But if I just showed up at your party, would you have me ? [Sasha]

Andrew était sorti de l’hôpital le matin du vingt-quatre décembre. Les médicomages lui avaient fait ce cadeau de dernière minute, sous condition qu’une infirmière passe tous les matins pour continuer de suivre son état, en plus des multiples rendez-vous qui avaient déjà été fixés. Ses parents étaient venus le récupérer, avaient rangé dans un sac toutes les affaires qui avaient pu lui être apportées en vingt-et-un jours, temps qu’il avait passé entre les quatre murs de Sainte-Mangouste. Ils avaient fait venir un taxi magique pour le ramener chez sa mère et il n’avait jamais été aussi heureux de revoir les rues pavées de Tintagel. Il n’avait jamais même été aussi heureux de revoir Doug ! Oscar lui avait fait un gros câlin et lui avait raconté tout ce qu’il avait demandé au Père Noël.

Il avait retrouvé sa chambre telle qu’il l’avait quittée à la fin de l’été, ses affaires avaient été ramenées de Poudlard par Amanda après son accident et sa malle l’attendait au pied de son lit. Sa mère lui avait dit de ne pas s’en faire, qu’elle la déferait pour lui et de juste se reposer. Ils avaient fait Noël en petit comité et de façon un peu insolite... Ils devaient normalement recevoir les parents de Doug (ses grands-parents maternels étaient juifs et ne fêtaient pas Noël) mais sa mère avait annulé, n’ayant pas l’énergie de recevoir ses beaux-parents (ce n’était pas l’amour fou.) À la place, elle avait proposé à son père, Amanda, Susan et Grace de venir. Si ses parents s’entendaient bien et se réunissaient à chaque fois pour son anniversaire, Andrew n’avait jamais eu l’occasion de fêter Noël avec les deux en même temps et cela avait été assez drôle. Voir Doug et son père interagir... Il était honnêtement content d’être en vie pour voir ça. Oscar et Grace s’étaient entendus comme larrons en foire, puisqu’elle n’était plus - pour une fois - la plus petite. Il n’avait pas fait long feu et avait fini par s’endormir sur le canapé sur les coups de vingt-deux heures.

Être revenu à la maison lui donnait un sentiment de normalité, malgré les rendez-vous médicaux et les passages de son infirmière. Il dormait beaucoup, passait du temps dans son lit à somnoler et profitait de ses quelques pics d’énergie pour remobiliser son corps. Il montait et descendait les escaliers, s’entraînait à rester debout le plus longtemps possible. C’était dérisoire par rapport à sa forme physique habituelle mais c’était déjà cela. Il jouait un peu avec Oscar également et même s’il ne pouvait pas encore le prendre dans les bras comme avant - cela lui déclenchait encore des douleurs à l’abdomen - ils avaient monté tous les deux un circuit voitures avec deux loopings qui valait le détour. Le soir, quand sa mère revenait de la librairie, il descendait souvent pour la voir. Il se mettait sur le canapé, elle était dans la cuisine et ils parlaient par dessus le comptoir. Il savait que cette routine allait durer encore un peu, puisqu’il avait été établi qu’il ne retournerait pas pour le moment à Poudlard, pas sans le feu vert des guérisseurs. Cela l’embêtait de ne pas retrouver l’école, la vie normale et ses copains mais il savait bien dans le fond qu’il n’était pas du tout en état de suivre pour le moment.

Ce matin-là, il avait un long check-up à Sainte-Mangouste où les médicomages lui avaient fait passer de multiples examens, dont il n’avait pas les résultats pour le moment. Il était rentré avec sa mère et avait sauté le déjeuner, se sentant un peu nauséeux. Allongé dans son lit dans une semi-pénombre, il avait fini par émerger de sa sieste sur les coups de quatorze heures. Il était en train de scroller sur son Pear, bien calé sur le côté par ses oreilles quand il avait entendu quelques coups contre la porte. Sa mère avait passé la tête dans la pièce.

- Tu dors, mon coeur ? avait-elle murmuré.
- Nooon, avait bâillé Andrew en se retournant vers elle, lâchant le petit appareil sur son oreiller.

Sarah lui avait adressé un sourire.

- Il y a Sasha qui est en bas, elle est venue pour te voir.

Il s’était redressé brusquement. Un peu trop vite, même, puisque la tête lui avait tourné et une vive douleur lui avait cinglé le crâne.

- Ça va, chéri ?
- Huuum, avait-il acquiescé en fermant les yeux.

Sa mère s’était approché pour lui dispenser une caresse sur les cheveux. Prudemment, il avait fini par rouvrir une paupière alors que la douleur commençait à se disperser.

-Elle est vraiment en bas ?
- Oui... Je peux la laisser monter ? Sauf si tu es trop fatigué et je lui dis de repasser ?
- Non, euh... Il avait le coeur battant. Non, elle peut monter.
- Je lui dis alors, lança sa mère en lui faisant une pichenette sur la joue. Tu veux que je t’ouvre les volets ?

Andrew hocha la tête en regardant autour de lui. Tout n’était pas parfaitement ordonné mais la pièce avait déjà été dans des états plus catastrophiques. Sa mère rangeait pour lui, ces derniers temps. Le sweat-shirt à l’effigie de Gryffondor qu’il avait retiré en rentrant trônait sur le dossier de la chaise. Plusieurs grimoires s’empilaient sur le bureau, surmontés de la bande-dessinée qu’il avait lue hier. Ses tables de nuit étaient les meubles les moins présentables de la pièce : il y avait plusieurs fioles de potion, son chargeur de Pear, sa gourde, un paquet de biscuits, un verre vide, sa baguette magique, plusieurs magasines de Quidditch et un baume anti-douleurs que sa mère lui appliquait quand les os qui avaient été brisés le lançaient. Il songea l’espace d’un instant que Sasha allait encore trouver qu’il mettait le bazar partout...

Ils ne s’étaient pas revus depuis l’accident et surtout, ils ne s’étaient pas parlé depuis le mois de novembre, si on pouvait appeler « parler » les échanges qu’ils avaient depuis la rentrée. Il lui parlait, elle l’ignorait pour lui montrer à quel point elle le détestait désormais. Avant le match, il n’avait pas ressayé depuis au moins deux semaines, si ce n’est plus, d’entrer en contact avec elle. C’était douloureux pour lui de faire face à sa froideur. Elle lui faisait bien comprendre qu’ils n’étaient plus amis et qu’elle lui en voudrait toujours. Il avait commencé à se dire qu’il fallait la laisser tranquille, que c’était fini, qu’il ne pourrait plus rattraper les choses...

Et aujourd’hui, elle était en bas. Sa mère était en train de redescendre les escaliers après avoir fait pénétrer la lumière de cet après-midi d’hiver dans la chambre. Andrew remit machinalement son plaid à carreaux en place et réajusta les manches longues de son t-shirt. C’était peut-être un peu bizarre de la recevoir dans son lit mais il ne voyait pas où aller se mettre, il serait inconfortable sur la chaise de bois et ne tenait pas longtemps debout encore. Il réajusta les oreillers contre sa tête de lit alors que des pas légers retentissaient dans le couloir.

Sasha apparut dans l’encadrement de la porte. Andrew sentit ses joues chauffer.

- Salut...

Sasha était majeure depuis dix jours. Dix jours pendant lesquels elle avait acheté son premier appartement, passé son permis de transplanage, et déménagé. Elle s’était installée, seule, dans un studio qu’elle avait visité l’été dernier à Léopoldgrad et dont elle était désormais propriétaire. Toute la documentation juridique avait été préparée en amont, afin qu’elle puisse signer l’acte de vente le lendemain de son anniversaire. Elle avait emménagé le premier jour des vacances scolaires, laissant derrière elle une mère à la fois confuse, inquiète et -elle le voyait- soulagée.

Elle avait tout ce dont elle avait toujours rêvé, l’autonomie, l’indépendance. Elle aurait dû se sentir adulte, enfin. Seule dans son appartement, capable de se déplacer comme elle le souhaitait, libre. Au lieu de quoi elle se sentait perdue, et terriblement seule. Elle aurait dû adorer cette première chez elle mais elle avait trouvé le temps atrocement long. Son studio était presque vide, elle y avait froid, et n’avait rien d’autre à y faire que réviser. Il lui arrivait de vouloir tuer le temps en se laissant emporter par le tourbillon des réseaux sociaux, mais elle les évitait depuis la diffusion de la vidéo pour s’épargner les nombreux messages inappropriés qu’elle continuait de recevoir. Alors elle lisait un peu, et elle étudiait beaucoup.

Pour la première fois de sa vie, Sasha avait passé noël seule. Ses dernières conversations avec sa mère, avant son déménagement, avaient été un peu houleuse. Elle n’avait donc pas été surprise quand cette dernière lui avait annoncé qu’elle serait de permanence au secrétariat médical de Sainte-Mangouste les 24 et 25 décembre. Il ne s’agissait que d’une manière politiquement correcte d’échapper à un noël en tête-à-tête avec sa fille, qu’elle ne reconnaissait plus et qui l’effrayait un peu. L’adolescente avait fait comme si elle n’était pas consciente de cela, s’était forcée à souhaiter un "Joyeux noël" à sa génitrice et avait raccroché.

Elle aurait pu passer une soirée digne d’un mauvais téléfilm. Enfiler un pull de noël, se cuisiner des cookies, allumer des bougies et mettre de la musique pour danser sur sa chanson préférée. Elle aurait pu se retrouver coincée dans l’ascenseur en compagnie d’un voisin mignon, en retard pour un dîner de famille auquel il ne demandait qu’à échapper. Au lieu de quoi elle avait mangé un plat de nouilles chinoises, seule sur son canapé convertible qui sentait encore le neuf, avant de se plonger dans l’étude de son manuel d’Histoire de la Magie. Elle n’avait même pas de cadeau à ouvrir. Personne ne lui en avait offert. Sa mère lui enverrait certainement un chèque, avec une de ces cartes hideuses qu’ils vendaient à Sainte-Mangouste. Elle n’attendait aucun autre présent, et elle-même n’en avait offert à personne. Elle en achetait habituellement un à sa mère -mais elle considérait que la débarrasser de sa présence constituait un cadeau suffisant- et à Andrew.

Elle avait reçu un message de Sarah quelques jours plus tôt, pour lui annoncer qu’Andrew était sorti de l'hôpital pour noël et l’inviter à passer le voir, affirmant que cela lui ferait plaisir. Sasha n’en était pas si certaine. Certes, c’était plutôt elle qui l’avait évité les mois avant l’accident, et lui n’avait pas montré de signes d’hostilité envers elle, mais elle comprendrait qu’il ait perdu patience et ne l'accueille pas à bras ouverts après des mois de silence. L'inquiétude et la peur de le perdre avaient balayé la colère qu’elle ressentait à son encontre pour ne laisser qu’une forme de honte, au souvenir de ce baiser qu’ils avaient partagé et qui n’avait visiblement pas eu la même signification pour lui que pour elle.

Elle avait longtemps hésité avant de répondre hier au message de Sarah pour lui dire qu’elle passerait le lendemain. Cela lui avait laissé le temps de faire un tour sur le Chemin de Traverse -joliment décoré pour noël- pour acheter un cadeau à Andrew, et une boite de chocolats pour Sarah. Elle lui offrait généralement quelque chose ayant un rapport avec le Quidditch, puisque c'était à peu près sa seule passion, mais étant donné les circonstances, cela ne lui paraissait pas être le meilleur choix cette année. Il ne pourrait certainement pas rejouer avant des mois, et le connaissant il devait très mal vivre cette situation. Elle avait donc opté pour un joli pull en laine irlandaise, élégant mais confortable, qu'il pourrait porter cet hiver pendant sa convalescence.

Les bras chargés de ses présents, Sasha transplana directement sur une falaise déserte, à quelques centaines de mètres de chez Andrew, et termina le chemin à pied. Elle n'était pas encore tout à fait habituée au transplanage, et l'air frais eut le mérite de dissiper la nausée qui accompagnait chacun de ses déplacements. Elle salua chaleureusement Sarah et le reste de la famille, avant que cette dernière ne s'absente pour prévenir Andrew de son arrivée. L'adolescente sentit son ventre se nouer d'appréhension à l'approche de cette confrontation qu'elle avait attendue autant qu'elle l'avait repoussée.

La mère de famille l'invita finalement à monter et elle échangèrent un sourire en se croisant dans les escaliers. Celui de Sasha n'était qu'une façade qui dissimulait une nervosité grandissante. Elle fut malgré tout soulagée de trouver Andrew dans sa chambre, et débarrassé de toutes les machines qui le maintenaient en vie à l'hôpital.

"Salut, répondit-elle en restant sur le pas de la porte, son cadeau dans les bras. Comment ça va ?"

Elle avait bien d'autres choses plus difficiles à lui dire, mais elle ne savait pas vraiment par où commencer, ni dans quel état d'esprit se trouvait le Gryffondor, aussi préférait-elle commencer par les questions d'usage.

C’était avec anxiété qu’Andrew fixait Sasha. Depuis la rentrée, depuis ce qui s’était passé dans le Poudlard Express, ils n’avaient pas vraiment discuté. Il parlait, elle lui répondait par des monosyllabes car elle était profondément en colère contre lui. Tellement en colère qu’elle ne lui avait même pas hurlé dessus, elle ne lui avait même pas craché à la figure toute sa rancoeur. Elle lui opposait une colère froide, blessée et c’était pire. Depuis des mois, il n’avait aucun point d’accroche avec elle, elle lui opposait toujours la même distance. Il avait l’impression d’avoir tout tenté, d’avoir tout dit, d’avoir tout essayé, en vain.

Et aujourd’hui, Sasha se tenait devant lui. L’air un peu mal à l’aise, les bras chargés. Et elle lui parlait. Quatre mots, certes, mais c’était presque plus que tout ce qu’elle lui avait dit en quatre mois. Il avait l’impression d’avoir mille choses à lui dire. Il voulait qu’elle sache, encore, à quel point il était infiniment désolé pour tout ce qui était arrivé, à quel point il regrettait ce qu’il avait fait, à quel point il voudrait revenir en arrière. Il voulait lui dire qu’il était heureux qu’elle soit là, que cela lui faisait plaisir qu’elle soit venue. Il voulait lui dire qu’il espérait qu’ils étaient encore amis.

Mais il ne souhaitait pas brusquer les choses, il ne voulait pas prendre le risque de dire quelque chose de mal, encore. Alors, précautionneusement, en se redressant légèrement, il eut un léger mouvement de la tête.

- J’ai vu mieux.

Il la fixa quelques secondes.

- Et toi ?

Sasha fut soulagée de ne trouver aucune hostilité du côté d'Andrew. Cela n'aurait été qu'un juste retour des choses qu'il refuse de lui parler, ou lui demande de partir. A sa place elle l'aurait certainement fait. Au lieu de quoi il se redressa un peu sur son lit, avant de lui donner une réponse qui la fit grimacer.

"J'imagine... répondit-elle avec une moue compatissante. Tu nous as fait peur."

Elle ne précisa pas qu'elle n'avait pas assisté au match -louper une rencontre Gryffondor/Serpentard, ça c'était un affront qu'il ne pourrait pas lui pardonner. Elle avait appris sa chute après tout le monde, ce qui ne l'avait pas empêché d'être terrifiée à l'idée de ne plus jamais le revoir. Elle avait attendu avec le reste de l'école pendant ces premiers jours interminables, où ils ne savaient pas s'il survivrait. Le soulagement d'apprendre qu'il allait vivre avait allégé un peu cette inquiétude, pour ne lui laisser qu'un lourd sentiment de culpabilité.

Elle ne se le serait jamais pardonné, s'il était mort sans qu'elle ait pu le pardonner, ni s'excuser. Confrontée à la possibilité de ne plus jamais pouvoir lui parler, elle avait eu l'impression d'avoir trop de choses à lui dire et pas assez de temps. Maintenant qu'elle se trouvait face à lui et qu'elle avait tout le temps qu'il fallait, les mots de ne lui venaient pas.

"Ça va, répondit-elle simplement. Comparée à lui, elle n'avait pas à se plaindre, elle n'avait pas frôlé la mort ces dernières semaines. Je suis contente de te voir, ajouta-t-elle un petit peu plus bas en faisant un pas hésitant à l'intérieur de la chambre. Tu m'as manqué."

Il lui avait manqué pendant ses semaines d'absence à l'hôpital bien sûr, cela avait été le pire. Mais il lui avait manqué avant aussi, pendant ces trop nombreux mois où elle avait refusé de lui parler. Leur amitié lui avait terriblement manqué, au moment où elle en avait cruellement le plus besoin, et elle espérait qu'elle n'avait rien cassé qui ne soit pas réparable. Elle avait envie de retrouver leur amitié comme avant, elle en avait besoin, et Andrew en aurait certainement besoin aussi.

Andrew fut surpris d’entendre Sasha déclarer qu’il leur avait fait peur. Il avait pensé... Il ne savait pas vraiment ce qu’il avait pensé. Qu’elle le détestait assez pour se ficher de cet accident. Cette idée avait traversé son esprit pendant son hospitalisation, une ou deux fois, dans ces demi-moments entre le sommeil et la conscience. Il avait reçu beaucoup d’appels sur son Pear, beaucoup de messages mais pas un mot de Sasha. Il s’était dit que c’était vraiment le signe que leur amitié était complètement brisée... Mais elle était là aujourd’hui, sur le pas de sa porte.

- Il paraît, oui...

Il avait vu sa mère pleurer plusieurs fois, notamment dans les premiers souvenirs qu’il avait de son réveil. Même son père avait semblé ému. Amanda avait pleuré également en lui rendant visite la première fois. Tout le monde l’étreignait, ils disaient qu’ils étaient si heureux que tout aille bien. Il avait un peu de mal à réaliser des fois. Il n’avait aucun souvenir de l’accident ni évidemment des jours qui avaient suivi, quand il était endormi. Il se rappelait de la dispute avec Gowan, de l’avoir tournée dans son esprit longtemps la veille du match, incapable de se laisser aller au sommeil. Ensuite, il s’était réveillé à Sainte-Mangouste et tout le monde semblait dire que c’était un miracle. Evidemment, les médicomages étaient venus lui parler de ses blessures et de leur gravité. Il en sentait encore chaque jour les conséquences, il comprenait que tout cela était grave, il le ressentait. Mais pour autant, il n’arrivait pas à réaliser les arrêts cardiaques, la réanimation, les deux opérations. Tout cela lui semblait lointain, comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre. Des fois, la nuit, il posait la main sur son torse et sentait son coeur pulser contre sa paume, comme si rien n’était arrivé.

Pour autant... il y avait des réactions qu’il ne pouvait pas expliquer. Des traces. Il était épuisé mais il ne parvenait pas toujours à s’endormir, comme s’il avait peur de se laisser aller. Ses yeux se fermaient, la somnolence le gagnait et il sursautait brusquement, avec l’impression de tomber. Il avait toujours le rythme cardiaque un peu élevé, ainsi que la tension, et les soignants disaient que c’était le stress, que son corps en avait subi énormément. Des fois, il sentait les picotements de l’angoisse lui parcourir le corps et retourner son estomac. Il avait l’impression que son coeur manquait des battements, même si on lui avait expliqué que ce n’était pas vraiment possible. Il n’aimait pas trop penser à cela. Il avait envie de mettre cette histoire derrière lui, il avait envie d’aller mieux et de tout oublier. Alors il ne s’appesantit pas sur sa santé auprès de Sasha parce qu’ils avaient à ses yeux tellement plus important à se dire.

Elle allait bien, affirmait-elle. Elle était contente de le voir.

Il lui avait manqué.

Andrew n’aurait pas pu mettre de mots sur le soulagement qui l’envahit à cet instant. S’il avait pu, il l’aurait serrée dans ses bras. Elle lui avait manqué aussi, énormément. Plusieurs fois, machinalement, il avait cherché son regard en classe quand quelque chose fait écho à leurs discussions, à leurs rires. Il y avait eu des choses qu’il n’aurait voulu dire qu’à elle. A chaque fois qu’il mettait un pied à la bibliothèque, il regardait si elle était là. Elle était sa meilleure amie. Elle était importante pour lui.

- Tu m’as manqué aussi. Beaucoup.

Il s’était un peu avancé dans son lit, pour combler un peu la distance entre eux.

- Je suis tellement désolé pour ce que j’ai fait, Sasha, reprit-il avec accablement, je m’en veux tellement, je te jure. Je voudrais pouvoir revenir en arrière...

Entendre qu'elle lui avait manqué aussi lui réchauffa un peu le coeur, mais Sasha s'interdit d'y chercher autre chose que la seule expression de leur amitié. Il lui faudrait certainement un peu de temps, pour réapprendre à ne penser à Andrew que comme son meilleur-ami, maintenant qu'elle avait eu l'espoir d'autre chose le temps d'un baiser, mais elle prête à faire l'effort. Elle voulait pouvoir de nouveau l'attraper par la main ou déjeuner avec lui en tête-à-tête sans ambiguïté, sans malaise. Elle avait terriblement besoin de retrouver la relation saine qu'ils avaient avant. Elle voulait retrouver le ton léger de leurs discussions, leurs moqueries jamais méchantes, leur capacité à rire des situations mêmes les plus graves. Elle n'était pas encore prête pour l'instant, mais un jour peut-être qu'ils parviendraient même à rire de toute cette histoire. Elle avait besoin de leur complicité, de leur proximité.

Voyant qu'Andrew essayait justement de combler la distance entre eux en se redressant autant qu'il le pouvait, Sasha fit un pas vers lui et s'assit au pieds de son lit. Elle avait envie de le serrer dans ses bras mais n'était pas certaine d'être bien accueillie et préféra s'abstenir. Chaque chose en son temps.

Elle secoua la tête en entendant les excuses de son meilleur-ami, déjà répétées des dizaines de fois. Elle savait qu'il était sincère, depuis le début. Il était évident qu'il regrettait ce qu'il avait fait, mais jusqu'à présent elle n'avait pas trouvé ça suffisant. C'était trop simple, d'être désolé après. Elle avait toujours su qu'elle finirait par le pardonner, mais elle estimait qu'il devait le mériter. C'était peut-être parce qu'elle avait failli le perdre sans avoir eu la chance de le pardonner, mais elle se sentait finalement prête à accepter ses excuses. Leur amitié était trop précieuse pour être sacrifiée à cause de Clayton et de son horrible vidéo. Elle avait perdu beaucoup de choses à cause de cette histoire, et elle réalisait à présent qu'elle ne voulait pas perdre Andrew aussi.

"C'est difficile de rester en colère contre toi une fois que tu as frôlé la mort, répondit-elle en esquissant un sourire. Qu'est-ce qu'on va dire de moi après ?"

Une réputation de fille sans coeur et sans pitié valait-elle mieux qu'une réputation de trainée ? Elle n'en savait rien et à vrai dire, elle s'en fichait un peu. Elle s'était résignée à être fichée comme "la fille de la sex-tape" jusqu'à la fin de sa scolarité, et à en subir les conséquences.

Elle baissa les yeux sur le paquet soigneusement emballé, toujours posé sur ces genoux, et elle le tendit à Andrew.

"Je suis un peu en retard mais... Joyeux noël."

Sasha s’assit au bout de son lit alors qu’il s’excusait de nouveau pour tout ce qui avait pu arriver. Cette fois-ci, elle ne repoussa pas ce qu’il avait à dire, elle se contenta de secouer doucement la tête. Elle lui fit même un sourire. Cette fois-ci se passait complètement différemment des précédentes. Cette fois-ci, ils arrivaient à parler. Andrew ne pouvait pas dire qu’elle lui avait pardonné ou que sa culpabilité avait disparu, mais il avait l’impression que c’était un premier pas. Leur amitié lui manquait. Il avait envie que les choses s’arrangent, c’était ce qu’il voulait depuis le début. La petite plaisanterie de Sasha lui tira un sourire en retour et il pencha légèrement la tête sur le côté.

- Si j’avais su que c’était ce qu’il fallait, je me serai jeté de mon balai bien plus tôt... plaisanta-t-il.

Et pas pendant un match de Quidditch, de préférence (il ne pouvait même pas imaginer perdre face à Serpentard à cause de cela. Le match allait être rejoué en janvier et même s’il savait rationnellement qu’il ne pourrait pas y être, une petite partie de lui espérait se remettre assez vite pour y participer.) Sa relation avec elle recommençait doucement. Il avait vraiment cru l’avoir perdue complètement ces dernières semaines, que cette stupide erreur faite à cause de cet abruti de Clayton avait sonné le glas pour toujours de leur lien... Maintenant qu’elle lui donnait une deuxième chance, il était déterminé à vraiment arranger les choses et à véritablement se faire pardonner pour tout ce qui était arrivé entre eux depuis l’été dernier.

Elle baissa les yeux sur le paquet qu’elle avait depuis qu’elle était arrivée et le lui tendit, en lui souhaitant un joyeux Noël un peu en retard.

- Merci, fit-il en refermant ses doigts dessus. Mais tu n’étais pas obligée.

Le fait qu’elle soit là était déjà un cadeau de Noël - si ce n’est un miracle après tout ce qui était arrivé - suffisant. Pour autant, il se tut et déchira de façon un peu brouillonne le papier cadeau, quelques morceaux irisés venant trancher avec son plaid. C’était un pull blanc en laine épaisse, qui avait l’air très chaud, parfait pour traîner la nuit dans les couloirs de l’école.  Il releva la tête vers elle.

- Merci beaucoup, il est très beau.

Dépliant le tissu, il leva les bras pour l’enfiler par dessus son t-shirt bleu, se décoiffant un peu quand sa tête resta légèrement coincée dans le col.

- Il me va nickel !

Lui adressant un sourire, il lança :

- Je n’ai pas de cadeau de Noël pour toi, je n’ai... pas vraiment eu le temps de faire des courses ce mois-ci. Mais j’avais déjà acheté ton cadeau d’anniversaire.

Il avait commencé à le chercher dès octobre en réalité, dans l’espoir que trouver le présent parfait l’aide à se faire pardonner. Il savait ce qu’aimait Sasha, les livres, les belles affaires scolaires ou même le bracelet qu’il lui avait offert une fois. Mais il voulait faire mieux, cette fois-ci. Il avait demandé à Cindy et cette dernière avait recommandé un nouveau set de plumes de qualité, celles de leurs amies faisant un peu grise mine après leur année de BUSES (trop de révisions, si on demandait son avis à Andrew.) Mais il voulait faire mieux que cela... Il était tombé sur le présent parfait, sous une cloche de verre à la librairie de Pré-au-Lard. Le cadeau était tellement parfait qu’il avait dû demander de l’argent à son père pour le financer, puisqu’il dépassait complètement son budget habituel. Pour autant, Andrew en était très content.

- Par contre, réfléchit-il à voix haute, il était dans ma malle à l’école mais...

Repoussant sa couette et le plaid, il vint s’assoir quelques secondes sur le rebord de son lit - pour ne pas avoir trop le vertige - avant de se lever. Sa belle-mère avait récupéré ses affaires dans son dortoir après son accident, apparemment aidée par David pour ne rien oublier. Sa mère avait vidé sa grosse malle, qui trônait désormais au pied du lit, mais il ne se souvenait pas avoir vu passer le cadeau de Sasha. Par acquis de conscience, il vint en ouvrir le couvercle mais il n’y avait rien à l’intérieur. S’approchant de son bureau, il jeta un coup d’oeil aux manuels empilés. Potion, sortilèges, le livre qu’il lisait sur des Elfes de Maison qui partaient dans une mission spéciale pour retrouver un artefact magique... Mais rien d’autre.

- Maman ? lança-t-il en tournant la tête en direction de la porte. Un silence. Mamaaaaan ?
- Quoi ? répondit la voix de sa mère du bas de l’escalier.
- Je cherche un... petit regard pour Sasha. Un truc qui était dans ma malle ?
- Quoi comme truc ?
- Bah euh... un truc. Emballé.
- Oui mais quoi comme... Attends, je monte.

Les pas se firent entendre jusqu’à ce Sarah apparaisse dans l’entrebâillement de la porte.

- Qu’est-ce que tu cherches, mon coe... Oh bah c’est nouveau ça ?

Elle s’approcha de lui pour caresser la laine sur son bras et adressa un sourire à Sasha.

- C’est joli, ça te va bien.

Andrew trouva qu’elle était assez forte d’avoir deviné tout de suite que c’était nouveau et que c’était un cadeau, avant de réaliser que c’était de toute manière sa mère qui lui achetait encore tous ses vêtements.

- Je cherche un truc qui était dans ma malle...
- J’ai tout rangé dans ta chambre, qu’est-ce que c’était ?
- Un livre, finit-il par répondre, un peu déçu de devoir éventer le secret.
- J’ai tout mis dans ta bibliothèque et ceux qui ne rentraient pas sont sur le bureau.

La bibliothèque était au pied de la fenêtre, remplie de bande-dessinées comme Martin Miggs le moldu fou, L’épopée des quatre fondateurs ou Bavboules de rue. Il y avait également beaucoup de livres sur le Quidditch, des romans fantastiques sorciers et moldus, des vieux manuels de cours des années précédentes. Tout en bas, sa mère avait rangé ses grimoires de sixième année et le regard d’Andrew accrocha un ouvrage sombre entouré de fin parchemin pour le protéger.

- Ah c’est bon, c’est ça !
- Je te l’attrape ? suggéra sa mère alors qu’elle pliait déjà les genoux.

Elle savait qu’il avait encore un peu de mal à se pencher. Andrew hocha la tête, un peu embarrassé.

- C’est lourd dis donc... tiens.

L’ouvrage était effectivement de taille importante.

- Je fais une tarte aux pommes pour le goûter, vous pourrez en prendre si vous voulez.

Sarah fit une caresse sur la joue de son fils et adressa un nouveau sourire à Sasha avant de quitter la pièce, accélérant le pas alors que la voix d’Oscar retentissait en bas (Andrew était à peu près certain qu’il tentait encore de lancer un sort sur ses playmobils.)

- Je n’ai pas eu le temps de l’emballer, s’excusa-t-il en revenant s’assoir sur son lit.

Le grimoire était entouré d’un parchemin enchanté pour le protéger du transport mais pas de vrai papier cadeau. La couverture était épaisse et d’un rouge sombre, encrée de lettres déliées et dorées. C’était une édition originale d’une des premières Histoire de Poudlard, sortie au seizième siècle. Elle était complètement illustrée à la main, sur des pages et des pages. Le libraire lui avait dit que c’était cette version sur laquelle s’était reposée Bathilda Tourdesac lorsqu’elle en avait proposé une lecture plus moderne. C’était un ouvrage très rare, avait-il ajouté alors qu’il ensorcelait le parchemin de protection.

- Il n’y en a plus que quelques exemplaires, expliqua Andrew alors que Sasha le découvrait. C’est une édition originale.

Sasha adressa un regard sévère à Andrew quand ce dernier affirma qu'il se serait jeté de son balais plus tôt s'il avait su qu'elle le pardonnerait après. S'il n'avait pas été en convalescence, elle l'aurait même accompagner d'une tape sur le bras, mais elle ne voulait pas frapper un blessé.

"Ne dis pas ça ! protesta-t-elle. Tu vas me faire culpabiliser !"

Le cadeau de noël qu'elle avait amené à Andrew fut un excellent prétexte pour changer de sujet et Sasha observa le Gryffondor déballer le paquet, en espérant que cela lui plairait. C'était le premier cadeau qu'elle offrait cette année, et certainement le dernier, et retrouver ces rituels qu'elle affectionnait tant quand elle était enfant lui faisait plaisir. Elle remarqua malgré elle que le t-shirt du Gryffondor bleu se souleva un peu quand il enfila le pull, et que ses semaines d'hospitalisation n'avaient pas eu raison de ses abdos.

"Je suis contente qu'il te plaise, répondit-elle avec un sourire, les joues un peu roses. C'est normal, t'inquiète pas", ajouta-t-elle aussitôt qu'il s'excusa de ne pas avoir de cadeau de noël pour elle.

Elle ne s'était évidement pas attendu à un cadeau de sa part. Premièrement parce qu'il avait passé les dernières semaines à Sainte-Mangouste, et deuxièmement parce qu'elle ne lui avait pas adressé la parole pendant les mois précédents noël. Aussi fut-elle particulièrement surprise quand il expliqua qu'il avait en revanche un cadeau d'anniversaire à lui offrir. L'accident avait eu lieu bien après son anniversaire, ce qui voulait dire qu'il avait acheté le cadeau en avance, à l'époque où ils ne se parlaient plus. Le fait qu'il ai voulu lui offrir quelque chose alors qu'elle l'avait évité pendant des mois la prenait complètement au dépourvu.

"Tu pourras me le donner une prochaine fois, t'embête pas..." assura-t-elle alors que son meilleur-ami se mettait à la recherche du présent qui avait visiblement été égaré dans son rapatriement de Poudlard.

Andrew appela sa mère à la rescousse et Sasha accueillit avec un sourire ravi le commentaire de Sarah sur le pull qu'elle avait offert à son fils. Elle suivit distraitement les échanges entre eux, observant avec une pointe de jalousie les gestes tendres et maternels de Sarah envers Andrew. Elle ne se souvenait plus de la dernière fois où sa propre mère lui avait caressé la joue de cette façon.

Cela faisait bien longtemps que la tendresse avait disparu de leur relation. Sasha s'était enfermée dans ses secrets, refusant de partager ses problèmes avec sa mère, persuadée que cette dernière ne les comprendrait pas. Et sa mère l'avait laissé s'éloigner, sans rien faire pour la retenir. L'adolescente l'aurait certainement rejetée, si elle avait essayé de savoir ce qui se passait dans sa vie, comment elle supportait ce harcèlement à l'école. Elle aurait levé les yeux au ciel, si sa mère lui avait demandé si elle avait un "amoureux". Mais elle n'avait jamais eu à le faire, parce que Judith n'avait jamais essayé. Elle était certainement soulagée, et s'était peut-être convaincue elle-même que sa fille n'avait pas de problèmes. Cela lui permettait de se concentrer sur les siens, de ressasser encore son divorce difficile, sa solitude, les potions de plus en plus fortes qu'elle prenait pour dormir. Parfois, Sasha l'avait détestée d'être si faible. Aujourd'hui, et c'était peut-être pire, sa mère la laissait indifférente.

Elle fut tirée de ses pensées par une révélation d'Andrew, qui avait été obligé de confier à sa mère la nature de l'objet qu'il cherchait. Un livre, donc. Il la connaissait bien. Le cadeau fut finalement retrouvé par Sarah, qui aida son fils à le récupérer avant de quitter la chambre. Sasha entendit à peine sa proposition de tarte aux pommes pour le goûter, toute sa curiosité désormais portée sur l'épais grimoire emballé de parchemin qu'Andrew venait de lui confier. Elle avait toujours fait très attention à ses livres, et celui-ci semblait particulièrement précieux, aussi défit-elle le parchemin avec précaution.

La jeune fille laissa échapper une exclamation de surprise en découvrant la couverture sombre de l'ouvrage. "Histoire de Poudlard" était inscrit en lettre dorées, mais il ne s'agissait pas de l'édition que tous les élèves devaient acheter en première année. C'était un ouvrage bien plus ancien, et bien plus précieux. Une édition extrêmement rare. Elle en avait vu une reproduction dans son manuel d'histoire de la magie, mais elle ne savait même pas que des exemplaires étaient encore disponibles à la vente.

"Il est magnifique..." souffla-t-elle en effleurant les lettres du titre du bout des doigts.

Et il avait dû coûter une fortune. Précautionneusement, elle ouvrit le livre pour en faire tourner délicatement les premières pages, toutes illustrées à la main. Elle n'était pas certaine d'oser le lire tant elle avait peur de l'abimer. C'était le plus bel objet qu'elle ait jamais possédé. Et le fait qu'il vienne d'Andrew le rendait encore plus précieux. Savoir qu'il avait pensé à elle, en voyant ce magnifique livre, et qu'il s'était certainement donné beaucoup de mal pour se le procurer, la touchait profondément. Elle n'avait pas reçu beaucoup de marque d'affection, ces derniers temps. A Poudlard comme à l'extérieur, elle passait beaucoup de temps seule, et ses quelques rapports avec les autres étaient plutôt conflictuels. Recevoir une si belle preuve d'amour de la part de son meilleur ami lui faisait plus de bien qu'elle ne l'aurait imaginé.

"Je l'adore, il... C'est parfait, merci beaucoup."

Elle détacha finalement son regard du livre pour le poser sur le visage d'Andrew, assis à côté d'elle sur le lit. Ses yeux étaient brillants de larmes mais elle lui adressa un sourire sincère. Elle laissa passer une seconde, pendant laquelle elle dut lutter contre l'envie de se rapprocher de lui et de le prendre dans ses bras, avant de baisser à nouveau la tête vers le grimoire.

"Je ne trouverai jamais un aussi beau cadeau pour tes dix-sept ans... lança-t-elle en faisait délicatement tourner quelques pages. Heureusement que tu es encore un bébé, ça me laisse un peu de temps !"

- Tu n’as pas de raison, répondit Andrew en secouant la tête lorsque Sasha lança qu’il allait la faire culpabiliser.

Il ne pouvait pas lui reprocher de lui en vouloir dans cette histoire et d’avoir été très en colère contre lui. Il savait qu’il avait beaucoup de chance qu’elle accepte de revenir vers lui, de lui reparler et il allait passer beaucoup de temps encore à se faire pardonner, à rebâtir petit à petit leur lien et la confiance entre eux. C’était aussi pour cela qu’il avait passé du temps à trouver le cadeau parfait pour son anniversaire, pour ses dix-sept ans, même s’ils ne se parlaient plus à ce moment-là. C’était sa majorité, c’était un anniversaire important et il savait qu’elle n’allait pas être célébrée à sa juste mesure. Son père n’était plus dans le décor à cause de la décision du Mangenmagot et sa mère…

Andrew n’aimait pas trop Mrs Benson. Elle ne s’occupait jamais de Sasha. Elle ne lui envoyait jamais de courrier, de cadeau, elle semblait un peu s’en ficher… Son amie était l’une des meilleures élèves de leur promo mais elle n’obtenait jamais de félicitations de la part de sa mère. Sasha et lui en avaient déjà parlé plusieurs fois, il savait que le divorce de ses parents avaient été difficiles, il savait également qu’elle s’en sentait responsable, que sa mère avait eu du mal à s’en remettre. Mais cela faisait des années maintenant. Ses parents à lui étaient divorcés aussi mais cela n’avait jamais empêché sa mère de s’occuper de lui. Il se doutait bien que son dix-septième anniversaire n’avait pas dû changer des choses habituelles, alors c’était important pour lui de marquer le coup… Même si elle ne voulait plus être son amie à ce moment-là.

Il l’observa avec attention détacher le parchemin qui entourait le grimoire, guettant sur son visage sa réaction. Son exclamation de surprise lui tira un sourire réjoui. Elle semblait vraiment heureuse. Elle en effleura le titre doré du bout des doigts en déclarant qu’il était magnifique. Même lui, qui n’était pas particulièrement attiré par les livres - et sa mère était pourtant libraire - le trouvait beau.

- Dès que je l’ai vu, je me suis dit qu’il était parfait pour toi ! expliqua-t-il avec enthousiasme, vraiment très heureux que cela lui plaise.

Quand elle releva la tête, elle avait les yeux humides. Cette constatation fit un coup au coeur à Andrew. Sasha ne pleurait que rarement et il ne lui semblait pas l’avait déjà vue être émue positivement. Il eut immédiatement envie de la serrer dans ses bras. Une seconde s’écoula pendant laquelle ils se contemplèrent et Andrew sentit son coeur battre. Quand elle lança qu’il était encore un bébé et qu’elle avait donc le temps de lui trouver un cadeau, il fit mine de s’offenser.

- Et moi qui voulais te faire te faire un câlin ! Mais puisque tu m’insultes...

En réalité, le dire lui permettait de ne pas trop prendre de risques. Il ne voulait pas la brusquer.

A mesure que les minutes s’écoulaient, Sasha sentait les tensions et les inquiétudes accumulées ces derniers mois disparaitre petit à petit. Elle était surprise de la rapidité avec laquelle Andrew et elle avaient retrouvé leurs vieilles habitudes. Le ton de la conversation était redevenu plus léger, leurs sourires plus sincères, et leur proximité se reconstruisait doucement. Il leur faudrait un peu de temps pour retrouver complètement leur ancienne proximité, et elle sentait qu’une certaine gêne persistait malgré tout entre eux -dans un autre contexte, elle aurait déjà serré son meilleur-ami dans ses bras pour le remercier de son cadeau- mais rien que le temps ne puisse guérir. Elle était soulagée de constater que rien n’avait été définitivement brisé entre eux, même si Andrew hésitait visiblement lui aussi à la prendre dans ses bras.

"Ne sois pas susceptible voyons, je ne t’insulte pas, se défendit-elle avec un sourire moqueur qui venait contredire ses paroles. Je ne fais que souligner ton jeune âge, en tant qu’adulte responsable."


Elle n’était majeure que depuis une dizaine de jours, mais elle avait évidement toujours appartenu à la catégorie des personnes matures et responsables. Aussi loin qu’elle se souvienne, elle avait toujours eu hâte de devenir adulte. Elle avait nourri cette idée selon laquelle, quand elle serait enfin majeure, elle pourrait être pleinement elle-même sans se sentir en décalage avec les autres et sans aspirer à toutes ces choses qu’elle ne pouvait pas faire. Quand les choses ne se passaient pas comme elle l'aurait souhaité, ou quand elle se sentait un peu triste ou découragée, elle s'était souvent dit que cela irait mieux plus tard. Elle s'était convaincue qu'une fois adulte, elle pourrait être heureuse.

Pourtant, ces dix derniers jours n’avaient pas chamboulé sa vie autant qu’elle s’y serait attendu. Elle avait son permis de transplanage, et son propre appartement. Elle était financièrement indépendante, ce qui lui accordait une liberté dont peu d’adolescents de dix-sept ans pouvaient profiter, pourtant elle n’était pas plus heureuse. Elle était seule, et plus que jamais consciente qu’elle n’était pas vraiment normale, qu’une partie d’elle était dérangée, et dérangeante. Elle allait devoir accepter l’idée qu’elle ne serait jamais l’adulte qu’elle avait rêvé d’être.

En attendant, elle était toujours plus adulte qu’Andrew, et comptait bien le lui rappeler pendant les sept mois qui les séparait de l’anniversaire du Gryffondor.

"Et si je t’offre de profiter gratuitement de mes services de transplanage d’escorte, j’aurais droit à ce câlin ?"

Elle avait l'impression que la remarque d'Andrew avait principalement pour but de tâter le terrain avant de tenter un rapprochement, et elle voulait lui indiquer clairement qu'elle n'y verrait aucun problème. S’ils voulaient retrouver leur ancienne proximité, ils devaient forcer un peu le destin et saisir les occasions quand elles se présentaient.

Sasha le taquinait, il le savait bien et Andrew avait joué le jeu en faisant mine d'être offusqué. Cela lui faisait vraiment plaisir de pouvoir badiner avec elle comme avant, il avait craint que cela ne puisse plus être le cas. Ils auraient pu renouer de façon distante et maladroite, sans jamais pouvoir retrouver le naturel qui avait toujours caractérisé leur lien. Il ne savait pas encore si Sasha pourrait un jour lui faire confiance comme avant, il savait à quel point il avait manqué de loyauté, mais il était déterminé à reconstruire ce qu'il avait brisé. Alors il lui fit un sourire pour contrebalancer les yeux qu'il leva en l'air.

- Mon jeune âge, mon jeune âge...

C'était un sujet récurrent d'amusement chez ses amis. Il était de la mi-juillet, donc forcément dans les plus jeunes de la promotion, et désormais le plus jeune de leur groupe d'amis, Aby n'étant plus là. Les autres étaient soit nés à la fin de l'année 94, soit entre janvier et l'été 95. C'était souvent anecdotique pour les autres anniversaires mais cette année était celle de leurs dix-sept ans, de leur majorité et il serait le dernier à sauter le pas. Kathrina et Rachel étaient passées en novembre, Sasha en décembre, à peine deux semaines auparavant. Mais cela allait s'accélérer : Adam et Benjamin étaient de janvier, Baen, Gillian et Henry de mars, Mandy d'avril, Adarsh, David et Louise de mai, Imogen de juin... Gowan était de février, même si Andrew n'avait pas très envie de penser à lui maintenant.

Le grand avantage de la majorité était notamment le permis de transplanage, que tout le monde s'empressait de passer, aux sessions des vacances de Noël ou de printemps. Lui devrait attendre juillet, voire août. Au vu des propos de Sasha, cette dernière l'avait visiblement obtenu - sans aucune surprise - dès qu'elle avait pu. Elle plaisanta sur le fait qu'elle pouvait lui offrir ses services de transplanage d'escorte mais surtout, elle mentionna l'étreinte qu'il lui avait offerte à demi-mots quelques instants plus tôt. Il n'avait pas osé le faire spontanément, comme avant, de peur de la brusquer, de peur de trop en faire. Après tout, ils avaient été éloignés durant des mois. Pour autant, elle lui en donna l'autorisation, ce qui le fit sourire.

- Nan, fit-il. Je prendrai le réseau de cheminettes, j'ai ma fierté quand même.

Déjà que tout le monde se moquait de son âge, il n'allait pas en plus les laisser le transporter.

- Mais tu as le droit à un pour ta réussite au permis, même si ce n'est évidemment pas une surprise.

Elle réussissait tout ce qu'elle entreprenait. S'avançant légèrement sur le lit, il se pencha vers elle pour la serrer dans ses bras, calant ses bras autour de son dos. Cela faisait longtemps, songea-t-il. Depuis la soirée de fin d'année, quand ils avaient dansé. Quand elle l'avait embrassé, quand ils s'étaient embrassés, jusqu'à ce qu'il la repousse parce que cela allait trop vite pour lui. Il cala son menton contre son épaule quelques secondes, respirant le parfum doux qu'elle portait toujours. Quand il s'éloigna d'elle, il ressentit le besoin de relancer immédiatement la conversation, comme pour ne pas laisser le loisir aux souvenirs troublants d'envahir la chambre.

- Il faudra montrer le livre à ma mère, suggéra-t-il, je pense qu'elle sera contente de le voir.

Elle était libraire et aimait particulièrement les belles éditions, les ouvrages rares. Elle n'en vendait que très peu car elle disait que cela n'intéressait pas vraiment le public qui fréquentait la librairie, plutôt à la recherche de romans de plage ou de grimoires du quotidien, mais il y en avait plusieurs dans les bibliothèques qui occupaient toute une partie des murs du bureau.

"C’est très Serpentard comme réponse ça !" fit remarquer Sasha quand Andrew lui répondit qu’il préférait utiliser le réseau de cheminée, question de fierté.

Son ami poursuivit toutefois en ajoutant qu’elle avait quand même le droit à un câlin, pour avoir réussi son permis de transplanage. Elle accueillit sa remarque avec un sourire et posa son menton au creux de son épaule alors qu’il refermait ses bras autours d’elle. Tous les muscles de son corps se détendirent aussitôt, comme s’ils s’étaient soudainement changés en guimauve. Elle n’avait pas réalisé à quel point elle avait besoin de cette étreinte, ni comme le contact humain lui avait manqué ces derniers temps. Elle était fâchée contre Andrew, n’avait pas la tête à fréquenter le moindre garçon, n’avait de toute façon presque aucun ami, et côtoyait sa mère le moins possible. De mémoire, elle ne se souvenait pas avoir pris une seule personne dans ses bras depuis des mois. Elle aurait pu rester ainsi encore de longues minutes, à profiter de cette chaleur humaine qui lui avait bien plus manqué qu'elle ne l'aurait pensé.

Cette étreinte réveillait toutefois le souvenir de la dernière qu’ils avaient partagé, lors de la soirée de fin d’année. Au doux réconfort succéda un sentiment de malaise alors que la suite des évènements lui revenaient en mémoire. Ils se séparèrent finalement, le souvenir de cette soirée flottant dans la pièce. Andrew ne laissa pas le silence s’installer et changea aussitôt de sujet. Sasha sauta sur l’occasion pour oublier cette brève tension qu’elle avait senti entre eux.

"Oui bien sûr, je lui montrerai tout à l’heure, répondit-elle en se décalant un peu sur le lit pour remettre de la distance entre Andrew et elle. Elle baissa les yeux sur la couverture du livre, qu’elle ne se lassait pas d’admirer. Tu penses que je devrais demander aux gens de porter des gants pour le feuilleter ? Elle plaisantait. A moitié. Il va falloir que je lui trouve une place d’honneur dans ma bibliothèque…Dans mon nouvel appartement… »

Elle releva le regard pour guetter la réaction d’Andrew, à qui elle mourrait d’envie d’annoncer la nouvelle depuis qu’elle avait signé la vente de son studio. Il était la personne à qui elle avait le plus hâte de faire visiter les lieux. Evidement, elle y emmènerait Cindy cet été, ne serait-ce que pour profiter de la jalousie dans ses yeux, mais c’était avec Andrew qu’elle aurait voulu partager cette nouvelle étape de sa vie.

Dans d’autres circonstances, elle lui aurait probablement proposer de transplaner sur le champ pour lui faire faire le tour du propriétaire, mais elle ne voulait pas le brusquer. Elle n’était pas certaine que son état de santé lui permette de transplaner, et elle ne savait pas comment il réagirait à une invitation à passer du temps chez elle, seuls. Ici la présence de sa mère et de son petit-frère rendait le terrain plus neutre. C’était peut-être mieux ainsi.

- Pardon mais as-tu déjà entendu parler du légendaire ego des Gryffondor ? interrogea Andrew lorsque Sasha déclara que son orgueilleuse déclaration était une réponse de Serpentard.

Car c'était uniquement par fierté qu'il refusait sa proposition. Son jeune âge était déjà source de rires chez ses amis, il n'allait pas en plus leur fournir des billes en leur demandant de le transporter partout. Il préférait prendre la cheminette, son balai ou bien demander à ses parents. La dernière solution était toujours assez confortable, il est vrai... Mais quoi qu'il en soit, il préférait faire un trajet de deux heures en balai si cela était nécessaire plutôt que de demander de l'aide, en bon [i]Gryffondor[]. Surtout que les gens avaient la moquerie un peu facile sur leur maison depuis la fin de la guerre - puisqu'ils "ne servaient plus à rien" selon les mauvaises langues - il n'allait pas en plus faire cadeau de leurs caractéristiques aux Serpentard ! Même leurs défauts, ils les gardaient pour eux. En plus, leurs traditionnels rivaux avaient déjà de quoi faire : roublards, élitistes, snobs, un peu précieux... Sans le vouloir, Sasha fit d'ailleurs une démonstration de ce dernier point en demandant si elle devait demander aux gens de prendre des gants pour feuilleter son cadeau et cela tira un sourire amusé à Andrew. Il était vraiment heureux que cela lui plaise à ce point.

- Tu peux faire ce que tu veux, c'est ton livre, commença-t-il. Après je ne te garantis pas que je ne me moquerai pas de toi pour toute la vie.

Il songea que sa mère n'aurait pas aimé entendre cela : il l'avait déjà vue manipuler des ouvrages uniquement avec sa baguette magique pour ne pas les abîmer. Elle aimait énormément la littérature, elle en avait même fait son métier... et cette caractéristique n'avait pas du tout atteint son fils aîné. Ce n'était pas faute d'avoir essayé, elle lui avait mis des livres entre les mains dès son plus jeune âge, il passait de longues heures à la librairie après l'école, il en recevait à chaque anniversaire. Mais dans le même temps, c'est un balai que son père lui avait mis entre les mains et Andrew avait rapidement trouvé ça bien plus drôle que de rester assis sagement à tourner des pages. Ses lectures se résumaient désormais à ses manuels scolaires, des bandes dessinées et quelques romans d'aventure de temps en temps, comme l'illustrait sa bibliothèque. Celle de Sasha était au contraire bien remplie et elle allait encore devoir y trouver une petite place pour son nouvel ouvrage, une place d'honneur, même ajouta-t-elle, dans son nouvel appartement.

- Oh, vous avez déménagé avec ta mère ?

Il ignorait qu'elles voulaient quitter le petit appartement qu'elles occupaient près du Chemin de Traverse mais il avait été à l'écart de la vie de sa meilleure amie pendant de longs mois. Avant même les évènements du Poudlard Express, ils avaient cessé de se parler au lendemain de la désastreuse soirée de fin d'année. Il s'en voulait vraiment. Les choses auraient pu être tellement différentes.

« Je suis devenue plutôt résistante à la moquerie. »

Sasha ponctua sa réponse d’un bref sourire contrit, et la regretta aussitôt. Ils commençaient tout juste à se réconcilier, il était encore un peu tôt pour évoquer si légèrement d’un sujet qui les avait séparés pendant des mois. Pourtant, elle savait qu’il faudrait bien qu’ils en parlent un jour. Andrew était son meilleur-ami et, si elle était de nature à garder beaucoup de choses pour elle, elle avait l’habitude de pouvoir discuter librement de sa vie à Poudlard avec lui. Et puis, Andrew finirait par revenir à l’école, et ils devraient apprendre à être amis dans ce contexte particulier.

Elle savait que cela ne pourrait pas durer, et qu’ils ne pourraient pas éternellement éviter le sujet, mais pour l’instant ils pouvaient encore faire comme si rien de tout ça n’était arrivé, et elle avait envie d’en profiter. Elle s’empressa donc de changer de sujet, en mentionnant son nouvel appartement qu’elle avait hâte de montrer au Gryffondor.

Elle secoua négativement la tête quand il lui demanda si elle avait déménagé avec sa mère.

« Non, j’ai emménagé toute seule, répondit-elle avec fierté. J’ai acheté un appartement. »

L’annoncer à voix haute était assez agréable et elle savoura l’effet de son annonce avec une satisfaction non dissimulée. Elle avait longtemps réfléchi à attendre sa sortie de Poudlard plutôt que d’acheter un appartement qu’elle n’occuperait que pendant les vacances scolaires, mais les prix de l’immobilier montaient vite et, puisqu’elle achetait sans crédit, on lui avait conseillé de ne pas attendre.

Elle projetait même d’acheter un second studio l’année prochaine, qu’elle pourrait mettre en location pour en tirer un revenu régulier. Il lui restait de l’argent de la récompense qu’elle avait touchée pour l’arrestation d’Ana Sorden, et elle avait reçu un chèque très généreux de l’institut de Skye. Ils n’étaient pas très fiers d’avoir envoyé une stagiaire mineure vérifier la présence d’un éventuel espion russe au sein de l’établissement, la poussant droit dans une prise d’otages. Elle avait accepté de ne pas porter plainte, moyennant une compensation financière suffisante.

A peine majeure, elle était donc déjà à la tête de ce qu’elle s’emploierait à transformer en empire immobilier. Elle avait l’intention de faire carrière, et d’avoir un métier qui lui rapporterait un bon salaire, mais elle aimait l’idée de diversifier ses sources de revenus, au cas où. Elle ne s’étendit toutefois pas sur le détail de ses projets financiers auprès d’Andrew, avec qui elle voulait simplement partager son bonheur d’être enfin indépendante.

« Il faudra que tu viennes visiter ! ajouta-t-elle avec enthousiasme. Enfin, si tu veux, » ajouta-t-elle plus calmement.

Elle ne voulait pas le brusquer, elle avait retenu la leçon.

Lorsque Sasha mentionna qu'elle était devenue plutôt résistante à la moquerie, Andrew s'en voulut immédiatement d'avoir fait cette petite plaisanterie. Il savait ce qu'elle subissait à l'école depuis le début de l'année et les gens étaient horribles. Il avait entendu les murmures, vu les regards appuyés, lu les mots griffonnés sur les murs des toilettes. Il s'était emporté plusieurs fois quand on osait le faire devant lui, quand un camarade pensait partager la complicité d'une bonne blague. Il avait menacé Ziegler, l'un de ses poursuiveurs, de le laisser sur le banc toute la saison s'il l'entendait encore une fois parler de Sasha. Rapidement, plus personne n'avait osé se moquer de sa meilleure amie en sa présence, mais il se doutait bien que les choses étaient très différentes pour elle. Elle avait supprimé ses profils sur les réseaux sociaux, se faisait invisible dans les couloirs, était souvent absente des repas dans la Grande Salle. A cause de son implication dans cette histoire, il n'avait pas pu être là pour elle pendant cette période et cette pensée ne fit que renforcer sa culpabilité. Il sentit ses joues rougir et sut qu'il ne pourrait de toute manière pas avoir les bons mots.

- Désolé, souffla-t-il avec contrition.

Elle lui fit un sourire également gêné, comme pour dissiper la gêne qui était de nouveau en train de s'installer entre eux.  Malgré leurs retrouvailles, malgré toute la bonne volonté qu'ils mettaient à renouer et à faire comme si de rien ne s'était passé, ils sentaient tous les deux les non-dits et les questions sous-jacentes. Ils n'allaient pas pouvoir éviter éternellement ces sujets, Andrew en avait conscience. Il faudrait qu'ils en parlent. Il n'en n'avait aucune envie, tout en sachant que c'était nécessaire s'ils souhaitaient véritablement réparer les choses entre eux; un jour.

Aujourd'hui, ils choisissaient de ne pas le faire. De se sourire, de ne pas laisser ce silence pesant empoisonner leur première discussion depuis longtemps.Sasha avait évoqué avec enthousiasme son déménagement, qu'il supposait être avec sa mère. Pourtant, ce fut avec une fierté évidente que son amie le contredit : elle avait acheté seule un appartement.

- Attends, quoi ? répondit-il immédiatement, ses sourcils se haussant.

Cela paraissait tellement hors-normes. Elle avait dix-sept ans depuis bien moins d'un mois, ils étaient en sixième année à Poudlard, il leur restait encore un an d'études... Ils vivaient encore chez leurs parents. Andrew n'avait même jamais considéré de déménager pour le moment, ne serait-ce que parce qu'il était complètement dépendant d'eux pour le moment. Ils lui achetaient toutes ses affaires, lui donnaient de l'argent de poche, payaient Poudlard... Alors il savait que son père avait mis de l'argent de côté pour lui, dont il allait toucher une partie à sa majorité, mais il ne s'imaginait pas encore vivre seul pendant les vacances, Mais Sasha... avait toujours été hors-normes. Toujours plus mature, toujours plus prête à grandir. Elle avait toujours eu de grandes ambitions, dès leur première année. Ils en avaient déjà beaucoup parlé ensemble, elle rêvait d'indépendance, de ne plus avoir de comptes à rendre et surtout, de s'éloigner de sa mère avec qui les choses étaient compliquées. L'ambiance était pesante chez les Benson, il y avait déjà passé un peu de temps en été et c'était parfois oppressant d'être dans la même pièce que sa mère. Son amie ne pouvait même pas vivre chez son père, avec tout ce que le Ministère lui avait fait... Au final, elle avait juste trouvé une solution qui lui correspondait. Il savait qu'elle avait obtenu de l'argent suite à l'affaire Benson, elle en avait déjà utilisé une partie pour ses cours d'été aux Etats-Unis. Maintenant qu'elle était officiellement majeure, elle avait donc fait quelque chose de très Sasha.

- C'est super cool, déclara-t-il avec un sourire, une fois sa première surprise passée, je suis content pour toi !

Elle n'avait pas perdu de temps, en tout cas, il était tout de même un peu étonné qu'elle n'ait pas attendu l'été. Mais peut-être qu'après tout ce qui était arrivé à l'école, Sasha avait besoin de projets positifs.. Quand elle déclara qu'il pourrait venir le visiter; s'il le souhaitait, son sourire se fit plus grand.

- Evidemment que je veux ! Madame est propriétaire, attends, il faut que je vois ça ! Je t'apporterai un petit cadeau de crémaillère (même s'il n'avait aucune idée de présent puisqu'il avait mobilisé toute son ingéniosité pour son anniversaire). C'est où ? Il est comment ? Tu as des photos ?

Il était heureux de recommencer à partager des choses avec elle et avait envie de s'y plonger avec enthousiasme.

- Et euh... ta mère, ça va ? Elle ne l'a pas trop mal pris ?

Sasha savoura avec un malin plaisir la surprise d'Andrew quand il prit finalement la mesure de son annonce. Elle avait conscience de sortir des sentiers battus en achetant seule un appartement à tout juste dix-sept ans, et cela l'emplissait de fierté. Personne d'autre ne faisait ça. Cela la rendait un petit peu exceptionnelle, et la pointe d'admiration qu'elle retrouvait dans le regard de son meilleur-ami faisait beaucoup de bien à son estime d'elle-même.

Elle avait toujours été une enfant prodige. Elle avait tout appris très vite, s'était rapidement débrouillée seule dans de nombreux aspects de sa vie, avait brillé pendant toute sa scolarité. Elle  s'était habituée à ce rôle et au traitement qui allait avec, mais dernièrement elle avait basculé du côté obscur des enfants précoces. Du côté de celles qui devenaient des femmes trop tôt et qui vivaient des expériences que les autres ne jugeaient pas acceptables pour leur âge. Elle avait cessé d'être la jeune fille modèle qui enchaînait les expériences professionnelles prometteuses pour devenir l'adolescente de seize ans qui avait connu une expérience sexuelle désastreuse. Elle avait besoin de redorer un peu son image, même si elle était consciente que cette indépendance nouvellement acquise ne serait peut-être pas bien vue de tous.

Andrew, en tout cas, semblait très content pour elle. Son enthousiasme faisait plaisir à voir, et Sasha fut ravie qu'il accepte son invitation.

"Tu es exempté de cadeau de crémaillère et de cadeau de noël après ça, répondit-elle en désignant le livre posé sur le lit à côté d'elle. Il est à Léopoldgrad. C'est un grand studio, expliqua-t-elle. Mais avec suffisamment d'espace pour avoir un vrai coin nuit séparé, j'aimerais bien mettre une bibliothèque pour faire comme une cloison."

Elle aurait adoré partager le processus de recherche avec son ami. Elle avait beaucoup aimé consulter les offres et faire quelques visites, mais elle avait tout fait toute seule, ce qui n'avait pas toujours été facile.  Heureusement, il n'était pas trop tard pour rattraper le temps perdu, et Andrew se montrait encore plus intéressé qu'elle ne l'aurait espéré.

"La déco n'est pas du tout terminée -en fait elle n'est même pas commencée- mais j'ai quelques photos, attends."

Elle se pencha en avant pour ramasser son sac posé au pied du lit, qu'elle fouilla à la recherche de son Pear. Elle aurait préféré attendre que son studio soit un peu mieux aménagé avant de le montrer à qui que ce soit, mais elle savait qu'Andrew ne la jugerait pas sur les murs nus et les meubles disparates. Elle venait de mettre la main sur son téléphone quand son ami enchaina avec une autre question qui la prit un peu au dépourvu. Elle parlait rarement de sa mère, même avec lui.

"Oh, euh... Elle n'était pas fan de l'idée, évidemment. Elle a protesté pour la forme. Elle ponctua sa réponse d'un haussement d'épaules. Au fond je crois qu'elle était soulagée, ajouta-t-elle en baissant les yeux sur ses mains. Ça lui fera des soucis en moins."

Sa mère pourrait enfin se consacrer à ce qu'elle savait faire de mieux: se concentrer sur ses propres problèmes. Sasha sentit une vieille colère froide se réveiller en elle, et se força à l'ignorer. Elle n’avait jamais parlé à sa mère. Elle ne lui avait jamais dit à quel point l’affaire Sorden l’avait marquée, à quel point elle avait souffert de l’absence soudaine de son père, ni combien le harcèlement qu’elle subissait à Poudlard était violent. Elle avait continué de rapporter d’excellentes notes et de répondre que tout allait bien. Sa mère l’avait cru, ou du moins elle avait prétendu la croire, et Sasha lui en voulait terriblement pour ça. Elle ne savait même pas ce qui serait le pire : que sa propre mère n'ait rien vu, ou qu'elle ait vu les signes mais n’ait rien fait ?

Peu désireuse de s'étendre sur le sujet, Sasha déverrouilla son Pear entre eux et afficha une première photo, qui permettait de visualiser presque l'intégralité du studio. On y voyait le petit canapé gris clair laissé par les anciens propriétaires, son lit rapporté de chez sa mère, une pile de manuels scolaires qui faisait office de table de chevet, quelques valises encore pleines, et un petit coin cuisine au fond de la pièce.

"Et voilà mon humble demeure !"

Sasha déclara qu’il était exempté de présent de crémaillère et de Noël après son présent d’anniversaire mais Andrew secoua la tête. Elle n’allait pas juste avoir un cadeau d’anniversaire, même si c’était un beau cadeau : elle avait dix-sept ans, c’était normal !

- Non, non, tu auras bien tes présents... mais avec du retard, j’avoue !  

Il ne traînait pas beaucoup dans les boutiques en ce moment, malheureusement. Il hocha la tête lorsque son amie déclara que son nouveau logement était un grand studio à Leopoldgrad. Cela lui ressemblait bien, de vivre dans un endroit moderne et plein de gens ambitieux. Quand elle mentionna la bibliothèque pour faire une cloison, il eut un léger sourire amusé. Evidemment que cela serait une bibliothèque. L’enthousiasme de Sasha faisait plaisir à voir, cela faisait des mois qu’il ne l’avait pas vue ainsi et cela faisait naître chez lui une sensation de chaleur. Il savait que la route serait longue pour retrouver leur amitié d’avant mais ce genre de petits moments lui apportait beaucoup d’espoir et de soulagement. Alors qu’elle se penchait pour attraper son Pear dans son sac, il se permit de mentionner sa mère. La situation était atypique et même si Mrs Benson n’était pas très présente...

Sasha répondit que même si elle n’était pas fan de l’idée, elle ne s’y était pas opposée. Elle rajouta même que cela lui ferait des soucis en moins et Andrew sentit son coeur se serrer. Il pouvait imaginer que cette histoire de vidéo avait été très complexe à gérer mais il ne pouvait pas voir comment son amie pouvait être un souci : c’était l’une des meilleures élèves de leur promotion, elle était préfète, elle était sage, elle avait plein d’ambition... Elle passait ses étés à suivre des cours et des stages ! Le rêve de tout parent.

- Tu n’es pas un souci, Sash’... affirma-t-il doucement, désolé.

Mais il la connaissait suffisamment pour savoir qu’elle ne voudrait pas s’appesantir sur le sujet délicat de sa mère, ils en parlaient assez peu. Elle sortit son Pear et le déverrouilla pour dévoiler une photographie d’une grand pièce aux murs blancs, avec un petit canapé gris clair et un lit qu’il connaissait bien pour l’avoir déjà vu dans la chambre de Sasha.

- Oh mais c’est sympa, la lumière est bien ! commenta-t-il. Puis ça te fait grand ! Tu en as d’autres ?

Elle lui présenta la salle de bains et une photo de l’immeuble et il hocha la tête.

- C’est vraiment bien, tu vas être bien ! J’ai hâte de le visiter en tout cas !

Sasha se força à esquisser un sourire quand Andrew lui répondit avec douceur qu’elle n’était pas un souci. C’était gentil, et elle était touchée même si elle n’était pas certaine que ce soit vrai. Sa mère n’était pas un sujet sur lequel elle aimait s’étendre, et elle préféra répondre avec une plaisanterie pour redonner à leur conversation un ton plus léger.

"Tu risques de changer d’avis quand je te ferai des interrogations surprises sur les fiches de révision que je t’ai préparée."

Mais elle était une amie sympa, aussi avait-elle décidé de laisser Andrew passer des fêtes de fin d’année reposantes avant de l’embêter avec les révisions. Cela lui permettrait en plus de lui préparer des schémas et de jolies illustrations colorées pour mémoriser plus facilement le contenu des fiches-de-fiches. Une fois n’est pas coutume, Sasha laissa le sujet des études sur le côté et sortit plutôt son Pear de sa poche pour montrer à Andrew des photos de son nouvel appartement.

"Oui, je suis contente, répondit-elle avec un sourire quand Andrew affirma que c’était grand. Vingt-neuf mètres carrés !" annonça-t-elle fièrement. Ce qui, dans le reste du monde, équivalait à un placard à balais, mais était une surface tout à fait respectable au vu des prix de Léopoldgrad.

Le Gryffondor affirma aussitôt qu’il avait hâte de visiter, et Sasha hésita un instant. Elle avait beau savoir qu’il leur faudrait du temps pour retrouver leur ancienne complicité. Elle avait beau le sentir dans leurs regards hésitants et dans leurs gestes en retenue, elle ressentait l’urgence de rattraper le temps perdu. Elle avait gâché des mois entiers en refusant d’adresser la parole à Andrew et elle avait envie de récupérer un peu de ces moments dont elle les avait privés. Elle voulait se créer de nouveaux souvenirs, vivre de nouvelles aventures comme ils le faisaient toujours quand ils étaient ensemble. Cela lui avait tellement manqué.

"Si tu n’étais pas en pleine convalescence je t’aurais proposé d’y aller tout de suite…" lança-t-elle finalement en jetant un regard en coin à Andrew.

Était-ce trop Serpentard de sa part de suggérer cela à une tête-brûlée de Gryffondor qui n’avait jamais su être raisonnable face au danger ? Peut-être bien. Mais ce n’était pas une proposition complètement déraisonnable, se rassura-t-elle. Ils seraient prudents, ils pourraient même voyager par cheminette s’il ne se sentait pas assez en forme pour le transplanage. Et ils ne resteraient pas longtemps, ils seraient de retour avant l’heure du goûter ! Mais ce n’était certainement pas son rôle d’adolescente modèle de suggérer ce genre de plans. Il y avait les joueurs de Quidditch téméraires pour ça.

Andrew ne put s’empêcher de sourire face à la fierté de Sasha. Elle semblait très heureuse de lui présenter son nouvel appartement et il en était véritablement content pour elle. C’était un beau projet - même si certains pourraient le trouver étonnant à leur âge - et surtout, c’était quelque chose de positif dans un début d’année qui avait été horrible pour elle. Cela devait lui faire du bien d’avoir un tel projet, bien loin de l’école et tout ce qui s’était passé. C’était en plus un nouveau départ, loin de l’appartement un peu étriqué de sa mère, chez qui l’ambiance était parfois pesante. Souvent, même. Il avait bien vu la façon dont elle avait botté en touche à sa question mais il ne comptait pas insister, il savait bien qu’elle n’aimait pas en parler.

- Et bah, on ne se refuse rien, miss Benson ! Je parie que c’est dans l’un de ces immenses immeubles, en plus.

Il ne prenait pas beaucoup de risques en supposant cela, quand on voyait l’architecture de Leopoldgrad... et il aurait pu le faire de suite, suggérait Sasha, s’il n’avait pas été en convalescence. Il était sorti de l’hôpital il y a trois jours, après trois semaines d'hospitalisation. Il passait encore beaucoup de temps à dormir, il était d’ailleurs encore dans son lit suite aux consultations de ce matin. Rentrer à la maison lui avait fait du bien, il n’en pouvait plus d’être à Sainte-Mangouste, dans sa chambre toute la journée. Même s’il recevait des visites, les jours étaient longs et il avait l’habitude d’être assez actif.

En plus, Sasha et lui n’avaient pas passé de temps tous les deux depuis longtemps. Entre ce qui s’était passé à la soirée de fin d’année et en début d’année... Il avait vraiment envie d’aller visiter son nouvel appartement, de vivre ce moment avec elle. Et puis sortir un peu du giron surveillé de l’hôpital puis de ses parents... Ses yeux croisèrent ceux de son amie et ils restèrent silencieux quelques secondes, partageant la même idée. Un sourire en coin s’inscrivit sur son visage.

- Mamaaaaaan ? lança-t-il en direction de la porte.

Repoussant la couette épaisse qui le recouvrait, il dévoila son bas de jogging gris et posa les pieds sur le sol, prenant une seconde pour gérer le vertige qui ne manquerait pas de se présenter. Les pas de sa mère se firent entendre dans l’escalier et elle apparut dans l’encadrement de la porte.

- Tu m’as appelée ?

Andrew savait qu’il devait gérer les choses finement, il ne pouvait pas juste demander à sa mère de pouvoir sortir, elle lui dirait non. Elle était très inquiète pour lui encore.

- Sasha a acheté un appartement à Leopoldgrad, commença-t-il. Elle vient de signer.

Sarah eut l’air surpris, un léger mouvement de recul de la tête, ses yeux clairs s’étaient écarquillés.

- Oh, mais félicitations ! C’est... un sacré investissement, à dix-sept ans !

Il voyait bien que sa mère était étonnée, elle devait sûrement se demander comment elle avait pu faire cet achat, surtout qu’ils étaient encore en sixième année à l’école. Mais ça n’était pas la conversation qu’il souhaitait avoir maintenant.

- Et on se disait que ça serait chouette si je pouvais aller le visiter... Andrew vit bien à sa mine que le premier réflexe de sa mère allait être de dire non, alors il accéléra son débit de parole, mais juste rapidement ! Un petit aller-retour à Leopoldgrad, juste histoire de voir ! Ça fait super longtemps que je ne suis pas sorti, j’en ai marre d’être enfermé et en plus, c’est juste une visite ! S’il te plaît ?

Sarah fit une légère grimace, il vit bien qu’elle pesait les choses dans son esprit.

- On va juste aller voir l’appartement, ce n’est même pas une balade, rajouta Andrew. On va à peine marcher !

Sa mère se mit à sourire, presque malgré elle, devant le côté désespéré de son argumentation.

- Ce n’est pas très raisonnable, répliqua-t-elle.
- Ouiii mais il faut bien que je recommence à faire des choses, doucement !

Elle soupira.

- Une heure, alors.

Andrew fit la moue.

- Une heure et demie, pas plus ! Et vous allez juste visiter l’appartement, pas de grande balade ! Et pas de transplanage non plus, vous prenez un taxi.

Un grand sourire s’épanouit sur le visage d’Andrew alors qu’une vague d’enthousiasme le parcourait. Il allait enfin pouvoir sortir un peu, voir autre chose que Sainte-Mangouste ou les murs de sa chambre.

- Sur mon Pear, j’ai le compte UberBroom de papa de connecté, je peux m’en servir.

L’application permettait de faire venir des moyens de transports conduits par des chauffeurs, du balai au taxi magique, en passant par le transplanage d’escorte. Sarah hocha la tête.

- Et vraiment, j’insiste, pas d’effort physique, rien. Tu vas t’asseoir dans l’appartement de Sasha. Je compte sur toi, ajouta-t-elle avec un regard d’avertissement pour son fils. Andrew lui fit un grand sourire innocent. En fait, corrigea Sarah, je compte sur toi Sasha pour être la plus raisonnable des deux.
- Merci maman ! s’exclama-t-il en se levant pour passer ses bras autour d’elle.

Elle lui retourna l’étreinte en lui caressant le dos et finit par déposer un baiser sur sa tempe avant de le lâcher.

- Une heure et demie, hein, sinon je viens te chercher.
- Oui, oui ! On sera très sages. Hein Sasha ?




 

A l’instant où son regard croisa celui d’Andrew, Sasha sut qu’il n’allait pas résister à la tentation de s’échapper d’ici pour aller découvrir son appartement à Léopoldgrad. Pendant quelques secondes, ils redevinrent les enfants polissons qu’ils avaient été, et cette idée la fit sourire. Ce sentiment de retour en enfance fut confirmé quand son ami appela sa mère pour lui demander la permission de sortir.

Sasha assista à l’échange entre Andrew et Sarah, amusée par les arguments déployés par le Gryffondor. Elle le trouvait personnellement plutôt convaincant, même si elle comprenait facilement les réserves de la mère de famille. Une part d’elle était soulagée de savoir qu’elle n’avait désormais plus besoin de l’autorisation de sa mère pour quoi que ce soit, mais une autre était un peu jalouse de l’attitude protectrice de Sarah envers Andrew.

"Ce n’est pas très grand, on aura fait le tour en seulement quelques pas, intervint-elle pour appuyer la plaidoirie d’Andrew. Et après on s’assiéra tranquillement."

Un sourire ravi éclaira le visage de Sasha quand Sarah leur accorda une heure et demie de liberté, à la condition qu’ils prennent un taxi magique. Elle était un peu déçue de ne pas pouvoir frimer avec ses talents de transplanage, mais trop heureuse du dénouement de cette conversation pour s’en plaindre.

Elle hocha vigoureusement la tête quand la mère d’Andrew indiqua qu’elle lui faisait confiance, à elle, pour être la plus raisonnable des deux. Ce n’était pas très difficile, d’être considérée plus raisonnable qu’un Gryffondor, mais Sasha sentit une pointe de fierté à l’idée qu’elle était digne de la confiance de Sarah. Elle avait toujours recherché l’approbation et la validation des adultes autour d’elle, et l’obtenir d’une personne qu’elle appréciait était encore plus agréable. Elle n’avait jamais su se faire accepter par les gens de son âge, et elle avait fini par arrêter d’essayer, ne lui restait que les parents et les professeurs pour entretenir son orgueil.

"On fera attention, c’est promis", affirma-t-elle avec un sourire de petite-fille modèle.

Dès que Sarah quitta la chambre, Sasha échangea avec Andrew un regard complice d’enfant qu’on aurait autorisé à inviter son copain pour le goûter après en avoir parlé toute la journée à l’école. Elle n’avait pas été si enthousiaste à propos de quoi que ce soit depuis longtemps.

"Hiii, je suis trop contente que tu viennes ! s’écria-t-elle en frappant dans ses mains pour exprimer son excitation. Bon, il y a encore pas mal de choses en cartons, promets-moi que tu ne feras pas attention au bazar !"

Et par bazar elle entendait les deux piles de cartons, bien sagement empilées contre un mur et qui contenaient principalement des livres et des vêtements. En parlant de vêtements, Sasha baissa les yeux sur le pantalon de jogging d’Andrew.

"Tu veux peut-être te changer ? suggéra-t-elle. Non pas que tu sois obligé hein, le dress code est très casual pendant les vacances à Léopoldgrad, ajouta-t-elle pour ne pas le forcer à enfiler autre chose s’il n’en avait pas envie. D’autant plus que son jogging lui allait très bien. Mais si tu veux, euh.. Je t’attends dehors."

Elle quitta la chambre et s’adossa à la porte qu’elle avait refermée derrière elle en essayant de brider son imagination qui s’intéressait beaucoup trop à ce qui pouvait se passer de l’autre côté.

Dès que sa mère quitta la chambre, Andrew tourna un visage réjoui vers Sasha. L’idée de pouvoir sortir, de recommencer à faire quelque chose d’aussi normal que de sortir avec son amie, loin de tout ce qui s’était passé ces dernières semaines le rendait extatique. Sasha était tout aussi ravie puisqu’elle frappa dans ses mains avec excitation et il songea un instant qu’il ne l’avait pas vue aussi heureuse depuis longtemps.

- Moi aussi ! répondit-il de la même manière. En plus je suis le premier à le voir, enfin j’espère ! J’espère que Cindy ne m’a pas battu !

Il secoua la tête quand elle le fit promettre de ne rien dire pour le bazar. Ils n’avaient certainement pas la même définition de « bazar » et il la connaissait assez pour savoir que ce qu’elle désignait comme tel n’en n’était sûrement pas. De plus, elle était en plein déménagement alors il aurait été malvenu de sa part de juger, surtout qu’elle n’avait pas fait de remarque sur l’état de sa chambre, qui avait connu des jours meilleurs (sûrement à l’image de son propriétaire.)

- Promis ! Il allait justement ajouter que c’était sûrement très bien rangé lorsque Sasha lança qu’il voulait peut-être se changer. Il baissa les yeux sur le pull qu’elle lui avait offert et le bas de jogging qu’il avait enfilé ce matin pour les consultations à Sainte-Mangouste. Sa tentative pour se rattraper le fit sourire et il ne tarda pas à faire semblant d’afficher une mine outrée. Non mais très bien, j’ai compris que je te faisais honte ! Je vais enfiler une chemise et une cravate, rien que pour te faire plaisir.

Il croisa ses bras sur son torse d’un air contrarié alors qu’elle quittait la pièce et les dénoua quand le battant se referma derrière elle. Même si ses cravates rouge et or l’attendaient sagement dans le troisième tiroir de sa commode, il n’avait pas l’intention de renfiler son uniforme pour le moment. À la place, il s’assit sur le bord de son lit et se débarrassa de son jogging, emportant l’une de ses chaussettes au passage. Il remplaça son bas par un simple jean sombre et renfila sa chaussette démissionnaire. Il estima en se regardant dans le miroir que le pull que lui avait offert Sasha serait très bien pour cette petite sortie (et elle-même ne pourrait rien dire là-dessus.) Il passa plusieurs fois la main dans ses cheveux bruns pour arriver à en faire quelque chose qui lui plaisait avant d’estimer qu’il était prêt à partir. Il récupéra son Pear abandonné sur le couvre-lit bleu et ouvrit l’application UberBroom. Son père lui avait fait entrer son numéro de compte Gringotts pour qu’il puisse toujours avoir un moyen de transport en cas de besoin ou d’urgence, si personne n’était disponible. Il sélectionna l’option « Taxi magique » et fut informé que son chauffeur serait là dans huit minutes exactement.

Sasha était encore dans le couloir lorsqu’il ouvrit la porte. Il lui adressa un sourire et secoua légèrement sa main qui contenait son Pear.

- Il est là dans moins de dix minutes !

Il lui céda le passage dans l’escalier, qu’il descendit prudemment en gardant une main appuyée contre le mur, en évitant les dizaines de cadres remplis de photos qui décoraient ce pan de la maison. On y retrouvait des images de lui enfant ainsi que d’Oscar, des photos d’eux avec leur mère, quelques photos de mariage avec Doug. En bas, sur la droite, s’étendait le salon aux poutres sombres et au vieux parquet. Une petite marche dans le fond le séparait de la partie de la pièce qui leur servait de salle à manger. On pouvait apercevoir la cuisine grâce à la large découpe dans le mur qui leur servait aussi de comptoir. Oscar était assis par terre, près des bibliothèques de leur mère, très concentré sur sa construction en Legos.

- Tu fais quoi ? interrogea Andrew en venant s’accroupir près de lui.
- Je fais un robot ! Je mets tous les rouges ! Et après je vais mettre tous les jaunes ! expliqua-t-il en accrochant deux morceaux rouges entre eux.
- Aaah, très bon choix, approuva-t-il, les couleurs de Gryffondor ! Cet enfant est très bien élevé, ajouta-t-il à l’adresse de sa mère qui sortait de la cuisine, tout en tapotant doucement la tête de son petit frère.
- Ce sont surtout les couleurs d’Iron Man, fit remarquer Sarah, en référence à la nouvelle passion du petit garçon.
- Même que, même que, quand il décolle cela fait « PHCHOOOOOU » et « PRRRRRRFZF » s’exclama Oscar en relevant la tête. Et aussi il peut faire « PSSHRIRIIRRI » quand il fait ça ! Il brandit les bras devant lui. Et il a un casque qui fait « PSSSSH » quand il s’ouvre.
- C’est bien, la sécurité avant tout, commenta Andrew en échangeant un regard goguenard avec Sasha.
- Belle devise, tiens, mon coeur, je pense que tu devrais garder ça en tête, fit sa mère avec un sourire entendu.
- Et c’est ce que nous allons faire, en commençant par prendre un taxi magique plein de sécurité, qui sera là dans... quatre minutes maintenant. On devrait l’attendre dehors d’ailleurs. Bisous Oscar, il passa ses bras autour de son petit frère qui daigna lâcher ses legos pour lui serrer très fort le cou quelques secondes. Bisous maman, ajouta-t-il en se redressant.
- À tout à l’heure, amusez-vous bien et soyez... ?
- Sages comme des images.
- Parfait.

Elle lui souffla un baiser et Andrew fit un signe de la tête à Sasha pour l’entraîner vers l’entrée de la maison, où il attrapa une paire de baskets dans l’armoire. Il les enfila à la va-vite, ainsi que son nouveau manteau bleu, celui que sa mère lui avait acheté pour les moments où il ne serait pas en uniforme. Il referma derrière eux le battant de la maison et remonta la petite allée de pierres, qui débouchait sur le trottoir. Il finit par tourner un visage réjoui vers sa meilleure amie.

- Enfin libres ! déclara-t-il avec enthousiasme. Honnêtement, on n’est même pas encore arrivés mais c’est clairement la meilleure journée de mon mois de décembre. Je te propose qu’on rentabilise un maximum cette heure et demie. Après tout... Tant qu’on est revenus à temps, ma mère n’en saura rien !

Il tourna légèrement la tête derrière lui, comme si Sarah allait justement sortir de la maison après avoir entendu ses paroles grâce à une ouïe maternelle ultra-développée ; mais la porte de la maison resta bien fermée. Il n’y avait pas encore de signe de leur taxi, aussi donna-t-il un très léger coup d’épaule à Sasha.

- De toute manière, les meilleures aventures, c'est toujours nous deux, non ?  

Andrew n’avait finalement pas opté pour l’option chemise-cravate, et Sasha fut touchée de constater qu’il avait gardé le pull qu’elle lui avait offert. Elle précéda le Gryffondor dans les escaliers et se retourna en arrivant en bas des marches. Voir son ami descendre comme un vieillard, en prenant appui contre le mur, lui fit mal au cœur. Elle avait plutôt l’habitude de le voir dévaler les marches quatre à quatre, mais savait que ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne retrouve son agilité habituelle. Constater à quel point il était encore impacté par les séquelles de son accident lui faisait prendre pleinement conscience de la gravité de ce dernier, et elle remercia Merlin de lui avoir laisser l’opportunité de rattraper le temps perdu avec son meilleur-ami.

Elle suivit Andrew qui s’approchait de son demi-frère Oscar, occupé à jouer aux legos par terre, et sourit quand la remarque du petit-garçon au sujet du casque d’Iron-Man se poursuivit par un échange complice entre son grand-frère et sa mère.

« Promis, ajouta-t-elle quand Andrew assura à Sarah qu’ils seraient sages. A tout à l’heure. »

Elle adressa un bref signe de la main à la mère de famille, ainsi qu’à Oscar, et attrapa son manteau et son écharpe avant de suivre Andrew à l’extérieur de la maison. Un vent d’hiver glacial leur mordit le visage alors qu’ils remontaient tranquillement la petite allée en pierres qui menait jusqu’à la route. Le froid colorait les joues de Sasha en rose, tout comme la remarque du Gryffondor qui affirmait que cette journée était la meilleure de son mois de décembre. Cela lui faisait très plaisir, d’autant plus parce qu’elle partageait ce sentiment, mais cela la rendait un peu triste aussi de savoir qu’il n’avait pas dû passer un noël très heureux.

« Moi aussi », répondit-elle avec un sourire sincère.

Evidemment, Andrew n’avait pas vraiment l’intention de respecter la promesse faite à sa mère d’être sage comme une image et comptait rentabiliser au maximum ces quatre-vingt-dix-minutes de liberté. Sasha chassa aussitôt une idée sur une très bonne manière d’occuper une heure de temps libre, et se contenta plutôt de froncer les sourcils d’un air faussement réprobateur.

« Andrew Dubois, le sermonna-t-elle. Il me semble que tu t’es engagé à être « sage comme une image », et ta mère compte sur moi pour te surveiller. Je te propose donc une heure et demie de révisions d’Histoire de la Magie… N’y tenant plus, elle abandonna son air sérieux au profit d’un sourire amusé. Non, je n’te ferai pas ça, c’est noël quand même ! »

Elle était de toute façon incapable de résister à l’espièglerie du Gryffondor, et encore moins quand il affirmait qu’il n’y avait qu’ensemble qu’ils pouvaient vivre les meilleures aventures. Elle lui rendit son léger coup d’épaule pour dissimuler le léger malaise que cette déclaration avait causé chez elle.

« Bon, OK pour un peu d’aventure, capitula-t-elle. De l’aventure modérée, insista-t-elle. Si je te laisse faire des folies ta mère ne me fera plus confiance, et je tiens à rester son enfant préféré ! »

Sur ces mots, une voiture qui -elle en était certaine- n’était pas visible à l’horizon un instant plus tôt, freina juste devant eux. Sasha n’avait jamais pris de taxi magique. Elle avait déjà voyagé en taxi moldu, quand elle était enfant et que ses parents l’emmenaient au centre de Londres pour aller au théâtre ou faire les magasins. Cette version magique semblait toutefois se rapprocher davantage du magicobus. Le téléphone d’Andrew indiquait effectivement que le trajet ne leur prendrait que quelques minutes, alors qu’ils s’apprêtaient à traverser la moitié du pays. A la réflexion, elle se demandait si le taxi magique était vraiment plus sûr que le transplanage d’escorte…

Elle fit le tour du véhicule pour s’installer derrière le conducteur, qui était une femme d’une cinquantaine d’années aux ongles très longs.

« Léopoldgrad c’est ça ? »

Sasha confirma son adresse et attacha sa ceinture sur ordre de leur chauffeur, qui ne tarda pas à démarrer. Une embardée plus tard, ils avaient quitté la campagne anglais pour un village côtier balayé par le vent. Le véhicule ne roulait que quelques centaines de mètres à chaque fois avant de disparaitre dans une secousse et de réapparaitre des dizaines de kilomètres plus loin. Elle se demandait comment cela fonctionnait exactement. Est-ce qu’il y avait des zones, un peu partout sur le territoire, où les taxis magiques étaient autorisés à apparaitre et disparaitre en toute sécurité ? Peut-être qu’elle devrait envisager un stage au département des transports magiques, pour creuser la question.

« Ça va ? » s’inquiéta-t-elle à voix basse après une nouvelle secousse, en se penchant un peu vers Andrew.

Le trajet était plus tranquille et plus confortable qu’un déplacement en magicobus -certainement parce qu’une voiture était plus maniable- mais elle craignait que les secousses ne soient pas très agréables pour son ami, qui était quand même censé se reposer. Heureusement, elle reconnut bientôt les imposants gratte-ciels de Léopoldgrad. Ils étaient arrivés.

La voiture s’arrêta devant une immense tour d’acier et de verre miroitant, et Sasha s’empressa de sortir du véhicule, ravie de retrouver l’air frais.

« Ta-da ! annonça-t-elle en ouvrant largement les bras au-dessus de sa tête pour englober la tour. Je suis au vingt-septième étage, précisa-t-elle en cherchant ses fenêtres du regard. Là ! »

Elle glissa son bras sous celui d’Andrew, autant pour se rapprocher de lui que pour lui offrir subtilement un peu de soutient pour se rendre jusqu’à l’ascenseur.

Andrew prit sa mine la plus innocente lorsque Sasha fit mine de le sermonner. Il avait effectivement promis à sa mère d’être sage comme une image, mais ce que sa mère ne savait pas ne pouvait pas la déranger... En plus, il n’était pas en état de faire des folies mais à ce stade, même l’idée d’aller manger une gaufre à Leopoldgrad lui semblait particulièrement enthousiasmante. Pour autant, sa meilleure amie ne semblait pas de cet avis puisqu’elle commença à mentionner des révisions d’Histoire de la magie, avant d’avouer qu’elle plaisantait : tant mieux, car il était hors de question qu’il approche de près ou de loin un bouquin de cette matière, abandonnée de toute manière après ses BUSES.

- De l’aventure modérée, confirma-t-il avec malice. Et ne t’en fais pas pour ma mère : premièrement, elle ne l’apprendra jamais et deuxièmement, c’est Oscar son enfant préféré alors tu ne risques rien.

Son petit frère était mignon comme tout avec sa petite bouille ronde, il était assez sage et déjà très drôle pour son âge. Leur mère l’appelait « petit trésor », c’était imbattable.

Le taxi magique qui se présenta à eux avait tout d’une voiture moldue classique, si on exceptait la capacité à bondir sur plusieurs centaines de kilomètres. Chaque déplacement s’accompagnait d’une secousse plus ou moins violente et plongeait Andrew dans un certain inconfort. La nausée qui le saisissait à chaque mouvement un peu brusque était très présente et il avait l’impression de sentir quelque chose frapper ses côtes à chaque fois qu’un paysage différent apparaissait derrière les vitres du véhicule. Sa main gauche s’était crispée sur la poignée rigide de la portière et Sasha sembla percevoir son malaise. Il prit une seconde avant de répondre, que la douleur qu’il ressentait au niveau de sa cage thoracique se dissipe.

- Super, prétendit-il.  

Heureusement, la silhouette des tours de Leopoldgrad ne tarda pas à se présenter à eux. La ville ressemblait à une forêt de gratte-ciels dont les pointes semblaient s’élancer vers les nuages. Le taxi magique s’arrêta devant un immense tour tout en acier et verre, leur permettant de retrouver un peu d’air frais. Andrew sortit de de la voiture avec une certaine précaution et pourtant, un violent vertige s’empara de lui, une douleur fulgurante vrillant son crâne et brouillant sa vue quelques secondes. Sa main vint à tâtons chercher un appui contre le véhicule derrière eux mais ne rencontra que du vide, ce dernier ayant déjà disparu.

Il sentit le bras de Sasha se glisser sous le sien alors qu’elle lui présentait avec enthousiasme son nouvel immeuble et il prit sur lui pour répondre malgré la migraine brusque qui lui tançait encore les tempes.

- Ça a l’air chouette, articula-t-il. Il s’efforça de lui sourire. C’est très chic, comme toi.

Il ancra ses pieds fermement dans le sol comme pour rétablir au mieux sa stabilité. Lorsque le brouillard se dissipa dans ses yeux, lorsque l’étau qui enserrait son crâne le libéra, il souffla doucement. Il finit par lever la tête vers la résidence devant eux, avisant les rayons du soleil qui venaient en frapper les baies vitrées. Vingt-septième étage, avait dit Sasha.

- C’est haut, toi qui prétend avoir le « vertige » quand je te propose de monter sur mon balai !

Ce qu’il ne proposait pas à tout le monde, quand même, c’était réservé à quelques rares élus triés sur le volet.

- Je te suis !

 

Sasha remercia Andrew avec un sourire éclatant quand il affirma que l’immeuble était très chic, comme elle. Elle n’aurait pas été moins fière si elle avait été l’architecte du bâtiment. Son sourire se changea en moue réprobatrice quand son ami s’étonna qu’elle n’ait pas le vertige, elle qui avait toujours refusé de monter sur son balai.

"C’est peut-être haut, mais ça ne plonge pas vers le sol à toute vitesse. Enfin, pas normalement en tout cas." Mais avec les bâtiments à Léopoldgrad on ne savait jamais…

Elle avait assisté à suffisamment de match d’Andrew pour savoir qu’il avait un style de vol que les spécialistes qualifiaient de « dynamique » ou « audacieux » et que Sasha trouvait plutôt « périlleux et complètement imprudent ». Et il n’était pas en état de la contredire. Elle savait bien que l’accident qui l’avait envoyé à Ste-Mangouste n’était absolument pas de son fait, mais cela restait une preuve que le Quidditch était un sport extrêmement dangereux. Elle se sentait bien plus en sécurité dans son immeuble de trente étages, bien ancré dans le sol et parfaitement immobile

"Je suggère qu'on prenne l’ascenseur", lança-t-elle en poussant la porte du hall pour pénétrer dans l’immeuble.

Elle n’avait encore jamais relevé le défi de monter les vingt-sept étages à pied, et aujourd’hui n’était certainement pas le meilleur moment pour essayer. Le hall était tout en marbre clair, éclairé par d’immenses suspensions de formes géométriques. Un sapin de noël design était exposé dans un coin. Il se fondait parfaitement dans la décoration, même si Sasha le trouvait bien moins chaleureux qu’un sapin traditionnel.

"Il y a une volière juste à côté, expliqua-t-elle en désignant une porte sombre sur la gauche, heureusement insonorisée. Les hiboux sont en libre-service. Et une salle de sport." Elle indiqua une autre porte, du côté opposé.

Les immeubles récents de Léopoldgrad rivalisaient tous d’offres et de services pour attirer des locataires, et certains étaient même équipes de piscines intérieurs, ou de garderies pour les enfants. Sasha appela l'ascenseur d'un coup de baguette et, moins de quelques secondes plus tard, une cabine en verre appart au beau milieu du hall. Contrairement aux ascenseurs moldus, ou à ceux du ministère, il n'était pas nécessaire d'attendre l'ouverture des portes, il suffisait de traverser la paroi de verre pour entrer à l'intérieur de la cabine.

"Vingt-septième étage", annonça-t-elle à voix haute.

La cabine s'éleva délicatement dans les airs et s'arrêta après seulement quelques secondes d'une ascension tout en douceur. Elle était enchantée pour donner la sensation de ne s'élever que de quelques mètres alors qu'ils avaient en réalité parcouru les vingt-sept étage à grande vitesse. L'ascenseur s'immobilisa face à une porte en bois laqué gris foncé. Un petit morceau de papier collé à droite de la porte indiquait "Benson" de la belle écriture un peu penchée de Sasha. Cette dernière sortit ses clés de sa poche et déverrouilla la porte, qu'elle ouvrit en grand sur le studio.

Il suffisait de faire quelques pas à l'intérieur pour avoir une vision globale de toute la pièce. Son lit était installé au fond, dans l'angle, à côté d'un carton qui lui servait momentanément de table de chevet et sur lequel s'empilait déjà plusieurs livres. Un canapé gris trônait au milieu de la pièce, face à la baie vitrée, et servait à la fois d'assise et de porte-manteaux. A droite de la porte d'entrée, un petit renfoncement abritait une minuscule cuisine équipée. Les murs étaient encore nus, et seuls les cartons éparpillés un peu partout et la grosse malle en cuir suggéraient que les lieux étaient habités.

"Et voilà ! annonça-t-elle en écartant les bras, le regard brillant de fierté. Il reste pas mal d'aménagements à faire, ajouta-t-elle aussitôt, consciente que la pièce était encore un peu vide. Je voudrais mettre un tapis sous le canapé, et peut-être une table basse. Et des cadres avec de jolies photos ici. Elle désigna le mur au dessus de son lit. Et il faut que j'installe un petit bureau quelque part, pour réviser. Et que j'achète des plantes."

Elle avait beaucoup de projets pour cet appartement, mais il faudrait certainement qu'elle attende l'été pour pouvoir les mettre en oeuvre. Même s'il était encore en cours d'aménagement, et qu'il lui manquait beaucoup de choses, elle s'y sentait bien. Elle se sentait sereine ici. Seule, mais tranquille et indépendante. Cela lui faisait du bien.

"J'adore la vue."

Elle entraina Andrew devant la baie vitrée, qui offrait une vue panoramique sur le reste de la ville. Certains grattes-ciels étaient bien plus haut que son immeuble et se dressaient fièrement jusque dans les nuages, mais elle surplombait une bonne partie des autres bâtiments, ce qui lui offrait une vue plutôt dégagée.

"Le soleil se couche juste en face, expliqua-t-elle. Pour l'instant. A Léopoldgrad, les choses changeaient très vite. L'appartement devient tout rose le soir, j'aime bien. Elle recula d'un pas pour se laisser tomber sur le canapé, face à l'horizon, et tourna un visage curieux vers Andrew. Alors, tu aimes bien ?"

- Je n’ai jamais écrasé mon balai sur le sol, tempéra Andrew lorsque Sasha tenta d’argumenter en disant que c’était plus dangereux de voler.

C’était à peu près vrai, si on exceptait deux ou trois accidents quand il était un peu plus jeune (le temps de maîtriser la feinte de Wronski). La terrible chute qu’il venait de connaître n’avait même pas été causée par son balai ou par une manoeuvre de sa part : son Cosmos 2010 n’était pas tombé avec lui, il était resté parfaitement stable en hauteur. C’était Colette qui le lui avait récupéré. Dès le soir même elle lui avait envoyé une photo de son balai parfaitement rangé dans sa housse, en lui disant qu’il l’attendait quand il aurait fini de faire n’importe quoi. Il avait souri en découvrant cela, la semaine d’après, après son réveil. Il avait hâte de retrouver son amie et hâte de rejouer avec elle, pour mettre cet horrible match derrière eux.

Il hocha la tête lorsque Sasha proposa de prendre l’ascenseur, pas vraiment d’humeur à prendre les escaliers pour monter vingt-sept étages dans son état. Le hall d’entrée était vraiment très moderne, comme un musée, avec son marbre au sol et les formes géométriques. Une cabine complètement en verre sembla apparaître de nul part et Andrew eut un bref instant de surprise en voyant son amie traverser la paroi. C’était un ascenseur un peu prétentieux, très leopolgradien au final. Ils arrivèrent face à un battant de bois sombre dont il reconnut l’écriture sur la sonnette, ce qui l’amusa un peu.

Elle déverrouilla la porte pour les laisser pénétrer dans l’appartement, qu’elle présenta avec fierté. Andrew posa un regard curieux sur la pièce qui s’offrait à eux. Plutôt grande et surtout très lumineuse avec sa grande baie vitrée qui dévoilait l’horizon de Leopoldgrad, Sasha n’avait pas encore énormément de meubles. Son lit était posé dans un coin, à côté d’un carton ; un petit canapé était au milieu de la pièce, invitant à contempler la vue. Il y avait une cuisine qu’il recula d’un pas pour voir, constatant qu’elle était toute petite mais plutôt bien organisée.

- C’est super chouette ! dit-il avec sincérité. Le studio était grand et il aimait la lumière qui y entrait. Il hocha la tête alors que Sasha lui présentait les aménagements qu’elle voudrait y faire pour rendre l’endroit un peu plus chaleureux. Attends, attends, moins vite, plaisanta-t-il, je note des idées de cadeau de Noël !

Après tout, cela serait parfait. Il ne se risquerait pas à choisir son tapis mais des plantes, cela pouvait se faire. Ou des cadres, ou bien des jolis bibelots, ou bien une table de nuit ? Mais ce n’était pas évident de choisir pour quelqu’un... D’un autre côté, une carte cadeau, ça n’était pas non plus très bien. Il aurait le temps d’y penser. Il se laissa entraîner par son amie près de la baie vitrée, afin de contempler un peu plus la vue qui s’offrait à eux.

- C’est très beau, confirma-t-il en se penchant un peu sur la droite, où on distinguait une grande tour aux terrasses fleuries.

Il préférait les paysages plus maritimes, les falaises du Dorset et de la Cornouailles où il avait grandi, mais il comprenait que cela lui plaise. Il eut un sourire quand elle déclara que l’appartement devenait pour le moment rose le soir, au moment du coucher de soleil : cela avait été sa couleur à une époque. Sasha s’était installée sur le canapé juste derrière et il se retourna vers elle lorsqu’elle l’interpella, hochant la tête.

- Oui, c’est très bien, c’est très chouette. Tu vas être bien, là. 

Il se laissa tomber à côté d’elle, calant son dos et sa tête contre le dossier, dans un léger soupir. Il s’absorba quelques secondes dans la contemplation de la ville qui s’étendait devant eux, avant de tourner le regard vers son amie. Un léger sourire s’installa sur ses lèvres.

- C’est vraiment bien... Tu... Il chercha ses mots un instant. Tu as réussi à transformer cette chose horrible qui t’est arrivée - la récompense suite à l’affaire Sorden - en quelque chose de bien, en une réussite pour toi. Tu fais ça à chaque fois, tu arrives toujours à... Il haussa légèrement les épaules, son sourire un peu gêné aux lèvres. Tu es l’une des personnes les plus résiliente que je connaisse. C’est un peu bizarre à dire mais, euh... Je suis vachement fier de toi.