« Je ne suis pas certaine de ça. » Avalon suivit tout de même les conseils de Roy, fit son prochain pas vers la droite, et leur tour lui sembla beaucoup plus fluide. Elle ne poussa tout de même pas l’effort à avouer à Roy qu’il avait raison – plutôt être foudroyée sur place – et préféra rebondir sur son petit commentaire avec un sourire narquois : « Tu parles trop, Roy. Et plus on en parle, moins c’est impressionnant. »

Cette danse, plus guindée que la première qu’ils avaient partagée, leur laissait au moins l’occasion d’échanger quelques taquineries, jeu auquel Avalon se livra de bon cœur. Enfin Roy daigna lui expliquer les pas de base de la valse, et elle fronça les sourcils : « Et on tourne vers la droite ? » Tout ceci lui paraissait bien peu instinctif, probablement n’était-elle pas faite pour une danse aussi officielle, contrairement à Danielle Coleman, qui se mouvait avec grâce à leur gauche. Finalement, Roy dû s’apercevoir que ses explications l’avaient complètement perdue, puisqu’il changea sa manière d’enseigner.

« C’est bien le souci. » répondit Avalon lorsqu’il mentionna que c’était l’homme qui menait la danse traditionnellement. Elle lui offrit un léger sourire, repositionna sa main sur son épaule et accrocha son regard. « Allez, faisons cela. »

Elle eut, en effet, moins de difficultés à suivre Roy maintenant qu’elle avait cessé de se concentrer sur leurs pas. On ne pouvait pas dire que ses mouvements étaient encore parfaitement fluides, mais elle commençait à comprendre la logique de la danse, et se sentait donc moins maladroite. Finalement, elle se fit au rythme de la valse, et esquissa un sourire au commentaire de Roy

« Je crois aussi. » répondit-elle sur le même ton.

Ils continuèrent à tournoyer ainsi, tout en douceur, pendant encore quelques minutes, sans se quitter du regard, échangeant régulièrement des sourires ou des petits commentaires sur ce qu’il se passait autour d’eux. Avalon dût admettre que, si elle n’était pas tout à fait troublée par cette nouvelle proximité, cette dernière ne la laissait toutefois pas complètement indifférente. Et elle sentait, au regard que Roy posait sur elle, qu’il avait compris, lui aussi, que leurs rapports ce soir étaient différents de tous ceux qu’ils avaient eu avant.

Les violons signèrent finalement la fin de la musique classique qui rythmait leur valse. Les danseurs, autour d’eux, se séparèrent et d’autres couples se reformèrent. Avalon et Roy restèrent un peu l’un en face de l’autre, incapables de tourner les yeux, et une musique, plus lente, plus douce, fut alors diffusée dans la salle. Ils s’observèrent un instant, et Avalon ne sût dire qui d’elle ou de Roy avaient fait le premier pas vers l’autre, mais ils se retrouvèrent une énième fois à danser ensemble. Elle avait gardé sa main gauche posée sur son épaule, lui avait sa main droite qui lui enserrait la taille, et sa main libre s’était jointe à la sienne – les deux reposaient, unies, sur le torse de Roy. Ils étaient plus proches que pendant leur valse, et bougeaient moins vite, se contentant de tournoyer doucement, presque paresseusement, en suivant le rythme lent de la musique.

Si Avalon avait eu l’occasion de constater une proximité toute nouvelle avec le chef des Veilleurs à plusieurs reprises ce soir, elle n’en prit véritablement conscience qu’à ce moment, alors que son corps était fermement maintenu contre le sien par la pression qu’il exerçait avec sa main sur sa taille. Sa main à elle, posée au début sur son épaule, glissa sous son bras pour aller droit jusqu’à son dos, scellant définitivement leur rapprochement. Elle finit par tourner doucement la tête vers lui, accrocha son regard avec douceur, et sourit.

A les voir se charrier et commenter ce qu’ils voyaient en tournoyant ensemble, on aurait pu penser qu’ils étaient deux amis qui s’amusaient simplement, sans ambiguïté, s’il n’y avait pas eu cette inhabituelle et surprenante tendresse dans les regards qu’ils échangeaient. La façon dont Avalon approuva son compliment avec un sourire lui donna le sentiment qu’elle non plus ne mettait pas uniquement ses progrès en valse derrière ce commentaire. Ils appréciaient tous les deux ce moment, pour les mêmes raisons, c’était évident désormais dans la manière qu’ils avaient de se regarder et se sourire. Roy cessa de le nier à l’instant où ils se retrouvèrent l’un contre l’autre, dans une position beaucoup plus proche, pris dans une danse beaucoup plus lascive.

Bien. Il se passait quelque chose, c’était clair. Il y avait trop de signaux pour qu’un homme tel que Roy ne les voie pas, c’était même étonnant qu’il ne les ait pas reconnus plus tôt. En vérité, le problème n’était pas tellement de les voir, mais plutôt de les admettre, dans ce cas précis. C’était Avalon qu’il avait dans les bras, Avalon, son amie, sa partenaire de crime, Avalon, la petite soeur de Toni et Fergus. Il ne l’avait jamais vue autrement, et après autant d’années à entretenir cette relation, c’était troublant de la sentir subtilement changer au détour de… De quoi, exactement ? Quel était l’événement qui avait jeté un désordre dans ce lien immuable ? Etait-ce cette mission dangereuse qu’ils avaient menée et qu’ils avaient passé du temps à préparer ensemble ? Ce moment qu’ils avaient partagé ensuite, où il lui avait présenté ses excuses ? Cette profonde reconnaissance et ce besoin de se sentir en vie, qu'ils partageaient tous les deux ? Cette aura toute particulière qu’elle dégageait ce soir, radieuse dans sa confiance et sa fierté pour sa nouvelle promotion, magnifique dans cette robe à tomber par terre ? Etaient-ce ces contacts répétés entre eux, tout au long de la soirée, entre leur partie de billard, les danses qu’ils avaient partagé ? Peut-être que cette relation tactile entre eux avait démarré bien avant, sans qu’il ne s’en rende compte ? Peut-être qu’il avait déjà cherché le contact de ses mains, de ses bras, auparavant ? Le chef des Veilleurs avait bien du mal à cerner l’élément qui transformait le regard qu’il portait sur la milicienne. Tout ce qu’il savait, c’était que la main qu’elle glissait dans son dos le faisait frissonner, qu’il pouvait deviner les délicieuses courbes de son corps à elle à travers ses mains, que le regard qu’elle plantait dans le sien lui plaisait. Sans vraiment poser de mots dessus pour le moment, il se sentait indéniablement attiré par Avalon.

A aucun moment de la soirée, ils n’avaient été aussi proches. Leurs visages n’étaient séparés que par quelques centimètres, Roy pouvait voir les longs cils de la jeune femme, ses yeux fardés et scintillants sur sa peau dorée. Alors, inévitablement, son regard descendit jusque ses lèvres pleines, étirées dans l’un de ces sourires dont elle avait le secret. Poussée par une impulsion parfaitement déraisonnable, mais irrépressible, il souffla, alors que les dernières notes de guitare ralentissaient petit à petit, de même que leurs mouvements :

« On va prendre un peu l’air ? »

C’était peut-être le dernier regard qu’elle lui avait lancé, ou ce dernier sourire qu’elle avait esquissé, mais Avalon sentit, au regard de Roy, que cette proximité entre eux s’était définitivement transformée en une attirance indéniable. Un long frisson la parcourut alors que les yeux de son ami descendaient vers ses lèvres. Ils n’étaient qu’à quelques centimètres l’un de l’autre et, pourtant, cette distance lui paraissait à ce moment-là parfaitement insupportable. Sa main glissa dans son dos en une légère caresse, et sur quelques derniers accords, la musique prit fin.

La proposition de Roy, soufflée à son oreiller, lui arracha un nouveau sourire, enjôleur cette fois. Avalon ne prit pas la peine d’analyser cette situation, de se rappeler une nouvelle fois que c’était avec Roy qu’elle dansait, ce même Roy qu’elle connaissait depuis une dizaine d’années maintenant. Les questions soulevées par ces considérations lui paraissaient lointaines, un peu irréelles en comparaison à cette connexion, à cette attirance qu’elle ressentait presque de manière physique.

« Je te suis. » répondit-elle alors, en se détachant de lui.

Elle quitta la piste de danse à sa suite, ignorant ostensiblement le regard qu’un Toni aussi surpris que moqueur posait sur elle. Ils traversèrent à nouveau quelques pièces du casino jusqu’à arriver sur une large terrasse, déserte à cette heure. Avalon s’avança jusqu’à la balustrade sur laquelle elle s’appuya, les yeux rivés sur l’océan qu’on voyait depuis ce point de vue, lorsqu’elle sentit la présence de Roy à ses côtés, elle tourna la tête vers lui.

Elle savait qu’il avait senti, comme elle, que quelque chose était en train de se jouer entre eux. Que ces regards, que ces sourires, que ces paroles aussi taquines que charmeuses, avaient contribué, tout au long de la soirée à la conduire ici, sur cette terrasse isolée.

« C’était une belle soirée. » lança-t-elle en se redressant légèrement, de façon à être par la suite appuyée de dos contre la balustrade. Un sourire s’étira sur ses lèvres, alors que son regard, lui, descendaient vers celles Roy avec une lenteur infinie. Lorsqu’elle accrocha à nouveau son regard, ses yeux pétillaient à la fois de malice et d’envie. « Je reconnaitrais peut-être que la valse n’est pas mon plus grand talent. »

Ils savaient aussi bien l’un que l’autre ce qui risquait de se produire dans un lieu à l’écart, où ils seraient seuls, sans les regards de leurs amis et employés respectifs pour les surprendre. Roy marchait vers cette potentielle conclusion, en refusant de trop réfléchir à ce qu’il était en train de faire. Il n’avait pas pour habitude d’écouter sa tête dans ces moments-là, mais sûrement, s’il avait fait l’effort de le faire, il aurait calmé ses ardeurs, le temps de mesurer ce qui se passait. Avalon n’était pas n’importe quelle femme de son entourage, elle n’était pas une femme charmante croisée au hasard au détour d’une soirée. La raison aurait voulu qu’il ne se précipite pas à céder à cette attraction qu’elle exerçait sur lui, sans prendre le temps de poser mentalement les causes et les conséquences d’une telle action. Mais ce soir, Roy n’était pas vraiment d’humeur à écouter cette petite voix dans sa tête, son esprit était à l’inverse tout à la légèreté et l’insouciance que lui inspirait ce délicieux petit flirt avec son amie. Y avait-il du mal à simplement essayer de voir jusqu’où cette complicité et cette proximité différente qu’ils ressentaient entre eux ce soir pouvait les mener ?

Poussé par la magie de cet instant, Roy les conduisit vers la terrasse arrière, que Mildred avait pris soin de fermer aux invités pour la soirée, du moins jusqu’au moment des feux d’artifices, qu’elle avait prévus pour plus tard. C’était la plus belle terrasse du cabaret, celle qui offrait le meilleur point de vue sur la mer. Roy pouvait passer des heures ici, à observer les vagues qui s’enroulaient les unes dans les autres. Mais ce soir c’était un autre spectacle que ses yeux ne voulaient plus quitter. Il laissa Avalon s’avancer devant lui et la rejoignit lentement, le regard rivé sur le dos dénudé qu’elle lui présentait. Sa robe semblait scintiller encore plus dans l’obscurité de la nuit, tout comme sa peau qui transparaissait à travers, à certains endroits. Il découvrait véritablement chez Avalon des qualités qu’il n’avait pas soupçonnées avant ce soir et il ne parlait pas seulement de ses talents en danse… Un sourire se fraya un chemin sur ses lèvres au commentaire qu’elle fit, en se retournant vers lui. Roy fit un pas de plus, puis un second, avant d’oser s’appuyer sur la balustrade à son tour, en posant ses deux mains de part et d’autre d’Avalon, comme pour l’empêcher de se dérober. A nouveau, ils se retrouvèrent dans une plaisante proximité, leurs visages et leurs corps l’un en face de l’autre.

« Quel est ton plus grand talent, alors ? »

Il n’attendit pas vraiment la réponse à cette question qu’il avait posée dans un murmure avant de se pencher vers elle. Il avait parfaitement remarqué la manière dont elle avait laissé son regard glisser sur ses lèvres en le voyant s’approcher. Ce fut au tour de Roy de viser cet endroit de son visage, en se penchant doucement.