40 weeks [Joséphine/Angus]

Dans sa vie, Ignacio n’avait pas souvent été en couple. Et encore moins avec une femme qu’il allait épouser, un jour, bientôt de toute évidence, alors qu’elle était enceinte d’un autre homme que lui. Pourtant, c’était bien dans ce très précis cas de figure qu’Ignacio évoluait depuis quelques semaines déjà, parfois encore surpris de l’absurdité de la situation. Il n’était pas encore très à l’aise avec la grossesse de Joséphine, il devait bien l’avouer. Elle aussi, de toute évidence, car c’était un sujet qu’elle évitait. Malgré tout, le sujet en question grandissait entre eux – littéralement – au fur et à mesure des semaines qui s’écoulaient. Prétendre le contraire aurait été absolument contre-productif, or, il s’agissait d’une chose qu’Ignacio et Joséphine savaient très bien faire ensemble.

Sauf que cette merveilleuse technique avait ses limites ; on ne pouvait pas partager un semblant de vie commune – ils étaient encore en train de chercher leurs marques – et ignorer un évènement qui impactait autant la vie de Joséphine. Cette nuit du vingt-six août le leur signala très directement.

Ignacio était allongé dans son lit, dans son appartement à Oxford, les yeux perdus sur l’écran de son Pear dont il faisait défiler le fil d’actualité. Il ne travaillait pas ce soir, mais, comme à chaque fois qu’il était de repos, il peinait à retrouver un rythme de sommeil normal. Il avait cessé de lutter plusieurs heures auparavant, et s’occupait tranquillement en attendant le lever du jour en caressant Cali qui ronronnait contre lui.

Le message de Joséphine le tira de sa lecture d’un article sur l’équipe newyorkaise de Wizzball – ça, c’était un vrai sport, pas comme le Quidditch – et il l’ouvrit immédiatement, surpris de le recevoir à une heure aussi avancée de la nuit. Bien vite, il sentit que la jeune femme ne le contactait pas seulement à l’occasion d’une insomnie passagère qui l’empêcherait de dormir. Lorsqu’elle mentionna Ste-Mangouste, Ignacio s’était redressé sur son lit. Il répondit sans hésiter qu’il arrivait, inquiet pour Joséphine à qui il avait promis, plusieurs mois plus tôt, qu’elle pourrait faire appel à lui si elle avait besoin de quoique ce soit.

Quelques minutes plus tard, le barman avait transplané devant l’appartement de la jeune femme, qui lui ouvrait la porte. Elle semblait un peu pâle, et lui exposa une situation qu’Ignacio s’efforça de comprendre, malgré son manque de connaissance évident dans… toutes ces choses-là. Il associa le sang à un potentiel danger, et proposa à Joséphine de l’amener à l’hôpital – la prudence était de mise. Elle lui demanda quelques minutes le temps de se doucher et de se changer, et Ignacio patienta dans la pièce principale. Il était occupé à remplir un sac en tissu avec quelques éléments que son bon sens lui soufflait d’emporter avec eux – une bouteille d’eau, un snack, un magasine qu’il avait choisi au hasard dans une pile – lorsque plusieurs coups furent frappés à la porte. La voix d’un homme retentit dans le studio. Angus, s’annonça-t-il en appelant Joséphine.

Ah, oui, Angus. Le père du bébé de sa future femme.

Ignacio ouvrit la porte à la volée, se retrouvant nez-à-nez avec le milicien qu’il avait déjà vu à plusieurs reprises aux Folies Sorcières. Il avait l’air aussi paniqué qu’interloqué de se retrouver face à lui. Ignacio aussi marqua un temps de surprise ; il n’avait pas exactement prévu le moment où il se retrouverait face à cet homme pour discuter des urgences gynécologiques de sa petite-amie / compagne / fiancée / future femme enceinte de lui, quand cette dernière n’était même pas présente dans la pièce.

« Joséphine est sous la douche. » indiqua Ignacio en s’effaçant pour laisser l’homme entrer. « Je suis Ignacio, je ne sais pas si vous… » « êtes au courant que je suis son futur mari » semblait vouloir dire son expression. « On allait partir à l’hôpital, » expliqua-t-il alors, « elle a eu des, hum, saignements. »

Heureusement qu’il s’était toujours senti particulièrement à l’aise avec la grossesse de Joséphine pour s’aventurer sur de tels terrains.

Joséphine ne resta qu'un bref instant sous l'eau chaude, renonçant à contre-coeur à ce moment réconfortant pour ne pas perdre davantage de temps. Elle guettait avec attention le moindre signe que son corps voudrait bien lui envoyer pour lui dire que tout allait bien, ou au contraire qu'il y avait un problème. Mais comme souvent depuis ces dernières semaines, ce dernier restait une énigme. Elle avait cru à tort qu'elle aurait droit à quelques mois de tranquillité avant de constater les premiers effets de sa grossesse mais les nausées du premier trimestres lui avaient prouvé le contraire, et maintenant qu'elle entamait son quatrième et qu'elle en était enfin débarrassée, elle se retrouvait avec ces saignements bien plus inquiétants.

La partie raisonnable de son cerveau était convaincue que ce n'était rien de grave, et elle était rassurée par la vision qu'elle avait eu de sa grossesse à un stade plus avancé. Pourtant elle ne parvenait pas à étouffer son sentiment d'inquiétude. Elle avait le sentiment d'aller plutôt bien, mais elle n'arrivait pas à se faire confiance. C'était peut-être idiot mais elle avait besoin de s'entendre dire que tout allait bien de la bouche de quelqu'un qui s'y connaissait un minimum en la matière.  Elle venait d'attraper une robe d'été ample et légère quand des éclats de voix lui parvinrent de la pièce d'à côté. Angus était arrivé, et avait visiblement fait la connaissance d'Ignacio.

Elle considéra un instant l'option de les laisser discuter un peu tous les deux, et ainsi s'éviter des présentations gênantes "Ignacio, je te présente le père du bébé que je porte", "Angus, voilà Ignacio, mon futur mari qui n'a pas choisi de m'épouser". Ils étaient de grands garçons, ils se débrouilleraient très bien tous seuls. Elle se laissa toutefois rapidement rattraper par l'urgence de la situation et termina de s'habiller en vitesse avant de jeter un bref coup d'oeil à son reflet dans le miroir. Elle était un peu pâle, mais se doutait que cela était davantage du à son inquiétude qu'à son état de santé.

Joséphine se fit violence pour se forcer à affronter ce moment gênant et poussa la porte de la salle de bain. Ce n'était pas exactement la façon dont elle avait prévu la première rencontre entre Angus et Ignacio. Pour être honnête, elle ne l'avait pas du tout prévue, cette rencontre. Ce n'était pas tant qu'elle cherchait à cacher sa relation au milicien, mais il était difficile de parler de quelque chose qu'elle-même avait du mal à définir. Les nouveaux contours de sa relation avec Ignacio n'étaient pas encore très clairs et elle avait préféré le tenir aussi éloigné que possible de tout ce qui concernait sa grossesse, jusqu'à aujourd'hui.

"Salut, lança-t-elle à l'attention d'Angus en faisant quelques pas dans la pièce. Désolée pour les messages, c'est surement rien mais j'ai perdu un peu de sang et je préfère voir un médicomage, pour être sûre. Elle savait que c'était plutôt mauvais signe mais tenait aussi à rassurer le futur père. Pas de saignements abondants, pas de fièvre, pas de maux de ventre, récita-t-elle en faisant référence aux signes indicateurs d'une possible fausse couche tels qu'ils étaient listés dans le chapitre de "Neuf mois pour préparer l'arriver de bébé" qu'elle avait feuilleté à l'instant, et qu'Angus avait certainement lu aussi. J'imagine que les présentations sont faites ? Son regard passa du milicien au barman, qui se connaissaient surement déjà avant ce soir, à la réflexion. Elle espérait qu'ils lui répondraient que oui, elle n'avait aucune envie de se plier à l'exercice. Et puis, ils n'avaient pas vraiment le temps pour les politesses. On devrait peut-être y aller ?"

Angus avait l’air un peu embarrassé ; cela tombait bien, Ignacio n’était pas franchement à l’aise non plus. Il connaissait l’identité du père du bébé que portait Joséphine, mais il n’avait pas exactement prévu de le rencontrer – et encore moins dans ces conditions. La situation était profondément gênante, et cela ne s’arrangea pas lorsque le milicien l’interrogea sur les saignements vaginaux de Joséphine, que le barman était bien loin de pouvoir qualifier et définir. Il referma la porte derrière Angus, et secoua la tête.

« Non, elle ne m’a rien dit. » répondit-il. « Elle vient d’entrer dans la douche, mais je peux peut-être… » commença Ignacio, qui préférait aller prendre des nouvelles de la santé de sa future femme lui-même, plutôt que d’envoyer Angus, tout futur père soit-il. Cependant, à peine avait-il esquissé un pas en direction de la salle de bain, que la porte s’ouvrait sur une Joséphine un peu pâle, qui prit les choses en main pour expliquer ses symptômes à Angus, sûrement bien mieux que ne l’aurait fait Ignacio. Il se contenta de répondre à sa question par un hochement de tête. Oui, Angus et lui avaient eu largement le temps de faire connaissance, et ce n’était en effet pas la peine de s’y attarder plus longtemps. « Oui… Je t’accompagne. » décida Ignacio après un regard pour le visage pâle de Joséphine. Angus était sûrement inquiet pour la santé de son futur bébé – à raison – mais c’était celle de Joséphine qui préoccupait particulièrement le barman. Il n’était pas bien certain du rôle à tenir dans toute cette histoire mais il n’était pas non plus un inconnu dans la vie de Joséphine ; il était son futur mari, et son compagnon actuel. Forcément, l’appel de Joséphine l’avait inquiété et il ne se voyait pas la confier aux soins d’Angus et repartir tranquillement chez lui… « Eh bien, allons-y. »



En quarante ans de carrière, Patricia « Patty » Billington en avait vu, des choses étonnantes ! Elle travaillait à Sainte-Mangouste depuis ses vingt ans, en tant qu’infirmière d’accueil. C’était un poste de la plus haute importance – elle ne cessait de le répéter à ses petites stagiaires qui louchaient avec envie sur des postes plus « techniques ». Elles ne le voyaient pas encore – l’aveuglément de la jeunesse, sans aucun doute – mais tout se passait ici, chez elle ! C’était elle qui accueillait les patients, elle qui les voyait pour la première fois, et elle qui les orientait correctement vers les soins dont ils avaient besoin. Une erreur à son échelle, et toute la pyramide s’écroulait ! Il fallait avoir un sacré sens de la responsabilité – que Patty possédait évidemment.

Tout le monde la connaissait, ici – elle était même plus âgée que plusieurs médicomages ! Alors, forcément, on la respectait et on écoutait toujours ce qu’elle avait à dire. Elle se donnait même le droit de reprendre quelques jeunes chefs de service qui lui semblaient un peu perdus au début de leur prise de poste, afin de les conseiller au mieux et de les aider à s’organiser et à se repérer. Elle était comme ça Patricia, le cœur sur la main et toujours prête à aider les autres et à leur donner des conseils, qu’ils le lui demandent ou non.

C’était qu’elle avait bientôt soixante ans – dans trois semaines, à peine ! – alors elle avait une certaine expérience de la vie à revendre. Et une vie accomplie (de son point de vue) ; elle s’était mariée à vingt-deux ans avec son Edgar et ensemble, ils avaient eu trois beaux enfants. Elle était même grand-mère depuis plusieurs années, ce qui la ravissait. Sa fille aînée avait eu deux enfants avec son mari. Ex-mari, plutôt, parce qu’ils étaient en procédure de divorce – ce que Patty désapprouvait plus ou moins, mais elle avait toujours pensé que sa fille baissait les bras trop rapidement face à la moindre difficulté. Elle essayait de la raisonner mais c’était une tête dure, comme son père.

Tout cela pour dire que Patty était une femme accomplie et une infirmière efficace et admirée au sein de son service – c’était du moins comme cela qu’elle l’interprétait les choses. Installée derrière le comptoir d’accueil des urgences gynécologiques, elle se redressa légèrement en voyant trois individus s’avancer vers elle. Une femme à la longue chevelure rousse, entourée de deux hommes qui ne ressemblaient en rien.

« Bonjour ! » les salua-t-elle avec dynamisme. « Qu’est-ce qui vous amène ? »

La jeune femme lui exposa ses symptômes, que Patricia écouta avec attention, un léger pli se formant entre ses deux sourcils.

« Vous avez bien fait de venir, madame. » approuva-t-elle. « Je vais vous installer dans un box, le temps que quelqu’un s’occupe de vous. Naturellement, vous pouvez être accompagnée, » ajouta-t-elle, dans le but d’apaiser la future maman, qui devait avoir de grandes craintes, « lequel d’entre vous est le compagnon de madame ? » demanda-t-elle en observant les deux hommes.

Le second devait être un ami dévoué, un membre de la famille peut-être, inquiet pour la santé de madame.

Joséphine fut instantanément rassurée par le sourire et le dynamisme de l'infirmière qui les accueillit alors qu'ils arrivaient à Ste-Mangouste. Mrs Billington semblait avoir une cinquantaine d'années et avait tout l'air d'une professionnelle expérimentée. Elle ne parut pas particulièrement inquiète lorsque la danseuse lui exposa ses symptômes, ce qui conforta cette dernière dans l'idée que ce n'était certainement rien de grave. Elle se mélangea un peu les pinceaux quand elle dut annoncer précisément son nombre de semaines d'aménorrhée (elle confondait souvent avec le nombre de semaines de grossesse) mais l'infirmière excusa sa confusion d'un sourire aimable. Une femme charmante, cette Mrs Billington.

"Merci beaucoup, répondit la jeune femme quand l'infirmière lui expliqua qu'elle allait l'installer dans un box en attendant qu'un médicomage s'occupe d'elle. Super" ajouta-t-elle en même temps qu'Angus quand Mrs Billington ajouta qu'elle pouvait être accompagnée.

Elle était rassuré de pouvoir compter sur la présence d'Angus et d'Ignacio, au cas où les choses se compliqueraient. Elle était d'ailleurs très reconnaissante aux deux hommes de s'être déplacés au beau milieu de la nuit pour l'accompagner à Sainte-Mangouste. La certitude de savoir qu'ils seraient tous les deux là pour elle en cas de problème l'aidait à envisager la suite de cette grossesse plus sereinement.

"Lequel d’entre vous est le compagnon de madame ?"

Ah. Visiblement "Madame" n'avait droit qu'à un seul accompagnateur, qui devait être son compagnon. Un peu traditionnelle comme conception. Elle aurait très bien pu être accompagnée de ses frères, ou d'un couple de voisins très serviable ! Un peu d'ouverture d'esprit Mrs Billigton ! Joséphine sentit un certain malaise s'installer au sein du petit groupe alors qu'Angus désignait Ignacio comme étant le compagnon, et se présentait lui-même comme le père.

"Le père de ?" fit l'infirmière, avec la tête de celle qui n'est pas certaine d'avoir compris.

La danseuse retint un soupir face à la bêtise de la question. Il n'y avait qu'une seule personne ici dont Angus était en âge d'être le père, et c'était le foetus qui était dans son ventre, et qui avait peut-être un problème. Elle se força toutefois à conserver un ton aimable, consciente que leur situation ne devait pas être habituelle.

"Monsieur est mon...compagnon, expliqua-t-elle en désignant Ignacio. Elle n'arrivait pas encore à utiliser spontanément "fiancé" ou "futur mari", même si cela aurait certainement beaucoup plus à Mrs Billigton. Et Monsieur est le père du bébé.
- Ah. L'infirmière laissa passer une brève seconde de silence et Joséphine la vit changer légèrement d'expression. La réponse n'avait pas l'air de beaucoup lui plaire. Je vois, et vous vivez tous ensemble ou... ?
- Non, je vis seule" répondit la danseuse un peu sèchement.

Elle ne trouvait plus du tout Mrs Billington charmante. Elle ne voyait absolument pas en quoi cette question pouvait avoir la moindre importance. Est-ce que, s'ils se présentaient comme un ménage à trois, elle aurait droit à deux accompagnateurs ? Elle aurait dû y penser avant. Le plus simple aurait été de pouvoir expliquer à cette Mrs. Billington qu'elle était mère porteuse, mais premièrement cela ne la regardait absolument pas, et deuxièmement c'était interdit par la loi, donc il valait certainement mieux ne pas le crier sur les toits.

"Oh, je vois. L'infirmière posa sur elle un regard compatissant qui la fit se sentir très mal à l'aise et Joséphine baissa les yeux malgré elle. Mrs Billigton en profita pour se tourner vers les deux hommes. Et bien Messieurs, lequel de vous deux souhaite accompagner Madame ?"

Allons bon, songeait Patricia en observant le trio étonnant qui se tenait face à elle, les sourcils légèrement froncés par une curiosité qu’elle ne retenait qu’à grand peine. Il fallait dire qu’une situation similaire ne se présentait pas souvent à Ste Mangouste. La plupart de ses patientes étaient accompagnées par leurs maris – leurs compagnons, tout du moins – et ne peinaient pas à expliquer leur situation familiale. A quelques reprises, Patty avait accueilli des couples composés de deux femmes, ce qui la questionnait toujours un peu – même si elle s’efforçait de ne pas le montrer, tout comme elle tentait de faire bonne figure actuellement, il en allait de son image professionnelle. Intérieurement, en revanche, son cerveau bouillonnait de remarques qu’elle ne se priverait pas de faire à ses collègues quand elle aurait l’occasion de leur raconter cette drôle de rencontre.

Mais pour l’instant, Patricia se contentait de poser sur la jeune maman un regard un peu compatissant, alors que cette dernière confessait vivre seule. Elle l’avait dit un peu sèchement, comme si elle souffrait d’une situation qui lui était imposée. Franchement, songeait Patty en glissant un regard vers les deux hommes qui l’accompagnaient, ni l’un ni l’autre n’était capable d’assumer pleinement ses responsabilités ? Evidemment, pour se prêter à l’acte de concevoir un enfant, messieurs étaient aux aguets, mais lorsqu’il s’agissait de la soutenir pendant neuf mois et d’assurer sa sécurité, brusquement, plus personne ne répondait à l’appel… Et il en allait de même pour celui qui s’était présenté comme son « compagnon » ; un peu facile d’être un « compagnon » lorsqu’on choisissait ses moments pour l’être… Pour les tester, Patricia leur adressa directement une question, derrière son habituel sourire enjoué.

Les deux hommes s’observèrent un instant, avant de manifester tous les deux leur envie d’accompagner madame en consultation. Evidemment, ils n’allaient pas se dégonfler devant son regard insistant ! Toutefois embêtée par cette réponse, qui allait à l’encontre du protocole, Patricia tapota ses ongles rouges sur le bois de son comptoir d’accueil.

« Ecoutez messieurs, je suis absolument désolée mais votre situation va à l’encontre du protocole de l’hôpital… Si je vous dis oui à vous, je vais finir par encombrer mes box de consultation avec l’intégralité des familles des patients ! Vous me mettez dans une position compliquée… » Patty soupira légèrement. « Normalement, on autorise les membres de la famille auprès de nos patientes pour les consultations, mais visiblement vous n’êtes pas... Enfin, aucun d'entre vous ne vit avec madame. » lança-t-elle en faisant mine de réfléchir à voix haute. Après cette pique vint la douce caresse : « Bon, c’est d’accord pour cette fois. Si on vous pose des questions, vous direz que Mrs Billington vous a autorisé à assister à la consultation. » Elle tendit une liasse de papiers à Joséphine : « J’ai besoin de quelques renseignements pour faire votre admission… » Elle la regarda consulter les documents, avant de lui proposer : « Est-ce que je peux vous aider à les remplir ? »  

L'infirmière refusait toujours de les laisser tous les trois assister à la consultation et Joséphine retint un soupir quand elle justifia cette décision en soulignant qu'ils n'étaient pas une famille. Angus était le père de l'enfant qu'elle portait et elle allait visiblement épouser Ignacio dans un avenir assez proche, ce qui à son sens suffisait à qualifier une famille, mais ce n'était visiblement pas ainsi que Miss Bellington voyait les choses. Elle n'avait toutefois aucune envie de se lancer dans de longues négociations, tout ce qu'elle voulait c'était qu'on lui dise que tout allait bien et qu'elle pouvait rentrer chez elle.

Angus aussi semblait vouloir accélérer les choses puisqu'il affirma qu'il attendrait ici. Joséphine se sentit mal à l'aise de devoir l'exclure de cette consultation qui concernait son futur enfant. Et si les médicomages lui apprenaient une mauvaise nouvelles à propos du bébé ? Elle voulait qu'Angus soit là pour l'entendre, c'était lui le seul parent ! Elle sentit une nouvelle vague de stress montrer en elle, et elle était un peu plus pâle qu'à son arrivée quand elle attrapa les papiers que le milicien lui tendait. Elle avait remarqué depuis quelques semaines qu'elle ressentait tout de façon beaucoup plus intense que d'habitude. Elle devenait particulièrement émotive et cette simple histoire d'accompagnateur, qui aurait à peine dû l'agacer, devenait une véritable source d'angoisse. Ce n'était pas humain d'infliger ça à une femme enceinte !

Miss Belligton avait dû percevoir son trouble et la déception d'Angus puisqu'elle revint finalement sur sa décision et les autorisa à rester tous les trois pour la consultation. Joséphine fut aussitôt soulagée, mais ne se répandit pas en remerciements.

"Merci, répondit-elle simplement. On sera discrets."

L'infirmière agissait comme si elle leur faisait une faveur, après avoir soutenu pendant plusieurs minutes que c'était impossible, et la danseuse se méfiait de ce genre d'attitude propre aux gens qui avaient beaucoup trop de pouvoir. Elle attrapa les papiers que Miss Belligton lui tendait et les parcourut rapidement pour jauger la quantité d'informations à fournir. L'infirmière dut prendre ce temps de réflexion pour une forme d'hésitation puisqu'elle lui demanda aussitôt si elle avait besoin d'aide pour les remplir. Joséphine se retint de lui répondre qu'elle savait lire et écrire et était donc capable de se débrouiller, merci bien, et se contenta de secouer négativement la tête.

"Ça va aller, merci."

Elle n'aimait pas trop l'attitude de cette Miss Bellington à son égard, elle avait l'impression d'y déceler une forme de...pitié. Peut-être qu'elle projetait ses propres doute sur l'infirmière mais elle avait le sentiment que celle-ci la prenait pour une espèce d'idiote qui, à plus de trente ans, avait réussi à se retrouver enceinte d'un homme qui n'était pas son compagnon, et qui vivait déjà avec un autre. Ce n'était pas entièrement faux, mais tout ça résultait de choix parfaitement réfléchis et qui ne regardaient qu'elle. Elle se passerait du jugement de Miss Bellington.

Elle fit quelques pas sur le côté pour commencer à remplir les formulaires sur le coin du comptoir d'accueil. Elle ne rencontra aucune difficulté sur la première page, les questions étant parfaitement classiques, mais elle venait à peine de passer à la seconde page qu'elle se retrouva face à une colle.

"Avez-vous eu recours à notre programme de PMA (Procréation Magiquement Assistée) ?"

Etant donné leur situation, Angus et elle avait eu recours à une insémination artificielle. Ce n'était pas comme s'ils n'avaient jamais eu de rapports avant cela, mais le milicien était désormais en couple et avait fait ce choix qui convenait très bien à la mère-porteuse. Cela les plaçait-il dans la catégorie des couples ayant eu recours à la PMA ? Joséphine tendit le formulaire à Angus en lui désignant la ligne sur la PMA de la pointe de son stylo. Le futur père ne semblait pas beaucoup plus inspiré qu'elle par cette question et Joséphine se résolut à contrecoeur à demander l'avis éclairé de leur grande amie, Miss Bellington. Personne n'était arrivée à l'accueil depuis leur passage, la nuit était plutôt calme, elle put donc s'adresser directement à l'infirmière.

"Excusez-moi, l'interpella-t-elle. J'ai juste une petite question, expliqua-t-elle, comme pour souligner qu'elle s'était très bien débrouiller jusque-là. Nous avons eu recours à une insémination artificielle, expliqua-t-elle. Est-ce que c'est considéré comme un acte de Procréation Magiquement Assistée ?"

Elle osait encore croire que Miss Belington lui répondrait sans poser trop de questions...

Patty n’était pas certaine que ce drôle de trio appréciait à sa juste valeur la fleur qu’elle leur faisait en brisant le protocole de la sorte. Ils auraient pu au moins se fendre de quelques remerciements enthousiastes ! Mais non, à peine un bref hochement de tête de la part du père de l’enfant et un regard agacé du compagnon de madame. Cette dernière fit un peu plus d’efforts – elle ne devait sûrement pas être à son aise au milieu de ces deux grosses brutes – aussi, Patricia lui adressa un grand sourire en ignorant sciemment ses accompagnateurs. Elle lui proposa même de l’aide pour remplir le formulaire de l’hôpital – chose qu’elle ne faisait jamais, elle n’avait malheureusement pas le temps d’offrir ce service à toutes ses patientes – mais la jeune femme refusa poliment, probablement pour ne pas l’accabler davantage de travail. Patricia hocha simplement la tête, et l’observa s’éloigner de quelques pas pour remplir le document.

Elle repéra rapidement que la future mère avait quelques difficultés sur une question, si bien qu’elle tendit les papiers au père du bébé, qui ne sembla pas pouvoir les renseigner. Le compagnon de madame glissa un regard vers le formulaire à son tour mais choisit prudemment de ne pas intervenir. Patricia sut alors qu’elle ne tarderait pas à être interpellée ; pour ne pas montrer qu’elle avait observé l’intégralité de la scène, elle se plongea dans la lecture de documents administratifs qu’elle connaissait déjà par cœur, et ne releva la tête que lorsqu’elle entendit la voix de la jeune femme.

« Mh ? » fit-elle, comme si elle était un peu décontenancée d’être appelée. Cet état devint réel suite à la question que mademoiselle Chevalier – c’était le nom qu’elle venait d’entrer dans les fichiers de l’hôpital – lui posa.

Une insémination artificielle ? Comme cela était curieux ! En découvrant ce surprenant trio, Patricia avait imaginé plusieurs scénarios (infidélité, idylle brusque et naissante…) mais cela n’incluait absolument pas une insémination artificielle, qui supposait tout de même un certain parcours médical réfléchi. Comment cela pouvait-il s’expliquer dans la situation de madame, visiblement engagée auprès d’un autre homme ?

« Oui, cela relève d’une PMA. Une PMA par insémination, et non pas fécondation in vitro. » expliqua-t-elle très clairement, car Patricia avait à cœur de rendre la médecine accessible au public. « Vous pouvez indiquer le nom de votre médicomage à côté, comme ça, nous pourrons lui transférer le dossier également. » Curieuse, elle ne résista pas à questionner davantage la jeune femme : « Vous avez décidé d’avoir recours à la PMA suite à… Enfin, vous savez, des difficultés à concevoir ? »

Joséphine jeta un regard hésitant en direction d'Angus, lui confiant ainsi l'agréable tâche de répondre à la question de l'infirmière. Elle ne s'était pas vraiment renseigné sur le statut juridique de la GPA, et n'avait pas idée de ce qu'ils risquaient si Patty venait à apprendre la vérité. Elle savait que c'était interdit, bien sûr, mais ne voyait pas vraiment ce qui pourrait leur arriver de mal. On allait pas la jeter à Azkaban pour avoir été mère-porteuse, et on ne pouvait pas l'obliger à élever un enfant dont elle ne voulait pas et qui avait été reconnu par son père biologique. Angus semblait toutefois mieux renseigné sur les risques puisqu'il décida de mentir à leur interlocutrice en indiquant avoir des problèmes de fertilité de son côté.

La jeune femme retint difficilement un rire nerveux à l'entente de la réponse particulièrement imagée du milicien, et dut baisser la tête vers le formulaire pour se soustraire au regard inquisiteur de l'infirmière. Elle écouta les instructions d'Angus pour continuer de répondre aux différents questions -09 mai, effectivement ça lui revenait !- et entama la dernière page du formulaire intitulée "Comportements à risques". Elle renseigna rapidement la première section qui concernait la consommation d'alcool : elle n'en avait pas bu une goutte depuis le début de sa grossesse. Elle grimaça et dut se résoudre à cocher "oui" à la question concernant l'usage de produits stupéfiants antérieurement au début de sa grossesse, mais cocha également "oui" pour indiquer qu'elle était clean depuis plus de six mois.

Elle marqua un temps d'hésitation et son stylo resta suspendu au dessus du formulaire au niveau de l'avant-dernière question "Avez-vous eu plus d'un partenaire sexuel au cours des six derniers mois ? Si oui, indiquez le nombre de partenaires". Elle fit rapidement le calcul dans sa tête, ils étaient aujourd'hui le 26 août, la question concernait donc la période remontant jusqu'au 26 février, et elle n'avait quitté les Folies Sorcières qu'à la fin du mois de mars. Elle devait donc prendre en compte un mois entier de travail. Comme si Patty ne la jugeait déjà pas assez sévèrement pour avoir débarqué entourée de deux hommes différents tous les deux impliqués dans sa vie, elle allait maintenant devoir lui déclarer un nombre de partenaires qui dépassait certainement de beaucoup la moyenne.

Elle hésita à demander si elle pouvait donner une estimation, consciente que cela risquait de faire mauvais genre, et se décida finalement à faire un calcul le plus précis possible. Cinq soirs de travail par semaine, à raison de deux à quatre clients par soir, dont certains étaient des réguliers qu'elle avait vu plusieurs fois dans le mois, soit un total d'une cinquantaine de partenaires, à peu près. Elle inscrivit donc "50" à cette question, et cocha "non" à la suivante : "Avez-vous eu des rapports sexuels non-protégés au cours des six derniers mois ?". Elle balaya une dernière fois le formulaire des yeux avant de rabattre les premières pages et de tendre l'ensemble à Patty.

Elle laissa quelques minutes à l'infirmière pour parcourir les différents renseignements et en profita pour échanger un regard avec Ignacio, qui devait lui aussi commencer à trouver le temps long. Elle même commençait à s'impatienter et avait hâte d'être rassurée par un médicomage, quant à Angus il semblait sur le point d'exploser.

"Tout est bon ?" finit-elle par demander, jugeant que Patty mettait beaucoup de temps à vérifier le formulaire.

Ignacio commençait à regretter un peu sa venue à l’hôpital. Bien sûr, il était inquiet pour Joséphine, et c’était pour ça qu’il avait tenu à être là, mais se retrouver entre sa petite-amie et le père de l’enfant qu’elle portait n’était pas exactement une position confortable. Encore moins lorsqu’il devait faire face aux regards réprobateurs d’une infirmière qui trouvait visiblement affligeant que deux hommes déshonorent ainsi une jeune femme. Il faillit lui glisser que Joséphine et lui étaient en passe de se marier parce que cette dernière était voyante et avait eu une vision de leur union, mais il préféra s’abstenir, songeant que Patricia ne pourrait sûrement pas encaisser de nouvelles révélations. Elle semblait déjà avoir quelques difficultés à comprendre les liens qui les unissaient tous les trois, jusqu’à étirer en longueur ce premier entretien administratif ce qui était, Ignacio pouvait en mettre sa main à couper, contraire au sacro-saint protocole des services d’urgence.

Silencieux, le mafieux se garda tout commentaire, se contentant d’observer Joséphine remplir les différents papiers que l’infirmière lui avait tendu. Angus semblait bien plus à même de l’aider que lui – il n’était pas encore très à l’aise avec toute cette grossesse, à vrai dire – ce qui éveilla un sentiment peu agréable chez Ignacio. Ce n’était pas qu’il était jaloux – si, évidemment, c’était exactement ça – mais il n’aimait pas trop se sentir relégué à la seconde place dans cette vie de couple dans laquelle il peinait à prendre ses marques. Ce n’était pas comme s’il ne pouvait y avoir que Joséphine et lui. Il y avait Joséphine, et le bébé qu’elle portait – qu’elle n’allait peut-être pas garder, mais qui était là quand même pour le moment – et le père de ce bébé – qui était forcément très présent. C’était à peine complexe. Et Patricia ne faisait rien pour simplifier cela, à remettre en question sa présence ici. Cela venait forcément appuyer sur un sentiment d’illégitimité d’Ignacio, tiraillée par une légère dose de jalousie masculine très mal placée.

Joséphine finit par rendre le document rempli à l’infirmière, qui le parcourut attentivement. Elle s’arrêta sur un chiffre et balbutia :

« Vous êtes sûre de n’avoir pas ajouté un… Un zéro ? » demanda-t-elle d’une petite voix en désignant une ligne à la jeune femme. Devant la réponse de cette dernière, elle eut une expression de surprise en haussant les sourcils. « Oh ! Oh eh bien, euh, très bien, d’accord. » L’infirmière repassa sur le chiffre avec sa plume blanche. « Et vous ne pensez pas avoir besoin d’un test de dépistage juste pour être sûre ? Vous savez, avec les grossesses, c’est mieux de parer à tous les risques éventuels… »

Visiblement, l’infirmière ne savait plus où se mettre. Elle se racla la gorge.

« Bon, alors si je résume… Vous êtes enceinte de… »

Ignacio, n’y tenant plus, laissa échapper sa frustration :

« Bon, ce sont les urgences ici, non ? Joséphine a rempli le questionnaire que vous lui avez donné, vous n’avez pas besoin de nous résumer la situation, merci bien ! » Il fronça les sourcils. « Nous sommes venus parce qu’elle est inquiète, elle a eu des saignements » il chercha confirmation dans le regard de Joséphine « et elle aimerait voir un médicomage. C’est possible ici ou il faut qu’on aille ailleurs ? » demanda-t-il un peu brusquement.

Patricia sembla surprise par sa véhémence et se mit immédiatement sur la défensive.

« Je ne fais que mon travail monsieur ! C’est un questionnaire primordial pour établir la bonne prise en charge de madame ! Et puis je ne sais pas quel rôle vous jouez dans toute cette histoire mais ce n’est sûrement pas à vous de… »
« Futur mari. » l’interrompit abruptement Ignacio, sérieusement agacé par l’attitude de l’infirmière. « Je suis son futur mari, et maintenant je suis sûr que vous avez tous les éléments nécessaires pour la prendre en charge. » Il s’adressa à la jeune femme : « Va t’asseoir Jo’, c’est sûrement mieux. » fit-il en désignant les sièges derrière eux.


Patricia sembla outrée, mais décida de ne rien dire et fronça simplement les sourcils en rassemblant les papiers devant elle. « Un médicomage va vous appeler. » déclara-t-elle avec raideur.
Ignacio s’éloigna avec Joséphine et Angus, toujours agacé… Et peu conscient qu’il venait peut-être de révéler à Angus quelque chose qu’il ne savait pas sur sa relation avec Joséphine.

"Non, répondit Joséphine un peu sèchement quand l'infirmière d'accueil lui demanda si elle n'avait pas ajouté un zéro par erreur après son nombre de partenaires sur les six derniers mois. Elle se retint de lui dire que, si elle avait continué à travailler, ce dernier aurait été multiplié par six -le but n'était pas de lui provoquer une crise cardiaque, ils avaient encore besoin d'elle. Ça a déjà été fait, merci, ajouta-t-elle quand la bienveillante Patty lui proposa des test de dépistage. Tout est bon ?"

Elle retint un soupir quand leur interlocutrice entreprit de résumer une énième fois la situation, qui était pourtant assez claire. Contre toute attente, ce ne fut pas Angus le premier à perdre patience mais...Ignacio. Joséphine, qui avait toujours connu son partenaire extrêmement silencieux, posa sur lui un regard surpris. Etonnée par cette soudaine véhémence, elle resta silencieuse alors que le barman exigeait qu'ils soient reçus par un médicomage. Il n'était pas dans ses habitudes de s'emporter de la sorte mais elle devinait qu'il y avait quelque chose, dans toute cette situation, qui le faisait sortir de ses gonds. Elle s'apprêtait à poser une main sur son bras pour tenter de l'apaiser mais la suite de l'échange la stoppa dans son geste.

"Et puis je ne sais pas quel rôle vous jouez dans toute cette histoire mais ce n’est sûrement pas à vous de…
- Futur mari."

Le regard de Joséphine passa du visage d'Ignacio, agacé, qui ne semblait pas se rendre compte de ce qu'il venait de dire, à celui de Patricia, mi-outrée et mi-rassurée de voir que leur étrange trio respectait un minimum de traditions, puis à celui d'Angus, perplexe. C'était la première fois qu'Ignacio et elle se présentaient comme un futur couple marié. Au-delà de la surprise et du contexte pas tout à fait idéal, entendre son compagnon se désigner comme son futur mari lui faisait une drôle de sensation. Cela ne paraissait pas... réel. Peut-être parce qu'elle avait encore du mal à l'envisager comme ça. Leur histoire venait de redémarrer et, même si elle savait qu'ils allaient se marier, elle n'arrivait pas encore à penser à lui comme ça. Son futur mari. Elle avait beau le tourner en boucle dans sa tête, elle avait du mal à s'y faire.  

Un peu sonnée, Joséphine s'installa sur une des chaises désignées par Ignacio, et se contenta de hocher silencieusement la tête quand Angus lui demanda si ça allait. Elle hocha de nouveau la tête en se forçant à sourire quand il ajouta que ce mariage était un beau projet. Un projet qui n'en était pourtant pas vraiment un. C'était la première fois que Joséphine se retrouvait à devoir évoquer son futur mariage avec quelqu'un d'autre qu'Ignacio et elle ne savait pas comment l'aborder. Devait-elle jouer la jeune fiancée amoureuse et impatiente ou être honnête et laisser entrevoir que ce mariage n'était pas exactement le fruit de leur amour ni d'une décision longuement réfléchie ? Elle envisagea sérieusement ces deux options avant d'abandonner la première. Elle n'avait pas le coeur à mentir et puis, si Angus devait avoir un enfant doué de voyance, il devait se préparer à affronter ce genre de situation.

"Merci, répondit-elle avec un vague sourire aux félicitations du milicien.
- C’est prévu pour quand ?
- Ce n'est pas encore prévu pour le moment, commença-t-elle, un peu hésitante. Elle tourna la tête pour chercher le regard d'Ignacio et s'assurer qu'il ne s'opposait pas à ce qu'elle se montre honnête avec Angus sur leur situation. Ce n'était pas vraiment prévu à la base, poursuivit-elle, consciente que c'était quelque chose que l'on dirait habituellement plus d'une grossesse que d'un mariage. J'ai eu une vision, de notre mariage. Donc, on sait que ça arrive mais...On n'a pas encore la date."

Qu'il ne s'attende pas à recevoir un faire-part tout de suite, donc.

Ignacio soutint le regard de l’infirmière sans sourciller, jusqu’à ce que cette dernière leur désigne les chaises derrière eux. Il accompagna Joséphine jusqu’à la banquette et l’aida à s’y installer, les sourcils froncés par la contrariété. Ignacio n’était pas un homme qui s’emportait facilement mais sa patience avait des limites – et ces limites étaient déjà largement bien entamées par la situation particulière dans laquelle il se trouvait. Il ne perçut pas immédiatement le trouble de Joséphine, ni le regard surpris qu’Angus posait sur lui. Il s’assit aux côtés de sa compagne et posa ses coudes sur ses cuisses, ses mains se rejoignant au niveau de ses genoux. Ce fut la question d’Angus qui le tira de ses pensées et lui fit relever la tête vers lui.

Le mariage.

Ignacio ferma brièvement les yeux et se força de prendre une longue inspiration, laissant à Joséphine le soin de répondre au milicien. Il n’avait pas forcément mesuré la portée de ses propos – chose rare – et il n’était pas certain que Joséphine soit ravie de cette annonce imprévue. Il tourna un regard incertain vers elle alors qu’elle entreprenait d’expliquer à Angus la composante particulière de leur union.

« Ce n’était pas vraiment prévu à la base » disait-elle et Ignacio ne put retenir un éclat de rire presque nerveux face à cet aveu. Parfois, dans des moments comme celui-ci, au détour de phrases comme celle-là, l’absurdité de la situation lui sautait aux yeux. Il passa une main au niveau de sa nuque et se redressa légèrement. Sans revenir sur l’aveu que Joséphine venait de faire à Angus, il décida de faire amende honorable :

« Excuse-moi pour ça. » fit-il en désignant du menton le comptoir d’enregistrement, comme pour la ramener à la scène qu’ils venaient de vivre. « Mais sérieusement, toutes les questions qu’elle te posait pour alimenter son histoire en salle de pause, alors que tu as juste besoin de voir un médicomage… » Et pour être honnête, Ignacio n’avait pas été particulièrement ravi de voir une partie de son histoire personnelle décortiquée par l’infirmière d’accueil qui s’était fait un plaisir d’en pointer toutes les contradictions. « Tu te sens comment ? » s’enquit-il, un peu inquiet, avant de reporter son regard sur Angus : « J’y connais rien du tout en… » En saignement vaginaux. « En tout ça. C’est grave ? »