Unexpected [Joséphine/IgnaciooOOo]

Les yeux d’Ignacio avaient glissé jusqu’au ventre de Joséphine, qui ne trahissait pour l’instant aucun signe de sa grossesse. Pourtant, bientôt, son état prendrait de plus en plus de place dans son quotidien – et donc, par la force des choses, dans leur quotidien à tous les deux. Ignacio ne pouvait pas simplement l’ignorer, bien que cette idée soit tentante. Joséphine était enceinte et donnerait naissance à un enfant dans quelques mois. Un enfant qu’elle ne garderait pas, certes, et qui ne ferait pas partie de leur vie lorsqu’il serait né, mais qui allait partager un bout de son chemin avec eux tant qu’il était encore dans le ventre de sa mère. Cette idée était un peu vertigineuse, et Ignacio ne savait pas exactement comment se positionner vis-à-vis d’elle. Joséphine lui offrait la possibilité de ne pas du tout s’impliquer dans ce projet qu’elle avait choisi de mener seule, proposition qu’Ignacio soupesa pendant plusieurs secondes.

Une part de lui n’avait pas envie d’être mêlé à cette grossesse qu’il n’avait pas choisi et, en même temps, il trouvait aberrant de s’y fermer complètement alors qu’il venait de faire le choix d’accepter le destin qui le liait à Joséphine. Tiraillé, il garda le silence pendant plusieurs secondes, avant de lui répondre, un peu prudemment :

« Je sais pas trop, en fait. » avoua-t-il alors. « Je sais pas comment je pourrais ne pas être un peu impliqué alors qu’on est ensemble toi et moi et que bon, tu es enceinte, c’est là, et ça risque pas de s’arrêter avant plusieurs mois… » Il glissa une main dans sa nuque, pensif, avant de répéter : « Je sais pas trop. Est-ce qu’on peut voir un peu en fonction de comment ça se passe entre nous ? » proposa-t-il finalement en relevant les yeux vers Joséphine.

Il préférait ne pas trop s’engager dans un choix sans prendre le temps d’en mesurer d’abord toutes les conséquences. Joséphine et lui venaient à peine de prendre une décision importante pour leur futur, et il préférait s’accorder quelques jours pour réfléchir. Et puis, se disait-il, peut-être que les choses se feraient naturellement entre eux, sans trop d’accrocs, parce qu’ils seraient d’accord sur la manière dont ils souhaitaient vivre leur futur…

« Des enfants ? » reprit Ignacio, un peu déstabilisé par cette question, à laquelle il avait pourtant déjà une réponse : « Oui, je pense. Peut-être pas maintenant mais… Ouais, je me vois bien père. » Il ne savait pas trop comment expliquer cela, lui qui avait un mode de vie si éloigné d’un classique désir d’enfant. Le modèle de son père, qu’il avait toujours admiré et avec qui il avait des relations apaisées, pesait sûrement beaucoup dans cette décision et cette volonté de reproduire un schéma familial connu. « Et toi ? » s’enquit-il alors, un peu curieux de connaître les positions de Joséphine sur la question.

La conversation était tout ce qu'il y avait de plus sérieux -ils n'avaient, de mémoire, jamais évoqué autant de sujets importants entre eux- pourtant Joséphine ne put retenir un sourire quand Ignacio souligna qu'elle était enceinte et que cela ne risquait pas de s'arrêter avant plusieurs mois. Un peu moins de huit mois, très exactement.

"C'est un peu comme ça que ça marche... Elle hocha la tête quand il suggéra de laisser le temps faire son effet et de voir comment les choses se passaient entre eux. Ça me semble être une bonne solution."

Il était de toute façon trop difficile de se projeter à long terme pour le moment. Ils ne savaient déjà pas comment leurs relation évoluerait dans les semaines ou mois à venir, il était inutile de réfléchir maintenant à l'impact que pourrait avoir sa grossesse sur leur couple. Le seul fait de songer à eux comme un couple était déjà très perturbant, et tout à fait nouveau. Trouver leurs marques et définir les contours de leur nouvelle relation était un exercice suffisamment compliqué en soit, et le fait qu'elle soit enceinte n'allait certainement pas faciliter les choses. C'était généralement une étape qui arrivait bien plus tard dans la relation, voire qui n'arrivait pas du tout. Elle en profita justement pour vérifier qu'ils avaient les mêmes attentes à ce sujet.

Elle avait posé la question pour la forme, parce qu'il était question de sa grossesse et que cela lui avait naturellement fait penser à ça. Elle voulait simplement être certaine qu'ils avaient les mêmes attentes sur le sujet, ou plutôt qu'ils n'avaient justement aucune attente. Elle ne dissimula pas sa surprise quand Ignacio lui répondit par l'affirmative, et resta un instant silencieuse quand il lui retourna la question. Elle aurait déjà été étonnée que le barman des Folies, qu'elle avait toujours connu vivant la nuit et sans attache, lui annonce vouloir fonder une famille. Mais Ignacio n'était pas seulement barman aux Folies, il lui avait avoué quelques minutes plus tôt être un assassin professionnel, et pourtant il se projetait tout à fait en père de famille dans le futur. Les deux lui paraissaient plutôt incompatibles, mais elle se garda bien de faire le moindre commentaire. Après tout, c'était sa vie. Et une vie qu'elle se voyait mal partager, quoiqu'en dise ses visions.

"Non, pas vraiment, répondit-elle d'abord avant de se corriger pour gommer toute hésitation. Pas du tout même, je ne m'imagine pas être mère." Dixit la femme enceinte.

Elle n'avait rien contre la grossesse elle-même, et était même assez curieuse de pouvoir vivre cette expérience, mais elle ne se voyait pas élever un enfant. Sa vie était complètement chaotique et elle avait du mal à prendre les bonnes décisions pour elle-même, elle serait bien incapable de les prendre pour quelqu'un d'autre.  Elle n'avait pas envie de devoir se consacrer au bien-être de quelqu'un d'autre alors même qu'elle arrivait tout juste à se préoccuper un minimum du sien. Elle ne serait pas une bonne mère, elle le savait. C'était comme ça, elle l'avait intégré. Elle n'était pas faite pour ça.

"C'est rassurant de voir qu'on veut les mêmes choses dans la vie..." lança-t-elle avec ironie dans une vaine tentative de détendre l'atmosphère qui s'était considérablement refroidie depuis sa réponse.

Leur mariage à peine annoncé semblait déjà nettement compromis, mais elle avait du mal à en être attristée. Ils n'en voulaient pas vraiment, de ce mariage, qu'est-ce que cela pouvait leur faire qu'il soit voué à l'échec ? Un mariage sur deux terminait en divorce, ils seraient certainement victime des statistiques, comme les autres. La véritable question, c'était de savoir comment ils en arriverait à se promettre de passer leurs vies ensemble alors qu'ils savaient depuis quelques minutes qu'ils n'avaient pas les mêmes projets d'avenir ? Et c'était malheureusement une question à laquelle elle n'avait aucune réponse pour l'instant.

Ignacio ne savait pas vraiment d’où lui venait ce désir de paternité. Peut-être de ce lien particulier qu’il avait noué avec son père, dans leur dynamique de famille monoparental, de cette admiration silencieuse qu’il avait pour Elijah et pour tout ce qu’il avait accompli pour lui depuis sa naissance. Son père l’avait élevé seul et avait dû prendre toutes les décisions concernant sa santé et son éducation sans l’aide de quiconque. De son enfance, Ignacio gardait des souvenirs plutôt doux, bien que marqué par l’absence d’une mère qu’il avait cherché pendant plusieurs années. Pourtant, malgré cet abandon maternel dont il avait souffert, Ignacio ne s’était jamais senti complètement seul. Elijah avait réussi à construire quelque chose autour de lui de suffisamment solide pour venir parer à de larges manquements. Et parfois Ignacio se disait qu’il serait peut-être capable de le faire à son tour. Qu’il avait suffisamment reçu pour donner, à ses propres enfants, ces choses sur lesquelles il s’était appuyé, plus jeune, pour grandir. Il aimait l’idée de la transmission, et même de celle de son nom de famille.

Et puis, Ignacio avait toujours vécu avec plusieurs enfants autour de lui. Ceux de ses cousins, ceux de ses amis, si bien qu’il était habitué à leur présence et qu’il s’était surpris, à plusieurs reprises, à aimer ça. Cela ne suffisait pas à le pousser à franchir le cap de sa propre paternité, mais l’idée flottait en lui depuis plusieurs années. Peut-être pas maintenant, avait-il dit à Joséphine, mais « un jour ». Un jour et de toute évidence, pas avec elle. Ce refus catégorique fit tomber un nouveau silence entre eux, qu’Ignacio ne sut pas exactement comment rompre. Ce mariage auquel ils étaient visiblement destinés paraissait de plus en plus compromis, avant même d’avoir eu lieu.

« Ah. » fit Ignacio. « Oui, ça promet de belles choses, hein ? » lui répondit-il avec la même ironie.

Il ne savait pas comment Joséphine et lui finiraient par prendre la décision de se marier, alors qu’ils ne partageaient visiblement aucun projet commun, et aucune envie pour le futur.

« Ecoute j’imagine que maintenant, on va avoir le temps de découvrir ce qui va bien finir par nous pousser à nous marier… » Ou les pousser à divorcer, songea Ignacio sans verbaliser cette pensée, qu’il sentait pourtant aussi présente chez Joséphine.

Une chose à la fois.