Trouble is a friend [Sasha - Clayton]

Clayton eut l’impression de se prendre un seau d’eau glacée sur la tête lorsque Sasha déclara froidement qu’elle avait l’intention de le faire tomber et de très haut. Et lui qui espérait s’en sortir... Elle n’avait pas de preuve, se répétait-il en boucle, elle n’avait aucune preuve. Elle ne pouvait pas aller à la Police Magique en disant qu’elle avait forcé son esprit. Sinon il porterait plainte aussi. Elle avait commis une erreur en utilisant des sortilèges interdits, il n’était plus le seul en faute, elle n’était pas qu’une simple victime. Contrarié, il la fusilla du regard quand elle s’agaça en lui demandant à quoi il jouait. Il en avait assez d’être par terre, à sa merci, incapable de l’emmener là où il voulait l’emmener, incapable de reprendre l’ascendant sur la situation.

- J’essaye de t’aider, répliqua-t-il sèchement. C’est pas moi, c’est pas Gowan, faut que tu trouves quelqu’un d’autre à aller emmerder, tu perds ton temps là.

Sa camarade ne semblait malheureusement pas convaincue par ce qu’il était en train de lui expliquer car elle lança qu’il allait rendre visite à la Police Magique pour dénoncer Gowan. Il eut une exclamation outrée. Elle était stupide ou elle le faisait exprès ? C’était hors de question. Il ne pouvait pas avouer à la police qu’il avait menti, il ne pouvait pas revenir sur sa version et brusquement se souvenir que, oh, il avait montré la vidéo au tiers des garçons de sixième année dès cet été. Qu’il l’avait envoyée à James, le lendemain de la soirée de fin d’année alors qu’ils revenaient à Londres ou à Gowan, à la fin de l’été.

- Non ! protesta-t-il donc, secouant la tête frénétiquement.

Insensible à ses récriminations, Sasha, impitoyable, entreprit de le menacer. Elle allait révéler tous ses petits secrets, à toute l’école... Il fronça les sourcils. Elle connaissait déjà son secret le plus honteux, qu’il avait menti à la police, il ne voyait pas à quoi elle faisait allusion... Avant qu’il n’ait le temps de comprendre, elle pointa sa baguette magique sur lui et il se sentit basculer de nouveau en arrière. Un nuage d’images et de sons se précipitèrent dans son cerveau, vrillant son esprit, écorchant ses oreilles. Cette fois-ci, elle ne s’arrêta pas sur les souvenirs de Poudlard, sur les déjeuners dans la Grande Salle, sur les cours de métamorphose, sur les goûters dans le parc avec ses amis. Non, elle s’aventura plus loin, loin des frontières de l’Ecosse, dans des instants qu’il pensait bien enfouis.

L’odeur d’humidité le prit à la gorge, envahissant ses poumons. C’était toujours la première chose qui lui revenait en tête lorsqu'il pensait à Azkaban et ses couloirs sombres et étroits. Le vent soufflait fort à l’extérieur, il s’engouffrait en hurlant dans les coursives, dans les cellules gelées. Des gouttes d’eau dévalaient les murs de pierre. Il se souvenait très bien quelle était la pensée qui avait traversé son esprit la première fois qu’il les avait vues. C’était comme si le mur pleurait. Il releva la tête vers Sasha mais ce ne fut pas sur elle que ses yeux s’arrêtèrent : sa mère se tenait dernière elle. Ses cheveux blonds retombaient sur ses épaules, elle était cernée. Et il était là. Blotti contre ses jambes, sa petite main dans la sienne. Il n’eut aucune difficulté à situer ce souvenir : il avait cinq ans, c’était la première fois qu’il venait à Azkaban. Il aurait pu tenter de s’enfuir de là, il aurait dû même. Mais il était absorbé dans la contemplation du visage de sa mère. Elle était plus jeune et pourtant, elle paraissait à cet instant infiniment plus fatiguée. La seule lumière provenait des torches au mur,  alors que le gardien déverrouillait la lourde porte. Elle racla sur le sol alors qu’il l’ouvrait, pointant sa baguette magique à l’intérieur.

- Il est menotté, lança l’homme d’une voix rauque. Mais en cas de problème, je suis juste à côté.

Sa mère hocha la tête, ses mains se crispant sur ses épaules à lui, sur le garçon qu’il avait été. Elle fixait l’intérieur de la cellule, comme si elle avait vu un fantôme. Il fit un pas vers elle, comme pour qu’elle le remarque, pour qu’elle le regarde... Ce qu’elle ne fit pas. Elle souffla doucement et attrapa sa petite main entre ses doigts.

- Viens Clayton.

Quand sa mère regardait les albums photos, elle disait toujours avec tendresse qu’il avait toujours été petit pour son âge. Il le voyait, maintenant. Il était un peu chétif, son pull à rayures bleues était un peu grand. Sa mère avait remonté les manches deux fois pour qu’elles ne lui tombent plus sur les mains. Il était aussi blond qu’elle, les cheveux un peu ébouriffés par le vent qu’ils avaient traversé pour venir jusqu’ici. Et il fit non de la tête, refusant d’avancer un peu plus dans la cellule.

- Si, viens, murmura sa mère, adoucissant sa voix. Viens, n’aie pas peur, je suis avec toi.

Elle le tira par la main et ses baskets raclèrent sur le sol alors qu’il faisait un pas malgré lui. Incapable de s’extraire de ce souvenir, le Clayton d’aujourd’hui fit le même mouvement. Et ses yeux se posèrent sur son père. Sa silhouette dégarnie était assise à même le sol, recroquevillée contre la pierre sombre. Son regard intense s’était posé sur ses visiteurs. Un sourire était apparu sur son visage, un sourire qui n’avait rien de chaleureux. Carnassier. C’était comme cela que Clayton le décrirait aujourd’hui. Le petit garçon qu’il avait été en avait juste été terrifié. Il s’était un peu plus blotti contre les jambes de sa mère, se dissimulant dans les pans de sa robe.

- Tu vois que tu as trouvé le chemin, Caroline...
- Tu ne m’as pas vraiment laissé le choix, répliqua-t-elle. Sa voix tremblait un peu mais elle avait redressé le menton. Mais c’est la première et la dernière fois.
- Ça, c’est ce qu’on verra.

Sa voix rauque avait claqué dans la cellule. Ses parents s’affrontèrent du regard quelques secondes, avant que son père ne baisse les yeux sur lui, toujours dissimulé dans la robe verte de sa mère.

- Il ne parle pas ?
- Il a peur.
- Quoi ? aboya Fitz. De son propre père ?
- Il ne te connaît pas. Et tu n’es pas son père. Tu es son géniteur.

Un éclair passa dans les yeux de Fitz, qui tira brusquement sur ses menottes, dévoilant la chair rouge de son poignet. Caroline recula d’un pas, entraînant Clayton avec elle.

- Tu voulais nous voir, nous voilà.
- J’ai des droits tu sais, gronda Fitz. Ce n’est pas parce que je suis en tôle que je n’ai plus de droits. J’ai des droits sur lui.
- Et qu’est-ce que tu comptes faire ? Demander au juge la garde alternée entre chez moi et Azkaban ? Tu te rends compte de ce que tu dis ?

Son père secoua la tête, un sourire mauvais sur les lèvres.

- Je peux te forcer à venir ici. À l’emmener ici. À l’emmener toutes les semaines si je veux.
- Parce que tu crois qu’un juge accepterait ça ? Tu crois qu’il te prendrait au sérieux ? Tu n’as jamais été impliqué dans sa vie, tu n’as jamais été là, même avant... même avant tout ça ! Tu ne veux pas être père, Fitz !

Sans se départir de son sourire malsain, il haussa les épaules.

- Tu ne sais pas. Peut-être que j’ai besoin d’un nouveau départ.
- Tu as pris perpétuité, soupira sa mère.
- Je peux alerter la presse. Je peux vendre l’histoire. Je peux expliquer comment toi et ta famille, vous privez un père de son fils. Tu crois que je ne suis pas assez puni Caroline ? Tu crois que je ne souffre pas assez ici ? Tu dois en plus me priver de mon fils ? De mon unique enfant ? Tu crois que tu peux décider de ça toute seule ?! Tu crois que tu peux juste t’en sortir comme ça ? Tu crois que tu peux te barrer et vivre ta petite vie tranquille dans ton coin pendant que je crève ici ?!

Il hurlait désormais. Clayton se vit se serrer un peu plus contre les jambes de sa mère, les mains sur les oreilles. Caroline recula d’un pas, l’entraînant avec lui.

- Mais parce que tu crois que quelqu’un en aura quelque chose à foutre ?! Tu crois que quelqu’un sera ému par les petits états d’âme d’un tueur d’enfants ?!
- Ça suffit, murmura-t-il.

Son père s’était relevé d’un saut, tirant sur ses chaînes comme pour les arracher. Sa mère l’attrapa fermement et bondit en dehors de la cellule alors que Fitz vociférait.

- Monsieur ! s’exclama-t-elle en cherchant le gardien du regard. Monsieur !  

Les pas du gardien retentirent sur le sol de pierre alors que les hurlements de son père se déchaînaient toujours.

- Ça suffit ! s’exclama Clayton et il ne sut pas si c’était à Sasha qu’il parlait ou à Fitz.

Ils furent arrachés à Azkaban, son humidité et les cris de son père, qui tirait frénétiquement sur les chaînes qui le retenaient au mur. Perturbé par cette scène qu’il venait de revoir, alors qu’il la pensait enfouie profondément dans un coin de son esprit, il ne put pas contrôler l’enchaînement de son esprit. Il voulait juste que ça s’arrête. Stop. Stop. Stop. Stop. Stop.

- Stop, stop, stop, stop !

Les rayons du soleil traversaient les vitraux de la classe de sortilèges, qui retentissait d’un joyeux bazar. Les tables avaient été repoussées et empilées dans les coins pour leur laisser la place de pratiquer leur sortilège Confringo, le sortilège d’explosion. Leur enseignante leur avait laissé plusieurs types d’objets à faire exploser et, autant dire que la leçon avait du succès chez les cinquième année. Des oreillers, qui répandaient des plumes partout, des vases (à faire exploser dans l’espace protégé délimité par la prof pour éviter les éclats), des balles de tennis, des vieux manuels dont les pages s’envolaient dans des bruissements de papier. Il y avait beaucoup de rires, de petits cris quand une explosion était plus bruyante que la précédente et il y avait Violette, qui venait de le forcer à abaisser sa baguette magique face à la balle de tennis.

- Là, c’est Cindy que tu vas faire exploser !

La petite blonde se retourna brusquement, les yeux écarquillés. Précautionneusement, elle se décala de trois pas pour venir se mettre derrière Sasha, qui s’entraînait sur des vases. Avec autorité, Violette referma ses doigts autour de son poignet pour corriger la position de sa main.

- Tu pointes et tu fais un quart de tour, en prononçant la formule bien distinctement ! Un quart de tour, d’accord ? Il faut de la souplesse !

Le souvenir était complètement anodin, constata le Clayton d’aujourd’hui avec un peu de soulagement. Il pouvait souffler... Il avait encore le coeur battant d’avoir fait face à son père. Il recula de quelques pas et se laissa tomber sur une chaise, plongeant la tête dans ses mains. La voix moqueuse de Gowan, qui était en train de lancer des Confringo sur un manuel, retentit.

- Bah ouais Clayton, montre à Violette comme tu es biiiiien souple du poignet droit.
- McGregor ! Moins cinq points pour Gryffondor ! Un peu de tenue !

Des rires retentirent dans la classe malgré l’intervention professorale et Violette le lâcha, comme si elle avait été brûlée. Ses joues étaient aussi rouges que les pulls des Gryffondor. Il se rappelait très bien qu’il s’était senti humilié à ce moment-là, qu’il avait eu envie d’insulter Gowan et de tous les faire taire. Et pourtant, à cet instant précis, il aurait tout fait pour rester dans ce souvenir là.
 

Ils se trouvaient dans un endroit que peu d'adolescents de seize ans auraient identifié, mais que Sasha reconnut immédiatement. Il faisait sombre, et froid, de l'eau s'infiltrait entre les pierres épaisses et coulait le long des murs. Le silence n'était troublé que par les hurlements du vent et les gémissements des prisonniers. Azkaban. Pas un endroit pour des enfants et pourtant le Clayton qu'elle avait sous les yeux était encore plus jeune qu'elle ne l'était quand elle avait visité la prison des sorciers pour la première fois. Il ne devait pas avoir plus de quatre ou cinq ans, et se cachait derrière les jambes de sa mère.

Sasha avait rencontré Mme Payne quelques semaines plus tôt, dans le bureau du Professeur Virtanen. Elle se souvenait d'une femme forte, qui n'avait pas hésité à disputer son fils de façon assez virulente. Celle du souvenir était plus jeune mais paraissait plus vieille, et portait sur elle les signes d'une trop grande fatigue. Sasha se demandait ce qui avait pu la pousser à emmener son jeune fils dans cet endroit, mais n'eut pas à attendre longtemps pour obtenir une réponse.

Un gardien ouvrit la porte d'une cellule, et Mme Payne invita Clayton à s'approcher. Si le garçon hésita, ce ne fut pas le cas de Sasha, qui le devança pour jeter un oeil à l'intérieur. Un homme se tenait recroquevillé à même le sol. Son regard perçant se détachait au milieu de son visage émacié qui trahissait une rapide perte de poids. Il aurait eut grand besoin d'un barbier, et son allure de fou se trouva complété par le sourire carnassier qu'il adressa à ses visiteurs. Il suffit de quelques échanges tendus pour que Sasha comprenne qui se trouvait dans cette cellule. C'était le père de Clayton. Son géniteur, du moins, comme venait de le corriger sa mère.

Le personnage était très peu sympathique. Son apparence n'était pas trompeuse et il était aussi détestable qu'il faisait peur à voir. Sasha observa les réactions apeurées du jeune Clayton en s'interdisant la moindre empathie. Elle voyait comme cela aurait pu être facile : le pauvre, son père était en prison, il avait grandi sans figure paternelle... C'était une pente glissante, mais elle ne tomberait pas dans ce piège, elle ne pardonnerait pas Clayton sous prétexte qu'il avait eu une enfance difficile. Ça le n'excusait pas. Il était un cognard et il restait un cognard, que son père soit en prison ou pas.

L'adolescente reporta son attention sur la dispute entre Mme Payne et son ex, qui prenait une tournure plus violente. La mère de famille ne se laissa pas impressionner par les menaces du prisonnier et Sasha retrouva un peu de la verve dont elle avait fait preuve lors de leur première rencontre. Le père frustré s'était mis à hurler et à tirer sur ses chaines comme un fou, ce qu'il était certainement. Sasha sortit de la cellule à la suite de Clayton et de sa mère, qu'elle traversa comme si elle avait été faite de fumée. Un gardien arrivait déjà pour refermer la porte mais l'homme continuait de hurler de toutes ses forces. Ses cris résonnaient contre les murs et emplissaient tout l'espace, rendant difficile de s'entendre penser. Il était impossible de s'y soustraire et pourtant, d'un seul coup, ils s'arrêtèrent.

Ils avaient changé de souvenir. Absorbée par la scène qui se déroulait sous ses yeux, elle avait baissé sa vigilance et Clayton avait profité de la première occasion pour quitter ce moment désagréable de son passé. Ils n'étaient plus à Azkaban mais en salle de Sortilèges, l'année dernière, en plein entrainement au Confringo. Elle balaya la scène du regard et se vit faire exploser un vase de porcelaine en mille morceaux. Elle se tenait de dos mais elle se souvenait bien avoir levé les yeux au ciel en entendant la remarque de Gowan. Elle fit la même chose cette fois-ci et, constatant que ce souvenir ne lui apporterait rien d'intéressant, mit fin à son intrusion dans l'esprit de Clayton.

Ils retrouvèrent le silence de la salle dans laquelle ils étaient enfermés. Clayton était toujours ligoté au sol. Sasha hésita un instant à la détacher avant de se raviser. Il n'avait rien fait pour mériter cet élan de compassion. Il devait être un peu secoué par le premier souvenir qu'il avait visionné, et certainement embarrassé, mais il l'avait un peu cherché.

"Qu'est-ce qu'il a fait, ton père ?" demanda-t-elle de but en blanc.

Elle se souvenait des mots "tueur d'enfants" prononcés par sa mère, et était curieuse d'avoir un peu plus d'informations.

"Je vais finir par le savoir d'une façon ou d'une autre", ajouta-t-elle pour l'encourager à parler.

Si elle ne l'apprenait pas de la bouche de Clayton, elle n'aurait aucun scrupule à s'introduire de nouveau dans son esprit pour aller chercher l'information elle-même. Elle avait la certitude de tenir une information scandaleuse, et elle tenait à en connaitre tous les détails.

Lorsque Clayton rouvrit ses paupières, ils étaient de nouveau dans la salle de classe. Il avait l’impression de sentir le sang pulser sous ses tempes alors qu’une migraine était en train de s’installer sous son crâne. Les hurlements de son père résonnaient encore dans son esprit, l’expression de son visage et ses yeux exorbités semblaient gravés au fer rouge sur ses pupilles. Il n’avait pas repensé à ces souvenirs depuis des années. Il évitait d’y penser. C’était assez facile : on ne parlait jamais de Fitz à la maison ou dans la famille. Le sujet était marqué du sceau du secret, on en avait honte. Clayton ne pouvait pas dire que son père lui manquait, il ne l’avait jamais connu et n’avait jamais voulu le connaître. Sa mère disait que c’était mieux comme cela et il le pensait aussi. Il était encore à Azkaban. Il n’était pas mort, pas échappé avec les autres prisonniers d’il y a quelques années. Il était encore dans cette cellule humide, loin de Poudlard, loin de la maison. C’était facile de ne pas y penser et de prétendre qu’il n’existait pas. Ils y arrivaient très bien avec sa mère.  

Avant que Sasha ne ravive son existence, il n’avait pas songé à lui depuis juillet. Lorsqu’il avait reçu ses résultats de BUSES, il s’était demandé si Fitz avait été un bon étudiant à Poudlard. S’il avait eu de bons résultats à ses examens. Sa mère n’était pas très bonne élève à son époque. Elle avait fréquenté les rangs de Gryffondor et en avait tiré plus d’amis que de BUSES ou d’ASPIC. Lui en avait eu sept, l’été dernier. L’espace d’un instant, il s’était demandé si cela venait du côté paternel de la famille. Avant de chasser cette pensée et de se dire qu’il y avait plein de gens qui avaient très bien réussi chez les Payne aussi.

Il resta silencieux quelques secondes à la question de sa camarade. Il n’était même pas surpris qu’elle cherche à en savoir plus. Après tout, elle cherchait des secrets honteux, des choses sombres, pour l’humilier autant qu’elle avait été humiliée par la diffusion de cette vidéo. Elle ajouta qu’elle obtiendrait la réponse d’une manière ou d’une autre et il referma les paupières quelques secondes. En parler était la dernière chose qu’il souhaitait faire... S’il s’était écouté, il aurait conservé le silence. Ou mieux : il aurait dit à Sasha d’aller bien se faire voir, avec un chapelet d’insultes plus long que son bras. Mais il n’en n’avait pas ce luxe. Elle était en position de force. Soit il parlait, soit elle irait chercher le souvenir de force. Elle était douée à ce jeu-là, elle finissait toujours par arriver au bon endroit, même si elle empruntait des chemins détournés. Il n’arriverait pas à la contrer. Parler était peut-être le seul moyen pour lui de rester à peu près maître de l’information.

Il finit par rouvrir les paupières, déglutissant bruyamment.

- Est-ce que je peux me rassoir s’il te plaît ?

Il en avait assez d’être par terre, allongé sur le sol froid. Sa nuque lui faisait mal et tout cela était déjà assez humiliant. Lorsqu’elle finit par accéder à sa demande, il prit quelques secondes pour se reprendre. Il pencha la tête en arrière et sur les côtés pour faire craquer son cou. Elle le menaçait toujours de sa baguette magique et la sienne était loin : il ne pouvait pas s’en sortir pour le moment. Il eut une pensée pour James qui l’attendait à la Salle Commune. S’il seulement il pouvait revenir sur ses pas et venir le trouver... Il fixa Sasha de ses yeux clairs avant de finalement ouvrir la bouche.

- C’était un rafleur. Durant la seconde guerre. Il faisait partie d’un groupe de rafleurs assez actifs. Ils ont commis des exactions dans tout le Royaume-Uni. Ils ont chassé des nés-moldus pour les livrer aux Mangemorts. Meurtres, kidnappings, torture, agressions, pillages... La liste de leurs crimes était longue. Il le savait car il avait fait des recherches après être entré à Poudlard, il avait lu les compte-rendus des journaux de l’époque du procès. Le plus gros truc c’est que... Il soupira, secoua la tête, balbutia. La direction de Poudlard était tombée aux mains des Mangemorts durant l’été 97 et donc la liste des enfants nés-moldus aussi. Alors il les ont convoqués, le 1er septembre. Et les gamins se sont installés dans le train, comme à chaque rentrée. Sauf que cette fois, il y avait un compartiment spécial pour les premières années nés-moldus, en bout de queue. Soi-disant pour leur expliquer des choses sur le monde magique. Le Poudlard Express est parti. Le compartiment est resté à quai. Avec les rafleurs.

Il avait baissé la tête, fixant un éclat dans le sol de pierre alors que sa voix baissait.

- Je ne te fais pas de dessin sur ce qui est arrivé à ces pauvres gosses. Après la guerre, on a bien évidemment cherché les coupables. Il était dans le lot. Il n’est pas tombé pour assassinat, officiellement. Il y a eu des témoignages pour dire qu’il avait « juste », il avait craché le mot avec dégoût, aidé à enterrer les corps. Il a été condamné pour complicité d’assassinat, recel de cadavres, torture dans une autre histoire et d’autres trucs.

Il était fortement soupçonné d’avoir tué un policier magique en 1996, d’avoir vendu plusieurs nés-moldus à des Mangemorts, d’avoir participé au saccage de maisons de nés-moldus en 1997, d’avoir agressé plusieurs sorciers pendant la guerre mais sans que des preuves directes ne puissent être apportées. De toute manière, il avait pris perpétuité avec les crimes du Poudlard Express. Dans un autre temps, il aurait subi le Baiser du Détraqueur.

- Je ne l’ai jamais connu, finit-il par dire, sans relever la tête. Ma mère l’a quitté en apprenant qu’elle était enceinte de moi. Je ne l’ai vu que deux fois dans ma vie.

Il haussa les épaules.

- Voilà.

Sasha hésita franchement à accéder à la requête de Clayton quand il lui demanda s'il pouvait se rassoir. Elle prenait à certain plaisir à le voir dans cette position inconfortable et l'idée qu'il commence à en souffrir était très satisfaisante. Néanmoins, elle avait très envie d'entendre l'histoire de son paternel enfermé à Azkaban et il lui apparut que son camarade serait peut-être plus enclin à se lancer dans ce récit s'il n'était plus ligoté à même le sol.

D'un mouvement de poignet accompagné d'un sortilège informulé, elle fit disparaitre les liens qui retenaient ses poignets et ses bras, ce qui lui permit de se redresser. Elle laissa ses chevilles attachées et garda sa baguette pointée sur lui, au cas où il lui prendrait l'envie de partir en courant. Elle soutint son regard clair en espérant qu'il parlerait. Elle n'en montrait rien mais les intrusions mentales répétées auxquelles elle s'était livrée ces dernières minutes commençaient à la fatiguer. Elle sentait arriver une migraine et aurait volontiers fait une pause. Heureusement pour elle, Clayton semblait vouloir s'éviter un énième voyage dans sa mémoire, et se décida à lui répondre.

Son père était un raffleur. C'était, de l'avis de Sasha, encore pire que d'être un mangemort. Là où les serviteurs de Voldemort avaient agi par idéologie -une très mauvaise idéologie, certes- les raffleurs n'étaient pas réputé pour leur convictions anti-moldues. La plupart avaient répondu à l'appat du gain, avait agi par pure violence, parce qu'ils aimaient s'en prendre aux plus faibles et toucher la récompense derrière. En plus d'être des monstres ils étaient méprisables, et le père de Clayton ne semblait pas faire exception.

Sasha fronça les sourcils quand son camarade évoqué les nés-moldus de la promotion 1997. Elle croyait deviner ce qui allait suivre, et à la façon dont il baissa la voix elle sut qu'elle avait raison. Ce n'était pas dans les livres d'Histoire, peut-être parce qu'il était encore trop tôt, peut-être parce qu'on avait trop honte, mais elle avait lu la presse clandestine de cette époque et avait croisé quelques articles qui dénonçait le crime que Clayton lui racontait.

Ils avaient assassiné tout un wagon d'élèves nés-moldus. Une promotion entière, privée de tous les élèves d'origine moldue. Sasha n'était pas née-moldue mais avait été élevée comme telle pendant la plus grande partie de son enfance, et elle ne se rappelait que trop bien l'excitation du premier voyage à Poudlard. Elle imaginait sans mal ces jeunes enfants, avec des étoiles pleins les yeux et des questions plein la tête. Non seulement ils n'étaient jamais arrivés jusqu'à l'école de magie, mais on ne les avait même pas laissé rentrer chez eux. Leur refuser l'accès à un monde auquel ils appartenaient n'était pas suffisant, il avait fallu les tuer. Des enfants de onze ans. Elle en avait la nausée.

Clayton conclut en affirmant qu'il n'avait jamais connu son père, que sa mère avait quitté en apprenant sa grossesse. C'était une bonne chose, il ne semblait pas être le genre d'homme qui gagnait à être connu. Son père et les crimes qu'il avait commis n'avaient probablement eu qu'un impact très limité sur la vie de Clayton et Sasha n'allait pas s'abaisser à condamner le jeune homme pour les agissements d'un père qu'il n'avait pas connu. Elle savait toutefois que ses camarades n'étaient pas tous aussi intelligents. Il suffisait de voir comment avaient été traités les enfants de Mangemorts après la guerre. Elle trouvait ridicule de tenir des enfants pour responsable des crimes de leur parents, mais elle n'hésiterait pas à se servir de la bêtise de ses pairs pour arriver à ses fins.

"Pas très glorieux", conclut-elle simplement quand Clayton termina son récit.

Elle n'avait pas l'intention de s'appesantir sur à quel point son père était un horrible personnage et comme cela avait dû être difficile de grandir en sachant quel genre de monstre il était. Elle n'était pas là pour jouer au psychologue avec Clayton, elle était là pour faire avancer l'enquête.

"Maintenant tu vas aller voir la PM, commença-t-elle en se glissant en bas de la table où elle s'était assise. Et tu vas leur dire que Gowan t'a demandé de lui envoyer la vidéo, quelques jours avant la rentrée. Sinon, poursuivit-elle, parfaitement calme, sans la moindre menace dans la voix. Je dis à toute l'école que tu es le garçon de la vidéo, et celui qui l'a diffusée illégalement, ce qui n'est pas surprenant puisque le crime semble couler dans tes veines...".

Elle connaissait quelques personnes qui seraient très intéressées par cette histoire -Kaylee et Katie pour ne pas les nommer.

Ce n’était pas la première fois que Clayton racontait cette histoire mais c’était la première fois qu’il attendait le verdict avec autant d’anxiété. La dernière fois qu’il avait parlé de son histoire familiale, c’était à James. Ce dernier avait commencé à poser des questions sur l’absence de son père et il avait finit par parler, un soir tard à la bibliothèque. Il avait été terrifié de faire ce récit, surtout parce que son meilleur ami était lui-même né-moldus, mais ce n’était rien face à ce qu’il ressentait face à Sasha. Cette information était dangereuse pour lui et il craignait ce qu’elle allait en faire. Pourtant, il savait bien qu’il n’avait rien fait de mal, il n’avait pas commis ces crimes : il avait tout juste deux ans lorsque les évènements du Poudlard Express s’étaient déroulés. Mais il savait également que personne à l’école ne s’arrêterait sur ce détail. Il serait étiqueté, au même titre que les enfants de Mangemort pouvaient l’être encore. On avait beau vouloir prétendre que les choses étaient derrière, que la guerre était terminée depuis bientôt quinze ans, que Poudlard était un endroit où tous les élèves étaient égaux mais toutes les bonnes volontés du monde ne changeaient pas la réalité. Il y avait encore les enfants de héros, les enfants de résistants dont les noms prestigieux égrainaient les journaux d’après-guerre... et puis il y avait les autres. Qui baissaient les yeux lorsque les cours d’Histoire de la Magie de la troisième et de la cinquième année mentionnaient leur nom de famille, le nom de leur grand-père, père, cousin. Ceux qui s’effaçaient chaque année pendant les commémorations de la Victoire du deux mai, ceux qui passaient la journée dans leurs Salles Communes de peur de subir des regards. Personne ne leur jetait de maléfices dans les couloirs, ils ne s’asseyaient pas seuls à table, ils riaient dans les couloirs avec leurs amis mais ils subissaient tout de même le fait de s’appeler Lestrange, Nott, Travers, Dolohov. Clayton n’avait pas envie d’être l’un d’eux.

- Pas très glorieux.

Il releva la tête vers Sasha lorsqu’elle prononça ces quelques mots. Elle avait un ton relativement neutre. Il s’attendait à ce qu’elle rajoute quelque chose, pose des questions mais non. Elle se contenta de descendre de la table sur laquelle elle était perchée pour se rapprocher d’un pas de lui. Toujours sur ce ton neutre, elle commença à lui dire qu’il allait raconter à la P.M qu’il avait envoyé la vidéo à Gowan. Sinon, elle raconterait à toute l’école qu’il était sur la vidéo et qu’il l’avait diffusée. Comme son criminel de père. Une terreur sourde l’avait envahi, son coeur battait de toutes ses forces dans sa poitrine.

- Ce n’est pas Gowan qui l’a diffusée, rappela-t-il d’une voix blanche. Et ce n’est pas moi non plus...

Il ne voulait pas plonger pour cette histoire, surtout pas alors que ses dix-sept ans et sa majorité approchaient, en février. Il ne pouvait pas prendre ce risque. Il ne pouvait pas non plus supporter qu’on apprenne qui était son père.

- Laisse-moi... Laisse-moi lui parler, balbutia-t-il. À Gowan. Je peux le forcer à me dire à qui il a envoyé la vidéo. Je sais que je peux obtenir cette information. Et je te le dirais, d’accord ? Mais pas de police. On règle ça comme ça.

Clayton était aussi pâle que le fantôme du baron sanglant et Sasha devinait sa terreur dans son regard, ce dont elle tirait une grande satisfaction. Elle se sentait emplie d'un profond sentiment de justice à l'idée qu'il allait finalement devoir assumer les conséquences de ses actes. Il avait très mal agi et elle avait été la seule à en souffrir pour le moment, il était temps que le vent tourne. Elle ne méritait pas d'être moquée à chaque fois qu'elle traversait un couloir, d'être l'objet de rumeurs salaces et de commentaires déplacés. C'était lui qui devrait être montré du doigt, rejeté et moqué. Et elle ferait en sorte que cela arrive. Qu'il parle à la police ou non, elle avait la ferme intention de divulguer l'identité de son père à toute l'école, ainsi que son implication dans l'histoire de la vidéo.

Il pouvait dire adieu à sa petite vie tranquille, il allait la rejoindre en enfer.

- Peut-être, admit-elle quand son camarade lui rappela que Gowan n'était pas à l'origine de la diffusion de la vidéo, ce dont ils ne pouvaient pas être sûrs.

Sasha croisa les bras et observa Clayton avec attention tandis qu'il affirmait pouvoir soutirer à son ami le nom du véritable coupable. Il se montrait soudainement très coopératif, pour quelqu'un dont la ligne de défense était de ne rien savoir. Elle avait évidement très envie de connaitre l'identité de la personne qui avait diffusé la vidéo dans le Poudlard Express, mais il était hors de question que Clayton en profite pour sauver sa peau. Elle laissa échapper un éclat de rire sec et cassant quand il proposa de régler ça "comme ça", sans impliquer la police.

-Pardon, je n'ai pas dû être assez claire, reprit-elle avec le ton de celle qui n'était absolument pas désolée. Tu vas aller voir la police, et leur balancer un nom. Celui de Gowan, celui du cognard qui a partagé la vidéo, je m'en fiche. Tu vas leur dire tout ce que tu sais, à commencer par le fait que tu as partagé la vidéo avec tes petits copains. Sinon c'est moi qui le ferais. Elle savait que sa parole aurait moins de poids que des aveux directs de Clayton, mais suffirait peut-être à orienter l'enquête vers Gowan. Et je dirais à toute l'école que tu es le gars de la vidéo, le pire coup de ma vie, et le fils d'un Raffleur qui a aidé à massacrer des enfants nés-moldus.

Il n'était absolument pas en position de négocier. Il n'avait rien sur elle, du moins rien qui n'ait pas encore été partagé avec la moitié de l'école. Elle se savait en position de force et comptait en profiter pour le forcer à aller voir la police, en se servant d'une menace qu'elle mettrait de toute façon à exécution. Il était temps qu'il comprenne qu'il était foutu.

Comme pour lui signifier que la conversation était close, elle agita sa baguette pour faire disparaitre le reste des liens qui le maintenaient immobilisé. Elle le laissa se révéler avant de lui tendre sa baguette sans trahir la moindre hésitation -elle se savait meilleur que lui en duel et le mettait au défi de tenter quoi que ce soit.

-Je te laisse jusqu'à la fin de la semaine.

Clayton fixait Sasha avec autant d’anxiété que d’espoir. Elle doucha ces derniers sans le moindre scrupule en répétant qu’il allait parler à la police pour leur donner un nom, peu importe lequel, tout en précisant qu’il avait partagé la vidéo à ses copains. Elle le forçait à aller contredire sa version, sa défense, lui qui avait toujours juré à la police qu’il n’avait montré la vidéo à personne. Mais ce n’était même pas le pire dans ce qu’elle lui disait. S’il ne cédait pas, elle allait révéler à toute l’école qu’il était sur la vidéo et surtout qui était son père. Sa vie ne serait plus jamais la même. Il n’arrivait pas à la faire flancher et il sentait qu’il n’y arriverait pas. Elle n’était pas tombée dans les quelques pièges qu’il lui avait tendu.

Le coeur battant à tout rompre, il l’observa rompre ses liens comme pour lui signifier que la conversation était terminée. C’était fini. Elle ne lui laissait plus le choix. Il se releva, son cerveau tentant par tous les moyens de trouver un moyen de se sortir de cette situation. Elle lui rendit sa baguette magique et il la saisit machinalement, caressant brièvement de lui jeter un sort. Mais quoi ? Un Oubliettes ? Il ne le maitrisait pas assez... S’il la blessait mentalement, avec l’enquête en cours sur lui, il serait le premier suspect. De plus, elle avait été la première à le désarmer la dernière fois et cela pouvait être le cas ici aussi. S’il tentait quoi que ce soit, elle pourrait être tentée de mettre à exécution sa menace de dévoiler son secret.

Alors il n’en fit rien. Il allait devoir manoeuvrer plus finement que cela. Il devait obtenir le nom de la personne qui avait diffusé, c’était cela le plus intéressant pour la police selon lui. Gowan devait parler, il n’avait plus le luxe de garder ses petits secrets. Et ensuite, Sasha devait être calmée. Elle était complètement partie en vrille. Clayton ne voyait qu’une personne pour faire cela, une seule personne qui pourrait tenter d’apaiser un peu la situation.

Andrew ne le ferait pas pour lui. Mais si c’était son meilleur ami qui était sur le point de tomber, il se montrerait sûrement beaucoup plus coopératif...

Croisant une dernière fois le regard froid de Sasha, Clayton finit par déclarer, dans l’espoir de montrer à Sasha qu’il était de son côté (plutôt de force que de gré...) :

- Je vais trouver qui a diffusé la vidéo dans le Poudlard Express.

Et, pressé de se sauver de là, il se précipita en dehors de la pièce. Gowan McGregor devait parler.