20 février 2011

La magie pouvait faire des miracles, songeait Roy en laissant son regard parcourir les contours d’un espace qu’il connaissait pourtant par coeur. La salle de réception des Folies Sorcières, celle où se situait la scène où se produisaient leurs danseuses, caractérisée par ses tissus rouges et sa pierre ocre, s’était métamorphosée. Parée de tons dorés scintillants, la salle semblait plus grande que jamais, illuminée par les chandelles qui flottaient dans les hauteurs vertigineuses du plafond, ponctuée de subtiles touches de mauve, couleur fétiche de la Milice. Une douce lumière chaleureuse près du buffet faisait briller les verres, des bouquets de roses parfumées ornaient les tables rondes. Quant à la scène, traditionnellement masquée par son rideau rouge, était cette fois ouverte, avec plusieurs sièges en velours disposées près d’un pupitre orné de l’emblème du Ministère, prévu pour les discours qui allaient ponctuer la soirée. La Milice avait mis les chaudrons dans les grands pour financer et organiser cette fête en l’honneur de sa nouvelle restructuration. C’était une importante opportunité d’argent pour le cabaret de Mildred et Roy, ravis de cette généreuse rentrée d’argent et de la belle publicité que leur ferait les photos de la Gazette dès le lendemain matin.

Roy nageait dans son élément. Ce genre de fêtes mondaines était exactement l’espace où il adorait évoluer, conversant avec des personnalités du monde magique qui grossissaient toujours un peu plus son carnet d’adresses. Après plus de deux ans aux commandes de ce fastueux cabaret, Roy n’était plus ce nouveau riche qu’on regardait un peu par en-dessous, il s’était taillé sa place dans le gratin du pays qui ne se lassait pas de dépenser des sommes astronomiques pour son entreprise de divertissement. Quelques jours plus tôt, Roy avait bien failli perdre cette place, il avait même failli disparaître tout court de ce monde. Autant dire qu’il ne savourait que d’autant plus d’être de nouveau sur ses jambes, plus que jamais prêt à se battre pour conserver ce que la vie avait à lui offrir.

Mais il n’était pas le seul à avoir risqué sa vie lors de cette périlleuse mésaventure. Régulièrement, son regard cherchait la silhouette d’Avalon dans la foule, qu’on ne laissait littéralement pas seule plus d’une minute puisqu’elle était l’une des personnalités honorées par cette soirée. C’était surprenant, troublant même, de la trouver aussi rayonnante alors qu’elle aurait pu elle aussi ne pas faire partie de cette soirée et disparaître quelques jours plus tôt. Sa capacité à encaisser les coups durs forçait l’admiration et le respect. Quant à la tenue splendide qu’elle portait, elle inspirait également une certaine admiration chez Roy, pour être honnête, car c’était probablement la première fois qu’il voyait Avalon Davies dans une autre tenue que des jeans et des baskets. Voilà une expérience qui méritait d’être répétée plus souvent.

« Tu reluques qui ? »

La voix de Jayce le tira de ses pensées et Roy détourna la tête peut-être légèrement trop vite.

« Personne.
-Ah, mec, Coleman a pas le temps pour toi, laisse tomber, commenta Jayce en dispensant une petite tape paternaliste sur l’épaule de son associé.
-Toutes ces années d’amitié et tu me sous-estimes toujours, je ne sais pas comment le prendre. »

Il se garda bien de préciser que ce n’était pas Danielle qu’il observait -bien qu’elle était tout à fait magnifique, mais rien de bien différent que l’élégance qu’elle portait déjà naturellement- mais une femme qu’ils connaissaient bien plus personnellement et depuis plus longtemps tous les deux. Le fait de croiser enfin le regard d’Avalon le poussa à faire quelques pas dans sa direction, abandonnant momentanément Jayce. Roy afficha son familier sourire en coin en arrivant à la hauteur de la chef -ou plutôt l’ancienne chef- de la Milice.

« Tu permets, Danielle ? Je n’ai pas encore eu l’occasion de féliciter ta talentueuse remplaçante. »

Quelques amabilités plus tard, Coleman les laissa tous les deux, ce qui permit à Roy de taquiner Avalon avec la familiarité dont ils avaient l’habitude :

« Avalon Davies. Je ne sais par où commencer. D’abord, cette robe, grand Dieu, lança t-il en laissant son regard glisser sur elle. Est-ce que ce sont des vrais escarpins ou ce sont des baskets que tu as métamorphosé pour l’illusion ? Je demande parce que je ne t’ai pas encore vue boîter dans un coin de la pièce en insultant les ancêtres des invités présents dans cette pièce. »

Avalon n’était absolument pas habituée aux soirées mondaines. Elle n’avait pas grandi dans les hautes sphères de la société, bien au contraire. Et même en grandissant, en évoluant dans le monde magique, elle n’avait pas émis le souhait de vouloir les rejoindre. Avalon était une femme simple, que les manières agaçait prodigieusement. Ses proches, ses collègues pouvaient en témoigner : les occasions d’apercevoir Avalon Davies en robe étaient rares, voire exceptionnelles. Elle en avait peut-être deux dans sa penderie et elle les mettait vraiment lorsqu’elle n’avait pas le choix. Elle passait ses semaines en jean, et agrémentait ses hauts en fonction de ses sorties ou de son travail : t-shirt, chemisier, blouse… Elle n’avait pas la garde-robe la plus féminine du monde magique, elle voulait bien l’accorder à quiconque lui poserait la question, mais elle était assez satisfaite de ses tenues vestimentaires qui reflétaient sa personnalité.

Mais ce soir, elle n’avait pas eu d’autre choix que de trahir ses principes – et son confort – et de vêtir une robe scintillante et des escarpins tout aussi étincelants pour se rendre à une soirée du ministère organisée pour fêter à la fois la nomination de Danielle en tant que directrice de la justice magique, et la restructuration de la milice, dont elle venait de prendre la tête avec Galahad. Impossible de venir à un tel évènement en basket, aussi elle avait appelé Isobel à la rescousse, qui lui était toujours d’une grande aide lorsqu’elle vivait une véritable confusion vestimentaire.

Elle était donc juchée sur des talons hauts – ce qui la grandissait de quelques centimètres (pas trop non plus puisqu’elle tenait à ses chevilles) – et venait de retrouver Danielle qui lui avait tendu une coupe de champagne. Elle observa sa supérieure, particulièrement elle-même dans sa tenue qui lui allait à ravir, et esquissa un sourire en coin.

« Ne me dit pas que tu es dans ton élément ici. Sans personne sur qui passer tes nerfs, avec l’intégralité du ministère qui veut te serrer la main. » commenta Avalon. Danielle lui renvoya un regard amusé :

« Serrer des mains au ministère vient de devenir une partie intégrante de mon travail. » lui fit-elle remarquer à juste titre. Avalon ne put s’empêcher de grimacer, d’autant plus lorsque sa supérieure ajouta avec un sourire narquois : « Et du tien aussi. »

Elle soupira profondément et haussa les épaules. « Je ne sais pas comment tu fais pour rester aussi… » Elle la désigna du menton. « Stoïque ? »

Danielle eut un sourire et haussa les sourcils : « C’est très simple. Je passe mes nerfs sur les autres. »

Les deux femmes échangèrent un regard, avant de s’esclaffer, chacune à leur manière : Avalon en un véritable éclat de rire et Danielle en soufflant légèrement du nez.

Ce bref moment de complicité - rare, car nous parlons tout de même de Danielle Coleman - fut interrompu par Roy Calder, qui s’avançait vers elles dans l’espoir visiblement de féliciter Avalon pour sa nouvelle promotion. Danielle accéda à sa requête après l'avoir salué et s’éloigna en direction du buffet où elle entama une conversation avec le nouveau directeur de Poudlard. Avalon reporta son attention sur Roy et ne put retenir un sourire narquois de s’afficher sur ses lèvres.

« Oh non, ce sont des vrais et, crois-moi j’ai insulté environ les invités présents dans cette salle sur dix générations. » corrigea-t-elle. « Mais regarde, je ne les ai pas pris trop haut pour ne pas offenser la virilité de notre hôte. » se moqua-t-elle avec un sourire en coin. Elle baissa les yeux sur sa robe scintillante et haussa légèrement les épaules. « Je suis un peu surprise qu’il t’ait fallu autant d’années et une occasion comme celle-ci pour remarquer à quel point je suis canon. »

Ses propos étaient teintés d'un humour qui se lisait aussi dans son regard. Roy et elle avaient vécu un événement traumatisant quelques jours plus tôt, qui aurait pu leur coûter la vie. C'était avec un soulagement non-feint qu'elle plaisantait aujourd'hui avec lui sur un sujet si simple, le taquinant comme à son habitude.  

« Tu parles de Jayce ? répliqua Roy en haussant les sourcils d’un air parfaitement innocent, pour ne pas se montrer piqué par cette vanne sur sa taille. Oh, il n’est pas si susceptible, tu sais. Il ne t’en aurait pas voulu. »

Le commentaire suivant qu’elle fit au sujet de sa robe qui semblait la faire briller dans la foule aurait pu donner de quoi méditer à Roy, s’il n’était pas aussi prompt à vanner son amie de longue date :

« Moi ce dont je suis aussi surpris, c’est qu’il t’ait fallu autant d’années pour nous révéler que ta penderie ne comportait pas qu’une collection de jeans et de baskets. Tu sais que normalement, on ne passe pas la porte des Folies Sorcières dans tes tenues habituelles ? Heureusement que t’es amie avec le patron, hein. »

Et pour ce soir, il était ravi de la voir changer de ses habitudes. Tout le monde avait enfilé sa plus belle tenue de soirée, lui même avait sorti le smoking pour être en accord avec le haut standing de cette célébration. Quant à Avalon, elle n’avait pas seulement sorti une belle robe, elle semblait avoir trouvé la pièce qui mettait parfaitement en valeur son teint et allait la faire rayonner dans cette grande salle de réception. Oui, Roy utilisait ce genre d’expressions dans sa tête car il était environ aussi friand de beaux vêtements que ne l’était Isobel Lavespère.

« Plus sérieusement, je pense que je comprends mieux pourquoi tant de gens s’agglutinent autour de toi depuis le début de la soirée. Je veux dire, outre ta promotion en tant que… Comment tu dis, déjà ? Chef de l’unité des renseignements de la Milice ? Ah bah, ça commence par récolter quelques infos auprès des Veilleurs et ça finit à la tête des renseignements, moi je dis, tu devrais nous citer dans ton discours. »

Il la taquinait bien sûr et les accointances de la Milice avec la mafia de Bristol -bien que soupçonnées par un grand nombre- n’était pas vraiment le genre d’information que le Ministère tenait à lire dans l’article de la Gazette qui allait couvrir l’événement. Isobel s’en arracherait les cheveux, malgré sa grande sympathie pour ces mafieux. Un sourire s’étira sur les lèvres de Roy, qui échangea un regard avec Avalon et ne put s’empêcher de penser à nouveau à combien ils l’avaient échappé belle tous les deux. Il s’en serait voulu qu’elle ne puisse pas assister à un tel événement mémorable de sa carrière.

« Félicitations, Av’. »

« Il est trop aimable. » railla Avalon lorsque Roy fit mine de ne pas prendre la pique sur sa taille pour lui.

Avalon pouvait toujours se moquer, elle devait avouer qu’elle n’était pas bien plus grande que lui – à vrai dire, elle devait mesurer cinq ou six bons centimètres de moins lorsqu’elle n’était pas perchée sur des échasses – ce terme étant plutôt inexactes parce que ses escarpins lui permettaient seulement de regarder Roy dans les yeux sans lever le menton.

« Mes tenues habituelles ? » fit mine de s’offusquer la jeune femme en haussant les sourcils. « Tu es devenu bien snob, Roy Calder. Je t’ai connu plus proche du peuple. »

Il était vrai que lorsque son ami n’était qu’un petit dealeur – et pas à la tête du gang mafieux le plus influant de Bristol – elle ne l’avait jamais entendu critiquer ses tenues vestimentaires, qui, si elles n’étaient pas très féminines, n’étaient pas non dépourvu d’un certain goût. Elle était une femme moderne avait-elle déjà expliqué à Toni, un soir où ils étaient un ivres, elle n’avait pas besoin de robes et d’escarpins pour se sentir féminine… Et en plus, avait-elle avoué, elle n’était pas masochiste au point de faire endurer à ses pieds une torture de la sorte.

« Oh, j’ai même commencé plus bas que ça. » fit-elle remarquer avec un petit sourire complice pour l’homme en face d’elle, qui l’avait connu dix ans plus tôt lorsqu’elle travaillait pour Fergus.

Il était vrai que son ascension avait été assez impressionnante sur une période relativement courte, et elle en tirait une pleine satisfaction. Dix ans plus tôt, jamais Avalon Davies n’aurait songé se tenir dans un décor aussi luxueux, vêtue de la sorte, à célébrer sa récente promotion en tant que cheffe de l’unité des renseignements de la milice. Même aujourd’hui, alors qu’elle entendait ce titre dans la bouche de son ami, elle avait un peu de mal à y croire. Elle était partie de bas – de très bas – et voyait ce nouveau tournant dans sa carrière comme une victoire sur la vie qu’elle aurait pu mener.

« Merci. » répondit-elle sincèrement avec un grand sourire. Elle fit tinter son verre contre celui de Roy, et sut qu’ils partageaient tous les deux la même pensée : ils auraient pu ne jamais célébrer cette promotion – à vrai dire, elle aurait pu ne jamais être promue du tout. C’était une sensation étrange que celle de savoir qu’on avait échappé de peu à la mort ; une sensation rare qui lui était pourtant déjà arrivé par le passé.

« Ce nouveau statut… Ça fait officiellement de moi la personne avec qui tu vas pouvoir traiter de toutes nos affaires communes. » commenta-t-elle. « Qui aurait pu croire qu’une telle chose arriverait un jour. »


Les liens d'Avalon avec la mafia en faisait déjà une interlocutrice de choix lorsqu'elle n'était que lieutenante. Evidemment, ces accords entre les Veilleurs et la milice étaient très encadrés, mais Roy savait qu'elle avait à coeur les intérêts du gang dans lequel évoluait ceux qu'elle considérait comme sa famille. C'était pour cela qu'elle s'était lancée, les yeux fermée, dans une entreprise qui aurait pu lui coûter la vie. C'était pour la même raison qu'elle le referait sans hésiter si cela était nécessaire. Avalon était ainsi ; entière et fidèle aux gens qu'elle aimait.

« Je pense que, vu le prix du champagne qui se trouve dans nos verres, on peut admettre qu’on est tous les deux pas très proches du peuple ce soir, Av’. »

Mais ce qui différenciait Avalon était qu’elle gardait effectivement un mode de vie assez simple, quand lui ne cessait de s’épancher dans le luxe. Il n’y avait qu’à visiter sa villa pour s’en rendre compte. Qu’allait t-il faire d’autre avec tout l’argent qu’il amassait, entre le marché noir et les Folies Sorcières ? Il fallait bien qu’il se fasse plaisir, sinon à quoi bon. Roy avait toujours été un épicurien et ce n’était pas à trente ans passés qu’il allait changer.

En tout cas, Avalon franchissait un pallier aussi, ce soir, nul doute que sa position dans la société tout comme son compte en banque allaient connaître une petite révolution. C’était un beau parcours qu’elle avait réalisé, songea Roy en trinquant avec elle. Il se rappelait d’elle à une époque où elle était vraiment au plus bas de l’échelle, que Fergus l’avait prise sous son aile comme sa petite protégée farouche, méfiante de tout et de tout le monde. Personne n’aurait pu prédire qu’une dizaine d’années plus tard, elle aurait évolué au point d’accéder à un poste à haute responsabilité alors qu’elle n’avait même pas encore trente ans, sauf peut-être Fergus : Roy supposait qu’il avait sûrement vu un fort potentiel en elle, s’il avait accepté de s’en occuper au moment où elle était dans une mauvaise passe de sa vie.

Les pensées d’Avalon semblèrent faire écho aux siennes, puisqu’elle s’amusa elle aussi de cette ascension fulgurante, à laquelle elle devait avoir du mal à croire. Roy pouvait déjà imaginer que cette promotion ne devait pas ravir tous ses collègues présents dans la salle, qui auraient pu prétendre à son poste : encore une femme à la tête de la Milice, aussi jeune en plus, il y avait de quoi frustrer les hommes cinquantenaires qui attendaient leur tour depuis vingt ans. Pourtant, Roy ne doutait pas que le choix avait été le bon, pas seulement parce qu’il connaissait les nombreuses qualités d’Avalon sur le terrain pour l’avoir déjà vue à l’oeuvre -et ce, très récemment- mais aussi parce qu’il savait que Danielle n’aurait jamais accordé cette promotion par simple sympathie envers sa lieutenante. S’il y avait une personne capable de faire ce choix froidement et en toute objectivité, avec les intérêts de la Milice à coeur, c’était bien Danielle Coleman.

« Oh non, moi qui commençais à trouver la technique pour tirer quelques sourires à Danielle… Tout ce travail de longue haleine jeté à l’eau »

Mais son sourire en coin démentait le ton faussement sérieux qu’il avait pris pour railler son amie. Il prit une gorgée de champagne qu’il savoura lentement, tout comme il savourait mentalement le tableau que lui présentait Avalon. Roy s’était effectivement habitué à travailler avec Danielle, et cela fonctionnait plutôt bien, les deux faisant efficacement leur part de boulot. Mais on ne pouvait pas dire qu’il partageait avec elle une forme de complicité -qui connaissait ce genre de relation avec Danielle Coleman, de toute manière ?- comme on pouvait en trouver dans un binôme. Nul doute que la collaboration entre les Veilleurs et la Milice allait prendre une nouvelle tournure, maintenant qu’une femme qu’il connaissait depuis de nombreuses années était aux commandes. Sans doute pour le meilleur en ce qui les concernait tous les deux et pour le pire en ce qui concernait ceux qui se mettraient en travers de leur route… Cette pensée plaisait beaucoup à Roy, qui commenta :

« J’ai l’impression qu’on va pouvoir se rendre quelques services utiles, toi et moi. Enfin… Si je ne t’ai pas traumatisée sur ce plan-là. »

Son sourire n’avait pas disparu de ses lèvres mais le regard qu’il posait sur Avalon posait plus sérieusement la question. Après tout la dernière fois qu’elle lui avait rendu service, elle s’était retrouvée aux portes de la mort, prise dans des événements qui avaient totalement échappé à leur contrôle. Après cette mésaventure, Roy avait fait auprès d'elle son mea culpa à ce sujet et il aurait été avisé de la part d’Avalon qu’elle se tienne à distance des dangereuses affaires dans lesquelles trempaient les Veilleurs. Toutefois, il la connaissait assez pour savoir que ce n’était pas la prudence qui la caractérisait, mais la loyauté qu’elle vouait à son entourage, alors il avait assez peu de doutes sur le fait qu’elle n’allait pas les laisser tomber, malgré les risques qu’il lui avait fait prendre.

Sa question silencieuse était bien plus triviale que le fait de s’assurer qu’elle allait toujours leur rendre quelques services. Roy aurait pu la formuler bien plus frontalement s’il n’était pas un Calder plein de pudeur quand il s’agissait de se soucier des gens. Au fond, il voulait simplement s’assurer qu’elle allait bien.

« Et dire qu’il t’a fallu tant d’années pour en parvenir à un résultat aussi maigre. » commenta Avalon avec un sourire en coin.



Il fallait dire que Danielle n’était pas le genre de femme à offrir ses sourires à tous les individus qu’elle croisait – contrairement à Avalon qui était justement très expressive. D’apparence froide, sévère, Danielle ne se confiait pas, se livrait peu, et s’étendait rarement sur ses pensées. Il aurait cependant été faux de croire qu’il s’agissait d’une femme dépourvue d’humour – disons qu’elle était résolument ironique. Avalon avait eu plaisir à travailler avec elle durant ces années et elle espérait que l’inverse était aussi vrai. Elle était particulièrement reconnaissante que Danielle ait vu en elle de telles capacités et qu’elle lui accorde sa confiance, jusqu’à la nommer à sa suite à la tête de la milice. C’était une promotion dont elle avait longtemps rêvé sans trop y croire non plus, notamment parce qu’elle avait craint que ce choix relève d’une décision politique – c’était mal connaître Danielle, qui avait laissé la milice aux mains de ses agents, loin des considérations politiques du ministère qu’elle s’emploierait à gérer depuis son nouveau statut de directrice du département de la justice magique.



Et ce serait elle, Avalon Davies, qui serait à la tête de l’unité des renseignements de la milice. Un poste qui lui convenait bien, qui alliait à la fois le terrain et ce travail d’investigation qu’elle affectionnait particulièrement. Elle était, qui plus est, particulièrement à l’aise avec la technomagie, et avait déjà plusieurs idées qu’elle devait soumettre à Vargas sur leur collaboration avec la milice. Elle savait que son jeune âge en avait surpris – voire choqué – beaucoup. Elle avait serré des mains à des sorciers particulièrement dubitatifs ce soir, et elle comprenait pourquoi. Danielle était jeune lorsqu’elle avait été nommée à la tête de la milice mais son tempérament forçait le respect de n’importe quel sorcier qui se retrouvait face à elle. En comparaison, Avalon apparaissait bien plus joviale et enthousiaste, deux qualités qui n’étaient pas particulièrement appréciées par les quarantenaires qui peuplaient le ministère. Mais Avalon était prête à parier que sa jeunesse était un atout dans l’unité dont elle venait de prendre la tête. Elle avait souvent entendu Danielle se plaindre du manque de « vision » des sorciers, notamment en ce qui concernait les technomagies. Elle pouvait être certaine qu’Avalon, elle, n’en manquerait pas.



La remarque de Roy la tira de ses pensées, et elle lui adressa un léger sourire. Elle savait que son ami s’en voulait de l’avoir attiré dans un véritable traquenard quelques semaines auparavant, et il s’était déjà excusé pour cela. Avalon avait accepté ses excuses, mais, au fond, elle ne lui en avait jamais particulièrement voulu. Elle éprouvait par contre de violentes envies de revanche... Elle avait accepté d'aider Roy en connaissance du danger et des risques qu’elle prenait. Leur plan avait échoué, de façon désastreuse. Elle avait eu un mal fou à se débarrasser de cette sensation d'étouffement, de cette urgente impression qu'elle allait mourir, les yeux rivés sur son ami qui ne tarderait pas à la suivre. Helmet Norvel allait payer. Il allait payer très cher ce petit sourire horriblement satisfait qu'il avait eu en lui adressant ce qu'il pensait être ses derniers mots. Avalon était habituée au danger – son métier le prouvait tout autant que son histoire de vie – aussi ne s’était-elle pas attardée trop longtemps sur le traumatisme de cet événement, pour se concentrer rapidement sur les actions qu'elle pouvait mettre en place - Helmet Norvel avait décidément choisi d'énerver la mauvaise personne. Pour autant, elle n'avait pas reproché à Roy, ou aux Veilleurs, cette situation délicate qui aurait pu entraîner sa mort. Elle était suffisamment conscience de ses propres capacités pour savoir quels risques elle voulait prendre... Et, très franchement, elle aurait été prête à recommencer dès ce soir.



« Oh, il en faut un peu plus pour me traumatiser, tu sais. » répondit-elle donc sur le même ton dégageait, quand son regard était, quant à lui, un peu plus sérieux. Elle allait bien, semblaient dire ses deux grands yeux bruns. Rien de tout cela n’allait entacher ni sa relation avec les Veilleurs, ni celle de la milice. Elle allait bien, elle était forte, elle était aussi déterminée à faire payer ce mafieux qui avait voulu attenter à leurs vies. Elle savait bien que Roy était sur la même longueur d'onde qu'elle, qu'il ne comptait pas laisser ce crime impuni. Elle échangea avec lui un regard sombre, mais chargé d'une complicité vieille de dix ans. « S'en prendre à la personne désormais capable de mettre n'importe quel Pear sur écoute et de traquer les déplacements de chaque individu... Ce n'était vraiment pas une idée lumineuse. » ajouta-t-elle en baissant la voix. Si Avalon ne comptait entrainer aucun de ses agents dans cette affaires toute personnelle, elle n'allait pas se priver d'utiliser tous ces nouveaux moyens à sa disposition pour mener sa tâche au mieux. Mais pour l'instant, l'heure n'était pas à de telles considérations. Aussi, Avalon retrouva son habituel sourire jovial.



« Cela dit, peut-être que je vous fréquente depuis si longtemps que je ne peux pas être encore plus traumatisée. » fit-elle remarquer avec un sourire narquois, comme pour détendre l’atmosphère sérieuse qui s’était créée entre eux. « Je n’ai pas encore décidé. »

Tout comme ses sourires, les regards d’Avalon étaient toujours communicatifs et laissaient Roy deviner rapidement son état d’esprit. De façon générale, Avalon avait une façon sincère d’exprimer ses émotions et de les laisser se voir sur son visage, en cela elle se rapprochait assez de Toni, même si elle était bien moins exubérante et dramatique que lui. Roy lisait sans mal chez elle une détermination à toute épreuve et une réponse tout aussi sous-entendue que sa question ne l’avait été : elle tenait le coup et n’avait pas changé de position depuis la discussion qu’ils avaient eue tous les deux, peu après leur mésaventure avec Norvel. Elle ne lui en voulait pas pour cette épreuve qu’il lui avait fait traverser, sans savoir que cela tournerait aussi mal. Roy n’était pas aussi clément envers lui-même, heureusement que cet événement ne s’était pas conclu par une issue tragique pour Avalon : il s’en serait senti hautement responsable et ne se le serait jamais pardonné.

Avalon semblait préférer occuper son esprit par des envies de vengeance qui lui permettaient d’aller de l’avant, plutôt que rester bloquée sur les erreurs qu’ils avaient commises et sur le traumatisme qui en avait découlé. C’était une attitude que Roy adoptait aussi de son côté, du moins en journée, quand son cerveau tournait à plein régime et qu’il pouvait en contrôler les pensées. La nuit venue, quand son subconscient l’entraînait dans des cauchemars où il avait l’impression de suffoquer, il ne pouvait pas faire grand-chose… Mais tout prendrait fin quand il aurait la peau de son ennemi, se répétait t-il pour tenir. Avalon souhaitait autant que lui la peau de cet homme qui s’était largement joué d’eux, alors les regards qu’ils échangèrent furent semblables, chargés d’un orage noir.

« Avec ça, s’il est pas fait comme un rat… » Pratique, ces nouveaux outils d’espionnage de la Milice qui allaient leur faire gagner du temps pour ferrer ce malfrat qui s’était empressé de prendre la fuite sans laisser de traces de lui. « Mes hommes sont à dispo si besoin, tu me dis » rappela t-il.

Il se doutait qu’Avalon menait cette mission de son côté, sans faire appel à ses agents, puisqu’elle menait cette enquête à des fins parfaitement personnelles. De son côté, Roy ne restait pas bras croisés et avait mis plusieurs espions sur le coup. La brève plaisanterie d’Avalon lui tira un sourire en coin et il accepta volontiers de rester dans un registre humoristique avec elle en répondant :

« Hum, j’aime bien cette explication, j’avoue. »

Même si celle qui consistait à dire qu’il lui en fallait plus pour finir traumatisée était tout à fait recevable car il la savait solide. Elle semblait aller bien, c’était l’essentiel, songea t-il en lui jetant un dernier regard. Ils pouvaient donc profiter sans regrets de leur chance d’être en vie et de la soirée qui se profilait devant eux. Roy ne tarda pas à enchaîner sur un autre sujet, posant un regard à la fois curieux et moqueur sur Avalon :

« Dommage pour Norvel, il n’avait pas prédit qu’il s’en prenait à la future chef de la Milice. Cette promotion tombe à point. Alors, ça fait quoi de devenir la nouvelle Coleman ? Pas trop de pression ? Tu vas découvrir le plaisir de diriger toute une organisation, j’espère que tu t’es mentalement préparée à l’idée de ne plus dormir. »

« Bien sûr, je te tiens au courant. » affirma Avalon, le regard sombre et orageux, semblable à celui de Roy. Elle comptait bien tout faire pour retrouver ce mafieux qui avait voulu attenter à leur vie et, foi de Davies, elle y parviendrait. Le poids dans sa poitrine qu'elle ressentait souvent, parfois même en plein jour, la ramenait cruellement à ce jour où elle s'était vue mourir, privée d'air. Elle nourrissait un vif désir de revanche, et n'avait qu'une hâte : mettre fin à la vie d'Helmet Norvel, pour ne plus jamais voir ce sourire satisfait et méprisant s'étirer sur ses lèvres. Bientôt, songea-t-elle en trempant ses lèvres dans sa coupe de champagne. Pour le moment, il ne servait à rien d'entretenir un pareil sentiment, dans une soirée où rien ne pourrait changer le cours des choses. Alors, elle préféra, avec une pointe d'humour, assurer son soutien à Roy.

« Moi aussi. » renchérit Avalon à la suite de sa réponse. « Quiconque reste avec Toni plus de cinq minutes sait qu’il s’agit d’une expérience particulièrement traumatisante. »

Elle chercha du regard son ami, qui était un peu plus loin dans la salle, en pleine discussion avec une jeune femme à la longue chevelure blonde. En interceptant le regard qu’il portait sur elle, Avalon n’eut aucun doute sur ses intentions, et cette pensée lui tira un sourire amusé. Certaines choses ne changeraient donc jamais, et cette idée lui paraissait plutôt rassurante, alors que sa propre vie venait de prendre un tournant qu’elle ne soupçonnait pas.

Elle allait devenir la « nouvelle Coleman », comme le disait si bien Roy, et cette perspective la réjouissait autant qu’elle l’appréhendait. Elle n’avait pas l’étoffe de devenir Danielle Coleman ; de toute façon, elle doutait que qui que ce soit pouvait prétendre à cela. Elle saurait créer sa propre place, lui avait assuré Danielle lorsqu’elles avaient eu l’occasion de discuter, toutes les deux. Il ne s’agissait pas tant de marcher dans ses pas que de créer son propre chemin, de savoir se fier à ses hommes et à son instinct…

« J’ai déjà installé un lit de camp dans mon bureau. » assura Avalon, son air sérieux seulement contredit par ses yeux pétillants. « Si, bien sûr que j’ai la pression. On parle de Danielle Coleman, tout de même. » Si quelqu’un était bien placé pour comprendre ça, c’était bien Roy : Avalon était persuadée que Coleman lui faisait peur aussi, malgré sa position de pouvoir. « Mais comme c’est elle qui m’a nommé pour prendre sa suite, je me dis que je vais continuer à me fier à ses décisions… Jusqu’à là, ça m’a toujours plutôt bien réussi. » commenta-t-elle avec un sourire en coin.

Et c’était bien cela qui avait contribué à ce qu’elle prenne sereinement ses fonctions. En la nommant directement, Danielle lui avait également conféré une certaine légitimité auprès des autres miliciens ; peu étaient prêts à contester directement ses choix. Et, songeait Avalon, elle saurait forcer le respect auprès des derniers sceptiques. Professionnellement parlant, Avalon était une femme plutôt confiante, qui connaissait ses capacités et ses faiblesses et qui n’avait jamais laissé autrui lui dicter sa valeur.

« Je compte surtout devenir la première Davies. » conclut-elle avec un clin d’œil pour Roy, et cela résumait bien son état d’esprit. « Surtout que. Honnêtement. » Son regard passa rapidement sur la silhouette de Danielle. « Même si j’essayais, je ne pourrais pas faire aussi peur qu’elle. » Il suffisait de comparer leurs expressions faciales pour s’en rendre compte. « Pas le choix, je vais devoir inventer ma propre méthode. »

A nouveau, Roy scellait un partenariat avec son amie, une promesse d’en finir avec celui qui n’était plus seulement son ennemi à lui, mais le leur à tous les deux. Cette fois, ils n’allaient pas rater leur cible, maintenant qu’ils savaient à quoi s’attendre. D’ailleurs le fait que Norvel se cache toujours était bien le signe qu’il les craignait et qu’il savait qu’il risquerait gros en se montrant à découvert. Il avait de quoi craindre, car il s’était attaqué à deux personnes à la tête de groupes puissants. Lui aussi, il avait raté son coup : ce jour-là, au restaurant, ils auraient du disparaître. Dommage pour lui, il n’aurait pas de deuxième chance. Rassuré de trouver Avalon sur la même longueur d’onde que lui, il s’autorisa à glisser vers une conversation plus légère.

« Surtout quand il t’aime bien » ajouta Roy au sujet de Toni, car il ne manquait jamais une occasion de chambrer son ami.

Toni avait effectivement tendance à se montrer un poil envahissant et sans gêne avec ses proches -combien de fois avait t-il vu son anatomie complète sans avoir rien demandé, juste parce que Toni ne connaissait pas le sens du mot pudeur ?- mais c’était aussi ce qui en faisait un personnage haut en couleurs et dont on notait immédiatement l’absence quand il n’était pas là. Il passait son temps à parler fort et à se faire remarquer, ce qui le rendait aussi pénible qu’attachant. Dans le cas d’Avalon, c’était surtout beaucoup d’attachement, Roy ne manqua pas le regard plein d’affection qu’elle lança en direction de Toni, plus loin dans la foule. Pour être honnête, il s’était déjà demandé à plusieurs reprises s’il y avait quelque chose entre eux, car il connaissait Toni et trouvait cela assez incroyable qu’il soit capable d’être aussi proche avec une femme sans avoir envie de la trouver dans son lit. Il fallait croire qu’Avalon Davies était précisément l’exception qui confirmait sa règle.

En tout cas, elle semblait prendre sa promotion avec une assez grande dose d’optimisme, malgré la pression qui reposait inévitablement sur ses épaules. Roy reconnaissait bien là Avalon, assez stable et consciente de ses capacités, une certaine force tranquille quand on y pensait, quelqu’un qui inspirait la confiance, finalement. Derrière sa silhouette filiforme, Avalon était une femme aussi solide qu’une Coleman, il n'en doutait pas.

« La première Davies, hein… Ça sonne bien. Je crois avoir une petite idée de ce qu’est la méthode Davies » dit-il avec un sourire en coin. Il l’avait après tout vu très récemment à l’oeuvre, la manière dont elle avait parfaitement joué la comédie face à Norvel et participé à monter leur stratégie en amont. « On pourrait l’appeler « mille idées machiavéliques derrière un grand sourire aimable ». Ou encore « gueule d’ange mais bon kick du droit ». J’espère que tes interlocuteurs te sous-estimeront, comme ça, ça leur fera doublement mal quand ils se feront enculer. »

Après un bref temps de réflexion, il ajouta, entre deux gorgées de champagne, légèrement plus sérieux, formalisant avec des mots un avis qu’il s’était inconsciemment fait sur elle :

« En fait, ton atout à toi, c’est que tu inspires la confiance. Tu sauras te faire aimer de tes hommes et endormir la méfiance de tes ennemis. »

« Regarde-moi, Roy. » lui intima-t-elle en lui adressant un sourire lumineux. « Evidemment qu’ils vont me sous-estimer et se faire enculer. »

Ca ne serait pas la première fois. Avalon évoluait dans un milieu très masculin, alors on avait eu tendance à ne pas la prendre très au sérieux, elle qui était petite, toute fine, à l’apparence particulièrement chaleureuse. Elle avait su gagner la confiance et le respect de ses collègues parce qu’elle était une excellente baguette et une bonne enquêtrice et qu’elle avait su faire ses preuves sur le terrain. Ses ennemis, en effet, comme le soulignait Roy, avaient tendance à la sous-estimer, à ne pas la prendre au sérieux... Et finissaient par s’en mordre les doigts. Ce serait notamment le cas de Norvel, lorsqu'ils auraient réussi à mettre la main dessus.

« Mais c’est que je pourrais croire que tu ne me connais pas si mal que ça, Roy Calder. » fit-elle en haussant les sourcils, l’air vaguement impressionnée.

Elle inspirait la confiance, en effet, et sa présence était naturellement rassurante, quand celle de Danielle, par exemple, avait don de mettre les autres particulièrement mal à l’aise. Elle en avait fait une force, parce qu’elle était dotée d’un caractère bien trempé – le même qui faisait d’elle une très mauvaise perdante, une très mauvaise joueuse et une très mauvaise gagnante.

« Ton atout à toi, c’est que tu es capable d'inspirer aussi bien la sympathie que la peur. » reprit Avalon, et c’était une qualité rare chez une même personne. « Même si je pense que les gens qui ont peur de toi ne t’ont jamais vu te ridiculiser au billard, ou alors ils changeraient très rapidement d’avis. » ajouta-t-elle avec un sourire provocant.

Il la regardait. Il ne l’avait probablement jamais aussi bien regardée que jusqu’à ce soir, d’ailleurs, mais pouvait-on l’en blâmer ? Avalon changeait sous ses yeux et ce n’était pas seulement l’effet de cette belle robe. Elle progressait dans les échelons, accédait à un haut poste de pouvoir, révélant à tous un potentiel insoupçonné que Danielle avait décelé chez elle. Elle faisait preuve d’un courage dont Roy n’avait jusque là pas totalement mesuré l’ampleur chez elle, en se présentant aussi rayonnante que d’habitude alors qu’elle avait frôlé la mort quelques jours plus tôt. Il y avait des épreuves qui pouvaient changer la relation entre deux personnes qui la traversaient ensemble, peut-être était-ce le cas de celle qu’il avait vécue tous les deux, dans cette sombre salle de restaurant. Avalon se révélait à ses yeux sous un éclairage légèrement différent que d’habitude, les choses avaient changé, imperceptiblement, mais Roy ne posait pas encore vraiment des mots dessus. Pour le moment, il la regardait, comme elle le lui demandait, ou plutôt, il la cherchait. Tel un observateur curieux, il l’étudiait et faisait part de ses réflexions à son sujet. Son commentaire le fit sourire, alors qu’il ancrait son regard dans le sien et glissait avec ce ton provoquant, familier chez lui :

« Toujours surprise que je sache bien cerner les gens, même après toutes ces années ? »

Et pourtant, il n’avait pas forcément vu venir ce qu’il commençait à voir chez Avalon. Elle-même décida de se livrer à sa petite analyse de son côté, une analyse qui fit briller une lueur d’amusement dans le regard de Roy. Ainsi donc, il inspirait la sympathie autant que la peur… Il aimait assez l’image que cela renvoyait de lui, si tant est qu’elle partait du principe qu’il savait bien jongler entre les deux attitudes, selon les circonstances. Son commentaire sur le billard lui tira un haussement de sourcil légèrement indigné et un rire à la fois, alors qu’il répliquait :

« S’il y a un truc qui me choque toujours chez toi après toutes ces années, Av’, c’est à quel point tu es une mauvaise perdante pleine de mauvaise foi. C’est parce que je t’ai rétamée au billard à plusieurs reprises que tu m’attaques là-dessus ? Je suis prêt à te laisser ta revanche quand tu veux, tu sais, même ce soir. Mais bon, fit-il avec un haussement d’épaules fataliste, Danielle m’en voudrait si je te kidnappais dans le casino alors qu’on t’attend ici pour un discours… »

« Toujours. » répéta-t-elle en l’observant attentivement, un léger sourire accroché aux lèvres.

Roy et elle se connaissaient effectivement depuis une dizaine d’années mais elle avait véritablement eu l’occasion de le découvrir récemment, lorsqu’il lui avait demandé de l’aide pour piéger son ennemi. Les évènements, profondément traumatisants, où ils avaient tous les deux frôlés la mort, avaient sûrement contribué à les rapprocher, mais Avalon le constatait particulièrement ce soir.

Sa remarque sur sa récente défaite au billard lui tira une expression indignée.

« C’est ce qui fait tout mon charme. » rétorqua-t-elle avec insolence, avant d’ajouter avec une lueur de défi au fond des yeux : « Tu ne m’as jamais rétamé au billard, soyons clair. Si j’ai perdu la dernière fois, c’est uniquement parce que tu as eu de la chance. Ou, pour ce que j’en sais, que tu as triché. »

Avalon observa brièvement les alentours et aperçut Danielle, toujours plongée dans sa conversation. Son regard s’arrêta brièvement sur une horloge, suspendue au-dessus d’une porte, qui indiquait vingt-deux heures moins cinq. Elle devait prendre la parole juste après Danielle, vers vingt-trois heures quinze. Elle ne devait dire que quelques mots, qu’elle avait rédigé la veille et dont elle conservait une trace écrite dans son minuscule sac à main assorti à sa robe ; c’était Danielle qui prononcerait la majorité du discours.

La proposition de Roy était alléchante – et pas seulement parce qu’il avait titillé son esprit de compétition. Elle avait envie de poursuivre leur échange ; bien plus qu’elle n’avait envie de serrer encore une dizaine de mains et de répondre inlassablement aux mêmes questions – elle aurait tout le reste de la soirée pour ça.

« Je dois être revenue ici dans une heure, grand maximum. C’est largement suffisant pour t’écraser au billard, et savourer ma victoire. » lança Avalon, très sûre d’elle.

Elle esquissa un sourire pour son ami, accrochant son regard dans l’attente qu’il accepte cette petite revanche. Fuir cette réception pendant une petite heure, comme une petite parenthèse, lui paraissait être une excellente idée. La majorité des soirées auxquelles se rendaient Avalon étaient bien moins sophistiquées que celle-ci. Et, si elle parvenait à s’adapter rapidement à toutes les situations, elle ne pouvait nier ne pas être complètement dans son élément ici.

« Pardon » ajouta-t-elle, pour achever de le convaincre, « je ne voudrais pas ruiner ta soirée avec ma victoire. »

Elle était à peu près certaine que Roy résistait aussi peu qu’elle à ce genre de provocation.

« Crois-moi, ce n’est pas ta médiocrité au billard qui fait ton charme, Av’. » C’est autre chose, songea t-il sans le dire, préférant rebondir sur les autres manifestations de sa mauvaise foi. « Oh la la. La chance et la triche, vraiment ? Je t’ai connu plus imaginative dans tes excuses pour justifier tes défaites. »

Dans ce domaine, Avalon excellait particulièrement, il fallait l’avouer, ce qui lui permettait quelque part de perdre avec panache, en réussissant à faire rire toute son assistance avec ses explications totalement tirées par les cheveux. Roy avait fait cette proposition de revanche sans l’envisager, sur le coup, simplement pour répondre à sa provocation, mais maintenant, l’idée commençait à s’installer dans son esprit et il comprit à la façon dont Avalon regardait l’heure qu’il en était de même pour elle. Son sourire en coin s’étendit en croisant la lueur de provocation qui brillait dans le regard de la jeune femme. Roy avait moins d’impératifs qu’elle en ce qui concernait cette soirée, ce n’était pas lui qui montait sur l’estrade tout à l’heure pour faire un discours, donc il ne se fit pas prier pour se laisser entraîner :

« Tu fanfaronnes tellement que ça me donne envie de te rappeler qui est le patron, ici. Allez, viens. »

Il effleura son poignet, l’attirant vers le chemin le plus court pour leur destination. Roy leur frayait le passage, ce qui leur permit de pouvoir avancer sans qu’Avalon ne se fasse trop remarquer et arrêter par tous les invités qui auraient aimé la saluer. Plutôt que de traverser le hall -qui devait être agité à cette heure- il les fit passer par des pièces intermédiaires de service, jusqu’à arriver dans le fond de la grande salle du casino. Là, il poussa l’une des portes vers le fumoir privé, où seuls quelques habitués pouvaient pénétrer. Il y trouva trois de ses hommes assis sur les canapés du fond, un verre d’alcool dans la main, occupés autour d’une partie de cartes.

« Boss, salua l’un d’entre eux, en hochant la tête.
-Reggie, sers-nous un whisky, tu veux ? Mademoiselle a une revanche au billard à prendre sur moi, alors je lui offre son verre à l’avance en guise de consolation » glissa t-il en tournant un sourire moqueur vers Avalon.

D’un coup de baguette magique, Roy réinitialisa la partie et toutes les boules se retrouvèrent au centre. Ils possédaient plusieurs jeux de boules, en l’occurrence celui qui était sur la table était l’un des plus plébiscités par la clientèle : les cadres du Ministère. Plusieurs boules magiques à l’effigie des chefs de département, avec Leopold au centre, commençaient à s’agiter en couinant. Debout derrière Avalon, Roy se pencha légèrement par-dessus son épaule et fit un constat qui le fit sourire.

« Tiens, il n’y a pas encore ta tête sur ces boules. Il va falloir corriger ça. » Tendant l’une des queues à Avalon, il ajouta : « Honneur aux dames. »

« Si j’avais eu besoin d’être « le patron » à chaque fois que j’ai rétamé au billard, je posséderais les trois quarts de ton casino aujourd’hui. » fit remarquer Avalon avec un sourire en coin narquois.

Elle suivit Roy à travers la foule et quitta la salle de réception sans trop de difficulté. Ils traversèrent les Folies Sorcières en passant par des pièces de service dans lesquelles elle ne se rendait jamais, avant de déboucher sur la salle du casino, qui lui était bien plus familière. Elle pénétra dans l’un des fumoirs privés à la suite de Roy, avisa les trois hommes qui jouaient aux cartes, avant de tourner un regard parfaitement offusqué vers Roy.

« En guise de consolation, ou parce que tu es plus serein de jouer avec moi si j’ai un peu bu et que je suis moins en état de gagner ? » demanda-t-elle en haussant un sourcil, trahie par le léger sourire qu’elle abordait.

Elle observa la partie se mettre en place, étouffant un rire lorsque les boules des différents cadres du ministère lâchèrent un petit cri de protestation quand elles furent rassemblées au milieu.

« Oh non. » réagit-elle à la remarque de Roy. « Avoir ma tête sur l’une de ses boules ce serait une source de plaisanterie sans fin pour toi. » Elle secoua la tête. « Je refuse de te faciliter la tâche pour te moquer de moi. » Elle attrapa la queue qu’il lui tendait, effleurant par mégarde sa main au passage.

Avalon observa le triangle un instant, positionna la queue du billard et se pencha sur la table pour aligner sa vision. Elle resta immobile deux secondes, le temps de se stabiliser, et frappa d’un coup sec la boule blanche où était frappé l’emblème du ministère, qui alla percuter le triangle, éparpillant les boules sur la table. L’une d’elle roula jusqu’à une poche dans laquelle elle tomba – c’était l’une des conditions pour que sa « casse » soit valide – et Avalon observa le jeu, les sourcils froncés par la concentration. « Violet. » annonça-t-elle après un temps de réflexion. Les boules étaient violettes ou pourpres, et le premier jour devait sélectionner sa couleur, laissant à l’autre celle restante. Elle poursuivit son tour avec un second coup, lui permettant de dégager l’une de ses boules, avant de se redresser.

« A toi. » lança-t-elle à Roy. Elle revint à côté de son ami pour s’emparer du verre de Whisky qui avait été amené pendant son tour, et s’appuya face à lui contre le bord de la table, les yeux rivés sur Roy. « Montre-moi donc qui est « le patron », que je rigole un peu. »

« Dis donc, je te trouve un peu gourmande pour quelqu’un qui a eu genre trois victoires face à moi, contre soixante-douze défaites. »

Ils n’avaient pas tenu de compte précis mais Roy était certain que c’était dans ces eaux-là et ce n’était pas du tout son côté fanfaron qui parlait, voyons. La maison gagnait toujours, tel était l’adage des casinos. Avalon ne pouvait pas espérer l’écraser sur son propre terrain, alors qu’il passait la majeure partie de son temps dans son établissement et qu’il avait eu tout le temps de se perfectionner sur les jeux. Mais la milicienne n’était pas connue pour sa capacité à reconnaître ses défaites, loin de là, elle était très douée pour revisiter toute l’histoire et faire preuve d’une provocation toute insolente qui plaisait à Roy. Il posa un regard amusé sur elle, un sourire railleur aux lèvres.

« Je me suis servi un verre aussi, je te signale, alors ne songe même pas à utiliser l’excuse de l’alcool pour te dédouaner quand tu perdras. » D’ailleurs, il prit sa première gorgée, en regardant Avalon entamer le jeu, alors qu'une part de lui notait plus ou moins consciemment la façon dont elle effleura sa main. « Désolé de te l’annoncer aussi brutalement, ma belle, mais ce n’est pas toi qui décide quelle tête s’affiche sur mes boules. »

Evidemment qu’il allait faire en sorte que celle d’Avalon s’affiche bientôt dans le jeu ensorcelé, aussitôt qu’elle serait officiellement promue, tiens, à la fin de cette soirée. Sans surprise, elle choisit la couleur fétiche de la Milice quand Roy put conserver la couleur phare des Folies Sorcières. Quand ce fut son tour de jouer, il tourna autour du billard, le regard fixé sur le jeu, jusqu’à se positionner à l’endroit le plus propice. D’un coup millimétré et sec, il tapa dans un groupe de boules et deux d’entre elles, pourpres, roulèrent jusqu’à deux poches juxtaposées, tombant dans un son qui procura beaucoup de satisfaction à Roy. Tout en marchant pour aller se repositionner de nouveau, il ne put s’empêcher de passer juste derrière elle et la narguer d’un murmure par-dessus son épaule :

« Tu disais ? »

Son coup suivant ne lui permit pas d’empocher une nouvelle bille et il laissa volontiers son tour à Avalon, son regard plein de défi posé sur elle.

« Si tu ratais un coup comme celui-ci, » rétorqua Avalon en sentant la présence de Roy dans son dos, « j’aurais sérieusement considéré l’idée de ne plus jamais te fréquenter. »

Elle observa son coup suivant avant de reprendre la main, examinant attentivement le placement des différentes boules pour trouver le meilleur angle de frappe. Elle longea la table, le regard rivé sur le jeu, et finit par s’arrêter dans un angle. Elle percuta avec précision une boule violette qui alla se loger dans une poche à l’extrémité opposée et prépara son coup suivant en en délogeant une, coincée contre la bande droite.

Elle revint à sa place initiale, récupérant son verre de whisky qu’elle avait posé sur un plateau avant de jouer, et en prit une longue gorgée.

« Tu vois, au fond, tu fais comme mes ennemis. Tu me sous-estimes. » railla-t-elle avec un sourire. « Et je ne suis pas certaine que le dernier à avoir fait ça reste en vie très longtemps pour en parler. »

Elle avait toujours apprécié ces petites joutes verbales qu’elle partageait avec Roy, bien différentes de celles qui l’opposaient à Toni – il s’agissait davantage de cris de protestation indignés, tous emprunts d’une bonne dose de mauvaise foi.  

Elle reposa son verre là où elle avait pris, se penchant vers Roy pour atteindre le socle fixé dans le mur, et posa sur lui un regard amusé et provocateur. « Moi, ce qui me surprend toujours, même après toutes ces années, c’est que ton ego continue inlassablement à grossir. »

« Carrément ! Si j’étais aussi impitoyable avec toi, ça ferait longtemps que je ne te parlerais plus » répliqua Roy en la suivant du regard.

Il observa avec attention les mouvements que fit Avalon pour accomplir son coup suivant, penchée sur la table, le visage à moitié masqué par le long rideau de ses cheveux bruns rejetés sur son épaule droite, avec, bien en évidence, le décolleté audacieux de sa robe perlée… ses mains, bien sûr, ses mains étaient en évidence, posées sur la table et dirigeaient son tir. Elle remporta une bille et ne put s’empêcher de fanfaronner à ce sujet d’une manière qui fit sourire le mafieux.

« Ouh, j’ai peur. »

Son petit jeu de provocation avec Avalon lui procurait toujours un certain divertissement mais il sentait que cette fois, l’atmosphère était légèrement différente. Il ne savait pas exactement à quoi cela tenait, sûrement leur ton, plus grave, plus bas, la manière dont ils laissaient traîner les regards qu’ils se jetaient en coin, le parfum qu’elle laissait derrière elle en passant à ses côtés, ou peut-être -sûrement- cette vue imprenable sur sa poitrine qu’elle lui offrait en se penchant vers lui… Bien, il avait chaud. Il retira sa veste de smoking qu’il posa soigneusement sur un des sièges libres derrière eux, puis revint vers le jeu, en remontant sur ses avant-bras les manches de sa chemise. Sa queue en main, il se pencha sur la table, son regard concentré fixé sur ses boules :

« Tu parles trop, Avalon, passons aux choses sérieuses. »

Entre de multiples provocations et regards échangés, ils avancèrent dans leur partie, sans manquer de surveiller l’heure pour ne pas faire rater à Avalon le moment de son discours. Roy eut la sensation que le temps filait comme un éclair et pourtant ils passèrent bien une quarantaine de minutes dans ce fumoir privé. Mais bientôt, la partie toucha à sa fin, avec une conclusion qui tira un grand sourire à Roy. Il s’appuya contre le rebord du billard en posant ses mains dessus, juste à côté d’Avalon qu’il contemplait avec une insupportable satisfaction.

« Hum, j’ai fait une erreur. J’aurais du parier quelque chose avec toi, avant de jouer. »

L’atmosphère, dans le fumoir, avait changée. Les regards entre Avalon et Roy s’étaient faits plus fréquents, plus longs, tantôt moqueurs tantôt provocateurs. Les petites piques qu’ils se lançaient n’était plus tout à fait innocentes, pas plus que l’était le regard d’Avalon lorsque Roy retira sa veste pour la poser un peu plus loin.

« Elles ne le sont pas déjà ? » rétorqua-t-elle avec un sourire railleur en reposant son attention sur la table.

Les jeux reprirent ; à la fois le billard – qu’elle était étonnement en train de perdre – et celui qui les amenait à échanger nombreux regards appuyés entre deux provocations bien senties dont ils avaient le secret. Cela dura une quarantaine de minutes, pendant lesquelles la température de la pièce augmenta encore d’un cran, ce qu’ils prétendirent tous les deux ignorer.

La partie finit cependant par toucher à sa fin, laissant un goût amer à Avalon. Elle n’aimait pas perdre – non, pardon, elle détestait ça, d’autant plus quand c’était Roy Calder qui gagnait en face d’elle, et qu’il affichait ce petit sourire supérieur insupportable. Elle fixait avec obstination sa dernière boule violette, collée contre une bande de la table, qu’elle n’avait pas réussi à faire entrer dans une poche, l’air profondément contrariée. Bientôt, un léger sourire vint étirer ses lèvres, alors qu’elle tournait la tête vers Roy, appuyé contre le rebord du billard, juste à côté d’elle.

« Je n’étais pas dans les conditions nécessaires pour gagner aussi. » Avalon aurait pu être sacrée reine de la mauvaise foi si un tel titre existait. « Je suis plus grande de d’habitude, ça a perturbé mes repères spatiaux. » avança-t-elle, l’air très sûre d’elle, et sur un ton qui ne souffrait pas de la moindre contradiction.

De toute façon, quoiqu’on puisse lui avancer comme théorie réfutant la sienne, Avalon resterait persuadée de la véracité de ses propos. C’était exactement ce qui était particulièrement merveilleux : elle ne perdait jamais totalement.

« Ma technique constituant à choisir une robe avec le décolleté le plus plongeant que je pouvais trouver pour déstabiliser mes adversaires et m’assurer la victoire ayant échouée, je prendrai ma véritable revanche sur toi selon mes propres conditions. » Elle lui décrocha un clin d’œil avant d’observer l’heure sur une pendule ; ils ne devraient pas tarder à remonter dans la salle principale.

La figure pincée d’Avalon, qui était en train de digérer sa défaite, satisfaisait hautement Roy. Il adorait le sentiment de gagner sur un adversaire, vraiment, il vivait pour ce délicieux sentiment de puissance. Il savait qu’Avalon détestait perdre, au moins autant qu’il n’aimait gagner, et que son premier réflexe dans ces cas-là était toujours le même : minimiser sa défaite en trouvant des excuses. Une attitude d’une mauvaise foi absolue, qui aurait pu être pénible si Avalon ne le faisait pas avec un humour et une absurdité remarquables. Un véritable éclat de rire s’échappa de Roy en l’écoutant fustiger la hauteur de ses talons.

« Alors ça ! On ne me l’avait jamais sortie, celle-là. Tu as perdu cette partie, Avalon, mais tu as clairement gagné la couronne de la mauvaise foi, félicitations à toi. »

Son regard pétillant croisa celui de la jeune femme alors qu’il décelait une pointe de séduction dans les paroles et le clin d’oeil qu’elle lui adressa. Charmé, mais refusant totalement de l’admettre, Roy répliqua, un sourire aux lèvres :

« Dommage pour toi, il en faut plus pour me déstabiliser. » Il se dirigea vers le siège où il avait laissé sa veste, qu’il enfila après avoir remis correctement ses manches. « Ta deuxième revanche, insista t-il, ne sera pas pour tout de suite, je crois que tu as quelques invités à aller éblouir de ton décolleté plongeant. »

Et de son discours inspirant, surtout. Roy entraîna Avalon sur le même chemin qu’ils avaient emprunté pour venir jusqu’ici et se surprit à ressentir une pointe de regret en la voyant s’échapper vers ses responsabilités, auprès de ses collègues du Ministère. C’était bien, finalement, ce petit moment juste entre eux deux, loin de l’agitation, et pas seulement pour le plaisir de la victoire qu’il avait remportée…

Avalon ne répondit pas à l’attaque de Roy – parce que selon sa théorie savamment travaillé avec le temps, il ne valait mieux pas s’enfoncer dans une excuse peu solide dans laquelle on risquait de s’empêtrer et il était alors plus sage de se draper dans sa dignité perdue. Ce qu’elle fit donc, en envoyant un regard indigné à Roy, avant de dériver sur un sujet bien plus léger.

Elle avait capté certains de ses regards et fut d’autant plus amusée de sa réplique qui était d’une mauvaise foi évidente – mais elle gardait volontiers sa couronne, merci pour elle. Elle l’observa remettre sa veste sur ses épaules et hocha la tête à ses paroles après un regard rapide vers à la pendule qui indiquait l’heure.

« Tu as raison et je m’en voudrais de les faire attendre. » fit-elle sourire charmant. « Allons-y, je préfère oublier ce qu’il vient de se passer dans ce fumoir, de toute façon. » ajouta-t-elle avec un regard outré vers cette table de billard qui avait vu sa défaite.

Peut-être pas oublier l’intégralité de ce moment, songea-t-elle avec un dernier sourire pour Roy, avant de s’éloigner pour saluer poliment deux cadres du ministère qui entreprirent de la féliciter pour sa récente promotion. Bientôt, elle retrouva Danielle et monta à sa suite sur l’estrade installée pour l’occasion, accompagnée de Galahad Throne. Elle écouta d’une oreille attentive les quelques mots de sa supérieure, ne pouvant s’empêcher de sourire aux quelques piques bien senties qu’elle percevait dans ses propos. Danielle les présenta, tous les deux, comme ses dignes successeurs et ils prirent la parole à tour de rôle. Avalon revint brièvement sur son parcours au sein du ministère de la magie, sur les responsabilités qu’on lui avait confiées lorsqu’elle était devenue lieutenante, sur la confiance que Danielle avait placé en elle. Son discours lui attira la sympathie de son auditoire – Avalon avait toujours été très à l’aise pour s’exprimer en public et captiver l’attention de ceux qui l’écoutaient.

Ils quittèrent tous les trois l’estrade sous des applaudissements polis, et après avoir échangé quelques paroles avec eux, Avalon fut de nouveau alpaguée par trois avocats qu’elle connaissait plus ou moins. Les heures suivantes passèrent rapidement ; il fut d’abord question de salutations en tout genre, pendant lesquelles elle parvint à passer dix minutes avec Toni à rire sous cape comme les enfants qu’ils étaient d’un sorcier qui mettait à sa disposition tous les moyens possibles pour attirer le regard d’une jolie rousse qui ne le remarquait pas du tout. Puis l’ambiance de la salle changea et devint moins stricte. Une grande piste de danse fut aménagée au milieu, et les tables repoussées sur les côtés de la pièce. Avalon se sentit finalement un peu plus libre ; il fallait dire qu’elle avait dû accorder au minimum cinq minutes à chaque personne présente dans cette salle, alors elle se sentait moins sollicitée.

Après un dernier sourire à un couple âgé qui quittait les lieux, la jeune femme se dirigea vers le bar où attrapa une coupe de champagne qu’elle porta à ses lèvres. Son regard balaya la foule et s’arrêta sur Roy, un peu plus loin. Elle se dirigea vers lui, un sourire aux lèvres.

« Je pense que mon discours va inspirer des futures générations de miliciens. » fanfaronna-t-elle en arrivant à ses côtés.

Ils bavardèrent quelques instants au bord de la piste de danse, jusqu’à ce qu’une musique latine qui lui était étrangement familière. Elle tourna un regard intéressé vers Roy, prise d’une impulsion subite :

« Tu danses la salsa ? » Elle avait déjà assisté, de loin, à ses talents de danseur ces dernières années. Lorsqu’il répondit par la positive elle désigna la piste du menton avec un petit sourire en coin.

« Moi aussi. Ca te tente ? »

Elle avait pris des cours de salsa avec Isobel quelques années auparavant mais elle se souvenait relativement bien des mouvements qui avaient été assez simples à assimiler. C’était d’ailleurs bien la seule danse qu’elle ait appris de manière aussi studieuse – un jour Toni avait essayé de la faire valser et elle avait passé son temps à lui écraser les pieds. Chacun ses faiblesses.

La soirée prit des tournures plus protocolaires que le moment un peu hors du temps que Roy venait de passer avec Avalon, dans ce fumoir privé, à l’écart. Le discours à la fois sérieux et incisif de Danielle sur l’estrade marqua les esprits et se conclut par des applaudissements qui traduisaient à la fois le respect pour l’éminente chef de la Milice qu’elle avait été et l’attente de ce qu’elle allait devenir à la tête de la Justice Magique. Elle avait donné quelques éléments qui allaient sans aucun doute faire les gros titres de la Gazette dès le lendemain : la division de la Milice en deux unités, le nouvel accent mis sur une activité de renseignement et d’espionnage qui leur permettrait de traquer les terroristes plus efficacement.

Puis survint l’un des moments les plus attendus de la soirée, auquel Roy fut tout aussi attentif, si ce n’était plus, avec la prise de parole des deux nouveaux chefs de la Milice. Avalon fut fidèle à elle-même, lumineuse, sincère, mais sans naïveté : elle sut trouver le bon équilibre entre sa bonne humeur communicative et une précision dans ses paroles qui montraient qu’elle savait de quoi elle parlait. Roy, tout comme ses trois acolytes de toujours en la personne de Jayce, Toni et Fergus qui s’étaient rassemblés à ses côtés, écoutèrent avec soin le discours d’Avalon, pas seulement pour soutenir celle qui était leur amie mais également pour analyser tout ce que cela changeait dans les rapports entre la Milice et les Veilleurs. Le gang bristolien avait déjà l’habitude de fournir des informations sur le territoire qu’ils occupaient et sur les gens qui y habitaient. Nul doute que dans les prochains mois, cette activité allait redoubler d’intensité, afin d’aider Avalon à accomplir ce tournant dont elle était chargée.

Bientôt, les sourires revinrent sur les visages, les poignées de main et les discussions allèrent bon train. Cette soirée était l’occasion parfaite pour réaffirmer les liens entre les Veilleurs et le Ministère, aussi Roy prit le temps de s’atteler à cette tâche, en allant discuter avec quelques chefs de département et miliciens qui se trouvaient sur sa route. Il était revenu auprès de Jayce pour faire le point sur les divers échanges qu’ils venaient d’avoir chacun de leur côté, quand la voix d’Avalon les interrompit. Tous deux affichèrent un sourire en retour et Jayce fut le premier à complimenter la jeune femme :

« C’était un beau discours, bravo, tu as géré.
-En effet, pas un seul bégaiement, félicitations » ajouta Roy, volontiers plus moqueur.

Ils prirent le temps de revenir ensemble sur ce moment de la soirée, sur un ton plus léger que le discours en lui-même, puis Jayce finit par s’éclipser vers d’autres invités. A nouveau, Roy se trouva seul avec Avalon, pas isolé comme ils avaient pu l’être dans le fumoir, mais néanmoins en tête-à-tête, avec cette dynamique taquine et fluide entre eux.

« Tu danses la salsa ? » lui demanda t-elle sans prévenir, spontanément.

Légèrement surpris, car Roy avait bien plus l’habitude d’inviter des femmes à danser que l’inverse, il retrouva toutefois bien vite son sourire en coin, car il voyait très bien où Avalon voulait en venir.

« Tu parles à Roy Calder. Bien sûr que je danse la salsa. »

Il ne serait pas un digne fils de ses ancêtres, ou plutôt, un coureur de jupons digne de ce nom, autrement. Roy n’avait jamais été attiré par le Quidditch, alors que cela aurait pu lui apporter une certaine popularité auprès de la gente féminine -environ le seul intérêt qu'il voyait dans ce sport. Il avait donc trouvé d’autres domaines où s’investir pour augmenter sa cote et la danse en faisait partie. Il n’y avait pas photo, il se mouvait bien mieux et se sentait bien plus à l'aise et dans son élément sur une piste de discothèque que sur un balai volant dans les airs. Il aimait la proposition d’Avalon et surtout, il aimait le sourire qu’elle affichait en le faisant, alors il répondit sans hésiter, en tendant sa main vers elle.

« Allez. »

Des rires commençaient à résonner autour d’eux dans la grande salle de réception, car ce genre de musique avait le pouvoir de dérider même les soixantenaires les plus coincés du Ministère. La bonne humeur et l’énergie que cette danse procurait était exactement la raison pour laquelle Roy l’appréciait. Ça, et la proximité de choix qu’elle permettait avec une partenaire, bien sûr.  

Petit à petit, les deux amis s’appréhendèrent mutuellement et calèrent leurs pas l’un sur l’autre. Au rythme de la musique entraînante, les mains de Roy attrapèrent plusieurs fois celles d’Avalon avant de se détacher, tandis qu’ils se tournaient autour et se repoussaient inlassablement. Ces allées et venues l’un vers l’autre les rapprochaient brusquement, torse contre torse et yeux dans les yeux, puis, au moment où Roy la faisait tournoyer, Avalon lui échappait de nouveau. Cette danse leur allait bien à tous les deux, s’aperçut t-il au bout de quelques minutes. Elle se tissait de moments d’indépendance où ils laissaient leurs caractères impétueux se défier mutuellement puis soudain, un même élan les réunissaient et ils ne pouvaient pas se sentir plus proches l’un de l’autre.

Roy se rendit compte à quel point cette danse énergique et sensuelle était exactement ce qu'il lui fallait, alors il s'y investit sans compter. Il avait désespérément besoin de se sentir en vie après avoir manqué de rendre son dernier souffle et il sentait cette même énergie et volonté d'aller de l'avant chez sa partenaire de danse. Le sourire sur les lèvres du mafieux s’agrandissait un peu plus alors qu’il découvrait une complicité qu’il n’avait jamais explorée jusque là avec la milicienne. Plus ils dansaient, plus les moments où ils se retrouvaient enlacés l’un à l’autre, et non plus chacun de leur côté, se firent plus longs, sans même qu’il ne s’en rende compte…

Avalon n'était pas de nature timide - d'ailleurs, s'il y avait bien mot du dictionnaire qui ne pouvait pas s'appliquer à elle, il s'agirait sans doute de celui-ci. Aussi, ce fut tout naturellement qu'elle invita Roy à danser, autant attirée par l'envie de se joindre à cette foule virevoltante que celle de prolonger, un peu, ce moment qu'ils avaient partagé quelques heures plus tôt.

La jeune femme saisit la main de son ami et se laissa entraîner sur la piste, qui avait été envahie par de nombreux couples joyeux, attirés par la musique dynamique qui était diffusée par plusieurs enceintes magiques de chez Vargas. Avalon offrit un sourire à Roy avant de se mettre en place, face à lui.

Elle avait appris à danser la salsa quelques années auparavant, dans un cours de danse auquel elle se rendait chaque semaine avec Isobel. C'était une danse qui lui avait immédiatement plu parce qu'elle se retrouvait dans ces mouvements tantôt généreux, tantôt sensuels, dans ce dynamisme, dans ce jeu qui s'instaurait avec son partenaire.

Avalon tournoyait autour de Roy, insaisissable, comme une présence fugace qui ne restait jamais en place. Puis, elle glissait une main sur son épaule, il posait la sienne sur sa taille, et leurs corps se rapprochaient l'un de l'autre, dans la recherche d'une proximité dont ni l'un ni l'autre n'avait véritablement conscience. Et cela recommençait, encore et encore. Bientôt, ils cessèrent de se fuir pour se retrouver, enlacés, leurs corps se mouvant dans un même rythme. Cette proximité avec Roy n'était pas habituelle, elle devait même avouer qu'elle était particulièrement surprenante, et pourtant la complicité naissante dans leurs regards était bien réelle. Ces petits gestes taquins, qu'ils avaient eu l'un envers l'autre en début de soirée semblaient prendre une signification toute nouvelle au rythme de cette musique.

Cette dernière touchait d'ailleurs à sa fin, cela de sentait aux notes qui s'étiraient et au rythme qui ralentissait peu à peu. Avalon avait posé sa main sur l'épaule de Roy, sans pouvoir s'empêcher de noter sa musculature sous le tissu de sa chemise. Sur la dernière note, elle bascula en arrière, soutenue par la main de Roy dans son dos. Un large sourire s'étira sur ses lèvres alors qu'elle se redressait et faisait face à son ami.

"Tu ne te débrouilles pas trop mal." concéda Avalon avec un regard un peu amusé, se refusant à poser d'autres mots sur ce moment, un peu hors du temps, qu'ils venaient de vivre ensemble.

Alors que la musique s’acheminait vers sa fin, sur d’énergiques notes de trompette et de maracasse, Roy sentit suffisamment d’aisance et de fluidité avec sa partenaire de danse pour tenter une figure finale un peu plus audacieuse. Il n’eut pas besoin de parler pour qu’Avalon comprenne les impulsions de ses mains et se laisse basculer en arrière, avec toute sa grâce et sa sensualité qui se révélait aux yeux de Roy. Le sentiment d’une délicieuse surprise le faisait toujours sourire face à Avalon, qui semblait faire le même constat que lui.

« Tu es radine en compliments » répliqua Roy, alors que sa légendaire suffisance s’exprimait : « Je dirais plutôt qu’on a tué cette piste. »

En tout cas, ces quelques minutes de danse avec elle avaient été très divertissantes, et surtout, étonnamment agréables. Ses mains toujours posées sur le creux de ses hanches, tandis que celles d’Avalon reposaient sur ses épaules, le regard qu’ils échangeaient commençait à traîner en longueur. Au moment où Roy allait reprendre la parole, il se fit devancer par la silhouette carrée de Toni qui apparut entre eux, aussi envahissant qu’à son habitude :

« Jé té la pique, lança t-il, en posant ses mains sur les épaules d’Avalon. Jé n’ai pas encore eu ma danse avec la star dé la soirée, ça né va pas, ça ! »

Les deux meilleurs amis s’éloignèrent en riant et se mirent à bouger sur la piste avec une exubérance qui leur allait très bien à tous les deux, offrant un divertissement de choix pour qui les regardait. Roy fut ce spectacteur, l’espace d’une minute, s’amusant de les voir exécuter des pas tout à fait improbables dans une grande complicité, avec une pointe d’un autre sentiment plus piquant, moins agréable, qu’il ne chercha pas à identifier. Puisqu’il n’avait plus le plaisir de la compagnie d’Avalon, il préféra vaquer à d’autres occupations, jouer son rôle d’hôte en profitant de ses invités et en s’assurant qu’ils ne manquaient de rien. La soirée suivit son cours, selon les chemins prévus, sous la surveillance de Roy mais également celle de Mildred, qui n’avait pas lésiné sur les moyens de divertir leurs invités puisqu’elle offrit une représentation de ses danseuses au milieu de la soirée et Roy savait qu’elle avait prévu de la conclure par une explosion de feux d’artifices sur la terrasse.

Même dans l’obscurité de la salle de réception, une part inconsciente de Roy se montrait attentive à la présence de la toute jeune chef de la Milice, sans même qu’il ne se rende compte. Comme si une force les poussaient à se chercher l’un l’autre à travers la foule, leurs chemins se croisèrent, plusieurs fois. La soirée était bien avancée quand Avalon se trouva de nouveau dans ses bras, pour une autre danse, beaucoup plus lente et policée que celle qu’ils avaient partagée, cette fois-ci à son initiative. La musique qui guidait leurs pas faisait partie du répertoire fétiche des Folies Sorcières, c’était toute la grâce et l’élégance du cabaret qui se révélait à travers elle. Après quelques danses débridées, l’atmosphère avait subtilement changé, plongeant les invités dans une quiétude bienvenue, après le généreux buffet qui leur avait été servi.

« Quelque chose m’échappe, Av’. »

Roy tournoyait avec elle depuis quelques minutes maintenant, une main sur sa hanche et l’autre nouée à la sienne. Son regard chercha le sien, alors que ses lèvres s’étiraient en un sourire dont on n’aurait trop su dire s’il était charmeur ou moqueur.

« Tout à l’heure, tu dansais très bien et maintenant, tu ne fais que m’écraser les pieds. Est-ce que je te trouble à ce point ? »

"Ok, nous avons été incroyables" concéda Avalon en riant, gardant sa main posée sur l'épaule de Roy alors que la sienne était logée au creux de sa taille.

Elle échangea avec lui un regard qui s'étira en longueur, et se retrouvait, une fois qui n'était pas coutume, dépourvue de mots. Ce furent les mains de Toni qui s'emparèrent de ses épaules qui la firent reprendre brusquement conscience de la réalité. Elle se laissa entraîner à sa suite sans opposer de résistance, adressant un dernier sourire à Roy avant de disparaitre parmi les danseurs. Elle attrapa les mains de Toni dans les siennes et se laissa plus ou moins guider dans une danse qui ressemblait plus ou moins à un rock endiablé. La carrure impressionnante de son ami, par rapport à la sienne, faisait qu'il n'avait aucun mal à lui imposer les mouvements qu'il voulait exécuter et qu'elle suivait donc tant bien que mal.

Ils sortirent de cette danse aussi essoufflés qu'hilares et se dirigèrent d'un même pas vers le buffet pour se désaltérer. La plupart des cadres du ministère - les plus âgés notamment - étaient déjà partis. Avalon nota Danielle, dans une conversation animée avec Hayley, la cheffe du BDA, et adressa un sourire aux deux femmes en passant à côté d'elles. La soirée continua de suivre son cours, Avalon se retrouva quelques fois sur la piste de danse, au début en compagnie de Toni, qui avait fini par l’abandonner pour une jeune avocate blonde qui riait fort à ses plaisanteries. Classique. Elle avait passé un moment avec Jayce, aussi, à discuter plus calmement autour d’un verre, dans un coin de la pièce. Elle avait retrouvé Isobel avec plaisir – qui était visiblement là autant pour profiter de la soirée que pour travailler, puisque son département rapporterait les propos qu’ils avaient tenus dans leurs discours. Elle avait recroisé Roy, plusieurs fois, sans parvenir à s’avouer qu’elle cherchait à provoquer ces moments. Finalement, c’était lui qui était venu la trouver pour l’inviter à danser, ce qu’elle avait accepté… Avant de se rendre compte que cela sous-entendait qu’elle devait valser.

Et Avalon n’avait jamais appris à danser la valse. Elle ne savait pas vraiment dans quel sens elle devait tourner, ni quel pied elle devait avancer d’abord. Elle avait beaucoup du mal à se laisser guider par son partenaire… Qui ne tarda pas à lui faire remarquer, non sans son habituel sourire moqueur, qu’elle lui écrasait allégrement les pieds.

« Tu as cru que j’avais été élevée par qui au juste, pour penser que je savais danser la valse ? » rétorqua-t-elle avec un sourire narquois, avant d’ajouter, avec une jolie dose de mauvaise foi qu’elle agrémenta d’un sourire : « En plus, je suis persuadée que tu ne tournes jamais dans le bon sens. » Ou peut-être que c’était elle, mais ça, l’histoire ne le disait pas.

Un pas hésitant qu’elle fit à gauche plutôt qu’à droite fit perdre toute crédibilité à ses propos, ce qui eut don de lui faire froncer les sourcils. Elle accrocha son regard à celui de Roy, et ajouta :

« Si tu penses que tu suffis à me troubler, ton ego est encore plus impressionnant que je le pensais. » Elle n’admit pas qu’elle appréciait le contact de sa main sur sa hanche, mais son regard parlait pour elle.

La réplique insolente d’Avalon tira un léger rire amusé à Roy, qui daigna hocher la tête, reconnaissant sans mal que ce n’était pas auprès des Davies qu’elle allait parfaire son éducation en danse. Lui-même n’avait pas appris à valser en comptant sur son éducation familiale qui s’était majoritairement tournée sur des valeurs fortement ancrées dans les classes populaires et moyennes, telles que l’importance des études et de la préservation de la famille : on voyait ce que cela avait donné chez lui. C’était plutôt en fréquentant le gratin de la société sorcière, en participant aux soirées mondaines de ce genre qui se tenaient dans son cabaret et en mimant tous ces bourgeois qui s’y regroupaient que Roy avait acquis quelques rudiments et ne se débrouillait pas trop mal sur la piste. Un savoir toujours utile pour draguer une jolie fille élevée chez des Sang-Purs, avait t-il vite appris, son sens des priorités toujours en tête, évidemment.

Il fit un petit « Tss » à l’énième preuve de mauvaise foi de sa partenaire du soir et ne se retint pas de mettre les points sur les i :

« Je tourne vers la droite depuis tout à l’heure, Av’. C’est toi qui place tes pieds n’importe comment. »

Pour être honnête, lui-même avait eu besoin d’une démonstration pour intégrer les mouvements de base de la valse, qui semblaient simples quand on les regardait, mais n’étaient pas si faciles à exécuter dans le bon ordre. Cependant, une fois qu’on avait compris la logique, tout devenait fluide et instinctif. Pour le moment, ils n’avaient pas encore trouvé cet équilibre tous les deux. En vérité, Roy ne pensait pas que cela était dû au trouble avéré ou non qu’ils ressentaient face à leur proximité -il préférait ne rien en admettre- mais fidèle à lui-même, il répliqua au sujet de son ego :

« Et encore. Ça ne fait partie que des nombreuses choses qui sont impressionnantes chez moi. »

Que serait-il sans sa légendaire arrogance ? Avalon lui tendait une perche, il était obligé de la saisir. Après ces quelques taquineries, Roy daigna faire preuve d’un peu de sérieux et guider sa partenaire, en ralentissant ses pas :

« C’est ton pied droit qui doit venir se placer entre mes jambes, puis sur le pas suivant c’est moi qui place mon pied et toi tu recules le gauche. Puis c’est de nouveau toi et ainsi de suite. Un, deux, trois… » compta t-il, au rythme de la musique. Il la laissa essayer plus lentement et s’amusa de voir que ses explications techniques avaient plutôt embrouillé Avalon qu’autre chose, alors il opta pour une autre approche, plus instinctive : « Bon, tu réfléchis trop. Essaye de ne pas penser à tes pas, c’est l’homme qui mène. Ne baisse pas les yeux, regarde-moi et suis juste mes pas. »

Son regard accrocha celui d’Avalon, tandis qu’il reprenait ses mouvements, plus marqués et plus lents cette fois, pour lui laisser le temps de suivre et prendre le pli. Contrairement à leurs paroles qui ne cessaient de se provoquer et se piquer l’un l’autre, Roy se surprit à trouver de la douceur dans le regard qu’ils échangeaient, alors que leurs pas s’accordaient de mieux en mieux au rythme des violons.

« C’est mieux » murmura t-il en lui souriant.

La valse mais également cette nouvelle étincelle qu’il croyait percevoir entre eux.