But if I just showed up at your party, would you have me ? [Sasha]

Sasha sourit et hocha la tête quand Andrew affirma qu’elle serait bien ici. C’était ce qu’elle pensait aussi, ou du moins ce dont elle voulait se persuader. Le Gryffondor se laissa tomber sur le canapé à côté d’elle et ils restèrent un instant ainsi, assis côte à côte, à contempler la ville qui s’offrait à eux. Sasha sentit un poids invisible s’ôter de sa poitrine et expira profondément, savourant ce moment de tranquillité. Si elle avait fermé les yeux, elle se serait certainement endormie. Elle ne s’était pas sentie aussi apaisée depuis longtemps. C’était un agréable mélange entre la promesse d’un nouveau départ dans cet appartement, et le retour à la normal de son amitié avec Andrew.

Ce dernier semblait lui aussi saisir la symbolique de cet instant puisqu’il reprit la parole pour la féliciter d’avoir su transformer en opportunité ce qui était au départ une chose plutôt horrible – l’affaire Sorden. Le regard de Sasha se perdit un instant sur l’horizon de Léopoldgrad alors que les mots du Gryffondor s’imprégnaient dans son esprit. Il avait raison, elle avait tiré le meilleur de ses mésaventures avec la Sorcière de Salem, mais elle était terriblement consciente que cet appartement n’était pas la seule chose qu’elle avait hérité de cette affaire.

Elle était différente, depuis. Elle s’était longtemps rassurée en se disant qu’elle avait juste gagné en maturité, et que le reste n’était que les conséquences passagères d’un traumatisme qu’elle n’avait pas encore surmonté. Elle savait aujourd’hui que c’était plus que ça. Elle était…bizarre, depuis cette affaire. Elle l’était peut-être déjà avant, mais elle constatait de plus en plus régulièrement qu’elle avait des pensées que la morale aurait condamné, des envies et des pulsions que ses camarades ne partageaient pas.

Pour l’instant, elle choisit de chasser ces préoccupations de son esprit et de se raccrocher au compliment d’Andrew, qui la trouvait résiliente. Elle avait envie de se persuader qu’elle était réellement cette version améliorée d’elle-même qu’il lui présentait.

"Merci, répondit-elle, les joues roses de plaisir, quand il affirma qu’il était fier d’elle. Et tu es résilient aussi, ajouta-t-elle en accrochant son regard. Je sais que tu mettras cet accident derrière toi et que tu en ressortiras plus fort."

Et même si c’était un cheminement qu’il devrait principalement faire seul, elle était prête à l’y aider autant qu’elle le pourrait. Elle hésita un instant à poser sa main sur la sienne pour lui témoigner son soutient mais se ravisa au dernier moment, et opta pour un sourire d’encouragements. Le souvenir de leur dernier échange, à la soirée de fin d’année, flottait encore entre eux et elle n’avait pas envie de le raviver et de gâcher le moment présent. Elle aurait voulu qu’il dure pour toujours.

« Merci » avait soufflé Andrew lorsque Sasha lui avait assuré qu’il mettrait vite cet accident derrière lui. À cet instant, alors que la lumière descendait lentement sur la ville de Leopoldgrad, il le pensait. Il remonterait vite sur un balai, il reprendrait vite les entraînements et tout cet évènement ne serait bientôt plus qu’un sombre souvenir.


Mardi 7 février 2012 - Poudlard

Les croyances optimistes d’Andrew s’étaient heurtées à la brutale réalité. Il avait survécu à cette chute mais la route devant lui était longue, bien plus longue qu’il ne le pensait. Il lui était interdit de remonter sur un balai pour le moment et les médicomages n’avaient aucune idée du moment où il pourrait le faire, s’il pouvait le faire un jour. Devant cette annonce, les Epouvantard s’étaient empressés de mettre fin à son contrat. Ils ne voulaient pas d’un poids mort comme lui, Andrew l’avait bien compris. Ils lui avaient préféré Blair, qui n’avait pas failli mourir sur le terrain quelques semaines auparavant. Blair, dont la figure déterminée apparaissait de temps en temps sur son fil d’actualité instamag, le plongeant systématiquement dans une colère bouillonnante, toujours suivie d’un profond abattement.

C’était ce sentiment qui était le plus présent dans son coeur. Les journées s’écoulaient avec lenteur, il passait des heures à contempler le plafond de sa chambre, ses pensées tournées sans cesse vers l’accident. Ses parents faisaient de leur mieux pour le distraire, ils passaient beaucoup de temps avec lui mais Andrew n’avait envie de rien. Il ne voulait pas sortir, il ne voulait pas se promener, il ne voulait pas parler. Il ne voulait pas regarder des matches à la télévision car cela ne lui évoquait que l’absence dans sa vie. Il ne voulait pas venir à Flaquemare avec son père car il avait l’impression de contempler un rêve qu’il n’aurait jamais. Il avait conscience que chaque semaine qui passait était une semaine qui l’éloignait un peu plus de ce dont il avait toujours rêvé. Il perdait en masse musculaire, il perdait en réflexe, il perdait. Il était en train de perdre. De perdre sa vie, de perdre ce dont il avait envie et ce constat le plongeait dans des abimes d’angoisse. Il sentait sa poitrine se serrer, son souffle lui échapper et les larmes humidifier ses yeux.

Sa rééducation était l’une des seules choses qui le poussait à sortir de chez lui. Trois fois par semaine, il se rendait au centre de rééducation de Sainte-Mangouste, dans la banlieue de Londres. Les kinémages l’aidaient à retrouver son sens de l’équilibre, de la force, du souffle, de l’endurance, de la souplesse au niveau des vertèbres qui avaient été « stabilisées » lors de son opération. Il s’investissait beaucoup dans le processus car il savait que cela serait indispensable s’il souhaitait un jour retourner à « l’avant. » Quand il avait cette pensée, il se disait systématiquement que la psychologue que ses parents le faisaient voir ne serait pas d’accord. Ils avaient eu une longue conversation là-dessus. Elle lui disait qu’on ne pouvait jamais retourner à « avant », qu’il ne pouvait que construire son « après », après que l’accident ait eu lieu. Il n’était pas vraiment d’accord. Évidemment que l’accident existait mais s’il travaillait suffisamment dire, il pourrait retrouver la même force physique et s’entraîner comme avant. Il remonterait sur un balai, retrouverait son niveau et peut-être même que les EDL voudraient le reprendre. Après tout, ils l’avaient choisi à la place de Blair, avant... Il se rapprochait à cet espoir pour mobiliser tout son courage d’y aller, à chaque séance.

S’il n’avait pas obtenu l’autorisation de reprendre le sport, ses efforts avaient fini par payer sur le plan du quotidien. Il ne sentait plus essoufflé quand il montait les escaliers chez son père, il pouvait rester debout plus longtemps, il n’avait plus besoin de faire systématiquement des siestes. Ses douleurs diminuaient au fur et à mesure, sa mère n’avait plus besoin de lui appliquer de baume sur les zones des os brisés. Son sommeil était toujours complexe, il avait encore des migraines, des difficultés à se concentrer mais il avait pu recommencer à regarder des épisodes de série en entier avec Doug sans en avoir la nausée. Il remangeait mieux et pour l’occasion, Amanda s’était mise à lui faire des pancakes chaque matin qu’il était chez eux. Il les mangeait toujours avec plaisir.

Toutes ces améliorations avaient poussé le docteur Minnick, qui le suivait, à parler de scolarisation. Il n’était pas revenu à Poudlard à la rentrée puisqu’il sortait tout juste de l’hôpital et cela lui manquait. Ses parents et beaux-parents étaient très présents, il pouvait passer du temps avec Grace et Oscar mais ce n’était pas pareil. Il voyait les stories de ses copains sur les réseaux sociaux et il avait envie d’être avec eux, même si c’était pour râler sur l’exercice qu’ils avaient à faire en potions. Son père était favorable, il disait que cela lui ferait du bien de retrouver son rythme normal, sa mère était plus hésitante. Il avait encore beaucoup de rééducation, au moins une séance par semaine, voire deux, il fatiguait encore, il souffrait encore des conséquences de son trauma crânien... C’était Andrew qui avait insisté, il avait besoin de reprendre le fil de sa vie : les médicomages étaient d’accord, Mrs Silvester serait là en cas de problèmes et il pouvait toujours aller à ses sessions de rééducation, ils s’arrangeaient pour les horaires, Amanda ou sa grand-mère pouvaient l’emmener... Sarah avait fini par capituler.

Ils étaient allés sur le Chemin de Traverse pour lui racheter des choses. Son trousseau était complet pourtant et son matériel attendait bien sagement dans sa malle mais sa mère disait que c’était pour prendre un bon nouveau départ. Ils avaient repris des pièces d’uniforme car il avait grandi en quelques semaines, de nouveau sweats-shirt, de nouveaux t-shirts. Elle lui avait acheté des ingrédients pour ses cours de potion, de nouvelles plumes, de nouveaux rouleaux de parchemin. Ils étaient passés devant la boutique de Quidditch et Andrew avait eu un mouvement inconscient pour entrer. Il y allait toujours. Sarah lui avait souri, comme pour l’encourager s’il en avait envie. Après tout, il lui manquait des choses : son gilet de protection avait été découpé par le professeur Londubat, son uniforme par les secours. Il avait hésité de longues secondes puis s’était ravisé. À quoi bon ? Il n’avait pas le droit de voler, de toute manière... Son humeur s’était assombrie pour le reste de la journée et il s’était emmuré dans le silence, des pensées tempétueuses l’agitant.

Il n’avait prévenu personne qu’il revenait à l’école. Il avait l’impression que cela allait tomber à l’eau, qu’il allait avoir un problème, un mauvais résultat d’analyse ou quelque chose comme cela. Que sa mère allait changer d’avis. Qu’il allait changer d’avis. Il n’avait presque pas dormi la veille. Sa malle était bouclée, ses affaires préparées sur sa chaise de bureau. Il avait regardé des vidéos avant de fermer les yeux vers quatre heures.

Son réveil matinal avait été difficile. Sa mère était venue lui caresser doucement la joue, en lui disant qu’il pouvait encore changer d’avis s’il le voulait. Il avait assuré que cela allait et lui avait souri pour la rassurer. Il avait ouvert les volets pour constater qu’il faisait encore nuit. C’était un mardi matin d’hiver et la brise glacée l’avait fait frissonner. Son uniforme l’attendait sagement. Andrew avait refermé les boutons de sa chemise blanche, ses doigts avaient noué sa cravate aux couleurs de Gryffondor, il avait enfilé son pull rouge. Son reflet dans le miroir lui avait fait presque étrange, mais il s’en était senti soulagé. Quand il était descendu pour prendre son petit-déjeuner, sa maman lui avait dit qu’il était tout beau comme ça et l’avait serré longuement contre lui. Il lui avait rendu son étreinte. Elle allait lui manquer aussi. Son père les avait rejoints un peu avant huit heures, désireux de l’accompagner lui aussi. Andrew avait dit au-revoir à son beau-père et son petit-frère, qu’il reverrait sûrement rapidement : il allait sortir de l’école pour sa rééducation.

Ils étaient chargés avec sa malle et ses deux sacs d’affaires aussi son père avait-il fait venir un taxi magique pour les emmener jusqu’à Pré-au-Lard. La silhouette terriblement familière du château avait fait naître chez Andrew un sentiment de joie et d’enthousiasme qu’il n’avait pas ressenti depuis longtemps. Mr Silvester les avaient aidés à décharger le tout et ils avaient fait léviter le tout le long de l’allée de l’école. Il était encore tôt et il faisait sombre, on voyait les chandeliers vaciller au travers des vitres givrées de l’école. Le concierge ne les avait pas fait passer par le hall principal, où des centaines d'élèves se pressaient dans la Grande Salle pour terminer leur petit-déjeuner mais avait plutôt choisi l’entrée par la tour de l’Horloge. Ils avaient croisé plusieurs groupes d’élèves plus jeunes qui s’étaient retournés sur lui, visiblement surpris de le voir. Plusieurs petits Gryffondor lui avaient néanmoins fait un grand sourire et des signes de la main très enthousiasmes, le saluant chaleureusement, ce qui l’avait rassuré un peu. Il était brusquement un peu nerveux.

C’était le professeur Londubat qui l’avait accueilli, dans son bureau à proximité de la Salle Commune. Il s’était levé quand ils avaient poussé le battant et l’avait accueilli à bras ouverts, venant poser ses paumes sur ses épaules.

- Bienvenue Andrew, je suis très content de te revoir. Tu as l’air en forme !

Il lui avait trouvé l’air presque soulagé. Rachel lui avait raconté que son enseignant lui avait dispensé les premiers soins sur le terrain et avait eu une mine assez terrible les jours suivants. Quand il l’avait évoqué avec son père, Olivier était resté silencieux un long instant, avant de déclarer : « Cela doit lui rappeler certains souvenirs de la Bataille. » Andrew savait que son père et le professeur Londubat avaient des expériences communes lors de cet évènement et il n’avait pas voulu approfondir le sujet.

- Ça va, avait-il répondu en faisant un léger sourire. Je suis très content de revenir.
- Tant mieux, on est tous très heureux de t’avoir ici. C’est très bien. J’ai averti le reste de tes enseignants de ton retour, on va prendre les choses au fur et à mesure, je sais que tu as raté des cours mais la priorité est que tu reprennes tes marques tranquillement.
- Il se fatigue encore très vite, s’était empressée de prévenir sa mère. Une journée de cours peut être très longue.
- Il n’y a aucun problème, tout le monde est au courant, Mrs Silvester est dans la boucle, on va vraiment adapter les choses au fur et à mesure...

La discussion entre ses parents et le professeur Londubat s’était poursuive encore une dizaine de minutes, ils avaient échangé sur sa santé, sur l’organisation de ses rendez-vous de suivi et de rééducation et sur celle de ses cours.

- Bon, et bien, je pense que nous avons tout dit pour le moment, avait fini par conclure son enseignant avec un sourire pour lui. Les elfes vont monter tes affaires dans ton dortoir et toi et bien... ton cours du mardi matin.
- Défense Contre les Forces du Mal, avait soufflé Andrew, content.
- Exactement, un peu en retard, avait concédé le professeur Londubat, mais je ne pense pas que le professeur Corrigan t’en tienne rigueur. On dira que c’est de ma faute sinon.

Ses parents l’avaient longuement serré dans ses bras. Sa mère la première, caressant son dos, déposant un long baiser sur sa joue avant de prendre son visage entre ses mains chaudes.

- Tu nous appelles s’il y a le moindre problème, lui avait-elle fait promettre, peu importe l’heure, d’accord ?
- Oui, promis.
- Et tu prends soin de toi, tu fais les choses doucement, il faut te laisser du temps d’accord ?
- Oui, promis.

Elle l’avait regardé dans les yeux avant de l’attirer de nouveau contre elle, frottant son dos.

- Tu vas me manquer, mon bébé, je t’aime.
- Je t’aime aussi, avait-il soufflé en la serrant fort en retour.

Son père l’avait aussi serré fort contre lui, avant de lui frotter les cheveux d’un air très sérieux.

- Pas de folies, mon grand, avait-il dit en le regardant avec intensité. Parce qu’on sera au courant.
- Après, vous ne voyez pas ce qui se passe dans l’école, avait-il répondu avec un sourire en coin, désireux d’alléger un peu le moment.

Son père n’avait rien perdu de son sérieux.

- Détrompe toi. J’ai mes sources sur tout.
- Tu veux dire que Susan espionne pour toi ?
- Entre autres.

Un petit sourire était né sur le visage d’Olivier, qui avait fini par déposer un baiser sur sa tempe.

- Allez, on se voit plus tard.

Ils avaient quitté le bureau du professeur Londubat avec un dernier signe de la main et Andrew les avait regardé s’éloigner avant que son enseignant ne lui fasse un petit signe de la main.

- On y va, tu es prêt ?

La cloche du premier cours avait sonné, aussi les couloirs étaient-ils vides. Andrew avait promené son regard sur les pierres familières, le pas brusquement un peu plus léger. Il avait vu passer au loin le fantôme du Moine Gras en pleine discussion avec le Baron Sanglant, le bruit familier des escaliers mobiles résonnant alors qu’ils passaient devant le pallier du cinquième étage. Ils redescendirent jusqu’au troisième, où se trouvait l'aile de Défense contre les Forces du Mal. Le groupe 1 de sixième année avait cours tous les mardi matin avec le professeur Corrigan. Le professeur Londubat avait toqué au battant et Andrew avait ajusté la bandoulière de cuir de son cartable, qui commençait à glisser légèrement de son épaule.

- Entrez, avait répondu son enseignante.
- Excusez-moi de vous déranger, professeur Corrigan, avait lancé son directeur de maison en passant la tête à l’intérieur de la salle. Est-ce que par hasard il vous resterait de la place pour un autre élève ?

Sans les voir, il avait entendu les murmures étonnés de ses camarades de classe, qui devaient se demander de quoi il s'agissait. Le professeur Londubat s’était effacé pour lui laisser la place et Andrew avait fait un pas dans l’encadrement de la porte, le coeur un peu battant. Tous les regards s’étaient tournés vers lui. Il avait soudain songé qu’il ne regrettait pas sa surprise : leurs têtes étaient impayables.

- Oh putain ! s'exclama brusquement Baen.

Il bondit sur ses pieds comme un ressort.

-Votre langage, monsieur King ! sermonna le professeur Corrigan, sans pour ayant retirer de points à Poufsouffle.

Des sourires éclatants s’étalaient sur les visages de ses amis et Andrew ne put s’empêcher de les rendre, une large bulle de joie dans la poitrine. Rachel avait plaqué ses mains sur sa bouche, le regard brillant. À côté d’elle, Claire semblait tout aussi ravie. Henry, assis à gauche des filles, s’était levé en même temps que Baen. Benjamin lui fit un grand sourire. Louise, qui était initialement assise à côté de Baen, semblait avoir les yeux humides. Au premier rang, son regard clair accrocha celui de Sasha, qui avait suspendu sa plume dans les airs. La surprise semblait avoir suspendu le temps. Le professeur Corrigan le remarqua puisqu’elle souffla, amusée.

- Deux minutes, pas plus.

Ce fut un ras-de-marée d’affection qui envahit Andrew. Baen fut le plus rapide et se précipita vers lui pour le serrer dans ses bras, tout en l’insultant à moitié : « Tu ne nous as rien dit, enfoiré ! » Il fut suivi de Rachel, qui le serra longuement contre elle. Benjamin vint lui tapoter l’épaule avec affection en déclarant qu’il était heureux de le voir. Louise et Claire lui firent un câlin, Henry aussi, de façon un plus guindée mais avec un sourire chaleureux. Après ses amis, ce furent le tour des copains. Simon Higgins, le préfet de Serpentard, vint le saluer en tapotant son bras, tout comme Terrence Abernathy de la même maison. Les Poufsouffle et les Serdaigle l’accueillirent également avec beaucoup de chaleur (sauf Ahren Keller, évidemment, qui l’ignora royalement.) Il avait remarqué que Sasha s’était levée mais n’était pas venue l’étreindre.

- Allez, allez, c’est bon, on laisse monsieur Dubois respirer, lança le professeur Corrigan en tapant dans ses mains, alors que Baen passait un bras autour de ses épaules. Tout le monde à sa place. Monsieur Dubois, asseyez-vous.

Il y avait des places libres dans le fond, mais surtout une à côté de Sasha, au premier rang. Andrew fit un sourire à son amie. Il ne l’avait pas revue depuis qu’il avait visité son appartement à Leopoldgrad, mais ils avaient échangé des messages et quelques appels. Il tira la chaise à côté d’elle, alors que le brouhaha était encore présent dans la salle. Alors qu’il s’asseyait, il sentit la main d’Henry se poser sur son épaule et se retourna.

- Tu sais ménager tes entrées, quand même, le tança son ami. Son oeil pétillait légèrement.
- Tu me connais, j’aime être le centre de l’attention, répondit Andrew en haussant les épaules, faussement résigné.

Henry rit et serra son épaule entre ses doigts.

- Allez, allez, silence, fit le professeur Corrigan en frappant de nouveau dans ses mains. Monsieur King, c’est moi que vous regardez, merci... Puisque vous avez de l’énergie à dépenser, faites-nous donc une petite description des caractéristiques d’un inferi.

Plongeant la main dans son cartable, Andrew en sortit son livre de DCFM et son cahier, ainsi que ses plumes. Puis il donna un très léger coup de coude à Sasha.

- Salut, souffla-t-il.

La deuxième partie de l’année scolaire s’annonçait plus calme pour Sasha, ce qui était très appréciable. Ses chers camarades continuaient parfois à lui jeter des remarques déplacées ou à pouffer de rire sur son passage, mais les moqueries s’étaient globalement essoufflées. Les gens étaient passés à autre chose. Les graffitis pornographiques à son nom sur les portes des toilettes avaient été recouverts par de nouvelles insultes, les ragots sur sa vie sexuelle avaient été remplacés par d’autres rumeurs toutes aussi infondées. La vie reprenait son cours habituel.

Pourtant, Sasha se surprenait à attendre les prochaines vacances avec impatience. Elle qui avait toujours été cette élève un peu bizarre qui se languissait de la reprise des cours, commençait à partager l’engouement de ses petits camarades pour les longues vacances d’été. Elle aimait toujours étudier, bien sûr. Elle trouvait la majorité de ses cours très intéressants et elle avait déjà commencé à réviser pour les examens de fin d’année, mais sa vie à Poudlard était devenue un peu triste, surtout maintenant qu’elle avait goûté à la vie active et à l’indépendance. Elle attendait le vendredi avec impatience car c’était la journée qu’elle passait à Skye dans le cadre de son contrat d’apprentissage. Le fait de devoir partager cette journée avec Virgil Forbes venait ternir un peu le tableau, mais c’était le prix à payer pour le plaisir de se prendre pour une adulte le temps d’une journée.

Cet été elle travaillait à plein temps à Skye pendant six semaines, puis aurait droit à deux semaines de congés qu’elle pourrait passer à décorer son nouvel appartement. Une fois n’est pas coutume, Sasha Benson avait donc commencé à compter les jours qui la séparait de la fin des cours. Et parce qu’elle était Sasha Benson, elle avait fait ça bien.

Elle s’était réveillée aujourd’hui en songeant qu’il ne restait que 143 jours avant les vacances d’été, soit 47,3% de la durée totale de cette année scolaire. Elle faisait le calcul tous les matins. Elle s’était habillée et préparée en silence pour ne pas réveiller celles de son dortoir qui n’avaient pas poursuivi la Défense Contre les Forces du Mal et qui pouvaient profiter d’une heure de sommeil supplémentaire. Elle avait pris son petit-déjeuner comme d’habitude, assise seule à l’extrémité de la table des Serpentard, son manuel ouvert contre un pichet de jus de citrouille pour lui permettre de relire le chapitre en cours avant le début de la leçon.

Cette journée aurait été tristement similaire à la précédente si le Professeur Londubat n’avait pas frappé à la porte du cours pour demander au Professeur Corrigan si elle acceptait d’accueillir un autre élève. Sasha échangea un regard surpris avec Simon Higgins, qui avait froncé les sourcils quelques rangs plus haut, et écarquilla les yeux quand le Directeur de Gryffondor s’écarta pour laisser passer…Andrew. L’explosion de joie au sein de la classe fut telle que leur enseignante n’eut pas d’autre choix que de leur accorder deux minutes pour accueillir Andrew dignement. Ce dernier se retrouva rapidement entouré par ses amis, si bien que Sasha n’osa pas traverser la salle pour le serrer dans ses bras elle aussi. Elle ne faisait pas vraiment partie de la bande. Elle se contenta de lui adresser un geste de la main, sans savoir s’il parvenait à la voir au-delà de ses admirateurs, et se rassit sur sa chaise en se promettant d’aller lui parler à la fin du cours. Ils avaient échangé quelques messages et appels depuis la rentrée, ce qui avait grandement participé à rendre sa vie à Poudlard un peu plus agréable.

Son regard s’illumina quand le Gryffondor s’avança jusqu’au premier rang et tira la chaise à côté d’elle pour s’y installer, aussitôt interpellé par Henry qui était assis juste derrière eux.

"Salut, répondit-elle avec un sourire ravi tout en écoutant d’une oreille la réponse d’Henry à la question du Professeur Corrigan, prête à lever la main pour la compléter.  Ça fait longtemps qu’on ne t’avait pas vu par ici, surtout au premier rang…"

Leur enseignante jeta un regard réprobateur dans leur direction pour les inviter au silence et Sasha se mordit les lèvres. Il n’était pas vraiment dans ses habitudes de se faire réprimander par ses professeurs.

« Je suis contente de te voir » écrivit-elle sur le coin de son parchemin, pour poursuivre silencieusement cette conversation.

Le sourire chaleureux de Sasha gonfla quelque chose dans le coeur d’Andrew. Il était heureux d’être là, heureux de la retrouver, heureux de retrouver leur normalité. Alors que Baen s’emmêlait les pinceaux sur la description des inferis demandée par le professeur Corrigan (lui qui passait des heures à jouer à Resident Inferi II sur la Ninspelldo d’Adarsh, pourtant), Sasha ne put s’empêcher de le taquiner sur sa présence au premier rang. Il prit l’air outré et posa une main sur son torse.

- Tu oses me dire ça alors que je suis revenu pile pour un cours de DCFM à huit heures du matin ?

Il comprit à l’air penaud de son amie que le professeur Corrigan devait avoir jeté un coup d’oeil dans leur direction, aussi fit-il mine de baisser le regard sur son parchemin vierge. Il n’allait quand même pas faire perdre des points à Gryffondor moins de quinze minutes après être revenu (même si c’était une forme de record qui en impressionnerait sûrement certains dans sa maison.) Il enleva le bouchon de sa plume auto-encreuse pour commencer à noter le titre de la leçon lorsqu’un mouvement du poignet de Sasha attira son attention. De son écriture fine et appliquée, elle avait griffonné un mot à son adresse dans le coin de son parchemin. Il ne put s’empêcher de lui retourner un sourire en coin. Sasha Benson, qui sacrifiait ses précieuses notes pour lui écrire ? Il lui avait vraiment terriblement manqué. « Moi aussi » répondit-il d’une écriture plus brouillonne sur le coin droit de son papier. Il releva les yeux quelques secondes, pendant que leur enseignante annonçait qu’elle allait projeter quelques images d’inferis au tableau. « Me suis dit que tu t’ennuyais trop, sans moi » ajouta-t-il rapidement. « Je ne pouvais pas faire durer ça trop longtemps. » Il ne put s’empêcher de lui sourire à nouveau. Elle ne l’avait pas serré dans ses bras, quand il était entré dans la classe, et à cet instant, il aurait eu envie de le faire.

Sasha s’efforçait tant bien que mal de rester attentive aux échanges entre le Professeur Corrigan et Baen tout en déchiffrant le message griffonné par Andrew dans le coin supérieur de son parchemin. Elle sourit et hocha doucement la tête, bien forcée d’admettre qu’elle s’ennuyait un peu à Poudlard sans lui. Une partie d’elle aurait voulu ignorer complètement la suite du cours pour profiter au maximum de ses retrouvailles avec son meilleur-ami, mais son instinct de bonne élève reprit le dessus et sa main fusa dans les airs quand leur enseignante demanda à la classe si quelqu’un pouvait compléter la réponse fournie par leur camarade. Corriger aurait été plus exacte, étant donné qu’il n'avait pas fourni une seule information correcte, mais en bonne Poufsouffle Mrs. Corrigan cherchait sûrement à préserver son égo.

"Un Inféri est un cadavre humain qui a été ensorcelé par un mage noir pour lui obéir, récita-t-elle. L'Inféri exécute tous les ordres de son créateur mais n'a aucun libre arbitre. Le corps d'un Inferi est préservé grâce à la magie noire et il ne peut être détruit que par le feu. Les Inferi sont donc généralement ensorcelés par leur créateur pour qu'ils cherchent à éviter les flammes."

L’enseignante accueillit sa réponse avec un sourire satisfait et s’avança entre les tables pour donner davantage d’explications sur les différents sortilèges permettant de faire apparaître du feu pour se débarrasser d’un Inféri. Profitant de ne plus être dans le champ de vision de son professeur, Sasha se pencha sur son parchemin pour rédiger un nouveau message à l’attention d’Andrew.

"Avoue, tu t'ennuyais aussi sans moi."

Elle aurait aimé que ce soit vrai, mais savait très bien qu’Andrew avait des tas d’autres amis qu’il avait certainement hâte de retrouver. Le fait qu’il ait choisi de passer sa première heure de cours à côté d’elle la faisait toutefois se sentir un peu spéciale, et elle savourait cette sensation avec délice. Elle avait conscience qu’il s’agissait d’un moment privilégié. Très vite, ils retrouveraient leurs habitudes. Lui passerait la plus grande partie de son temps avec sa bande de copains, et elle à réviser à la bibliothèque. Mais ils retrouveraient également leurs rendez-vous plus ou moins réguliers, lors des cours qu’ils avaient en commun ou à l’occasion des sorties à Pré-au-Lard, et elle savait qu’elle attendrait ces moments avec impatience.

"Ne t’en fais pas, je t’ai préparé plein de nouvelles fiches, pour t’occuper."

Elle l’alimentait généreusement en fiche de révisions depuis son accident (et en fiche-de-fiche, et en résumé de fiches-de-fiches, et en schéma et en plans détaillés). C’était sa manière à elle de lui apporter du soutien dans sa convalescence. Andrew avait loupé plusieurs semaines de cours et il allait avoir beaucoup de choses à rattraper, et Sasha avait très à cœur de l’aider dans ce projet, contre son gré s’il le fallait.

Sasha hocha la tête pour confirmer qu’elle s’était bien ennuyée sans lui et Andrew lui décrocha un sourire. Elle aurait pu nier, elle le faisait toujours très bien. Par exemple, elle claquait de la langue et soupirait quand ils travaillaient ensemble en potion et qu’il faisait accidentellement changer leur chaudron de couleur (tout ça pour une verrue de crapaud en trop dans leur philtre anti-nausée...) mais ils continuaient d’être binômes depuis leur première année. Quand ils travaillaient ensemble à la bibliothèque et qu’il finissait par délaisser sa théorie en métamorphose pour faire des statistiques sur l’équipe de Poufsouffle, elle lui faisait la leçon mais finissait par intervenir pour corriger un ou deux calculs. Elle levait les yeux au ciel lorsqu’il faisait des blagues nulles mais elle s’installait toujours à sa table tôt le matin, au petit-déjeuner, quand elle allait faire l’ouverture de la bibliothèque et qu’il revenait de son jogging matinal. Ils étaient amis depuis six ans maintenant. Ils ne passaient pas tout leur temps ensemble, parce qu’ils avaient des cercles et des passe-temps différents, mais ils finissaient toujours par se retrouver.

Il tourna la tête vers le professeur Corrigan lorsque cette dernière interrogea Sasha pour compléter la réponse de Baen. Ce dernier ne s’en formalisa même pas, content de ne plus être interrogé. Son regard croisa celui d’Andrew et ils s’adressèrent un sourire. Il arrivait à lire sur le visage du Poufsouffle qu’il avait plein de choses à lui dire. Il avait hâte de rattraper le temps perdu avec ses amis et surtout de faire la surprise au reste du groupe, si l’information ne s’était pas déjà propagée par message. Il n’avait pas vu Kathrina, encore, ou bien David, Adarsh, Imogen. Il avait hâte de retrouver son équipe, également, la Salle Commune de Gryffondor, son dortoir. Il avait envie que tout reprenne son cours normal. Le mouvement de main de Sasha attira son attention et il se pencha légèrement dans sa direction pour déchiffrer ce qu’elle écrivait. Son petit mot lui tira un nouveau sourire et il s’empressa d’écrire de sa main gauche, juste en dessous de sa phrase à elle « Terriblement ».  Elle répondit prestement qu’elle avait préparé de nouvelles fiches pour l’occuper et il plissa le nez, secouant la tête. « Fallait pas » murmura-t-il avec humour. Sa meilleure amie était très attachée à sa réussite scolaire, hospitalisation ou pas. Avant même qu’il ne revienne à l’école, il avait reçu ce qui devait représenter trois fois le programme scolaire de la sixième année en poids de fiches (et de fiches de fiches, résumés de fiches de fiches et plans détaillés). Il avait essayé de se pencher dedans mais c’était complexe pour lui de se concentrer en ce moment... sans oublier le fait qu’apprendre les différentes Lois de Golpalott lui avait toujours donné la migraine, commotion cérébrale ou pas.

- Monsieur Dubois, lança la voix du professeur Corrigan, faisant se retourner Andrew. Ses yeux s’écarquillèrent. Il n’avait pas entendu la question. Il y avait une question ? Un sortilège autre que l’Incendio pour faire appel au feu, face à des inferis ?
- Euuuuh, Confringo ?
- Effectivement, dix points pour Gryffondor, répondit son enseignante avec un sourire.

C’était très généreusement récompensé de sa part pour une réponse aussi simple, constata Andrew, avec un sourire reconnaissant pour son enseignante. Lui aussi était content de revenir. Henry était aussi content, visiblement, vu qu’il lui tapota l’épaule avec satisfaction. Les Serdaigle l’étaient moins (il pouvait imaginer la tête d’Ahren Keller qui allait hurler au favoritisme), au vu de la petite remarque de Benjamin qui se pencha entre leurs deux épaules.

- C’est bien parce que tu as failli mourir que je ne dis rien, hein, dit-il avec un air faussement sérieux. Mais attends que les choses reviennent à la normale, dix points pour un confringo... Scandale.
- Tu es juste jaloux parce que Sasha m’a fait de super fiches sur les inferis et maintenant je gagne plein de points pour ma maison !

En réalité, il jouait également à Resident Inferi II sur sa propre Ninspelldo (mais Sasha n’avait pas besoin de le savoir.) Bientôt, les choses reviendront à la normale et il n’aurait plus de petit passe-droit (ou plein de points) : c’était tout ce qu’Andrew voulait.


Mardi 13 mars 2012

Tout ce qu’Andrew désirait, mais ce qu’il n’obtiendrait pas. Les choses n’étaient pas revenues à la normale. Passés les premiers jours emplis de la joie des retrouvailles et de l’enthousiasme du retour à Poudlard, le sentiment de tristesse qui l’animait n’avait eu de cesse de croître. Il avait continué ses séances de rééducation, deux fois par semaine, parfois trois si les premières avaient été compliquées ou si des douleurs se réveillaient. Sa belle-mère ou sa mère venaient le chercher aux grilles de l’école pour l’emmener au centre de rééducation. Il avait de moins en moins envie d’y aller. À quoi bon, si cela ne lui permettait pas de remonter sur un balai ? Les médicomages repoussaient sans cesse cette possibilité, ils mettaient en avant des résultats d’analyse, des exercices qu’il ne parvenait pas à réaliser. Sa kinésimage lui disait de ne pas être défaitiste, qu’il fallait être persistant, constant, que c’était comme cela qu’il verrait les résultats mais son coeur s’y essoufflait.

Il avait annoncé à Colette il y a deux semaines qu’il n’entraînerait plus les Gryffondor. Elle avait pris la main en son absence, pendant qu’il était à l’hôpital puis à la maison, et naturellement, lorsqu’il était revenu, elle avait pensé reprendre sa place de co-capitaine. Andrew l’avait pensé aussi. Mais c’était trop dur d’être coincé sur les tribunes à regarder son équipe voler, sans pouvoir les rejoindre. Il ne servait à rien comme ça. Il voulait jouer, lui aussi, il aurait dû jouer. Un capitaine était dans les airs avec le reste de l’équipe, pas coincé au sol, à hurler pour se faire entendre malgré le vent sifflant. Son remplaçant, Nelson Oggspire, ne parvenait pas vraiment à trouver ses marques avec Scott. Alors, naturellement, dans les airs, Colette prenait l’avantage. Il avait fini par se dire que c’était mieux comme ça, c’était plus logique qu’elle soit capitaine. Il ne servait plus à rien, alors qu’elle était là. Et puis, à quoi bon maintenir cette situation s’il ne pouvait plus jamais voler ? S’il ne pouvait plus rejouer ? L’équipe continuerait sans lui et Gryffondor méritait un bon capitaine, un vrai capitaine, pas un poids mort qu’on gardait par pitié. Coco avait protesté. Elle avait dit que c’était n’importe quoi, qu’il était dramatique, qu’il fallait encore être patient, qu’elle voulait bien continuer d’assurer l’interim lors des entraînements s’il voulait mais qu’il était encore le capitaine. Le professeur Londubat lui avait dit à peu près la même chose, lorsqu’il était allé lui présenter sa démission. Qu’il ne fallait pas précipiter les choses, qu’il était revenu depuis même pas trois semaines.

Andrew s’était retenu pour ne pas hurler. Il était terriblement en colère. Non seulement il ne pouvait pas jouer, non seulement il perdait tout ce qu’il avait toujours souhaité, sa plus grande fierté, mais en plus, on ne l’écoutait pas ? On le traitait comme quelqu’un de dramatique, qui ne savait pas ce qu’il faisait ? Il savait très bien ce qu’il faisait. Il n’était pas dramatique, tout cela était véritablement en train d’arriver, tout cela était arrivé. L’accident avait tout ruiné. Il ne pourrait sûrement pas rejouer. Il n’était plus un joueur de Quidditch, il n’avait plus d’avenir dans le domaine, il n’était plus le capitaine de Quidditch de l’équipe de Gryffondor.

De rage, il avait décousu de ses uniformes son écusson, celui dont il avait été si fier.

La honte était venue plus tard envahir son esprit. Il avait honte d’abandonner, honte de laisser son équipe, lui qui était le premier à parler d’engagement, de loyauté, d’acharnement, même. Il n’avait pas le courage de ses opinions et cette idée lui donnait la nausée. Alors, depuis, il évitait la Salle Commune des Gryffondor. Il évitait Colette, les membres de son équipe, ses amis. Tout le monde voulait lui parler, lui dire que cela irait mieux, de ne pas abandonner. Il n’avait pas le courage de les regarder dans les yeux. Il oscillait entre colère et chagrin, entre l’envie de pleurer et celle de hurler. Il ne voulait imposer cela à personne. Il connaissait assez bien l’école pour trouver des coins où être seul, où personne ne venait le sortir de ses pensées les plus sombres. De temps en temps, le visage de Kathrina apparaissait dans l’encadrement de la porte, ses yeux clairs emplis d’une empathie qui donnait l’impression à Andrew d’être la pire des personnes. Elle s’asseyait avec lui, posait sa tête sur son épaule, ne disait rien, souvent. Il lui était à la fois profondément reconnaissant de son soutien et en même temps, cela lui rappelait tout ce qui n’allait plus chez lui. D’autres fois, c’était Rachel qui ne le laissait pas s’échapper. Elle percevait son mouvement pour se détacher du groupe et attrapait son bras avec autorité. Elle décrétait toujours qu’il devait l’accompagner quelque part, souvent en salle des arts pour l’aider dans son nouveau projet. Il se retrouvait à tenir ses coupons de tissu et à coudre des perles d’un geste mal assuré. Rachel bavardait, discutait et ne se formalisait pas de ses brèves réponses. Souvent, elle en profitait pour exprimer sa rancoeur contre Gowan, suite à tout ce qui s’était passé ce dernier mois. Andrew ne l’en empêchait jamais.

Puis il y avait Sasha. Sasha ne lui parlait jamais de reprendre sa place en tant que capitaine de Gryffondor. Elle ne lui disait pas d’être patient, de ne pas être dramatique. Elle ne le regardait pas avec compassion. À vrai dire, elle le regardait tout à fait normalement. Elle agissait parfaitement normalement avec lui. Presque comme si rien ne s’était passé. Quand il était avec elle, Andrew savait qu’elle n’aborderait pas ces sujets-là, et cela lui enlevait un poids de la poitrine. Elle ne lui tiendrait pas rigueur de ses mouvements d’humeur ou ne chercherait pas à le consoler. Elle était juste là, égale à elle-même, égale à leur amitié. Alors il passait un peu plus de temps avec elle que d’habitude, tout ce temps qu’il ne passait plus dans la Salle des Quatre Maisons et quand il ne cherchait pas le silence. Il la trouvait souvent à la bibliothèque. Il s’installait à sa table, en face d’elle. Il ne travaillait pas toujours. Pas souvent. La plupart du temps, il posait ses bras et sa tête sur la table, se perdant dans ses pensées. D’autres fois, il la regardait écrire sur ses parchemins, de longs paragraphes de son écriture fine, ses cheveux relevés sur sa nuque.

Aujourd’hui, ils étaient entre deux rayonnages de botanique. Il pleuvait dru dehors et de nombreux élèves avaient trouvé refuge ici. La bibliothécaire devait intervenir régulièrement pour maintenir le calme, le niveau sonore des discussions ayant tendance à prendre rapidement de l’ampleur. Sasha avait entassé plusieurs épais ouvrages sur la table, profitant de leur heure de creux entre leur précédente classe et leur cours de sortilèges. Andrew n’irait qu’une demie-heure dans cette matière : il avait une session de rééducation ce soir-là. Si son amie était plongée dans ses révisions, lui contemplait les brochures entre ses mains. Le professeur Londubat l’avait interpellé hier à la fin du cours de botanique. Comme son stage chez les EDL était « interrompu », il était tout à fait en droit de solliciter un autre apprentissage s’il le souhaitait. Selon son directeur de maison, la commission pédagogique y serait tout à fait favorable s’il trouvait un maître d’accueil. Il lui avait remis une quinzaine de petites brochures, ainsi qu’une liste sur un parchemin, qui récapitulait les lieux de stage de ses camarades. Il avait remercié son enseignant mais les avaient toutes fourrées dans son sac avec agacement. Comme si un autre apprentissage que celui des EDL pouvait l’intéresser... Il jeta un coup d’oeil désabusé à la brochure présentant une compagnie d’assurance spécialisée dans les accidents de magie. Quel enfer.

- Rejoignez nos sorciers experts dans tous les types de sinistres magiques... lut-il à Sasha. Sinistre, ouais, c’est le mot.

Il chiffonna le papier.

- Ils sont tous horriblement déprimants et nuls, mais ça, c’est la noise sur le gallion.

Sasha aimait ses séances de révision avec Andrew. Elle était régulièrement la seule des deux à travailler de façon productive, mais le Gryffondor lui tenait compagnie. Elle aimait sentir sa présence à ses côtés, et son regard sur elle. Ses yeux rencontraient souvent les siens quand elle relevait la tête de ses notes, et ils échangeaient un sourire avant qu’elle ne se plonge de nouveau dans sa lecture. Si elle était parfaitement honnête, ce n’étaient pas ses sessions de révision les plus efficaces -elle finissait toujours par craquer et par bavarder de longues minutes avec son ami- mais c’était de loin les plus agréables.

Elle aimait ces moments passés avec Andrew autant parce qu’ils interrompaient sa solitude habituelle que parce qu’ils lui permettaient de surveiller le moral de son ami. Il broyait du noir depuis son retour à Poudlard. Elle comprenait sa frustration de ne plus faire partie de l’équipe de Quidditch, et de ne plus pouvoir voler pour le moment. Il s’était entrainé très dur, pendant des années, pour arriver à son niveau et pour décrocher un contrat chez les Epouvantards. L’accident lui avait fait perdre le fruit de ce dur labeur, et elle imaginait à quel point il devait se sentir démotivé.

C’était quelque chose qu’elle pouvait comprendre, ce sentiment de voir des années d’efforts gâchées par un événement malheureux. Elle avait ressenti la même chose lors de la diffusion de la vidéo de Clayton. Finalement, cette histoire de sex-tape n’avait pas eu l’impact dévastateur qu’elle avait redouté. Certes, le regard de ses professeurs sur elle avait changé, et il était possible que cet accident ne vienne un jour lui mettre des bâtons dans les roues, surtout si elle envisageait une carrière en politique, mais elle s’en était sortie. Et Andrew s’en sortirait aussi, elle en était persuadée. Ce n’était pas quelque chose qu’il était prêt à entendre pour le moment, ce qu’elle respectait, et elle n’abordait presque jamais le sujet avec lui.

D’autres personnes tentaient visiblement de lui présenter de nouvelles perspectives d’avenir, puisque le Gryffondor était actuellement plongé dans l’étude de brochures professionnelles. Sasha releva la tête quand il lui fit la lecture d’une publicité pour un service d’assurances qui la fit grimacer. La personne qui lui avait fourni cette brochure avait-elle seulement déjà rencontré Andrew ? Il n’était absolument pas fait pour travailler dans un service de gestion de sinistres !

"Donne", réclama-t-elle en tendant le bras vers son ami pour qu’il lui remette le parchemin sur lequel était listé différents lieux d’apprentissage.

Elle délaissa son manuel d’herbologie -elle avait du mal à se concentrer avec le bruit ambiant de toute façon- et parcourut rapidement la liste des yeux. Elle trouvait plusieurs de ces apprentissages très intéressants, et aurait personnellement postulé à certains d’entre eux si elle n’était pas déjà sous contrat avec Skye, mais aucun ne correspondait à Andrew. Elle lui rendit le papier, qu’il chiffonna aussitôt.

"Tu as raison, admit-elle. Ils sont tous nuls. "

Cela ne servait à rien de le nier. Elle était certainement la seule qu’un apprentissage au sein du service de la conservation du Patrimoine de la Gazette du Sorcier aurait intéressé.

« Mais, reprit-elle en poussant son épais manuel sur le côté pour libérer l’espace entre Andrew et elle, je suis certaine qu’on peut trouver plein de métiers pas nuls du tout ! »

Elle découpa un morceau du parchemin sur lequel elle était en train de prendre des notes, et suspendit sa plume au-dessus.

"Qu’est-ce que tu aimes faire, dans la vie ? demanda-t-elle avec entrain. A part me déconcentrer dans mes révisions bien sûr. "

Le Quidditch semblait être la réponse la plus évidente, mais elle savait que ce n’était pas son seul loisir.

Andrew tendit à Sasha la liste des lieux de stage qui accueillaient actuellement des apprentis. Il se demandait quel élève avait un contrat auprès de la compagnie d’assurance : est-ce que cette personne aimait la vie ? Ce n’était pas dans leur année, il en aurait sûrement en entendu parler sinon, donc plutôt en cinquième ou en septième... C’était quelqu’un qui était parti en apprentissage auprès de son père ou de sa mère, il ne voyait que cela comme explication. C’était tentant, dans un sens. Il pourrait aller être apprenti auprès de sa mère, à la librairie. Comme quand il était petit, après l’école. Il se hissait derrière le comptoir, prenait son goûter et faisait ses devoirs. À la période de Noël, il était même « vendeur conseil » comme le disait sa mère. À chaque fois qu’un client venait acheter un livre ou une bande-dessinée pour un enfant de leur entourage qu’il ne connaissait pas très bien (« Il a entre trois et dix ans, je dirais ? »), Sarah faisait mine de le solliciter pour ses bons conseils (qui se résumaient souvent à « Dans ce livre il y a des dragons, c’est trop bien, dans celui-là il y a un Kraken, c’est encore plus trop bien. ») Oui, aller en apprentissage auprès de sa mère semblait être une bonne planque... Moins tentante que l’apprentissage auprès de son père, mais sûrement moins douloureuse.

- Tu vois, confirma-t-il auprès de Sasha lorsqu’elle déclara que tous les lieux d’accueil proposés étaient nuls.

C’était gentil de la part du professeur Londubat de tenter de le projeter sur de nouvelles perspectives mais Andrew avait déjà envie la plupart du temps de s’enterrer quelque part. Un stage auprès du service reprographie du Ministère de la Magie ne ferait qu’aggraver son état, il en était à peu près certain. Il vit son amie repousser son épais manuel de botanique d’un geste déterminé avant de découper un morceau de son parchemin, déclarant avec enthousiaste qu’on pouvait trouver plein de métiers pas nuls du tout. Andrew haussa les sourcils. C’était bien ambitieux comme projet, de lui trouver une nouvelle carrière en faisant une liste entre deux cours, un mardi après-midi à Poudlard. On reconnaissait bien là le tempérament des Serpentard, rien ne les arrêtait.

- T’as la foi, dis donc, commenta-t-il avec un petit sourire désabusé. Mais allons-y, si tu veux.

Ses doigts vinrent desserrer sa cravate alors qu’il s’appuyait en arrière contre le dossier de sa chaise, croisant ses bras sur son torse. Sasha semblait penser qu’une liste serait utile, il l’imaginait déjà préparer ses colonnes de « pour » et de « contre. » Sa plaisanterie lui tira un léger sourire et il haussa les épaules.

- Bah déjà, te déconcentrer dans tes révisions en numéro 1. Mais sinon... Voler. Il soupira. Il n’avait volontairement pas dit le Quidditch, pour d’évidentes raisons et aussi parce qu’il aimait aussi simplement voler. Avant, il allait souvent voler pour le plaisir. Il n’y avait rien de plus relaxant que de survoler le parc de l’école, la surface brillante du Lac Noir. Il allait effleurer les toits de l’école et le panorama n’était jamais aussi beau que d’en haut. Et... Les animaux magiques, les gros animaux magiques. Il avait toujours été fasciné par les dragons, les kraken, les acromentules. Globalement, tout ce qui était effrayant et hors-normes. J’aime nager, aussi ?

Il aimait la mer, se baigner à Flaquemare, surtout quand les vagues étaient hautes et venaient frapper les falaises de la côte. Mais ce n’était pas un métier, d’aimer nager ou d’aimer aller à la plage. Personne n’avait jamais dit « Mon boulot, c’est plage. »

Sasha hocha la tête d’un air entendu à la première réponse d’Andrew. Voler, évidemment, elle aurait pu le parier. Elle appréciait néanmoins le fait qu’il ne se soit pas limité au Quidditch. Il devait y avoir des tas d’autres métiers sorciers qui impliquaient de passer du temps sur un balais. Elle n’en avait pas en tête, là, tout de suite, mais elle ferait des recherches si besoin.

C’était certainement un exercice pénible pour lui, mais c’était un passage nécessaire. Il devait accepter de ne plus se définir que comme le capitaine de Quidditch des Gryffondors ou comme le prochain prodige du Quidditch anglais. Elle savait que c’était tout ce dont tout le monde lui parlait, depuis toujours, et le seul avenir qu’il n'avait jamais envisagé. Pour elle qui n’avait jamais été très intéressée par le Quidditch, Andrew avait toujours été beaucoup plus que ça. Elle voyait plein d’autres talents et d’autres potentielles passions chez lui. Elle avait envie qu’il les voie lui aussi. Et elle avait également très envie d’être celle qui découvrirait sa nouvelle vocation. Elle aimait l’idée qu’il lui soit redevable pour le restant de ses jours (ce qui aurait déjà dû être le cas parce qu’il avait validé plusieurs BUSE grâce à elle).

D’une écriture appliquée, elle inscrivit donc « voler » tout en haut du parchemin, ainsi que « gros animaux magiques », la deuxième proposition d’Andrew. On pouvait difficilement faire plus Gryffondor comme réponse, ni plus éloignée de ce qu’aurait inscrit Sasha si elle avait dû faire l’exercice elle-même. Elle était tentée de passer directement à la conclusion et de la résumer par « Tous les trucs dangereux qui peuvent potentiellement causer la mort », mais n’en fit rien. Elle tenait à faire ça sérieusement.

"C’est bien ça, commenta-t-elle d’une voix encourageante. Il y a plein de métiers en lien avec les créatures magiques. Tu pourrais être soigneur, ou dresseur de dragons ! Je suis sûre que les dresseurs de dragons utilisent des balais en plus ! Elle traça plusieurs flèches à partir du mot « créatures magiques » et inscrivit ces différentes idées aux extrémités. On pourra y revenir plus tard, mais je pense que c’est une piste à creuser ! Autre chose ? "

Elle écrivit « nager » et réfléchit un instant en mordillant l’extrémité de sa plume. Il devenait un peu plus difficile de combiner toutes les réponses du Gryffondor, mais elle ne comptait pas se laisser décourager pour autant.

"Ok… On peut regarder du côté des créatures marines, type Kraken ou Calamar géant. Il doit bien y avoir des sorciers qui explorent les fonds marins à leur recherche ! Tu penses que tu aimerais la plongée sous-marine ? "

Elle traça de nouvelles flèches, dessina des points d’interrogations aux endroits où elle voulait effectuer des recherches pour approfondir, et ajouta de nouveaux tirets pour compléter la liste qui lui semblait encore un peu courte. Ils devaient absolument trouver encore quelques centres d’intérêts supplémentaires pour avoir une base solide.

"Tu aimes les jeux vidéo, affirma-t-elle en l’inscrivant d’office sur la liste. Il y a plein de nouveaux métiers dans ce domaine ! "

Quelques années plus tôt, cela aurait été un secteur réservé aux moldus, mais avec le développement des technomagies, il devait y avoir de nombreuse opportunités dans le milieu. Elle-même n’y connaissait pas grand-chose, et le regrettait un peu. Elle craignait d’avoir loupé une occasion en or en ne s’engouffrant pas dans ce secteur en expansion qu'étaient les technomagies. Elle se promit intérieurement de chercher un stage ou un cours d’été sur le sujet, au moins pour maîtriser les bases. Elle pourrait même le faire avec Andrew !

"Tu pourrais apprendre à coder, et devenir développeur, ou même Gamer professionnel et tester les nouveaux jeux ! "

Soins aux créatures magiques était l’une de ses matières préférées, avec sortilèges et DCFM. Il aimait s’occuper des animaux qu’on leur présentait, apprendre leur habitat ou ce qu’ils mangeaient. Il avait donné des noms à tous les crabes de feu qui étaient élevés dans le cadre du cours et il amusait souvent la galerie en inventant les discussions qu’ils pourraient avoir entre eux. Il avait plutôt de bonnes notes, dans cette matière, il avait eu de superbes résultats à ses BUSES. Pour autant, il n’avait jamais envisagé de carrière dans le domaine. Après tout, il n’avait jamais envisagé que le Quidditch... Pour autant, même maintenant, il n’était pas certain de s’y projeter. Quand Sasha évoqua les soigneurs de dragons, il haussa les épaules. C’était ce que faisait Charlie Weasley, l’ami de son père. Et si c’était toujours passionnant d’écouter ses anecdotes de travail, Andrew ne s’était jamais dit qu’il avait envie de faire la même chose.

- Bof, répondit-il, je ne sais pas si j’ai envie d’être soigneur de dragon. Ce n’est pas que ce n’est pas bien, mais je ne m’y vois pas...

Il n’avait même pas envie d’aller faire un stage auprès de Charlie, à la nouvelle réserve qui venait d’ouvrir. Il pourrait y aller en visite et cela serait sûrement très intéressant mais il n’avait pas envie de devenir soigneur de dragons, de travailler dans les réserves. Il n’avait pas vraiment d’arguments concrets. Il ne s’y imaginait pas, voilà tout. Sasha enchaîna sur d’autres créatures magiques, comme les krakens. Il devait effectivement y avoir des sorciers qui les cherchaient et les surveiller pour éviter qu’ils ne coulent trop de bateaux moldus (comme cela arrivait régulièrement dans le triangle des Bermudes). Ça devait être intéressant, effectivement, il le concédait...

- J’adore la plongée, répondit-il, je plonge tous les étés avec mon père.

En Malaisie, au Mexique, au Bélize, au Costa Rica... Il ne se passait pas une vacances sans leur famille ne réserve quelques sorties de plongée. Même Grace, qui avait huit ans, commençait à s’y mettre. Andrew aimait beaucoup cette pratique, c’était très différent du vol et dans le même temps, c’était tout aussi enivrant. Les paysages étaient magnifiques, la barrière de corail du Bélize qu’ils avaient fait l’été de sa quatrième année était l’une des plus belles choses qu’il ait vue. L’année dernière, pendant leurs vacances en Italie, ils étaient allés plonger dans les ruines des villas enfouies près de Naples. Son père disait souvent que lorsqu’il aurait son niveau 4, ils iraient faire de la plongée sous-marine dans les ruines enchantées de cette ville magique qui avait disparu sous les eaux il y a plusieurs siècles. S’il aimait beaucoup cette discipline, il ne s’en ventait pas beaucoup auprès de ses amis. Il savait très bien que la plupart d’entre eux n’avaient jamais pratiqué et ne venaient pas de famille qui pouvaient se permettre des vacances luxueuses à l’autre bout du monde plusieurs fois dans l’année. Il avait plus tendance à raconter les vacances en France avec sa mère. Quand Sasha déclara qu’il aimait les jeux vidéos, il hocha la tête mais ne fut pas emballé pour autant.

- Oui, mais je ne me vois pas enfermé dans un bureau toute la journée, devant un écran, à taper des trucs... En plus, je n’ai pas le niveau en métamorphose : regarde, je ne le passe même pas aux ASPICS.

Il avait raté sa BUSE de métamorphose assez méchamment. Soupirant, il souleva une brochure au hasard.

- Je ne me vois pas non plus devenir kinésimage... Je commence à avoir des griefs personnels contre la mienne, en plus.

Son pied s’agitait avec impatience sous la table.

- Non mais je pense que je ne vais rien faire. Juste être là. Vivre d’eau fraîche et de mon fond de pension. Je crois qu’il y a quelques millions dessus.

À Sasha, il savait qu’il pouvait le dire.

Le visage de Sasha s’éclaira quand Andrew affirma qu’il aimait beaucoup la plongée. Aurait-elle réussi à réveiller l’intérêt du Gryffondor pour autre chose que le Quidditch ? Elle écrivit "plongée" à côté de « nager » et « créatures marines » et l’encercla plusieurs fois. Ils tenaient une piste, elle en était certaine. Ce serait toutefois bien mal la connaître que de penser qu’elle se satisferait de si peu. Elle avait la ferme intention de lui présenter plusieurs projets d’avenir possible, classés par difficulté de d’études, avec un état des lieux du marché du travail sur chaque secteur, et des contacts d’experts dans le domaine. Elle en faisait un projet personnel.

Ils laissèrent de côté la plongée et la biologie marine de côté pour le moment, et firent de même avec les jeux-vidéos qui nécessitaient de bonnes compétences en métamorphose.

"Ce n’est pas faute de t’avoir fait des fiches…" glissa-t-elle quand il expliqua qu’il ne passait même pas métamorphose aux ASPIC. Elle avait eu un O à sa buse.

La kinémagie ne rencontra pas davantage de succès, et Sasha retint un soupir. Elle était pleine de bonne volonté mais l’attitude de son ami était un peu décourageante. Il conclut d’ailleurs en disant qu’il pouvait très bien ne rien faire et vivre de son fonds de pension, qui contenait quelques millions. Sasha lui jeta un regard désabusé et résista difficilement à l’envie de le frapper avec les brochures qu’il avait délaissé.

Sur le principe, il avait raison. Il avait la chance de ne pas avoir besoin de travailler. Elle s’échinait à lui trouver une nouvelle vocation mais elle oubliait qu’elle parlait au fils d’un multimillionnaire, qui était à l'abri financièrement jusqu’à la fin de ses jours. Elle-même avait déjà quelques bons placements qui lui permettraient de ne pas trop s’inquiéter de ses finances, mais elle n’avait pas la fortune d’Andrew. Se faire kidnapper par une dangereuse arithmancienne et prendre en otage par un espion espagnol ne rapportait pas autant que d’être le fils d’un joueur de Quidditch international.

Une partie d’elle était tentée de s’arrêter là. De lui accorder ce droit de ne rien faire, puisqu’il en avait la possibilité, mais elle savait que ce n’était pas ce qu’il voulait, au fond. Il jouait les héritiers gâtés avec elle parce qu’il savait qu’il pouvait se le permettre, mais ce n’était pas comme ça qu’il envisageait sa vie.

"Tu pourrais, concéda-t-elle avec un haussement d’épaules, comme si elle était prête à abandonner. Mais si tu veux mon avis, tu te ferais sacrément chier. Et il n’était pas dans ses habitudes de jurer. Il n’y a pas quelque chose d’autre que tu voudrais faire, avec cet argent ? Acheter un commerce, ouvrir ton entreprise, créer une association ? Tu pourrais même acheter des parts chez un grand fabricant de balais, et être associé au développement de nouveaux produits". De meilleures protections contre les chutes, par exemple.

Elle savait que sa passion pour le vol sur balais dépassait le Quidditch et, même s’il ne pouvait plus jouer à un niveau professionnel, il pouvait toujours graviter dans le milieu. Tester les nouveaux balais, être professeur de vol, ou journaliste sportif.

"Tu pourrais même être arbitre ! lança-t-elle quand l’idée lui traversa l’esprit. Et pénaliser injustement les équipes que tu n’aimes pas."

C’était son côté Serpentard, elle ne pouvait pas s’en empêcher.

- Je sais, répondit-il quand Sasha lui souffla qu’elle lui avait pourtant fait des fiches pour la métamorphose. Et je les avais lues ! L’avant-veille et la veille de l’examen. Mais c’était ultra-dur comme épreuve, même toi tu l’as dit !

Cette matière n’avait jamais été son fort. Ce n’était pas qu’il n’aimait pas, il trouvait ça très impressionnant mais c’était extrêmement méthodique et nécessitait une rigueur passionnée pour cet art. Il s’épanouissait plus dans des domaines un peu plus instinctifs, comme les sortilèges et enchantement ou la DCFM. Il avait en plus fait des choix stratégiques dans les révisions de ses BUSES - puisqu’il s’y était pris un peu tard pour les révisions, comme la plupart de ses copains - et avait privilégié d’autres matières. Il avait eu six BUSES, qu’il continuait en ASPIC, autant dire qu’il s’en était bien sorti, avec plus de réussite aux épreuves pratiques que théoriques. Il avait été très content de lui, quand les résultats étaient arrivés, ses parents aussi...

Mais s’il avait su que son ambition de carrière et de vie se fracasserait sur le sol glacé du terrain, à peine quelques mois plus tard, aurait-il fait les choses différemment ? Sûrement... La métamorphose aurait tenu une place plus importante dans ses études, parce qu’elle était la clé pour plusieurs des carrières évoquées dans les brochures du professeur Londubat. Contrairement à plusieurs de ses amis, il n’avait jamais vraiment réfléchi à monter un plan de carrière, ce qui leur avait permis de faire leurs choix d’option. Il avait choisi ses matières en fonction de ses goûts et avait ensuite tenté de gérer au mieux le passage de ses examens. Il n’avait besoin d’aucune matière en particulier pour faire du Quidditch... Sa mère le lui avait dit, pourtant. Dit et répété. Qu’il n’était pas son père, qu’il n’était pas certain d’avoir les opportunités ou la carrière de son père, même s’il avait du talent. Qu’il était important d’avoir des plans B, parce que rien n’était jamais garanti dans la vie, qu’il n’était jamais à l’abri d’un changement de coeur ou d’une blessure... Il ne l’avait jamais vraiment écoutée. Le Quidditch était une évidence. Qu’est-ce qu’il voudrait faire d’autre ? Qu’est-ce qu’il pourrait faire d’autre ?

Il se sentait bien bête maintenant.

Il avait toujours su où il allait, jusqu’à maintenant, où il voulait aller. Il ne s’était pas vraiment inquiété de ne pas avoir de filet de secours. Être le fils de son père avait beaucoup aidé. À la fois parce qu’il lui répétait qu’avec du travail et du talent, on pouvait aller où on voulait et également parce que Andrew n’avait jamais eu à s’inquiéter de l’argent. Il avait conscience que son père était extrêmement riche, qu’il avait grandi grâce à lui dans un milieu très privilégié. Il le savait, parce qu’il voyait la différence chaque semaine avec sa mère. Il avait conscience de sa chance, il savait que c’était exceptionnel, il savait que rares étaient ceux qui vivaient dans autant d’abondance. Il savait également qu’il n’avait rien fait pour ça, qu’il avait juste eu de la chance de naître dans sa famille. Il avait conscience de sa chance, assez pour ne pas trop s’en vanter, assez pour ne pas s’en sentir supérieur aux autres... et assez pour ne pas s’inquiéter de l’argent. Il ne s’était jamais posé la question de sa vie après Poudlard, de s’il pourrait payer des factures ou se trouver un logement. Il ne s’était jamais dit qu’il voulait un métier qui rapportait beaucoup d’argent ou du moins, assez pour vivre confortablement. La rémunération en tant que joueur de Quidditch n’avait même jamais été un levier pour lui. Il ne s’était jamais posé la question de son avenir, à la fois parce que c’était une évidence pour lui, et également parce que cet avenir financier était assuré dans tous les cas.

C’était peut-être aussi pour cela qu’il n’arrivait pas à être animé par l’urgence de retrouver une nouvelle carrière, de rebondir, comme le disait le professeur Londubat. À quoi bon ? songeait-il avec défaitisme. Il vivrait. Il avait de l’argent. À quoi bon essayer de retrouver quelque chose qui lui plaisait ? Il savait ce qui lui plaisait, il savait ce qu’il voulait et il était passé si proche de l’obtenir. C’était ce qu’il avait soufflé à Sasha, avec défaitisme et mauvaise foi. Pourquoi s’embêter ? Il n’avait pas besoin de travailler. Pourquoi aller faire semblant de rêver d’autre chose ? Quand son amie lui concéda qu’il pouvait, il haussa les épaules aussi... avant d’écarquiller les yeux quand elle jura. Un sourire incompressible naquit sur ses lèvres. Elle ne jurait jamais.

- Miss Benson, lança-t-il en se penchant dans sa direction. Votre langage.

Très belle imitation de leur professeur de sortilèges. Mais Sasha ne fit pas grand cas de sa plaisanterie. Elle avait raison dans le fond. Il s’ennuierait à mourir. Toute la journée à la maison à faire... quoi ? Il aimait avoir des journées bien remplies, il aimait faire des choses, il aimait se coucher fatigué le soir après avoir rempli son planning chargé. Il n’aimait pas tant que ça dormir. Il y avait tant d’activité qu’il pouvait faire à la place. Il haussa de nouveau les épaules quand elle lui suggéra d’acheter un commerce ou d’ouvrir son entreprise. De quoi ? Il n’avait pas de passion particulière. Un commerce de vol ? Pour vendre des balais ? Il ne savait pas, c’était un peu répétitif toute la journée. Une association ? S’il devait ouvrir une association, cela serait un club de Quidditch pour les jeunes, comme celui qu’il avait fréquenté quand il était enfant. Les petits sorciers y apprenaient à jouer et voler et il y avait des tournois amicaux organisés entre les différents clubs. Acheter des parts dans une entreprise de balais ? Oui, c’était une idée mais... qu’est-ce qu’il faisait de ses journées ? Il attendait que l’argent revienne ? Quand son amie prononça le mot « arbitre », ajoutant qu’il pourrait pénaliser les équipes adverses, une étincelle passa dans ses yeux verts.

- Tu sais comment me parler, Sash’, répondit-il avec un sourire. Coller des pénaltys injustes aux Epouvantard... Siffler à chaque fois que Blair Williams effleure la ligne même si elle ne la passe pas... Il eut une rêverie de quelques secondes. Ouais, ça, ça me ferait plaisir.

Il ne devrait pas normalement souhaiter la vengeance, surtout que Blair ne lui avait rien fait individuellement, elle avait juste saisi une opportunité qui se présentait à elle. Il aurait fait la même chose... mais c’était facile de diriger sa colère envers elle et cela le soulageait un peu.

- Je ne tiendrais pas trois matches, la Ligue me virerait prestement mais ça serait chouette, ouais.

Posant ses coudes sur la table, il attrapa la plume que Sasha avait déposé à coté de son parchemin et la fit tourner entre ses doigts.

- On en revient quand même au Quidditch, souligna-t-il avec un sourire un peu amer. Je... Il hésita quelques secondes et baissa la voix, même si les premières tables étaient assez éloignées d’eux. Je ne sais pas si j’ai envie de me trouver un autre stage ou un autre plan de carrière, pour le moment. Je sais pas, j’ai l’impression que si je décide de faire autre chose, c’est comme... comme reconnaître que c’est foutu, pour le Quidditch. Que ça y est, je renonce. Et je ne sais pas si je suis prêt à renoncer. Il sentit sa gorge se serrer. J’ai pas envie de renoncer...

Sasha fut ravie de voir le regard d'Andrew s'éclairer quand elle suggéra une carrière d'arbitre. Les sourires du Gryffondor se faisaient un peu plus rares, ces derniers temps, et elle était toujours fière quand elle arrivait à lui en décrocher un. Elle ne chercha même pas à le raisonner quand il s'imagina distribuer des pénalités injustifiés à Blair Williams. Au fond, elle savait que sa camarade de dortoir n'avait rien fait qui mérité une telle punition, mais si Andrew avait décidé de lui en vouloir, elle n'allait pas l'en empêcher.

"Ce serait certainement une sorte de records, commenta-t-elle avec amusement quand il conclut qu'il ne tiendrait pas trois matchs avant de se faire virer, avec une telle attitude. L'arbitre le moins impartial de l'histoire."

Le visage d'Andrew s'assombrit et il baissa la voix pour lui avouer qu'il ne se sentait pas prêt à chercher un nouveau plan de carrière. Le coeur de Sasha se serra quand il expliqua avoir le sentiment de devoir renoncer définitivement au Quidditch. Elle imaginait combien cela lui devait coûter, d'envisager un avenir différent de celui auquel il avait toujours aspiré. Il suffisait de croiser son regard humide pour voir à quel point cette épreuve était difficile pour lui.

Instinctivement, elle tendit le bras par dessus la table pour poser sa main sur celle du Gryffondor. Elle avait agit sans réfléchir, dans une tentative vaine de lui apporter un peu de réconfort via ce contact physique, mais éprouva une certaine gêne en sentant sa peau contre la sienne. C'était un geste qu'elle se permettait très facilement, avant. Maintenant chaque rapprochement entre eux lui rappelait la soirée de fin d'année, le baiser qu'ils avaient échangé, et la façon dont Andrew l'avait repoussée. Alors elle ne lui attrapait plus la main, elle ne lui ébouriffait plus les cheveux pour le faire enrager, ne réajustait plus son uniforme quand il était de travers. Elle laissait ça à d'autres. A Katrina Keller par exemple.

Sasha n'avait pas pu échapper aux bruits de couloirs qui circulaient sur Andrew et leur camarade de Poufsouffle. Il n'y avait rien d'étonnant à ce que d'autres filles trouvent le Gryffondor attirant, et elle avait toujours su que le jour viendrait où il fréquenterait l'une d'entre elle, mais ce n'en était pas moins douloureux de savoir qu'il lui avait préféré une autre. Elle ne pouvait pas s'empêcher de se demander ce qui faisait que Katrina lui plaisait, et pas elle. Est-ce qu'elle n'était pas assez jolie ? Pas assez drôle ? Pas assez à l'écoute ?

Elle ignora ces pensées pour le moment et, après avoir pressé doucement la main d'Andrew dans un geste de réconfort, retira la sienne.

"Ce n'est pas foutu, affirma-t-elle en se penchant un peu vers lui, bien qu'elle n'ait aucun moyen d'en être certaine. Et tu n'es pas obligé de renoncer. Je sais que tu continueras de te battre pour pouvoir remonter sur un balais, et si quelqu'un peut y arriver c'est bien toi, mais... Elle chercha ses mots un instant. Mais rien ne t'empêche d'explorer d'autres horizons à côté, juste au cas où. Et tu n'es pas obligé d'envisager quelque chose de radicalement différent ! Tu peux faire quelque chose qui reste proche du Quidditch, et qui te permettes de recommencer à voler tout doucement, à ton rythme. Tu pourrais... Elle parcourut du regard la liste qu'ils avaient dressé en cherchant un métier qui remplirait tout ces critères. Tu pourrais être journaliste sportif, avança-t-elle, pas vraiment convaincue. Ou donner des cours de vol pour enfants ! Ça te permettrait de garder un pied dans le monde de Quidditch, et de pouvoir reprendre quand tu le pourras."

"Si tu le peux" aurait été une formule plus adaptée mais elle n'avait pas le coeur à se montrer défaitiste.

Andrew avait essayé de contrôler le ton de sa voix, il avait essayé d’avoir l’air posé, assuré, en disant qu’il ne souhaitait pas renoncer au Quidditch. D’avoir l’air raisonnable. Or il s’était entendu. Ses mots avaient vacillé, sa gorge s’était nouée, ses yeux s’étaient humidifiés. Il papillonna des paupières pour mieux le dissimuler mais cela n’échappa pas à Sasha. Il sentit sa main venir se poser sur la sienne par dessus la table, dans une tentative de le réconforter. Il baissa le regard sur le contact, réalisant l’espace d’un instant que ce n’était pas arrivé depuis longtemps. Ce n’était pas arrivé depuis les évènements de la soirée de fin d’année. Avant, il la serrait dans ses bras lorsqu’ils se retrouvaient après les vacances. Ils avaient déjà arpenté des marchés de Noël bras dessus-dessous, enthousiasmés par les manèges autour d’eux. Elle lui donnait des petits coups pour plaisanter lorsqu’il l’embêtaient pendant les cours de potion, il passait son bras autour de ses épaules pour la serrer contre lui après l’avoir trop taquinée. Avant. 

Ils n’avaient pas reparlé de cette soirée. Il ne pensait pas qu’ils le feraient. Tous les évènements s’étaient entremêlés, l’histoire avec Clayton, la soirée... Il se sentait coupable dans tout ce qui était arrivé. Coupable de ne pas l’avoir rattrapée ce soir-là, coupable d’être aussi impliqué malgré lui dans cette histoire vidéo, coupable de ne pas l’avoir contactée durant l’été, de ne pas l’avoir prévenue.. Il lui était reconnaissant de son pardon, il était reconnaissant de pouvoir encore être son ami après tout cela. Il ne voulait pas rouvrir de plaies, il ne voulait pas aggraver les choses. Il ne voulait pas qu’elle se rappelle qu’elle pourrait avoir de bonnes raisons de le détester. Ils étaient passés à autre chose... Et pourtant, parfois, l’espace de quelques secondes, l’ombre de ce qui était arrivé s’immisçait entre eux.

Elle pressa sa main et lui fit un léger sourire avant d’affirmer que ce n’était pas foutu. C’était ce qu’il avait envie d’entendre, ce qu’il avait besoin d’entendre. C’était ce que son père lui disait. Quand elle lança qu’il continuerait à se battre pour monter sur un balai, il hocha légèrement la tête. Même si cela déclenchait de la colère et du découragement chez lui, il ne ratait pas ses séances de rééducation. Il était frustré quand la kinémage ne le laissait pas aller assez loin à son goût, quand elle ne le laissait pas dépasser ses limites. Il avait envie de le faire. Repousser les limites, les dépasser et les repousser encore. Même s’il finissait allongé sur le sol à tenter de reprendre son souffle, les jambes tremblantes et la vision brouillée. Même si cela nécessitait d’essayer encore et encore. Même si cela prenait du temps. Il voulait avoir l’impression de progresser, de vraiment progresser et pas seulement pour pouvoir monter des escaliers sans être essoufflé. Il voulait pouvoir recourir, vraiment, il voulait pouvoir soulever des choses lourdes, encore, il voulait pouvoir se hisser au dessus d’une barre avec facilité. Il voulait retrouver le avant. Il ne savait pas combien de temps cela prendrait. Il ne savait même pas si c’était véritablement possible, si ses vertiges et ses nausées disparaîtraient, les migraines paralysantes qui le saisissaient, ses muscles qui le lâchaient des fois sans prévenir, le faisant trébucher. Les douleurs dans son dos à la fin d’une journée, la sensation de faiblesse après avoir atteint la tour de Gryffondor. Il ne savait pas comment lutter contre cela. Les médicomages parlaient de temps et de chance.

- Oui... soupira-t-il lorsque Sasha évoqua qu’il pourrait trouver quelque chose qui lui permette de recommencer doucement à voler. Il n’était pas complètement convaincu. Personne ne devenait professionnel à vingt-cinq ans, c’était maintenant et dans les trois ou quatre ans à venir que cela allait se jouer. Ne devrait-il pas concentrer tous ses efforts sur sa rééducation et son projet, pour pouvoir justement avoir toutes ses chances ? L’apprentissage pour ça est facile, répondit-il à sa proposition d’être journaliste sportif. Ma belle-mère bosse à On relâche le Vif, la célèbre émission Quidditch grand public de la RITM. Son père était très souvent en grand désaccord avec leurs analyses. Donner des cours, oui... répondit-il sans grand enthousiasme. Ce n’est pas que je n’aimerais pas mais je me voyais bien faire ça après... Après une petite carrière dans le monde du Quidditch pro. Pas grand-chose hein, remporter la coupe de la Ligue deux ou trois fois, pourquoi pas la Coupe d’Europe, éventuellement la Coupe du Monde.

Le même palmarès que celui de son père. Il haussa légèrement les épaules, ne pouvant pas s’empêcher d’avoir un sourire en coin.

- Pas grand-chose, donc.

Il reprit la plume de Sasha pour la faire tourner entre ses doigts.

- J’aurai dû faire divination, reprit-il. Pour voir l’avenir. Savoir où on en sera dans dix ans. Toi c’est facile, lança-t-il en relevant les yeux sur elle. Grande cheffe quelque part au Ministère de la Magie, dans un appartement sur les toits de Leopoldgrad et plein de gens sous tes ordres.

C’était une évidence que Sasha réussirait tout ce qu’elle entreprendrait.

- J’aimerais bien savoir pour moi. Cindy fait divination pour les ASPICS, non ? Tu penses qu’elle pourrait me lire les feuilles de thé ?

Il ne plaisantait qu’à moitié.

Andrew n'était pas complètement fermé à l'idée de devenir journaliste sportif ou professeur de vol, ce que Sasha décida de considérer comme une victoire. Son enthousiasme se teinta toutefois de tristesse quand il ajouta que c'étaient des choses qu'il avait envisagées de faire après une carrière dans le Quidditch. Et pas une petite carrière ! Elle n'y connaissait pas grand-chose mais le palmarès qu'il lui cita lui paraissait plutôt impressionnant, ne serait-ce que pour la coupe du monde. Elle se doutait bien que de remporter tous ces trophées était autrement plus attrayant que d'apprendre à des enfants de huit ans à atterrir sur leurs pieds, mais commencer par l'enseignement ne voulait pas dire renoncer au Quidditch. Andrew était encore jeune, il pouvait se laisser quelques années avant de se considérer comme un joueur périmé.

"C'est ce que font tous les joueurs, répliqua-t-elle. Commencer par ramener la coupe à la maison puis se reconvertir dans l'enseignement. C'est un peu banal si tu veux mon avis. Elle ponctua sa phrase d'un haussement d'épaule. Commencer par un ou deux ans d'enseignement pour ensuite aller décrocher la coupe du monde, ça c'est original. Il faut savoir se démarquer un peu !"

Elle essayait de lui remonter le moral, mais elle avait bien conscience qu'il faudrait plus que quelques plaisanteries pour ça. Son ami traversait une véritable crise existentielle et elle ne savait pas comment l'aider. Ce qu'elle savait en revanche, c'était que la divination ne leur serait d'aucun secours. Premièrement parce qu'elle n'était pas persuadée que connaitre son avenir soit un cadeau, et deuxièmement parce qu'elle n'était pas convaincue par la fiabilité de cette branche de la magie. Elle ne doutait pas que certains sorciers puissent avoir des aptitudes particulières, mais elle avait l'impression que pour les autres il s'agissait plus ou moins d'un exercice d'imagination.

Andrew et elle n'avait pas choisi Divination pour leur ASPIC, pourtant le jeune homme lui dressa un portrait de son avenir qui la fit sourire. Elle espérait qu'il ne se trompait pas. Son apprentissage à Skye lui plaisait énormément mais une carrière au Ministère, au plus proche des sphères du pouvoir, la tentait beaucoup. Elle aurait aimé pouvoir allier la recherche scientifique et la politique. Peut-être au département des Mystères.

"J'aime bien l'idée, concéda-t-elle. J'ai fait assez de cafés pendant mes stages, j'aimerais bien avoir quelqu'un sous mes ordres pour m'en préparer."

Il lui faudrait probablement plusieurs années avant d'atteindre ce niveau de carrière, mais elle faisait tout son possible pour y arriver. Quand il lui arrivait de se sentir découragée face à ses révisions, elle se forçait à penser à ces postes qu'elle rêvait d'occuper un jour, secrétaire auprès du Ministère de la Magie, Directrice du département des Mystères, Responsable de la communication du Ministère. Cela ne manquait jamais de la remettre dans le droit chemin.

Sasha grimaça quand Andrew suggéra de s'en remettre à Cindy pour connaitre son avenir.

"Je pense qu'elle serait ravie. Sa camarade sautait sur chaque occasion de pratiquer. Mais je ne m'y fierais pas trop si j'étais toi... Elle m'a prédit ma mort deux fois le mois dernier. Le mois n'était pas encore fini mais elle espérait échapper à ce funeste présage. Et à priori il y aurait des donjons et des chaînes dans mon avenir... Je vais peut-être me faire enfermée dans une tour gardée par un dragon ?"

L'explication la plus probable était que Cindy avait abusé des contes pour enfance dans sa jeunesse, et débordait d'imagination.

"Qu'est-ce que tu voudrais qu'elle voie, de réalisable, dans ces feuilles de thé ?"

Aux yeux de Sasha, définir clairement ses propres objectifs et préparer un plan d'action pour les atteindre restait la façon la plus efficace de les atteindre.

Andrew eut un vague sourire lorsque Sasha déclara que son plan de carrière était en somme trop banal. Gagner la Coupe du Monde ? Très peu impressionnant selon miss Benson mais gagner la Coupe du Monde après avoir débarqué sur le tard dans le milieu ? Ca c'était quelque chose ! Il songea un instant qu'elle n'avait pas vraiment idée d'à quel point ce sport était compétitif et difficile. Combien de joueurs des équipes de l'école, remplaçants inclus, sortaient de Poudlard avec le souhait d'intégrer un centre de formation ? La majorité, au moins. A cela, il fallait ajouter les joueurs qui avaient un, deux ou trois ans de plus mais qui montaient un peu plus en puissance au fil des mois et qui finissaient par intégrer une équipe de la Ligue. Il y avait également sur le marché des joueurs étrangers qui venaient chercher le prestige du championnat britannique, un des meilleurs d'Europe avec l'Allemagne, l'Espagne, la Bulgarie, la France et la Grèce. Arriver à se démarquer, quand on était jeune, en forme, entraîné et talentueux, était déjà quelque chose de foncièrement difficile. Alors quand on était blessé et même plus membre d’une équipe scolaire... Même le nom prestigieux qu’il portait floqué sur son dos ne suffirait pas à lui sauver la mise.

- On reconnaît bien la Serpentard en toi, lança-t-il à son amie, n’ayant pas le courage de lui (ré)expliquer les rouages complexes et sélectifs du Quidditch professionnel. Toujours plus d’ambition... Quoique, cette volonté de se faire remarquer tient un peu des Gryffondor, aussi... t’es certaine que le choixpeau n’a pas hésité un peu ?

Il la taquinait : il savait bien que Sasha était la digne représentante de sa maison, tout comme lui d’ailleurs. Aucune autre n’avait été évoquée, pas même Poufsouffle, alors que certains de ses amis lui disaient qu’il aurait pu en faire partie... ni même Serpentard, quand d’autres de ses amis prétendaient que ses ambitions sportives et sa détermination auraient pu l’envoyer chez les verts et argent. À tous les coups, Blair et lui auraient fait une redoutable paire de batteurs... S’ils ne s’étaient pas étripé pour la place de capitaine avant (il l’aurait eue, bien évidemment.)

- Je pense que tu auras bien plus d’une seule personne sous tes ordres, mais Cindy te confirmera ça mieux que moi. Elle adorait la divination, option qu’elle conservait pour les ASPICS, mais également l’astrologie, Mercure qui rétrogradait et toutes ces choses-là. Elle était du genre à lui dire « Bien évidemment que tu es Lion ascendant Sagittaire Andrew, puis avec Vénus dans ta maison... On sait tous ce que ça veut dire » (Il ne savait absolument pas. Il ne savait pas ce que Vénus venait faire dans sa maison et, au vu de l’expression entendue de Cindy, il n’avait pas souhaité poser la question.) Le mois n’est pas fini ! protesta-t-il lorsque Sasha déclara que son amie lui avait déjà prédit sa mort deux fois. Tu sais, j’ai entendu dire que les cognards n’étaient pas très fiables ici - je ne parle pas d’Ahren Keller - et un accident est si vite arrivé... La mention des chaînes lui fit hausser les sourcils, et il pointa la plume qu’il faisait tourner entre ses doigts sur elle. Ou bien, tu finis par enfermer des gens dans un donjon... Ça me paraît plus toi, ça, tiens.

Un « Chuuuuut » outré lui fit tourner la tête. À la table d’à côté, des Serdaigle de première ou deuxième année avaient levé le nez de leurs livres. Une petite fille à la mine rouge de colère et à l’air courroucé les fusillait du regard.

- À la bibliothèque, il faut travailler en silence !

D’un doigt accusateur, elle pointa du doigt une affiche sur le mur qui rappelait les règles du lieu (Silence demandé, chuchotements brefs autorisés, pas d’entraînement aux sortilèges, enchantements et potions, pas de nourriture, hiboux interdits.) Brusquement amusé par cette petite bouille énervée, Andrew ne put retenir un sourire, qu’il adressa à Sasha.

- Mais que font les préfets, souffla-t-il en baissant les yeux sur le badge qu’elle avait épinglé à sa poitrine.

Il se retint de rajouter que cette petite fille énervée et très à cheval sur le règlement lui faisait penser à elle, il y a quelques années... Il avait l’impression que mini-Sasha lui aurait balancé un maléfice cuisant (même si c’était contre le règlement intérieur.)

A la question qu’elle lui posa, il prit quelques secondes pour réfléchir... Quelque chose de réalisable...

- Je voudrais finir la saison de Quidditch avec Gryffondor. Arriver à me remettre suffisamment en forme pour remonter sur mon balai et jouer les matches restants. Ne pas rester sur ce match contre Serpentard.  

Sasha n’eut même pas le temps de réagir à la remarque d’Andrew sur le danger que représentaient les cognards ces temps-ci -et il était bien placé pour le savoir- qu’un « chhhhut » agacé lui fit tourner la tête sur le côté. A leur gauche, une fillette de première année les fixait avec un air courroucé et leur rappela qu’ils étaient censés travailler en silence. Sasha se mordit la lèvre pour se retenir de rire face à cette bouille rouge de colère, et s’excusa d’un petit sourire. Elle ne pouvait pas en vouloir à la fillette de se montrer autoritaire, elle-même rappelait régulièrement à l’ordre ceux qui faisaient trop de bruit à la bibliothèque, dont elle faisait désormais partie.  

"Tu as une très mauvaise influence sur moi, répondit-elle en baissant la voix. Si on se fait expulser de la bibliothèque je ne te le pardonnerai jamais. " Elle ne plaisantait qu’à moitié.

Ses séances de révision étaient beaucoup plus agréables quand elle les partageait avec Andrew mais aussi bien moins efficaces. Son traité d’herbologie était ouvert à la même page depuis une demi-heure et elle n’avait pas pris une seule note sur le mimbulus mimbletonia. Elle travaillerait plus tard ce soir, pour compenser. Elle ne comptait pas poursuivre la botanique pour ses APSIC, mais elle tenait à obtenir d’excellentes notes dans toutes les matières, au cas où.

"Je ne vois pas pourquoi ça n’arriverait pas, répondit-elle quand Andrew partagea ses espoirs avec elle. Peut-être pas cette année, tempéra-t-elle. Mais il nous reste deux ans et demi avant de quitter Poudlard, ça te laisse suffisamment de temps pour te remettre en forme et retrouver ta place dans l’équipe. "

Elle n’était pas médecin, et elle n’avait certainement pas les compétences nécessaires pour affirmer une telle chose, mais elle y croyait. Tout ce dont Andrew avait besoin c’était de temps, et il en avait plus qu’il ne semblait le croire. Ils n’étaient qu’en cinquième année. Il avait deux ans pour se remettre en forme et retrouver un bon niveau de vol avant de quitter l’école et de devoir envisager une carrière. Si quelqu’un pouvait y arriver, c’était bien lui.



29 juin 2012

Près de cinq mois s’étaient écoulés depuis cette conversation avec Andrew sur leur avenir. Beaucoup de choses avaient changé depuis, Andrew avait repris le Quidditch, il retrouvait sa joie de vivre et son ambition, les BUSE étaient finies. Pourtant, Sasha était installée presque à la même place, dans un coin de la bibliothèque, penchée sur un manuel qu’elle n’aurait jamais pensé consulter avant : Le guide pratique des sortilèges ménagers.

Ils quittaient Poudlard le lendemain matin, et elle allait vivre seule pour la première fois de sa vie. Aussi avait-elle jugé qu’il pourrait lui être utile de maitriser quelques sortilèges de base, histoire de pouvoir laver son linge ou repasser ses chemises sans réduire son appartement en cendres. Elle était en train de mémoriser une formule qui permettait d’ensorceler les vitres afin qu’elles se nettoient toute seule (elle n’avait aucune envie de devoir récurer à la main sa grande baie vitrée) quand la voix de la bibliothécaire lui fit lever la tête. Cette dernière lui annonça que la bibliothèque allait fermer ses portes, et qu’elle était obligée de lui demander de partir. Elle parla en promenant son regard autour d’elle comme pour souligner l’absence d’autres élèves et lui rappeler qu’elle aurait dû être avec les autres, à profiter des derniers rayons du soleil ou à se préparer pour la soirée de fin d’année.

Sasha avait pris la décision de ne pas s’y rendre, cette fois-ci. Elle avait déjà hésité l’année dernière, et avait amèrement regretté de ne pas être restée sagement dans son dortoir. Elle n’avait aucune envie de revivre les évènements de la dernière fois, et préférait évité tout ce qui pourrait lui rappeler cette horrible soirée et les conséquences qui en avaient découlé. Elle nota un dernier sortilège de détachage sur un coin de parchemin et prit soin de ranger le livre avant de quitter les lieux en souhaitant un bel été à la bibliothécaire.

La porte en bois se referma derrière elle et un cliquetis métallique lui indiqua qu’elle venait d’être verrouillée de l’intérieur. La bibliothèque ne rouvrirait qu’en septembre, comme l’indiquait un écriteau accroché sur la porte qui invitaient les élèves ayant oublié de rendre un livre à le renvoyer par hiboux pendant l’été. Sasha se détourna de l’affiche et fut surprise de voir Andrew arriver dans sa direction. Il s’était débarrassé de son uniforme, comme tous leurs camarades en ce dernier jour d’école, et portait un t-shirt vert qui rappelait la couleur de ses yeux.

"Ne me dis pas que tu viens pour la bibliothèque, l’accueillit-elle avec un sourire un peu moqueur. Pas de chance, elle vient juste de fermer !"

Elle ne voyait aucun livre dans les bras de son ami ; et il était très peu probable que le Gryffondor soit venu pour en emprunter un avant les vacances. Elle se demandait d’ailleurs ce qu’il venait faire de ce côté du château. Il aurait déjà dû être en route pour la soirée de fin d’année, mais les élèves les plus cool arrivaient toujours plus tard.

"Tu vas à la soirée ? " s’enquit-elle, même si elle connaissait déjà la réponse.

C’était le dernier jour de l’année. Une année qui, pour Andrew, avait été longue, difficile et éprouvante. Il avait l’impression qu’il s’était en réalité écoulé cinq ans depuis le jour de la rentrée, lorsque ses amis et lui se disaient que la sixième année, c’était dans la poche. Une année sans BUSES, sans ASPICS... L’idéal, non ? Rien ne s’était passé comme prévu. La diffusion de la vidéo de Clayton dans le train, sa dispute avec Sasha, l’accident, l’hôpital, le renvoi des Epouvantards, la dispute avec Gowan, tout ce qu’il avait construit qui s’écroulait sous ses pieds... Il avait connu à la fin de l’hiver les moments les plus douloureux qu’il ait jamais vécu. Il avait eu l’impression qu’il ne s’en sortirait jamais. Que sa vie serait celle-ci, à contempler l’abîme des possibilités qu’il avait un jour eu à portée de main. Puis le printemps était revenu. Petit à petit. Jour par jour.

Il avait commencé à récolter les fruits des efforts qu’il faisait au cours de sa rééducation intensive et, un beau samedi matin d’avril, il était remonté sur un balai, dans le jardin de son père. C’était comme de voler pour la première fois. Il n’était pas encore question de Quidditch, d’une carrière, des Epouvantards, de quoi que ce soit mais le simple fait de pouvoir revoler lui avait redonné l’impression de sortir la tête de l’eau après une longue apnée. La présence et le soutien constant de ses amis et de sa famille l’avaient aidé à s’accrocher à ce nouvel espoir. Il avait volé de nouveau, il s’était entraîné de nouveau, s’était réinstallé dans une routine familière et salvatrice. Devoir porter assistance à ses amis l’avait également poussé à sortir de sa propre tête et de ses problèmes. Au vu et à mesure que le parc de Poudlard recommençait à bourgeonner, Andrew reprenait pied. Il riait, plaisantait, avait troqué les après-midi médicaux à Sainte-Mangouste contre les sorties à Pré-au-Lard. Il avait retrouvé sa place dans la salle commune, au milieu des autres et, alors que le mois de juin s’amorçait, ses couleurs en tant que capitaine de Gryffondor.

La saison avait été compliquée pour l’équipe, malgré leur beau démarrage avant son accident. Poufsouffle et Serdaigle avaient continué de dominer le haut du classement et avaient gagné leurs places pour la finale de juin : la Coupe leur échappait cette année encore. Leur seul moyen de sauver l’honneur était d’emporter la petite finale contre Serpentard, qui étaient déterminés à faire de même pour occuper la troisième place du tableau. Jouer ce match était extrêmement symbolique pour Andrew. C’était le dernier match de l’année, c’était la première fois qu’il rejouait depuis l’accident mais surtout, c’était pour lui l’occasion de réparer quelque chose. C’était au cours d’un match contre Serpentard qu’il était tombé, que tout s’était arrêter. Rejouer contre eux, dans ce même stade, c’était l’occasion de tordre la main au destin.

Ils n’avaient pas gagné. Ils s’étaient défendu vaillamment, pendant près de trois heures. Ils n’avaient pas cédé une miette de terrain et ils n’avaient pas démérité face à leurs adversaires et aux coups redoutables de Blair, surentrainée par les Epouvantards. Ils étaient à parfaite égalité quand le Vif avait été attrapé. Colette avait plongé mais la petite balle d’or était de l’autre côté du terrain et l’attrapeuse adverse était bien plus proche. Un coup de fortune comme il ne pouvait en exister que dans ce jeu terrible. Pour autant, malgré la déception, lorsqu’ils s’étaient posés, Andrew avait ressenti un grand soulagement. Ils avaient perdu, peut-être. Mais ils avaient joué, ensemble, ils s’étaient battus, ensemble. Ils auraient leur revanche l’année prochaine. Ensemble.  

Car si cette année avait été profondément compliquée pour Andrew, la prochaine lui semblait remplie d’espoir. Son enthousiasme naturel avait repris le dessus : il avait traversé des choses terribles et s’en était sorti. Il reprenait le contrôle sur sa vie et tout l’horizon semblait s’éclaircir. Ses pensées, aussi. Il savait ce qu’il désirait. Il savait vers quel chemin il voulait aller.

Et c’était ce qui l’animait, en ce dernier jour, c’était pour cela qu’il était en route vers la bibliothèque à contre-courant de ses camarades qui terminaient de se préparer pour la soirée de fin d’année. Après le thème de la Pire Soirée de l’Année (qui avait décidément été prophétique...) choisi par Virgil et Damon l’année dernière, les septièmes année de Gryffondor en charge avaient pris le contre-pied : « Nos meilleures années. » Il y avait apparemment une rétrospective de tout ce qui s’était passé ces sept dernières années, avec des photos, des vidéos... Une soirée Powerpoint, quoi, avait cinglé Rachel. Cela avait lieu dans l’un des cachots (même s’il était pour certain pour Andrew que les cachots de potions ne lui évoquaient pas que du positif.) Il comptait bien faire mieux l’année prochaine s’il était le Gryffondor choisi pour l’organiser (et bien sûr que cela serait lui. Ça n’allait pas être Henry.)

Il se sentait un peu nerveux en arrivant à proximité de sa destination. Il avait préparé des phrases, dans son esprit, mais en dehors des discours pour motiver l’équipe, il n’était pas toujours doué avec les mots lorsqu’il fallait être si formel. Il aperçut la silhouette familière de Sasha avant qu’elle ne le voit et ne lui adresse un sourire et une remarque un peu moqueuse. Sans savoir pourquoi, cela l'apaisa immédiatement.

- Mince, fit-il semblant de s’attrister en s’arrêtant à quelques mètres d’elle. Moi qui pensait repartir cet été avec « Réussir ses ASPICS pour les nuls » !

Il n’aurait sûrement pas d’excellents résultats à ses examens de fin d’année, avec les mois en pointillé qu’il venait de vivre. La barre serait haute l’année prochaine.

- Oui. Je ne te retourne pas la question, je suppose ? lança-t-il avec douceur.

"Je l'ai fini, je te le prêterai, répondit-elle avec un sourire quand Andrew affirma qu'il venait à la bibliothèque pour emprunter "Réussir ses ASPIC pour les nuls". Un vrai chef d'oeuvre !"

Elle doutait qu'un tel livre existe, et si c'était le cas il ne devait certainement pas mériter ce qualificatif. Ce genre d'ouvrages étaient habituellement remplis de conseils évidents du type "buvez de l'eau" et "dormez huit heures par nuit" ou "n'oubliez pas de faire des pauses". Si Sasha était plutôt du genre à négliger ce dernier conseil, ce n'était pas le cas de la plupart de ses camarades, qui n'avaient aucune difficulté à s'accorder un peu de repos. La soirée de fin d'année marquait d'ailleurs le coup d'envoi de deux mois d'oisiveté, pour ceux qui n'avaient pas de stage ou de révisions prévues cet été.

Evidement, Andrew appartenait à ceux qui feraient la fête jusqu'au bout de la nuit. Il semblait se douter que Sasha ne serait pas de la partie, ce qu'elle lui confirma en secouant négativement la tête.

"Je dois finir ma valise", répondit-elle simplement, comme si c'était la seule raison de son absence à la soirée.

Au cours de la journée, elle avait souvent repensé à la soirée de l'année dernière. Aux mauvais choix qu'elle avait fait et aux conséquences désastreuses qu'ils avaient eu. Elle avait repensé à Clayton, à la vidéo, aux mois de harcèlement qui avaient suivi, aux moqueries, aux insultes. Elle s'était tellement concentrée sur ses souvenirs négatifs qu'elle en était venue à oublier le début de la soirée, qui avait pourtant été plutôt agréable, avant que tout ne déraille.

Maintenant qu'elle se tenait face à Andrew, c'était à leur baiser qu'elle repensait. A ses lèvres contre les siennes, à sa main dans ses cheveux et à la sienne qui se glissait sous son t-shirt. Une douce chaleur se répandait en elle alors que se remémorait cet instant, qui fut aussitôt teintée d'amertume quand elle se souvint de la manière dont ce baiser s'était terminé. Il était parti. Elle aurait voulu passer le rester de la soirée dans ses bras mais il l'avait repoussée, avait préféré retourner faire la fête. Elle ne lui en voulait plus. Elle avait eu besoin de temps mais elle avait fini par accepter la simple vérité. Andrew ne l'aimait pas comme ça. Et ce n'était pas grave. Ils étaient redevenus amis et elle devait se faire à l'idée qu'ils ne seraient jamais plus que ça.

Ils n'en avaient jamais reparlé. Ces derniers mois, ils avaient passé beaucoup de temps ensemble. Elle l'avait trainé de force à la bibliothèque pour lui faire rattraper son retard sur le programme de sixième année. Elle avait assisté à ses premiers vols en solitaire sur le terrain de Quidditch, et s'était même déplacée pour le dernier match de l'année, remporté de justesse par Serpentard. Ils avaient retrouvé leur ancienne proximité et une certaine complicité. Ils se parlaient librement de leurs attentes, de leurs espoirs, de leurs doutes. Ils pouvaient presque tout se dire, mais ils n'avaient jamais reparlé de ce baiser, échangé il y a exactement un an.

Aujourd'hui plus que jamais elle sentait le souvenir de ce moment flotter entre eux, et réveiller en elle une forme de gêne.

"Bon bah... bonne soirée !"

Elle réajusta la sangle de son sac sur son épaule et passa devant Andrew. Elle sentait qu'elle devait s'éloigner, et couper court à ce non-dit sous-jacent entre eux, pourtant elle ne pouvait se résoudre à le quitter. Elle venait de dépasser le Gryffondor quand elle se retourna pour lui adresser un dernier sourire.

"Ne fais pas de bêtises."

Et elle savait de quoi elle parlait.

Sasha lui répondit simplement qu’elle devait faire sa valise, comme si c’était la simple explication pour son absence à la soirée de ce soir. Il comprenait qu’elle ne souhaite pas aller à l’édition de cette année : tout avait été un désastre. Clayton, la vidéo... et juste avant cela, leur dispute. Et avant... leur baiser. Ils avaient parlé, ils avaient dansé, elle l’avait embrassé et il l’avait embrassée en retour. Longuement. Ils n’en n’avaient jamais reparlé. Mais il y avait beaucoup repensé ces dernières semaines.

Ils avaient passé énormément de temps ensemble, plus que d’habitude. Elle avait été pour lui d’un soutien sans faille. Ils restaient de longues heures tous les deux, à la bibliothèque. Il la regardait travailler, ses longs cheveux clairs remontés sur sa nuque. Alors qu’il avait l’impression que tout s’écroulait, elle était restée la même avec lui, malgré tout ce qui s’était passé l’année dernière entre eux. Elle lui avait pardonné, elle l’avait aidé. Il n’avait jamais eu l’impression qu’elle le regardait avec la même pitié que les autres. Il lui en était profondément reconnaissant. Elle était sa meilleure amie... Et dans le même temps, il ne parvenait plus à sortir ce baiser de sa mémoire, celui qu’il avait tant cherché à ignorer. Il la revoyait, ses yeux clairs, la douceur de ses lèvres, la chaleur de ses doigts sur sa peau. Ce souvenir ne manquait jamais de faire tambouriner son coeur. Quelque chose avait changé, il ne savait pas pourquoi, il ne cherchait même pas à savoir pourquoi... Car pourquoi pas ?

Ils étaient bien, quand ils étaient tous les deux, il avait envie de passer ses après-midi avec elle. Il cherchait son regard dans la Grande Salle le matin, sa présence dans les couloirs avant le cours de DCFM. Il effleurait sa main lorsqu’ils étaient assis côte à côté à cours de potions. Il avait envie de plus. Il n’avait jamais été très bon pour analyser ses sentiments mais il était certain de ce dont il avait envie aujourd’hui.

Lorsqu’elle lui souhaita bonne soirée, en passant à côté de lui, son parfum léger l’entourant, sa main eut un léger mouvement, comme pour la retenir. Lorsqu’elle se retourna, pour lui adresser une dernière plaisanterie, il eut un sourire. Son coeur battait fort, comme lorsqu’il plongeait vers le sol avec son balai. Il ne voulait pas la brusquer, il ne voulait pas ruiner leur amitié, il ne voulait pas gâcher la relation qu’ils avaient réussie à reconstruire. Mais il avait terriblement envie de l’embrasser.

- C’est dommage... répondit-il, ses yeux cherchant les siens. C’était justement ce que je voulais faire, ce soir.

Il fit un pas vers elle, ses doigts venant effleurer sa taille. Ses prunelles claires passèrent de ses yeux à ses lèvres. Doucement, il finit par laisser sa main remonter jusqu’à sa joue, caressant sa pommette.

- Est-ce que je peux t’embrasser ? finit-il par murmurer.

Le sourire de Sasha vacilla légèrement quand Andrew lui répondit qu’il avait justement l’intention de faire des bêtises, ce soir. A la façon dont il la regardait, elle avait le sentiment que ce message lui était destiné, pourtant il savait qu’elle ne serait pas à la soirée. Son coeur fit un bond dans sa poitrine quand il fit un pas vers elle, et elle sentit un frisson courir le long de sa colonne vertébrale alors qu’il effleurait sa taille. Les yeux du Gryffondor quittèrent les siens pour se poser sur ses lèvres et elle retint son souffle.  Elle était comme dans un état second, et avait l’impression que son cerveau était enveloppé dans du coton. Tout son esprit était concentré sur la main d’Andrew posée sur sa joue, et sur son visage si proche du sien.

Elle se contenta de hocher la tête en souriant quand il lui demanda s’il pouvait l’embrasser. Elle ferma les yeux quand il se pencha vers elle et accueillit son baiser avec le soulagement qui accompagne la fin d’une longue attente. Elle éprouvait la même satisfaction que l’année dernière, quand leurs lèvres s’étaient enfin trouvées après ce qui lui avait paru une éternité. Elle s’attendait à ressentir également la même plénitude, le même plaisir, le même désir, mais elle ne parvenait pas à se débarrasser d’une désagréable sensation de malaise. Quelque chose n’allait pas. Elle n’arrivait pas à s’abandonner complètement à ce baiser. Une question tournait en boucle dans son esprit et l’empêchait de profiter pleinement de ce moment, qui aurait pourtant dû être magique.

Elle se sépara d’Andrew à contrecoeur, sans pour autant s’éloigner de lui. Elle attrapa même sa main dans la sienne, comme pour s'assurer qu'il ne pourrait pas s'échapper.

"Pourquoi ?" souffla-t-elle simplement en levant ses grands yeux clairs vers lui.


Elle avait besoin de savoir. Elle avait besoin de comprendre. Pourquoi voulait-il l’embrasser maintenant ? Pourquoi n’avait-il pas voulu continuer à l’embrasser l’année dernière ? Elle était ravie de cette initiative, bien sûr, et elle aussi avait très envie de l’embrasser, mais elle se souvenait de ce qui s’était passé après leur baiser l’été dernier, et elle ne voulait surtout pas revivre ça. Sans parler de la vidéo de Clayton et de tout ce qui avait suivi, elle avait mis des mois à se remettre du rejet d’Andrew, et elle n’était pas prête à le faire à nouveau. S’il l’embrassait pour la repousser ensuite, elle n’était pas intéressée. Et s’il était réellement attiré par elle, alors pourquoi ne pas l’avoir retenue l’année dernière ? Elle était confuse, et ne savait plus vraiment ce qu’elle espérait entendre.

"Pourquoi est-ce que tu n’as pas voulu… ? L’année dernière", précisa-t-elle.

Une partie d'elle se maudissait de gâcher cet instant en ravivant le souvenir douloureux de leur dernière dispute, mais elle se savait incapable de profiter de ce baiser tant attendu tant que les choses ne seraient pas claires entre eux. Ils avaient réussi à éviter cette conversation pendant un an, mais elle apparaissait comme indispensable maintenant qu'ils s'apprêtaient à refaire les mêmes bêtises.

Ce fut avec un sourire aux lèvres que Sasha hocha la tête, l’autorisant à poursuivre. Il s’écoula un infime instant avant qu’il finisse de combler la distance entre leurs lèvres, l’embrassant enfin. Son coeur manqua un battement. Il avait anticipé ce moment ces dernières semaines, il l’avait projeté, il avait imaginé ce que cela pourrait être, les images de leur précédente éteinte se superposant à ses désirs. C’était aussi doux que la dernière fois, les mains de Sasha sur son torse, son parfum familier, la chaleur de son visage sous ses doigts, sa présence si proche de lui. Il avait l’impression qu’il pourrait faire cela toute la soirée, aller à la fête de fin d’année lui semblant tout de suite moins tentant.

Lorsqu’il se séparèrent, la première chose qu’il distingua furent ses grands yeux clairs et emplis de questions. Leurs doigts s’entremêlèrent alors qu’elle lui murmurait un pourquoi. Il ne pouvait pas lui en vouloir, lui-même s’était posé ces questions au fur et à mesure que sa résolution se formait dans son esprit. Pourquoi maintenant alors qu’il n’avait pas cherché à approfondir les choses il y a un an ? Pourquoi maintenant alors qu’il avait juré pendant des années qu’ils n’étaient qu’amis ? Pourquoi maintenant alors que leur réconciliation était intervenue en décembre, pourquoi maintenant alors qu’ils avaient passé de longues heures ensemble ces derniers mois ? Il n’avait même pas toutes les réponses lui-même. Les choses s’étaient imposées à son esprit au fur et à mesure, au fur et à mesure des après-midi qu’ils passaient ensemble, à chaque fois qu’il se sentait profondément  reconnaissant de son soutien inconditionnel, de sa présence, de ses discrètes attentions. À chaque fois qu’il remarquait ses yeux, ses longs cils, le rose à ses joues, ses mains fines, le sourire qu’elle tentait de dissimuler lorsqu’il l’embêtait, l’air concentré qu’elle avait lorsqu’elle rédigeait de longs parchemins pour leurs leçons, la façon dont sa queue de cheval se balançait derrière elle à chacun de ses pas.

- Parce que j’en avais envie depuis quelques temps... souffla-t-il en réponse.

Lorsqu’elle mentionna l’année dernière, il ne recula pas. Il avait eu suffisamment de temps pour savoir ce qu’il pouvait répondre à cette question : la vérité.

- C’est allé trop vite... j’ai juste paniqué, tu m’as pris par surprise...

Elle lui avait proposé de monter dans son dortoir alors vide et les possibilités que cela pouvait engendrer l’avait alors terrifié.

- Tu es partie si vite et si fâchée, je n’ai pas vraiment eu le temps de... mais j’aurais dû te rattraper et j’aurais juste dû te le dire. Je suis désolé...

Sasha ne put retenir un sourire quand Andrew répondit l’avoir embrassée parce qu’il en avait envie depuis longtemps. Elle aurait aimé se contenter de cette réponse. Saisir cette seconde chance qu’il leur offrait et y plonger sans hésitation. Mais son esprit restait focalisé sur ce qui n’avait pas fonctionné l’année dernière, sur la dispute qui avait suivi leur baiser, et elle ne parvenait pas à se débarrasser de la crainte que les choses se passent de la même façon cette fois-ci. Elle aussi avait très envie de l’embrasser, et depuis longtemps. Mais elle n’était pas prête à le faire si cela devait à nouveau leur coûter leur amitié.

Consciente qu’elle allait certainement gâcher ce beau moment avec ses questions, et maudissant son cerveau pessimiste, elle partagea ses interrogations avec Andrew. Sa réponse ne la rassura qu’à moitié, et la prit un peu par surprise.

"Je suis désolée", répondit-elle presque mécaniquement.

Elle avait passé la plus grande partie de l’année à se faire traiter de tous les noms et à subir des remarques sur le fait qu’elle soit une fille facile, pour rester polie. Elle commençait à avoir l’habitude de se voir reprocher sa vie sexuelle soi-disant débridée, mais cela la blessait davantage venant d’Andrew. Elle n’avait pas eu le sentiment d’être particulièrement entreprenante l’année dernière, sauf peut-être quand elle avait proposé qu’ils montent dans son dortoir pour être plus tranquilles… Elle avait pensé que c’était ce qu’il attendait. Que c’était ce que tous les garçons attendaient. Elles entendaient les conversations de ses camarades masculins dans les couloirs et le sujet revenait assez régulièrement, dans des remarques, des blagues, c’était comme s’ils ne pensaient qu’à ça.

Pourtant elle comprenait de la réponse d’Andrew que c’était cette proposition qui l’avait pris par surprise l’été dernier. Il avait voulu l’embrasser, mais ne s’était pas attendu à ce qu’elle veuille aller plus loin. Sasha voulait bien l’entendre mais ne comprenait pas pourquoi il ne lui avait rien dit en ce sens. Ses souvenirs étaient confus mais elle ne se rappelait pas l’avoir entendu dire que les choses allaient trop vite. Il avait dit qu’il préférait retourner à la fête, et elle avait pensé qu’il ne voulait pas passer le reste de la soirée avec elle, ce serait-elle trompée ?

"Tu aurais pu me le dire, si les choses allaient trop vite. Je…j’aurais… ralenti…" répondit-elle finalement en évitant soigneusement le regard d’Andrew.

Ses joues étaient devenues brûlantes et elle se sentait comme si les insultes reçues cette année étaient peut-être vraies, finalement. Comme si elle aurait dû avoir honte d’avoir fait cette proposition, d’avoir osé suggérer qu’ils aillent plus loin. Elle fut encore plus embarrassée quand Andrew lui rappela qu’elle était partie de la tente plutôt énervée. Elle avait honte de ce qu’il avait dû penser d’elle à cet instant. Une nymphomane, incapable d’accepter qu’un garçon puisse lui dire non. Elle avait envie de pleurer, et sentit sa gorge se nouer.

"J’ai cru que tu ne voulais pas rester avec moi, se justifia-t-elle d’une petite voix. Que je ne te plaisais pas…".

Lorsque Sasha déclara qu’elle était désolée, Andrew se sentit immédiatement coupable. C’était une conversation qu’ils auraient dû avoir depuis longtemps et pourtant il l’avait évitée, justement pour cette raison. Il n’était pas toujours doué avec les mots quand on en venait à parler de ce qu’il ressentait et surtout, les choses avaient été si complexes depuis l’année dernière. La distance des évènements, le drame avec Clayton, Gowan et Aby, leur dispute...

- Je ne disais pas ça comme un reproche, souffla-t-il en serrant ses doigts entre les siens.

Il tentait d’expliquer ce sentiment de panique qui l’avait étreint lorsqu’elle lui avait proposé de monter dans son dortoir, cette sensation qui l’avait submergé d’un coup. Elle n’en n’était pas responsable. Beaucoup de choses lui étaient revenues à l’esprit à cet instant-là : les reproches d’Abigail, la peur de ne pas être à la hauteur, la peur de mal faire... Ce mensonge comme quoi Aby et lui l’avaient déjà fait, qu’il avait laissé courir sans jamais le démentir et qui l’avait mis en difficulté. Le fait qu’il ne se sente pas prêt, tout simplement. Avec cette année de recul, avec tout ce qu’il avait vécu depuis, c’était plus facile de le réaliser et de se dire que ça n’était pas grave, qu’il n’avait alors que quinze ans, après tout. Il regrettait de ne pas avoir su le dire, ce soir-là, cela aurait changé tellement de choses.

- Je suis désolé, répéta-t-il, j’aurai dû. Je m’en veux, tu sais. J’aurai dû te rattraper plutôt que de rester là à...

A s’en vouloir et à se traiter de tous les noms, avant de boire tout ce qui lui passait sous la main pour anesthésier son esprit et sa culpabilité.

La voix enrouée de Sasha, ses joues rouges et ses yeux baissés alors qu’elle déclarait qu'elle avait cru qu’il ne voulait pas rester avec elle, qu’elle ne lui plaisait pas, achevèrent de lui briser le cœur. Elle n’était jamais comme ça. Elle n’était jamais dans des états comme ça et c’était sa faute. Plutôt que de lui déclarer une nouvelle fois à quel point il était désolé, il lâcha sa main pour refermer ses bras autour d’elle, l’attirant dans une étreinte. Il avait la gorge nouée. Ils restèrent ainsi un instant, jusqu’à ce qu’il baisse la tête pour déposer un baiser sur sa joue. Sans la relâcher et sans rouvrir les yeux, il murmura :

- J’ai été très bête, Sasha.

Pour changer...

- C’est vrai que j’ai été pris par surprise et que je ne m’y attendais pas, mais... mais j’étais content, souffla-t-il. Et c’était bien et j’avais envie de rester avec toi et quand j’ai dit qu’on devrait retourner à la fête, je voulais dire avec toi, tous les deux.

Il n’avait pas voulu qu’elle parte ou qu’ils se fâchent. Il aurait voulu qu’ils passent la soirée ensemble, qu’ils parlent et qu’ils rient et même qu’ils dansent encore si elle en avait envie. Qu’ils s’embrassent de nouveau.

- Quand tu m’as proposé de monter au dortoir, je... J’ai paniqué parce que ça allait vite et parce que je... ne l’avais jamais fait. Et je ne te l’ai pas dit, parce que j’ai eu honte et que ça craignait, enfin, je pensais que ça craignait et... j’ai été bête, répéta-t-il en se redressant pour croiser son regard. Mais ça n’avait rien à voir avec toi.

Sa main remonta sur sa joue et il effleura sa pommette rose de son pouce.

- Il n’y a rien de non-aimable, chez toi, murmura-t-il en référence à ce qu’elle lui avait lancé avec détresse l’année dernière. Ces mots s’étaient inscrits au fer blanc dans son esprit. J’aime beaucoup... et bien tout, déclara-t-il avec un léger haussement d’épaules. C’était juste que... il ne put s’empêcher de sourire. Comme en cours et comme toujours, tu étais trois pas en avance sur moi. C’était juste le temps de te rattraper...

Sasha se laissa attirer dans les bras d’Andrew et posa sa tête contre son épaule, le cœur lourd et les larmes au bord des yeux. Les excuses du Gryffondor lui laissèrent un profond sentiment de gâchis en travers de la gorge. Il n’avait pas voulu la rejeter l’année dernière. Il aurait voulu la rattraper mais elle avait mal interprété ses paroles et elle était partie trop vite et trop fâchée pour lui laisser une chance de s’expliquer. Tout aurait pu être évité si seulement ils s’étaient parlé. Leur dispute, l’histoire avec Clayton, la vidéo, tout ça ne serait jamais arrivé.

Ce n’était qu’un énorme malentendu. Cette réalisation fit brusquement retomber sur ses épaules toute la pression des derniers mois et elle éclata en sanglots dans les bras d’Andrew. Elle n’avait pas pleuré face aux moqueries et aux insultes, elle n’avait pas pleuré lors du procès, elle n’avait pas versé une larme sur cette histoire, jusqu’à aujourd’hui. Elle avait tenu bon, parce qu’elle savait très bien qu’il n’y aurait personne pour la rattraper si elle craquait, mais elle était fatiguée, et soulagée de pouvoir enfin évacuer toutes les larmes qu’elle avait retenues. Ils restèrent ainsi assez longtemps pour que ses sanglots se calment et, quand ils se séparèrent finalement, elle se sentait un peu honteuse, mais apaisée.

"On a été bête tous les deux", corrigea-t-elle quand Andrew s’excusa d’avoir été bête.

Si seulement elle lui avait laissé une chance de s’expliquer, plutôt que de l’éviter pendant des mois pour protéger son égo blessé. Le Gryffondor poursuivit en expliquant qu’il aurait voulu retourner à la fête avec elle, l’année dernière, et Sasha se sentait de plus en plus idiote de s’être enfuie comme elle l’avait fait. Ses yeux encore plein de larmes s’arrondirent de surprise quand il lui avoua finalement qu’il avait paniqué quand elle lui avait proposé de monter dans son dortoir parce qu’il ne l’avait jamais fait et qu’il avait eu honte de lui dire.

"Mais… toi et Aby…" furent les seuls mots qui sortirent de sa bouche alors qu’elle enregistrait cette information.

Elle ne s’était même pas posé la question, l’été dernier. Elle avait plusieurs fois entendu Aby évoquer avec plus ou moins de discrétion sa vie sexuelle avec Andrew, et elle avait toujours tenu pour acquis le fait qu’ils aient déjà franchi ce cap. Cette information apportait un éclairage nouveau sur leur échange l’année dernière et elle s’en voulut d’avoir été si entreprenante alors qu’il n’avait aucune expérience.

"Je suis désolée, je savais pas, je pensais que…Tu aurais pu me le dire, j’aurais compris ! assura-t-elle en attrapant les mains d’Andrew dans les siennes. J’aurais attendu, c’est important la première fois…"

Elle-même aurait préféré que la sienne soit avec lui plutôt qu’avec Alessandro. Plus le temps passait et moins elle était à l’aise avec le souvenir de cette soirée de réveillon et de ce qui s’était passé ensuite, mais elle chassa ce souvenir de son esprit pour se contrer sur Andrew, qui affirmait qu’il n’y avait rien de non-aimable chez elle, et qu’il l’aimait beaucoup. Elle sentit ses joues rosirent et sourit quand il ajouta que, comme d’habitude, elle avait simplement quelques coups d’avance sur lui.

"Je suis contente que tu m’aies rattrapée… souffla-t-elle avec un sourire. Je suis même prête à te laisser prendre de l'avance..."

Elle avait été rassurée par les explications d’Andrew, mais pas au point de prendre trop d’initiatives, elle préférait suivre son rythme, mais elle n’aurait pas été contre un deuxième baiser.