Du désespoir d'être prof [Cours de Divination, libre]

Jeudi 1er février 2007
NB: sujet ouvert à tous, même à ceux qui n'ont pas fait le test.

Chloé avait réuni ses élèves, tous niveaux confondus, pour la remise des examens de décembre. Elle estimait en effet que faire réviser les bases aux plus vieux ne serait pas une perte pour les examens, étant donné les notes catastrophiques de certains. Quant aux plus jeunes, cela leur permettrait d'aborder les notions qu'ils étudieraient les années suivantes. Elle pris son tas de copie et s'installa dans un fauteuil rouge vif en attendant l'arrivée de ses élèves. Elle avait aéré la salle en prévision de la chaleur qu'il ferait lorsqu'ils seraient tous là, démultiplié les poufs colorés qui peuplaient la salle, ainsi que les tables.

L'une des autres raisons pour lesquelles elle avait réuni les deux groupes était qu'il s'agissait de l'un de ses derniers cours. En effet, son ventre commençait sérieusement à l'handicaper et, depuis sa blessure lapone, les médecins lui préconisaient le repos. Chloé refusait depuis trop longtemps leur proposition, peu motivée à l'idée de rester seule chez elle toute la journée, à tourner en rond et à se morfondre sur sa situation familiale. Entre la trahison de Peter et les déboires de James avec Maeva, la perspective n'avait rien de réjouissant. Mais elle ne tenait plus le rythme et devait penser à son bébé. Aussi s'était-elle résolue à laisser les cours des plus jeunes à Parvati Patil, et ceux des plus vieux à Lavande Brown, deux anciennes élèves de Gryffondor qui étudiaient cet art et, d'après le professeur McGonagall, qui étaient très compétentes. Elles souhaitaient avoir une expérience dans l'enseignement et ce remplacement était une occasion inespérée pour elles. Chloé serait toujours disponible pour les aider, et elles n'auraient pas trop de travail en se répartissant les cours. Neville avait appuyé leur candidature, heureux de retrouver deux de ses anciennes camarades dans l'enceinte de l'école. En effet, Chloé se doutait qu'il se sentait parfois seul ici. Il était le plus jeune, Samuel jouait le vieux, et il n'avait pas trop envie de se prendre la tête avec la lutte ouverte entre Ana et Margot pour la direction.

D'ailleurs, en parlant de cela, il fallait que Chloé consulte Ana pour sa direction temporaire des Gryffondor. Elle doutait que ce soit une bonne idée de laisser sa maison à la rivale de Margot, mais hélas, Ana avait déjà eu le rôle lors du voyage en Laponie, et Neville ayant refusé encore une fois, il était logique que ce soit elle qui hérite du post. Chloé était curieuse de voir comment elle se débrouillerait avec les têtes fortes qui composaient sa maison. Mal, probablement. Ana était beaucoup trop dirigiste pour les esprits rebelles de ses élèves. Cette nomination était peut-être une chance pour la directrice-adjointe, finalement. Ana prouverait sa valeur ou se saborderait seule, incapable de comprendre les élèves anglais. Mais Chloé ne voulait pas abandonner ses élèves, aussi leur avait-elle fait savoir qu'ils pourraient toujours venir la voir en cas de problème et jetterait un oeil sur leurs dossiers d'orientation, conduisant les entretiens tant que son état leur permettrait. Pour la suite, elle verrait après l'accouchement.

La classe se remplit petit à petit et, lorsque tout le monde fut là, Chloé salua l'assemblée.

"Bonjour à tous. Je vous ai tous rassemblés aujourd'hui pour vous rendre vos copies de décembre, puis nous discuterons de la suite de l'année à venir, ce qui me semble important. Des questions?"

Attendant à peine que quelqu'un lève la main, elle commença par les 3e à 5e année.

"Un devoir moyen dans l'ensemble. La plupart d'entre vous on eu du mal à comprendre ce que signifiait que les prophéties ne développaient qu'une seule idée, ce qui a faussé vos interprétation. Mais il n'y a rien de catastrophique dans l'ensemble pour ceux qui se sont donnés la peine de faire ce devoir correctement. Je vous prierai de venir chercher votre copie à l'annonce de votre nom."

"James Carter. Un bon devoir monsieur Carter, continuez dans cette voie et Miss Anderson aura de la concurrence."

Elle n'annonçait que rarement les notes de ses élèves à voix haute, mais James avait de quoi être fier de son Effort Exceptionnel. Chloé tendit sa copie à James qui retourna à sa place, avant de frôler de peu la crise d'epilepsie en se retrouvant face à un carnage rose vif.

"Victor Lloyd. Je cherche les points, Monsieur Lloyd, et vous feriez bien de chercher votre livre de cours."

Mais bon, ce petit faisait sûrement de son mieux... Chloé avait longtemps espéré n'avoir qu'un flemmard face à elle avant de se résoudre à ce triste constat: certains élèves étaient bêtes, et Victor en faisait à l'évidence partie. Mais bon, en dépit de sa manière atroce de s'habiller, il n'était pas méchant, aussi essayait-elle de ne pas trop le décourager.

"Amely Anderson. Une bonne copie, mais comme toujours, vous êtes trop scolaire. La question de réflexion vous a perdue car elle nécessitait un tantinet de psychologie."

Amely était assez Poufsouffle en matière de travail, avait réalisé Chloé après quelques cours. Elle était intelligente mais bien trop terre à terre pour une matière comme la divination. Mais peut-être était-ce une question de maturité, et elle réussirait probablement à décrocher un Optimal à ses ASPICs. Alors qu'Amely retournait à sa place, son devoir en main, le visage de Chloé se ferma imperceptiblement comme elle lisait le nom suivant.

"Jayden Valentyne. Je ne tolère déjà pas l’insolence de la part d’excellents élèves, Mr Valentyne, mais j’ai encore moins de patience pour l'imbécile en puissance que vous êtes."

Valentyne n'était pas l'un des élèves préférés de Chloé, c'était peu dire. Elle avait au début vu seulement un enfant abandonné, en difficulté, et avait essayé diverses méthodes avec lui: l'attaque frontale, la prof compréhensive, le mépris... Rien ne fonctionnait. Aussi se contentait-elle de l'ignorer. Aussi longtemps qu'il ne perturbait pas la classe, elle l'acceptait en cours, mais l'excluait sans remord au moindre problème. Ce n'était pas pour ce qu'il retenait qu'elle allait se fatiguer. Elle savait son comportement indigne d'une directrice de maison, mais elle ne savait vraiment pas quoi faire de ce gamin.

Elle appela encore quelques élèves puis arriva au 6e et 7e année.

"De meilleures copies dans l'ensemble, vous avez travaillé avec sérieux et je vous en félicite. Oh, comme toujours, on commence par l'exception... Mr Gray, à l'évidence, votre cerveau est moins performant que ceux de vos camarades féminines... et même de ceux de vos collègues masculins, à l'évidence." termina-t-elle en jetant un oeil au beau "Troll" qui ornait la copie de Killian. "A se demander comment quelqu'un doté de si peu de subtilité a pu finir dans la maison des rusés."

Question sincère de sa part, mais Killian devait être ce que les professeurs appelaient entre eux un "ornithorynque", un élève envoyé par défaut dans une maison car le Choixpeau ne leur trouvait pas assez de qualités pour aucune d'entre elles. Bien sûr, le couvre-chef en chef niait cette théorie avec véhémence, mais Chloé était persuadée qu'il était juste trop orgueilleux pour admettre sa faiblesse.

"Sean Fitcher. Vous coiffez le Choixpeau à Miss Twilfit pour la meilleure note de ce devoir, félicitations."

La voix était chaleureuse et sincère. Le jeune Fitcher avait apparemment surmonté sa tentative de suicide, pour rendre une aussi bonne copie... Chloé se fit la réflexion que le devoir avait été rendu avant. Mais s'il rendait un tel devoir dépressif, il était urgent qu'il soit des plus heureux pour être au maximum de ses capacités. Le monde magique avait peut-être manqué de perdre un génie sous le Poudlard Express. Chloé laissa quelques minutes à ses élèves pour parcourir leur devoir puis demanda à voix haute:

"Des questions?"

Guillerette, Amely entra dans la salle de Divination et s'assit à la même table que James. Elle était toujours détendue avant ce cours, bref arrêt dans le temps au centre de l'activité frénétique qui animait leurs journées studieuses. D'une part, le Professeur Hellsoft était la plupart du temps sous de bonnes dispositions, contrairement à quelques professeurs qui vous faisaient sentir crispé à peine entré en classe. On aurait pu présager des sautes d'humeur dues aux hormones - il était de notoriété publique que la rondeur de son ventre n'était pas le résultat d'une suralimentation en Chocogrenouilles - mais la plupart du temps, seules les exclamations de Victor Lloyd venaient troubler la plénitude de ce cours. D'autre part, du haut de cette tour, on était comme coupé du monde. Cette salle aérée et colorée lui permettait d'oublier momentanément le froid, la glace et le plafond branlant. Ces souvenirs glacés étaient toujours présents, dans un coin de sa tête, mais ici, ils se faisaient plus ternes. Juste un peu.

Malgré la présence du Professeur Hellsoft, les bavardages allaient bon train, se limitant à des murmures enjoués. Sans faire attention aux chuchotements feutrés qui planaient au dessus d'eux, la jeune fille laissa son cerveau s'engourdir, paisible, reposé et heureux de cet instant de répit. Elle fit une grimace à James, qui semblait fébrile - sûrement parce qu'on allait leur rendre les devoirs de Divination. A l'opposé, la Serdaigle était calme et sûre d'elle, comme à chaque fois qu'elle allait recevoir sa copie. Si la Divination était une science incertaine, pour elle, les devoirs ne l'étaient pas. Elle partait du principe que connaissant sa leçon, elle était assurée de réussir ; c'est pourquoi elle n'était jamais angoissée quand il s'agissait de notes. Au contraire, il s'agissait de l'unique élément fiable de sa vie ; avec sa famille, ses amis, et bien sûr, elle-même.

« Salut Cassandre ! » lança Amely quand cette dernière entra dans la salle pour s'asseoir à sa place.

A vrai dire, elle se posait plus de questions sur ce qu'en pensait Cassandre que ce qu'en disaient les autres élèves. Les états d'esprit de ces derniers l'importaient peu ; elle s'interrogeait plutôt sur comment se comporter avec Cassandre... ou plutôt, comment considérer Cassandre. Elle la saluait comme si elles étaient bonnes copines, mais était-elles vraiment des amies ? Si elles étaient encore en Laponie, Amely se serait certainement exclamée que oui, elles avaient dit qu'elles essayeraient. Cependant, le voyage en Laponie n'était plus qu'un rêve flou et irréel pour elle, virant pourtant au cauchemar dont elle se rappelait les moindre détails avec exactitude. Cette escapade au lointain pays des glaces semblaient n'avoir eu lieu que dans son imagination ; comme une pause, un intermède, une entre-acte dans le théâtre de leurs vies. En sécurité dans les salles de classes, il lui semblait impossible qu'elle ait pu se retrouver coincée sous une avalanche. Et pourtant, chaque soir, pendant deux minutes à peine, une angoisse sourde et violente lui étreignait les entrailles, comme si une partie d'elle était toujours restée coincée à Valtivaara. Puis cette furtive impression disparaissait aussi vite qu'elle était venue, prenant soin de laisser son empreinte dans l'esprit malade d'Amely.

Bref, elle avait l'impression que le lien entre la Cassandre de Laponie et la Cassandre de Poudlard était coupé, et ne savait pas comment le réparer. Amely détestait ne pas savoir. Aussi prit-elle la décision d'aller parler à la Gryffondor dès qu'elle en aurait l'occasion, puisque remettre au lendemain n'était pas dans les habitudes de la Serdaigle. L'amitié qu'elle avait développé envers James était venue toute seule, naturellement. Il l'avait faite rire et c'était toujours le cas. Avec Clara, tout avait coulé aussi facilement ; leur amitié était née sans que personne ne s'en étonne, indiscutable. Les membres de ce trio ne se ressemblaient pas pour tout mais ils étaient faits pour s'entendre, du moins jusqu'à ce qu'il venait de se passer. James et Clara étaient en froid, et ni l'un - assez secret - ni l'autre - qui semblait l'éviter - ne lui avait expliqué la situation. Amely ne savait donc pas pourquoi leur relation, à tous les trois, n'avait plus aucun sens. Et encore une fois... elle détestait ne pas savoir. Ce sens, elle voudrait le retrouver, comme leurs discussions passionnées d'antan, leurs moments passés ensemble, leurs blagues dont ils étaient les seuls à comprendre pourquoi elle leur était drôle.

Maintenant, il n'y avait plus que du gêne. La facilité à parler de ses problèmes s'était envolée, tout comme cette aisance à aborder les sujets douloureux. Amely qui avant leur confiait presque tout ne leur avait pas parlé du traumatisme vécu en Laponie, du moins les grandes lignes des évènements, mais pas son ressenti personnel. C'était rare qu'elle n'aille pas spontanément raconter combien elle avait eu peur de ce qui leur était arrivé, de ce qu'elle avait découvert sur elle-même. Elle n'avait rien dit non plus à propos de Cassandre, comme si leur rencontre était déjà assez étonnante de son point de vue pour qu'elle pût la leur compter, comme si tout ce qui s'était passé là-bas ne les concernait pas, comme si elle voulait le garder pour elle. Avant, elle n'était du genre à faire des cachotteries ; de nature franche, elle n'avait pas de secrets pour eux. Pour la première fois, elle espérait que James vint lui parler en premier de ce qu'ils se passait avec Clara, et ainsi, peut-être qu'elle lui parlerait de la Laponie. Elle se demandait qui pourrait comprendre ce qu'elle avait ressenti. Mais Amely voulait des réponses, pas des questions - et ce n'était pas le moment de se les poser.

Chloé Hellsoft commença la distribution des copies. Quand James reçut son Effort Exceptionnel, Amely lui lança un gentil coup de coude dans les côtes en lui disant à voix basse :

« Mais voyons, j'ai de la concurrence depuis longtemps. Félicitations vieux frère ! »

Elle était réellement contente pour James. Bien qu'ils ne soient pas de la même année, ça la gênait un peu de ramener des E et des O tandis que ses notes à lui ne dépassaient presque jamais le A. Après le travail acharné dont ils avaient tous deux fait preuve, le voir souffler « J’y crois pas… J’ai réussi. » était pour elle la plus belle des récompenses. Le Poufsouffle avait toujours été meilleur en Divination qu'ailleurs. C'était en quelque sorte sa matière, où il se distinguait réellement.

Quand ce fut son tour, Amely fut légèrement déçue. Certes, sa note était bonne, mais pas assez pour elle. Le commentaire de son enseignante la perturbait aussi : qu'entendait-elle pas "trop scolaire" ? Pour la Serdaigle, comprendre et apprendre représentaient les deux piliers de la réussite. Revenant à sa place, son parchemin en main, elle contempla, à peine désappointée, les exercices qui lui avaient fait perdre tous ses points : analyse des prophéties et réflexion. Comme toujours. C'était pour ça qu'elle n'excellait pas en Divination : elle n'était jamais sûre. Or, c'était dans son caractère d'aimer s'appuyer sur un raisonnement fiable, des données dont elle ne pouvait pas douter - ses connaissances. Cette option qu'elle avait choisie par curiosité était trop imprécise pour son cerveau logique et scientifique. Le brouillon James, au contraire, semblait fait pour la Divination : pour compenser son cours mal appris, il élaborait des hypothèses judicieuses par rapport aux prophéties, heureux de maîtriser cet art auquel son amie ne croyait pas, mais apportant dans le quotidien carré d'Amely le peu de fantaisie qui lui faisait défaut.

Ce dernier demanda au Professeur Hellsoft qui allait la remplacer pendant son "congé". Curieuse d'entendre la réponse, Amely laissa tomber ses spéculations et ouvrit ses écoutilles.

Le cours débuta de façon tout à fait normale, même pour un double-niveau. Les élèves s'assirent tranquillement et reçurent leurs notes dans un calme relatif. Chloé eu toutes les peines du monde à ne pas fondre en larmes de désespoir devant l'absence d'intelligence totale dont était affabulé Victor Lloyd. Il en fallait vraiment, du courage pour vivre joyeusement quand même Kelly Murdoch était plus intelligente que vous. Mais l'énervement que Victor suscitait chez Chloé était plus grand que la pitié. Agitant la main, elle se retint de lui faire chercher la définition de "second degré" dans le dictionnaire pour le prochaine cours, et se contenta de marmonner "Oubliez ce que je viens de dire."

D'autres élèves furent cependant moins désastreux. Chloé ne put s'empêcher de sourire en voyant l'air ravi de James Carte lorsqu'il reçu sa copie. Elle préférait toujours rendre de bonnes notes à ceux qui le méritaient, et Carter l'avait mérité. Il avait travaillé sérieusement et pour elle, cela justifiait tous les O du monde. Chloé avait un sens de la justice plus fort que son sens de l'équité. Si elle devenait directrice, elle réformerait le système d'une façon encore plus aberrante qu'Ana Sorden. Pour elle, les notes devaient être représentatives d'un travail, d'une volonté de s'améiorer, d'un progrès, et non des capacités brutes de chacun. On ne choisissait pas d'être intelligent, mais on décidait de progresser, et c'était tout ce qui différenciait les gens aux yeux de Chloé. Elle préférait mettre un O à un élève moyen qui s'était acharné à comprendre ses erreurs plutôt qu'à la copie, certes meilleure, d'un Jordan Nimbus de Pompadour qui avait fait ça à la va vite, se reposant sur ses capacités supérieures à la moyenne.

"Mr Reynolds, votre enthousiasme pour votre ami fait plaisir à voir, mais je préférerai que vous conserviez cette énergie à m'écouter."

Elle avait dit ça d'un ton léger, ne souhaitant pas perturber l'ambiance du cours. Chloé était très à cheval sur le respect et la discipline, mais estimait que les choses mineurs ne devaient pas avoir plus d'importance que ce qu'elles étaient: des choses mineurs. Les élèves avaient l'habitude. Elle disait toujours ce qu'il fallait dire, et l'on en restait là, on passait à la suite. Parfois, on pouvait même en rire, comme maintenant.

Chloé termina le rendu des copies et s'apprêtait à répondre à la question de James lorsqu'un mouvement brusque attira son attention. Elle tourna la tête juste à temps pour voir Sean Fitcher donner un coup de poing à Anton Smith. La directrice des Gryffondor leva un sourcil perplexe, ne comprenant pas trop ce qu'il avait bien pu se passer. Aux dernières nouvelles, Sean était un garçon fragile, dans tous les sens du terme, timides, renfermé, et surtout très calme. Smith, au contraire, passait pour la brute de service. La logique aurait voulu qu'Anton frappe Sean, et non l'inverse.

Chloé ne savait pas trop quoi penser de la scène. Sean avait une vie difficile depuis l'année dernière et son histoire avec Harmonie Fernoys. Il avait vécu une véritable descente aux enfers dont le moment le plus noir avait été sa tentative de suicide en décembre, mais d'après ce que Rachelle disait, il allait mieux depuis et n'était pas susceptible de recommencer. Avec ce qu'elle venait de voir, Chloé voulait bien la croire. En huit ans, elle n'avait jamais vu Sean Fitcher faire la moindre action violente, gardant tout pour lui et parlant très peu, ce qu'elle comprenait vu son handicap. Mais il avait visiblement décidé d'extérioriser ses sentiments. C'était une bonne chose en soi, et Anton n'était pas une mauvaise cible, mais ce qui inquiétait Chloé, c'était cette pulsion qui l'avait poussé à frapper sans raison. Fallait-il en avertir Rachelle? Probablement, elle le ferait dès qu'elle quitterait la classe. Chloé n'était pas certaine que troquer une pulsion de suicide contre une pulsion d'homicide constitue un progrès psychiatrique.

Anton Smith eu une réaction des plus violentes à l'encontre du malheureux garçon, bondissant de sa chaise en hurlant. Chloé sortit instantanément sa baguette et, d'un sortilège informulé, renvoya brutalement le garçon sur sa chaise. Elle aurait voulu se lever pour le dominer de toute sa hauteur, mais elle savait que ce serait mauvais pour le bébé, et fatiguant pour elle. Fichues blessures laponiennes. A défaut de pouvoir dominer la situation, Chloé afficha son expression la plus polaire, dardant Smith d'un regard glacial.

"Mr. Smith, votre comportement est inadmissible. Je n'autorise personne à lever ma voix dans la salle de classe, et encore moins pour agresser un camarade verbalement et physiquement. Au cas où vous l'auriez oublié, les élèves ne sont absolument pas autorisés à se faire justice eux-mêmes. Et encore moins alors que vous avez un professeur juste devant vous."

Elle regarda ensuite Sean, ne sachant pas comment s'y prendre avec lui. Elle ne voulait pas risquer de le déstabiliser plus qu'il ne l'était, mais elle ne pouvait pas non plus le laisser impuni. Elle choisi donc de temporiser et se tourna vers le Serdaigle:

"Mr Fitcher, puis-je savoir pourquoi vous vous êtes permi de frapper Mr Smith?"

Elle s'était levée de mauvaise humeur, de toute manière. Elle avait dû attendre trente minutes pour avoir la salle de bain, ne trouvait plus son écharpe, avait dû remonter au dortoir en courant pour récupérer un livre qu'elle avait oublié, n'avait pas eut de jus d'orange au petit-déjeuner, s'était retrouvée assise à coté de Victor Lloyd en DCFM et avait dû remonter se changer en urgence après le cours de botanique étant donné que sa plante avait effilé son collant avec ses épines. Bref, c'était une mauvaise journée. Agacée, elle était entrée dans la salle de Divination juste à temps pour avoir sa place habituelle, répondant avec un léger sourire au salut d'Amely. Elles s'étaient certes parlé en Laponie, mais Cassandre évitait de repenser à tout ce qui concernait la Laponie. Depuis leur retour à Poudlard, les deux filles ne s'étaient plus adressé la parole sérieusement, se contentant de salutations polies comme aujourd'hui. C'était dommage, certes, mais c'était ainsi. Elles étaient amies, bonnes copines ? Ou rien du tout ? Il faudrait évidemment qu'elles mettent les choses au clair, mais ce serait sûrement une discussion compliquée, longue... Cela la tracassait quelque peu, dès qu'elle recroisait Amely dans les couloirs de Poudlard. Enfin, aujourd'hui, elle n'avait pas envie de repenser à tout cela ou de ressasser cette histoire. Tout ce qu'elle voulait, c'était que cette journée se termine et qu'elle puisse rentrer à son dortoir pour s'affaler sur son lit et ne plus bouger pendant des heures. Mais avant cela, il fallait survivre au reste des cours et notamment à ce cours commun de divination. Elle avait déjà du mal avec sa classe alors partager les cours des autres, merci bien ! Cela permettait néanmoins de constater que la bêtise ne s'arrêtait pas à la quatrième année.

Jetant un coup d’œil au ventre de plus en plus arrondi de son enseignante - son congé serait sûrement pour bientôt - elle entreprit de sortir ses affaires mais releva la tête brusquement en entendant la voix d'Anton Smith. Elle ne connaissait pas Sean Fitcher même si elle avait entendu les rumeurs à son propos. Elle qui avait toujours été élevée dans un milieu conservateur trouvait un peu étrange la notion d'homosexualité, il fallait le dire. Elle avait même du mal à envisager tout ce que cela pouvait englober. Mais elle estimait que les gens étaient libres de leurs actes tant qu'ils n'embêtaient personne et Sean Fitcher n 'embêtait personne. Il était tellement discret, après tout ! Quand elle avait appris ce qu'il avait tenté de faire, cela l'avait questionnée encore plus. Comment pouvait-on décemment mettre fin à sa vie, en sachant qu'on allait faire du mal à sa famille et ses amis ? Et comment pouvait-on arrêter de se battre à ce point-là ? Elle n'avait voulu approfondir ces questions, qui touchaient des notions encore un peu vagues et lointaines pour elle. Elle ne se sentait vraiment pas concernée. Mais s'il y avait quelque chose qui la faisait réagir désormais, c'était l'acharnement de certaines grosses brutes comme Anton Smith. En début d'année, elle n'avait pas vécu une période facile, quand tout le monde profitait de la destitution de son père. Elle comprenait ce que c'était, de faire un pas dans les couloirs et de se prendre une remarque. Elle, elle avait de quoi répondre. Pas Fitcher. Et si une réplique bien placée pouvait décourager cet abruti de Smith de continuer, alors elle ne perdait pas son temps.

- Pas la peine de regarder les Serdaigle avec envie, Smith, t'as été exclu de cette maison le jour de la distribution des cerveaux. A moins que ce soit Fitcher que tu regarde avec envie... persifla-t-elle en se retournant.

Attaquer une grosse brute ou un macho sur sa virilité était la meilleure chose à faire pour qu'il réagisse. C'est que c'était sensible ces petites bêtes là ! Tandis que que Smith se levait, furieux, elle fit légèrement glisser ses doigts vers sa baguette magique, sans se départir de son grand sourire ironique et provoquant. Heureusement ou malheureusement, le professeur Hellsoft prit la parole, coupant court au mouvement de Smith. Il se rassit lentement sans la quitter des yeux et Cassandre lui adressa un dernier sourire narquois avant de se retourner. Elle n'avait pas vraiment de temps à perdre avec Smith mais c'était plutôt distrayant comme activité. Elle se leva pour aller chercher sa copie et ne prêta qu'une oreille distraite aux autres commentaires, notant seulement qu'Amely avait encore eut une très bonne note, comme d'habitude. Occupée à lire les annotations sur sa copie, elle ne releva les yeux qu'en entendant soudainement les vociférations furieuses de Smith. Qu'est-ce qu'il avait encore ? Les yeux de Cassandre passèrent rapidement de Sean Fitcher, en train de se réinstaller à sa place, dépité et elle fit soudainement le lien avec la joue rougie de Smith. Oh, Godric. Sean Fitcher venait de frapper Anton Smith. La meilleure nouvelle de la journée ! Elle vit cette grosse brute se faire renvoyer sur sa chaise par un sortilège du professeur Hellsoft et lutta pour ne pas laisser apparaître son sourire railleur. Smith venait de prendre un sacré coup à l'égo, là. C'était juste la chose la plus excellente du monde. Il allait absolument décerner une médaille à Fitcher, là. Pour Services Rendus à l’École, carrément ! Tout en retenant un léger rire, Cassandre déplora que Sean soit si penaud. Si elle avait frappé Smith, elle en serait plutôt fière ! L'histoire aurait pu en rester là, mais la dernière réplique de Smith l'exaspéra. Il fallait qu'il en rajoute une couche, alors qu'il avait bien mérité son coup ! Il n'avait qu'à assumer, plutôt que de râler. Il avait joué et il avait perdu, un point c'est tout. Mais non, il voulait sauver l'honneur. Agacée, Cassie se retourna brusquement pour faire face à Anton.

- Et tu vas faire quoi, Smith, hein ? Raconte moi tout, je meurs d'envie d'être ébahie par ton plan fan-tas-tique pour montrer à tout le monde à quel point tu es viril et fort ! Et parle bien fort, que toute la classe t'entende, plutôt que de marmonner dans le fond de la salle. Alors, je répète pour tout le monde, lança-t-elle en élevant la voix, Monsieur Smith ici présent vient de menacer Fitcher de lui faire payer ce coup de poing.

Avec un sourire narquois, elle posa son menton sur sa main, comme si elle était passionnée par les propos de Smith, ne cachant pas le sourire narquois qui s'était épanoui sur ses lèvres.

- Alors, raconte-moi tout. Tu vas faire comment, lui tendre une embuscade ? Ah, excuse-moi, un mot de plus de trois syllabes, tu as du mal. Tu vas l'attendre au détour d'un couloir ? reformula-t-elle. Pour montrer à quel point tu es fort et intelligent en frappant un garçon qui t'as juste remis à ta place ? C'est quoi qui te dérange, Smith ? Que tu te soit fait frapper ? Je ne pense pas que ça puisse changer quelque chose à ta masse cérébrale déjà inexistante. Ou que ce soit Fitcher qui te frappe ? C'est plutôt ça, hein ?
- Harper, tu vas la fermer ou je te jure que je...
- Me faire passer un affreux moment, je sais, je sais, me briser la nuque et autre choses sympathiques. Et bien écoute, Smith, je t'attends. Comme ça, en une journée, tu te seras fait battre par Fitcher et par une fille. Le mythe se brise, là, Anton ! ajouta-t-elle en riant.

Tandis que Smith se remettait brusquement sur ses pieds, le sourire de Cassandre s'agrandit. Ce n'était pas une si mauvaise journée que cela, finalement. Et de toute manière, Smith ne pourrait rien faire devant Hellsoft. Quant au dehors de la classe, qu'il vienne. Elle l'enverrait rencontrer le mur d'un bon sortilège avant qu'il ne songe à lever le poing. C'était ça le problème avec les brutes de ce genre. Tout dans les muscles, rien dans le cerveau et un courage aussi immense que leurs connexions neuronales. Et tant pis si Gryffondor perdait des points, au moins, elle s'était amusée. Et puis de toute manière, elle était à Gryffondor, elle avait le droit de faire de foncer dans le tas sans penser au conséquence. Il fallait bien honorer sa maison ! Se défouler, après une journée difficile, cela faisait un bien fou.

Au grand étonnement de Chloé, Sean Fitcher ne chercha même pas à se défendre. Cet élève timide et peu bavard venait de mettre un coup de poing à une brute qui le menaçait même après coup, et il ne voulait pas de son aide? C'était logique, en un sens. Sean n'avait jamais demandé d'aide à personne, jusqu'à être poussé au suicide. Mais elle était prête à le lui offrir sur un plateau d'argent, et il ne la prenait pas quand même. Chloé allait insister, faire remarquer qu'elle s'étonnait qu'il ne sache pas - quand bien même il avait véritablement été victime d'un coup de folie, quand le cours commença à dégénérer.

A sa grande surprise (ce devait être l'humeur du jour), la petite Cassandre Harper abandonna ses bonnes manières pour provoquer à son tour Anton Smith. Chloé resta bouche-bée d'ébahissement, se demandant pourquoi la petite peste solitaire des Gryffondor prenait la défense de Sean Fitcher, et surtout pourquoi elle prenait un malin plaisir à démolir ce grand dadais. Bon, la réponse à cette dernière question n'était pas difficile à trouver, tous les élèves avaient probablement eu envie un jour de lui rabattre son caquet. Mais Cassandre Harper? La petite fille égoïste trop intelligente pour son propre bien? Chloé ne l'appréciait pas beaucoup, se demandant ce qu'elle faisait dans sa maison. Peu sociable, trop sûre d'elle pour son âge et - pire - amie avec Darren O'Connor, ambitieuse, elle avait à ses yeux tout d'une Serpentard. S'il était vrai qu'on la voyait moins souvent seule cette année et qu'elle lui avait prêté une attention particulière après la Laponie, les parents de Cassandre ne faisaient rien pour aider leur fille. Hautains voire agressifs, trop fiers de leur ex-position, ils n'arrangeaient pas sa cause aux yeux de Chloé. Mais, si elle désapprouvait professionnellement l'attitude de Cassandre à ce moment là, elle devait admettre que la petite remontait dans son estime.

Comme Samaël Smith prenait la parole à son tour, l'enseignante réalisa qu'il était temps qu'elle intervienne avant que l'affaire ne tourne au pugilat. Rebecca Eldenstein ouvrait la bouche pour intervenir, et elle mettrait sa main à couper que Swann Twilfit ne serait pas en reste si elle lui en laissait l'occasion.

"Ca suffit!" tonna-t-elle d'une voix forte mais posée pour couvrir les cris de ses élèves. Son visage se ferma d'avantage et elle contempla les protagonistes un par un. "Je trouve intolérable votre comportement, à tous! Depuis quand mon cour est il un espace de combat public? Miss Harper, j'attendais mieux de votre part! Où est passée votre éducation? De quel droit faites-vous la loi vous-même sous mon nez? J'enlève dix points à Gryffondor pour votre façon d'agir, et que ça ne se reproduise plus."

Ayant réglé ce problème, elle reporta son attention sur Sean, Anton et Samaël. Le Poufsouffle expliqua bravement le geste de son camarade, et Chloé compris alors que - ouf - Fitcher n'était pas dérangé, seulement à bout. Ce n'était peut-être pas un progrès, mais au moins c'était rationel, et elle se sentait plus à même de régler cela.

"Mr Smith, confirmez-vous ce que que Mr Smith..." Elle s'interrompit, maudissant le nom de famille trop courant que portaient Anton et Samaël. "Ce que Samaël vient de dire?"

Elle vrilla son regard sur Anton, qui ne flancha cependant pas et nia fermement. "Non, c'est n'importe quoi, m'dame, il invente. C'est un copain de Fitcher, dans leur petit club de t..."

"Pas d'insultes dans mon cours, vous aggravez votre cas." Se doutant que Sean ne confirmerait pas les dire de Samaël, Chloé décida de recourir à une technique qu'elle n'aimait pas mais qui aurait le mérite d'isoler le Serpentard et d'éviter qu'il ne se venge sur un élève en particulier - du moins l'espérait-elle. "Qui d'autre ici peut confirmer ce que Mr Smith - de Poufsouffle - vient d'affirmer?"

Après un instant de flottement, plusieurs mains se levèrent. Satisfaite, Chloé se tourna vers Sean et Anton.

"Bien, ce sera donc dix points de moins pour Serpentard, monsieur Smith, ainsi que quatre heures de retenue pour votre agressivité et vos mensonges. Et sachez que si je vous entends encore une fois proférez de telles injures ou vous en prendre à quelqu'un, je serai beaucoup plus sévère. Dix points de moins pour Serdaigle, monsieur Fitcher. Je comprends tout à fait votre désir de justice, mais j'ai bien peur que la force ne vous soit d'aucune aide dans ce cas. Quant à vous, Samaël, j'ajoute dix points à Poufsouffle pour avoir eu l'honnêteté et le courage de dénoncer les agissements de votre camarade."

Si la voix de Chloé avait été très dure et sèche lorsqu'elle s'adressait à Anton Smith, elle avait été beaucoup plus douce et compréhensive face à Sean. Elle avait parlé plus lentement et ses traits s'étaient détendus. Elle s'était même permise de s'enfoncer dans son fauteuil pour bien montrer que, malgré la punition, elle trouvait son comportement bien plus excusable que celui du Serpentard. Elle attendit quelques secondes que chacun digère les informations, puis repris, comme si rien ne s'était passé.

"Bien, où en étions-nous? Ah oui, mon remplacement, Mr Carter. La réponse est oui, évidemment. Je suppose que vous avez tous entendu parler de Lavande Brown et Pavarti Patil?"

Suite à l'incident et à la réaction de Chloé, plus aucun élève ne vint perturber le cours. La jeune femme garda tout de même les tensions à l'esprit et eu quelques difficultés à donner à l'heure l'ambiance décontractée qu'elle avait souhaitée. C'était l'un de ses derniers cours, elle aurait voulu quelque chose d'informel pour que les élèves sentent qu'ils étaient laissés entre de bonne main, et elle avait été forcée de sortir le parfait attirail du professeur froid et dur. Autant dire qu'elle était quelque peu contrariée.

"Sachez que si j'apprends que Miss Brown et Patil ne bénéficient pas de votre part du même respect que vous me témoignez, elles en référeront directement au professeur McGonagall."

Mais, professionnelle, elle continua tout de même à leur donner les informations nécessaires à leur fin d'année, consciente que les élèves qui passeraient les ASPICs et les BUSEs en auraient besoin, s'ils se donnaient seulement la peine d'écouter. Elle doutait qu'Anton Smith se souvienne des conseils qu'elle venait de leur donner, mais c'était tant pis pour lui. Chloé n'avait jamais appliqué la politique de la sur-aide pour ses élèves. Elle venait toujours au secours de ceux qui étaient attentifs, volontaires et travailleurs, mais n'avait que peu d'attention pour les fauteurs de trouble. Elle avait passé ses premières années d'enseignement à tenter vainement de les intéresser, et avait simplement constaté que c'était une perte de temps. Chloé avait donc changé de méthode de travail, étant très clair avec ses élèves: tant que vous ne perturbez pas mon cours, vous ne m'aurez pas sur le dos. Ca fonctionnait. Elle savait que certains de ses collègues trouvaient cette méthode peu charitable. Certains perturbateurs ne faisaient en fait que réclamer de l'attention et, peut-être avec la compassion nécessaire, pourraient revenir dans le droit chemin. Mais Chloé estimait que cela relevait du rôle d'une assistante sociale, pas du sien.

"Bien, puisque personne n'a de questions, ce cour est terminé. Bonne chance à vous pour vos examens de fin d'année."