Bananaaa ! [Toni & Sofya]

Un coup d'oeil à l'air maussade de Toni suffit à redonner le sourire de Sofya. Certes, cette réunion des Veilleurs s'était révélée des plus déplaisantes, mais la suite de la soirée s'annonçait plus réjouissante. A condition, bien sûr, que son meilleur copain accepte de la suivre, mais Sofya savait se montrer convainquante. Bousculant Dimitri par inadvertance, et Solal par complète advertance, Sofya se fraya un chemin jusqu'à l'italien et glissa son bras sous le sien.

"Toi, t'as l'air d'avoir besoin de boire un verre...", susurra-t-elle d'un ton innocent, tout en tournant vers lui un regard de chaton. "Allez, c'est samedi soir, y'aura de l'ambiance au Niffleur !"

Toni ayant décidé de suivre la voix de la tentation, les deux compères prirent le chemin de la Voie des Miracles et s'attablèrent dans un recoin du Niffleur écarlate. Une pinte de gobière devant elle, son ami à ses côtés, Sofya se sentit vite plus détendue et sentit l'ambiance familière des lieux l'envelopper comme un cocon. Bientôt, sa commère intérieure se réveilla, prête à médire avec Toni.

"C'était quelque chose cette réunion, hein ?", lâcha-t-elle en observant Toni de son regard indolent, attendant le flot de critiques et d'emportements qui n'allaient pas tarder à suivre avec une certaine importance. C'était quelque chose qui les réunissait, tous les deux, cet art de râler bruyamment sur les aspects pénibles de leur vie - et notamment sur leurs boss...

Antonino Tessio, 28 ans, second des Veilleurs

Il y avait des moments où Antonino avait envie d’envoyer paître le monde entier -pour rester poli- et dans ces moments-là, il valait mieux ne pas venir le chercher. Ou alors en sachant s’y prendre comme il faut, et il devait reconnaître que Sofya avait quelques techniques bien efficaces. Quitte à passer la soirée à tempêter, autant le faire là où il pourrait s’enivrer comme il le fallait, histoire de se chauffer encore plus.

Toni pénétra dans le bar connu désormais comme le repère de leur gang en se faisant bien remarquer comme il en avait l’habitude. Car Toni était bruyant dans tout ce qu’il faisait, qu’il s’agisse de sa voix ou de ses gestes, il ne pouvait pas ramener sa présence sans donner l’impression qu’il rapportait un troupeau de dragons. Et ce fut toute la grâce de ses quatre-vingt kilos de muscles qui s’abattit sur le bois de la table quand Toni s’avachit à moitié dessus, en vidant la moitié de sa gobière. Gobière qu’il reposa en manquant de la fracasser, geste destiné à introduire son discours tempétueux, en plus des indispensables grands moulinets des bras :

« C’était dé la merde, oui ! Ils commencent à bien mé lé briser, tous, à mé dire cé qué jé dois faire. Franchement, jé fais pas du boulot niquel, moi ? Et Jayce qui tient les comptes comme s’il était patron d’oune banque mondiale… Est-ce que jé leur remplis pas les poches trois fois plus qué Solal, à ces vautours ? Alors pourquoi ils mé font chier dès que ça prend un peu dé temps à renflouer oune investissement, ils savent très bien qué jé finis toujours par faire des bénéfices ! Puis c’est pas ma faute si on a eu dé souris qui ont piqué dans nos réserves, ces derniers jours, forcément si dé la came disparaît, on perd dé l’argent… Roy est gonflé dé mé lé reprocher, ça, alors qué c’est sa faute ! »

Sa faute, celle d’une Rosebury, c’était du pareil au même, pour l’italien, du Calder clandestin avait bouffé dans ses réserves, et Calder en chef osait lui rétorquer qu’il n’avait qu’à être plus vigilant, non mais où allait le monde ?

Un sourire impertinent aux lèvres, Sofya écouta Toni tempêter en sirotant sa gobière. Des hochements de tête ponctuels de l'espionne venaient approuver ses propos. Elle tirait une certaine satisfaction de l'ire de son compagnon, qui traduisait tout à fait ce qu'elle pensait, avec sa fougue habituelle. Son timbre de voix qui emplissait la salle ses grands gestes d'italien courroucé attiraient les regards. Parfait, songea Sofya, impitoyable. Tous les poivrots de la Voie des Miracles sauraient ainsi que les Veilleurs s'étaient fait flouer à cause d'une bévue de Roy. Voilà pour le prestige des Veilleurs, et la légende de Calder, l'irascible chef de gang ! La rumeur enflerait aussi vite qu'un scandale chez les sangs-purs et cela lui apprendrait, à passer ses nerfs sur eux. Les espions aussi en avaient pris pour leur grade ce soir et Sofya, qui n'aimait pas se dire qu'elle était sous l'autorité de quelqu'un, n'avait pas du tout apprécié.

"Complètement", appuya-t-elle de sa voix suave, guêtant du coin de l'oeil les oreilles des voisins qui traînaient. La belle était revancharde, et ce n'était pas nouveau. Oeil pour oeil, dent pour dent, c'était ainsi qu'elle fonctionnait, avec ses ennemis comme avec ses alliés. "Quel culot ! C'est de notre faute, à nous, si sa petite pimbêche de cousine se permet de piquer nos réserves pour pimenter son existence insipide ?"

Non, ce que Sofya ne s'était pas gênée de faire remarquer pendant la réunion. "Fallait préciser dans la fiche de poste qu'on devait espionner tous les membres de votre famille, chef", avait-elle lâché avec insolence, le vouvoiement en guise d'avertissement. Qu'il ne pousse pas le bouchon trop loin, le petit Roy, s'il ne voulait pas se retrouver avec une mutinerie sur les bras ! Même Evan avait eu l'air d'approuver.

Toni avait tendance à se laisser parler au gré de ses envies, sans jamais faire attention à qui pouvait traîner autour, et encore moins à quel impact aurait ses paroles. Mais si on lui avait fait remarquer à cet instant que ses paroles pouvaient discréditer leur chef, cela n’aurait rien changé. Tant mieux ! Il lui fallait bien une leçon, Roy se croyait un peu trop tout permis au goût du sanguin italien.

« Ah ça ! Mais faut pas l’offenser, hein, dès qu’il s’agit dé sa famille, tout lé monde doit sé plier à ses exigences. Comme si les Calder valaient mieux qué les autres ! »

Toni avala d’une traite le reste de sa bière, avant de lever la main pour en commander une autre. Il pointa la petite bouteille vide sur l’espionne, la secouant pour appuyer chacun de ses mots.

« Tou sais quoi, Sofya ? On dévrait faire grève, moi jé dis. Comme ça, il sé rendra bien compte d’à quel point on est indispensables. »

Puis il saisit sa nouvelle gobière de l’air digne d’un homme offensé.

Sofya laissa éclater un petit rire affectueux devant la bouille offensée de Toni. Elle fit elle aussi un petit signe en direction du comptoir pour commander une nouvelle gobière, puis reporta son attention sur son interlocuteur.

"T'as bien raison mon Toni. Ils méritent une bonne leçon, Roy et Jayce. Depuis quelques temps, je ne sais pas trop ce qui se passe mais ils ne se sentent plus. Le succès leur monte à la tête. Si j'ai envie de me faire engueuler par mon patron, moi, je vais bosser chez Nimbus pas ici !"

Alors certes, l'oeuvre accomplie par les deux chefs de gang était impressionnante, mais il ne fallait pas oublier qu'ils avaient un allié de poids avec le ministère. Le jour où celui-ci décidait de les chasser comme les autres gangs, alors ils n'auraient plus que les membres du gang sur qui s'appuyer, et s'ils continuaient de les traiter de la sorte, plus que leurs yeux pour pleurer...

"Allez, faisons grève et buvons des coups, mon ami", dit-elle en s'exécutant, faisant un sort à sa gobière. Laissant ses pensées divager, elle ajouta, rêveuse : "On devrait même monter notre propre gang tous les deux, comme ça on leur piquera le marché, ils auront l'air fins."

Toni avait toujours eu un problème avec l’autorité, quel que soit l’interlocuteur en face. Il détestait se faire réprimander, son ego refusait de souffrir de se trouver face à quelqu’un qui asseyait son pouvoir sur lui. Quelque part, il était mieux loti avant, quand il faisait juste un quatuor avec Fergus, Jayce et Roy, où ils se traitaient d’égaux à égaux. Maintenant qu’il se trouvait embarqué dans une hiérarchie de gang, il devait plier l’échine face à deux hommes qui étaient ses amis avant tout, et par conséquent, difficiles à considérer comme ses supérieurs. Toni ne s’y faisait toujours pas, et pourtant, les deux chefs n’étaient pas tyranniques avec leurs hommes, au contraire, on pouvait au moins leur reconnaître de veiller à bien les traiter. Mais pour deux personnes aussi fières et indépendantes que Toni et Sofya, toute forme de réprimande était une pilule difficile à avaler…

Aussi Toni approuva vigoureusement de la tête alors que l’espionne critiquait l’arrogance des deux patrons, renchérissant :

« Tellement ! Ils sé croient au-dessus dé tout, en cé moment. Comme s’ils étaient pas au même niveau qué nous y a quelques mois. »

L’amertume qui se lisait derrière la mine renfrognée de Toni s’effaça quelque peu à la proposition suivante de Sofya, qui le fit sourire d’un air vorace.

« Bonne idée, tiens. Jé souis sûr qu’on férait un sacré duo. Les italiens et les russes sont lé meilleurs sur lé marché dé la mafia, c’est bien connu ! Enfin, les italiens un peu plus, bien sûr, c’est nous qui avons inventé cé mot après tout… » ajouta t-il l’air de rien, sans paraître du tout vouloir titiller l’orgueil de la demoiselle, évidemment.

Sofya savait qu'elle ferait mouche avec une proposition comme celle-là. L'espionne partageait avec son ami le même dédain de l'autorité, et il était doux de songer à une vie où ils étaient le patron, même si en réalité ils n'avaient pas forcément les qualités d'un bon chef.

Son sourire se fâna bien vite à l'entente de la pique de Toni, évidemment destinée à la taquiner. Sofya n'était pas dupe mais elle ne se fit pas prier pour monter sur ses grands chevaux. Ce n'était pas la première fois que l'italien et la russe comparaient les mérites de leurs patries respectives. Au contraire, il s'agissait plutôt d'un jeu auquel ils étaient tous deux rompus, et qui impliquait généralement une conversation mouvementée.

"Tu veux que je t'arrache la colonne vertébrale, pour te montrer qui des russes ou des italiens dispose de la mafia la plus cruelle ?", explosa-t-elle en frappant du poing sur la table, avec une colère feinte. "Vous les italiens, vous êtes beaucoup trop délicats, vous ne faites pas le poids, tout est dans l'apparence, mais en réalité si on vous secoue un peu, pfiouuuu ! Y'a plus personne ! Vous ne tiendriez pas trois jours en Russie."

Sofya but une gorgée de gobière tout en surveillant la réaction de Toni du coin de l'oeil, qui à coup sûr, ne se ferait pas attendre. Parler de son pays natal lui donnait envie de passer à la vodka...

En toute honnêteté ? Toni aimait s’entendre parler. Toujours en train de bavasser sans s’arrêter, et un rien suffisait à ce qu’il hausse la voix, à moitié parce qu’il était susceptible, à moitié parce qu’il aimait s’entendre gueuler. C’était comme faire honneur à sa réputation que de ne pas se laisser marcher sur les pieds et montrer comme il avait le sang chaud. Puis avec Sofya, cela avait une saveur particulière, parce qu’elle lui donnait largement le répondant.

« Mais régardez la fanfaronner ! tempêta t-il en faisant un grand geste avec sa bouteille. Vous les russes, vous vous vantez beaucoup trop du haut dé votre pays complètement mort, y a trois fois plus dé kilos dé neige qué d’humains et vous vous prenez pour les rois du monde. Hé, nous au moins, en Italie, on sait mettre l’ambiance ! Il appuya ses dires d’un brave et viril coup au torse. Alors qu’un russe, il sé sent obligé dé s’enfiler trois bouteilles de vodka pour ressembler à quelque chose, ça doit être pour ça qué vous en vendez autant, tiens. »

Toni savait bien que les russes et la vodka, c’était comme les italiens et le panacotta, il valait mieux pas les chercher là-dessus.

Un éclat de colère non feinte traversa le regard de Sofya quand Toni évoqua le "pays complètement mort". L'espionne au sang bouillonnant bondit sur ses pieds et, profitant de l'effet de surprise, vint bloquer le gros bras musclé de Toni derrière son dos. Sofya ne mit qu'un court instant pour trouver sa baguette dissimulée dans un plis de sa robe bleue nuit et la pointer sur la gorge de Toni.

Le temps semblait s'être suspendu dans le bar et tous les regards étaient fixés sur le duo bagarreur, attendant de voir si une nouvelle bagarre fatale entre délinquants allait exploser sur la Voie. Le barman barbu, qui nettoyait le même verre depuis cinq bonnes minutes, songeait déjà aux dégâts qu'il allait devoir réparer et au sang qu'il faudrait nettoyer, et gromelait intérieurement. Pourtant, il ne bougea pas, car on ne voyait pas si souvent une jolie fille tenter de mettre une dérouillée à un collègue mafieux !

"Tu veux voir ce que je suis capable de faire à jeun ?", gronda-t-elle avant de lancer impulsivement un sortilège de chatouillis qui frappa le pauvre mafieux d'une vile torture. Sofya revint s'asseoir à sa place, un sourire de contentement aux lèvres, et lâcha bien vite le "Finite" qui mit fin aux souffrances de Toni.

"Tu crois vraiment que les femmes russes ne sont pas capables de mettre l'ambiance, Antonino ?", susurra-t-elle tout en glissant un regard langoureux sur son ami. Sa baguette toujours à la main, elle resta tendue sur sa chaise, attendant la riposte qui ne tarderait pas à venir. Drôle d'amitié que la leur, mais Sofya n'en changerait pour rien au monde - même si elle comptait bien l'emmener un jour à Serliovka pour lui faire oublier sa tendre Italie...

Emporté dans son discours provocateur, Toni vit trop tard le plan de vengeance de son amie se mettre en oeuvre. Le sort de chatouilles le fit exploser d’un rire bruyant, on aurait presque pu croire qu’ils s’amusaient simplement tous les deux si Toni n’était pas à moitié affalé sur la table avec Sofya qui l’immobilisait derrière. La garce ! Il aurait pu se dégager mais l’envie de se tortiller était plus forte que tout le reste. Ah, elle le cherchait, elle allait le trouver…

Le sortilège une fois levé, Toni s’accorda deux secondes de répit pour retrouver son souffle, pendant que Sofya lui lançait une dernière pique. Il se redressa sur son coude, un air fier et satisfait collé sur le visage, uniquement là pour ne pas perdre la face, bien sûr, il ne manquerait plus que ça !

« Tsss, si c’est comme ça qué vous torturez les gens, tou m’étonnes qué t’aies choisi l’espionnage, métier dé planqué. »

Il se leva de sa chaise, de toute sa hauteur, puis ouvrit les bras largement, sous les yeux des quelques hommes qui les entouraient, des Veilleurs pour la plupart. Toni et Sofya avaient un public, ce soir, il ne s’agissait pas de les décevoir…

« Messieurs ! clama t-il d’une voix forte et théâtrale. Notre bella des neiges ici présente s’imagine qu’elle peut défier le lieutenant en chef des Veilleurs, j’ai nommé lé grand moi-même, sans sé casser les dents à l’atterrissage. Un ou deux ricanements retentirent dans un coin de la salle. Est-ce qué jé vais la laisser faire ? Un homme clama quelque chose derrière lui. Quoi, qué jé lui montre qui a lé plus dé muscles ici ? Bien, bien, d’autres propositions ? » Un premier homme se mit à taper des poings sur la table, et bientôt, les trois quarts du bar suivirent dans l’hilarité générale, en clamant « Toni, Toni, Toni ! ». Satisfait, l’italien se tourna vers l’espionne, un large sourire aux lèvres alors qu’il susurrait pour elle : « Voilà comment on met l’ambiance, bella. »

…Et surtout pas de laisser l’un d’entre eux s’imaginer qu’Antonino Tessio allait se laisser avoir par une femme.

La "bella des neiges" ôta un chapeau invisible et fit la révérence face à la salle, tandis que Toni faisait le fanfaron et soulevait les encouragements. Décidément, ces deux là formaient un véritable duo comique. Quand ses camarades de boisson se mirent à clamer le nom du lieutenant, Dimitri se joignit à eux avec plaisir, attendant avec une certaine impatience de voir comment ce petit conflit allait se régler. Il appréciait Toni et Sofya, bien que n'ayant jamais guère eu l'occasion de bien s'approcher de cette dernière. A vrai dire, il l'évitait sciemment, préférant ne pas trop fricotter avec les espions des Veilleurs.

Dimitri préférait se fondre dans la masse. Discret, efficace, il faisait son travail aussi bien qu'un autre et ne communiquait avec son véritable boss que sur son temps libre, afin d'éviter toute question. Jusqu'à présent, personne ne soupçonnait son existence et cela lui permettait d'effectuer son travail d'agent double l'esprit serein. Les mois passaient et il se prenait à véritablement apprécier sa place au sein des Veilleurs. C'était un gang et, à partir de là, ses membres n'étaient pas les personnes les plus fiables et respectables au monde, et pourtant il existait un véritable esprit de corps au sein de cette organisation. Les Veilleurs n'étaient pas exempts de tensions, ni de moments de stress, avec l'affaire June Byrd par exemple, mais Dimitri appréciait l'ambiance générale et la loyauté qui liait les membres au gang. Il commençait donc à se faire de véritables copains au sein du gang avec qui il fréquentait un peu trop la Voie, mais après tout, pourquoi pas ? Il n'avait personne à la maison pour l'attendre, et ce n'était pas Marchebank qui allait l'en dissuader...

Dimitri avala une grande rasade de sa gobière puis se renversa dans sa chaise, les mains croisées derrière son crâne. Son habituel sourire de requin aux lèvres, il observa Sofya qui se pavanait à son tour. Ils s'étaient bien trouvés ces deux là, tant d'ego et de sens du spectacle, deux bons vivants, deux caractériels, qui ajoutaient une touche d'exotisme au gang avec leurs accents chantants et qui savaient toujours mettre l'ambiance, que ce soit en se trashant entre eux ou bien en grommelant contre les boss.

"Qui a envie de voir le grrrrand Antonino Tessio prendre une raclée par une femme ?", s'exclama-t-elle en faisant rouler le r. "Alors Toni, à quelle sauce penses-tu pouvoir me manger ?"

Lorsque Toni révéla le terrain sur lequel il défiait Sofya, Dimitri laissa échapper un éclat de rire amusé. Voilà qui était prometteur ! Farfouillant dans la poche de son jean, Dimitri en sortit un gallion qu'il jeta sur la table, avant de poser son regard de glace sur ses voisins, Solal et Marcus.

"Je parie sur Sofya", lâcha-t-il tranquillement. Les paris étaient lancés, et chacun en vint bientôt de son pronostic, avant de venir grimper sur les tables et les chaises autour du duo, prêts à profiter du spectacle.

Un soir comme un autre au sein des Veilleurs.

Satisfait de l’animation qu’ils avaient mise dans le bar -Toni crut même entendre les premiers paris commencer autour d’eux-, la trafiquant grimpa sur sa chaise et posa fièrement son pied sur la table tel un pirate à l’abordage. Il n’avait peut-être jamais fait de théâtre comme Sofya, mais il adorait se faire remarquer, alors quand il s’agissait de surjouer, il en rajoutait souvent trois couches.  

« Sauce au rhum, madame ! Apportez-nous la marchandise ! »

Une fois que le barman eut posé deux belles bouteilles entre eux, Toni, toujours haut perché, en saisit une pour la pointer sur la jeune femme.

« Jé né jamais piqué quelques grammes dé monalisa dans les réserves pour mon compte. Fais gaffe, cé moi lé flic ici ! »

Puis il allait se dépêcher de boire après la réponse de Sofya, car lui en avait déjà pris, mais bon, c’était lui le patron des marchandises, aux dernières nouvelles, et les arrangements se faisaient toujours plus facilement quand c’était avec soi-même.

Il fallait plus qu'une bouteille de rhum et un italien gringalet pour effrayer Sofya, aussi releva-t-elle le défi avec un sourire confiant. Confiante dans le fait qu'ils allaient assurer le spectacle, remplir les poches du barman qui accueillerait de nouveau les Veilleurs avec le même enthousiasme, et surtout, régler leurs différents dans les volutes de l'alcool... Pour ne pas changer.

Sofya s'installa en équilibre sur sa chaise, sa bouteille à la main, et observa Toni avec un sourire de défi. Qu'allait-il donc encore inventer ? La réponse ne se fit pas attendre, et provoqua chez Sofya un secouement de tête incrédule. Sérieusement, ce jeu-là ? Etaient-ils des collégiens de Poudlard à la réunion clandestine de fin d'année ? Non ! Ils étaient de fiers Veilleurs, mais ma foi, pourquoi pas. Sofya embrassa la salle en écartant les bras.

"Mais mon cher Toni, tu vas tous nous faire boire ! Et toi avec !", s'exclama-t-elle en provoquant quelques rires approbateurs. Elle but une longue gorgée de sa bouteille, faisant mine de réfléchir, puis tourna son regard vers la salle en guise d'inspiration. Son regard tomba sur l'un des Veilleurs et un sourire matois trouva le chemin de ses lèvres.

"Je ne me suis jamais fait casser le nez par Solal", dit-elle d'un ton innocent.

Le sourire qui apparut sur les lèvres de Toni pendant que Sofya buvait -et que lui-même se servait une gorgée, histoire d’être honnête- disparut assez vite à sa question. Ah, la vipère ! Remettre sur le tapis cette vieille humiliation, face au concerné, en plus ! Il ne pouvait même pas faire mine de nier. De toute manière, ce n’était pas resté un secret, ce genre d’histoire circulait en moins de trois secondes dans un gang, provoquant moult commentaires plus ou moins pénibles et paris fortement déplacés -du moins c’était ce que Toni pensait lorsqu’il n’était pas concerné, il aurait fait la même chose à la place des autres Veilleurs. Il en entendait certains se mettre déjà à ricaner, d'ailleurs.

« Et un point pour Belinski. » lança la voix parfaitement insupportable du troisième concerné.

Quelque chose se crispa dans la mâchoire de l’italien, tandis qu’il se servait silencieusement une gorgée en vrillant un regard mauvais sur Solal. Ah puisque monsieur voulait s’en mêler, eh bien, Toni allait l’y mêler. Reposant sa bouteille avec fracas sur la table, il garda son regard fixé sur son co-lieutenant.

« Jé né jamais trouvé Solal à mon goût. »

Evidemment il ne but pas. Mais tourna un regard silencieux sur Sofya, dans l’attente de sa réponse. « Allez, oune pétite trêve, ma bella des neiges, juste lé temps dé loui rabattre lé caquet » semblait dire son léger sourire aux lèvres.

Sofya savait que c'était un coup bas qu'elle venait de faire à son ami, et elle s'attendait donc à recevoir ses foudres voire pire, sa vengeance ! Heureusement pour elle, ce fut Solal qui récupéra le couroux de Toni, posant une question qui attira un sourire espiègle sur le visage de l'espionne. Allons bon, voilà qu'elle avait un choix à faire : rabattre le caquet de Solal...ou bien celui de Toni. Un court instant, elle fut tentée de porter sa bouteille à sa bouche - et la souleva d'ailleurs de la table, juste pour le suspens - histoire de voir la tête de Toni, mais elle préféra se montrer honnête. Inutile de laisser cette satisfaction à Solal !

Reposant la bouteille, elle secoua la tête de gauche à droite, se retenant de jeter un coup d'oeil en direction de la salle. Sofya préféra se pencher un peu vers Toni avec un air malicieux et rebondir sur sa question, pour prolonger la trêve. Ils s'étaient assez tapé dessus ce soir, et s'il y avait bien un sujet qui pouvait les mettre d'accord, c'était leur antipathie commune à l'égard de Solal...

Imitant son bel accent italien, Sofya lui lança, avec un clin d'oeil aguicheur : "Jé né jamais trouvé Sofya à mon goût !"

Elle lui donnait là l'occasion de prendre sa revanche pour le coup du nez cassé... Ou pas, à lui de voir.

Toni avait quelques vengeances puériles, parfois. Bon, d’accord, les trois quarts du temps, elles étaient puériles, mais c’était tout de même gratifiant de voir la figure de Solal prendre cet air hautain qui le qualifiait si bien, pour se rengorger dans sa fierté de « Comme si j’en avais quelque chose à faire ». N’empêche que Toni avait quand même envie de danser sur la table et lui chanter que « Lalala elle ne veut pas dé toi, aucune femme né veut dé toi dé toute façon ! » dans sa grande subjectivité.

Il ne fit rien de tout ça, car on attendait sa réponse pour une autre question et pas des moindres. Toni attrapa ce clin d’oeil aguicheur qu’il connaissait par coeur. Oh oui, il eut envie de lui rendre la monnaie de sa pièce, et lui mettre un vent, juste histoire d’arrondir les angles de ce coup bas qu’elle lui avait fait une minute plus tôt. Mais ce soir, Toni avait envie de s’amuser avant tout, et le petit jeu de fausse drague avec Sofya était l’un de ses préférés. Un sourire faussement résigné se glissa sur ses lèvres, alors qu’il portait la bouteille à ses lèvres.

« Oune toute pétite goutte, parce qué jé maintiens, Sofya : les bellas dé mon pays n’ont rien à avoir avec toi. »

Décidant de continuer sur la lancée, Toni se pencha pour lancer presque sur le ton de la confidence, un sourire mi-narquois, mi-séducteur aux lèvres, ignorant les commentaires de « Whooo trouvez-vous une chambre ! » autour d’eux.

« Jé né jamais eu envie qu’un bel italien mé chante la sérénade en plein milieu d’un bar. »

Car si le jeu des questions était amusant, Toni avait envie d'un peu d'action aussi.

"Jé vé té faire oublier lé femmes dé ton pays mon Toni !", susurra Sofya avant de se reprendre. Diantre, cet accent était vraiment trop communicatif ! Sa fierté de femme était piquée, comme si elle ne pouvait pas rivaliser avec une belle romaine ou sicilienne ! Certes, ses jambes étaient moins longues et son teint moins bronzé mais elle était une femme sensuelle, à laquelle les hommes se refusaient rarement. Et Toni était certes son meilleur ami mais il était aussi et avant tout un homme, qui faisait la fine bouche pour titiller son ego... Eh bien, ego titillé, Antonino, songea Sofya en soulevant un sourcil d'un air piqué. Il allait voir ce qu'il allait voir.

Sa proposition lui tira un franc éclat de rire et elle bondit presque sur sa bouteille. Toni qui chantait la sérénade, tel un Roméo version trafiquant louche ? Elle voulait voir ça, à vrai dire, elle était presque déçue qu'Isy ne soit pas là avec elle pour partager cette image. Qu'à cela ne tienne, Sofya n'allait pas en perdre une miette, et lui raconterait tout en détails plus tard. Voilà une scène à graver dans sa mémoire pour la rappeler à Toni dans un an ou dans trente ! La fois où il lui avait chanté la sérénade dans un bar plein de mafieux... Oui, cela sonnait bien.

Accrochant le regard de Toni de ses yeux languissants, Sofya porta la bouteille à ses lèvres et but une gorgée, puis deux, puis trois. Puis la finit complètement avant de la reposer sur la table avec une impatience non dissimulée. Pour une fois que ce n'était pas elle qui faisait le spectacle !

Ravi de la réponse enthousiaste de Sofya, car vider tout une bouteille pour lui le rendait flatté, Toni grimpa à nouveau sur la table -cela allait devenir une habitude- pour mieux se faire entendre, et surtout mieux se faire remarquer. Avant de commencer, il vida cul sec ce qui restait de sa bouteille également, histoire de se donner encore un peu plus de cran, et très certainement, beaucoup plus de connerie. De sa voix grave qui portait beaucoup, Toni montra qu’il n’était pas simplement capable de hurler avec -histoire de passer un savon à un Veilleur désobéissant- mais il pouvait aussi s’en servir pour jouer les ténors d’opéra italien en totale improvisation :

« On va s'aimer, trouver un hôtel
Envoyer chier la conditionnelle
Se retrouver comme des criminels
On va s’aimeeeeer tellement tou es belle

On va briser les sorts d’la prison
On va rêver à d’autres horizons
On va jeter ces fioles de potiooooons

On va s’aimeeeer
Sur un balai ou sous un vieux comptoir
Au fond d’un trou ou dans un beau manoir
Jé veux enchanter ton visage où est né l’espoiiiir

On va s’aimeeeeer
Dans une voiture volante, un jet ailééé
On va s’aimeeeer à s’en ensorceleeeer
Parce que tou es tellement, tellement bella
Comme la… -vite un mot en A-… PAPAYAAAAAA

Sur cette dernière note, il termina par un sourire ravageur. Il ne savait pas pourquoi il avait pensé à ce fruit tout à coup, ça lui avait paru bien sonner.

« Jé crois qué tou m’as donné faim. »

Des larmes perlaient au coin des yeux de Sofya, secouée d'une crise de fou rire par la reprise de Toni qui, il fallait bien le reconnaître, valait son pesant de dragées surprises. La remarque pincée de Solal ne fit qu'accroître son rire, qui retentissait dans le bar, se mêlant aux commentaires tantôt narquois, tantôt amusés. Essuyant ses larmes, Sofya retrouva son calme et lâcha à l'intention de Solal :

"Oh, ne fait pas ton Véracrasse, t'es juste jaloux de pas l'avoir fait toi-même ! Cette sérénade était sublime, exquise ! Grandioooso ! Quelle femme pourrait y résister !"

Voilà pourquoi elle aimait tant Toni, il était impossible de s'ennuyer avec lui. L'italien la rejoignait sans mal dans son exubérance, quand bien même il était d'humeur bougonne comme au début de la soirée, et Sofya savait qu'elle trouverait toujours là un excellent compagnon de bêtises en tout genre. Lui adressant un sourire rayonnant, elle l'applaudit à deux mains avant de se mettre à réfléchir à son gage suivant. Avec sa sérénade, il lui avait mis des idées dans la tête... Sofya décida de grimper sur la table à son tour pour se trouver à sa hauteur, et glissa malicieusement à son oreille :

"Je n'ai jamais eu envie d'un baiser langoureux d'une bella des neiges !"

En guise de réponse à Solal, Toni brandit un charmant doigt d’honneur dans sa direction, en tirant la langue.

« Nanana, sois pas jaloux dé né pas avoir mon cran, Elman ! »

La boutade était presque affectueuse quand on voyait comme l’italien était à moitié hilare. L’alcool le rendait joyeux en règle générale, un Toni bourré était un Toni qui riait deux fois plus fort que d’habitude. Qui faisait deux fois plus de bêtises, aussi. Il approuva d’un vigoureux hochement de tête la réponse que fit Sofya -parfaitement, il avait été grandiose- puis lui offrit un sourire séducteur à sa conclusion.

« Personne ! Aucoune femme né mé résiste, tout le monde lé sait ! »

Alors qu’il cherchait du regard une autre bouteille de rhum à vider, Sofya l’interpella pour se donner un gage à son tour, un gage qui jeta un court silence sur la salle, avant que les Veilleurs ne se mettent à frapper des mains -et frapper le dos de Toni au passage- en grondant des « Whoooo ! » et des « Haaaaaan ! » hilares. Bref, l’ambiance lourdingue habituelle de ce bar de malfrats.

« Mais c’est que ça devient chaud par ici ! gueula l’un d’entre eux, avant de se tourner vers le barman. Fais péter le whisky pur Feu, Avery ! »

Plusieurs petites bouteilles circulèrent entre les deux joueurs, Toni en attrapa une pour boire plusieurs gorgées d’affilée au goulot, comme une réponse enthousiaste au défi de Sofya. Un baiser langoureux, et comment qu’il voulait ! Surtout de la part d’une femme comme Sofya qui aimait se faire désirer. Cette occasion était la sienne, et il n'allait pas la laisser filer. Toni, qui n’avait pas fini pas toute sa bouteille cette fois, posa un regard brillant de malice dans celui de son amie.

« Si jé la finis en entier, j’ai peur dé né plus mé souvénir dé ça demain. »

Ce qui serait fort dommage, c’était le genre d’évènement de cuite à ressortir dans quelques jours comme dans quelques années, quand ils auraient envie de rire un bon coup, ou de se draguouiller en toute innocence… Même s’il n’y eut pas grand chose d’innocent dans la façon dont Toni attira Sofya pour capturer ses lèvres dans un baiser parfaitement indécent, mais quitte à faire du spectacle, autant le faire bien, n’est-ce-pas ?

"On n'oublie pas si facilement mes baisers mon Toni !", lâcha Sofya avec une arrogance exagérée, un sourire malicieux aux lèvres. Elle s'était doutée que Toni s'empresserait de relever le défi, trop dragueur et trop incapable de reculer devant un challenge pour refuser. Elle ne fut pas plus étonnée par sa façon d'embrasser, avec sa fougue toute italienne et son exubérance habituelle. C'était un peu étrange d'échanger un baiser avec l'un de ses amis les plus proches, qu'elle découvrait en quelque sorte sous un nouvel aspect, mais l'expérience n'avait rien de désagréable. Toni embrassait bien, et elle lui rendit son baiser avec enthousiasme.

Sofya avait les joues un peu rougies quand il la relâcha, sous l'effet du baiser, de la chaleur dans le bar peuplé de Veilleurs et de l'alcool qu'elle avait bu un peu trop vite. La belle adressa un clin d'oeil aguicheur à leur public avant de descendre de la table, entraînant Toni à sa suite. Sofya aimait se donner une image de femme fatale sexy, par jeu et pour se mettre la plupart de ses camarades dans la poche, ce qui lui assurait une certaine tranquillité au sein du gang.

Se laissant tomber sur sa chaise, un peu essouflée, Sofya murmura à l'intention de Toni : "alors, les femmes de ton pays te manquent-elles toujours ?"

Quand Toni relâcha Sofya, il était dans un état d’euphorie telle qu’il aurait pu rugir tel un lion en plein milieu du bar. Ce qu’il fit d’ailleurs, mais avec la façon dont il se frappa le torse d’un geste victorieux, il ressemblait plus à un gorille qu’autre chose. Ce baiser avait été majestueux ! En même temps, venant d’eux deux, il ne pouvait en être autrement. Embrasser Sofya avait toujours été un de ses défis personnels, juste comme ça, simplement pour découvrir cette facette séductrice d’elle qu’elle se plaisait à jouer. Une expérience plaisante, concluait Toni, car les charmes de Sofya n’étaient pas que de la poudre aux yeux, elle savait réellement y faire.

Il se sentait donc tel homme qui venait d’accomplir l’un de ses objectifs de tête de liste. S’asseyant aux côtés de Sofya, en soufflant légèrement après toutes ces émotions, il répondit d’un ton goguenard :

« Tou as raison, jé né vais certainement pas oublier cé baiser dé sitôt, Sofya, c’était grandioso… Il ponctua son discours d’une nouvelle gorgée de whisky. Mais, jé souis au régret dé té dire qué les femmes dé mon pays sont tout autant inoubliables. »

Celle-là, c’était vraiment pour le plaisir d’avoir le dernier mot, en vérité, Toni se plaisait beaucoup plus en Angleterre que dans sa chère Italie.

« Bon, après... Jé né mé plains pas, j’ai la vie qué j’ai toujours rêvé d’avoir ici. Des femmes, sourit t-il en entourant les épaules de Sofya d’un bras aguicheur. Dé l’argent, lé souccès. Oune vraie famille. Des frères, ajouta l’italien en songeant à Fergus, Jayce et Roy, ses trois amis les plus chers. J’ai fait ma vie ici mainténant, l’Italie c’était… Avant, conclut t-il sans rien ajouter de plus, en jetant un oeil soupçonneux dans sa bouteille. Il y avait une potion à papotage là-dedans ou quoi ? Et toi Sofya ? Oh, si on joue encore… Jé né jamais voulu retourner vivre dans mon pays d’origine. » lança t-il avec un sourire mystérieux, sans boire.

"Il faudra que je découvre les femmes de ton pays, alors", lâcha Sofya avec un sourire malicieux. Elle n'avait rien contre les jolies brunes bronzées, bien au contraire. La petite révélation de Toni lui fit chaud au coeur car, après tout, elle faisait partie de cette vie qui lui plaisait tant et qu'il ne se verrait pas quitter. On pouvait dire ce que l'on voulait sur la mafia, mais s'il était vrai qu'on y trouvait les pires crapules, on pouvait aussi y faire de sacrés rencontres, comme partout. Et Toni était l'une d'entre elles. Si Sofya n'était pas attachée plus que cela à son gang, il en était autrement de son italien d'ami, de Jayce et de Roy...

Sofya joua avec son verre un instant, faisant tourner le liquide à l'intérieur, hésitant. Retourner vivre en Russie... C'était une option qui lui était toujours ouverte, et Sofya ne se laissait jamais enfermer par ses choix. Si elle était toujours là, en Angleterre, c'était par envie et parce qu'elle s'y plaisait. La jeune femme reposa donc son verre, affichant une mine coupable : "Non, je l'avoue, j'ai beau adorer la Russie et surtout Serliovka, je me plais beaucoup ici pour l'instant. En fait, pour moi mon pays natal appartient au passé et aux vacances, je ne conçois pas forcément ma vie en Angleterre pour toujours, mais dans tous les cas je pense continuer de vadrouiller. Après... Il faut reconnaître qu'on ne s'ennuie pas ici en ce moment !"

Et, puisqu'ils étaient lancés sur les confidences, elle ajouta : "Je n'ai jamais voulu avoir d'enfants !"

Les bras croisés sur sa poitrine, loin de son verre, elle observa Toni avec un petit sourire, se demandant s'il comptait ou non la transformer en tata de petits Toni junior un jour.

Toni hocha la tête avec un large sourire approbateur, alors qu’elle lui avouait qu’elle non plus ne souhaitait pas retourner vivre dans son pays d’origine, et qu’elle avait bien de quoi faire ici. Ils étaient sur la même longueur d’onde sur cette question. Toni aimait tendrement sa chère Italie, mais elle était désormais trop associée à son adolescence, à ses échecs, quand l’Angleterre était le terrain de tous ses rêves et tous ses espoirs les plus fous. En revanche, il n’avait jamais vadrouillé comme Sofya, il était passé de l’Italie, au Royaume Uni directement, et pour le moment, il se voyait plutôt s’accrocher de toutes ses forces à la vie qu’il avait ici. Il n’avait aucune envie de tout recommencer ailleurs.

La question qu’elle lui posa à son tour le fit rire assez stupidement, sans qu’il ne s’explique bien pourquoi. Des enfants, allons donc. Lui, Antonino Tessio, qui derrière sa grande carrure était encore un grand enfant. Il évalua sa bouteille quelques secondes, au fond, il ne savait même pas s’il devait boire ou pas. Avoir des enfants, il n’y avait jamais sérieusement réfléchi. C'était une perspective à la fois séduisante et tout à fait perturbante.

« Huuum… Finalement il reposa sa bouteille près de lui. J’avoue qué j’y ai jamais vraiment réfléchi, mais jé mé laisse la possibilité dé dire oui. Bah, pas tout de suite, c’est clair. Hors de question qué Roy mé réfile un congé paternité pour sé débarrasser dé moi ! »

Et puis accessoirement, il faudrait trouver la mère, mais bon, Toni faisait partie de cette catégorie d’hommes qui ne seraient pas si surpris que ça en voyant une femme vaguement connue frapper à leur porte avec un mini-eux dans les bras. Pris d’un élan de joie et d’affection, Toni entraîna Sofya dans ses bras pour la serrer -l’étouffer ?- dans ses bras en emmêlant ses cheveux de ce geste d’ébouriffage parfaitement envahissant.

« Tou as bien raison, on ne s’ennuie pas ici, et toi, tou dois rester et dévénir la marraine de mes futurs gosses ! Et moi, jé né té demande pas si tou veux faire des enfants, parce qué j’ai déjà prévu d’être leur parrain, voilà. »