Je te détacherai quand je l'aurais décidé, commença-t-elle pour lui rappeler la précarité de sa situation. Son ton était toujours parfaitement calme et ne trahissait rien que la colère ravageuse qui flambait derrière ses grands yeux clairs. Si ce n'est pas Gowan, alors qui ?"

Elle posait la question presque par politesse, parce que si elle était honnête, elle avait plutôt envie d'aller chercher la réponse elle-même. Elle commençait seulement à apprendre à naviguer à contre-courant dans les souvenirs d'un hôte réfractaire, et elle aurait aimé s'entrainer un peu plus.

C'était bien plus exaltant que les entrainements avec Constantine ou Alessandro, qui faisaient semblant de résister puis lui jetait un souvenir quelconque pour qu'elle s'habitue à en visualiser. Ils étaient bien trop bons occlumens pour qu'elle puisse accéder à autre chose que ce qu'ils consentaient à lui montrer. Face à Clayton elle se sentait toute-puissante. Elle pouvait entrer dans sa tête sans son accord, et visionner ses souvenirs les plus secrets sans qu'il ne puisse rien faire pour l'en empêcher. Elle adorait ça.

Clayton fronça les sourcils quand Sasha refusa de le détacher. Il aurait tout donné pour qu’un enseignant débarque à ce moment-là et voit ce qu’elle avait osé lui faire. Il aurait dû demander à James de rester dans le coin... Son ami était rentré à la Salle Commune et il n’allait pas s’inquiéter avant quelques temps encore. Il était tout seul pour se dépêtrer de cette horrible situation. Il fallait absolument qu’il sauve sa peau : il ne pouvait pas aller voir la PM pour leur dire qu’il avait envoyé la vidéo à Gowan car cela mettait à mal toute sa défense. Il était persuadé que les policiers ne le rateraient pas s’il venait confesser une telle chose. Et puis sa mère... Il lui avait juré qu’il n’avait pas envoyé la vidéo, qu’il ne l’avait partagée avec personne. Elle ne supporterait pas de découvrir qu’il avait menti, cette affaire mettait déjà à mal leur relation.

- Je ne sais pas ! répondit-il à la question de Sasha. Mais c’est pas lui. Il souffla. Bon. D’accord, j’ai envoyé la vidéo à Gowan le week-end d’avant la rentrée, avoua-t-il, puisque Sasha savait déjà tout. Mais s’il la voulait, c’était pour l’envoyer à quelqu’un, ce n’était pas pour la diffuser. Il en avait besoin pour prouver quelque chose à quelqu’un, je ne sais pas quoi et je ne sais pas qui. Il l’a envoyée le même soir où moi je lui ai donnée. Et apparemment, c’est cette personne qui l’a envoyée à une dizaine de personnes dans le train. C’est la vérité, fit-il en maintenant son regard. Je le sais parce que quand la vidéo a commencé à se répandre le 1er septembre, j’ai tout de suite pensé que c’était Gowan, puisque ce n’était pas James. Mais il m’a juré que non. Sauf qu’il ne veut pas dire à qui il l’a envoyée, il refuse de dire qui l’a diffusée.

Et Clayton le croyait. Il l’avait vu sincère dans le train, il avait vu à quel point il était mal. Ce n’était pas lui. En revanche, il ne comprenait pas pourquoi il protégeait la personne qui l’avait fait. Mais il n’allait pas trop insister pour que le Gryffondor dise la vérité : il valait mieux que personne ne parle, c’est ce qui leur permettrait de s’en sortir. Lui permettrait de s’en sortir. Il fallait que tout reste dissimulé et que Sasha n’aille pas mettre de coup de pied dans la fourmilière...

- Il protège quelqu’un, tu sais. Ses prunelles pâles s’étaient plantées dans celles de Sasha. Il serait prêt à plonger pour cette personne.

Il voulait faire douter sa camarade, la faire suffisamment vaciller pour qu’elle recule.

- Ça doit être quelqu’un de qui il est très proche.

Sasha leva les yeux au ciel et soupira bruyamment quand Clayton commença par lui répondre un "je ne sais pas !" qu'elle avait l'impression d'avoir déjà entendu des dizaines de fois. Il lui avoua finalement avoir envoyé la vidéo à Gowan et elle lui jeta un regard blasé, assez peu intéressée par ces informations qu'elle avait découvertes par elle-même quelques instants plus tôt. Elle se glissa au bas de la table sur laquelle elle s'était installée et se rapprocha un peu de son camarade, toujours au sol. Elle baissa les yeux sur lui, les sourcils froncés, quand il se lança dans des explications qui lui semblaient un peu tirées par les cheveux.

Selon cette version, Gowan avait demandé la vidéo à Clayton pour l'envoyer à une unique personne, dans le but de "prouver" quelque chose, et c'était cette personne qui l'avait ensuite partagée avec plusieurs élèves dans le train. Gowan refusait de communiquer l'identité de la personne en question, et Clayton s'était visiblement satisfait de cette explication, ce qui n'était absolument pas le cas de Sasha. Elle voyait plusieurs raisons possibles à tous ces secrets. Soit Clayton était parfaitement stupide -ce qui était une éventualité à ne pas négliger- et s'était laissé convaincre de l'innocence de Gowan sans creuser davantage, soit ll connaissait l'identité de la personne qui avait partagé la vidéo et refusait de la dénoncer. Sasha aimait mieux cette deuxième théorie.

"Tu as quand même l'air très bien informé, pour quelqu'un qui ne sait rien, fit-elle remarquer, en le toisant de toute sa hauteur. Il avait l'air de connaitre l'emploi du temps de Gowan  -à la minute près, et ignorait pourtant l'identité de la personne à qui le Gryffondor voulait envoyer la vidéo. Tu lui aurais envoyé la vidéo sans savoir avec qui il voulait la partager ?"

Si elle n'arrivait pas à obtenir un nom de sa part, elle lui arracherait au moins l'aveu de sa stupidité et de sa négligence. Voilà qui mettrait à mal sa défense selon laquelle il n'avait ja-mais envoyé la vidéo à qui que ce soit.

Elle songeait à l'éventualité de plonger de nouveau dans la mémoire de son camarade à la recherche d'informations complémentaires et commençait à se concentrer à cette fin quand il reprit la parole pour affirmer que Gowan protégeait quelqu'un. Elle reporta son attention sur lui, soutint son regard clair braqué sur elle. Elle avait compris où il allait et le défiait de faire un pas de plus dans cette direction. Qu'il ose, et elle le ferait payer. Il osa, et le coup de pied partit tout seul. La chaussure de Sasha s'enfonça brusquement sous les cotes de Clayton et elle dut lutter contre une terrible envie de recommencer, encore et encore, de le frapper jusqu'à le réduire en miettes. Au lieu de ça elle s'éloigna de quelques pas, comme pour résister plus facilement à cette tentation.

"Ce n'est pas lui", répondit-elle sèchement.

Elle aurait aimé en être aussi persuadée de ce qu'elle avançait qu'elle s'en donnait l'air, mais Clayton avait planté la graine du doute dans son esprit, et elle ne pouvait plus l'empêcher de germer. Andrew n'aurait jamais fait ça, se répétait-elle, inlassablement. Il ne lui aurait pas fait ça. Elle s'accrochait à cette idée avec force, incapable de la remettre en question.

"Admettons que Gowan protège...quelqu'un -et par quelqu'un elle voulait dire quelqu'un d'autre qu'Andrew- Pourquoi est-ce que toi, tu protèges Gowan ?"

Il savait depuis le début que Gowan avait envoyé la vidéo à quelqu'un, il n'aurait eu qu'à le désigner pour que la P.M. se désintéresse de lui et oriente son enquête vers le Gryffondor. Elle n'arrivait toujours pas à se décider, Clayton était-il plus loyal qu'un Poufsouffle, ou le plus menteur des Serpentards ?

- Mais parce que j’ai tout de suite pensé que c’était lui ! s’exclama-t-il lorsque Sasha lui reprocha le fait d’être bien informé. Quand la vidéo a commencé à apparaître partout dans le train, quand on a commencé à me l’envoyer, j’étais avec Gowan et les autres et évidemment que j’ai pensé que c’était lui !

Il lui semblait être le coupable le plus évident. Sauf que le Gryffondor s’était défendu avec ferveur et il le croyait. Pourquoi est-ce qu’il aurait fait ça ? Il n’y avait aucun intérêt et, en bon Serpentard, Clayton savait qu’on n’agissait jamais sans avoir d’intérêt derrière.

- Tu l’as bien vu ! se défendit-il lorsque Sasha lui demanda s’il avait vraiment envoyé la vidéo sans savoir à qui son camarade voulait la partager. Il me l’a demandée, je lui ai donnée, c’est tout.

Elle s’était servi dans ses souvenirs, autant que cela serve à ce qu’elle le croit... Il ne mentait pas pour le coup. Il n’avait pas demandé à Gowan ce qu’il voulait en faire. Il lui faisait confiance. C’était son ami. Il ne pensait pas qu’il les mettrait dans une telle bouse de dragon... Sasha semblait déterminée à obtenir le nom du coupable de la diffusion, comme si cela allait changer quelque chose. : tout le monde avait déjà vu la vidéo. Clayton n’avait pas envie de subir sa vengeance alors qu’il n’était pas le coupable, ce n’était pas lui qui avait dévoilé ces images à tout Poudlard. Il l’avait fait uniquement auprès de personnes de confiance.

Son seul espoir de s’en sortir était que sa camarade abandonne ses rêves de vengeance et de trouver le coupable. Ou bien qu’elle renonce à le poursuivre, si elle savait qui c’était... Clayton n’avait que peu de scrupules à balancer Andrew sous les roues du magicobus si cela pouvait l’aider à s’en sortir. Son ami l’avait complètement laissé tomber depuis que cette histoire avait commencé. S’il avait fait preuve d’un peu plus de loyauté envers lui, peut-être qu’il aurait pu chercher à le protéger... Tant pis pour lui.

Sasha perçut très bien le sous-entendu qu’il venait de faire mais n’eut pas la réaction escomptée. Au lieu de douter, d’être troublée, de reculer... Elle fit un pas en avant et lui décrocha un coup de pied entre les côtes. Un glapissement lui échappa, suivi d’une douloureuse inspiration. Elle l’avait frappé ! Furieux, il gigota comme un poisson hors de l’eau, complètement immobilisé par ses liens. Sa camarade réfuta complètement la culpabilité d’Andrew et Clayton comprit à son ton que son plan n’allait pas se dérouler si facilement. Il la fixa avec colère un long instant, peu disposé à lui répondre maintenant qu’elle l’avait frappé, avant d’ouvrir de nouveau la bouche, de peur qu’elle lui fasse encore mal.

- Parce que si je dénonce Gowan, je devrais expliquer comment il a eu une copie de la vidéo. Or, rappelle-toi, cracha-t-il sèchement, je ne l’ai montrée à personne. C’était la version qu’il avait racontée à la police. Si Gowan tombe, je tombe. Et je n’ai pas l’intention de tomber alors que ce n’est pas moi qui l’ait montrée à toute l’école. Et ce n’est pas lui non plus, d’ailleurs.

Vrillant ses yeux dans ceux de Sasha, il reprit :

- Je pense que tu ne te poses pas les bonnes questions. La personne qui a envoyé la vidéo à tout le monde avait intérêt à le faire, elle y gagnait quelque chose. Laissant planer un silence, il ajouta : Il fallait quelqu’un qui avait la bonne motivation.

Sasha commençait à envisager la possibilité que Clayton ne soit pas en train de lui mentir. Peut-être ne connaissait-il pas l'identité de la personne à qui Gowan avait partagé la vidéo. Dans ce cas, elle devrait se contenter d'orienter l'enquête vers le Gryffondor, qui détenait certainement plus d'informations. Ce qu'elle ne comprenait pas, c'était pourquoi le Serpentard protégeait ainsi son camarade. La réponse était pourtant simple : Clayton avait toujours affirmé n'avoir jamais partagé la vidéo, et ne pouvait pas avouer l'avoir envoyer à Gowan sans admettre qu'il avait menti. Logique.

Elle laissa échapper un éclat de rire sec au "s'il tombe, je tombe" digne d'un roman de Mildred Magpie et secoua doucement la tête comme pour chasser une idée ridicule.

"Tu n'as pas l'intention de tomber ? répéta-t-elle, cynique. C'est dommage, vraiment, parce que moi j'ai l'intention que tu tombes, idéalement très mal et de très haut."

Clayton devait livrer Gowan à la Police Magique. C'était le seul moyen de faire avancer l'enquête dans le bon sens. Elle commençait à douter sérieusement de la capacité des enquêteurs -et de leur volonté- de remonter jusqu'à la personne qui avait diffusé la vidéo dans le train, mais ils auraient au moins le nom d'un complice et Sasha avait hâte de voir les premières sanctions tomber.

Pour cela, il fallait que Clayton avoue avoir menti et dénonce Gowan, ce qu'il ne semblait malheureusement pas disposé à faire. Elle aurait volontiers été voir la P.M elle-même mais elle ne voyait pas comment leur expliquer ce qu'elle avait découvert, sans leur dire comment. Elle aurait pu prétendre avoir entendu une conversation à ce sujet dans les couloirs, mais on ne lui accorderait sûrement aucun crédit. On écouterait davantage un aveu de Clayton qu'une dénonciation de sa part.

"Mais à quoi tu joues, exactement ? s'agaça-t-elle quand Clayton recommença à faire des insinuations sur la personne qui avait partagé la vidéo. Je croyais que tu ne savais pas qui avait diffusé la vidéo, alors qu'est-ce que tu essaies de me dire ?"

Il ne pouvait pas à la fois prétendre qu'il ne savait rien, et essayer de faire porter le choixpeau à Andrew, il fallait choisir une stratégie de défense et s'y tenir. Peu importait, de toute façon, elle n'avait pas l'intention de l'écouter.

"Tu vas aller voir la police, et tu vas dénoncer Gowan, expliqua-t-elle, en s'attendant déjà à des protestations de la part de sa camarade. Et tu vas le faire parce que sinon, je dévoilerai tous tes petits secrets, à toute l'école."

Il se demandait certainement à quels secrets elle faisait référence, puisqu'elle ne détenait aucune information privée le concernant à l'exception de cette histoire avec Gowan. Il n'allait pas tarder à comprendre.

Sasha pointa sa baguette droit sur Clayton, toujours allongé au sol, et prononça pour la troisième fois de la journée :

"Legilimens."

Cette fois-ci, elle ne chercha pas les souvenirs en lien avec la vidéo, ni aucun souvenir récent. Elle voulait découvrir ses secrets les mieux gardés, ses plus grosses hontes, ses plus grands mensonges. Elle étendit son esprit dans toutes les directions à la fois, sans viser quelque chose de précis. Dès qu'elle sentait une résistance, elle forçait le passage. Elle voulait voir ce que Clayton cherchait à tout prix à préserver et se dirigeait donc naturellement vers les recoins de son esprit qui semblaient les moins accessibles et les mieux protégés. Ses défenses ne tiendraient pas longtemps.