Kessy exulta à l'unisson avec tous les convives présents ce soir. Le cri fabuleux emplit le large espace du K-Club, jusqu'au plafond auquel flottaient d'immenses chandeliers qui conféraient à l'endroit branché une allure exceptionnellement victorienne. Aussitôt, Kessy se tourna vers son voisin de droite, Sam Allport, et lui adressa un sourire resplendissant avant de se hisser sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue.

"Bonne année, Sam !", dit-elle joyeusement, avant d'embrasser la pièce du regard, comme une mère poule couvant ses poussins : "On a fait du bon travail, tous les deux. La soirée est super."

Le son caractéristiques de bouchons de champagnes vint confirmer ses propos. Sam et elle se trouvaient non loin de l'immense buffet, où des serveurs vêtus comme les serviteurs sorciers du XIXe siècle emplissaient des montagnes de coupes de champagne. Les invités, pour la plupart dans leur jeune vingtaine, se saluaient et échangeaient leurs vœux, avec leurs proches ou d'illustres inconnus. Il n'était que minuit mais l'alcool coulait à flot depuis déjà trois heures et déjà, les embrassades se faisaient un peu plus franches que d'ordinaire. Il fallait dire que l'endroit était fabuleux. Club le plus moderne et branché de la nouvelle ville de Leopoldgrad, le K-Club était aujourd'hui converti en une immense salle de balle fantasmagorique, avec ses tentures en velours pourpre, son orchestre fantomatique et ses armures grinçantes. Kessy avait revêtu une jolie robe qui collait au thème, Bal masqué, de la soirée, et un masque qui dissimulait à peine ses yeux pétillants et son sourire mutin. Ce masque lui avait été offert par son père, qui disait le tenir de ses jeunes années à Vienne.

Kessy embrassa environ toutes les personnes qui se trouvaient autour d'elle, avant que la ferveur ne s'apaise, puis elle se hâta de dégainer son Pear pour faire une story. En tant que co-influenceurs, Sam et elle s'étaient chargés de la promotion de ce nouvel évènement sur les réseaux sociaux, ce qui en avait assuré le succès : la salle était comble. Très occupée par l'organisation et l'évènementiel depuis le début de soirée, Kessy n'avait pas encore eu l'occasion de parler à ses amis, même si elle avait pu en repérer certains à travers la foule. Maintenant que minuit était passé, elle allait pouvoir se mêler à la foule et profiter un peu plus de la soirée. De toute façon, cela ne l'avait pas dérangé de rester avec Sam, avec qui elle s'amusait bien.

"On fait une photo tous les deux ?", suggéra-t-elle en se collant à lui pour glisser un bras derrière son cou, tournant vers lui un visage complice : "Allez, sourit à Instamag !"

*Clic*

Du bout de ses doigts manucurés, elle envoya le cliché se perdre sur Instamag, tagua Sam sur la photo, puis rangea son Pear dans la poche invisible de sa robe, sans attendre les like qui s'empilaient.

Warning :les posts suivants de Sasha Benson et Alessandro Vigliola mettent en scène une relation entre une mineure de 16 ans, et un adulte. Cette relation ne peut en aucun cas être perçue autrement que comme une relation déséquilibrée et abusive. Les points de vue représentés sont ceux des personnages et ne reflètent en rien ceux des auteurs.

31 décembre 2010, K-Club de Leopoldgrad, 22h35

Sasha soupira en voyant le vigile du club demander leurs baguettes et leurs noms à un groupe de trois adolescents qui devaient être à peine plus âgés qu'elle. Elle était trop loin pour entendre ce qu'ils disaient mais elle croyait comprendre que l'un des trois garçons n'avait pas tout à fait dix-sept ans... Voilà qui était problématique.

L'adolescente avait observé discrètement l'agent de sécurité depuis qu'elle était arrivée dans la file d'attente du K-Club et il procédait à des contrôles aléatoires, seulement quand les gens lui paraissaient trop jeunes. Légèrement maquillée, moulée dans une élégante robe noire offerte par Isobel pour ses seize ans et joliment coiffée, Sasha estimait qu'elle paraissait plus âgée qu'elle ne l'était, mais n'était pas certaine que cela suffirait à tromper la vigilance du vigile.

"Excuse-moi ? Sasha se retourna vers la fille qui venait de lui tapoter sur l'épaule, une petite blonde avec des tâches de rousseur et un sourire gêné qui devait avoir un peu plus de vingt ans. T'aurais pas une cigarette ?
- Non désolée, lui répondit l'adolescente en s'efforçant d'avoir l'air réellement embêtée. J'essaie d'arrêter... C'était parfaitement faux, elle n'avait jamais fumé une cigarette de sa vie, mais cela lui avait semblé un bon moyen d'engager la conversation.
- Tu as raison ! C'est ma résolution pour l'année prochaine aussi, mais comme il reste deux petites heures avant minuit... Je m'en serais bien grillé une dernière !
- C'était déjà ta résolution l'année dernière, si je peux me permettre... intervint une sorcière brune à la frange impeccablement droite.
- J'ai quand même tenu presque trois mois ! C'est l'anniversaire de Megan, ça m'a fait replonger direct !
- C'est le plus dur, en soirée, je trouve, intervint Sasha avec l'air de celle qui était passée par là.
- C'est clair !"

Les trois jeunes femmes continuèrent à converser jusqu'à arriver à la hauteur du vigile, qui les laissa entrer en se contentant d'un simple "Bonne soirée mesdemoiselles" qui arracha un sourire de fierté à Sasha.


1er janvier 2011, K-Club de Leopoldgrad, 00h07

Sasha passait une excellente soirée. Elle ne connaissait personne mais avait rencontré plein de monde grâce à Maryssa et Rachel, les deux filles avec qui elle avait sympathisé dans la file d'attente. Elle avait bu son premier mojitroll et était juste assez étourdie par l'alcool pour ne plus sentir ses pieds, qui la faisaient terriblement souffrir après plus d'une heure passée sur la piste de danse.

C'était terriblement exaltant, de se trouver dans cet endroit qui lui était normalement interdit et de se fondre parmi le reste des invités, loin de tout soupçon. Ici personne ne la traitait comme une enfant, personne ne savait qui elle était, aucune rumeur ne circulait à son sujet. Le visage à partiellement dissimulé derrière un masque magique peint à même sa peau, elle était parfaitement anonyme, et c'était bien plus agréable qu'elle ne l'aurait cru. Elle évitait seulement de croiser le regard des quelques miliciens qui assuraient le service de sécurité, par peur d'être reconnue par l'un d'eux. Heureusement pour elle, son stage à la Milice n'avait débuté que la semaine passée et elle n'avait pas encore rencontré tous les agents.

Alors que l'excitation de la nouvelle année retombait doucement et que la soirée reprenait son cours, l'adolescente réalisa qu'elle avait perdu ses deux nouvelles amies dans la foule et se dirigea vers le bar dans l'espoir de les y trouver -Rachel avait une sacré descente ! Avisant un tabouret vide, elle s'y hissa et se pencha sur le comptoir pour commander un deuxième Mojitroll au barman -quitte à attendre, autant le faire en sirotant un verre, elle ne voulait surtout pas avoir l'air d'une pauvre adolescente esseulée !

Sasha sirota son cocktail en promenant tranquillement ses yeux clairs autours d'elle, avec autant d'aisance et d'assurance que si le club lui avait appartenu. Son regard s'arrêta sur un homme, accoudé un peu plus loin au bar et elle lui adressa un bref sourire avant de poursuivre son examen de la salle, toujours à la recherche de ses amies.

"Bonne année, vieux", dit Alessandro en donnant un coup de poing affectueux dans l'épaule de Melchior. En guise de réponse, son acolyte lui affirma, tout en délicatesse, qu'il avait une envie pressante, et s'éclipsa dans la direction des toilettes. Considérant qu'il en avait au moins pour vingt minutes étant donné la queue incroyable qui se trouvait là-bas, Alessandro décida de ne pas attendre son comparse pour aller commander un second verre.

Il avait eu de la chance ce soir. Initialement, il aurait dû travailler, mais Marchebank était tombé malade et avait dû annuler au dernier moment sa soirée à l'ambassade du Japon pour rester avec son épouse au Manoir. La semaine avait été particulièrement chargé avec tous le évènements liés aux fêtes de fin d'année et il était donc ravi de pouvoir profiter de sa soirée et de son Premier de l'An pour se divertir. En revanche, Alessandro avait été libéré trop tard pour avoir pu anticiper une soirée, et s'était donc retrouvé à improviser une participation à la soirée Masquerade du K-Club en compagnie de Melchior.

Heureusement que son acolyte était là, songea-t-il en croisant le regard d'un jeune homme qui ne devait pas avoir plus de dix-huit ans, sinon il se serait senti vraiment déplacé. Heureusement, avec son masque noir luisant peint sur le visage, il ne dénotait pas tant que ça au milieu de ces jeunes gens. Parvenu au comptoir, il se jucha sur une chaise et attira aussitôt l'attention d'un serveur d'un geste péremptoire de la main.

"Un vodka martini", commanda-t-il avant de se tourner de moitié pour observer la salle. De belles robes froufroutantes, des masques de toutes les formes, tailles et couleurs, le thème avait été respecté à la lettre par les convives. Il s'apprêtait à reporter son attention sur le bar quand son regard croisa une paire d'yeux clairs, fixés sur lui. Une jeune femme revêtue d'une robe bleue nuit, élégante et suffisamment suggestive, lui adressa un sourire avant de détourner le regard. Celui d'Alessandro, en revanche, ne la quitta pas, remontant le long de ses jambes délicates, examinant sa taille fine et ses hanches joliment soulignées par le tissu de sa robe, soulignant la courbe de sa poitrine. Cela faisait longtemps qu'il n'avait eu personne dans son lit - peut-être bien deux ou trois semaines - et la vision de ce joli sourire suffit à faire naître quelques idées dans sa tête.  

Sans réfléchir d'avantage, il attrapa son verre et sauta sur ses pieds, pour rejoindre l'inconnue en quelques enjambées. Se glissant à ses côtés, il s'immobilisa à sa hauteur et se pencha légèrement pour se faire entendre, par-dessus la musique :

"Bonsoir... Est-ce que ce siège est vide ?", s'enquit-il en cherchant à accrocher son regard. Elle tourna son visage vers lui, lui permettant d'examiner les traits qui se dissimulaient derrière ce masque, à la lumière tremblotante des chandelles au-dessus d'eux. Elle paraissait raisonnablement jolie, sans être époustouflante, il apprécia la candeur de ces grands yeux bleus. Comme elle finit par acquiescer, il sourit intérieurement en se hissant sur la chaise libre et posa son verre à pied sur le comptoir. La soirée venait de devenir intéressante.

"Je vous offre le prochain", affirma-t-il en désignant son mojitroll du bout du doigt. Un mojitroll, horriblement mauvais choix de boisson - certainement une étudiante, ou jeune active. "Je m'appelle Alessandro", il prononça son nom à l'italienne, "et vous êtes ?"

Elle se présenta, et il enchaîna par une seconde question : "Vous êtes venue avec des amies ce soir, Sasha ?"

Un petit-ami, peut-être ? Si tel était le cas, il n'aurait pas dû la laisser seule au comptoir, à la proie d'un homme tel que lui...

Sasha semblait avoir définitivement perdu ses acolytes de la soirée. Il était toutefois hors de question qu'elle quitte la fête alors qu'il était à peine plus de minuit. Elle avait dit à sa mère qu'elle passait le réveillon du nouvel an chez Cindy et elle n'avait pas de couvre-feu à respecter. Elle s'était seulement engagée à ne pas boire d'alcool et à utiliser la cheminée des Hamilton pour rentrer, plutôt que de prendre le Magicobus toute seule. Elle avait déjà brisé sa première promesse, et n'avait pas vraiment l'intention d'honorer la deuxième non plus, mais ce que sa mère ignorait ne pouvait pas lui faire de tort.

L'adolescente entendait bien profiter au maximum de cette nouvelle liberté avant de retrouver le cadre strict de Poudlard dans quelques jours. Elle portait son verre à ses lèvres pour boire une nouvelle gorgée de Mojitroll quand une voix dans son dos lui fit tourner la tête. Son regard surpris se posa sur l'homme au masque noir qu'elle avait remarqué un instant plus tôt et elle le salua d'un sourire avant de hocher la tête quand il lui demanda si le siège à côté d'elle était libre.

Une agréable vague de chaleur se propagea dans tout son corps alors que l'inconnu proposait de lui offrir son prochain verre. C'était, à sa connaissance, la première fois qu'elle se faisait draguer par un homme. Après sa rupture avec Casey, Sasha avait commencé à accepter l'idée qu'elle n'aurait certainement pas d'autre petit-ami avant sa sortie de Poudlard puisque ceux de ses camarades qui ne la pensaient pas déjà complètement folle la considéraient maintenant comme une horrible castratrice sans coeur. Attirer l'attention d'un homme d'au moins trente ans aussi séduisant que cet inconnu était inespéré, et terriblement flatteur.

"J'espère que vous avez du temps alors, je viens seulement de commander celui-ci !" répondit-elle avec un sourire insolent.

Et elle buvait très lentement -d'après Rachel et Maryssa- surement parce qu'elle n'avait pas l'habitude. Alessandro, nota-t-elle dans un coin de son esprit. Un joli prénom qui ne sonnait pas très britannique.

"Sasha, se présenta-t-elle en se penchant vers lui pour se faire entendre par dessus la musique. Et d'où venez-vous, Alessandro ? Vous avez de la chance d'avoir un prénom qui donne envie de voyager !"

Elle avait toujours détesté son propre prénom, qu'elle trouvait beaucoup trop ordinaire et pas très élégant. Elle aurait adoré avoir un prénom étranger, original et chargé d'histoire. Ce n'était que l'un des nombreux choix de sa mère qu'elle désapprouvait totalement.

"Je croyais oui ! répondit-elle avec un sourire amusé quand Alessandro lui demanda si elle était venue dans la foule. Je les ai perdues dans la foule à minuit, expliqua-t-elle. Je devrais surement les chercher mais..."

Elle ne termina pas sa phrase qu'elle ponctua simplement d'un petit haussement d'épaules qui semblait vouloir dire "ou pas", assorti d'un sourire complice à l'attention de son interlocuteur. Elle n'était pas vraiment une experte de ces jeux de séduction mais l'expérience était loin d'être désagréable et elle se découvrait bien plus à l'aise qu'elle ne l'aurait imaginé.

"Et vous, vous avez abandonné vos amis aussi ? s'enquit-elle avec curiosité en jetant un rapide regard autour d'eux à la recherche d'éventuels compagnons d'Alessandro qui l'attendraient avec impatience. Vous venez souvent ici ?"

Sasha attrapa son verre et sirota une longue gorgée de Mojitroll dans sa paille colorée, ses yeux toujours rivés dans ceux d'Alessandro.

Sasha avait du répondant. Alessandro accueillit sa réponse par un sourire appréciateur, satisfait de ne pas être tombé sur une jeune femme excessivement timide ou sans la moindre répartie.

"Je suis un homme patient", répondit-il tranquillement en levant son propre verre pour en boire une gorgée. La jeune femme se présenta à son tour, Sasha, un joli prénom. Quand elle l'interrogea sur l'origine de son prénom, il sut que c'était dans la poche. A partir du moment où elle lançait la discussion et s'intéressait à lui, ils savaient tous les deux vers quoi cette conversation, en boîte au 1er janvier, pouvait bien mener.

S'en était presque lassant, car la drague lui était souvent devenue trop facile : tout se jouait dans les premières secondes, dans l'échange de regard, le jugement instantané et l'acceptation, ou non, d'engager un dialogue. A partir de là, c'était quasiment toujours plié, et même si la fille changeait d'âge, de physique et de personnalité, elles finissaient par toutes ses ressembler. Parfois, pour pimenter, il se tournait vers un homme, cela lui permettait de ne pas trop se lasser...

Enfin, qu'à cela ne tienne, il n'allait pas se priver de son sport préféré pour cette soirée du nouvel an.

"C'est italien, je viens de la grande cité magique de Naples, vous connaissez ?", s'enquit-il avec un sourire mystérieux. Naples était l'une des plus grandes cités sorcières du pays. Ses artères sorcières étaient nombreuses, tortueuses. Toutes reliées les unes aux autres, elles s'entremêlaient aux rues moldues en un labyrinthe de chemins et de passages secrets extrêmement complexe. Beaucoup moins ennuyeux que le Chemin de Traverse, si on lui demandait son avis...

Sasha, en revanche, paraissait bel et bien anglaise, aussi ne lui retourna-t-il pas sa question, préférant l'interroger au sujet de ses amies. Ce qu'elle lui confirma, en affirmant qu'elle devrait certainement les chercher.

"Rien ne presse", confirma-t-il en dardant son regard ténébreux sur la jeune femme. Après tout, Alessandro s'occuperait bien mieux d'elle que ses copines. Il pouvait lui faire des choses qu'elles n'imagineraient même pas - ou alors, il voulait bien regarder...

"Je suis venu avec un ami, en effet, et je pense que j'en ai un autre qui a dû arriver, quelque part dans la foule", répondit-il en balayant la salle à l'ambiance survoltée.

"Je viens de temps en temps, oui, car je vis à Leopoldgrad, à deux rues d'ici, et c'est de toute évidence le meilleur club de la ville. Mais j'ai un travail prenant alors mes soirées libres se font rares", révéla-t-il avant d'interroger Sasha à son tour, adoptant tout naturellement le tutoiement : "Et toi, est-ce que tu viens régulièrement ? Et qu'est-ce que tu fais dans la vie, Sasha ?"

Il pariait sur une étudiante, ou une stagiaire encore en formation, elle ne devait pas avoir plus de vingt ans... L'âge le plus tendre.

"Je n'ai pas cette chance ! répondit la jeune fille quand Alessandro lui demanda si elle connaissait la cité magique de Naples, dont il était originaire. Mais j'adorerais visiter l'Italie !"

Elle se souvenait avoir écouté avec envie Victor Lloyd lui raconter son été à Milan, à l'occasion du shooting photo qu'ils avaient fait ensemble pour Swan Twilfit. Tout cela ne remontait qu'à deux ans auparavant, pourtant ces moments lui semblaient appartenir à une époque révolue. Elle se rappelait pourtant très bien de ce jour, qui avait également été celui de sa première rencontre avec Mildred Magpie. La romancière ne lui avait pas accordé la moindre attention à l'époque, et n'avait pas hésité à la rabaisser. Sasha songea avec satisfaction à la manière dont la journaliste l'avait presque supplié de lui livrer des informations croustillantes sur la mort d'Ana Sorden, quelques mois plus tard. Elle estimait qu'il s'agissait d'une de ses plus belles revanches.

Sasha haussa un sourcil, intriguée, alors qu'Alessandro lui expliquait avoir un métier prenant qui ne lui laissait que peu de soirées de libre. La jeune fille avait remarqué qu'il était particulièrement bien habillé, même par rapport au reste des convives, et se demanda s'il s'agissait d'un homme important. Elle se sentit d'autant plus flattée d'avoir attiré son attention et lui décrocha son plus beau sourire.

"Et que faites-vous dans la vie, Monsieur Vigliola ?"

Ce dernier ne manqua évidement pas l'occasion de lui retourner sa question, et Sasha décida d'être honnête, ou presque. Elle avait toujours dit que la meilleure façon de mentir sans se faire prendre était de rester le plus près possible de la vérité. Elle s'accorda quelques secondes de réflexion en sirotant une gorgée de cocktail avant de répondre à la question d'Alessandro, qui venait de donner un ton plus informel à leur conversation en optant pour le tutoiement.

"Je suis encore étudiante, je prépare mes examens de fin d'années. Ses BUSE, en l'occurence, mais elle estimait que c'était un détail qui n'avait pas sa place dans cette conversation. Et je suis aussi en stage au département de la justice magique, que j'aimerais bien rejoindre à la fin de ma formation. Donc dans trois ans. Mes études sont assez prenantes et je ne sors pas beaucoup, avoua-t-elle en baissant la tête avec un sourire contrit. Mais j'avais envie de me changer les idées ce soir, ajouta-t-elle en relevant les yeux vers son interlocuteur. De tenter de nouvelles expériences..."  

Parler à un bel inconnu beaucoup plus âgé qu'elle en était une, et jusqu'à présent cette expérience se révélait tout à fait délicieuse. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie si gonflée d'orgueil et pleine d'assurance. L'alcool aidait peut-être, ainsi que les regards insistants d'Alessandro, mais Sasha se sentait belle, ce soir, pour la première fois depuis longtemps. Elle se découvrait capable de plaire aux hommes, et ne demandait qu'à utiliser cette nouvelle forme de pouvoir jusqu'alors inexplorée.  

"Toi qui es un habitué du club, reprit-elle en abandonnant elle aussi le vouvoiement.  Tu y viens pour danser ?" s'enquit-elle en jetant un regard en direction de la piste de danse où les corps se mélangeaient sur des musiques aux notes sensuelles.

Alors qu'il observait la foule, Alessandro croisa brièvement le regard d'Angus, en civil avec son brassard fluo. Parfait, il pourrait tenir compagnie à Melchior... Le sorcier répondit par un clin d’œil quasiment imperceptible au haussement de sourcils suggestif d'Angus puis reporta son attention sur la jeune donzelle en face de lui.

"Je fais partie de la sécurité rapprochée du ministre Marchebank, je suis son garde-du-corps attitré", répondit-il avant de retourner sa question à Sasha. Il savait que cette remarque faisait toujours son petit effet, et ses interlocuteurs essayaient généralement d'en savoir plus - sur son employeur plus que sur ses conditions de travail - mais Alessandro restait généralement très discret à ce sujet, d'une part pour cultiver une certaine part de mystère, et d'autre part par instinct de survie : Leopold avait été très clair quant à ce qui risquait de lui arriver s'il se montrait un peu trop bavard au sujet de ses activités - sans compter le contrat magique qu'il lui avait fait signer.

Sasha, sans surprise, était encore étudiante, mais elle mentionna des épreuves de fin d'année et un stage au ministère, aussi approchait-elle certainement la fin de son cursus. Il connaissait assez mal le fonctionnement de l'enseignement supérieur magique, à sa connaissance il n'existait pas de grosse université sorcière comme celle de Bologne où il avait suivi son cursus, mais plutôt une constellation d'écoles spécialisées. Quoi qu'il en soit, ce n'était pas ce qui l'intéressa le plus dans l'histoire de Sasha :

"Une future collègue, intéressant", commenta-t-il en fouillant son regard. Il voyait d'un bon oeil cette ambition professionnelle qui signifiait qu'il n'avait pas affaire à une jeune femme idéaliste anti-Marchebank sensibles aux arguments du Lexit comme il en voyait parfois, qu'il avait toutes les difficultés du monde de mettre dans son lit une fois sa profession révélée. C'était bien l'avantage de Leopoldgrad et du K-Club : on y trouvait assez peu de ces hippies... "Tu souhaiterais devenir auror ? Rejoindre la milice, peut-être ? Je pourrais te présenter quelques copains."

Ou pas, songea-t-il en réalisant qu'Angus n'était peut-être pas le meilleur wingman qui soit... quant à Melchior, il risquerait de lui faire de l'ombre, avec ses grands yeux bleus et ses airs de beau bébé. Mais les paroles suivantes de Sasha levèrent toutes ses réserves : de toute évidence, elle ne comptait pas jouer les difficiles. Un éclair appréciateur passa dans le regard d'Alessandro, qui se tourna un peu plus sur son siège de bar, laissant leurs genoux se frôler : si elle souhaitait de nouvelles expériences, elle était parfaitement bien tombée - peut-être ignorait-elle à quel point... Ce type de filles, c'était quitte ou double, celles qui voulaient jouer un peu avec le feu : parfois, elles aimaient être poussées dans leurs retranchements et il pouvait s'amuser un peu, mais parfois, elles s'effarouchaient dès les premiers instants et fuyaient finalement en criant au scandale. La prudence était de mise, mais si Sasha le cherchait, elle allait le trouver : il avait bien envie de s'amuser...

Assez agréablement surpris par l'attitude entreprenante de la jeune femme, Alessandro ne se fit pas prier pour répondre à son appel du pied.

"Tu as tout compris", souffla-t-il en déboutonnant le premier bouton de sa chemise pour se donner un peu d'air. Il acheva son vodka martini d'un trait, puis se leva et tendit la main à Sasha, en lui proposant, avec un air de défi : "Tu veux aller célébrer la nouvelle année sur la piste de danse ?"

Comme elle lui répondait favorablement, il referma ses doigts sur les siens puis ils se glissèrent parmi les convives, pour se trouver au milieu de la piste. Alessandro aimait se mêler aux danseurs et aux corps qui se pressaient sur une musique endiablée, participer et se fondre à cette masse enfiévrée, et laisser les brumes d'une soirée nocturne lui embrumer l'esprit. C'était encore meilleur avec un peu de volubilis, mais ce n'était pas exactement l'ambiance de la soirée... Entrelaçant ses doigts à ceux de Sasha, il conserva leurs deux mains contre lui tout en posant sa main libre sur sa taille, qu'il pressa pour rapprocher leurs deux corps. Il baissa légèrement la tête pour la darder de son regard étincelant, une mèche de cheveux tombant devant ses yeux, qu'il ne prit pas la peine d'écarter.

Ils se calèrent sur le rythme de la musique et des autres danseurs, Alessandro guidant naturellement leurs pas, sa main toujours placée au creux du dos de la jeune femme. Ils échangèrent un regard, puis un sourire, et Alessandro se pencha pour glisser quelques mots à son oreille. L'odeur agréable du parfum de Sasha lui caressa les narines.

"Est-ce que tu es célibataire, Sasha ?", s'enquit-il d'une voix veloutée. A priori, la réponse semblait évidente mais quelques mésaventures passées le poussaient à obtenir confirmation, tout en confirmant ses intentions...

Les yeux de Sasha se mirent à pétiller d'intérêt quand elle apprit qu'Alessandro n'était autre que le garde du corps personnel de Léopold Marchebank. Elle avait face à elle un homme qui côtoyait quotidiennement le ministre de la magie, et qui devait connaitre des tas de secrets d'état...L'adolescente fit toutefois l'effort de retenir les dizaines de questions qui lui passaient par la tête. Son interlocuteur n'avait certainement pas envie de passer l'une de ses rares soirées de libre à parler de son travail, et il l'interrogea plutôt sur ses ambitions au sein du département de la justice magique.

"Je réfléchis à rejoindre la milice oui, pour commencer..."

Elle avait d'autres ambitions pour plus tard, et comptait bien faire en sorte de gravir les échelons le plus vite possible. Sasha avait longtemps pensé qu'elle débuterait sa carrière au département de la communication mais il lui semblait que le département de la justice magique avait le vent en poupe en ce moment, et elle commençait à y songer sérieusement. L'adolescente ne voyait d'ordinaire aucun inconvénient à étaler son ambition et à exposer ses plans d'avenir, mais ce n'était pas exactement ce dont elle avait envie ce soir, aussi interrogea-t-elle Alessandro au sujet de la piste de danse, qu'il l'invita aussitôt à rejoindre.

"Avec grand plaisir !"

Sasha but une dernière gorgée de son verre et l'abandonna à moitié plein sur le bar. Si elle le finissait aussi rapidement qu'Alessandro avait vidé sa vodka, elle ne serait surement plus capable de tenir debout. Elle n'avait pas vraiment l'habitude de boire. La première fois où elle avait gouté autre chose que de la bierraubeurre remontait aux quinze ans d'Andrew, l'été dernier, et elle n'avait pas vraiment eu l'occasion de renouveler l'expérience depuis.

L'adolescente glissa sa main dans celle d'Alessandro et se laissa entrainer sur la piste de danse, légèrement étourdie par l'alcool. Elle qui aimait tant contrôler tous les aspects de sa vie était assez surprise de découvrir qu'elle était capable d'apprécier ce sentiment de lâcher prise. Elle se sentait désinhibée, débarrassée de ses complexes et de ses doutes, et c'était étrangement agréable.

C'était la première fois qu'elle se retrouvait sur la piste de danse d'un club mais elle n'eut pas grande difficulté à en comprendre rapidement les codes. Elle glissa son bras droit autour du cou d'Alessandro, sa main gauche toujours glissée dans la sienne, et se laissa portée par le rythme de la musique. Une douce chaleur s'empara d'elle alors que leurs corps se frôlaient au grés de leurs mouvements et elle sentit son pouls s'accélérer légèrement. Elle frissonna quand Alessandro se pencha vers elle pour lui murmurer quelques mots à l'oreille et se pressa un peu contre lui pour l'entendre par dessus la musique.

"Oui, je viens de me séparer, répondit-elle avec un sourire triste. Et toi ?"

Il lui paraissait suffisamment vieux pour être marié, peut-être même avec des enfants, mais elle espérait que ce n'était pas le cas. Cela lui ferait vraiment bizarre de danser ainsi avec un homme déjà papa. Elle aurait voulu lui demander son âge, qu'elle avait du mal à deviner, mais elle n'avait aucune envie qu'il lui retourne la question et décida de s'abstenir. Ce n'était pas si important.

La musique se fit plus langoureuse et Sasha lâcha la main d'Alessandro pour passer un deuxième bras autours de son cou. Leurs deux corps pressés l'un contre l'autre ondulaient au rythme de la musique et elle se surprit à fermer les yeux un instant. C'était la première fois qu'elle dansait comme ça avec un homme, et chaque sensation nouvelle qu'elle découvrait lui donnait envie d'en découvrir encore davantage. Elle avait soif de ces nouvelles expériences, de cette excitation légèrement teintée d'appréhension qu'elle n'a jamais ressenti jusqu'à présent.

Sasha rouvrit les yeux et leva la tête pour accrocher le regard d'Alessandro de ses yeux clairs. Leur visages étaient désormais si proches qu'elle pouvait sentir son souffle légèrement alcoolisé sur sa peau. Elle eut soudainement l'impression qu'elle pouvait l'embrasser et qu'il ne la repousserait pas. Elle avait envie de le faire, ne serait-ce que pour se prouver qu'elle en était capable, qu'elle pouvait être cette jeune femme séductrice et sûre d'elle qu'elle rêvait d'être.

D'une pression dans sa nuque, elle invita Alessandro à se pencher vers elle et s'empare de ses lèvres.

Alessandro sentit une chaleur familière l'envahir lorsque sa nouvelle rencontre du soir se pressa un peu plus contre lui pour répondre à sa question. La musique était forte et incitait au rapprochement, et ce n'était pas lui qui allait s'en plaindre. Il se contenta de pencher légèrement la tête pour entendre sa réponse.

Ainsi donc, Sasha venait de se séparer de son petit-ami. AH. Cette révélation jeta un léger froid dans l'esprit d'Alessandro, qui n'en montra cependant rien, s'efforçant d'arborer une expression de compassion pour la tristesse de la jeune femme. Voilà qui pouvait s'avérer ennuyeux : seule au comptoir un 31 décembre, sans son cher et tendre qui lui avait probablement brisé le coeur, la jeune femme pensait certainement rechercher ce qu'un homme tel qu'Alessandro avait à lui offrir, et peut-être était-ce le cas ; mais il prenait aussi le risque qu'elle se mette à lui pleurnicher sur l'épaule, Alessandro étant réduit au rang de simple réconfort. Cela lui était déjà arrivé et il n'y avait rien de moins sexy que des sanglots, chez un coup d'un soir... alors, du réconfort, il pouvait lui en fournir, mais d'une seule sorte uniquement. Si c'était l'excitation d'une nuit torride dont Sasha avait besoin pour être consolée, il voulait bien se dévouer, mais pas se transformer en mouchoir humain. A la première menace d'une larme dans ces beaux yeux bleus, il prendrait le large, il n'était pas encore trop tard pour se rabattre sur un plan B ou pour rejoindre Angus et Melchior.

"Libre comme l'air", répondit-il en réponse de sa voix grave, sans s'attarder sur la révélation de Sasha. Lancer le sujet de l'ex et de la séparation était l'assurance de mettre un terme à leur soirée qui s'annonçait plutôt prometteuse.

Alessandro préféra plutôt se laisser aller et profiter de leur danse, sur une musique langoureuse, entre les mouvements sensuels des autres invités. Elle lâcha sa main et il la glissa dans son dos, caressant lentement sa peau à travers le tissu de sa robe élégante, tandis que leurs regards se croisaient. Alessandro tenta de déceler son âge, les rayons de lumière lancés par les chandeliers lui permettaient de deviner tant bien que mal son visage derrière son masque peint à même la peau. Elle était jeune, c'était certain, vingt ans, vingt-et-un peut-être, pas plus - les étudiants plus âgés étaient rares dans le monde des sorciers. Cela ne le gêna pas, bien au contraire, il aspirait à cette jeunesse alors que les douze coups de minuit venaient de lui rappeler le temps qui passe et qui l'éloignait inexorablement de sa propre jeunesse. C'était agréable, aussi, de se sentir encore apprécié et désiré par des femmes qui, au sommet de leur gloire, avaient tout le choix du monde. Surtout ce soir, où il était bien l'un des seuls à arborer quelques cheveux blancs... Et puis, ce n'était pas comme s'il avait l'intention de l'épouser, non plus.

Entièrement absorbés l'un par l'autre, les yeux ancrés dans ceux de l'autre, Sasha et Alessandro étaient désormais si proches qu'il pouvait sentir son souffle sur sa peau. Un sourire s'étira sur ses lèvres à la sensation de ses doigts sur sa nuque, alors qu'il devinait ce qui allait suivre - et il répondit à la douce pression en baissant la tête pour réduire à néant l'espace qui les séparait. Alessandro répondit à son baiser doucement, presque paresseusement, engourdi par la musique et l'ambiance capiteuse. Il aimait cet instant, ce moment d'intimité partagé avec une nouvelle personne, et prit le temps de goûter les lèvres gourmandes de la jeune femme, de s'étourdir de son parfum qui lui chatouillait les narines. Bientôt envahi par une fièvre grandissante, Alessandro s'empara de sa nuque, capturant une partie de ses cheveux bruns au passage, et approfondit leur baiser, tout en attirant Sasha un peu plus près de lui en accentuant sa pression au creux de son dos. Il voulait sentir son corps contre le sien, deviner ses courbes qui se pressaient contre son torse. Seule la robe de Sasha et la chemise fine d'Alessandro se dressaient entre leurs peaux et c'était déjà trop - mais il devrait se contenter de cela, pour le moment.

Finalement, Alessandro finit par relâcher la nuque de Sasha et mettre fin à leur baiser, sans s'écarter pour autant - leurs souffles se mêlèrent quelques secondes, tandis qu'il posait sur elle un regard chargé de désir.

"Bonne année, Sasha", souffla-t-il finalement avec un sourire mutin. Ses pupilles sombres surmontées de deux sourcils arqués semblaient la provoquer, comme pour la défier de recommencer. La jeune femme était entreprenante, et si elle désirait poursuivre sur ce terrain, il était clair qu'il ne comptait pas opposer la moindre résistance.

Sasha ressentit comme un fourmillement au creux du ventre quand Alessandro répondit avec douceur à son baiser. Elle soupira faiblement contre ses lèvres et savoura chaque seconde de cet instant. Son partenaire glissa une main dans sa nuque et l'attira contre lui en approfondissant leur baiser. Elle n'avait jamais été embrassée comme ça, avec cette fièvre empressée, et elle se laissa emportée avec plaisir, complètement absorbée par ces nouvelles sensations. Elle avait l'impression de se découvrir elle-même, d'explorer une facette de sa personnalité qu'elle n'avait encore jamais réveillée. Elle se surprenait à se presser contre lui et à rechercher le contact de son corps contre le sien, et de sa main au creux de son dos.

Lorsque leur lèvres se séparèrent finalement, elle avait les joues un peu rouges et le souffle court. Elle se plongea dans les yeux clairs d'Alessandro où brillait une étincelle nouvelle, et soutint son regard qui semblait la défier. Elle ne savait pas si cela faisait partie de son jeu de séduction mais elle avait l'impression qu'il cherchait à la provoquer. C'était un genre de jeu auquel elle n'avait jamais joué jusqu'à présent, mais qui lui plaisait déjà beaucoup.

"Merci, répondit-elle dans un souffle en renvoyant son sourire mutin à Alessandro. Elle commence plutôt bien pour le moment..."

Elle avait d'ailleurs du mal à réaliser que tout ça était vraiment en train de se passer. Elle se tenait sur la piste de danse de l'un des club les plus branchés du monde magique, elle avait bu un excellent Mojitroll et avait embrassé un bel inconnu beaucoup plus âgé qu'elle. C'était si incroyable qu'elle n'aurait probablement même pas osé inventé ce mensonge. Jamais elle ne se serait cru capable de tout ça, pourtant cela s'était fait très naturellement. Elle se sentait comme un strangulot dans l'eau, elle était dans son élément, et aurait voulu que toutes ses soirées ressemblent à celle-ci.

L'adolescente songea avec amertume à la fin des vacances qui approchait. Elle adorait son stage à la milice, et elle aurait adoré y rester plus longtemps. Elle n'avait pas envie de devoir renoncer à sa nouvelle liberté et elle avait hâte de sortir enfin de Poudlard pour pouvoir mener sa vie comme elle l'entendait. Heureusement, il lui restait encore une semaine de vacances avant de retrouver le cadre strict de l'école, et elle espérait bien réussir à se libérer de l'emprise de sa mère à d'autres occasion. Pour le moment, elle comptait bien profiter au maximum de cette nouvelle soirée de liberté.

Sasha se hissa légèrement sa la pointe des pieds pour approcher son visage encore plus près de celui d'Alessandro.

"Et j'ai hâte de voir ce que la suite de l'année me réserve..." souffla-t-elle.

Ils étaient si proches que leurs lèvres se frôlaient, mais Sasha se contenta de lui adresser un nouveau sourire mutin, presque insolent, avant de s'écarter légèrement de lui. Son visage arborait exactement la même expression de défi que celui d'Alessandro un instant plus tôt, dans une imitation presque parfaite de son attitude provocante. Elle ne savait pas exactement ce qu'elle cherchait en se comportant ainsi, mais elle apprenait vite. Et elle aussi, elle voulait jouer.

Vautrée dans le vieux canapé de ses parents, vêtue d’un legging et d’un sweat aussi laids que confortables, Priya était en plein combat contre un garde royal armé jusqu’aux dents. Les yeux rivés sur l’écran et les doigts crispés autours de sa manette, elle évita de justesse un coup de hache, effectua un double salto dans les airs et acheva le garde d’un low-kick rotatif qui l’envoya directement au sol.

« Yes !  » s’écria-t-elle en levant les deux bras au ciel, triomphante.

Abandonnant sa manette, elle bondit du canapé pour se lancer dans une danse de la victoire sous le nez de son frère dépité. Elle avait la victoire modeste.

« Prêt pour une revanche ou tu as besoin d’un peu de temps pour digérer cet échec cuisant ? lança-t-elle avec un sourire moqueur en se laissant retomber sur le canapé à côté de Jamal.
- Ne vas pas croire que je me défile, mais je pense qu’il est l’heure d’aller se préparer !  lui répondit ce dernier en appuyant à contrecœur sur le bouton « off » de la télécommande de la télé.
- Se préparer pour quoi ?  
- Bah le nouvel an.  
- Tu sors ?   Depuis quand est-ce que son petit-frère sortait le soir du nouvel an ?
- Bah ouai, pas toi ?  Et depuis quand lui répondait-il « bah ouai » comme s’il s’agissait d’une évidence. Elle l’avait perdu.
- Euh…J’sais pas, je verrai !  
- Aller, tu vas pas rester là à jouer à Assassin’s Creed toute la soirée !   S’il essayait de la motiver il s’y prenait très mal, parce qu’elle ne voyait absolument pas ce qui n’allait pas avec ce programme.
- Maaaais, tu veux pas rester un geek associable avec moi ?  
- Non !  
- Frère indigne !  »

Priya laissa échapper un profond soupir et tendit le bras jusqu’à son Pear posé sur la table basse pour envoyer un message à sa collègue Laure. Si même son petit frère sortait pour le réveillon du nouvel an, elle pouvait bien faire un effort… Dix messages et autant d’émojis chatons plus tard, la jeune femme avait accepté de rejoindre Laure au K-Club de Léopolgrad. Elle regrettait déjà.


« 3, 2, 1, bonne annééééééée !   »  

La soirée se déroulait étonnamment bien. Priya avait retrouvé Laure un peu après 22h et elles s’étaient jointes à d’autres employés de chez Vargas venus fêter la nouvelle année au K-Club. La jeune ingénieure écoutait les conversations des autres en sirotant tranquillement un cocktail, parfaitement invisible. Elle avait essayé une demi-douzaine de saris tous plus somptueux les uns que les autres avant de se rabattre sur une triste petite robe noire, qui attirait bien moins l’attention, et qui allait très bien avec le loup en carton noir qu'elle avait acheté à la dernière minute. La seule fantaisie qu’elle s’était autorisée était une paire d’imposantes boucles d’oreilles dorées, qui cliquetaient à chacun de ses pas.

Le K-club était suffisamment grand pour que la foule ne soit pas trop oppressante, malgré le nombre important d’invités, mais l’ensemble des convives semblait s’être rassemblés au milieu de la pièce à minuit et Priya ressentit soudainement le besoin de s’éloigner un peu. Elle fit signe à Laure qu’elle allait se chercher un verre et s’éloigna en direction du bar, où elle put retrouver un semblant d’espace vital.

« Un Cosmospolitain s’il-vous-plait !  » cria-t-elle au barman pour couvrir la musique.

Son verre entre les mains, la jeune femme s’installa sur un tabouret et en sirota tranquillement quelques gorgées, pas vraiment pressée de se mêler de nouveau à la foule. Elle aperçut Laure, au loin, qui venait de rejoindre la piste de danse et leva un pouce dans sa direction pour saluer son déhanché endiablé, avant de secouer négativement la tête quand sa collègue lui fit signe de la rejoindre. Elle n’aimait pas vraiment danser, elle se sentait complètement ridicule, surtout en public. Elle réservait ses pas de danse pour ses victoires à Mario Kart.

Peu désireuse de passer la fin de sa soirée seule au bar à boire des cocktails –on faisait difficilement plus triste- la jeune ingénieure abandonna finalement son tabouret et entreprit de rejoindre les autres employés de Vargas qui avaient annexé un des canapés en cuir, dans le coin de la salle.

« Pardon, excusez-moi,   lança-t-elle sur son passage alors qu’elle se faufilait tant bien que mal entre les invités. Pardon, oups, excusez-moi, désolée.  »

Elle leva le bras pour maintenir son verre encore presque plein au-dessus de la foule et continua de progresser lentement en essayant de respirer le plus calmement possible. Un grand sorcier au crâne rasé passa alors juste à côté d’elle et se cogna la tête contre son coude levé. Priya laissa échapper une exclamation de surprise alors que le contenu de son verre se renversait sur… la tête de Sam Allport. Les yeux de la jeune femme s’arrondirent d’horreur alors qu’elle observait le liquide sucré de son cocktail dégouliner sur les cheveux de l’influenceur et imprégner le col de sa chemise.

« Oh non !   s’exclama-t-elle, horrifiée. Je suis désolée !  »

L’homme au crâne rasé poursuivit son chemin sans s’arrêter, la laissant seule face au désastre qu’il avait provoqué. Priya adressa une grimace d’excuse à Sam Allport avant de fouiller dans sa pochette de soirée à la recherche de sa baguette.

« Je suis navrée vraiment ! Je… Je vais arranger ça !   »

Elle connaissait un peu l’influenceur, qui détenait le record du premier compte Instamag à avoir franchi le cap des 10 000 abonnés, ce qui lui avait valu une soirée en son honneur dans les locaux de Vargas. Ils s’étaient plusieurs fois retrouvés dans la même pièce, tous les deux, mais elle se doutait bien que le jeune homme ne l’avait jamais remarquée, du moins jusqu’à ce qu’elle lui renverse son cocktail dessus.

***

« BONNE ANNÉEEEEEEEEE !!!! »

Cette soirée était une véritable réussite. La salle était pleine et tout le monde semblait bien s’amuser. Sam était vraiment satisfait du travail qu’ils avaient fait avec Kessy : les décors étaient somptueux, le thème était super, il y avait de la nourriture et des boissons à profusion et l’ambiance n’était pas prête de redescendre. Et dire qu’ils avaient eu cette idée en Thaïlande, sur cette plage paradisiaque, où ils avaient passé un séjour de rêve. Le jeune homme eut un sourire nostalgique teinté de fierté à cette pensée. C’était dans un cadre idyllique et l’esprit reposé que naissaient les meilleurs idées ! qu’on ne lui soutienne pas le contraire. Ils avaient réussi leur pari en faisant salle comble au K-Club et il était certain que cette soirée ferait le buzz et gonflerait leur notoriété. Pour leur plus grand plaisir !

En parlant de buzz, Kessy choisit cet instant pour se coller à lui, Pear sorti, afin de les immortaliser dans un selfie où on pouvait les voir tout sourire. La main de Sam vint se poser sur le bas du dos de la jeune femme – ou peut-être était-ce plus bas, l’alcool le rendait un peu maladroit – et il lui rendit, sur la tempe, le baiser qu’elle lui avait fait quelques secondes plus tôt.

« Bonne année à toi aussi ! On peut dire que c’est un succès ! Tout le monde est fou de joie ! Il attrapa une coupe de champagne sur le buffet à côté d’eux et trinqua avec sa coéquipière. Santé, part’naire ! Que cette nouvelle année nous apporte joie, réussit eeeeet… tu connais la suite ! »

Il descendit sa coupe de champagne d’une traite avant d’en reprendre deux autres.

« Je t’abandonne, je vais voir ma cousine, » lança-t-il a l’attention de Kessy avant de s’éloigner dans la foule, les deux coupes à la main.

L’esprit un peu embrumé par l’alcool, le jeune homme se faufila entre plusieurs personnes avant de s’arrêter pour inspecter les lieux du regard. Alors, où se cachait sa cousine chérie adorée ? Une rousse ne pouvait pas se cacher bien longtemps ? Il arrivait toujours à la trouver quand ils jouaient à cache-cache étant gosses. Bon, là, avec le monde et juste les lumières des spots colorés, il risquait d’avoir un peu de mal. Et puis, sa tête tournait un peu. Combien avait-il bu de verres ? Il ne savait pas. Il avait arrêté de compter il y a deux ou trois verres de cela. Peut-être avait-il laisser Kessy, par moments, gérer l’organisation toute seule pour profiter des boissons du bar... Peut-être. Ce n’était pas bien grave. Elle s’en sortait très bien sans lui et puis, il avait bien le droit de s’amuser un peu non ? Il n’avait pas abusé, non, il avait été raisonnable. Il était bien. Bien. Juste bien. Seulement, il avait un peu de mal à trouver Astrid. Mais il allait y arriver. Elle devait être sur l’un des canapés, avec ses amis. Elle aimait bien rester assise avec ses amis, Astrid, pour papoter. Rester assise tout court même, avec un thé. Ils faisaient ça quand il allait la voir, chez elle. Il aimait bien, c’était reposant.

Bon, où était-elle ? Il avait une coupe de champagne pour elle. Il voulait trinquer avec elle. Et peut-être avec Olivia et Tobias, s’ils étaient là. Astrid avait intérêt à trinquer avec lui ! Il était en train de traverser toute la salle avec deux coupes de champagne pour elle. Et Merlin savait à quel point il était difficile de se faufiler entre des gens dont les corps se mouvaient au rythme de la musique, un verre dans chaque main. Enfin non, cela l’étonnerait beaucoup que Merlin ait vécu ce genre de soirée. Il ne voyait pas Merlin bouger frénétiquement son corps au rythme d’une musique endiablée. Cela ne devait pas être son genre. Pourquoi il pensait à ça ? Elle était bien cette musique, d’ailleurs. Il se serait bien mis à danser dessus s’il n’avait pas ces coupes à la main et cette envie d’aller aux toilettes. Ah oui tiens, il avait envie d’aller aux toilettes. Bon. Il trouvait Astrid, trinquait avec elle et ensuite il irait aux toilettes. Voilà, dans cet ordre… Mais que fait cette fille avec son verre en l’air ? songea-t-il alors qu’il passait à proximité d’une jeune femme qui essayait visiblement, elle aussi, de se frayer un chemin parmi la foule. Il ne comprit pas bien pourquoi, ni ce qu’il se passa, mais la fille en question renversa soudainement son cocktail sur sa tête.

Sam se figea, comme si un seau d’eau glacé venait de se déverser sur lui. Le liquide sucré et collant du cocktail de la jeune femme dégoulina sur ses cheveux, dans sa nuque, sur le col de sa chemise et inonda en partie son visage. Les yeux arrondis par la surprise, l’influenceur se crispa et eut une pensée pour sa coiffure désormais ruinée. Son maquillage magique ne risquait rien, en revanche. Les ailes de Phœnix flamboyantes qui se déployaient autour de ses yeux en guise de masque étaient peintes à même sa peau et un sortilège spécial les faisaient scintiller, comme si les couleurs réagissaient à la lumière et à la musique environnantes. Rien à voir, donc, avec le masque et la tenue ternes de la jeune femme face à lui qui se confondait en excuses. Elle n’avait pas fait exprès, cela se voyait, elle avait l’air très embêté. Et puis qui l’aurait fait exprès ? Bon, il lui en voulait un peu quand même : il aurait bien aimé éviter ce genre d’accident pour la soirée. Il la regarda s’activer alors qu’elle sortait sa baguette, bien incapable de faire de même, empoté comme il était avec ses deux coupes de champagne. Si seulement il avait pu trouver Astrid avant. Et puis il avait toujours envie d’aller aux toilettes !

« C’est rien, t’inquiète pas, dit-il à la jeune femme en haussant un peu la voix pour couvrir la musique. Enfin, c’est un peu désagréable, j’avoue ! » rajouta-t-il avec un rire en se tordant alors que des gouttes tombaient dans son cou et son dos.

Pendant qu’il la laissait réparer les dégâts d’un sort, Sam chercha dans sa mémoire s’il connaissait cette fille et où il avait pu la connaître. Derrière son masque, il n’arrivait pas à discerner son visage pour se rappeler bien qu’elle lui disait vaguement quelque chose. Ou bien était-ce l’alcool qui lui faisait voir des choses. En tout cas elle était jolie, avec ses grandes boucles d’oreille. Mais, ça aussi, c’était peut-être à cause de l’alcool. Lorsqu’elle eut terminé, il lui tendit une coupe de champagne en souriant.

« Je peux te donner ça pour remplacer ton cocktail. Il haussa les épaules. C’était pour quelqu’un mais je ne l’ai pas trouvé. Du coup… Voilà, c’était pour elle. Tu t’appelles comment ? demanda-t-il en se penchant un peu vers elle. Moi c’est Sam ! Mais… tu le sais peut-être déjà. » En toute modestie, pas mal de personnes le connaissaient ce soir.

Alessandro acquiesça d'un signe de tête entendu la remarque de Sasha. En effet, il aurait pu plus mal commencer 2011 qu'avec une jolie jeune femme dans ses bras. Le sorcier remercia intérieurement Merlin pour avoir glissé une belle gastro entérite à son patron, ce qui lui avait permis d'être ici à virevolter sur la piste de danse aux douze coups de minuit plutôt qu'à faire le piquet dans une soirée mortellement ennuyeuse d'ambassadeurs. De toute évidence, il avait jeté son dévolu sur la fille la plus joueuse de la soirée, et c'était très bien : il en avait assez des filles fades et interchangeables qu'il trouvait habituellement dans ce type d'endroit. Sasha avait du caractère, il le devinait à l'intonation de sa voix, aux traits de son visage, à cette étincelle d'impertinence dans son regard. Cela l'intriguait.

Le sourire d'Alessandro s'agrandit quand Sasha vint frôler son visage, sans l'embrasser toutefois, pour lui glisser quelques paroles suggestives. Sa main glissa dans son dos pour lui frôler la nuque du bout des doigts.

"En ce qui concerne la suite de la nuit, pour commencer, je peux te proposer une visite privée de l'un des plus beaux buildings de la ville...", répondit-il en vrillant son regard dans le sien, "une occasion unique de découvrir l'architecture de cette ville légendaire..."

C'était rapide, mais Sasha n'avait pas l'air d'être le genre de femme à s'effaroucher d'une approche un peu trop directe. Ils savaient tous les deux ce qu'ils étaient venus chercher dans les bras de l'autre, alors pourquoi attendre ? Alessandro se sentait envahi par une agréable langueur, l'alcool, la musique et l'atmosphère survoltée des lieux lui engourdissaient les sens. Il n'avait pas réellement envie de faire l'effort de la conversation, apprendre à connaître la vie et l’œuvre de sa jolie conquête lui importait peu - ce n'était pas comme s'il avait l'intention de la revoir après cette nuit. En revanche son corps ferme pressé contre le sien, qui ondulait en rythme au gré de la musique, mettait son imagination et sa retenue à rude épreuve...

Bien sûr, Angus et Melchior le chambreraient probablement pour les trois prochaines semaines à venir, s'il passait moins d'une heure dans cette soirée avant de leur fausser compagnie, mais ce n'était pas de sa faute s'il était incapable de résister à une jolie paire de...jambes... c'était inscrit dans son ADN.

"...et l'on pourrait se débarrasser de ces masques... entre autres objets superflus", conclut-il sa proposition, avant de raffermir sa pression sur la nuque de Sasha pour l'inciter à se rapprocher. Il captura ses lèvres en un nouveau baiser, franc et sauvage, lui mordillant les lèvres tandis que sa main glissait dans son dos en une longue caresse sensuelle, se positionnant aussi bas que la décence le lui permettait. Il enferma Sasha dans son étreinte, et laissa glisser ses lèvres le long de son cou, où il déposa une série de baisers indolents.

"Qu'est-ce que tu en dis ? Ou alors je peux t'offrir ce second verre...", souffla-t-il au creux de son oreille, pour lui laisser une porte de sortie.

Noah ne savait pas vraiment ce qui lui avait pris d’accepter de passer son réveillon en compagnie de Virgil Forbes et sa bande de saltimbanques. Même les beaux yeux de Maeva n’étaient pas un suffisamment bon argument pour l’y pousser, maintenant qu’il y repensait. Elle avait usé de toute sa force de persuasion pour le convaincre de venir, expliquant que cela lui ferait plaisir qu’il passe la soirée avec ses amis, qu’ils allaient tous bien se tenir et que si cela se passait mal, elle rentrerait avec lui. Evidemment, il avait d’abord dit non, mais en bonne Gryffondor, sa petite amie s’était appliquée à revenir à la charge jusqu’à ce qu’il dise oui. Ces derniers mois avaient été plutôt éprouvants pour eux deux, pour Maeva plus que pour n’importe qui d’autre, alors Noah ne pouvait pas vraiment lui en vouloir de chercher à se vider la tête et s’amuser en compagnie de gens qui excellaient dans ce type d’activités puisque leur tête était déjà vide et qu’ils passaient leur temps à boire et faire des jeux stupides. Mais voilà, ce n’était pas vraiment son type de soirée préférée.

Par chance, ils étaient assez nombreux pour qu’il ne soit pas obligé de faire la conversation en continu avec Virgil. Il s’était plutôt rapproché de Lisa, qu’il connaissait bien et qui était tout à fait fréquentable. Malgré tout, Noah avait pris sur lui pour faire des efforts. Il avait dit bonjour à tout le monde. Il avait échangé des banalités avec Philip pendant au moins quinze minutes. Il avait complimenté un cake au fromage que Kasya avait apporté. Il avait papoté et plaisanté avec Lisa. Il avait trinqué son premier verre avec tout le monde, même Virgil et Damon. Il avait même accepté de jouer aux jeux de cartes avec eux, entre deux tacles plus ou moins innocents. Il n’avait presque pas fait la gueule. Il s’était laissé mettre du maquillage sur le visage pour être dans le thème de la soirée. Il avait marché jusque cette fameuse boîte de nuit branchée de Leopoldgrad, sachant que c’était la première fois qu’il mettait les pieds dans ce genre d’endroit et que cela ne le mettait pas du tout à l’aise.

Les percussions très sonores, qui semblaient cogner contre les murs de la salle, agressèrent l’ouïe de Noah dès qu’il passa le contrôle des vigiles à l’entrée. Puisque personne ne semblait vouloir respecter l’espace vital des autres, il sentit plusieurs fois des inconnus le frôler. La foule s’agitait particulièrement puisqu’ils avaient fait l’excellent choix d’arriver pile au moment du décompte de la nouvelle année. Tout semblait donc réuni pour que Noah ne passe pas particulièrement un bon moment mais il prit sur lui. Il ne comptait pas rester trop longtemps de toute façon. Ce n’était pas son univers, ici. Il n’aspirait qu’à une soirée tranquille devant un marathon cinématographique, sous une couette épaisse, avec un bol de chips. Il se nota dans un coin de sa tête de proposer à Maeva de ne pas rester trop tard et tourna la tête vers elle, machinalement.

Il estimait avoir fait tout ce qu’il pouvait pour qu’elle passe une bonne soirée avec les personnes qui, quoi qu’il en pense, étaient ses amis. Mais ce n’était pas stipulé dans le contrat qu’il était sensé tolérer un genre de scène où ses lèvres rencontraient celles d’un gros Veracrasse répugnant à taille humaine. Il y eut une micro-seconde où tout le monde observait la scène, un peu hébété, Noah le premier. Mais à l’inverse des autres qui se laissèrent emporter dans l’hilarité, parce que haha, il était quand même vraiment trop drôle à être un gros troll, ce Virgil, Noah vit rouge à peu près aussitôt. C’était quel degré d’insolence et de provocation d’embrasser sa copine juste sous ses yeux ? Le pire fut probablement la réaction de Maeva, qui, au lieu de se montrer outrée ou de le repousser, eut une espèce de rire incrédule. A croire que tout ce que touchait Virgil Forbes devenait instantanément aussi stupide que lui.

A ce moment-là, Noah aurait aimé être une de ces personnes qui trouvaient quelque chose de spirituel et de sarcastique à répondre en toutes circonstances. Il pouvait le faire mais pas quand il se trouvait déstabilisé. Peut-être qu’ils s’embrassaient tous sur la bouche pour rigoler dans cette brave bande d’amis et si cela les rendait heureux, eh bien cela les concernait, mais ce n’était pas les codes de Noah. Il aurait pu sortir un tacle un peu construit, qui faisait passer le message, par exemple « Je crois plutôt que cette année sera exactement comme la précédente, sauf si tu te décides enfin à grandir ». Mais rien ne franchit ses lèvres, parce que rien ne lui vint à l’esprit, à part une bonne grosse insulte classique face à Virgil, qui s’élançait vers lui avec beaucoup trop d’auto-satisfaction :

« Oh mais va te faire foutre. »

D’un coup de coude, il repoussa les bras qu’il tendait vers lui et le dépassa, instantanément vacciné contre l’envie de faire des efforts. Il ne passait déjà pas une incroyable soirée jusqu’ici, mais alors là… C’était officiel, il ne s’amusait plus du tout et il avait plutôt envie d’aller cuver sa colère ailleurs. Il s’enfonça dans la foule, sans vraiment regarder où il allait, sans trop savoir où il voulait aller, d’ailleurs.

Sasha plongea son regard clair dans celui d'Alessandro, essayant de deviner ses traits derrière son masque. Elle était très intriguée par sa proposition, qui la faisait se sentir incroyablement privilégiée. Une vue unique sur la ville, un lieux fermé au public, une visite privée, elle demandait à voir ça ! Elle avait l'impression de faire quelque chose qui lui était interdit, qui n'était pas pour elle, et elle aimait beaucoup cette sensation. Elle jouait un rôle ce soir, dissimulée derrière son masque et protégée par ses mensonges, et elle pouvait parfaitement décider d'être ce genre de filles qui suivaient de beaux inconnus pour aller admirer l'architecture de la ville.

"...et l'on pourrait se débarrasser de ces masques... entre autres objets superflus."

L'adolescente se doutait depuis le début de ce que son partenaire de danse pouvait rechercher auprès d'elle, sans vouloir se l'avouer. Ses dernières paroles eurent au moins le mérité de clarifier ses intentions. Sasha ne laissa rien paraitre du trouble que cette déclaration venait de provoquer en elle et lui rendit son demi-sourire, le coeur battant à tout rompre. Ce n'était pas ce qu'elle était venue chercher, elle. Flirter, danser un peu, s'embrasser, se toucher, tout ça faisait partie de ses plans, de ce qu'elle était capable d'imaginer, mais... aller plus loin ?

Elle repensa à la conversation qu'elle avait eu sur ce sujet avec ses amis de Salem, au cours de laquelle elle avait affirmé avec sagesse que c'était important d'avoir confiance en l'autre. Elle n'avait pas confiance en Alessandro. Elle le connaissait à peine, il aurait pu être un dangereux tueur psycopathe. Mais quelles étaient les chances qu'ils soient deux tueurs psychopathes réunis sur une piste de danse ? songea-t-elle avec cynisme.

Elle se rappelait avoir longuement discuté avec Maureen de l'importance d'être prête, alors même qu'elles n'avaient ni l'une ni l'autre pas la moindre expérience. L'était-elle, prête ? Elle avait envie de l'être, en tout cas. Elle ne demandait qu'à devenir cette femme parfaitement au courant de ses charmes et initiée à cet univers charnel qui lui était encore inconnu. Elle voulait abandonner dernière elle le monde de l'enfance, qui n'avait jamais été tendre avec elle et qui ne lui imposait que des contraintes. Elle voulait grandir, le plus vite possible, et Alessandro venait de lui en offrir la possibilité.

Elle frissonna tandis que la main du garde du corps glissait doucement dans son dos et sentit une agréable chaleur se répandre en elle alors qu'il approfondissait leur baiser, la laissant à bout de souffle. Les lèvres d'Alessandro délaissèrent finalement les siennes pour s'égarer le long de son cou et elle renversa sa tête en arrière, étourdie par ces nouvelles sensations et confuse face au choix qui s'offrait à elle.

L'idée d'accepter ce second verre puis de rentrer chez elle lui effleura l'esprit, et lui apparut clairement comme l'option la plus rassurante. Mais elle n'avait pas besoin d'être rassurée. Elle avait besoin de se prouver à elle-même qu'elle n'était plus une petite fille, et qu'elle n'avait peur de rien.

"Cette visite m'a l'air très tentante, répondit-elle dans un souffle, avec la sensation d'entendre quelqu'un d'autre s'exprimer. Je te suis."

Elle laissa glisser sa main le long du bras d'Alessandro et entremêla ses doigts dans les siens pour se laisser guider à travers la foule. Elle avait conscience d'avoir pris une décision importante pour elle, et son coeur le lui rappelait en cognant furieusement dans sa poitrine, mais elle n'éprouvait rien d'autre qu'un agréable sentiment d'excitation à peine teinté d'appréhension. Elle n'avait peut-être pas confiance en Alessandro mais elle avait confiance en elle, et elle avait décidé qu'elle était prête à faire ce choix là.

"Oh non je suis vraiment désolée !" répéta Priya alors que Sam lui avouait que se faire renverser un cocktail sucré sur la tête n'était pas très agréable, ce dont elle se doutait bien.

La jeune fille adressa un sourire d'excuses à l'influenceur en fouillant nerveusement dans sa pochette de soirée. Elle avait eut l'excellente idée de jeter un sortilège d'extension indétectable sur son minuscule sac à main et elle n'arrivait plus à mettre la main sur sa baguette. Le bras à moitié enfoncé dans son sac doré, elle grimaça en sentant les pages d'un livre sous ses doigts, écarta d'un geste son casque audio dernière génération, rencontra la paire de basket de rechange qu'elle avait emmenée au cas où, son écharpe, son manteau, son bonnet, et poussa une exclamation de victoire en effleurant finalement le bois de sa baguette magique.

"Recurvite !" s'exclama-t-elle finalement avec un sourire radieux.

Le liquide rose et sucré disparut instantanément des vêtements et du visage du jeune homme, qui se retrouva complètement sec mais très légèrement décoiffé, ce que Priya se garda bien de lui faire remarquer.

"Oh, euh...Merci ! répondit-elle avec un sourire alors qu'il lui proposait une des deux coupes de champagnes qu'il avait à la main, et qui était apparement destinée initialement à une autre personne. Bonne année !"

Elle attrapa la flute qu'il lui tendait et la fit tinter contre celle du jeune homme avant d'en siroter une gorgée. Finalement, c'était meilleur que le cocktail qu'elle avait commandé. Tant pis pour la personne que Sam n'avait pas trouvée ! Si Priya venait à la rencontrer, elle n'aurait plus qu'à lui offrir un verre.

Elle dut répéter son prénom plusieurs fois et crier pour couvrir la musique mais elle parvint finalement à se faire comprendre et répondit par un éclat de rire à la présentation de l'influenceur aux milliers d'abonnés qui était également un des organisateurs de la soirée. Y avait-il vraiment des gens ici qui ne savaient pas qui était Sam Allport ?  

"Oui bien sûr, je sais ! Ton nom était sur l'invitation, précisa-t-elle. Et je te connaissais bien avant évidement ! ajouta-t-elle précipitamment en réalisant qu'elle l'avait peut-être offensé en réduisant sa réputation à un morceau de carton. Je te suis sur Instamag ! Sa propre voix sonna à ses oreilles comme celle d'une stupide groupie et elle eut brusquement envie de disparaitre sous terre. Et puis, on s'est déjà croisés quelques fois, poursuivit-elle alors même que son cerveau lui hurlait de se terre. Enfin, de loin... Je travaille chez Vargas."

Elle estimait qu'elle n'était pas loin d'avoir égalé son record des présentations les plus laborieuses de l'histoire.  

La première fois que Maeva avait bu de l'alcool, elle avait fini avec Kasya à tenir les cheveux de Lisa au-dessus de la cuvette des toilettes - passage obligé pour nombre adolescents qui ne connaissaient pas leurs limites, et auquel elle n'avait pas échappé non plus - ô doux souvenir de ses dix-sept ans. Avec l'expérience, les deux amies étaient devenues de plus en plus solides, comme le prouvait d'ailleurs leur victoire écrasante à la première édition de Kro-Mantragore l'été dernier. La jeune femme avait toujours eu coeur à rester prudente sur sa consommation de produits illicites mais... Mais son père était mort, sa mère avait disparu depuis des mois, et elle avait décrété qu'elle n'aurait qu'une seule jeunesse sans s'amuser - et en plus, avait-elle ajouté cyniquement à ses amis, elle n'avait pas de parent pour la surveiller. La soirée du trente-et-un décembre lui avait semblé être l'occasion idéale pour se changer les idées.

L'évènement organisé au K-club pour célébrer le passage à la nouvelle année lui faisait de l'oeil depuis plusieurs mois - encore plus depuis qu'elle savait que l'intégralité de ses amis comptaient s'y rendre aussi. Elle avait été invitée par Virgil à rester dormir chez lui si elle le souhaitait, Lisa l'avait supplié quarante fois de venir en argumentant qu'il fallait quelqu'un pour la surveiller, Kasya avait souligné l'importance de célébrer l'année en compagnie de la pire promotion de Poudlard... Bref, que des arguments parfaitement justifiés qui n'avaient fait que renforcer son envie de s'y rendre. Mais Maeva avait aussi promis à Noah de passer le réveillon avec lui. Or, son petit-ami était absolument la dernière personne qu'elle voyait se réjouir d'aller danser toute la nuit au milieu d'individus alcoolisés. Sans trop de surprise, il avait refusé catégoriquement quand elle lui avait proposé, mais Maeva n'avait pas été répartie à Gryffondor pour rien, et était revenue à la charge avec toutes les techniques qu'elle avait été capable de déployer pour lui faire accepter son idée. Les choses semblaient pourtant mal parties ; Noah détestait cordialement ses amis et ne se privait pas pour lui faire remarquer régulièrement qu'elle avait d'étranges fréquentations. Maeva ne se formalisait pas spécialement de ses remarques, bien que souvent vexée ; elle connaissait les liens difficiles entre les garçons de son année et lui, et préférait l'entraîner sur un autre sujet.

En tout cas, malgré le profond mépris qu'il vouait à Damon et Virgil, Noah avait fini par accepter de l'accompagner - même si, pour ça, elle avait dû lui promettre de partir tôt - à vrai dire, elle espérait qu'il boive suffisamment pour oublier cette promesse parce que, pour le coup, elle était plutôt ivre et n'avait aucune idée de retrouver le silence d'une maison vide. Elle avait perdu le fil de sa consommation d'alcool très tôt dans la soirée - mais elle avait gagné avec Damon au Beer-Quidditch (parce qu'ils avaient triché), puis elle avait fumé un ou deux joint avec Virgil, elle ne se souvenait plus trop, parce qu'ils s'étaient lancés dans une compétition de cynisme où ni l'un ni l'autre n'était ressorti vainqueur. Elle s'était laissée maquiller par Lisa pour aborder un masque à paillettes, avait chaussé des chaussures à talons hauts dont elle oubliait la douleur qu'ils lui causaient dès qu'elle avait de l'alcool dans le sang, et toute la joyeuse petite troupe était partie - en retard, évidemment - au K-club.

Elle avait hurlé avec ses camarades le décompte pour la nouvelle année, avait sauté dans les bras en sautillant lorsque le champagne avait été débouché. Kasya lui avait crié dans les oreilles qu'elle l'aimait - elle lui avait percé un tympan probablement, mais elle l'avait enlancé quand même, parce que l'année 2011 n'était pas une année pour être rancunier. Damon avait fait tourner Lisa, puis Kasya, puis Maeva dans ses bras "Pas de jalouses !", et, lorsqu'il l'avait reposé au sol, elle avait dû lutter pour ne pas s'écrouler par terre. Après une seconde de stabilisation, elle avait tourné la tête pour chercher Noah du regard. Elle s'approcha de lui, bien décidée à partager leur premier baiser de la nouvelle année, mais un autre de ses camarades avait décidé d'une tournée générale de bisous qui détourna brièvement son attention. Virgil avait quitté les lèvres de Damon pour celles de Kasya, de Phil, de Lisa... Et il arriva finalement devant elle. Au regard insolent qu'il lui lançait, elle sut ce qu'il allait faire avant même qu'il ne lui souhaite une bonne année et s'immobilisa en soutenant son regard avec le même air de défi. Le chaste baiser - qui aurait très bien pu être une bise sur la joue - qu'il posa sur ses lèvres lui tira un rire incrédule, un peu moqueur envers Virgil. "Bonne année, espèce d'abruti." lança-t-elle en levant les yeux au ciel, avant de capter le regard accusateur que Noah portait sur elle et celui, un peu curieux, de Kasya.

Un signal d'alarma se fraya dans son cerveau embrumé par l'alcool, et elle se tourna vers Noah pour lui adresser une moue désolée lorsqu'elle prit conscience qu'il venait de voir la personne qu'il détestait le plus dans Poudlard embrasser sa petite-amie. "C'était pour rire, Noah..." tenta-t-elle alors que les signes très clair qui traduisaient de l'énervement de Noah aparaissait sur son visage. Ce dernier quitta d'ailleurs très rapidement leur petit groupe, visiblement furieux, et Maeva sentit une vague de culpabilité la submerger.

"Je sais." répondit-elle à Virgil qui défendait son acte.
"Il est vraiment fâché ?" demanda Lisa qui se tenait à Damon pour ne pas trébucher.
"Virgil vient de pécho sa copine devant lui, alors je pense que oui."
"Il ne m'a pas pécho, Kas'." corrigea Maeva en cherchant son petit-ami du regard dans la foule.

Elle avait un peu honte du comportement de Noah, et ne comprenait pas pourquoi il accordait une telle importance aux actions de Virgil dont il connaissait le mode de fonctionnement depuis des années maintenant. Mais elle ne pouvait décemment pas ne pas aller s'expliquer avec lui, aussi adressa-t-elle un "Je reviens." à ses amis. Elle se mit à la recherche de Noah, attrapant au passage une coupe de champagne qu'on lui tendait et qu'elle descendit rapidement pour calmer son tourment. Elle trouva le jeune homme dans un coin un peu reculé de la pièce, entre du club, entre le bar et les vestiaires. Elle s'approcha de lui, un peu hésitante.

"Tu accepterais de m'embrasser quand même pour la nouvelle année ?"

Noah se rendit compte un peu trop tard que, dans sa colère, il n’avait pas vraiment choisi la bonne direction. Sur le coup, il avait simplement ressenti le vif besoin de s’éloigner et s’était enfoncé dans la foule, sans réfléchir. Mais le mieux aurait été de sortir de la boîte directement, plutôt que de se retrouver près du bar, au milieu de personnes qu’il ne connaissait pas. Le souci était que le groupe qu’il venait de laisser se trouvait justement près de la sortie et il n’avait pas envie de les recroiser en faisant demi-tour. Il s’arrêta donc dans sa marche, en regardant autour de lui, sans trop savoir quoi faire, avec l’espoir peut-être de voir un visage familier mais il n’y avait pas que des étudiants de Poudlard, ici, loin de là. Ce n’était peut-être pas plus mal, il n’était pas certain de vouloir de la compagnie, à cet instant, et surtout, que quelqu’un veuille bien de sa compagnie à lui, qui était actuellement dans une sale humeur.

Il maudissait cet abruti de Virgil. Ce n’était probablement pas le pire coup qu’il lui ait fait -il était capable de pire, en matière de trollage- mais il avait particulièrement du mal à passer, celui-ci. Il venait de prendre conscience qu’il n’était pas serein sur cette relation que Virgil avait avec Maeva. Méfiant, il l’était depuis le début, parce qu’il n’aimait pas Virgil, qu’il trouvait profondément immature, pénible, arrogant, avec globalement une mauvaise influence sur les autres. Mais jaloux ? Il semblait à Noah que c’était la première fois qu’il ressentait cette désagréable piqûre, cette inquiétude vive, comme si sa place à lui était menacée, alors qu’il n’avait jamais eu cette sensation jusque maintenant. Il y avait une certaine logique dans son ressenti, puisque Virgil venait de marcher sur ses platebandes, en quelque sorte, et que Maeva ne l’avait pas repoussé. D’un autre côté, sans doute que ce n’était pas vraiment rationnel et qu’il donnait trop de poids et de signification à un geste qui n’en avait pas. Mais c’était plus fort que lui, il avait une espèce de mauvais pressentiment. Ce qu’il venait de voir, ce baiser désinvolte, le fait que Maeva l’ait prit avec le sourire, avaient entrouvert dans son esprit un nouveau champ de possibilités qui le mettaient vraiment mal à l’aise. Peut-être que Maeva plaisait à Virgil. Peut-être que Virgil plaisait un peu à Maeva, même si elle n’en faisait rien ou qu’elle ne s’en rendait pas compte. Noah savait qu’ils se voyaient de plus en plus souvent, ces derniers temps. Il voulait bien croire que c’était en toute amitié. Pour l’instant. C’était sournois, ces choses-là. C’était souvent comme ça que ça se passait, ils avaient des tas d’exemples autour d’eux, à Poudlard. Un moment, c’était un couple de deux personnes heureuses, amoureuses, et puis un jour, l’un des deux se lassait et trouvait mieux ailleurs.

Noah détestait les images qui commençaient à se dessiner dans son esprit inquiet, il détestait Virgil d’avoir créé cette impulsion et il détestait Maeva de l’avoir laissé faire. Plus il prêtait d’attention aux signes récents de rapprochement entre eux deux, plus il se rappelait les signes qui, à l’inverse, montraient une certaine distance entre lui et sa copine depuis quelques temps : les disputes, les désaccords, les non-dits, parce qu’elle faisait ses plans de son côté, parce qu’il avait des points de vue sur le climat de surveillance à Poudlard qu’elle ne partageait pas, parce qu’ils n’avaient plus tout à fait les mêmes objectifs en ligne de mire, en somme. Et tout à coup, les deux balances, distinctes jusqu’à maintenant, lui semblèrent avoir un lien. Si elle partageait moins de choses et passait moins de temps avec lui, elle allait forcément le faire avec quelqu’un d’autre et il avait l’impression que cette personne, c’était Virgil.

C’était en résumé le pire moment pour que Maeva vienne faire amende honorable. Noah n’était pas du tout redescendu de sa colère, et en plus, il commençait sérieusement à se monter la tête. Il lui en voulait, parce qu'elle savait que c’était un vrai effort pour lui d’être là, avec eux, alors il ne comprenait pas qu’elle lui inflige une scène pareille et que sa seule réponse soit « C’était pour rire ». Il n'avait plus envie d'être gentil, là, tout de suite. Sa question, timide, au lieu de l’adoucir, lui donna du grain à moudre dans sa contrariété et il répliqua, plutôt froidement, en se tournant vers elle :

« Tu veux dire, là où Virgil vient de laisser son empreinte ? Non merci. »

Cela le dégoûtait d’y repenser. Il ne comprenait vraiment pas que ce soit si anodin pour elle et les autres. Il n’aurait rien dit pour un baiser sur la joue, c’était un geste amical, un baiser sur la joue. Pas un baiser sur les lèvres, pas pour lui.

« Si c’était pour « rire », eh bien ça n’a fait rire que vous, pas moi. »

La réponse de Noah lui fit l'effet d'une gifle, et Maeva haussa les sourcils, stupéfaite, et profondément vexée. Elle savait que Noah n'était pas le garçon le plus tolérant du monde - et que sa patience, lorsqu'il s'agissait de Virgil, devenait brusquement inexistante - mais elle espérait au moins qu'il s'adoucisse à son contact, surtout si elle venait en brandissant un drapeau blanc. Or, de toute évidence, son petit-ami semblait peu enclin à lui adresser la parole sans employer un ton sec et froid qu'elle ne lui connaissait pas, et qui ne lui plaisait pas du tout.

Elle ne savait même pas comment réagir face à lui, si bien qu'elle se mit immédiatement sur la défensive en croisant les bras sur sa poitrine. Elle était déçue, et elle n'arrivait pas exactement à savoir pourquoi. Peut-être aurait-elle voulu, malgré toute raison, que Noah parvienne à se lier d'amitié - ou du moins de sympathie - avec ses amis. Kasya, Damon, Virgil, Phil, tous étaient devenus plus ou moins proches d'elle depuis quelques mois, et elle aurait aimé pouvoir partager ça avec son petit-ami. Elle avait peut-être aussi envie qu'il leur plaise, que les moqueries sur leur couple cessent, et que, de la même manière, les moqueries sur les "abrutis" qu'elle fréquentait s'arrêtent également. Bref, elle avait voulu lier deux mondes qui étaient, de toute évidence, bien trop différents. Elle était déçue, donc, vexée, et absolument pas d'humeur conciliante.

"Eh bien formidable, bonne année à toi aussi." railla-t-elle alors en secouant doucement la tête.

Au fond, elle comprenait pourquoi Noah était agacé - et, vraiment, dans une toute autre situation, probablement lui aurait-elle donné raison. Mais, en même temps, elle aurait aimé qu'il réagisse plus simplement, à la rigueur en bougonnant mais sans en tenir rigueur ni à l'un ni à l'autre, pour un geste purement innocent, qui n'avait aucune conséquence.

"Mais Noah, ce n'était pas grave..." lança Maeva. "Ce n'était pas malin, mais Virgil n'a jamais été malin. Tu sais aussi bien que moi que ça ne voulait rien dire, il aurait très bien m'embrasser sur la joue que ça m'aurait fait le même effet..." Elle haussa les épaules, soupira : "Pas besoin de réagir comme si j'en avais tiré la moindre satisfaction..."

5... 4... 3... 2... 1... BONNE ANNEE !

Oui, oui, bonne année, bonne santé, et surtout, taisez-vous, songea Avalon en se retenant à grand peine de jeter un regard désagréable aux adolescents qui venaient de lui percer le tympan droit. Cela faisait maintenant près de quatre heures qu'elle était arrivée sur le lieu de sa dernière mission de l'année 2010 - et sa première de l'année 2011 - et elle ne devait son calme qu'à ses nerfs, qui lui permettait de tenir dans un lieu aussi remplis de jeunes adultes ivres alors qu'elle était elle-même tout à fait sobre. Habillée de façon classique - un pantalon noir, un chemisier bleu, et des bottines plates - Avalon, détonnait pourtant dans cet environnement où robes à paillettes, talons hauts et masques en tout genre avaient la primauté. La jeune femme s'écarta un peu du groupe un peu trop agité - pour préserver ce qui restait de son ouïe - et se posta dans un coin du club qui lui offrait une belle visibilité sur la piste de danse.

Elle avait supplié Danielle de ne pas l'envoyer au K-club le soir du 31 décembre - elle l'avait véritablement supplié, elle se souvenait même d'avoir envoyé l'expression "je t'en supplie Danielle, tout mais pas ça", en grande comédienne qu'elle était. Mais sa cheffe avait été intraitable. Elle avait besoin d'un lieutenant de la milice pour superviser les opérations au K-Club, et Nasreen avait plus d'ancienneté qu'elle - et, accessoirement, avait déjà posé ses dates de vacances (futée, la Nasreen). C'était donc Avalon qui avait écopé de la mission de surveillance du 31 décembre, et elle qui, par la même occasion, avait eu la chance, que dis-je, le privilège, d'enquêter au préalable sur Sam Allport, ce jeune influenceur qu'elle avait déjà arrêté dans le passé. Elle avait donc épluché son compte instamag, ses longues vidéos de mode, et avait même pu écouter ses conversations téléphoniques, si intéressantes qu'elle avait véritablement dû résister à l'envie de se taper la tête contre un mur.

Mais plus que quelques heures, et elle serait enfin libérée, songea-t-elle en balayant la salle d'un regard vif. Elle repéra un groupe un peu agité, un garçon un peu bougon, un couple visiblement bien parti pour terminer la soirée ensemble sur la piste de danse, puis finalement Angus, qui s'approchait d'elle pour lui souhaiter une bonne année, bien à sa manière.

"Bonne apnée officier !" répondit Avalon du tac-au-tac - parce qu'elle aussi avait un répertoire d'expressions plus ou moins douteuses long comme - je ne finirai pas cette blague.

"Alors ?" interrogea-t-elle en coulant un regard amusé vers Angus, "Tu as réussi à chopper des petits tips sur "comment porter un bonnet ?" Un sourire étira ses lèvres. "Puisqu'on est infiltrés parmi les plus grands influenceurs du pays, ce serait dommage de ne pas en profiter..."

Sasha et Alessandro sortirent du K-Club à temps pour capturer la fin du feu d'artifices. Tout en accrochant la broche en argent qui retenait les pans de sa cape autour de son cou, Alessandro redressa la tête pour observer les gerbes de lumière qui explosaient dans le ciel en formant des motifs. Un gobelin dansait la gigue dans le ciel tandis qu'un dragon, une sorcière sur son balai et un sombral volaient en décrivant des arabesques. Finalement, ils explosèrent en une myriade de gerbes multicolores, et le ciel redevint noir - du moins aussi noir qu'il pouvait l'être dans cette ville qui ne dormait jamais.

Sa main dans celle de Sasha, Alessandro guida sa partenaire dans les rues de Leopoldgrad. La ville était particulièrement animée ce soir, de nombreux sorciers se pressaient sur le pavé ou aux terrasses panoramiques des buildings vertigineux, vers lequel il redressait régulièrement le regard. Alessandro aimait la hauteur.

"J'aime beaucoup cette ville, elle me rappelle les Etats-Unis, c'est pour ça que j'ai voulu m'y installer", commenta-t-il alors qu'ils passaient devant l'un de ses immeubles préférés, qui changeait de forme en fonction de l'heure de la journée et de la météo : il avait cette fois la forme d'un croissant de lune.

C'était certainement à New York qu'Alessandro avait été le plus heureux. A l'époque où Sören était encore en vie, son compagnon et lui s'y rendaient fréquemment pour les vacances, si bien qu'il avait fini par connaître assez bien la ville. Secouant la tête pour en extraire le fantôme de son ex-compagnon, Alessandro reporta son attention sur la sorcière à son bras.

"Tu y es déjà allé ?", s'enquit-il alors qu'ils parvenaient devant le hall d'entrée de son immeuble. Il avait besoin de s'occuper l'esprit, d'en enlever ce type de pensées parasites, d'étourdir sa peine, et il comptait sur cette audacieuse inconnue pour l'y aider. Une année de plus s'était écoulé et il s'en remettait toujours aux vieux remèdes...

Il entraîna Sasha dans l'ascenseur, appuya sur le bouton du 76e étage, et l'attira à lui tandis que la cage se mettait en branle. Hélas, il était si rapide qu'ils eurent à peine le temps d'échanger un baiser avant d'arriver à bon port. L'ascenseur s'immobilisa avec un petit son caractéristique, et ils sortirent pour arriver devant la porte du penthouse.

"Bienvenue chez moi", dit-il en ouvrant la porte sur un grand salon plongé dans l'obscurité, uniquement éclairé par les lumières de la ville qui perçaient à travers les baies vitrées. Depuis sa terrasse, il avait vue sur les plus beaux monuments de Leopoldgrad, une vue dont il ne se lassait pas.