Something blue (Andrew & Sasha)

09 septembre 2023 - Quelque part dans le Wessex

Le soleil déclinait lentement sur les collines du Wessex en cette fin de journée d’été. Des dizaines d’invités plus ou moins élégants se pressait devant l’entrée de la salle municipale d’un petit village de la banlieue de Wilton. Tous tentaient de distinguer un plan de table, accroché sur une palette en bois décorée de guirlandes lumineuses. Sasha laissa un groupe d’enfants bruyants passer devant elle, et tendit le cou pour apercevoir son nom sur l’un des petits cartons roses. Elle le trouve à la table 9, la « table des célibataires ». Génial. Elle envisagea un instant de feindre une intoxication alimentaire ou une migraine pour quitter le mariage, mais se réconforta en constatant qu’elle partageait sa table abec Andrew.

Sa coupe de vin pétillant à la main, elle pénétra donc dans la salle en passant sous une arche de ballons blancs et rose, et eut du mal à cacher une grimace de dégoût en découvrant la décoration des lieux. Les tables étaient couvertes de nappes en papier blanche, sur lesquelles les enfants étaient invités à dessiner. Des guirlandes à froufrous rose avaient été accrochés sur tous les dossiers de chaises, des ballons fuchsia flottaient magiquement un peu partout et d’imposants bouquets de fleurs avaient été disposés sur chaque espace disponible et dégageait une odeur entêtante.

Ce n’était pas le genre d’endroits dans lesquels Sasha passait habituellement ses samedi soirs. Elle restait en général chez elle, à rattraper son retard de boulot, ou elle se rendait dans un des clubs privés de Léopoldgrad. Le genre de club ou l’on ne trouvait ni ballon ni bouquets de fleurs, et dont l’accès était exclusif aux seuls membres ayant signé un contrat et tenus au secret. Des endroits où on entrait pas par hasard, réservés aux initiés.

Oubliant les endroits bien plus intéressants où elle aurait pu se trouver à cette heure-ci, Sasha trouva rapidement sa place et s’installa sur sa chaise à froufrous après avoir lissé du plat de la main sa longue robe en soie couleur champagne. Elle consulta rapidement son PearPro pour s’assurer qu’elle n’avait pas reçu de message requérant sa présence immédiate au Ministère et soupira en constatant que rien n’était tombé dans les dix minutes depuis sa dernière vérification.

Elle se força à adresser un sourire à une veille dame affublée d’un chapeau ridicule, qui s’asseyait à sa droite, et guetta l'arrivée d’Andrew, qui était la seule chose qui pouvait rendre ce repas supportable. Cela faisait des mois qu’ils ne s’étaient pas vus, et il avait été tellement accaparé par ses fans qu’elle avait à peine eut le temps de lui adresser quelques mots à la sortie de l’Eglise. Elle se pencha à sa gauche et grimaça en voyant une étiquette rose « Oncle Gerald » posée dans l’assiette. Elle tendit le bras pour attraper celle qui indiquait « Andrew Dubois » et échangea les deux sous le regard désapprobateur de la veille dame au chapeau.

"Par ici !  appela-t-elle en agitant la main en voyant Andrew s’approcher. Bienvenue à la table des célibataires", glissa-t-elle avec un sourire ironique tandis qu’il s’asseyait à côté d’elle.

Contrairement à son meilleur-ami, qui aurait certainement aimé se rendre à ce mariage avec une petite-amie, Sasha vivait très bien son statut de célibataire. Elle avait appris qu’elle n’était pas faite pour la vie de couple. Mais pour être honnête, elle n’était pas mécontente qu’Andrew soit seul ce soir. Depuis qu’ils avaient recommencé à se fréquenter, un ou deux après leur sortie de Poudlard et leur séparation, il leur arrivait de passer une nuit ensemble, quand ils étaient tous les deux célibataires. En souvenir du bon vieux temps. Toujours sans promesse, sans attache, et avec la tendresse du souvenir de leur relation adolescente. Ce mariage est si ennuyant que la perspective d’une fin de soirée en compagnie de sa star internationale de meilleur-ami était la seule chose qui pourrait aider Sasha à endurer les prochaines heures.

"Alors, qu’as-tu pensé de la robe ?" chuchota-t-elle en se penchant vers Andrew quand il s’assit à côté d’elle.

Ils n’avaient pas eu l’occasion d’échanger au sujet de la robe de Cindy depuis la sortie de l’Eglise, son ami ayant été immédiatement accaparé par des fans du Barqua (le Barcelone Quidditch Club).

"J’ai beaucoup aimé les gros noeuds sur les épaules, commenta-t-elle en essayant difficilement de conserver un visage sérieux. Ça rappelait bien ceux de ses cheveux."


Elle était odieuse, de se moquer, amis c’était plus fort qu’elle et elle savait qu’Andrew ne lui en tiendrait pas rigueur.

- Et puis le match contre les Balais de Braga ? L’arbitre était clairement partial, déclarait avec passion un des cousins du marié, au costume vert clair éclatant. Ça s’est vu quand il n’a pas sifflé la pince de Parkin contre Almendarez !
- Ce n’était pas vraiment... commença Andrew avant de s’interrompre. Il avait appris avec l’expérience que cela ne servait à rien de rentrer dans ce genre de débats.
- N’importe quoi, s’emporta un autre cousin des mariés, dans un costume pêche. Almendarez était clairement en dehors de la ligne, ajouta-t-il en cherchant le regard d’Andrew, comme si ce dernier allait complètement valider sa théorie. Non, non, ce que vous auriez dû faire c’est...
- Excusez-moi de vous déranger, est-ce qu’on pourrait avoir une photo ? interrogea une petite voix. Mon fils Gavin est très fan de Quidditch...
- Oui, sans souci, répondit Andrew, presque soulagé. Tout pour s’éloigner des deux commentateurs amateurs, qui semblaient décidés à refaire l’intégralité du match qu’ils avaient joué (et gagné) contre leurs adversaires portugais, il y a deux semaines.

C’était souvent comme cela. Il y avait toujours des supporters pour venir lui expliquer qu’il aurait dû jouer différemment, que telle action n’aurait pas dû être faite ou bien que l’arbitre était partial, le coach nul et que s’ils avaient été sur le terrain, cela ne se serait jamais passé comme cela. Dans quelques cas, il tombait sur des joueurs amateurs ou des fans passionnés et ils avaient des discussions très intéressantes sur le sujet. Dans d’autres cas, il essayait juste de prendre le large rapidement. Le petit Gavin était l’un des neveux de Cindy, apprit Andrew en échangeant quelques mots avec sa mère, après avoir posé pour la photo, et son équipe favorite étaient les Harpies de Holyhead et on ne pouvait que valider un choix si féministe à un si jeune âge.

Bien décidé à se faire discret à partir de maintenant, ses yeux parcoururent les environs dans l’espoir de trouver des visages familiers. Il avait été assez surpris lorsqu’il avait reçu l’invitation de Cindy Hamilton à son mariage, voilà quelques mois. Après tout, même s’ils avaient été plutôt copains à Poudlard, ils s’étaient perdus de vue voilà des années. En soi, il avait trouvé cela plutôt gentil de sa part et cela pouvait être une bonne opportunité de revoir du monde. Il avait répondu qu’il appréciait l’invitation mais ne pouvait pas lui confirmer tout de suite sa présence, avec la Coupe du monde en décembre et la reprise de la Copa dès la fin août... Quand le voile sur son planning avait été levé il y a quelques semaines, il avait fini par répondre qu’il serait présent et elle avait dit que cela lui faisait très plaisir. Il avait donc quitté Barcelone le matin-même pour rejoindre le Wessex et cette petite salle des fêtes, décorée de beaucoup de ballons - roses - de froufrous - roses - de fleurs - roses - et globalement d’accessoires qui ressemblaient bien à l’image qu’il gardait de Cindy.

Il ne savait pas tellement à quoi il s’attendait en venant à ce mariage mais pas vraiment à cela. Déjà, il pensait qu’ils seraient plus nombreux que ça à être issus de leur ancienne promotion de Poudlard mais visiblement, Cindy n’avait pas gardé beaucoup de liens. Il avait aperçu Mandy - qu’il n’avait pas revue depuis des années non plus - accompagnée d’un homme qui devait être son conjoint, une fille dont il avait oublié le prénom mais qu’il situait à Serpentard et Sasha. Autant dire que la partie « retrouvailles » sera assez brève. De plus, il avait été mis très mal à l’aise par la petite sensation que sa présence à la cérémonie avait déclenchée. Il avait l’habitude de ce genre de choses, induites surtout par le fait qu’il jouait en équipe nationale, mais au mariage de quelqu’un, c’était particulièrement déplacé. A la sortie, beaucoup de personnes étaient venues lui demander un autographe ou une photo et il avait senti plusieurs Pears braqués sur lui, alors que Cindy et Kevin, son nouveau mari, faisaient leur grande sortie. Il espérait qu’elle ne s’en était pas rendu compte, il ne voulait pas qu’elle ait une mauvaise expérience à son mariage à cause de lui. Il avait caressé l’idée de transplaner pour éviter la soirée mais c’était plutôt malpoli de faire ça sans avoir salué les mariés.

Le signe de la main et la voix de Sasha attirèrent son attention, ce qui lui évita de jouer des coudes pour aller distinguer quelque chose sur le plan de table. Sa meilleure amie était déjà installée, à côté d’une femme au chapeau rose fuchsia, rempli de plumes. Il lui adressa un sourire contrit et un hochement de tête, alors qu’il se glissait sur sa chaise.

- Hey, souffla-t-il, assez soulagé d’être assis et normalement un peu plus discret. Et bah super, cingla-t-il avec un sourire lorsque Sacha précisa que c’était la table des célibataires.

Il s’était séparé de sa dernière petite-amie au printemps dernier. Anastasia et lui s’étaient rencontrés à un gala sur le thème de l’inclusion dans le sport. Elle était patineuse artistique en Suisse, avait été une nouvelle fois sélectionnée pour les Jeux Olympiques d’hiver. Il l’avait trouvée incroyablement belle et passionnante. Ils avaient beaucoup de points en commun, à commencer par leur amour de leur discipline, leur ambition, leur style de vie. Ils s’étaient initialement dit qu’il n’y aurait rien de sérieux entre eux, en raison de leurs emplois du temps complexes et de leurs contraintes professionnelles. Leur résolution n’avait pas tenu deux mois. Ils étaient très attirés l’un par l’autre et surtout, très bien tous les deux. Ils avaient véritablement tenté de faire fonctionner les choses, à faire des allers-retours constants entre leurs pays respectifs, à avoir un calendrier commun sur leurs Pears rempli de couleurs, à s’appeler souvent. Mais la réalité les avait rattrapés. Ils n’arrivaient pas à se voir et ni elle ni lui n’étaient prêt à faire de concession sur leurs carrières... La séparation s’était imposée comme une évidence. Sans brutalité, sans rancoeur mais avec ce sentiment amer que, dans un autre contexte, cela aurait pu fonctionner. Cette rupture avait fait dire à Andrew qu’il arrêtait la vie de couple pour le moment : c’était un domaine dans lequel il ne semblait pas s’illustrer.

Il avait d’autres relations, en revanche. Des relations suivies, avec des femmes qu’il considérait comme des amies. Qui étaient même des fois ses amies avant d’être autre chose. On ne pouvait pas parler de « sans attaches » puisqu’ils se voyaient régulièrement, dînaient ensemble, allaient même parfois au cinéma mais où il était clair qu’il n’était pas question d’amour romantique ou de construction de vie. Sasha était l’une d’entre elles, même si cela faisait quelques mois qu’il ne s’était pas vus. Il avait eu un été très occupé, à être n’importe où sauf en Europe. Elle se pencha vers lui, avec un sourire qu’il reconnaîtrait entre mille. Sa petite question manqua de lui tirer un rire et il fit tout pour conserver son sérieux. Ce n’était pas très sympa de leur part, Cindy avait sûrement mis beaucoup de coeur dans l’organisation de ce mariage et dans le choix de sa robe.

- En plus les froufrous roses du bas de la robe sont assortis à ceux de la salle... Tout est très thématique, très Cindy.

On ne l’appelait pas « Chouchou rose » pour rien à Poudlard.

- Et les paillettes bleues sur ses yeux c’est très... brillant. Et assorti au costume bleu ciel de Kevin. Et au balai tuné avec lequel il est arrivé à l’église...

« Une bête de compétition » comme l’avait dit le cousin de Kevin, avec des petites ampoules bleues tout le long du manche et un système de sonorisation à l’arrière. Le balai faisait un bruit de dragon à chaque accélération de Kevin, qui l’avait montré en faisant le tour de l’église en attendant Cindy.

- Je pense que je vais demander à mon coach d’avoir le même, murmura-t-il en se mordant l’intérieur de la joue pour ne pas rire.

"Tu es une horrible personne Andrew Dubois", affirma-t-elle en faisant de grands efforts pour ne pas éclater de rire alors qu'il commentait le maquillage de Cindy et le balais tuné de son nouveau mari.

Oui, elle avait commencé. Mais elle était une ancienne Serpentard, c'était son droit d'être moqueuse et méchante. Son devoir même ! Lui était censé être le Gryffondor héroïque qui défendait la veuve et l'orphelin. Il fallait toutefois se rendre à l'évidence, même un Gryffondor ne pouvait pas défendre ce mariage. Sasha n'avait pas été invitée à beaucoup de mariages, dans sa vie. Elle savait que de nombreux élèves de leur promotion s'étaient mariés, mais elle ne les connaissait pas bien et le seul auquel elle ait assisté avant celui-ci était le remariage d'une collègue du département qui avait organisé la réception dans un restaurant de Léopoldgrad. Elle n'avait donc pas beaucoup de points de comparaison, mais elle avait le sentiment que celui-ci n'était pas le plus... élégant.

"J'ai hâte de te voir jouer la coupe du monde avec !"

Sasha n'avait jamais été une grande fan de Quidditch, mais avec un meilleur-ami qui jouait dans l'équipe d'Angleterre, elle était obligée de se tenir un minimum informée des actualités sportives. Elle s'apprêtait d'ailleurs à interroger Andrew sur ses prochains matchs -serait-ce l'Allemagne, la France, le Japon ?- quand ils furent interrompue par une joyeuse clameur qui s'élevait des tables les plus proche de la porte de la salle.

Cindy et Kevin venaient de faire leur entrée. Elle, rayonnante de bonheur dans son énorme robe blanche couverte de froufous et lui, fier comme un paon dans son costume bleu. Il fallait admettre qu'ils étaient bien assortis. Les jeunes mariés échangèrent un baiser et la salle explosa sous le bruit des applaudissements et des cris d'encouragements. Sasha se joignit poliment aux applaudissements, et attendit que les mariés aient rejoint leur table pour se rasseoir et consulter rapidement son Pear Pro - c'était devenu un geste automatique.

Un raclement de gorge lui fit tourner la tête vers le fond de la salle où le témoin de Kevin, qui devait aussi être son frère à en croire leur grande ressemblance, venait de lancer un sonorus et tenait sa baguette pointée contre ses cordes vocales, aux performances magiquement amplifiée.

"Encore bravo à nos jeunes mariés ! s'exclama-t-il beaucoup trop fort. Sasha résista à l'envie de se couvrir les oreilles, et se joignit de nouveau aux applaudissements. Pendant que les elfes installent le buffet des entrées, je vous propose de commencer la soirée par un petit jeu... Il balaya l'assemblée du regard, avec un petit sourire en coin, en prenant un plaisir évident à faire durer le suspens. Le jeu de la baguette ! Nouveau tonnerre d'applaudissements.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda Sasha en se penchant vers Andrew, les sourcils froncés.
- Vous ne connaissez pas le jeu de la baguette ?"

Elle releva les yeux vers un homme bedonnant à la moustache fournie, qui avait tenté sans succès de dissimuler un début de calvitie en rabattant le peu de cheveux qui lui restait en travers de son crâne dégarni. L'oncle Gerald, très certainement.

"C'est une tradition voyons ! On bande les yeux de la mariée, puis tous les hommes viennent lui présenter leur baguette, et elle doit reconnaitre celle de son mari, sans utiliser ses mains !"

Sasha tourna lentement la tête vers Andrew, sans faire aucun effort pour cacher son expression horrifiée. Elle aurait cru que ce genre de jeux complètement idiots et macho avaient été interdits par le gouvernement Granger. Mais que faisait le Ministère de la Magie ?  

"Je ne vais pas pouvoir survivre à ça sobre... confia-t-elle dans un murmure en tendant le bras vers la bouteille de vin qui se trouvait au centre de la table.
- Ne bougez pas ma petite, l'interrompit la dame à l'horrible chapeau. Gégé va nous servir, hein Gégé ? Elle adressa un clin d'oeil à Sasha et ajouta d'un air complice : Il faut les forcer à jouer les gentlemen de temps en temps !"

- Qui te dit que je ne suis pas sincère concernant le balai tuné ? protesta Andrew en prenant son air le plus innocent. Je pense que les coéquipiers et moi on aurait beaucoup d’allure comme ça. Quoique, un rugissement de dragon comme celui-là, il faudrait peut-être le laisser au Pays de Galles... Vu que le poireau ne peut pas faire de bruit...

Mais leurs moqueries - leurs vilaines moqueries - furent interrompues par l’arrivée des jeunes mariés dans la salle, qui éclata en applaudissement. Devant le sourire radieux de Cindy, il se sentit un peu coupable. Elle avait l’air vraiment très heureux, tout comme Kevin. Lorsqu’ils se séparèrent après avoir échangé un baiser, leurs visages rayonnaient. Andrew se sentit content pour son ancienne camarade. Elle avait toujours été si gentille, même quand les gens n’étaient pas toujours gentils en retour. Tant mieux si elle était heureuse, elle le méritait vraiment.

Alors qu’ils se rasseyaient, le témoin, qui devait être le frère du marié, lança un Sonorus pour pouvoir prendre la parole. Une table, qui devait être celle des amis proches du jeune couple, se mit à taper des pieds et à applaudir et siffler bruyamment. Il y reconnut les deux hommes qui l’avaient retenu à l’entrée de la salle, pour lui parler des Balais de Braga. Ils explosèrent en applaudissements lorsque le jeu de la baguette fut annoncé.

Andrew avait fait pas mal de mariages ces dernières années. Des coéquipiers, principalement, celui de sa cousine Mackenzie voilà deux ans, celui de ses parents, il y a quelques années déjà. Toutes ces cérémonies avaient été assez différentes de celles de Cindy, souvent parce qu’elles étaient assez luxueuses ou, dans le cas de Mac, très élégante. Pour autant, quand il était enfant ou adolescent, il avait fait quelques mariages de cousins éloignés ou d'amis de la famille. Le jeu de la baguette, il l’avait déjà vu et pour autant... Il ne s’attendait pas à le voir ressortir ce soir. Quel enfer. Plus jeune, il y avait échappé (il se rappelait encore du regard tueur de sa mère quand une vieille tante avait voulu le faire participer un jour, en deuxième ou en troisième année) mais désormais... Il s’apprêtait à répondre à Sasha qui l’interrogeait, lorsqu’il fut devancé.

Un homme, dont l’étiquette dans l’assiette indiquait « Oncle Gérald » avait une moustache fournie, un ventre rond comme un chaudron et un regard qui ne revenait pas à Andrew. Il semblait un peu trop content d’expliquer le jeu à Sasha, ses sourcils se haussant au terme « baguette. » Subtil. Les yeux de sa meilleure amie s’écarquillèrent et elle se tourna lentement vers lui, comme s’il allait pouvoir la rassurer et affirmer que ce n’était qu’une plaisanterie.

- Ouais, confirma-t-il. Je ne pensais pas que ça se faisait encore, mais...

Mais visiblement, Cindy et Kevin s’étaient dit que cela serait la parfaite introduction de leur vie maritale. Quoique, à en juger par les joues de la mariée et aux rires gras des cousins en costume pastel, elle n’avait peut-être pas été mise dans la confidence. Il y avait des gens, comme ça, à qui on ne devrait pas confier les rênes d’un mariage. Par exemple, il aimait beaucoup Baen mais il était hors de question qu’il le laisse organiser une « surprise » le genre où il se marierait. Or, les cousins de Kevin semblaient être des Baen puissance 3. Sasha était en train de tendre la main vers le vin lorsque sa voisine l’interrompit pour indiquer que « Gégé » allait la servir.

- Ah bah moi j’aime toujours faire plaisir aux jolies jeunes femmes, lança-t-il avec un clin d’oeil, ses mains épaisses se refermant sur une des bouteilles.

Andrew soutint son regard en haussant les sourcils mais Gerald ne sembla pas comprendre le sous-entendu. Quelques tâches de vin rouge vinrent imbiber la nappe blanche alors qu’il servait Sasha très généreusement.

- Allez, allez, Cindy, lançait le frère de Kevin. Viens au milieu, ne sois pas timide ! Messieurs, messieurs, venez, cachez bien vos baguettes jusqu’à la dernière minute. Allez tout le monde !

Andrew plongea la main dans la poche intérieure de sa veste pour refermer les doigts sur sa propre baguette magique. Il la sortit, le plus discrètement possible, et la glissa sous sa cuisse.

- Planque ma baguette dans ton sac à main, s’il te plaît, implora-t-il Sasha. C’est hors de question que je joue à ça.

Avec la chance qu’il avait, cela finirait sur Twitcher avant qu’il n’ait eu le temps de dire « Souafle. »  Oncle Gérald, lui, s’était levé avec enthousiasme.

- Je vous préviens, lança-t-il à l’assemblée, on ne peut pas manquer la mienne, c’est une grosse.
- Après réflexion, ajouta-t-il, je pense que je vais juste transplaner.

Les cousins de Kevin faisaient le tour de la salle pour faire venir les retardataires. Le père de Cindy refusa obstinément de se lever, même s’il conservait un sourire de façade. Andrew s’enfonça légèrement dans sa chaise, comme si cela allait suffire à le faire oublier... Costume-Pêche se retourna pile à ce moment précis et lui adressa un sourire.

- Aaah, bah, allez ! Allez, pour faire plaisir à la mariée !

Cindy était rouge comme le blason de Gryffondor alors qu’on lui installait le bandeau sur les yeux.

- Je n’ai pas ma baguette, répondit Andrew en essayant d’avoir l’air désolé (il n’avait jamais été un bon menteur.)
- Pas à moi, pas à moi, quel sorcier sort sans sa baguette magique ?
- Je sais, mais je l’ai oubliée à l’hôtel, je suis parti vite tout à l’heure, c’est trop bête.
- Alleeez, insista Costume-Pêche en tapant dans ses mains. On est en famille, ici ! Allez... Du-bois, Du-bois, commença-t-il à scander, regardant autour de lui pour rallier des gens à sa cause et à son chant.

Andrew allait se décomposer de gêne.

- Non mais vraiment, mec, je ne l’ai pas, tu peux lancer un accio si tu veux vérifier, mais je ne l’ai pas.

Il espérait juste que le sac à main de Sasha était protégé contre ce genre de techniques de vol.

Sasha était assez tentée de laisser Andrew se débrouiller tout seul. La gêne visible de Cindy la mettait très mal à l’aise, mais elle trouvait en revanche l’embarras de son meilleur-ami plutôt drôle.

"Je ne sais pas si mon sac est assez grand… " répondit-elle avec un air faussement désolé, contredit par son sourire moqueur.

Si elle prenait un malin plaisir à embêter Andrew, il était hors de question qu’elle laisse le cousin de Cindy et son horrible costume couleur pêche en faire de même. Dès qu’elle le vit approcher, elle attrapa la baguette d’Andrew sous la table, et la fourra dans son minuscule sac à main, sur lequel elle avait évidemment jeté un sortilège d’extension indétectable. Elle assista ensuite à l’échange entre son ami et costume-pêche en affichant son expression la plus innocente possible.

Sasha fut navrée de constater qu’Andrew n’avait toujours pas appris à mentir, et personne ne semblait dupe. Le cousin de Cindy se montrait de plus en plus insistant et elle le fusilla du regard quand il commença à scander le nom d’Andrew, invitant le reste des invités à faire de même. Qu’est-ce que certains hommes ne comprenaient pas dans « non » ? Ce n’était pourtant pas si compliqué ! Même les deux neurones de costume-pêche étaient normalement capables de traiter cette réponse.

Elle était à deux doigts de s’interposer pour expliquer -calmement- à leur interlocuteur qu’Andrew n’avait pas envie de participer à son jeu stupide et rétrograde, et qu’il n’avait aucun droit de le forcer à le faire, quand le principal intéressé commença à dire qu’ils pouvaient bien jeter un accio sur sa baguette, et qu’ils ne la trouveraient pas. Sasha écrasa le pied d’Andrew sous la table, trop tard. Le sac qu’elle utilisait pour aller au Ministère tous les jours était évidemment protégé contre tous types de sortilèges, pour éviter les vols, mais ce n’était pas le cas de la petite pochette dorée qu’elle avait emmenée ce soir. Si costume-pêche s’exécutait et lançait un accio, Andrew était bon pour participer au jeu. Cela lui apprendrait à parler avant de réfléchir !

Après une rapide réflexion Sasha estima comme fort probable qu’elle ait besoin du soutien d'Andrew, à un moment ou à un autre de la soirée. Elle n’était pas certaine de pouvoir rester plusieurs heures à la table de l’oncle Gérald sans commettre un meurtre, et elle aurait besoin d’un alibi quand ce serait le cas. Elle décida donc de lui venir en aide, et fit mine de se lever de sa chaise.

"On peut aller la chercher à ton hôtel si tu veux, je t’accompagne, proposa-t-elle gentiment. Ne nous attendez pas pour commencer… " ajouta-t-elle à l’attention du cousin de Cindy.

Maintenant qu’elle y pensait, cette possibilité était extrêmement tentante. La perspective de quitter un moment ce mariage pour accompagner Andrew jusqu’à son hôtel n’était pas déplaisante. Elle savait toutefois que, si elle quittait les lieux, elle ne reviendrait pas. Or elle était censée faire un discours, plus tard dans la soirée. Cela ne l’enchantait pas du tout, mais elle ne pouvait pas laisser Cindy tomber. Elle espérait donc que sa technique fonctionnerait.

« Oh bah non, vous allez manquer le début du jeu, répondit costume-pêche. Non mais tant pis, pas grave… concéda-t-il finalement. Au moins vous pourrez regarder… Et il s’éloigna vers une autre table, l’air contrit.

- Tu m’en dois une, souffla-t-elle à l’oreille d’Andrew en se penchant vers lui.

- Aller, le jeu va commencer, qui veut donner sa baguette en premier ? »

La voix magiquement amplifiée du témoin de Kevin résonnait dans toute la salle, et Sasha détourna les yeux pour ne pas assister au spectacle de la pauvre Cindy, rouge comme un souaffle, à qui on frottait des baguettes sur le visage.

"Je ne peux pas voir ça… " soupira-t-elle.

Elle tendit le bras et attrapa son verre de vin, généreusement servi par l’oncle Gérald, pour en boire une gorgée. Elle venait d’amener le verre à ses lèvres quand sa voisine de gauche, qui cherchait avec énergie quelque chose au fond de son sac à main, lui donna un violent coup de coude dans le bras.

Sasha laissa échapper une exclamation de surprise alors que la moitié de son verre de vin se renversait sur sa robe.

"Oh, pardon ma petite ! s’excusa la vieille dame au chapeau à plumes. Attendez je vais vous arranger ça.. Elle brandit la baguette magique qu’elle venait d’extirper de son sac à main et la pointa sur la robe de Sasha.

-Non ne fait pas ça, c’est… de la soie… »

Trop tard. Le puissant « récurvite » lancé par la veille dame l’atteignit avant qu’elle n’ait eu le temps de finir sa phrase. La tâche de vin avait plus ou moins disparu, pour laisser place à une vilaine trace de décoloration, aux contours plus foncés. Un désastre.

" Oh mince, ben ça alors, c’est bien la première fois que ça m’arrive ! Je suis vraiment désolée ma pauvre petite, je ne comprends pas... Sasha serra les dents et se retint de répondre que c’était certainement parce qu’elle n’avait jamais rien porté d’autre que du polyester.

- C’est rien, répondit-elle un peu sèchement. C’est pas grave. Elle se força à adresser un sourire poli à la vieille dame, qui se confondait en excuses, et tourna un regard blasé vers Andrew. Tu n’as pas une robe de soirée de rechange dans ta chambre d’hôtel, par hasard ?"

En tout cas, ce n’était pas un hasard si cela faisait deux fois en dix minutes qu’elle mentionnait ladite chambre d’hôtel.

Lorsque Andrew sentit Sasha lui écraser le pied sous la table, il comprit immédiatement qu’il avait commis une erreur technique en proposant à Costume-Pêche d’utiliser un accio. Lui qui pensait que tous les sacs à main féminins étaient ensorcelés contre le vol… Si le cousin de Kévin lançait son sortilège, il aurait l’air bien fin… Heureusement, il fut sauvé une nouvelle fois par les vives réflexions de sa meilleure amie, qui se leva en décrétant qu’ils pouvaient aller chercher sa baguette à l’hôtel, ils allaient donc rater le début du jeu, quel dommage. Il la suivit des yeux lorsqu’elle se leva de sa chaise. Ce n’était pas très sympa pour Cindy s’ils disparaissaient avant le début du dîner mais au moins, ils n’auraient pas à assister à cette séquence d’animation aussi gênante que sexiste.

La technique de Sasha fut en tout cas fort efficace sur Costume-Pêche qui battit en retraite malgré son air déçu, déclarant que ça n’était pas grave. Pendant ce temps-là, les sorciers s’étaient accumulés autour de la mariée, comme une nuée de frelons. Pauvre Cindy. Il la connaissait assez pour savoir qu’elle n’oserait rien dire, sûrement par volonté de ne froisser personne, et encore moins sa belle-famille, mais Kevin ? Cela ne le faisait pas réagir de voir sa nouvelle épouse aussi embarrassée ? A sa place, Andrew aurait très vite renvoyé tout le monde se rassoir. Il sentit le souffle de Sasha sur sa peau alors qu’elle se penchait pour lui murmurer à l’oreille qu’il lui en devait une. Sa remarque lui tira un sourire et il étendit le bras pour passer sa main dans son dos, là où sa robe laissait sa peau dénudée.

- Comme souvent, souffla-t-il en retour.

Il était content de la voir aujourd’hui. La perspective de cette soirée s’annonçait bien plus réjouissante avec elle à ses côtés. Seul et bien… Il aurait tenté de négocier pour être à la même table que Mandy, au moins, ou bien il aurait prétexté une urgence quelconque pour sortir de ce bourbier. En effet, le spectacle offert par cette pauvre Cindy qui se voyait frotter des baguettes magiques sur le visage donnait plutôt envie de transplaner au plus vite. Quelqu’un cria « Avec la bouche ! » déclenchant quelques rires et Andrew regarda autour de lui, les yeux écarquillés, comme si une équipe de télévision allait sortir de derrière un rideau pour annoncer qu’il s’agissant en réalité d’une caméra cachée afin de récolter des fonds pour le service pédiatrique de Sainte-Mangouste. Il était en train de réfléchir à un moyen de porter assistance à son ancienne camarade (déclencher l’alarme incendie semblait être une possibilité envisageable) lorsque l’exclamation de surprise de Sasha lui fit vivement tourner la tête.

Sa meilleure amie venait de renverser la moitié de son verre de vin rouge sur sa robe en soie claire, visiblement suite à une bousculade de sa voisine de droite, qui se répandait déjà en excuses. Avant que personne ne puisse réagir – elle aurait dû faire du Quidditch – elle avait déjà utilisé sa baguette magique pour tenter de jeter un récurvite. La tâche de vin avait disparu pour laisser place à une décoloration sur tout le devant de la robe : c’était immanquable. Et sûrement irrécupérable, au vu de la tête que faisait Sasha. Auparavant, Andrew pensait que tout était rattrapable avec la magie et que puisqu’on arrivait à construire des villes itinérantes et à faire des potions empêchant la transformation en loup-garou, on pouvait bien sauver des vêtements un peu abîmés… Et bien ça, c’était avant de passer un gilet en cachemire et angora de l’une de ses ex à la machine à laver. A soixante degrés. Avec ses affaires de Quidditch. Quand, après s’être répandu en excuses, il avait eu le malheur de tenter une plaisanterie en disant qu’elle portait souvent des crop-top… Il avait cru que sa vie allait s’arrêter là. Le « c’est pas grave » de Sasha voulait dire tout le contraire et il se sentit désolé pour elle. En plus d’animations douteuses, elle avait désormais une robe fichue.

- Non, désolé, répondit-il avec sincérité quand elle lui demanda s’il n’avait pas une robe de fête de rechange dans sa chambre d’hôtel. Je les ai toutes laissées dans mon placard, à la maison, plaisanta-t-il, dans l’espoir de la requinquer un peu. Je peux te passer ma veste.

Il avait un beau costume italien, noir, que Rachel lui avait fait acheter un jour à Vérone.

- Ou bien on peut rentrer, si tu préfères.

C’était déjà la deuxième fois qu’elle mentionnait son hôtel : ils étaient visiblement sur la même longueur d’ondes concernant leurs espoirs pour terminer la soirée.

"Oh je veux bien, accepta-t-elle avec reconnaissance lorsque Andrew lui proposa sa veste. Tu me sauves !"

Elle savait avant de l’enfiler que la veste serait bien trop grande, mais elle n’avait malheureusement pas d’autres options. Elle avait entendu une des demoiselles d’honneur de Cindy dire qu’elle avait emmené une deuxième robe pour la soirée, pour pouvoir danser, mais elle n’avait aucune envie de la lui demander. La demoiselle d’honneur en question portait actuellement une robe rose bonbon , avec de grosses manches ballon, avec une fleur en strass sur la poitrine. Si la seconde robe ressemblait même vaguement à la première, Sasha préférait ne pas s’en approcher.

Elle attrapa donc le vêtement que son meilleur-ami lui tendait et l’enfila par-dessus sa robe de soirée. Sans surprise, la veste de costume d’Andrew était trop grande pour elle. Elle avait l’air minuscule au milieu des épaules bien trop larges -elle n’avait pas la carrure d’une Blair Williams- mais cela avait au moins le mérite de dissimuler la tâche. Elle retroussa les manches au maximum, et se tourna vers Andrew, peu convaincue.

"Alors ?"

Elle n’avait pas besoin de sa réponse pour savoir qu’elle ressemblait sans doute à un enfant qui aurait emprunté le costume de son père pour se déguiser. Ce n’était pourtant pas la première fois qu’elle enfilait un vêtement d’Andrew, mais disons que le contexte était généralement différent. Il lui arrivait régulièrement de se couvrir avec son t-shirt ou son sweat quand ils se réveillaient ensemble le matin (parce que c’était souvent bien plus confortable que la tenue qu’elle-même avait porté la veille). Cette pensée, assortie au souvenir de la main d’Andrew qui effleurait la peau nue de son dos un instant plus tôt, la fit hésiter quand son ami lui proposa de rentrer.

La perspective de passer la soirée dans la chambre d’hôtel de son meilleur-ami était bien plus tentante que celle d’écouter les blagues de l’oncle Gérald, mais elle ne pouvait pas faire a à Cindy. La pauvre était actuellement encouragée à utiliser sa bouche pour tenter de reconnaitre la baguette de Kevin parmi celle des autres invités. C’était extrêmement gênant. Sasha ne pouvait pas lui causer une humiliation supplémentaire en disparaissant avant le début du repas.

"Je ne peux pas partir tout de suite, répondit-elle à contrecœur. Elle était en revanche tout à fait prête à s'éclipser, plus tard dans la soirée. Je dois faire un discours tout à l'heure…"

Elle avait été contactée par la témoin de Cindy -la fameuse demoiselle d’honneur en robe rose bonbon- qui lui avait demandé de bien vouloir prendre la parole. Sasha avait été un peu surprise, et tentée de refuser, mais la témoin lui avait assuré qu’elle était « la plus vieille amie de Cindy » et elle n’avait pas trouver d’argument recevable pour se soustraire à cet exercice.

"Je n’ai rien préparé, avoua-t-elle, ce qui ne lui ressemblait pas du tout. Je crois que je vais demander à ChatVCP de me l’écrire."

VargasCorp avait lancé un nouveau service de bot magique qui offrait la possibilité de discuter avec un algorithme comme on aurait parlé avec une personne réelle. ChatVCP semblait connaitre les réponses à toutes les questions, et ne se gênait pas pour les inventer quand ce n’était pas le cas, mais permettait également de rédiger des courriers ou des discours. Sasha rechignait à l’utiliser au travail, se refusant à communiquer à Vargas des informations confidentielles du département des Mystères, mais envisageait sérieusement d’y faire appel pour son discours de ce soir.

"De toute façon ça ne pourra pas être pire que ça… Elle jeta un bref coup d’œil en direction du jeu de la baguette, et grimaça. Est-ce qu’il y a d’autres animations traditionnelles dont on devrait se méfier ?"

Son meilleur-ami avait certainement plus d’expérience qu’elle en matière de mariages sorciers et, dans le cas contraire, elle était persuadée que leur voisine de table se ferait un plaisir de les renseigner.

Andrew se contorsionna légèrement pour retirer sa veste de costume et la donner à Sasha qui tentait de dissimuler tant bien que mal l’énorme tâche de décolorée qui gâchait désormais sa robe. Même si elle en avait retroussé les manches, c’était bien trop grand pour elle. Lorsqu’elle se tourna vers lui pour solliciter son avis, il haussa légèrement les épaules et eut un sourire.

- Tu es toujours aussi minuscule, déclara-t-il en faisant référence à un débat qui les animait depuis longtemps.

Elle n’était pas si petite que cela, dans les faits, mais il aimait le lui faire remarquer. Il y avait eu une époque, de ses onze ans à ses treize ans, où elle était même plus grande que lui. Elle avait sept mois de plus que lui, et cela jouait quand on était enfants. En troisième année, il l’avait rattrapée. En quatrième année, il commençait à la dépasser. À partir de la cinquième, il avait pris quasiment une tête de plus qu’elle. À la fin de Poudlard, il la dépassait de presque trente centimètres. Et même lorsqu’elle se juchait sur de hauts talons, comme aujourd’hui, il trouvait ça très drôle. A chaque fois, elle levait les yeux au ciel et fronçait le nez, et c’était sa deuxième expression préférée chez elle.

Une salve de cris enthousiastes lui firent tourner la tête : visiblement, Cindy devait se rapprocher de la baguette de Kevin... Tant mieux : avec un peu de chance, ce calvaire serait bientôt fini et ils pourraient commencer le repas. Plus vite cette soirée s’écoulait, plus vite Sasha et lui pourraient s’éclipser sans paraître impolis. Ils iraient saluer Cindy, ils la féliciteraient pour cette union qui avait l’air de la rendre très heureuse et pourraient rentrer pour commenter à voix haute tout ce qu’ils venaient de subir. Quand son amie déclara qu’elle devait faire un discours tout à l’heure, il haussa les sourcils. Il ne savait pas qu’elle était encore si proche de son ancienne camarade de dortoir... Ou pas, visiblement, puisqu’elle n’avait rien préparé et envisageait d’utiliser ChatVCP. Un sourire malicieux s’inscrivît sur le visage d’Andrew.

- Sasha Benson, fit-il en prenant son ton le plus scandalisé. Tu veux dire que toi, tu n’as pas fait tes devoirs ? Il claqua de la langue avec désapprobation. Arrête, je vais finir par croire que tu n’as pas très envie d’être à ce mariage...

Les « WO WO WO WO » des témoins de Kevin étaient de plus en plus forts pour encourager la mariée, qui tournaient sur elle-même de façon confuse.

- Normalement non, répondit-il, enfin, ajouta-t-il après un instant de réflexion. En Cornouailles, pas de lancer de bouquet. On réunit tous les hommes non-mariés et on lâche des lutins de Cornouailles, justement. Soi-disant que le premier homme attrapé sera le prochain à se marier. Ils sont censés courir le plus vite possible parce que, tu sais bien, les hommes ne veulent évidemment pas se marier, contrairement aux femmes. C’est aussi sexiste que ça mais un peu plus distrayant parce que les lutins peuvent être violents et que les sortilèges sont utilisés. Mais ce n’est pas le bon coin, donc on devrait être tranquilles.  
- ET ELLE A TROUVÉ !

La salle explosa en un tonnerre d’applaudissements alors que la pauvre Cindy retirait son bandeau, la baguette magique de Kevin entre les mains.

- On applaudit bien fort sorciers et sorcières !

Quelques invités levèrent leurs propres baguettes pour lancer quelques étincelles qui libèrent de la fumée dans la salle de réception. Andrew tapa deux fois dans ses mains, plus parce qu’il était content que cela se termine qu’autre chose.

- On va pouvoir passer au buffet, s’exclama une femme aux cheveux gris et au chapeau extrêmement volumineux, recouverts de fleurs et de satin rose. Il reconnut la mère de Cindy, qui avait sangloté très bruyamment dans l’église. Table par table, pour éviter les bousculades ! On va commencer par la table « Passion caramel. »
- On est quoi nous ? s’interrogea Andrew en se penchant pour attraper la petite carte calligraphiée près du centre de table. Ah. Attraction vermeil. C’est euh, recherché.

Les mariés étaient visiblement à la table « Amour rougeoyant » et la table à leur gauche était « Désir framboise. » Pourquoi le désir était-il framboise, ça, Andrew n’en n’avait aucune idée. Les convives de la table « Passion caramel » s’étaient levés dans des raclements de chaise pendant que le reste de la salle se plongeaient dans des conversations en attendant leur tour. Gérald revint s’assoir d’un pas lourd à leurs côtés, se servant un verre de vin généreux.

- Mais revenons à ton discours, déclara Andrew en passant son bras autour du dossier de la chaise de Sasha. Tu ne devrais pas utiliser ChatVCP pour l'écrire, commença-t-il à dire sans retenir son amusement. Je pense que tu devrais vraiment l’écrire avec ton coeur, ça devrait être sincère. Tu devrais parler de sentiments, d’attraction, de passion caramel... Au pire, appuie-toi sur ton expérience, avec par exemple... Il fit semblant de réfléchir. Tu sais, quand tu es sortie avec ce mec super à Poudlard, le grand-là, duquel tu étais folle amoureuse. Il s’appelait comment déjà ? En septième année, je crois ?

"Je regrette presque qu’on ne soit pas en Cornouailles, j’aurais beaucoup aimé te voir poursuivi par des lutins !" Sasha ponctua sa réponse d’un petit rire moqueur.

Ils avaient toutefois eu leur dose d’animations sexistes pour la soirée, et elle était soulagée d’apprendre qu’aucune autre tradition étrange ne les attendait, en principe. Cindy venait apparemment de trouver la baguette de Kevin et Sasha se joignit brièvement aux applaudissements, sans entrain. Elle espérait qu’il n’y aurait pas d’autres scènes aussi gênantes, elle n’était pas certaine de pouvoir le supporter. L’oncle Gérald vint se rasseoir à sa place, visiblement ravi de la façon dont s’était déroulé le jeu, alors que la mère de la mariée se levait pour annoncer que le buffet était ouvert, ce qui ajouta au contentement de ce dernier. La table « passion caramel » fut invitée à se servir en premier.

"Merveilleux, commenta-t-elle quand Andrew lui apprit qu’ils se trouvaient à la table « attraction vermeil". On dirait le titre d’un roman de Mildred Magpie."

Sasha jeta un regard blasé à son ancien camarade quand il fit mine de l’encourager à écrire son discours avec son cœur, sans utiliser de Chatbot magique impersonnel.

"Crois-moi, il ne vaut mieux pas que je dise ce que j’ai sur le cœur à cet instant."

Il l’invita à utiliser sa propre expérience amoureuse pour nourrir son discours et Sasha arqua un sourcil. Il faisait très clairement référence à leur histoire, et elle ne put retenir un sourire amusé.

"Folle amoureuse ? Non, je ne vois pas… répondit-elle en faisant mine de réfléchir sérieusement. Il y a bien eu ce Gryffondor un peu idiot, un sportif un peu m’as-tu-vu, mais de là à parler d’amour fou…"

Elle disait ça uniquement pour l’embêter. Andrew était certainement le seul homme dont elle ait un jour été amoureuse. Ça n’avait peut-être pas été un amour fou et inconditionnel comme dans un roman qui s’appellerait « passion caramel », mais c’était ce qu’elle en avait connu de plus proche.

"De toute façon je l’ai largué, ça ne ferait pas bien dans un discours."

Ils en riaient aujourd’hui mais leur rupture avait été difficile, sur le moment. Ils s’étaient fréquentés en secret pendant des mois et, quand la vérité avait finalement éclaté, Sasha n’avait pas assumé et avait préféré se séparer de lui plutôt que de devenir officiellement sa petite-amie. En partie parce qu’elle ne voulait plus que sa vie amoureuse soit le sujet principal des ragots de Poudlard, et en partie parce qu’une part d’elle-même s’apercevait déjà qu’une vie de couple traditionnelle ne la satisferait jamais. Ils avaient gardé leur distance un temps, le temps de panser leurs blessures, s’étaient recroisés quelques fois, et avaient recommencé à se fréquenter de temps en temps. Elle aimait beaucoup ces occasions qui leur permettaient de raviver, le temps d’une nuit, le souvenir du bon vieux temps. Et elle espérait bien que ce soir ferait partie de ces occasions... C'était peut-être le seul moyen de rendre cette soirée agréable.

"Tu as raison, je devrais m’isoler un peu pour écrire mon discours, concéda-t-elle finalement. Le bout de son pied vint trouver la jambe d’Andrew sous la table, et effleura son mollet. Le faire avec le cœur. Son pied remonta le long de sa jambe. Et vraiment me mettre à nue, tu vois… Son pied avait atteint une hauteur parfaitement indécente. Tu m’accompagnes ?"

Elle lui adressa son sourire le plus innocent, et son regard le plus sensuel.

- Et qui te dit que j’aurai couru ? répondit-il en haussant les sourcils. Peut-être que j’ai très envie de me marier dans l’année...

Ce n’est pas qu’Andrew ne voulait pas se marier, un jour. Il s’y voyait dans plusieurs années, quand il aurait rencontré quelqu’un, après quelques années ensemble... La dernière personne avec qui il avait envisagé de s’engager aussi sérieusement était Aimee et on savait bien comment cela avait fini. Des fois, cela lui manquait d’être avec quelqu’un comme Aimee et lui avaient pu l’être : ils étaient restés ensemble cinq ans, ils avaient eu leur appartement à Dallas, quand il jouait pour les All-Stars, ils faisaient tout ensemble. Cette proximité lui manquait, des fois, cette familiarité de partager sa vie avec quelqu’un. Et d’autres fois, la plupart du temps même, il était heureux de sa vie comme elle était. Il aimait le fait de ne pas avoir à rendre de comptes, il aimait pouvoir mener les relations qu’il souhaitait mener, il aimait ne pas savoir où la vie allait le mener. Pour le moment, il était bien ainsi et n’avait donc pas très envie d’être épinglé à un mariage par des lutins de Cornouailles... Aussi clarifia-t-il sa petite plaisanterie auprès de Sasha.

Son bras toujours autour du dossier de sa chaise, il la regarda faire mine de réfléchir, comme si elle ne savait pas à quoi il faisait référence.

- J’aurai couru. Et je cours assez vite.

Il savait bien que son amie ne le blâmerait pas, car s’il n’était pas prêt de se marier, elle l’était encore moins. Il était un romantique, dans le fond, il aimait les relations, il aimait les histoires d’amour (un peu trop, auraient dit certains de ses amis, les amis en question ayant étrangement la voix de Rachel.) Il avait déjà été amoureux, plusieurs fois, profondément et intensément. Il avait été capable de déménager à 7700 kilomètres de sa famille, par amour. Il avait été capable d’embrasser une fille le matin-même de son mariage, par amour. Sasha, par amour... lui avait fait des fiches de cours. De très belles fiches de cours (et des fiches de fiches et des fiches de fiches de fiches) mais tout de même. Des fiches. Si on pouvait lui compter plusieurs petites-amies (et les réseaux sociaux et la presse people ne s’en privaient pas à l’occasion), il n’avait pas connu à sa meilleure amie d’autres relations officielles après la leur, à moins qu’elles aient été cachées - ce qui était aussi possible, la connaissant.

Le bras toujours autour du dossier de sa chaise, il l’observa faire semblant de réfléchir, comme si elle ne voyait pas à quoi il faisait allusion. Il hocha la tête, peu convaincu, lorsqu’elle le piqua en entrant dans son jeu.

- J’ai quand même entendu dire qu’il avait eu O à son ASPIC de DCFM... (une fierté dont sa mère ne se remettrait jamais.)

La plaisanterie suivante fut plus brutale et il n’eut pas à faire trop d’effort pour prendre son air le plus scandalisé.

- Aouch.

C’était vrai. Rude, mais vrai. Ils avaient commencé à se fréquenter à la fin de leur sixième année, profitant de l’été loin de l’école pour se découvrir tous les deux. Ils avaient pris la décision, plutôt commune à ce moment-là, de ne rien dire de leur histoire. L’année qui venait de s’écouler avait été compliquée pour Sasha avec toute cette histoire de vidéo, elle n’avait pas envie que sa vie privée soit de nouveau commentée par toute l’école... De son côté à lui, il était bien dans leur bulle, loin des potins ou des remarques de ses amis, qui n’étaient pas les plus grands fans de Sasha. L’automne était arrivé puis l’hiver, et l’enthousiasme d’Andrew par rapport à leur secret était redescendu en même temps que les températures. Il en avait assez de se cacher, de devoir mentir à ses amis, de ne pas pouvoir lui prendre la main dans les couloirs lorsqu’il en avait envie, de devoir prétendre qu’il était célibataire. La vérité avait éclaté après les vacances d’hiver, ils n’avaient jamais su comment. Sasha ne l’avait pas toléré plus de quelques jours et avait brutalement mis fin à leur relation. Andrew l’avait pris en pleine face. Il avait tenté, avant qu’elle ne le largue, de sauver la situation, en vain. Il avait mis du temps à s’en remettre, tout comme leur lien. Leur solide amitié avait fini par reprendre le dessus, auréolée d’autres choses qui étaient moins déplaisantes.

- Je pense que tu as fait une grave erreur, déclara-t-il avec beaucoup de faux-sérieux. J’ai lu sur Twitcher qu’il avait une très belle maison en Italie et je sais à quel point tu adores l’Italie...

Leurs regards s’accrochèrent et il ne put s’empêcher de lui sourire. Elle avait ces grands yeux clairs qu’il avait toujours aimé et il était assez proche d’elle pour reconnaître son parfum. La même pensée sembla la traverser au même instant puisqu’elle déclara soudainement qu’elle devrait s’isoler pour terminer son discours... avec le coeur. Il sentit son pied effleurer le bas de sa jambe et son sourire s’agrandit malgré lui. Il dut monopoliser toute sa volonté pour tenter de conserver un peu de sérieux et un peu de décence. Son geste se fit plus osé, tout comme ses mots et son regard. Sans répondre à sa question, il se pencha très légèrement vers elle.

- D’un côté, murmura-t-il, tu me rappelles comment tu m’as brisé le coeur à dix-sept ans et de l’autre, tu espères que je vais te suivre comme ça, d’un battement de cils... ?

Il laissa planer un silence, ses prunelles toujours plongées dans les siennes.

- Et tu as parfaitement raison.

Il luttait de toutes ses forces pour ne pas céder à la tentation et déposer un baiser sur ses lèvres. Ils étaient en public et il ne voulait pas attirer l’attention sur eux ou sur leur potentielle disparition. Il tourna la tête pour regarder autour d’eux. La tablée « Passion Caramel », constituée principalement de sorciers et sorcières très âgés, n’avait toujours pas fini de se servir au buffet. Autour d’eux, tout le monde était plongé dans d’intenses conversations. Les témoins de Kevin semblaient allaient de table en table pour saluer les membres de leurs familles pendant que les demoiselles d’honneur riaient très fort. Les deux jeunes époux, quant à eux, se regardaient dans le blanc des yeux avec des sourires béats. Des enfants chahutaient dans l’espace qui devait être dégagé pour la piste de danse. La voisine de Sasha était à moitié retournée pour parler à un vieux sorcier à la moustache impressionnante de la table « Désir framboise » et l’oncle Gérald, quant à lui, louchait du côté des demoiselles d’honneur en secouant son verre de vin rouge. Personne ne faisait attention à eux.

- Mais quel dommage on va rater les... Il aperçut la première assiette remplie qu’un des convives de Passion caramel ramenait à sa place, d’un pas très lent. Les carottes râpées.

Ils s’en remettraient.

- Passe devant, souffla-t-il. Je te rejoins dans deux minutes.

C’était plus discret que de se lever tous les deux en même temps. Andrew gardait à l’esprit que leur ancienne camarade, Mandy (qui les avait connus ensemble) était quelque part dans la salle et aussi qu’il avait été repéré par certains des invités. Il n’avait pas très envie de faire l’objet d’un post d ragot sur Twitcher.

"Tu as raison, je crois que c'est la villa qui me manque le plus, confessa-t-elle avec une oeillade moqueuse. J'avoue que les bains de soleil sur la terrasse étaient plutôt agréables."

Ils étaient partis en Italie ensemble pendant l'été précédant leur septième année. Leurs premières et leurs dernières vacances en couple. Andrew avait dû déployer des trésors de diplomatie pour convaincre son père de lui prêter sa villa pour une "semaine de vacances avec les copains", et ils s'étaient retrouvés seuls, à dix-sept ans, dans une maison bien trop grande pour eux et à des kilomètres de leurs parents. Sasha se souvenait à quel point elle s'était senti adulte, à l'époque. Aujourd'hui elle repensait à cet été avec nostalgie et s'attendrissait au souvenir de leurs bains de minuit dans la piscine et de leurs petits-déjeuners tardifs sur la terrasse.

Il avait suffi d'un passage de la femme de ménage et d'un bikini oublié sur un transat pour que le mensonge des "vacances entre potes" tombe à l'eau, mais les parents d'Andrew s'étaient montrés plutôt compréhensifs et leur avait simplement imposé une des conversations les plus gênantes de leur vie.

Le souvenir de leur première escapade en amoureux lui donnait envie de faire d'autres bêtises. Elle n'avait plus du tout l'intention d'attendre sagement la fin de soirée, et estimait qu'ils avaient déjà enduré suffisamment d'épreuves lors de ce mariage pour mériter une petite pause. Elle partagea son projet avec Andrew sans s'encombrer de trop de subtilité.

"Je suis sûre que je peux trouver un moyen de me faire pardonner..." répondit-elle dans un souffle quand il l'accusa de vouloir profiter de lui après avoir raviver le souvenir de leur rupture.

Un sourire satisfait passa sur le visage de Sasha quand il approuva son plan, et l'invita à partir devant, pour ne pas éveiller de soupçons. Les invités de la table "passion caramel" -qui aurait pu s'appeler "dépression grisonnante"- étaient encore en train de se servir au buffet et personne ne semblait faire attention à eux. Ils pouvaient parfaitement s'éclipser, et revenir à temps pour la suite du repas. Personne ne se rendrait compte de leur absence.

Sasha se redressa légèrement sur sa chaise, jeta un rapide regard à sa gauche pour vérifier que personne ne les observait, et quitta la table, parfaitement consciente du regard d'Andrew dans son dos. Elle prit la direction du vestiaire dans lesquels les invités avaient été invités à déposer leurs capes et leurs vestes et se glissa discrètement à l'intérieur. Quand elle referma la porte derrière elle, elle souriait encore et son coeur battait un petit peu plus vite.

Elle appréciait toujours ses retrouvailles avec Andrew. Leurs relations ne la comblaient pas à tous les niveaux. Elle avait certains désirs qui ne trouvaient pas de réponse dans les échanges charnels conventionnels. Elle ne pouvait pas assouvir sa soif de violence et de douleur auprès d'Andrew, ni partager avec lui ses fantasmes ou ses pulsions les plus inavouables. Mais il était la seule personne auprès de qui elle appréciait la tendresse, et avec qui elle pouvait se montrer douce et affectueuse. C'était une autre forme de plaisir, un peu moins intense, mais moins destructrice aussi.

Elle se débarrassa de la veste de costume d'Andrew, qu'elle suspendit à un cintre, et s'examina rapidement dans le petit miroir accroché au mur. Elle se recoiffa rapidement, vérifia que son maquillage n'avait pas coulé, réajusta sa robe, et se retourna juste au moment où Andrew ouvrait la porte.

"J'ai failli attendre..." glissa-t-elle avec un sourire.

Elle lui laissa à peine le temps de refermer la porte derrière lui avant de glisser une main dans sa nuque et de l'attirer à elle pour s'emparer de ses lèvres avec envie. Elle ne se sépara de lui qu'un bref instant, le temps d'attraper sa baguette et de la pointer sur la porte pour la sceller d'un sortilège informulé.

"Ce serait dommage d'être dérangés."

C’était affreusement déraisonnable, ce qu’ils songeaient à faire. Affreusement déraisonnable et plutôt malpoli, d’ailleurs. La bonne chose à faire aurait été de s’arrêter, de rester bien sagement à leur table en attendant que cela soit leur tour de servir. Ils auraient fait bonne figure tout le reste de la soirée et seraient ensuite éventuellement, et sagement, rentrés à son hôtel. Le truc étant que... Andrew n’avait jamais été le plus grand adepte des choix raisonnables. Bien au contraire : le sourire de Sasha, ses gestes et l’étincelle dans son regard lui donnaient très envie d’être déraisonnable. 

Il la donc laissa se lever avant lui, pour ne pas attirer l’attention des autres invités. Personne ne faisait attention à eux, les gens profitant de ce premier temps mort de la soirée pour discuter et se retrouver. Se penchant légèrement en arrière, il aperçut à l’opposé Mandy, leur ancienne compagne de classe et une bonne copine à lui, et son compagnon. Il irait les saluer à un moment. Il n’avait pas vraiment gardé le contact avec elle après leur diplôme. Quelques soirées, au début, les premiers temps... Puis Mandy s’était fait des amies au Ministère, où elle était entrée, et venait moins. Il n’était pas en reste : sa carrière lui prenait énormément de temps et il était dans un rythme très différent de celui de ses amis d’école. Il était souvent compliqué pour lui de venir boire une bière à la dernière minute après le travail ou d’assister à la soirée d’anniversaire du samedi soir, parce qu’il jouait un match. Il ne s’était jamais fâché avec eux mais la petite bande de Poudlard, la bande à Dubois comme disaient certains, avait fini par se délier petit à petit. Certains d’entre eux étaient restés amis mais cela faisait des années qu’ils ne s’étaient pas tous retrouvés dans la même pièce, comme au bon vieux temps.

Plongeant la main dans la poche de son pantalon, il en sortit son Pear, qu’il finit mine de consulter quelques secondes. Il avait un message de son assistant, Juan, qui lui disait qu’il lui avait réservé un Portoloin privé pour Barcelone le lendemain soir, à 21 heures, un autre de Pablo qui devait sûrement lui envoyer une bêtise, une soixantaine de hiboux non-lus et d’autres multiples notifications. Il prit la peine de confirmer le voyage auprès de Juan avant de verrouiller son écran. Il vérifia d’un coup d’oeil que leurs voisins de table ne remarquaient pas qu’il se levait et commença à se diriger vers le hall d’entrée. Brusquement, presque aussi vite qu’un Cognard, le témoin de Kevin se matérialisa devant lui. Il avait l’air presque déçu.

- Tu ne pars pas déjà, quand même ? Après le repas, je voulais qu’on parle de...
- Non, non, coupa Andrew, persuadé que le nom des Balais de Braga allait être prononcé (ou pire, celui de l’équipe madrilène.) Je vais juste passer un coup de fil. Ses doigts se refermèrent sur son Pear, qu’il dégaina comme la preuve de sa bonne foi.
- Aaah, à qui ? Il était bien culotté, ce Costume-Pêche. Attends, je devine ! Euh, Guti ! Konate ? Euh Arnau ! Non, non attends, je sais, Marissa Gomez !

Andrew ne répondit rien, se demandant s’il allait lui faire la liste de toutes les personnes avec qui il avait déjà joué.

- Non, mieux, Juliet Wilson ! T’as le numéro de Juliet Wilson, hein ? Si c’est elle, je veux bien que tu me la passes, hein, fit-il d’un air de conspirateur, si tu vois ce qu’je veux dire...

Il voyait très bien même s’il n’avait pas du tout envie de voir. Il aurait eu beaucoup de choses à répondre, notamment que Juliet était dans une ligue complètement inaccessible pour lui - et pas juste parce qu’elle avait déjà son oncle Charlie dans sa vie - mais il n’avait ni l’envie ni le temps de se lancer dans cette conversation.

- On t’appelle, je crois, se contenta-t-il de répondre en désignant la table des mariés d’un geste du menton.

Costume-Pêche se détourna et Andrew en profita pour le contourner, se dirigeant dans le hall à grands pas. La porte du vestiaire où on leur avait proposé de déposer des affaires était entrouverte et il l’ouvrit en jetant un coup d’oeil à l’intérieur. Sasha souffla qu’elle avait failli attendre mais ne lui laissa pas le temps de répondre, l’attirant contre elle et surtout, lui donnant le baiser dont il mourait d’envie. Il tira le battant derrière lui avant d’emprisonner sa taille fine de ses mains, lui rendant son étreinte avec envie. Il se détacha uniquement d’elle quand elle sortit sa baguette magique, lançant un sortilège sur la porte.

- Très bonne initiative, parce que sinon je te garantis que les cousins de Kevin débarquaient.

Et ça, c’était la meilleure solution pour que son choix déraisonnable se transforme en quelques tweets en drama d’internet. Il avait déjà vu quelques coéquipiers en faire les frais, Pablo rien que cet été : quelques photographies prises de loin sur un yacht, qui laissaient entendre, au vu de l’angle un peu traître, que sa copine et lui étaient très occupés ensemble. Il n’en n’était rien, mais cela s’était répandu comme une traînée de poudre. Se penchant de nouveau vers Sasha, il fit remonter ses doigts le long de sa dos, où sa robe de satin laissait apparaître sa peau dénudée. Lorsque ses mains arrivèrent sur ses épaules, il en écarta les bretelles pour les faire tomber. Il la fit reculer légèrement vers la vieille banquette aux motifs démodés qui se trouvait derrière eux.

- N’empêche, murmura-t-il contre ses lèvres, glissant ses doigts dans ses cheveux, le coup du placard, c’est très cliché de notre part.

Sasha grimaça quand Andrew fit référence aux cousins de Kevin en affirmant qu'ils auraient certainement débarqué s'ils n'avaient pas scellé la porte. 

"A leurs risques et périls..." répondit-elle avec un sourire farouche. 

Elle n'avait pas l'intention de laisser quiconque les surprendre en fâcheuse position. Ce serait prendre le risque que la nouvelle se retrouve aussitôt sur Twitcher, et Sasha ne laisserait pas les choses se dérouler comme ça. Elle avait fait l'expérience une fois de voir sa vie sexuelle être au centre de tous les commérages, et elle n'était pas prête de recommencer. Bien sûr, étant donné son niveau de célébrité, Andrew souffrirait bien plus qu'elle dans le cas où leur petite escapade viendrait à être rendue publique. Elle serait certainement citée comme "la jeune femme inconnue", même si elle finirait probablement par être identifiée comme porte-parole du département des Mystères. Dans tous les cas, elle était déterminée à faire le nécessaire pour que cette situation ne se présente pas. S'il fallait pour cela sceller la porte et se tenir prête à jeter un maléfice à quiconque passerait outre cette protection, elle était prête à le faire. 

Une fois seuls et certains qu'ils ne seraient pas dérangés par d’autres invités du mariage, ils purent enfin assouvir cette envie de s'embrasser contre laquelle ils avaient difficilement lutté un peu plus tôt. Sasha s'empara des lèvres d'Andrew avec fougue et pressa son corps contre le sien, vacillant légèrement sur ses chaussures à talon. Elle se raccrocha au cou de son meilleur-ami pour garder l’équilibre et glissa une main dans ses cheveux alors que les siennes remontaient le long de son dos. Elle sentit ses doigts effleurer sa peau dénudée et faire tomber ses fines bretelles sur ses épaules. Elle laissa sa robe en soie glisser jusqu’au sol, dévoilant son corps presque nu.

Elle attira Andrew en direction de la banquette et l’invita à s’y asseoir en posant une main sur son torse. Main qui s’attaqua aussitôt aux boutons de sa chemise. Elle s’installa sur ses genoux et enfoui son visage dans son cou qu’elle couvrit de baisers tout en achevant de le débarrasser de sa chemise, qui ne tarda pas à rejoindre sa robe sur le sol. Ses doigts caressèrent la peau nue de son torse avant de défaire la ceinture de son pantalon et de s'aventurer un peu plus loin.

Soudainement, la poignée de la porte s'agita. Sasha se figea aussitôt et échangea un regard inquiet avec Andrew. Ils restèrent immobiles, le souffle court, en espérant que la personne se découragerait face à la porte fermée et ferait demi-tour. Leur visiteur semblait toutefois déterminer à entrer dans e vestiaire puisqu'il frappa quelques coups à la porte. Sasha eut du mal à réprimer un éclat de rire nerveux. Elle était partagée entre l'envie de rire et celle de lancer un maléfice de chauves-furies à quiconque avait osé les interrompre.

Andrew avait envie d’embrasser Sasha depuis qu’elle s’était penché vers lui tout à l’heure, qu’il avait respiré son parfum familier et qu’elle lui avait souri, de ce sourire en coin qu’elle avait sans cesse avec lui. Pressant son corps contre le sien, il s’absorba dans leur étreinte, la chaleur de sa peau contre la sienne, la peau douce qui se dévoilait sous ses doigts, la sensation de son souffle dans son cou. Sa robe fine bascula à ses pieds, la découvrant presque entièrement, alors qu’elle le repoussait vers la banquette. Il s’y laissa tomber, évitant de peu une paire de baskets à paillettes qui avait été sûrement abandonnée là en prévision de la soirée dansante.

Ses mains empressées attirent la taille de Sasha vers lui, alors qu’elle s’installait sur ses genoux tout en défaisant de ses doigts fins les boutons de sa chemise blanche. Elle déposait des baisers dans son cou tout en s’attelant à sa tâche, tandis que les paumes sensiblement calleuses d’Andrew caressaient la courbe de ses reins. Elle tenta de faire glisser le tissu de ses épaules et il se redressa légèrement pour l’aider, permettant bien vite au tissu de rejoindre la robe de soie abandonnée sur le sol. Il poussa un soupir lorsqu’elle défit la ceinture de son pantalon, laissant dériver ses caresses un peu plus. Ses doigts s’entremêlèrent dans ses cheveux et il s’apprêtait à l’embrasser de nouveau lorsque la poignée de la porte cliqueta.

Ils se figèrent, échangeant un regard inquiet alors que la personne insistait, poussant un peu plus fort pour ouvrir la porte. Le battant étant bloqué par l’enchantement de Sasha, le visiteur se résigna à frapper quelques coups, visiblement pas décidé à comprendre le message et à s’effacer. Dépité, Andrew laissa sa tête basculer en arrière.

- On aura été tranquilles deux minutes, soupira-t-il.

Il n’avait pas très envie d’être surpris dans ce placard avec Sasha. Pas qu’il en ait honte, mais il aimait garder sa vie privée pour lui, surtout quand on en venait à ce genre de choses. De nouveaux coups furent frappés à la porte.

- Il y a quelqu’un ? interrogea une voix familière.

Ses yeux s’écarquillèrent.

- C’est Cindy.

Dans un sens, c’était moins embêtant que ce soit leur ancienne camarade que l’un de ses nouveaux beaux-cousins mais tout de même. Remettant une mèche de cheveux derrière l’oreille de Sasha, Andrew souffla :

- Ça aussi, ça me rappelle un vieux souvenir...

Une histoire de salle de classe vide un soir, quand ils étaient en septième année à Poudlard, salle de classe que Cindy avait évidemment choisie ce soir-là - parmi des centaines et des centaines - pour s’entraîner à son sortilège de durcissement. Soupirant de nouveau, il ajouta.

- J’ai pas très envie qu’elle apprenne ce qu’on voulait faire à son mariage au lieu de manger sagement nos carottes râpées... Tu te désillusionne ou je me désillusionne ?

Sasha était assez confiante dans la solidité de son sortilège de scellé et était bien décidée à ignorer les coups frappés à la porte du vestiaire -quitte à insonoriser les lieux pour ne pas se laisser distraire- mais elle fut forcée d’abandonner l’idée en reconnaissant la voix qui s’éleva de l’autre côté de la porte. C’était Cindy. Ils ne pouvaient pas faire attendre la mariée.

Elle laissa échapper un profond soupir et renversa sa tête en arrière. Cette journée était définitivement un désastre. Un sourire passa rapidement sur ses lèvres quand Andrew évoqua le souvenir d’une situation assez similaire à celle qu’ils vivaient actuellement.

"Tu crois qu’elle vient encore s'entraîner au sortilège de durcissement ?"

Eux en tout cas, eux s’en étaient plutôt bien sortis de ce côté-là, et sans utiliser la magie.

"Vas-y toi, je m’occupe de Cindy" répondit-elle quand Andrew suggéra que l’un d’entre eux se désillusionne.

Elle lui tendit son sac à main pour qu’il puisse récupérer sa baguette et se hâta de renfiler sa robe. Elle jeta un coup d’œil en arrière pour vérifier qu’Andrew était bien désillusionné, puis déverrouilla la porte d’un coup de baguette. Cindy fit aussitôt irruption dans la pièce, noyée au milieu des nombreuses couches de tulle de sa grosse robe blanche.

"Mais enfin qu’est-ce que… ? Oh, c’est toi ! s’exclama-t-elle en reconnaissant Sasha. Tout va bien ?
- Oui oui, la rassura-t-elle. J’essayais de nettoyer ma robe. Elle écarta les bras pour que son amie puisse constater l’ampleur des dégâts. Je voulais pas que quelqu’un rentre pendant que je me changeais.
- Oh non, ma pauvre ! se lamenta Cindy. Tu veux emprunter la robe de ma cousine ? Elle lui désigna une hideuse robe à froufrous rose pâle accroché à côté du miroir. Elle la gardait pour la soirée mais je suis sûre qu’elle accepterait de te la prêter !
- Non, ça va, c’est gentil, répondit Sasha en se retenant difficilement de grimacer. Tu avais besoin de quelque chose ?
- Je change juste de chaussures, celles-ci me font tellement mal aux pieds !"

Cindy se dirigea vers l’endroit où Andrew était assis sous le regard horrifié de Sasha. Elle crut voir bouger légèrement quelques vestes, accrochées à gauche de la banquette, et espéra que son ami avait eu le temps de se déplacer avant que la mariée ne se laisse tomber sur la banquette dans un nuage de tulle blanc. Cette dernière se pencha pour attraper une paire de ballerines pailletées posée par terre et entreprit de les enfiler à la place de ses escarpins roses.

"Tu peux y aller si tu veux, je crois que c’est bientôt à votre table de se servir, lui lança Cindy en soupirant d’aise alors qu’elle se débarrassait de ses talons hauts. Tu sais où est Andrew d’ailleurs ? Il n’était plus à table non plus.
- Je crois qu’il est sorti fumer.
- Je croyais que les joueurs de Quidditch professionnels ne fumaient pas ?
- Seulement pour les grandes occasions ! Cette explication parut convaincre Cindy, visiblement flattée que son mariage soit considéré comme une grande occasion.
- C’est dommage que ça n'ait pas marché entre vous, continua la mariée en se massant la plante du pied. Vous alliez bien ensemble, à l’époque… Tu n’as jamais regretté ?
- Pas vraiment, je… commença Sasha d’une voix incertaine, consciente qu’Andrew ne perdait pas une miette de cette conversation.
- Qu’est-ce que c’est que ça ? la coupa Cindy, qui se pencha pour ramasser un morceau de tissu par terre. La chemise d’Andrew, qu’ils avaient oublié de ramasser. Ça doit être à un employé du traiteur, c’est pas possible ça…
- Donne-la moi ! s’exclama précipitamment Sasha.- Quoi ? - Laisse-la moi, je gère. Je vais aller voir le traiteur. Ne t’occupe pas de ça, c’est ton mariage. Profiiite !
- Oh merci Sasha, t’es adorable ! Mais n'oublie pas d'aller manger !"

Cindy avait désormais revêtu ses ballerines argentées à paillettes, qui la faisait paraître encore plus petite au milieu de son énorme robe, et quitta le vestiaire après un dernier sourire chaleureux pour Sasha, qui prit soin de refermer la porte derrière elle avant de faire face à la pièce, d’apparence vide.

"On a eu chaud…" souffla-t-elle.

Rien ne les empêchait de reprendre les choses là où ils les avaient laissées, mais elle devait admettre que la magie du moment avait été un peu refroidie par la visite de Cindy. Elle fouilla la pièce du regard pour essayer de repérer Andrew, sans succès. Elle resta sur ses gardes, persuadée qu’il était tout à fait capable de profiter d’être désillusionné pour essayer de lui faire peur.

"Qu’est-ce qu’on fait ? On y retourne ?"

Et elle parlait du mariage, bien sûr.

La plaisanterie de Sasha, en référence à la mésaventure qu’ils avaient vécu en septième année, lui tira un léger sourire. La dernière fois, ils s’en étaient sortis avec une pirouette mais cette fois-ci, ils étaient bons pour utiliser un sortilège afin de se dissimuler. Elle se leva de ses genoux et il se redressa pour refermer sa ceinture, tendant ensuite la main pour attraper le sac qu’elle lui tendait afin qu’il récupère sa baguette magique. Alors qu’il refermait ses doigts dessus, Sasha renfila sa robe de soie tâchée. Il lança l’enchantement sans le prononcer, plutôt habitué à utiliser ce sort lorsqu’il voulait se faire discret à des occasions.

Sasha jeta un coup d’oeil derrière elle avant d’ouvrir la porte du placard, qui laissa place à une Cindy aux joues rouges, un peu essoufflée dans son épaisse robe de tulle, de dentelle et de noeuds. L’excuse de la robe tâchée était parfaite et leur ancienne camarade de classe accepta l’explication sans poser de questions : tant mieux, ils n’avaient pas vraiment envie d’avoir à livrer cette explication. Cindy, elle, venait changer de chaussures car celles qu’elle portait lui faisaient mal aux pieds. Andrew comprit un peu tard qu’elle avait l’intention de s’assoir sur la banquette, pile là où il se trouvait, et bondit au dernier moment pour s’écarter : il était payé pour éviter des cognards, ne pas réussir à éviter Cindy aurait été honteux.

Son mouvement l’avait amené à se décaler dans les vestes suspendues, qui sentaient la sueur et le parfum bon marché. Précautionneusement, il se leva pour s’éloigner dans le coin de la pièce, faisant attention où il posait les pieds. Ce fut le moment que choisit la mariée pour prononcer son prénom, ayant visiblement remarqué son absence. Cette fois-ci, Sasha fut moins inspirée pour son mensonge puisqu’elle déclara qu’il était sorti fumer. Il ne fumait pas de tabac, il était un athlète et l’état impeccable de ses poumons et de son coeur était indispensable à sa bonne condition physique. Il lui était arrivé, pendant l’été, en vacances avec ses copains, de consommer un peu de mandragore en soirée mais ça, ça n’était pas censé se savoir. Pour autant, Cindy avala complètement la couleuvre : elle avait toujours été un peu naïve. 

- C’est dommage que ça n'ait pas marché entre vous, continua-t-elle en se massant la plante du pied. Vous alliez bien ensemble, à l’époque… Tu n’as jamais regretté ?

Il se retint de rire, laissant à la place un sourire illuminer son visage. La tête de Sasha était impayable. Elle détestait parler de cela, il n’avait jamais vraiment compris pourquoi. Ils avaient été ensemble, ils avaient été amoureux, même. Ça n’avait pas marché entre eux, ils s’étaient séparés et leur relation était différente désormais. Il n’y avait rien de mal à ça mais son amie semblait incapable de l’admettre, comme si reconnaître qu’elle avait pu avoir des sentiments amoureux ou qu’elle pouvait se laisser aller à un peu de tendresse risquait de la tuer. Alors évidemment, il ne manquait jamais de le faire. Il nota qu’elle avait dit « Pas vraiment » à la question des regrets et pas « Absolument pas, cette rupture est la meilleure chose qui me soit arrivée » et considéra ça comme une victoire personnelle... jusqu’à ce que l’oeil de Cindy repère sa chemise blanche abandonnée sur le sol. Sasha réagit immédiatement, embobinant une nouvelle fois leur ancienne camarade de classe, qui la remercia d’un sourire ravi. De nouveau chaussée et plus petite de dix centimètres, elle quitta le placard en l’enjoignant à aller manger. La porte se referma, les laissant de nouveau seuls, Sasha scrutant l’endroit des yeux.

- Qu’est-ce qu’on fait ? On y retourne ?

Leur moment était gâché et Cindy avait repéré que leurs chaises étaient vides. Ils ne pouvaient pas se permettre de traîner ici trop longtemps (et à tous les coups, Costume Pêche voudrait encore lui parler.) Toujours désilliusionné, Andrew se décolla du mur contre lequel il était appuyé, faisant deux pas vers Sasha. Décidé à l’embêter un peu, sa main vint prestement effleurer sa hanche droite mais ce fut à la gauche de son cou qu’il déposa un baiser.

- On y retourne, confirma-t-il. Je ne voudrais pas manquer le buffet gastronomique. 

Toujours derrière elle, il attrapa doucement son menton entre ses doigts pour l’embrasser une dernière fois avant de pencher pour récupérer sa chemise. Une fois rhabillé et de nouveau visible, il fit un geste à destination de la porte.

- Toi la première, je te rejoins dans deux minutes.

Cela ne serait pas malin de se faire prendre en train de sortir en même temps. Il patienta quelques minutes, scrollant sur son Pear, avant de sortir du placard, faisant volontairement un détour pour donner l’impression qu’il venait de l’extérieur. Lorsqu’il pénétra dans la salle de réception, leur table venait visiblement d’être appelée car Gerald se servait généreusement du pâté en croûte. Tout le monde était en train de dîner et un vacarme très important résonnait sous le faux-plafond. Son amie l’avait attendu à table et il la rejoignit pour attraper son assiette. Ils se mirent tous les deux dans la queue, constatant qu’il ne leur restait pas grand-chose. Les assiettes avaient été dévalisées.

- J’hésite, lança-t-il à Sasha après avoir pris une tranche de jambon blanc. Est-ce que je veux des radis au beurre ou bien la dernière cuillère de carottes râpées ? Ou bien, le dernier sandwich au concombre ? Le pain de mie était mou et spongieux d’avoir absorbé le jus du concombre. Tellement de choix.

Ce fut avec leur assiettes peu remplies qu’ils reprirent place à table. Gerald n’arrêtait pas de regarder dans leur direction, haussant les sourcils. Quand il prit entre ses doigts un cornichon pour visiblement se lancer dans la description de quelque chose, Andrew détourna le regard. Ce fut le moment choisi par Costume-Pêche pour prendre la parole.

- Hey hey hey, déjà pour commencer, je voudrais qu’on remercie tous la maman et la mamie de Cindy pour ce superbe repas, merci d’applaudir très fort Miranda et Deirdre !

La salle explosa en applaudissements, certaines tablées frappant des pieds.  

- Et ensuite, c’est un peu le moment émotion parce que je voudrais faire un discours.

Il y eut des sifflements. Andrew se cala contre le dossier de sa chaise.

- Kevin. Mon pote, mon bro, mon cousin. T’as toujours été dans ma vie, quand tu as vu le jour en 1991 et qu’on s’est rencontrés chez mamie Kendra, là j’ai su que tu serais mon meilleur pote pour la vie, même si j’étais qu’un bébé aussi. On en a fait des conneries ensemble, mon Kev. Quand on volait les chocogrenouilles de mamie et qu’on allait les manger planqués dans le jardin, ou bien quand on dessinait des moustaches à papy Joe quand il ronflait sur le canapé. Et puis quand on a grandi un peu et qu’on volait les vieux balais dans la remise pour aller faire nos meilleures courses au dessus de la rivière, haha, le premier qui tombait avait perdu, tu t’en rappelles mon Kev ?
- C’est un peu mignon, souffla Andrew à Sasha, en se penchant vers elle.
- Et puis quand on est devenus ados, et qu’on utilisait les mêmes balais pour aller se rincer l’oeil en regardant par la fenêtre de la salle de bains de cette bonnasse de Miss Keileigh, en bas du village !
- ... ça c’est moins mignon.
- Et puis Poudlard, alala mon Kev, on en a fait des conneries. Les deux plus beaux mecs de Gryffondor.

Andrew évita consciencieusement le regard de Sasha, qui allait sûrement lui dire sans un mot « Evidemment, Gryffondor. »

- Et puis toi tu t’es fait plaisir, hein mon salaud, tu les faisais toutes tomber. On se rappelle de Karen, olalala, tu lui as fait rugir le lion hein.

Ça devait être une caméra cachée, ça n’était pas possible autrement.

- Puis après Poudlard on est restés collés comme un botruc à son arbre, on en a vu des belles, t’étais avec moi dans les moments les plus difficiles et je serai toujours reconnaissant, mon couz’, toi aussi t’en a vu des belles, notamment avec cette garce de Debra mais ça valait la peine de tout parce que t’as rencontré Cindy. Il se tourna vers la jeune mariée, aux joues particulièrement rouges. Cindy, ma Cindouze, t’es de la famille maintenant. T’es exactement la femme qu’il fallait à Kev’, t’es gentille, t’es drôle, tu penses toujours aux autres. Un jour Kevin et toi vous ferez les meilleurs parents et on est super contents que vous vous soyez rencontrés. Alors on lève son verre aux mariés tout le monde, HIP HIP HIP HOURRA ! Puis je vais laisser la parole à la plus vieille pote de Cindy, Sarah. Sarah, vas-y, viens ! Tout le monde applaudit Sarah Benson !

Sasha sursauta en sentant une main effleurer sa hanche droite. Parce que c’était Andrew, et parce qu’il avait passé des heures à Poudlard à lui tapoter l’épaule droite alors qu’il se tenait à sa gauche, elle eut le réflexe de tourner la tête de l’autre côté et son intuition se confirma quand il déposa un baiser sur le côté droit de son cou.

"Tu deviens prévisible tu sais…" souffla-t-elle alors qu’il lui attrapait le menton pour lui faire lever la tête vers lui.

Elle savoura ce baiser, tout en espérant que ce ne serait pas le dernier de la soirée, et acquiesça quand Andrew lui suggéra de partir devant. Inutile d’éveiller les soupçons en sortant à deux des vestiaires. Elle referma la porte derrière elle et prit discrètement le chemin de sa table. L’oncle Gérald lui jeta un drôle de regard alors qu’elle se rasseyait et elle sortit son Pear de son sac pour avoir une raison de l’ignorer. La mère de Cindy appela leur table « passion Framboise » à venir se servir mais Sasha laissa les autres convives la précéder, préférant attendre le retour d’Andrew, qui ne tarda pas à arriver.

"Oh non, je le voulais aussi, soupira-t-elle avec un désarroi exagéré quand son ami mentionna le dernier sandwich au concombre. Mais je suis prête à me sacrifier pour toi, prend ça comme un symbole de notre amitié."

Joignant le geste à la parole, elle se saisit d’une paire de pinces en fer pour déposer le sandwich dans l’assiette d’Andrew, où il s’écrasa avec un « plouch » spongieux. Obligée de se rabattre sur les carottes râpées, Sasha se servit une petite portion et regagna leur table, juste à temps pour le début du discours de costume-pêche. Discours qui se révéla étonnement moins grossier que ce à quoi elle s’était attendue…Au début, du moins. Elle fronça les sourcils quand il évoqua les après-midi passés avec son cousin passés à espionner la voisine par la fenêtre de sa salle de bain, et les haussa haut sur son front quand il commença à énumérer les ex petites-amies de Kevin.

Elle jeta un regard entendu en direction d'Andrew quand costume-pêche fit référence à leur maison commune avec Kevin, Gryffondor. Evidement. Sasha écouta la suite du discours, atterrée, et frappa quelques fois dans ses mains pour ne pas paraitre impolie. Le cousin annonça un autre discours à suivre et elle retint difficilement un soupir de lassitude. Elle tourna la tête pour chercher la dénommé Sarah du regard, avant de comprendre qu'elle était Sarah. Sarah Benson.

Cette fois elle ne retint pas un soupir résigné alors qu'elle se levait de sa chaise. Elle n'avait absolument rien préparé. Elle avait l'habitude de prendre la parole en public, dans le cadre de son travail, ce n'était donc pas la forme qui l'intéressait mais plutôt le fond. Elle ne savait pas quoi dire à Cindy, dont elle s'était éloignée ces dernières années. Elle se rassura en se disant qu'elle ne pouvait pas faire pire que costume-pêche. Ce dernier lui tendit le micro avec un sourire qu'il estimait certainement charmeur.

"Tiens ma belle, la scène est à toi."

Elle eut une brusque envie de lui enfoncer le micro dans la gorge mais se contenta de le lui prendre des mains et de le remercier avec un sourire crispé.

"Bonsoir, commença-t-elle en se forçant à adopter un sourire un peu plus naturel. Je voudrais commencer par remercier les mariés de nous avoir conviés à partager cette belle soirée avec eux."

Quelques applaudissement lui laissèrent une poignée de secondes pour réfléchir à la suite de son discours. Une part d'elle avait envie de défendre Cindy. Elle n'avait pas trouvé le discours de costume-pêche très respectueux vis-à-vis de son amie et elle aurait voulu rappeler à cette dernière qu'elle valait mieux que ça, qu'elle méritait une personne qui ne la mette pas dans ce genre de situations. Mais son regard se posa sur Cindy, les joues roses, qui échangeait des regards complices avec Kevin, assis à côté d'elle, sa main dans la sienne. Elle avait l'air heureuse. Un peu embarrassée mais heureuse. Sasha ne le comprenait pas. Elle ne concevait pas que cette vie puisse convenir à la jeune femme, mais ce n'était pas à elle qu'appartenait ce choix. Elle ravala donc sa colère et prit la décision de s'en tenir à un discours de mariage classique et ennuyant.

"Cindy, tu es ma plus vieille amie, commença-t-elle, et elle vit aussitôt les yeux de la mariée se remplir de larmes. Et pendant longtemps tu as presque été la seule. Elle chercha rapidement le regard d'Andrew dans l'assemblée. Toutes les belles choses qui ont été dites sur toi sont vraies, tu es une très belle personne. Et tu as toujours fait passer le bonheur des autres avant le tien. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait passé ses nerfs sur la jeune femme de façon complètement injuste, quand elles étaient encore adolescentes. Cindy ne lui avait jamais tenu rigueur de ses gestes d'humeur. J'espère qu'aujourd'hui tu as trouvé quelqu'un qui fera passer ton bonheur avant le sien. Son regard clair passa du visage larmoyant de la mariée à celui de son époux. Kevin, tu as intérêt à faire tout ce que tu peux pour la rendre heureuse, sinon je serai obligée de m'en prendre à toi."

Plusieurs éclats de rire se firent entendre dans l'assemblée. Ce n'était pas censée être une blague, ce que Kevin semblait avoir compris puisqu'il la regardait avec un drôle d'air, presque effrayé. Parfait, le message était passé. Elle était consciente que cela ne suffirait pas à s'assurer qu'il veille au bonheur de Cindy, mais elle aurait au moins essayé.

"Je vous souhaite une longue vie de bonheur à tous les deux !"

Elle leva son verre en direction des mariés et sourit à Cindy qui lui envoyait un baiser avec ses mains. Elle allait reposer le micro sur le plateau du DJ mais costume-pêche fit de nouveau irruption sur la petite estrade.

"Et on applaudit bien fort Sarah, merci beaucoup !"

Sasha regagna sa table aussi vite que possible et se laissa tomber à côté d'Andrew avec un soupir.

"Je te préviens, je ne ferai pas de discours à ton mariage."

Il n'était, de toute façon, pas de très bon goût d'inviter une de ses ex à prendre la parole lors de son mariage.

"Et maintenant, avant de passer au plat de résistance, c'est Cindy qui va prendre le micro. Sasha tourna la tête vers l'estrade, intriguée de voir la mariée se lever et rejoindre costume pèche, sans Kevin qui était resté assis à leur table. Cindy va nous interpréter une chanson qu'elle a choisi de dédier à sa soeur, Elisabeth..."

Sasha jeta un regard catastrophé à Andrew. Cindy avait perdu sa soeur ainée quand ils étaient encore à Poudlard. Un véritable drame, sur fond de crime politique et de relation adultérine avec un de ses professeurs d'université. Cindy avait bien sûr été complètement bouleversée et ne s'était jamais réellement remise de cette perte. Il semblait évident qu'elle veuille rendre hommage à sa soeur lors de son mariage, et l'idée était très belle. Mais Sasha avait partagé le dortoir de Cindy pendant sept ans. Elle l'avait trop souvent entendu chanter sous la douche pour ne pas savoir qu'ils s'apprêtaient à subir un interlude musical particulièrement pénible.

Se détachant légèrement des lèvres de Sasha, Andrew laissa ses pupilles accrocher les siennes une seconde. Un léger sourire s’imprima sur ses lèvres.

- Si ça te rassure de le penser...

Ce qu’ils n’avaient pas prévu en revanche, c’était que le buffet d’entrée serait quasiment dévalisé à leur arrivée. Il ne restait plus grand chose d’appétissant, si ce n’est quelques crudités dans le fond d’éclectiques bols en porcelaine. Il déposa dans son assiette une tranche de jambon blanc solitaire, qui fut bientôt rejointe par le spongieux sandwich au concombre. Le pain de mie mollasson vint répandre un peu de jus dans son assiette et Andrew ne put retenir une grimace.

- T’es trop généreuse, cingla-t-il.

Le sandwich était encore dans son assiette lorsque les discours commencèrent. Il avait mangé la tranche de jambon et trois radis mais ne parvenait pas à se décider à attaquer la bête, dont le liquide verdâtre s’épanchait un peu partout. Heureusement, songea-t-il, en entendant l’incroyable discours de Costume-Pêche : il l’aurait avalé de travers (sûrement à la mention de « cette bonnasse de Miss Keileigh en bas du village »), le pain de mie aurait collé à sa trachée et il serait mort là, dans cette salle municipale du Wessex, où les cousins de Kevin n’auraient sûrement pas manqué de prendre un selfie avec son corps, histoire de percer sur les réseaux. Quand Costume Pêche rendit la parole, Andrew frappa deux fois dans ses mains pour faire bonne mesure, son regard curieux observant les réactions des parents des mariés. Ils n’avaient pas l’air tellement ravis de ce qui venait d’être dit ; le père de Cindy avait les sourcils froncés, les bras croisés sur son torse, un peu étriqué dans son costume clair.

- Puis je vais laisser la parole à la plus vieille pote de Cindy, Sarah. Sarah, vas-y, viens ! Tout le monde applaudit Sarah Benson !

Une fois n’était pas coutume, Andrew comprit avant Sasha : c’était elle qui était appelée. Il ne put s’empêcher d’avoir un sourire moqueur, en commençant à applaudir pour l’encourager.

- Ouais, vas-y Sarah, je sais le temps que tu as passé à écrire ton discours...

Ce n’était pas très gracieux de sa part mais l’occasion était belle. Il leva les pouces en l’air à destination de son amie alors qu’elle lui adressait un regard meurtrier. Elle allait très bien s’en sortir, il le savait. Elle était douée pour improviser et pour s’exprimer en public, c’était une politicienne dans l’âme. Elle referma ses doigts sur le micro, remerciant les mariés pour cette belle soirée. Pour être tout à fait honnête, Andrew s’attendait à une belle performance de sa part. Il pensait qu’elle allait prononcer quelques lieux communs sur le mariage et le destin, dire à quel point Kevin et Cindy étaient assortis... Mais les mots que prononcèrent Sasha étaient sincères, il la connaissait assez pour le sentir. Il est vrai que Cindy et elle se connaissaient depuis des années, il les revoyait encore en première année, Cindy avec ses couettes retenues par ses fameux chouchou roses. Elles étaient à côté dans toutes les classes qu’elles pouvaient partager. D’ailleurs, le jour où il avait rencontré Sasha était le jour où Cindy - pour la première fois depuis le début de l’année - ne l’avait pas accompagnée en sortant de classe. Elle s’était blessée au cours de vol. Sasha était remontée du parc le nez plongé dans la Gazette du sorcier et avait percuté Henry Hallchurch de plein fouet, qui était parti drapé dans son honneur. C’était la première fois qu’ils avaient discuté tous les deux. Il ne savait plus vraiment comment, mais ils en étaient venus à faire un concours d’élastique : elle l’avait battu, il s’était foulé la cheville, elle l’avait accompagné à l’infirmerie, l’avait traité d’idiot de Gryffondor. Il avait trouvé qu’elle était la fille la plus intelligente qu’il ait jamais rencontrée. Il se rappelait avoir trouvé cool qu’ils aient sept ans à passer ensemble... Et ils étaient désormais dix-huit ans plus tard. Elle chercha son regard et il lui sourit.

Elle continua en expliquant que Cindy était une très belle personne, ce qui était vrai. Elle était d’une profonde gentillesse, elle était toujours prête à faire passer le bonheur des autres avant le sien. Elle était attentive, douce, jamais rancunière. Sasha n’était pas toujours très patiente avec elle et pourtant, elle ne lui avait jamais reproché. Elle était restée à ses côtés tout au long de la sixième année, quand toute l’école était horrible avec elle. Elle avait été dans les premières à être au courant de leur relation et n’avait eu que pour eux des mots gentils. Penser à cela fit culpabiliser un peu Andrew d’avoir eu de mauvaises pensées envers son sandwich au concombre. Cindy avait sûrement mis beaucoup d’amour dans ce jour, elle l’avait sûrement pensé pour que tout le monde soit bien et en profite. Elle les avait invité alors qu’ils ne s’étaient pas vus depuis des années. Elle gagnait moins bien sa vie qu’eux, alors c’était un mariage différent de ceux qu’ils avaient l’habitude de fréquenter mais ce n’était pas une raison pour être méprisants comme ils avaient pu l’être un peu plus tôt. Il se promit à lui-même de corriger son attitude, même si le plat de résistance était composé intégralement de sandwiches au concombre. Il applaudit Sasha avec les autres lorsqu’elle conclut en souhaitant aux mariés beaucoup de bonheur et la suivit du regard alors qu’elle revenait s’assoir sur sa chaise, déclarant qu’elle ne ferait pas de discours à son mariage.

- Alors je n’avais pas l’intention de te le demander - il n’était pas certain que cela plaise à sa future épouse, qui qu’elle soit - mais c’était plutôt un bon discours. Il fit mine d’être surpris. Aurais-tu finalement le coeur tout tendre, Sarah Benson... ? Un instant de silence. J’arrête avec cette vanne par contre, c’est le prénom de ma mère, c’est chelou.

Costume-Pêche, qui se plaisait visiblement dans son rôle de DJ amateur, en profita pour lancer un nouveau discours, et pas n’importe lequel, celui de la mariée. Ou plutôt qu’un discours, c’était une performance de Cindy en l’honneur de sa soeur décédée, Elisabeth. Sans pouvoir s’en empêcher, il rendit son regard catastrophé à Sasha. Qu’on se le dise : cette histoire était tout bonnement horrible. La soeur aînée de Cindy était morte quand ils étaient en cinquième année, dans une sordide histoire d’adultère avec un homme marié. Leur camarade de classe l’avait évidemment très mal vécu, elle avait été absente de l’école pendant de longues semaines. À leur remise de diplôme, elle portait autour du cou un médaillon avec une photographie de sa soeur. Mais le souci était que Cindy était une horrible chanteuse. Elle aimait beaucoup cela, elle chantonnait souvent à voix basse mais il l’avait déjà entendue à voix haute et c’était... quelque chose.

- Merci Bryan, lança Cindy, qui s’était approchée de la table du DJ dans son épaisse robe blanche. Ah, Costume-Pêche avait donc un véritable prénom. J’aurais aimé que Elisabeth soit avec nous ce soir... Elle était déjà émue, ses yeux étaient rouges et Andrew en eut un pincement au coeur. Mais je vais essayer de lui rendre hommage avec cette chanson qu’on aimait beaucoup toutes les deux...

La musique se lança et il mit quelques secondes à l’identifier.

- Oh non, murmura-t-il à Sasha, s’enfonçant dans sa chaise en prévision de ce qui allait se passer.
- If I should stay, I would only be in your way so I'll go, but I know I'll think of you every step of the way...

Il aurait dû être ému. C’était triste. C’était une chanson triste. Le contexte était très triste.

- And AAAAAÎEAAAAAAÎE will always love youUuuUuuu, chevrotait la voix de Cindy.

Ne pas croiser le regard de Sasha, ne pas croiser le regard de Sasha...

- Bittersweet memories, that is all I'm taking with mEeeeEEEEeeeee, so goodbÂIE, please don't cRyyYYY...

Il était désormais tellement bas sur sa chaise que ses pieds touchaient presque ceux de leur voisine au chapeau étrange.

- AAAAAAND AAAAAAAAAAAAAAAAAIE WIIIIIIIIIIIILL alwaaaaaaaays love YOUUHOUHOUHOUHOU.

La voix de Cindy se brisa sur cette note, déclenchant un larsen dans le micro. Ce fut là qu’Andrew eut un très mauvais réflexe : ses yeux rencontrèrent ceux de Sasha et l’envie de rire le saisit violemment. Il enfouit son visage dans ses ses mains, ses épaules luttant pour contenir son fou-rire. C’était nerveux. C’était parfaitement nerveux.

- AAAAAND IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII....IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII

"Bien sûr que non, j’ai simplement appris à imiter les émotions des humains , répondit Sasha avec un sourire en coin quand Andrew l’accusa de cacher un cœur tendre. Ils savaient tous les deux que c’était faux. Elle n’était pas une grande sentimentale et, même quand ils étaient ensemble, il avait toujours été plus romantique qu’elle. Oui, laissons Sarah en dehors de ça !"

Elle aimait beaucoup la mère d’Andrew, qui avait toujours été très gentille avec elle, même après sa séparation avec son fils. Les deux amis n’eurent pas le temps de s’appesantir plus longuement sur ce discours brillamment mené par Miss Sarah Benson, puisque costume-pêche -dont ils apprirent à cette occasion qu’il s’appelait Bryan- annonça une nouvelle prise de parole. Ou plutôt une chanson, qui serait interprétée par Cindy. En hommage à sa grande-sœur décédée.

Andrew lui renvoya son regard catastrophé et Sasha parcourut rapidement la salle du regard. La mère de Cindy avait déjà fondu en larmes et son père, les yeux humides, lui caressait doucement le dos. Plusieurs des invités commencèrent à sangloter avant même que la musique ne démarre. Les premières notes retentirent quand Cindy prononça les premiers mots de la chanson et Sasha ferma brièvement les yeux pour se préparer mentalement. Ils allaient assister à un massacre.

Quand elle les rouvrit, Andrew avait presque disparu sous la table et elle s’efforça de ne pas croiser son regard. C’était un moment très solennel. On n’entendait que la voix chevrotante de Cindy, la musique, et les reniflements de certains invités. C’était très émouvant. Pourtant elle savait qu’à la seconde ou ses yeux croiseraient ceux d’Andrew, elle ne pourrait pas se retenir de rire. Ce n’était pas qu’elle trouvait la situation amusante -elle n’avait pas le cœur tendre, mais elle avait un cœur, quand même !- c’était parfaitement nerveux. Un moyen d’évacuer le stress de la situation.

La même chose leur était déjà arrivé, en cours de potions, en septième année. C’était la seule fois de toute sa scolarité où Sasha avait été exclue de cours. Elle était en binôme avec Andrew. Ils avaient commencé à rire, elle ne savait même plus pourquoi, et ils avaient été incapables de s’arrêter. Rien n’y faisait, ni le sujet très sérieux de la leçon qui portait sur le filtre de mort-vivante, ni les menaces de leur professeur. Elle avait l’impression de revivre cette situation aujourd’hui.

Elle vit Andrew s’affaisser sur la table et cacher sa tête entre ses bras. Elle savait très bien qu’il riait, mais on aurait presque pu croire qu’il pleurait. Elle lui tapota gentiment l’épaule pour ajouter un peu de crédibilité à la scène, consciente que ce geste ne l’aiderait certainement pas à retrouver son sérieux. Elle dut pincer très fort les lèvres pour s’empêcher de rire elle aussi, au point de s’en faire monter les larmes aux yeux. Sa voisine au chapeau volumineux lui tendit un mouchoir qu’elle refusa en secouant négativement la tête, incapable d’ouvrir la bouche sans exploser.

"And I wish to yoOuUu joOOoOy and happineEEess…"

Dans une vaine tentative de retrouver un peu son sérieux, Sasha porta son regard au loin, cherchant un détail insignifiant sur lequel se concentrer. Ses yeux se posèrent alors sur costume-pêche, qui avait sorti sa baguette de sa poche et avait fait jaillir une petite flame à l’extrémité. Il l’agitait désormais au-dessus de sa tête au rythme de la musique, et fut bientôt imité par les autres personnes de sa table.

"…but above all this I wish yoOOOuuUUu loOooOOove…"

Sasha oublia instantanément toute envie de rire et observa avec effroi la flamme produite par la baguette de Bryan, qui se balançait à quelques centimètres seulement des décorations en papier crépon suspendues au plafond. Elle parvint à capter l’attention de costume-pêche à force de le regarder fixement et lui fit des yeux ronds en pointant sa baguette du doigt. Cet imbécile sembla croire qu’elle le désignait lui et dirigea son propre index sur sa poitrine, l’air interrogateur. Sasha leva les yeux au ciel et pointa le plafond avec insistance. Le doigt de Bryan passa de son torse à Sasha, puis au plafond, et il lui adressa un sourire bizarre que Sasha mit trop de temps à reconnaitre comme une tentative de séduction. Les chambres des invités étaient à l’étage. Il n’avait pas du tout compris son message.

"…and IiiiiïïiaïeIIIIi will alwaaAAaaaAys love yooooOOOooUUUuuuU
- Oh non..." souffla Sasha

Et son désespoir n’avait rien à voir avec le dernier refrain de la chanson, que Cindy venait d’entamer, à bout de souffle et le visage baigné de larmes. La baguette de Kevin venait d’enflammer un serpentin de papier crépon rose, qui se consuma à une vitesse folle. Le plafond était entièrement recouvert de décorations en papier, le feu aurait eu plus de mal à se propager si le mariage avait eu lieu dans une boite d’allumettes.

Sasha tira sa baguette de sa poche et hésita une seconde. Cindy était au beau milieu du dernier refrain et tout le monde avait les yeux rivés sur elle. Devait-elle attendre la fin de la chanson par respect pour la mariée et sa défunte sœur, au risque de voir la salle partir en fumée ? Ou éteindre le feu tout de suite mais ruiner la fin de la chanson ?

Préférant ne pas assumer seule la lourde responsabilité de cette décision, elle frappa frénétiquement le bras d’Andrew pour le forcer à relever la tête et lui pointa les décorations qui commençaient à flamber.

Andrew s’était enfoncé de toute sa longueur sur sa chaise, la tête dissimulée par ses bras. C’était très bien comme cela, il se fermait à l’extérieur et pouvait se concentrer. Se concentrer sur la chagrin, car la mort de la soeur de Cindy était un véritable drame. C’était arrivé tellement brutalement, au cours de leur cinquième année. Un beau midi, Cindy n’était plus à la table des Serpentard et la nouvelle avait fait la tour de l’école en quelques minutes. La presse s’était chargée des détails sordides. Pour ceux qui connaissaient et appréciaient Cindy, cela avait été un coup de massue. Elle parlait toujours avec beaucoup d’enthousiasme de son aînée, c’était son modèle. Elle était revenue plusieurs semaines après à l’école, plus éteinte. Elle avait mis plusieurs mois à retrouver un peu de couleurs et de sourires. Elle aurait sûrement été très heureuse de partager ce jour-là avec sa soeur, qui aurait sûrement raconté plein de choses sur leur enfance, peut-être qu’ils auraient eu l’histoire originelle du chouchou rose. C’était à cela que Andrew pensait et c’était sur cela qu’il se concentrait, plutôt que sur la chanson dont chaque note causait un petit larsen dans les enceintes de la salle et plutôt que sur Sasha, qu’il sentait sur le point de rire nerveusement à côté de lui.

Il avait malheureusement le rire nerveux aussi lorsqu’il était tendu. Quelques années auparavant, son cousin Jacob et lui avaient eu un fou-rire terrible aux obsèques de leur grande-tante, quand le minuscule Yorkshire aveugle de leur grand-mère était tombé dans le trou qui avait été creusé pour accueillir le cercueil. Le mage de cérémonie était en train de parler du dernier grand-voyage de Mòrag Fraser quand ils avaient aperçu du coin de l’oeil Kiki, le petit chien, avec son minuscule chouchou tartan qui lui retenait trois poils sur le crâne, avancer d’un pas incertain aux pieds de leur grand-mère. La pauvre bête ne voyait plus rien à cause de la cataracte et sa maîtresse était trop occupée à essuyer ses yeux humides pour le remarquer. Ça n’avait pas manqué : Kiki avait basculé dans la fosse dans un aboiement de désespoir, Mamie avait crié, tout le monde s’était levé d’un coup, son père avait dû faire léviter Kiki... Jacob et Andrew avait grandement peiné à s’en remettre, même les coups de parapluie que leur avait donné mamie n’avaient pas suffit à apaiser leur fou-rire.

Il y avait quelques occurrences comme ça, dans sa vie, un cours de potion en septième année avec Sasha où ils avaient fini par être exclus de cours parce qu’ils en pleuraient de rire, une conférence de presse assez mémorable où Pablo lui avait raconté des bêtises à l’oreille, jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus (cela finissait régulièrement dans des compilations Youtube), une remise de trophée à laquelle il assistait en tant que spectateur, un jour où il était particulièrement fatigué et où la sculpture de glace censée représenter une batte de Quidditch avait une forme très équivoque (c’était Marissa, l’une de ses coéquipières alors, qui le lui avait fait remarquer.) Quoiqu’il en soit, il était bien décidé à ne pas ajouter le mariage de Cindy à cette infameuse liste.

- And I wish to yoOuUu joOOoOy and happineEEess…

Il sentit la main de Sasha lui tapoter l’épaule et il secoua la tête. Elle voulait le déconcentrer pour l’attirer dans une pente glissante, il le savait, il la connaissait et il résisterait. C’était triste, il était triste et pas du tout en train d’écouter ces notes.

- But above all this I wish yoOOOuuUUu loOooOOove…

Aimee disait toujours que c’était une chanson assez difficile à avoir, que c’était toujours déconseillé de s’y lancer en tant que débutant... Il ne l’avait jamais remise en question, excellente musicienne et chanteuse qu’elle était, mais il réalisait à cet instant à quel point elle avait raison.

- LOoooooOOOOOoooooooOOOOOOOooooooooOOOOOOOOooooooooOOOOOOve...

C’était une chanson longue, aussi. Il sentit Sasha tapoter frénétiquement son bras et refusa un instant de lever les yeux. Il céda, devant son insistance, se redressant légèrement pour tourner la tête vers elle.

- Ch... commença-t-il à dire avant de réaliser que le plafond était en train de prendre feu.

Les petits cotillons installés par Cindy se consumaient à une vitesse folle, les flammes se pourléchant entre elles.

- Oh merde, jura-t-il à voix haute, faisant tourner les têtes de l’oncle Gérald et de la vieille tante. Il repoussa sa chaise d’un coup, ce qui attira l’attention de la table derrière eux.

Ce fut assez pour que d’autres personnes remarquent le plafond et un premier cri retentit derrière eux.

- LE FEU !
- WOUPWOUP, ouais Cindy, tu mets le feu ! confirma Bryan en levant les bras en l’air comme dans une discothèque.

Il avait des flammes qui sortaient de sa baguette.

- Mais non, le feu, le vrai feu, abruti, s’emporta une des cousines. Décale-toi, Cindy !

Plusieurs jets d’eau venaient d’être propulsés vers le plafond. Si la mariée en fut abritée, ce ne fut pas le cas de Bryan, qui se retrouva trempé. Tout s’enchaîna très vite dans une sacrée cacophonie. Les gens se précipitèrent pour ouvrir les fenêtres et portes vitrées de la salle, tandis que les parents de Cindy l’entouraient, lui assurant que sa chanson était magnifique.

- T’es con Bryan, hein, répétait la cousine en lui balançant des serviettes en papier au visage pour qu’il s’essuie. T’es con hein, t’es pas la baguette la plus solide de la boutique, hein, t’es pas le chaudron qui bouillonne le plus fort !
- J’ai pas fait exprès ! se défendait-il.
- Encore heureux !

Andrew observa la scène quelques secondes avant de se tourner vers Sasha.

- J’ai presque de la peine pour Bryan, maintenant.

Le brusque mouvement de recul d’Andrew eut le mérite d’attirer l’attention des personnes de leur table et des tables voisines, qui s’alarmèrent à la vue des flammes qui léchaient le plafond de cotillons. Quelques secondes plus tard, plusieurs jets d’eau vinrent éteindre le début d’incendie, arrosant l’endroit où se tenait la mariée un instant plus tôt. Cette dernière se faisait réconforter par ses parents suite à son émouvante prestation, ce qui permit à l’une de ses demoiselle d’honneur de réprimander copieusement le responsable de cet incident. Le pauvre Bryan était complètement trempé en prenait pour son grade, tellement qu’Andrew avoua avoir presque de la peine pour lui.

“De la peine que des guirlandes enflammées ne lui soient pas tombées dessus ? répliqua Sasha avec un sourire mauvais. Moi aussi.”

Les invités qui s’étaient levés reprenaient doucement leurs places, mais certains toussaient à cause de la fumée et d’autres constatèrent que leurs assiettes étaient remplies d’un mélange de cendres et de papier crépon mouillé.

“On va laisser aérer un petit peu la salle, intervint la mère de Cindy en haussant la voix pour se faire entendre. Tout le monde dehors, aller oust ! Elle chassa à grands gestes les invités les plus proches en direction de la porte qui menait à l’extérieur. Vous n’avez qu’à faire le lancer de bouquet maintenant, ajouta-t-elle à l’attention de sa fille.
- Le bouquet ! Le bouquet ! Le bouquet !” commencèrent à scander les garçons en costume pêche, mené par Bryan qui s’était déjà remis de sa précédente bêtise.

Les invités se pressèrent à l’extérieur, ravis de quitter l’atsmophère enfumée de la salle. Sasha se tint volontairement à l’écart de l’attroupement qui se formait autours de la mariée, majoritairement composé de jeunes femmes. Au plus loin elle se trouvait du bouquet, au mieux elle se portait.

"Allez messieurs, on n’hésite pas à participer aussi ! Costume-pêche circulait entre les invités pour encourager un maximum de monde à se prêter au jeu. On n’est pas sexiste ici ! Qui veut être le prochain à se marier ?"

Sasha avait trouvé le “jeu de la baguette” plutôt sexiste, mais soit, l’intervention de Bryan lui donnait une bonne occasion de se moquer gentiment de son meilleur-ami.

"Vas-y, je te regarde, lança-t-elle en observant Cindy, qui faisait mine de s’échauffer comme si elle s’apprêtait à tenter un record de développé-couché, ce qui faisait beaucoup rire ses demoiselles d’honneur. Face à une star du Quidditch les cousines en robe rose n’ont aucune chance, ajouta-t-elle. Tu pourras leur offrir ton épaule pour pleurer… "

Ravir le bouquet à une demoiselle d’honneur puis le lui offrir était certainement une manière très efficace de ne pas finir la soirée seul, et peut-être de se retrouver ici dans deux ou trois ans pour épouser ladite demoiselle d’honneur. Elle espérait toutefois qu’Andrew ne saisirait pas cette opportunité car elle avait plutôt envie d’être celle avec qui il finirait la soirée -mais qu’il n’épouserait pas ici dans trois ans. Evidement, elle ne lui en voudrait pas s’il préférait donner sa chance à une potentielle petite-amie plutôt que de passer la nuit avec elle. Elle ne pouvait pas le priver d’une potentielle histoire d’amour ! Priorité aux vraies conquêtes !

Enfin, si, elle lui en voudrait mais elle lui suggérerait plusieurs cadeaux très onéreux pour se faire pardonner. Elle devait admettre qu’Andrew avait presque toujours été un ami admirable sur ce point. Quand ils étaient tous les deux, il restait généralement avec elle même quand il avait la possibilité de conclure avec une fille bien plus jolie et plus disponible -ce qui était très souvent le cas. Elle espérait que cette soirée ne dérogerait pas à la règle.

"Tu te dégonfles ou ça y est, tu es finalement dégouté par le mariage ?" demanda-t-elle avec un sourire amusé en constatant qu’Andrew était toujours à côté d’elle.

Si le sandwich au concombre, le jeu de la baguette et le discours de Bryan n’avaient pas suffi à le dégouter du mariage, rien ne le ferait. Il était définitivement fichu. Une cause perdue. Un romantique désespéré.

Sasha n’était pas complètement contre l’idée du mariage, mais elle se savait incapable de s’épanouir dans un schéma familiale classique. Elle tenait trop à son indépendance pour s’enfermer dans un couple traditionnel. Elle n’était pas contre le fait d’avoir quelqu’un d’important dans sa vie, avec qui partager le quotidien, mais elle ne s’imaginait pas jurer fidélité à une seule personne. Elle serait peut-être capable d’être fidèle sur le plan romantique, si elle parvenait un jour à trouver une personne dont elle accepterait de se faire aimer, mais surement pas sur le plan sexuel, sur lequel elle tenait à sa liberté. Pas de bouquet pour elle, donc.

Andrew eut un rire lorsque Sasha fit mine de regretter (il espérait en tout cas qu’elle faisait mine) que des guirlandes enflammées ne soient pas tombées sur Bryan, qui se faisait justement très enguirlander par sa cousine. Une odeur âcre de fumée avait envahi la pièce et le ciel de crépon autrefois uniforme était désormais troué par endroit. C’était un miracle que tout ne se soit pas enflammé d’un coup (et que Cindy n’ait pas été arrosée par les multiples sortilèges qui avaient été lancés). Certaines personnes toussaient à cause de la cendre et de l’odeur, aussi les portes fenêtres de la salle furent-elle ouvertes alors que la mère de la mariée les invitait à aller prendre l’air. Personne ne se fit prier : dans des raclements de chaise, tous les invités se dirigèrent vers le parvis, Andrew et Sasha y compris.

Il y avait une pelouse assez grande sur le devant et quelques chaises en fer forgé avaient été réparties à intervalles régulières pour permettre aux invités de s’assoir pendant la soirée dansante, sûrement. Heureux d’être libérés, des enfants couraient entre les adultes, tandis qu’un petit garçon s’époumonait qu’ils devraient jouer à « Niffleur et pièces d'or » (quelqu’un faisait le Niffleur tandis que les autres allaient se cacher. Le Niffleur devait retrouver toutes les pièces d’or pour gagner. C’était un très bon jeu quand on avait six ans, ou bien quand on était bourré. Il avait testé les deux.) C’était une jolie soirée d’été indien, le temps était doux et la lumière déclinait doucement sur les collines aux alentours alors qu’un attroupement se formait autour de Cindy pour le fameux lancé de bouquet, principalement des jeunes femmes (et la tante au chapeau qui était à leur table) malgré les garçons d’honneur qui incitaient les hommes à participer également. La mariée faisait mine de s’échauffer sous les rires et le spectacle tira également un sourire à Andrew. La petite phrase de Sasha, qui l’invita à aller participer, lui fit légèrement secouer la tête.

- J’aurais bien voulu mais tu sais, les ligaments croisés là...

Elle ajouta qu’il pourrait subtiliser le bouquet à une demoiselle d’honneur pour ensuite lui offrir son épaule pour pleurer et il songea que Baen aurait pu avoir la même idée de plan foireux pour pécho. Aucune femme n’avait attiré son regard dans le mariage, peut-être parce qu’il n’avait pas vraiment cherché. Il était avec Sasha ce soir, ils avaient prévu de passer la soirée tous les deux et en ce moment, il n’était pas vraiment à la recherche de quelqu’un de nouveau. Il se sentait bien dans sa vie telle qu’elle était, avec les personnes qu’il connaissait déjà.

- Tu as l’air d’avoir bien réfléchi à ton plan, dis donc... commenta-t-il avec un sourire en coin. Fantasme de ta part ?

Bryan lui, en tout cas, semblait déterminé. Il s’était placé derrière les demoiselles d’honneur et s’étirait les bras, tapant dans ses mains avec enthousiasme et sautant sur place. Plusieurs fille s’écartèrent de lui.

- Alleeeeez, alleeeeez, lançait Costume-Pêche. Tout les célibataires s’y mettent, allez !

Andrew tenta de se faire tout petit malgré son mètre quatre-vint-dix, ce que Sasha remarqua.

- Je ne suis pas dégoûté par le mariage mais je n’ai pas forcément envie d’être le prochain à me marier. Je pourrai être le... prochain du prochain du prochain du prochain.

Quand il serait heureux avec la bonne personne. Il avait pensé à se marier, voilà quelques années. Avec Aimee. C’était quelque chose qu’il avait sérieusement envisagé. Il se voyait faire sa vie avec elle, il l’aimait profondément et elle l’aimait tout aussi fort. Mais ils étaient jeunes, ils avaient le temps... Puis les choses avaient changé et ils s’étaient séparés. Des fois, il y repensait, se demandait ce que sa vie avait été s’il avait fait ce choix-là. Il essayait de ne pas trop emprunter ce chemin et il se garda bien d’ailleurs d’en parler à Sasha.

- Mais toi, vas-y tiens. Honneur aux dames après tout...

Il glissa son bras autour de ses épaules.

- À ton grand-âge, Sasha, tu sais...

"Tu as l’air d’avoir bien réfléchi à ton plan, dis donc... Fantasme de ta part ?
- Bien sûr, tu sais que mon plus grand fantasme a toujours été d’être demandée en mariage par un beau et célèbre joueur de Quidditch pour devenir une femme-trophée et lui faire plein de bébés. Elle avait eu du mal à prononcer cette phrase sans avoir de haut-le-coeur. Dommage que je n’en connaisse aucun…"

Elle ne critiquait pas les femmes dont c’était effectivement le rêve -du moins, pas à voix haute et pas devant elles- mais ce n’était absolument pas la vie qu’elle souhaitait mener. Elle était restée célibataire depuis sa séparation avec Andrew, il y a plus de dix ans, et elle tenait trop à son indépendance et à sa liberté pour s’enfermer dans un mariage traditionnel. Et, même s’il en ignorait les détails pour son propre bien, Andrew savait très bien que ses fantasmes n’avaient rien à voir avec ça.

Son meilleur-ami, au contraire, était quelqu’un qui s’épanouissait dans ce type de schéma, ce qui la poussa à l’encourager à participer au lancé de bouquet. A bien y réfléchir, il était même assez étonnant qu’il ne soit pas déjà marié. De nombreux joueurs de Quidditch à peine plus âgé que lui avaient déjà un ou deux divorces à leur actif. Sasha s’était attendue à ce qu’il démente le fait qu’il puisse être dégouté du mariage -d’eux deux, il était de loin celui qui révait le plus d’un mariage en blanc- mais il lui apporta une réponse un peu plus en nuances. Il n’était pas dégouté, mais il n’était pas prêt non plus.

"Andrew Dubois, aurais-tu pris goût au célibat ?" son froncement de sourcils sévères était contredit par un sourire en coin.

Elle était consciente que cela changerait certainement dès qu’il retomberait amoureux, mais elle comptait en profiter en attendant. TRès égoïstementn elle préferait quand son ami était célibataire. Elle avait eu l’’impression que ses dernières copines ne l’aimaient pas beaucoup, comme si elles soupçonnaient quelque chose entre eux. Ce en quoi elles n’auraient pas eu entièreme,t tort, même si à sa connaissance Andrew n’avait jamais trompé une de ses petites-amies. Pas avec elle en tout cas. Même sans tromperie, il n’était pas évident de se faire accepter quand on était à la fois l’ex-copine et la meilleure-amie. Elle avait conscience d’être facile à détester. Alors malgré elle, elle avait tendance à s’éloigner un peu d’Andrew quand il était en couple. Elle espérait que ke jour où il trouverait celle qu’il voudrait épouser, elle réussirait à se faire accepter.

Elle leva un regard surpris vers l’ancien Gryffondor quand il passa un bras autour de ses épaules et fit un commentaire sur son âge. Ils avaient quelques mois d’écart, elle faisait partie des élèves les plus âgés de leur promotion, et Andrew des plus jeunes, mais pendant quatre mois par an, ils avaient le même âge, et ils se trouvaient justement à cette période de l’année.

"On a le même âge jusqu’en décembre, répliqua-t-elle. Et ne t’inquiète pas, j’aurais certainement trouvé la clé de l’immortalité avant de devenir une vieille fille."

C’était très peu probable. Premièrement parce que ses recherches aux Mystères ne portaient pas sur l’immortalité. Deuxièmement parce qu’elle avait bien l’intention de devenir une vieille fille. C’était un destin qui lui paraissait bien plus enviable que celui de femme trophée. Elle avait déjà le célibat et le mauvais caractère, il ne lui restait plus qu’à adopter un nombre déraisonnable de chat et à se promener en pantoufles pour parfaire le cliché.

Sasha répondit à sa plaisanterie ironique avec beaucoup de sarcasme et il secoua légèrement la tête avec un sourire. Il savait très bien qu’elle était loin de rêver de palissades blanches et de mariage, voire même de rêver de relation de couple. Elle lui en avait fait une très belle démonstration voilà dix ans et ne semblait pas avoir changé d’avis depuis, en tout cas, pas à sa connaissance. Il était prêt à parier que même si elle venait à rencontrer quelqu’un de façon sérieuse, il ne serait pas près de l’apprendre.

- Ça tombe bien, parce que moi j’en connais, renchérit-il. Est-ce que je t’ai déjà parlé de mon coéquipier Juan Perez ? Certes, il ne t’aimera pas plus qu’il ne s’aime lui, sa mère et sa collection de balais mais quatrième place ça n’est pas si mal...

« Le quatrième, le premier des perdants » comme l’avait un jour dit l’entraîneur des gardiens chez les Catapultes. Marcus Flint, le sélectionneur, s’était tourné vers lui avec un regard sombre et avait déclaré que le premier des perdants, c’était justement celui qui n’était pas le premier. Il savait également que jamais Sasha n’approcherait Juan, à part pour écraser son ego (et éventuellement nuire à sa collection de balai.) S’il devait l’imaginer dans une relation un jour, c’était avec quelqu’un d’aussi brillant qu’elle, d’aussi ambitieux, qu’elle aurait rencontré au travail, peut-être, ou dans ces séminaires internationaux prestigieux auxquels elle assistait. Le genre de couple où l’un était Directrice de Département et l’autre avocat international, ou politicien, ou businessman à succès et qui construisaient ensemble une vie à monter les échelons. Il était vrai que sur cela, ils étaient très différents. Il cherchait quelqu’un avec qui construire sa vie plus simplement, voyager beaucoup, avec qui fonder un famille, avoir un jour des enfants. Un jour. Lorsqu’elle lui demanda avec un sourire en coin s’il avait pris goût au célibat, il fit non de la tête.

- C’est pas ça, c’est juste que... Un peu mal à l’aise, il haussa légèrement les épaules. Je pensais que Aimee et moi, on finirait par... Bref. Et puis tu sais comment se sont terminées les relations que j’ai eues après...

Sa séparation avec Aimee, voilà à peine trois ans, l’avait complètement dévasté. Il avait rencontré Ashley à peine quelques semaines après et, aveuglé par les affres de chagrin, de colère et d’affliction qu’il traversait à ce moment-là, cela lui avait semblé être une bonne idée sur le moment. Désastre n’était même pas le bon mot pour qualifier cette relation qui n’avait même pas duré quatre mois. Par la suite, il s’était absorbé dans des liens anciens mais réconfortants, renouant sur ce plan avec Sasha, notamment, et avec Kat aussi. Il avait tenté une brève histoire en arrivant en Espagne, mais qui n’avait pas non plus duré plus de quelques semaines. À ce moment-là, il s’était dit qu’il avait juste raté sa chance, qu’il ne retrouverait jamais ce qu’il avait pu avoir avec Aimee et que cela ne servait à rien d’essayer. Il avait cultivé ces relations amicales pleines de tendresse, qui avaient au moins l’avantage de ne pas terminer dans les larmes et les cris. Il y a un an, il avait rencontré Anastasia à un gala. Elle était patineuse de haut niveau, ils partageaient le même amour du sport, de la compétition, ils avaient tout de suite accroché. Ils avaient tenu six mois. Elle vivait en Suisse, lui en Espagne, ils étaient tout le temps en déplacement. Leur histoire avait été rendue publique à leur insu ; les commentaires des fans d’Aimee qui étaient laissés sur le profil d’Ana avaient fait naître des tensions entre eux, en plus de celles qu’ils ressentaient dans d’autres domaines. Ils en étaient arrivés à la conclusion que même s’ils s'aimaient beaucoup, cela ne fonctionnait pas. Quand ils s’étaient séparés, Andrew en était arrivé à la conclusion que les relations de couple établies ne voulaient pas fonctionner pour lui à cette période de sa vie.

- En ce moment, je me dis juste que je suis bien comme ça, que j’ai trouvé un certain équilibre et qu’en plus, j’évite les ruptures.

Il avait des liens différents avec différentes personnes dans sa vie, Sasha en était un très bon exemple. Ils se voyaient de temps à autres, étaient toujours très amis, et passaient des moments agréables. Il était toujours content de la voir. Il fréquentait également régulièrement Maeva, avec qui tout se passait très bien. Ils avaient une discussion Pear très animée sur plein de choses, notamment les séries de télé-réalité un peu bêtes qu’il regardait ensemble. Il adorait les week-end qu’ils passaient ensemble, toutes les plaisanteries qui n’appartenaient à eux, les regards entendus qu’ils échangeaient lorsqu’ils entendaient quelque chose qui ne manquerait pas de les faire réagir plus tard. C’était simple, c’était doux, ils s’amusaient toujours beaucoup ensemble et c’était un lien qui était précieux à ses yeux. À Barcelone, il avait aussi rencontré Paloma via des amis communs. Elle était dans une relation libre avec son petit-ami et de temps à autres, ils sortaient ensemble. Ils avaient de longues discussions sur le couple, la monogamie, les relations amoureuses, elle avait toujours des anecdotes drôles sur tous les sujets et elle connaissait les meilleurs restaurants de la région.

- Mais ne t’en fais pas, je ne te priverai pas du plaisir de faire un discours humiliant à mon mariage, un jour, ajouta-t-il en lui faisant un grand sourire.

Un jour. Dans quelques années. Ils avaient le temps, ils étaient jeunes, Sasha un petit moins puisqu’ils avaient huit mois de différence, comme il le souligna avec malice. C’était de bonne guerre, elle ne s’en privait jamais dans l’autre sens.

- C’était peut-être ça aussi la motivation de Voldemort, tu me diras... répliqua-t-il lorsqu’elle affirma qu’elle aurait trouvé la recette de l’immortalité avant de finir vieille fille.

Certaines des demoiselles d’honneur semblaient en tout cas décidées à ne pas finir vieilles filles du tout, au vu de la détermination qui s’affichait sur leurs visages alors que Cindy balançait ses bras d’avant en arrière, préparant son lancer de bouquet. Costume-Pêche avait également retroussés ses manches, formant une mer de plis sur ses coudes.

- Vous êtes prêtes ? s’exclama Cindy.

Elle donna une dernière impulsion, balançant le bouquet derrière elle. Un tir puissant, qui aurait pu rapporter dix points si on avait été sur un terrain de Quidditch. Tellement puissant que les fleurs décrivirent un arc de cercle au dessus des demoiselles d'honneur - et Costume-Pêche - les dépassant largement. Il tournoyait, tournoyait, et redescendait à toute vitesse en direction des invités réunis à quelques pas.

1 - Le bouquet s’écrase sur le sol. Ça ne peut pas être de de bonne augure pour la vie sentimentale des célibataires présents.
2 - Costume-Pêche réalise le sprint de sa vie et se précipite pour attraper le bouquet. Victorieux, il en extrait une rose pour l’offrir à Sasha ( )
3 - Le bouquet se dirige droit sur Sasha. Si ce n’est pas le destin, ça.
4 - Le bouquet se dirige droit sur Andrew, qui le rattrape machinalement. Fichus réflexes.
5 - Une des demoiselles d’honneur, déterminée et efficace, pousse ses concurrentes pour venir récupérer le bouquet, bousculant Sasha et Andrew au passage. La victoire d’abord.
6 - Je n’ai plus d’idées donc ne disons pas six.