Fire meet gasoline [Ignacio & Joséphine]

"Oui, j'en ai envie."

Joséphine sourit face à son écran, soulagée à l'idée de retrouver Ignacio dès les prochains jours, voire les prochaines heures. La perspective de leur séparation l'avait attristée bien plus qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle avait gardé ses distances avec leur couple depuis le début, comme si elle savait d'avance que les choses ne marcheraient pas, ce qui était s'était évidement transformé en prophétie auto-réalisatrice. Elle n'avait pas eu l'impression de nourrir de véritables sentiments ni de s'attacher, pourtant leur séparation l'avait véritablement ébranlée. Elle se sentait désormais rassurée et s'empressa de pianoter une réponse.

"Moi aussi j'en ai envie."

Elle avait à peine envoyé son message qu'elle en recevait déjà un nouveau de la part d'Ignacio.

"Est-ce que tu voudrais venir vivre chez moi ?"

Joséphine resta un instant stupéfaite, et se demanda même si elle avait bien lu. Il ne lui demandait pas de venir chez lui ce soir, il lui demandait de venir vivre chez lui. De façon permanente. Elle n'avait jamais vécu avec un de ses compagnons et, comme toute personne célibataire depuis longtemps, elle avait appris à apprécier son indépendance. La perspective de devoir partager chaque moment de son quotidien avec quelqu'un d'autre l'effrayait un peu. Elle reposa son Pear sur le lit à côté d'elle et fixa son plafond, en proie à une intense réflexion.

Le concept d'emménager ensemble lui faisait un peu peur, c'était nouveau, c'était imprévu. Mais si elle était honnête avec elle-même, elle aurait largement préféré être avec Ignacio dans son appartement plutôt que chez elle, à l'heure actuelle. Elle avait d'ailleurs passé beaucoup de temps chez lui, ces dernières semaines, ne revenant dans son studio de Léopoldgrad qu'une ou deux fois dans la semaine pour récupérer des affaires ou y recevoir Angus. En pratique, ils avaient presque déjà franchi le pas, mais cette situation avait mené à de nombreux conflits, étaient-ils vraiment prêts à faire les concessions que cette cohabitation impliquerait ?

Son Pear vibra sur le matelas à côté d'elle et elle tendit le bras pour l'attraper. Comme s'il avait suivi le raisonnement de ses pensées, Ignacio lui envoya un message plein d'humour qui lui tira un sourire amusé. Elle cessa aussitôt de se faire des noeuds au cerveau en cherchant la meilleure option et se laissa guider par son instinct, qui la suppliait d'accepter cette proposition.

"J'ai hâte d'abandonner des CV dans ton placard de salle de bain."

CV qu'elle était censée avoir rédigé depuis des semaines, et qui n'avait toujours pas vu le jour. Sa recherche d'emploi n'avançait pas tellement. Elle se rassurait en se disant qu'elle avait encore le temps, mais les mois filaient à une vitesse folle. Elle était à peu près à la moitié de sa grossesse, et n'avait toujours aucune idée de ce qu'elle ferait de sa vie après l'accouchement. Cet emménagement avec Ignacio lui donnait au moins un projet dans lequel s'investir même si, à la réflexion, elle ne savait pas ce qu'il avait en tête en termes de calendrier.

"Maintenant ? demanda-t-elle par message. Enfin, pas maintenant au milieu de la nuit, envoya-t-elle immédiatement après. Les voisins risquaient de ne pas apprécier l'horaire du déménagement. Mais bientôt, ou tu préfères qu'on attende après la grossesse ?"

Elle ne lui tiendrait pas rigueur de ne pas vouloir partager le quotidien d'une femme enceinte de presque cinq mois. Elle avait lu le chapitre sur les sauts d'humeur du dernier trimestre et cela n'avait pas l'air d'être particulièrement agréable pour l'entourage, même si elle se sentait parfaitement maitresse de ses émotions pour l'instant.

Ignacio n’était pas exactement le genre d’homme à prendre des décisions impulsives. Au contraire, il pensait ses actes et ses paroles, de manière à choisir pour le mieux. Pourtant, il n’avait pas réfléchi avant de proposer à Joséphine d’emménager chez lui. Il savait que c’était la chose à faire, il le sentait. C’était étonnement la décision qui lui paraissait la plus logique, la plus véritable, et qui répondait à ce besoin impérieux de cesser de se cacher derrière des faux-semblants. Peut-être que cela paraissait précipité, imprévisible – et peut-être l’était-ce véritablement – mais il était étrangement serein avec elle. Ignacio aimait réfléchir, évidemment ; mais il avait aussi besoin d’agir, d’avancer – l’immobilité ne lui était pas familière. Or, c’était exactement ce sentiment qu’il avait ressenti dans sa relation avec Joséphine : celui d’être figé dans un passé auquel ils n’appartenaient plus, sans oser faire un pas vers un futur qu’ils ne considéraient qu’à peine. Il était plus que temps d’avancer.

Du moins, si Joséphine le souhaitait aussi.

Si Ignacio était nerveux, sa nervosité ne semblait absolument pas transparaître extérieurement. Il paraissait calme, habité par cette force tranquille qu’on lui connaissait bien. Seulement, il avait gardé son Pear entre les mains, signe qu’il attendait la réponse de la jeune femme. Elle ne tarda pas à arriver, sous un trait d’humour qui lui arracha un éclat de rire. Joséphine allait emménager ici et cela lui procurait une joie certaine, couplée d’un sentiment de soulagement, comme si on lui ôtait un poids de l’estomac.

Ignacio ne s’était pas attendu à ressentir avec autant de force les effets de cette séparation. Lorsque sa dispute avec Joséphine avait pris ce tournant inattendu, il avait cru que rompre serait la solution la plus bénéfique pour eux deux, comme si cela lui permettrait enfin de se débarrasser de cette lourdeur qu’il portait. Mais l’impression de perdre Joséphine n’avait fait que la renforcer, jusqu’à la rendre insoutenable, quelques minutes plus tôt. Probablement qu’Ignacio ne s’était pas rendu compte de la place qu’elle occupait désormais pour lui avant le moment où elle avait failli disparaître.

Aussi, la question qu’elle lui envoya trouva vite sa réponse, bien qu’il hésita quelques secondes avant de l’écrire. Il n’était pas encore complètement à l’aise avec la grossesse de Joséphine, et cela aurait été mentir que d’affirmer le contraire. Il ne parvenait pas exactement à identifier quoi, mais le sentiment le plus prégnant était la jalousie. Si Ignacio avait été plus familier avec l’exercice d’introspection, probablement se serait-il aperçu que sa jalousie n’était en rien dirigée envers Angus mais envers cette situation que Joséphine lui permettait de vivre, alors qu’elle lui avait catégoriquement opposé un refus.

« Maintenant ? » écrivit-il alors, sans prendre en compte ce petit pincement familier. « Bon, en effet, je pense que si tu amènes vingt-cinq valises ce soir les voisins vont râler. Mais si jamais tu veux prendre un sac et transplaner pour dormir ici… » Lui proposa-t-il, avide de la revoir.  

Joséphine guettait la réponse d'Ignacio en luttant contre l'envie de quitter son lit pour se préparer dès à présent à se rendre chez son compagnon. Même dans l'hypothèse où il déciderait de programmer leur emménagement pour plus tard, l'idée de passer la nuit loin de lui après cette conversation lui paraissait étrange. Elle avait besoin de le voir pour confirmer de vive voix tout ce qu'ils venaient de s'écrire. Elle prit sur elle pour attendre le message du barman et un grand sourire éclaira son visage à la lecture de sa réponse. "Maintenant". Ils allaient vivre ensemble, maintenant.

Les craintes et les doutes que cette perspective avaient fait naitre en elle n'avaient pas disparu, pourtant l'enthousiasme qu'elle ressentait à cette idée les dominait largement, et les réduisait à une toute petite voix, dans un coin de sa tête. Il y aurait certainement des hauts et des bas, c'était inévitable. Il y aurait d'autres disputes. Mais ils sauraient y faire face, parce qu'ils tenaient suffisamment à l'un à l'autre pour supporter ces petits aléas du quotidien.

Le message suivant accentua le sourire de la jeune femme et elle quitta son lit avec une facilité qui ne lui était pas familières, elle qui mettait au moins une demi-heure à se lever le matin.

Elle ramassa quelques vêtements parmi ceux qu'elle avait récemment achetés au rayon grossesse et qu'elle n'avait pas pris le temps de ranger dans son armoire, et récupéra un ou deux produits dans la salle de bain qu'elle fourra dans un grand sac en toile. Elle avait déjà quelques affaires chez Ignacio, qu'elle avait abandonné au cours des semaines précédentes. Une brosse à dent, un shampoing qui ne soit pas également un gel douche et un après rasage, quelques vêtements, et ces fameux papiers pour la maternité. Encore quelques minutes plus tôt elle avait du envisager la perspective de passer à Oxford dans la semaine pour les récupérer, mais elle pouvait désormais les laisser là-bas, pour une durée indéterminée.

L'idée qu'elle allait vivre à temps plein chez Ignacio commençait à faire son chemin dans son esprit et l'emplissait d'excitation, et d'un peu d'appréhension. Elle avait l'estomac noué depuis qu'ils s'étaient quittés plus tôt dans la journée et même si leur récente conversation l'avait grandement apaisé, elle avait besoin de voir Ignacio pour être entièrement soulagé. Elle avait besoin d'être près de lui et de retrouver leur intimité partagée pour pouvoir se projeter sereinement dans cette future vie à deux.

Elle revint dans la pièce principale et avisa son Pear abandonné sur son lit. Elle l'attrapa avec l'intention d'envoyer un message à Ignacio pour le prévenir de son arrivée, mais décida qu'elle préférait le surprendre directement. Après avoir balayé son studio du regard, elle sortit dans le couloir pour transplaner. Elle se retrouva devant sa porte quelques secondes plus tard et s'accorda un instant pour laisser se dissiper la sensation de malaise provoqué par le transplanage, qui était bien plus forte depuis qu'elle était enceinte.

Une fois remise, elle leva le bras et frappa quelques coups à la porte. Elle avait répété ce geste des dizaines de fois au cours des dernières semaines, mais jamais avec autant d'enthousiasme et de détermination.

"Salut", souffla-t-elle avec un sourire quand Ignacio lui ouvrit la porte.

Elle avait pensé à mille choses qu'elle pourrait lui dire en arrivant mais les mots ne trouvèrent pas le chemin jusqu'à ses lèvres. Alors elle ne lui dit pas comme elle était heureuse de le retrouver ni à quel point elle avait redouté de le perdre. Elle se contenta d'abandonner son sac sur le paillasson et de se jeter à son cou pour l'embrasser fougueusement.

Le message d’Ignacio fut ouvert instantanément par Joséphine, comme le lui indiqua la petite mention « Vu » sur son Pear. Il esquissa un léger sourire, peu inquiet par le silence de sa partenaire et sa brusque déconnexion. Il l’imaginait en train de rassembler quelques affaires dans un sac, et se doutait qu’elle serait là dans quelques minutes. Cette perspective le réjouissait et soulageait le poids qui s’était logé dans son estomac depuis le départ précipité de Joséphine, quelques heures plus tôt. Cette séparation – bien que courte – avait été nécessaire pour leur ouvrir les yeux et les tirer de ce cercle vicieux dans lequel ils s’étaient laissés paresseusement entraînés. Obnubilé par ce mariage qu’ils n’avaient pas choisi, Ignacio avait sciemment ignoré tout ce qui, chez Joséphine, lui plaisait. Il s’était concentré uniquement sur leurs différences – majeures – sans accorder d’importance à la dynamique qui s’était établie entre eux.

Alors, il était impatient de la retrouver, elle et sa fougue naturelle, son sourire communicatif, ses étreintes affectueuses. Il était déjà debout lorsqu’elle frappa quelques coups à la porte d’entrée et il lui ouvrit immédiatement. Son souffle se perdit dans le sourire qu’elle abordait et, en quelques secondes, ils comblèrent les centimètres qui les séparaient encore. Ignacio entoura sa taille de ses bras et se pencha vers elle pour accueillir son baiser, le lui rendant avec la fougue de celui qui avait cru la perdre. Ses mains remontèrent le long de son dos, se perdirent brièvement dans ses épais cheveux roux, avant de venir encadrer son visage.

Ils reculèrent légèrement, échangèrent un sourire. Du pouce, Ignacio vint effleurer la joue de la jeune femme, les battements désordonnés de son cœur résonnant contre les siens. Il esquissa un sourire en coin.

« J’ai failli ne pas te reconnaître, tu étais censée être la fille en blanc. » souffla-t-il en embrassant sa joue, sa mâchoire, le creux de son cou. Il y resta un instant, s’enivrant de son odeur et de sa présence.

Bien vite, leur étreinte devint plus chargée en intensité et leurs caresses devinrent plus audacieuses. Quelque chose, dans leurs gestes, trahissait cette peur qu’ils avaient ressenti, ce manque, ce brusque vide, et cherchait à y remédier.

« Je te montre ta nouvelle chambre ? » murmura Ignacio contre les lèvres de Joséphine, qui prit les devants pour l’entraîner dans cet endroit qui était désormais le leur.