Aide ton prochain et ton prochain t'aidera [Andrew & Kathrina]

2 octobre 2011

Kathrina n’avait pas l’habitude de mettre son nez dans les affaires des autres, surtout quand elles sentaient mauvais. Elle avait appris depuis longtemps les vertus de la discrétion, peut-être un peu trop, tant les secrets avaient gangréné sa famille et son enfance. Elle avait été elle-même au centre de l’attention à certains moments de sa vie, notamment à la mort de son frère aîné et la révélation de tous ses crimes, et elle avait détesté autour d'elle les questions indiscrètes, les commentaires désobligeants, les fausses marques de compassion, les insultes. Elle avait expérimenté aux moments les plus difficiles de sa vie la cruauté dont pouvaient parfois faire preuve ses camarades à Poudlard, au point qu’elle avait pensé parfois qu’elle voulait tout simplement disparaître.

Puis brusquement, comme pour conjurer ces horribles pensées, elle avait cherché à faire tout l’inverse et à tout mettre en oeuvre pour qu’on la remarque. Elle s’était forcée à sourire, à rire, à fréquenter plein de groupes d’amis, à aller en soirée, à jouer l’adolescente normale et pleine d’énergie jusqu’à ce qu’elle finisse par le devenir. Elle avait commencé à se maquiller de manière très prononcée, à porter des vêtements un peu trop courts et elle avait aimé cette sensation de plaire. Plaire, c’était être remarquée. Elle s’était laissée approcher par des garçons, dans Poudlard et à l’extérieur, de son âge ou pas de son âge, peu importait. Embrasser, c’était être aimée. Coucher, c’était être aimée aussi. Ils ne restaient jamais longtemps, malheureusement, alors ils se succédaient, au nombre de toutes les paires de bras qui voulaient bien l’enlacer, même si ce n’était que le temps d’un clignement d’oeil.

Elle ne pouvait pas dire qu’elle se sentait tout à fait bien et heureuse, mais une chose était sûre, elle préférait largement cette Kathrina-là, plutôt que celle d’il y a trois ans qui pleurait dans tous les recoins de couloir en ayant l’impression que son monde s’effondrait.

Alors elle avait appris à ne pas poser de questions déplacées, à ne pas coller des histoires toutes faites sur la tête des gens selon ce qu’ils laissaient voir d’eux. Elle ne connaissait pas bien Sasha, elle la savait travailleuse, ambitieuse, excellente élève, un peu pimbêche sur les bords, elle savait aussi qu’elle était une bonne amie d’Andrew. Rien dans ce qu’elle dégageait n'aurait pu la destiner à être cette fille qui se faisait prendre en levrette sur une vidéo volée. Mais comme tout le monde, Sasha avait sans doute ses secrets. Et puis, elle n’avait rien fait de mal en soi. Kathrina aurait été bien mal placée pour émettre un quelconque jugement de toute manière. Si elle avait eu une sensation de nausée au moment où -comme les trois quarts de ses camarades- elle était tombée sur cette vidéo, c’était parce qu’elle avait brièvement songé que cette jeune fille dont on dévoilait l’intimité sexuelle aussi crûment aurait largement pu être elle.

Elle s’était vite promis d’éviter toute conversation à ce sujet, ne souhaitant pas se rendre complice des ragots qui se répandaient dans Poudlard comme les étincelles d'un mauvais sort. Par chance, sa meilleure amie Gillian n’était pas le genre de filles à s’intéresser à ce type de médisances et rembarrait rapidement Paul si ce dernier s’y essayait. Mais aucun d’entre eux n’évoluait dans des vases clos, alors Kathrina avait attrapé, à plusieurs reprises, des ricanements, des blagues, des commentaires dans les couloirs, au fond des salles de classe. Ces dernières semaines, les élèves ne se contentaient plus de commenter les prétendues moeurs légères de Sasha, ils se glissaient dans la peau d’enquêteurs, obsédés par l’identité du mystérieux deuxième protagoniste de la vidéo. Un nom revenait beaucoup, lui pinçant le coeur à chaque fois.

Andrew. Andrew Dubois, voyons. Le capitaine des Gryffondor ! Enfin c’est évident ! Kathrina rejetait l’idée fermement. Andrew était son ami, elle le connaissait depuis des années, suffisamment pour savoir qu’il n’aurait jamais filmé une fille de cette manière et encore moins diffusé la vidéo. Mais malgré elle, elle avait commencé à réfléchir à toute cette histoire, alors qu’elle s’était promis de ne pas s’en mêler. Il y avait quand même une petite hypothèse au sujet d’Andrew dans sa tête qui la tracassait, une à peu près plausible qui gagnait en crédit au fur et à mesure des jours.

Kathrina ne disait rien mais elle n’était pas aveugle, elle était même plutôt observatrice et elle était suffisamment incluse dans la grande bande d’amis d’Andrew pour avoir remarqué des dysfonctionnements inhabituels. Adarsh, Baen, Clayton, Henry, Gowan, James, Paul. Ils n’agissaient plus comme avant. Il y avait des exclus, des mauvaises paroles, des regards de travers, des tensions. Quant à Andrew, Kathrina avait fini par comprendre qu’il ne communiquait plus du tout avec Sasha.

La demande qu’Andrew lui fit, alors qu’ils remontaient ensemble des serres de botanique, lui confirma ce fait.

« Oui, je peux te prêter mes notes du dernier cours de potion si tu veux… C’était le cours que tu as manqué à cause des Epouvantards, c’est ça ? Ça s’est bien passé l’entrainement avec eux ? »

Elle écouta Andrew lui donner plus de détails, en marchant tranquillement avec lui, le long du chemin qui menait au château. A un moment, elle ralentit volontairement le pas pour laisser tous leurs camarades passer devant eux, songeant que c’était peut-être sa chance de parler plus sérieusement avec son ami et éventuellement de l’aider. Elle s’arrêta complètement, pour qu’il se tourne vers elle. Après un bref instant d’hésitation, elle lança :

« Tu ne parles plus du tout à Sasha, alors ? » Elle lui fit un sourire d’excuse, tentant une plaisanterie : « Je sais que tu reconnais mes immenses talents en potion et que tu m’aimes beaucoup mais habituellement ce n’est pas vers moi que tu tournes pour les cours… »

Au plus grand plaisir de sa mère, Andrew avait eu des résultats plutôt corrects à ses BUSES. Il faut dire qu’elle lui avait bien fait comprendre qu’il n’avait pas intérêt à se planter s’il voulait passer un été décent : son père lui avait tenu à peu près le même discours (à croire qu’elle lui avait fait des fiches. Quel était l’intérêt d’avoir des parents divorcés s’ils continuaient d’être toujours d’accord entre eux ?) Au final, il avait pu conserver quelques matières importantes pour ses ASPICS : sortilèges, botanique, potions, DCFM, soins aux créatures magiques et étude des moldus. Cela faisait presque oublier son D en métamorphose, ainsi qu’en Histoire de la Magie, sans parler de son T en arithmancie. Mais un beau O en étude des moldus et un E en sortilèges ! Cette année, il avait l’intention de maintenir le cap, ou du bien de tenter : sa mère l’attendait au tournant à cause de son recrutement au sein du centre de formation des EDL. Selon elle, il était hors de question que cela impacte ses études. Alors il essayait de faire de son mieux, entre les entraînements à Leopoldgrad, le capitanat et aussi tout ce qui lui prenait la tête ces derniers temps.

Toute cette histoire avec Sasha prenait beaucoup de place dans son esprit. La vidéo était loin de tomber dans l’oubli, ce qui ne faisait que renforcer sa culpabilité quant à sa part de responsabilité dans cette sordide histoire. Sa meilleure amie (s’il pouvait encore l’appeler comme cela...) refusait toujours de lui adresser la parole et ce n’était pas faute d’avoir essayé, avec des prétextes de plus en plus bidons. Il ne savait pas quoi faire pour arranger les choses entre eux. C’était également compliqué avec ses copains : Clayton et lui s’étaient violemment engueulés le soir de la rentrée, au sujet de la vidéo évidemment, et depuis Andrew refusait de tolérer sa présence. James lui était rentré dedans plusieurs fois à ce sujet et ils avaient fini par s’engueuler aussi. Il avait envoyé promener Baen quand ce dernier avait tenté d’apaiser les choses, en arguant que ce n’était pas Clayton qui avait diffusé la vidéo, qu’ils n’allaient pas rester fâchés juste à cause de ça... L’ambiance était loin d’être détendue et leur petite bande s’était divisée : Clayton n’approchait pas quand Andrew était là (et il allait s’assoir un peu plus loin avec son air malheureux, ce qui lui donnait des envies de violence : il ne supportait pas de le voir faire sa victime.) La plupart du temps, ils formaient deux groupes aux tensions perceptibles.

Et puis il y avait les rumeurs. Tout le monde semblait obsédé par l’identité de l’auteur de la vidéo et Andrew était tout à fait conscience que son nom revenait beaucoup. Cela le rendait dingue qu’on puisse le soupçonner capable de faire ce genre de chose. À sa meilleure amie en plus ! La première fois qu’on lui avait posé la question frontalement (c’était Benjamin Eriksen qui l’avait fait), il avait été interloqué et avait évidemment fermement nié. La derrière fois, il avait explosé de colère. Non, ce n’était pas lui. Non, il n’aurait jamais fait ça. Jamais. Il passait pour la pire des enflures pendant que Clayton restait sous les radars parce que Sasha avait décidé de rester silencieuse pour le moment (à la demande de la police magique, selon Cindy.) Il devait profondément prendre sur lui pour ne pas balancer le nom de Clayton à toute l’école, afin que tout le monde sache quel petit enfoiré lâche il était. Mais plus on l’associait à cette histoire, plus c’était difficile de se taire. S’il n’avait pas eu peur d’aggraver encore plus les choses avec Sasha, il n’aurait pas hésité une seule seconde. Mais il n’avait pas envie de lui donner une raison supplémentaire de le détester.

- Je crois qu’elle m’a mordu, déclara soudainement Adarsh à ses côtés en soulevant son index pour l’observer à la lumière.
- Hein ? fit Andrew, qui était plongé dans ses pensées. Ils étaient en train de remonter des serres de botanique après leur cours.
- Ton snargalouf ? s’étonna Baen en se penchant vers son ami. Bah. Pourquoi ?
- Je sais pas, mais à un moment j’ai eu mal à travers mon gant et là je crois que je saigne. Je saigne vous pensez ?

Il avait levé son doigt juste devant son oeil et fronçait les sourcils.

- Mais tu ne saignes pas, sinon ça se verrait clairement.
- Oui mais j’ai mal, protesta Adarsh. Je dois aller à l’infirmerie vous pensez ?

Andrew eut un sourire.

- Parce que tu penses que ton snargalouf t’as mordu ? Oui, s’il te plaît et laisse-moi venir avec toi pour voir ça.

Adarsh baissa brusquement la main et sourit lui aussi, secouant la tête avec amusement.

- Non mais attends rigole pas, imagine j’ai attrapé le tétanos ! Imagine j’en meure !
- Dans ce cas, on prendra bien soin de ton snargalouf pour toi, intervint Baen en glissant brièvement son bras autour des épaules de son ami. Les sixième années avaient pour mission d’entretenir leur modèle de plante carnivore pendant tout un trimestre. On lui parlera de toi, on lui dira quel botaniste aimant tu étais.

Andrew rit et Adarsh repoussa Baen sans cesser de sourire.

- Vas-y, fous toi de moi, c’est bien. Tu viendras pas chialer sur ma tombe après quand je serai mort du tétanos !

Leur petit chahutage fit se retourner quelques-uns de leurs camarades qui marchaient devant eux, notamment Cindy qui s’empressa de jeter un coup d’oeil à ses mains, comme pour vérifier qu’elle n’avait pas de morsure dissimulée de snargalouf. Andrew croisa à ce moment-là le regard de Kathrina et lui adressa machinalement un sourire avant que la pensée qu’il avait eue ce matin lui revienne en tête.

- Oh, Kat, attends.

Il la rattrapa en quelques enjambées, réajustant la bandoulière de son sac sur son épaule.

- Ça va ? Je voulais te demander... Tu pourrais me passer tes notes de potion du dernier cours ?

Maintenir le cap sur le plan scolaire : c’était toujours son plan. Il la remercia d’un sourire lorsqu’elle accepta immédiatement, hochant la tête à sa question.

- Oui c’est ça, celui de lundi après-midi. Elle le lança sur l’un de ses sujets favoris et il s’empressa d’enchaîner : Ouais, c’était cool. C’est toujours très intense, surtout qu’on a joué des matchs donc c’est toujours plus brutal que du pur entraînement technique mais c’est ça qui est bien, c’est comme ça qu’on apprend au mieux je trouve. Je suis vraiment content d’être là-bas... J’apprends beaucoup. C’est vraiment un univers différent, bah c’est vraiment pro quoi. J’attends chaque entraînement avec impatience.

Et cela lui permettait de sortir de Poudlard, ce qui n’était pas un luxe ces derniers temps. Il ralentit machinalement le pas en même temps que Kat, laissant Adarsh et Baen les dépasser. Lorsqu’elle s’arrêta, il fit de même, un peu surpris. Il n’était pas pressé, il avait fini sa journée de toute manière mais il ne faisait pas très chaud dans le parc. Un bref silence s’installa entre eux, avant que Kat ne se lance sur un sujet épineux, qu’elle fit passer avec une petite plaisanterie. Il ne l’avait pas vraiment vu venir et hésita un instant avant de répondre. Elle était son amie, il n’avait pas envie de l’envoyer sur les roses, mais dans le même temps... Sasha était un domaine sensible.

- C’est compliqué, finit-il par dire. Il s’écoula quelques secondes avant qu’il n’ajoute. Je lui parle. Le problème c’est plutôt qu’elle ne répond pas.

« Ca ne m’étonne pas de toi » répondit Kathrina avec un léger sourire, alors qu’Andrew déclarait qu’il attendait tous ses entraînements avec impatience. « C’est trop chouette en tout cas, c’est une vraie chance de pouvoir faire ça. »

Elle aurait pu ajouter un « ça a l’air de te rendre heureux » si Andrew n’arborait pas si souvent un air soucieux, ces derniers temps. Et Kathrina devinait que ce n’était pas seulement à cause de la pression qu’il devait ressentir, entre les cours et le Quidditch. Toute sa bande d’amis se délitait et son lien avec celle qu’il considérait comme sa meilleure amie semblait brisé. Quand Kathrina osa l’interroger à ce sujet, elle le vit garder un silence hésitant et s’attendit à ce qu’il change de sujet. Mais elle eut le plaisir de constater qu’il attrapait sa perche, un peu timidement, sans donner beaucoup de détails. Elle essaya de l’amener à développer sa pensée, en l’interrogeant davantage :

« Tu lui parles, c’est-à-dire ? Tu lui as envoyé des messages et elle les ignore ? Ou tu as essayé de lui parler en vrai ? »

Kathrina connaissait mal Sasha qui était pour elle une simple camarade de promotion, dans une autre maison. Elles avaient déjà échangé à quelques reprises, notamment aux événements où Andrew les invitait toutes les deux, comme ses anniversaires. Elle n’avait pas vraiment eu un bon feeling avec elle, comme la conviction qu’elles avaient assez en commun pour devenir amies alors elle n’avait pas cherché à creuser davantage. Cependant, elle avait son idée du type de personne qu’était Sasha et n’était pas surprise d’apprendre qu’Andrew n’arrivait plus à communiquer avec elle. Il lui semblait que Sasha n’était pas le genre de personne qu’on pouvait embêter ou blesser impunément, elle n’était donc pas étonnée d’apprendre qu’elle imposait un silence colérique à Andrew. Et comme Andrew ne répliquait pas avec une attitude blessée et rancunière en retour, les conclusions étaient simples : il avait réellement fait quelque chose de répréhensible, qu’il se reprochait à lui-même.

Mais quoi ? Etait-ce cet acte que beaucoup d’élèves lui prêtaient et que Kathrina ne pouvait croire ? Elle n’en était pas convaincue, cela ne tenait pas debout à ses yeux. Elle était certaine que cette histoire était plus complexe que les apparences.

En bonne Poufsouffle, Kathrina se montrait honnête, en particulier avec ses amis, alors elle ne chercha pas à tourner autour du pot très longtemps. Elle regarda autour d'elle pour être certaine que les oreilles indiscrètes s'étaient éloignées puis essaya de lui formuler ses pensées, avec douceur :

« Tu sais, Andrew, il y a des gens qui pensent que… tu es le responsable de la fuite de cette vidéo. » Elle se doutait qu’elle ne lui apprenait rien en disant cela, elle savait que certains s’étaient risqués à l’en accuser frontalement. « Je n’y crois pas une seconde, tu n’aurais jamais fait ça. Mais… » Elle se mordit la lèvre, cherchant les bons mots. « Je vois que Sasha est fâchée contre toi et que toi, tu es fâché avec tes amis alors… Est-ce que c’est l’un d’entre eux qui a fait ça ? Diffuser une vidéo personnelle de toi et de Sasha, sans votre accord à tous les deux ? »

A ses yeux, c’était une explication plausible. Tout le monde avait vu que Sasha et Andrew s’étaient rapprochés pendant la soirée de fin d’année. L’idée qu’ils aient pu coucher ensemble -peut-être pas pour la première fois d’ailleurs- n’étonnait personne. Filmer ses ébats était un fantasme plutôt courant, en tout cas cela ne choquait pas Kathrina -qui avait déjà fait face à des demandes beaucoup plus saugrenues que celle-là. Peut-être que cette vidéo était tout à fait consentie entre les deux, mais qu’elle avait été volée ou piratée par la suite puis diffusée largement par l’un des amis de la bande d’Andrew. Et Sasha lui en voulait pour n'avoir pas su protéger leur intimité. CQFD.

Andrew aurait largement préféré que la conversation continue de porter sur le Quidditch et les Épouvantards plutôt que de parler de Sasha. Il était resté très silencieux à ce sujet, y compris auprès de Gowan qui avait tenté plusieurs fois de le lancer sur le sujet. Cette situation était suffisamment compliquée sans que tout le monde ne mette son nez dedans... surtout que c’était la plupart du temps pour l’accuser de quelque chose. Mais il connaissait bien Kathrina, il savait qu’elle ne venait pas épancher sa soif de ragots auprès de lui. Elle n’était pas comme cela. Ils avaient toujours réussi à parler ensemble, ils se confiaient facilement l’un à l’autre, y compris sur les sujets les plus difficiles. C’était d’ailleurs comme cela qu’ils s’étaient rapprochés la première fois, lorsque Kat avait perdu son frère aîné. Cette fois-ci non plus, il n’avait pas le coeur à la repousser : après tout, elle serait peut-être de bons conseils pour l’aider à sortir de ce marasme.

- Les deux, répondit-il alors à sa question, desserrant dans le même temps sa cravate. J’essaye de ne pas la harceler non plus mais j’essaye de lui parler régulièrement, même avec des prétextes débiles... Après, nuança-t-il, elle me répond quand je lui adresse la parole. Mais par monosyllabes, à peine, en me faisant clairement comprendre que je l’emmerde et que si je pouvais aller me noyer dans le lac, ça l’arrangerait.

C’était la première fois qu’elle était comme ça avec lui. Ce n’était pas la première fois qu’ils se fâchaient pourtant : ils étaient amis depuis la première année et pouvaient être aussi butés l’un que l’autre lorsqu’ils le voulaient. Mais Sasha ne l’avait jamais regardé comme elle le regardait actuellement. Les années précédentes, Andrew n’avait jamais vraiment douté qu’ils se réconcilieraient à un moment. Cette fois-ci, il avait peur que leur amitié soit définitivement terminée, qu’ils ne reviennent jamais de cette erreur qu’il avait fait. Il n’était pas certain qu’elle lui reparle un jour. Et cette pensée lui tordait violemment l’estomac.

En voyant Kat regarder autour d’eux avant de reprendre, d’une voix mesurée, il eut un mauvais pressentiment sur ce qui allait suivre, la fixant du regard. Quand elle lui rappellera que des gens pensaient qu’il était à l’origine de la diffusion de cette vidéo, il leva brusquement les yeux au ciel et souffla avec agacement, sa main gauche se crispant autour de la bandoulière de son sac.

- Les gens sont des cons.

Sa voix avait claqué assez sèchement, même si son amie s’empressa d’ajouter qu’elle n’en croyait pas un mot. Il ne comprenait vraiment pas qu’on puisse l’accuser de ça. Comment est-ce qu’il aurait pu faire ça à sa meilleure amie ? Ou même à n’importe quelle fille ? On le prenait vraiment pour un tel cognard ? Il n’avait pas dit un seul mot négatif en public sur Aby après qu’ils aient rompu - alors que cela avait été conflictuel - mais il serait capable de diffuser la sex-tape volée d’une fille ? Mais il n’eut pas le temps de se défendre plus que ça que Kathrina enchainait avec précaution sur la suite de son hypothèse. Andrew fronça immédiatement les sourcils. Elle avait vu juste sur le fait qu’il soit en conflit avec certains de ses amis mais elle était complètement à côté de la plaque sur le reste.

- Non ! s’exclama-t-il, brusquement. Kat n’était responsable en rien mais toute cette situation le mettait sur les nerfs. Alors dans ta théorie, je suis le mec qui envoie une vidéo volée de ma meilleure amie à mes potes, c’est ça ?

Secouant la tête, il prit sur lui pour réprimer la violente vague de colère qui venait de le traverser. Sa respiration s’était accélérée et son pied avait eu un geste nerveux, comme s’il allait frapper une pauvre motte de terre innocente.

- C’est pas moi sur la vidéo, j’arrête pas de le dire Kat, putain, ce n’est pas moi, d’accord ? Je n’aurai jamais fait ça, merde à la fin !

Il avait parlé avec des gestes brusques des mains. Il n’en pouvait plus de cette histoire, il atteignait très sérieusement sa zone de trop-plein. Emporté par sa colère, les mots se déversèrent.

- J’en ai ras-le-bol qu’on me foute cette histoire sur le dos alors que le vrai coupable s’en sort tranquillement ! Il a été convoqué par la PM mais pour l’instant, ils n’en n’ont rien à foutre de tout ça ! Et lui, il continue sa petite vie, comme ça ! Et tu veux savoir pourquoi je suis fâché avec mes potes ? Tu veux vraiment savoir ? Et bah tout simplement parce que c’est l’un d’entre eux qui l’a fait ! Et comme un con, moi, bah je n’ai rien dit à Sasha quand je l’ai su. C’est ça la vérité sur cette putain d’histoire. 

Le rouge lui était monté aux joues au fur et à mesure de son discours. Il finit par croiser les bras sur son torse, le regard tempétueux.

Andrew était un garçon plutôt tranquille et jovial, que Kathrina n’avait pas beaucoup l’occasion de voir tendu - sauf quand il s’agissait de Quidditch - et encore moins exploser. Aussi, quand il finit par réagir en haussant brutalement le ton, Kathrina eut un léger mouvement de recul surpris.

« Ce n’est pas ce que j’ai dit » tenta t-elle de se défendre à sa première réaction.

Elle ne l’avait pas accusé de voler une vidéo ni de l’avoir volontairement montré à ses amis. Dans le scénario qui lui paraissait plausible dans sa tête, Andrew et Sasha filmaient de manière parfaitement consentie leur moment d’intimité, pour leur plaisir personnel, puis se faisaient voler cette vidéo plus tard. Cela pouvait arriver à n’importe qui de laisser momentanément traîner son Pear ouvert sur une table ou encore de le prêter à un ami pour le laisser faire défiler des photos d’un événement en particulier. En l’occurrence il s’agissait de la soirée de fin d’année et Andrew aurait pu partager ses images en oubliant que certaines devaient rester secrètes. Kathrina n’en savait rien, il y avait plein de possibilités, mais elle n’eut pas l’occasion de les exposer. Son ami démentit avec une véhémence qui trahissait son impatience.

« D’accord, d’accord ! » lança Kathrina dans l’espoir de le calmer.

Mais Andrew était lancé dans une colère qui semblait avoir grand besoin de sortir. Il finit par faire les aveux que Kathrina soupçonnait. Un de ses amis était coupable de la fuite. En revanche, l’éclairage qu’il apporta à l’histoire dévoila une vérité qu’elle n’avait pas anticipé. C’était ce même ami qui était acteur de la vidéo, aussi bien que de la fuite. Et si Sasha en voulait à Andrew, c’était parce que ce dernier avait connaissance de la vidéo et qu’il n’avait rien dit à ce sujet avant que l’affaire n’éclate.

Finalement, Sasha avait des raisons tout à fait légitimes d’en vouloir à Andrew, qui avait effectivement fait une erreur de jugement. Le temps de chercher ses mots, Kathrina resta silencieuse quelques secondes, remuée par l’annonce. Elle commença par faire ce qui était le plus naturel pour elle, en essayant de réconforter Andrew.

« Je suis désolée, ça doit être difficile à gérer. » Elle posa une main sur son bras. « Et je ne voulais pas avoir l’air de t’accuser de quoi que ce soit. Je n’ai jamais pensé que tu étais le responsable de toute cette histoire, j’avais senti que c’était un de tes amis qui était mêlé à tout ça et tu me le confirmes… »

Son instinct lui soufflait les noms de James ou Clayton qui semblaient être les deux garçons de la bande les plus remontés contre Andrew -et réciproquement. Mais elle n’en dit rien, ne voulant pas avoir l’air de la fille venue pour avoir tous les ragots. Maintenant qu’elle comprenait mieux les enjeux de la dégradation de la relation entre Andrew et Sasha, elle pouvait tenter de lui apporter une aide plus éclairée.

Et il fallait l’avouer, elle était surprise d’apprendre ce qu’Andrew avait fait -ou plutôt n’avait pas fait. Le garçon loyal et courageux qu’elle connaissait n’aurait normalement pas hésité à prendre le parti de la personne lésée -en l’occurrence Sasha- pour l’informer de ce qui se passait dans son dos. A moins que la solidarité masculine de sa bande d’amis l’emportait dans ce type de cas de figure ? Un peu perdue, Kathrina l’interrogea :

« Je peux te demander pourquoi tu n’as pas parlé à Sasha de la vidéo quand tu as appris son existence ? »

Son brusque éclat de colère n’avait pas soulagé Andrew, qui sentait encore le ressentiment pulser sous sa peau. Ce n’était pas à Kat qu’il en voulait pourtant mais sa patience avait des limites et ces dernières étaient dépassées depuis bien longtemps. Plus les jours passaient, moins il comprenait pourquoi Sasha ne révélait pas à tout le monde que Clayton était coupable. Il la savait respectueuse des règles et de l’autorité, il savait que la PM lui avait demandé de garder le silence mais comment pouvait-elle tolérer qu’il s’en sorte comme cela, qu’il puisse continuer sa vie ainsi ? Lui n’en pouvait plus et il n’était pas la victime de cette histoire. Il ne tolérait plus de le voir tranquille dans les couloirs de l’école, comme si de rien n’était, il ne tolérait plus qu’il s’en sorte comme cela après ce qu’il avait fait à Sasha. Il en avait marre de toute cette histoire, il en avait marre qu’on lui colle sur le dos, il en avait marre de cette ambiance à l’école. Il n’en pouvait plus de cette dispute entre Sasha et lui, il était en colère contre lui-même d’avoir laissé toute cette situation arriver, il s’en voulait à mort. Et maintenant, face au regard surpris de Kat, il se sentait coupable de lui avoir crié dessus.

Pourtant elle ne lui en fit pas le reproche. Après un silence, elle posa une main sur son bras et finit par déclarer que cela devait être difficile à gérer. Il ne répondit rien. Il n’avait pas envie d’être ce mec-là, celui qui se plaignait dans cette situation alors que ce n’était pas lui qui était vraiment la victime de tout cela. C’était Sasha qui se faisait insulter au quotidien, qui devait vivre avec toute cette histoire. Lui, c’était les rumeurs, les murmures mais il voyait bien que ce n’était pas le quart de ce qu’elle subissait. Personne ne l’insultait, dans les couloirs et sur les réseaux sociaux, personne n’avait fait de montage de lui, personne ne le malmenait. Griffin Füller, un des batteurs suppléants de l’équipe de Serdaigle l’avait même félicité une fois. Dans un sens, c’était peut-être un retour de bâton : il avait sa part de responsabilité dans tout ce bourbier et cela lui était revenu en pleine tête. Comme on fait son lit, on se couche aurait dit sa mère...

- Tu es plus perspicace que les trois-quart de l’école alors... grommela-t-il en baissant les yeux sur la pelouse lorsque Kat glissa qu’elle avait senti que l’un de ses amis était mêlé à tout cela.

Il laissa la bandoulière de son sac glisser le long de son épaule et le déposa par terre, ses bouteilles d’encre cliquetant alors qu’elles rencontraient le sol.

- Désolé de t’avoir crié dessus, marmonna-t-il, finissant par relever la tête vers elle. C’est juste que... j’en ai marre de cette histoire.

La question que posa Kathrina ensuite était tout à fait légitime et pourtant, il n’avait pas du tout envie d’y répondre. Il garda le silence un long instant. Un peu plus loin, le Saule Cogneur secoua ses branches, déclenchant l’envol de plusieurs oiseaux.

- Je ne sais pas.

C’était un mensonge, en partie. Il se rappelait très bien pourquoi il avait pris cette décision sur le moment, son raisonnement était encore très clair dans son esprit. Mais au fur et à mesure que les semaines passaient, il y avait réfléchi plus en profondeur. Il y avait autre chose derrière, une autre raison qui ne lui plaisait pas beaucoup. Il ne pouvait pas l’avouer à Sasha, il peinait déjà à se l’avouer à lui-même.

- Je pensais que la vidéo était supprimée, souffla-t-il après un nouveau silence. Il l’a montrée à mon anniversaire, révéla-t-il, dans la cuisine. Et je me suis énervé et je lui ai dit de supprimer. Il l’a fait devant moi. Alors je pensais que... Je sais pas, que l’histoire était bouclée. Que personne n’en n’entendrait jamais parler.

Il l’avait sincèrement cru. Il était persuadé sur le moment que tout avait pris fin ce soir-là, que cette vidéo serait oubliée. Il était loin d’imaginer la catastrophe qui se profilait.

- Sasha n’était pas là ce soir-là, on... On ne se parlait plus et... Je ne me voyais pas l’appeler pour... Honteux, il se tut. Je ne pensais pas que ça... arriverait.

Kathrina accueillit les excuses d’un hochement de tête. Elle avait surtout senti de la colère contre la situation dans laquelle Andrew était embourbé, plutôt que de la colère qui la visait directement elle alors elle ne s’en formalisait pas plus que ça.

« Oui… ça se comprend » dit-elle face à son ami qui lui avouait son ras-le-bol.

Il n’y avait pas un jour sans que cette histoire ne soit évoquée d’une manière ou d’une autre, d’une blague dans les couloirs, d’un hashtag dans les réseaux, d’un regard un coin ou d’une remarque désobligeante. Evidemment, Sasha était la personne qui était la plus souvent visée mais Kathrina ne la connaissait que très peu, elle était loin de savoir comment elle vivait l’évènement et elle n’avait pas spécialement cherché à savoir non plus pour être honnête. Andrew, en revanche, était l’un de ses plus proches amis et le voir habité par la rancune, en pleine crise avec son groupe d’amis, affectait davantage Kat.

Elle sentit qu’elle posait une question difficile pour le Gryffondor car il mit un certain temps avant de lui livrer une réponse qui n’en était pas vraiment une. Kathrina resta silencieuse, dans l’espoir qu’Andrew complète sa réponse. Les détails qu’il finit par donner la surprirent. Elle était présente à son anniversaire, elle n’avait pas assisté à cette scène ni même senti que quelque chose d’aussi gros s’était produit. En même temps, la maison d’Andrew était immense, les invités s’étaient répartis entre le salon, le jardin, la piscine alors elle pouvait tout à fait avoir échappé à une scène qui s’était produite dans la cuisine.

Plus que ce détail, la décision d’Andrew laissait toujours Kathrina perplexe. D’accord, elle voulait bien croire qu’il ait sincèrement pensé que la vidéo était définitivement supprimée et qu’elle ne resurgirait pas. Pour autant, rien ne l’empêchait d’en parler quand même à Sasha, ne serait-ce que pour la mettre en garde et lui dire de ne plus accorder sa confiance à cette personne avec qui elle avait couché. Le sujet allait au-delà de la vidéo, qui que soit la personne qui avait filmé Sasha pendant leurs rapports, elle avait brisé sa confiance et Sasha méritait de le savoir pour ne plus se retrouver dans la même situation. Kathrina était étonnée que quelqu’un d’aussi droit et loyal qu’Andrew n’ait pas saisi l’importance d’en informer son amie et sur le coup, ce point l’interrogea. Est-ce que les mecs -Andrew compris- mesuraient à ce point mal l’impact de ce type d’agissements sur les filles ? Ou est-ce qu’il y avait autre chose ?  

La suite du discours d’Andrew lui donna un élément de réponse.

« Vous ne vous parliez déjà plus à ce moment-là ? » releva t-elle, en fronçant les sourcils.

Voilà un détail d’importance qu’elle n’avait pas et qui pouvait éclairer bien des choses. Kathrina s’apprêtait à interroger son ami à ce sujet mais elle surprit les regards en biais d’une bande de cinquième année qui remontaient l’allée des serres vers le château. Ils n’étaient pas dans l’endroit le plus agréable, ni le plus discret pour pousser plus loin cette conversation. Et le froid commençait à se faire sentir, avec la grisaille du ciel au-dessus d’eux qui ne prédisait rien de bon. Elle aperçut l’expression penaude sur le visage d’Andrew et songea qu’un peu d’intimité et de réconfort ne lui ferait pas de mal, alors elle afficha un sourire sur son visage.

« Tu sais quoi ? On devrait continuer cette conversation autour d’un bon chocolat chaud, au lieu de se les peler ici. A tout moment, il pleut sur notre tête… » Elle attrapa son bras, pour l’entraîner à sa suite. « Tu connais bien les cuisines, non ? »

Une quinzaine de minutes plus tard, c’était l’atmosphère enveloppante et chaleureuse des cuisines qui les accueillait. Kathrina comme Andrew avaient noué des liens avec les elfes présents, alors on ne râla pas trop de les voir s’incruster à l’heure où ils lançaient la préparation du dîner et on les laissa rester dans un coin de table où ils ne dérangeaient pas trop. Kathrina sentit des souvenirs remonter alors qu’elle laissait son regard glisser sur les volutes de fumée qui s’échappaient de la mousse de lait épaisse sur son chocolat chaud.

« La première fois que je suis venue ici, c’était en deuxième année avec Gillian, révéla t-elle, avec une pointe de nostalgie. A cette époque je n’avais d’yeux que pour Paul et elle pensait que m’offrir un chocolat chaud allait me faire cracher le morceau à ce sujet. Bon, elle n’avait pas complètement tort. »

Elle eut un sourire amusé en repensant à la petite fille à la vie normale qu’elle était à cette époque, à nourrir des crush pour ses camarades de promotion. Les choses avaient bien changé depuis. Elle posa son regard sur le grand garçon bien bâti qu’était devenu Andrew et sur qui elle avait aussi crushé un jour -mais à cette époque il avait plutôt des joues bien rondes et des bras tout fins. A cette époque, ils étaient beaucoup plus insouciants et joyeux tous les deux, bien loin d’histoires sordides de sextapes et d’enquêtes policières.

« Est-ce que tu veux parler de ce qui s’est passé entre Sasha et toi ? » l’interrogea t-elle doucement.

À la façon dont Katrina réagit, Andrew vit qu’elle était sincèrement surprise de découvrir que sa dispute avec Sasha était déjà d’actualité. C’était normal : la seule personne au courant était Gowan, qui avait gardé le secret pour lui. Au moment de son anniversaire, personne ne s’était inquiété de savoir pourquoi Sasha n’était pas là : après tout, elle avait déjà manqué ses quinze ans car elle était en stage à Salem. Il n’avait pas cherché à donner plus d’explications, déçu qu’elle ne soit pas venue. Alors certes, ils n’avaient pas reparlé depuis la soirée de fin d’année mais il l’avait volontairement ajoutée dans le groupe de discussion, comme une main tendue. Il espérait qu’elle serait là et qu’ils aient l’occasion de s’expliquer. Cela n’avait pas été le cas. Il y avait eu toute l’histoire avec Clayton et... il ne lui avait pas écrit. Très lâchement. La rentrée était arrivée et les catastrophes avec. Face à ce drame-là, leur brouille de la soirée de fin d’année passait pour des broutilles.

Il s’apprêtait à répondre à la question de son amie lorsqu’il perçut son regard qui dérivait derrière son épaule. Il se retourna pour voir un groupe de cinquième année qui remontait des serres, leur cours venant sûrement de se terminer. Ils les regardaient du coin de l’oeil et Andrew eut l’impression de voir April, une camarade de dortoir de Colette, se pencher vers une de ses amies en murmurant. Un peu mal à l’aise - il était sûrement parano - il reporta son attention sur Kat. Il n’avait même pas vu Coco dans le lot : à tous les coups, elle s’était faite retenir par le professeur Londubat pour avoir tenté de faire manger de la bouse de dragon à quelqu’un. La proposition de son amie de passer par les cuisines lui sembla soudain très tentante : cela leur permettrait d’éviter la Grande Salle, souvent bondée après les cours et avant le dîner. Elle l’attrapa par le bras et il se laissa entraîner, récupérant son sac au passage.

- Tu n’es pas Poufsouffle pour toi, hein, la taquina-t-elle. Toujours à trouver une bonne excuse pour traîner aux cuisines.

Il était de mauvaise foi, surtout quand on savait qu’il n’hésitait pas à aller y faire un tour : les entrainements de l’équipe de Gryffondor débordaient parfois de l’horaire prévu et il fallait bien nourrir ses joueurs. Et lorsqu’ils faisaient des petites fêtes clandestines dans l’école, avec les copains, ils faisaient parfois un petit crochet auprès des Elfes. Après tout, ils n’allaient pas se nourrir uniquement de leurs provisions de chocolat de chez Honeydukes. Ils remontèrent le château, naviguant entre les différents groupes d’élèves, enfin libérés de leur journée. L’air de rien, Andrew en profita pour tenter d’orienter Kat sur l’équipe de Quidditch de Poufsouffle. Sait-on jamais, s’il y avait quelques informations à gratter...

Les Elfes ne firent pas d’histoire en les voyant et les installèrent en bout de table, reprenant ensuite la préparation du dîner. Il ne manqua d’ailleurs pas le plat de lasagnes qui était en train d’enfourner, ayant déjà trouvé son repas du soir. Il posa ses mains sur la tasse brûlante de son chocolat chaud, remarquant au passage qu’elle était aux couleurs des Serdaigle. Le souvenir que mentionna Kat lui tira un sourire, en les imaginant toutes les deux à douze ans se glisser dans les cuisines, en vrai délinquantes scolaires. En revanche, ce qu’elle ajouta juste après lui fit écarquiller les yeux, sincèrement surpris. Prenant son air le plus outré, il porta une main à son coeur.

- Quoi ? Et moi qui croyait que tu n’avais d’yeux que pour moi, à l’époque !

Ils étaient sortis ensemble à la toute fin de leur deuxième année, à la veille de la rentrée ou presque, même. Il était allé lui rendre visite pendant l’été et ils avaient échangé leur premier baiser. Ils étaient restés ensemble six mois après. Elle était sa toute première petite-amie.

- C’était donc Paul, ton grand amour, je n’étais que le plan B ? fit-il mine de s’offusquer, dramatiquement. Tu me brises le coeur, Kat.  

Ils s’étaient séparés à la fin de février ou au début du mois de mars de leur troisième année, il ne se souvenait plus. Ils étaient de très bons amis plus qu’autre chose. Et puis, en décembre, quelques mois avant leur séparation, Aby était venue lui dire qu’elle l’aimait et... Il mentirait en disant que cela ne l’avait pas troublé. Il ne l’avait jamais avoué à Kat, d’ailleurs, parce que ce n’était pas ça qui avait joué dans leur séparation. Aby et lui n’étaient sortis ensemble que plus tard, en juin. Ce n’était qu’il y a deux ans, pourtant, mais il avait l’impression que cela faisait une éternité. Maintenant, leurs problématiques étaient bien moins innocentes, loin de leurs premières amourettes. Kathrina revint d’ailleurs sur le sujet, l’interrogeant aussi doucement que frontalement.

Les yeux d’Andrew se retrouvèrent absorbés par les volutes de son chocolat quelques secondes, hésitant. Il en avait fait le récit à Gowan, le lendemain même de la soirée, dans le Poudlard Express, parce qu’il en avait besoin d’en parler. Puis il avait enterré tout cela, parce qu’y pensait faisait ressortir beaucoup de choses chez lui. Après ce qui était arrivé à cause de Clayton, c’était encore pire. Il n’arrivait pas vraiment à se dépêtrer de tout cela, alors c’était plus facile de ne pas se retourner dessus. Sasha ne lui adressait même plus la parole... Mais Kat était l’une de ses plus proches amies, elle savait beaucoup de choses sur lui. Il s’était toujours beaucoup confié à elle, quand ils étaient ensemble et même après. Elle lui avait confié des choses difficiles sur elle, sur son enfance. Elle était quelqu’un de confiance, il le savait. Et de bon conseil. Peut-être qu’elle pourrait l’aider à voir plus clair dans tout ce bazar, lui donner la solution pour tout arranger.

- On s’est embrassés à la soirée de fin d’année, finit-il par lâcher. Dans l'alcôve, après avoir dansé.

La boutade d’Andrew arracha un éclat de rire à Kathrina, qui ne pensait pas provoquer cette réaction chez lui. Il plaisantait, juste histoire de l’embêter, elle le savait. Ils avaient certes été un jour en couple tous les deux, mais un couple un peu inhabituel : après quelques mois de relation, ils étaient tous les deux arrivés à la conclusion qu’ils se sentaient plus amis qu’amoureux. Leur rupture avait été très différente d’une rupture de couple classique, puisqu’ils n’avaient jamais été plus amis qu’après avoir rompu.

« Tu sais très bien qu’on était perdus tous les deux à cette époque » répliqua t-elle en souriant. Elle mentirait si elle disait que cela ne lui avait rien fait du tout de savoir qu’Andrew avait des sentiments pour Abigail, déjà à ce moment-là, mais elle avait fini par se rendre compte que c’était plus de l’ego que de la réelle jalousie, ce qui l’avait d’ailleurs aidée à identifier la vraie nature de ses propres sentiments pour Andrew. « Mais jamais je ne te qualifierais de plan B. Tu étais un excellent premier petit ami ! »

Parfois elle y repensait avec amusement et nostalgie. Ils étaient très mignons à l’époque, tous les deux, à se tenir la main, à s’offrir des petits mots en cours et se faire des bisous sur la joue. Le concept du couple à douze ans, en somme. Depuis, Kathrina avait vécu d’autres histoires, très différentes, plus intenses et plus charnelles, et surtout moins joyeuses et moins saines. Andrew, lui, avait vécu une vraie histoire d’amour avec Abigail, même si elle s’était mal terminée, Kathrina le savait : cela avait été difficile pour son ami de se remettre de cette rupture, même s’il en était à l’origine. C’était à cela qu’on reconnaissait les vrais sentiments, aux yeux de Kat : la personne dont on se séparait nous manquait toujours, au fond. Elle n’avait pas la sensation d’avoir déjà provoqué ce type de sentiment chez un garçon et pour être honnête, elle n’avait pas ressenti ça non plus de son côté.

Mais ils n’étaient pas vraiment là pour revenir sur leurs histoires d’amour passées et Kathrina ne tarda pas à recentrer le sujet. Andrew paraissait mal à l’aise, hésitant. Elle le laissa prendre le temps de trouver quoi dire, échafaudant de son côté ses propres hypothèses. Mais aucune ne se rapprocha de la révélation qu’Andrew finit par lui faire. Les yeux ronds, elle posa sa tasse de chocolat. Sasha et Andrew s’étaient embrassés le même soir où Sasha avait tourné cette fameuse sextape avec un des amis d’Andrew ? Elle sentait d’ici la sombre histoire, le truc qui avait mal tourné, le quiproquo qui avait fini par pousser Sasha à se jeter dans les bras d’un autre.

« D’accord » fit-elle en s’efforçant de se reprendre.

Elle ne pouvait pas dire qu’elle était tout à fait surprise non plus. Elle avait déjà soupçonné Sasha de nourrir des sentiments pour Andrew, car elle agissait avec lui d’une manière très différente de la manière dont elle se comportait avec les autres garçons. Avec les autres tout court, même. En revanche, Kathrina n’avait pas forcément décelé la même chose chez Andrew, qui était longtemps resté avec Abigail et qui parlait de Sasha comme de sa meilleure amie. Peut-être était-ce là le problème ? Andrew avait repoussé Sasha, ce qui avait vexé cette dernière ? Précautionneuse, elle avança ses hypothèses, en interrogeant Andrew du regard.

« Et… Vous ne vous parliez plus ensuite parce que… tu l’as repoussée ? »

- Hum, fit Andrew avec un sourire en coin à la remarque de Kat, peu désireux de mentionner Abigail plus que ça. Le sujet restait un peu sensible, malgré les mois passés depuis leur rupture. Contrairement à ce qui s’était justement passé avec Kathrina, ils ne s’étaient pas séparés en bons termes. Pas du tout, même.

Après plusieurs semaines compliquées, faites de disputes quasi-quotidiennes - quand elle lui adressait la parole - et de multiples incompréhensions, Andrew avait fini par prendre la décision. Ils ne s’entendaient plus, ils n’y arrivaient plus, ils n’étaient absolument plus heureux ensemble. En tout cas, lui ne l’était plus et il n’avait plus envie d’être avec elle, de passer son quotidien à se justifier, à se battre, d’être soumis à cette pression permanente. Il n’avait pas eu tout de suite le courage de lui annoncer, lorsqu’il avait décidé de mettre fin à leur relation. Un peu lâchement, il lui avait demandé quelques jours de break, en disant qu’il avait besoin de temps. C’était quelques jours avant les BUSES blancs et cette nouvelle avait complètement paniqué Aby. Ils étaient passés des disputes à la négociation, aux supplications, et cela avait presque été pire. Il avait tenu sa résolution, ce qui lui avait donné l’impression d’être la pire personne au monde. Après les examens blancs, ils étaient allés se promener dans le parc, profitant d’une journée de printemps exceptionnellement belle pour la saison. Il lui avait demandé comment s’étaient passés ses BUSES et elle lui avait dit qu’elle avait été trop triste et préoccupée ces derniers jours pour les réussir. Il avait eu l’impression d’en prendre un coup derrière la tête. Elle le faisait toujours culpabiliser comme ça. Ils avaient rompu ce jour-là, il était parvenu laborieusement à le lui dire. La conversation ne s’était pas bien terminée, comment aurait-elle pu ?

Contrairement à ce qu’elle avait dit - il le savait par Rachel, qui le lui avait répété - il n’avait pas bien vécu cette séparation. Abigail semblait croire que c’était facile pour lui, parce qu’il était celui qui avait rompu. Elle disait qu’il allait bien, lui, sous prétexte qu’il avait continué de jouer au Quidditch, sous prétexte qu’il avait l’audace de rire avec ses amis alors qu’elle était dans la même pièce que lui. Elle avait dit qu’il s’en fichait, qu’il allait se retrouver une copine très vite alors qu’elle allait rester toute seule. C’était faux, il ne s’en fichait pas. Ils avaient été ensemble pendant près de deux ans, toute sa vie était imprégnée d’Aby, tout son quotidien à Poudlard. Il ne se sentait plus amoureux d’elle comme il l’avait été, il n’était plus heureux dans leur relation mais quand ils s’étaient séparés, elle lui avait manqué. Elle ne s’asseyait plus à la table de Gryffondor le matin, pour lire le journal à côté de lui, il ne lui prenait plus la main dans les couloirs, elle ne lui envoyait plus de mots d’amour, il ne la raccompagnait plus à la porte de la tour de Serdaigle tous les soirs.

Dans les semaines qui avaient suivi la fin de leur couple, ils avaient eu parfois de longues conversations. Andrew voulait savoir comment elle allait, elle lui disait qu’elle était malheureuse et qu’elle se sentait abandonnée, car ils n’étaient même plus amis. Il ne savait jamais quoi répondre à cela. Il ressortait de ces échanges chaque fois un peu plus coupable. Un jour il lui avait demandé ce qu’il était censé faire alors, se remettre avec elle pour qu’elle ne soit plus malheureuse, alors qu’ils n’étaient pas non plus bien ensemble ? Elle lui avait répondu qu’en rompant, c’était lui qui avait mis fin à leurs chances de régler leurs problèmes, alors qu’elle voulait travailler dessus. Cette petite phrase anodine avait été la goutte de trop pour lui et ils avaient cessé de s’adresser la parole. Quitte à passer pour une horrible personne sans coeur dans les yeux de son ex, autant ne pas l’entendre au quotidien. Il releva les yeux sur Kat, qui déclarait justement qu’il avait été un bon petit-ami. Elle n’avait sûrement pas parlé avec Aby, elle.

- Non mais c’est bon, je n’ai plus le choix maintenant. Je dois provoquer Paul dans un duel d’honneur, déclara-t-il, faussement affligé.

Pas du tout, il aimait beaucoup Paul qui était un très bon copain. En plus, le connaissant, leur camarade choisirait sûrement de l’affronter à la bataille explosive, à raison : il l’éclaterait en deux ou trois tours.

Malheureusement, leur conversation prit un tour bien moins amusant avec la mention de ce qui s’était passé à la soirée de fin d’année, avec Sasha. Andrew se sentait nerveux face au regard de Kathrina. Elle avait écarquillé les yeux lorsqu’il s’était confessé, reposant précautionneusement sa tasse sur la table. Lui-même s’était un peu reculé, s’adossant contre sa chaise. Gowan n’avait pas dit grand-chose, quand Andrew le lui avait dit. Qu’il comprenait et que c’était effectivement compliqué. Kat, elle, se contenta de poser une question, tombant comme toujours très à propos. Il garda le silence quelques secondes. Effectivement, il l’avait repoussée, mais pas immédiatement. Il l’avait embrassée en retour d’abord et ça, il ne pouvait pas dire qu’il le regrettait. C’était quand Sasha avait voulu pousser les choses plus loin que... Il finit par hocher la tête en même temps qu’il haussait les épaules, le regard un peu fuyant.

- C’est ça. À peu près. Elle a dit que mon dortoir était vide et elle a voulu monter. J’ai refusé. Elle l’a mal pris et... Il eut un vague geste de la main. Voilà. Je n’ai pas su quoi lui dire, elle a été blessée.

Andrew restait nerveux à l’évocation de Sasha, c’était de toute évidence un sujet difficile à aborder pour lui. Mais Kathrina perçut autre chose, à travers son regard fuyant et au ton de sa voix. De la honte ? Assez vite, la jeune fille en comprit l’objet car Andrew finit par lui avouer un autre élément qu’elle n’aurait pu soupçonner.

Ce n’était pas Andrew qui était responsable de cette affaire de sextape. En revanche, c’était avec lui que Sasha avait voulu coucher, ce soir-là.

La surprise se lut de manière évidente sur le visage de Kathrina. Elle garda le silence quelques secondes, le temps de créer du sens avec toutes ces nouvelles informations. Sasha et Andrew s’étaient donc embrassés ce soir-là. Un baiser auquel Andrew avait répondu, puisque Sasha avait eu le courage de lui proposer d’aller plus loin. Ici, les choses avaient coincé. Pourquoi ? Kathrina ne parlait pas vraiment de ces sujets-là avec Andrew, mais si l’on en croyait les rumeurs, il n’en était pas à son premier coup d’essai. Il était de notoriété publique qu’il avait déjà couché avec Abigail -de la bouche d’Abigail elle-même. Depuis leur rupture, Andrew n’avait pas eu d’autre petite amie mais Kat n’aurait pas été étonnée d’apprendre qu’il avait flirté ou fricoté avec une ou deux autres filles. Après tout, il était beau, populaire, sympathique, c’était le capitaine de l’équipe de Quidditch de Gryffondor, bref il avait tout pour plaire à n’importe quelle fille de cette école. Ce n’était donc sans doute pas la peur de se lancer avec une fille qui avait du le retenir.

A ce stade, Kathrina songeait que peut-être, Andrew faisait partie de ces (rares) garçons qui préféraient ne pas se précipiter et attendre d'être en relation officielle avec une fille avant de coucher avec elle. Après tout, c’était plausible, Kathrina ne l’avait jamais entendu se vanter d’une conquête comme pouvaient le faire les autres garçons de sa bande d’amis. En fait, il avait toujours été très discret à ce sujet, s’aperçut t-elle, tandis qu’elle fouillait dans sa mémoire. Même quand il était avec Abigail, il gardait leur vie privée pour lui -ce qui était tout à son honneur.

En somme, Andrew n’avait pas ce type de sentiment amoureux pour Sasha et peut-être était-ce ce qui l’avait retenu.

« Oui je vois, elle était sûrement déçue, elle a du se sentir rejetée même si tu n’y es pour rien » finit par dire Kathrina.

Et du coup, par dépit, Sasha s’était jetée dans les bras d’un autre, le garçon de la fameuse vidéo. L’histoire commençait à retrouver du sens dans son esprit. Les questions de Kathrina auraient pu s’arrêter là si elle n’avait pas cette persistante intuition que quelque chose ne collait toujours pas. Andrew semblait réellement mal à l’aise, honteux, alors qu’il n’y avait a priori aucune raison qu’il ressente ce type de sentiment. Coupable d’avoir fait de la peine à son amie, c’était compréhensible, mais honteux… Pourquoi ? Elle finit par trouver un angle pour tenter d’en savoir plus.

« Tu as refusé parce que tu ne voulais pas faire ça avec elle ou c’est autre chose ? »

Andrew rentra légèrement la tête dans ses épaules lorsqu’il vit la surprise se peindre sur les traits de Kathrina, anticipant sa réaction. Il n’y avait vraiment rien de bien glorieux dans cette histoire et dire qu’il regrettait la façon dont il avait agi ce soir-là aurait été un euphémisme. Il y avait beaucoup repensé, ce qu’il aurait pu faire pour éviter la catastrophe. S’il avait rattrapé Sasha, pour qu’ils puissent parler, pour qu’il puisse s’excuser, peut-être que cela ne serait pas arrivé. Clayton serait remonté au château sans vraiment la croiser, il aurait récupéré Adarsh et serait revenu à la soirée. Ou bien s’il avait accepté de monter avec elle... Qu’il se passe quelque chose ou pas d’ailleurs. Ils auraient pu juste continuer à s’embrasser, loin de la soirée. Il revoyait encore le regard blessé de Sasha lorsqu’il l’avait repoussée, la façon dont elle s’était brusquement emportée, en demandant quel était le problème chez elle. Il n’y en avait aucun. C’était lui, le problème.

- C’est un peu ça... finit-il par souffler en baissant les yeux sur son chocolat chaud.

Il y était quand même pour quelque chose. Il avait mal géré toute cette situation. Ce soir-là, il aurait dû la rattraper. Il n’aurait pas dû laisser les choses en l’état en se disant qu’ils pourraient les arranger plus tard, quand elle ne serait plus en colère. Même avant qu’il apprenne pour la sex-tape, il aurait dû revenir vers elle. Il avait eu mille occasions. Il aurait pu la chercher dans le Poudlard Express, il aurait pu s’excuser, ils auraient pu se réconcilier. Il aurait pu l’appeler. Il aurait dû le faire. Son anniversaire aurait pu, aurait dû être l’excuse parfaite pour la joindre, l’inviter en personne, lui présenter ses excuses. Les choses, le soir de sa fête, auraient pu être tellement différentes... Il aurait pu tout donner pour avoir un Retourneur de temps, revenir sur ses pas et effacer toutes ces erreurs, qui avaient eu des conséquences bien trop graves.

Cette sex-tape ne disparaitrait jamais vraiment. Même si elle finissait par être effacée des tréfonds du web, tant de gens l’avaient vu. Le nom de Sasha y resterait toujours associé par leur génération de Poudlard, malgré les années. Elle ne méritait pas ça, personne ne méritait ça mais Sasha avait travaillé tellement dur, depuis des années, pour se construire un avenir. Elle avait toujours voulu être dans la vie publique, faire de la politique ou maintenant devenir une éminente spécialiste de l’esprit. Être reconnue et admirée. Pas être l’adolescente dont la vidéo avait tourné sur les Pear de tous ses camarades de classe. Clayton avait ruiné tout ça. Pas seulement la vie de Sasha au quotidien à l’école, pas seulement son intimité ou sa tranquillité d’esprit. Il avait entaché son avenir d’une tâche indélébile, qui pourrait peut-être pâlir avec les années mais ne disparaitrait jamais. Et, sans le vouloir, il avait contribué à ça. Sasha ne lui pardonnerait pas. Et lui non plus. Comme à chaque fois qu’il y pensait, une vague de chagrin l’envahît alors qu’il laissait échapper un soupir. Il prit une longue gorgée de son chocolat, laissant le goût sucré dissiper celui amer dans sa bouche. Un silence s’était établi entre Kathrina et lui et il était en train de parcourir les noeuds de la table du regard, plongé dans ses pensées, lorsqu’elle reprit la parole.

Comme toujours, comme à chaque fois, elle tombait juste. Elle semblait lire en lui sans difficulté, posait les bonnes questions, celles qu’il ne voulait pas qu’elle pose. Il prit quelques secondes pour la regarder, ses yeux se promenant sur son visage, comme s’il attendait qu’elle lui annonce qu’elle était en fait légillimens. Il secoua légèrement la tête alors qu’une ébauche de sourire naissait sur ses lèvres. Une carrière d’Auror ou de psychomage s’ouvrait devant elle, si on lui posait la question... Pourtant, au lieu de répondre directement, comme il le faisait toujours, il lui retourna cette fois-ci l’interrogation.

- Qu’est-ce que tu en penses ?  

Au lieu de répondre, Andrew préféra renvoyer sa question à Kathrina, ce qui la déstabilisa un peu. Cherchait-il à gagner du temps ou voulait-il réellement savoir ce qu’elle avait en tête ? A moins qu’il était perdu au point de ne pas savoir répondre et qu’il cherchait à s’appuyer sur un regard extérieur pour trouver sa réponse ? A moins qu’il était simplement mal à l’aise ? Peut-être allait-elle trop loin avec toutes ces questions. En même temps, Andrew n’avait pas coupé court à la conversation, il poursuivait le dialogue en lui posant cette question. A défaut de savoir ce qu’il avait en tête, Kathrina choisit la voie de l’honnêteté, fidèle à sa maison.

« Je ne sais pas trop… Si on résume les faits, vous vous êtes embrassés à la soirée. Je suppose que cette partie-là a du bien se passer puisqu’elle t’a proposé de monter dans ton dortoir. Et là tu as dit non. Il y a plein de raisons possibles » dit-elle avec un haussement d’épaules, avant de commencer à les énumérer : « Ça allait trop vite pour toi. Tu n’avais pas envie de faire ça ce soir-là. Ou tu n’avais pas envie de le faire dans un dortoir. Ou peut-être que tu ne vois pas Sasha comme ça. Peut-être que tu avais besoin de réfléchir d’abord à ce que ce baiser voulait dire pour votre lien. Après tout, c’est l’une de tes plus proches amies, depuis des années, donc ce n’est pas anodin… Ça peut aussi être un mélange de toutes ces raisons. » Pendant son discours, elle resta attentive aux réactions d’Andrew, pour voir si un point le faisait davantage tiquer qu’un autre. « Ou peut-être que c’est totalement autre chose que je n’imagine même pas. Genre… En embrassant Sasha, tu t’es aperçu qu’elle avait une sacrée mauvaise haleine et tu t’es dit pas moyen d’aller plus loin. »

Kathrina avait lancé cette hypothèse pour détendre l’atmosphère plus qu’autre chose car elle sentait que son ami était toujours tendu et mal à l’aise. Evidemment, elle était curieuse de savoir ce qui s’était passé entre Sasha et Andrew, encore plus maintenant qu’elle en savait un peu plus. Mais elle n’oubliait pas son but premier dans cette conversation. Elle voulait aider son ami à se sentir mieux et à arranger la situation difficile dans laquelle il se trouvait. Si le meilleur moyen pour l’aider à le faire était de se contenter de boire une tasse de chocolat chaud en parlant d’autre chose, elle était prête à le faire aussi. Elle n’avait pas envie de le forcer à parler s’il préférait garder toute cette histoire pour lui, aussi elle ajouta, en posant une main amicale sur celle d’Andrew :

« Tu n’es pas obligé de m’en parler si tu n’as pas envie, hein. »

Elle, elle avait désacralisé le sexe depuis un moment alors elle n’avait aucun problème à en parler. Quelques mauvaises langues dans les couloirs la traitaient même de traînée car elle était connue pour coucher à droite et à gauche avec plein de garçons -et d’hommes plus âgés- dans et en dehors de Poudlard. Elle avait appris à n’y accorder aucune importance et à se concentrer sur elle-même, sur ce qu’elle désirait et à mettre de coté les attentes et les opinions des autres. S’il y avait une chose dont elle pouvait être fière, c’était qu’elle ne s’était jamais forcée à faire quoique ce soit. Jusqu’ici, elle avait su poser ses limites. Mais elle savait que ce n’était pas du tout une chose facile. De ce qu’elle entrevoyait, Andrew s’était retrouvé dans cette situation inconfortable où ses propres désirs ne collaient pas avec ceux de sa partenaire en face et il n’avait pas su gérer ce conflit.

« Mais tu sais que j’ai une… certaine expérience dans ce domaine alors tu peux tout me dire, je ne vais pas bondir au plafond. »  

Andrew ne savait pas vraiment pourquoi il avait retourné la question à Kat. Sûrement pour gagner un peu de temps, parce qu’il n’avait pas vraiment envie d’y répondre. Ou plutôt, qu’il n’était pas à l’aise avec la réponse. Il aurait préféré que Kathrina ait raison une nouvelle fois, que ce soit juste une histoire de ne pas vouloir le faire dans son dortoir ou un quelque chose dans ce genre. Cela aurait même pu être une raison plus noble, il aurait effectivement pu s’inquiéter de l’effet de ce baiser et de ce qui aurait pu suivre sur leur amitié. La question avait traversé son esprit alors qu’ils s’embrassaient. Il l’avait repoussée à plus tard, en se disant qu’ils auraient le temps d’en reparler. Finalement, ce n’était pas tant ce baiser qui avait tout gâché : c’était lui tout seul. Il sentait le regard de son amie sur lui alors qu’elle énumérait toutes les possibilités et sa dernière plaisanterie finit par lui tirer un souffle du nez, alors qu’il secouait la tête. Sur celle-là, elle était à côté de la plaque.

Il avait la gorge un peu nouée, les mots ne voulaient pas sortir. Il n’était pas souvent comme cela. Il prenait la parole facilement, même en public, en classe, peu importe. Penser à tout cela brassait trop de choses en lui : ce qui s’était passé avec Sasha, leur dispute, leur amitié sûrement terminée, même s’il refusait encore de l’admettre réellement. Et même avant Sasha, les reproches d’Aby, leurs disputes à ce sujet... Kat sembla percevoir son malaise puisqu’elle tendit la main par dessus la table pour la poser sur la sienne, lui assurant qu’il n’était pas obligé d’en parler s’il n’en n’avait pas envie. Il baissa les yeux quelques secondes sur ce contact avant de relever la tête quand elle reprit la parole, lui rappelant qu’elle en avait vu d’autres dans ce domaine et qu’elle n’allait pas s’offusquer. Effectivement, il savait qu’elle l’avait déjà fait, avec plusieurs personnes d’ailleurs. Il le savait par Baen, avant même de l’avoir su par Kathrina, parce que ce dernier avait explicitement parlé de sa - de leur - première fois, Andrew ne savait pas trop et n’avait jamais demandé. Il y avait aussi les bruits de couloirs et même s’il n’y prêtait pas plus d’attention que cela, il en entendait quand même un peu. Il y avait également le fait que Kathrina l’assumait sans le cacher et sans le renier. Elle fréquentait des gens, elle avait de l’expérience et elle n’en n’avait pas honte.

- Ouais, je sais... finit-il par répondre.

Quelques secondes s’écoulèrent, où il considéra le fait de parler ou de continuer à cacher, d’avouer. Il ne l’avait jamais dit. Même pas à Gowan, qui savait pourtant tellement de choses. Surtout pas à ses copains, qui s’empresseraient de le chambrer. Qui ne le laisseraient jamais oublier qu’il avait menti sur ce plan. Qu’il était en retard, ou bizarre, ou des choses comme cela. Il ne l’avait pas dit à Sasha non plus, parce qu’il avait eu honte. Aby le savait, évidemment, et elle avait gardé le secret, même après leur rupture, il ne savait pas trop pourquoi. Sûrement parce qu’il aurait fallu avouer qu’elle avait menti, elle aussi. Mais Kat... elle ne le jugerait pas, il le savait. Même pas pour avoir menti. Et elle garderait le secret, il le savait aussi. Il avait confiance en elle. Assez pour se donner un coup de pied mental, juste assez pour se lancer dans le vide.

- Moi j’en ai pas, finit-il par lâcher, très rapidement.

Il eut un vague haussement d’épaules, comme pour inconsciemment minimiser ce qu’il venait de dire.

- D’expérience, je veux dire.

Les mots se délièrent dans sa bouche comme si on avait tiré sur le fil d’une pelote de laine.

- Du tout. Je l’ai jamais fait en fait.

Kathrina pensait avoir brossé un large éventail de possibilités. Elle croyait qu’Andrew allait confirmer une ou deux de ses hypothèses. Pourtant, il ne rebondit sur aucune d’entre elles et après un silence, il finit par lui avouer ce qu’elle n’avait pas imaginé du tout. Après l’aveu du baiser de Sasha, ce fut la deuxième claque de la soirée pour Kathrina. Ses yeux s’arrondirent de surprise, jaugeant Andrew quelques secondes.

« Vraiment ? Mais… Aby disait que… »

Elle ne poursuivit pas sa phrase. Aby avait menti de toute évidence et ce n’était pas si difficile de deviner pourquoi. Ils étaient à un âge où le sujet favori et omniprésent de leurs conversations, c’était de poser la question « et toi, tu l’as fait ? ». Un critère déterminant dans la popularité des uns et des autres. Ceux qui l’avaient fait étaient admirés, hissés en héros. Ceux qui ne l’avaient pas fait parce qu’ils n’avaient pas eu d’occasion étaient jugés moins dignes d’intérêt, voire moqués. C’était la course à qui avait expérimenté le fameux mot en s et il valait mieux que ce soit réussi pour s’éviter les bruits de couloir. Ils mentaient tous plus ou moins à ce sujet. Ils disaient que c’était super alors que c’était difficilement super quand on le faisait dans un placard à balais. Beaucoup mieux que de réussir ses BUSES et ses ASPICS, il fallait réussir ce grand rite de passage à l’âge adulte pour s’attirer l’admiration de tous. Alors pour quelqu’un d’aussi avide d’attention qu’Abigail, cela avait du être insupportable d’avouer que rien ne s’était passé avec le beau Andrew Dubois qui s’attirait toutes les convoitises, alors qu’ils avaient été en couple pendant deux ans. Kathrina savait très bien comment ça se passait dans ces cas-là, elle en avait vu plusieurs en faire les frais. C’était toujours la faute de la fille, elle n’était pas assez bonne, pas assez baisable pour réussir à faire bander son mec.

Kathrina ne savait pas ce qui s’était passé entre Andrew et Aby pour qu’ils n’aient pas franchi le pas. Peut-être qu’ils étaient d’accord tous les deux. Peut-être que l’un d’entre eux voulait mais pas l’autre. Quoiqu’il en soit, Andrew n’avait pas eu d’expérience sexuelle alors qu’il avait toujours affirmé le contraire. L’avait-il ? songea-telle. Elle se rappela à nouveau qu’il ne s’était jamais vanté de ses conquêtes sexuelles. Qu’il était toujours resté évasif à ce sujet, finalement. Tout prit un nouveau sens dans son esprit. Ce qu’elle avait pris pour de la pudeur chez lui prit une autre interprétation et expliqua la honte et le malaise qu’il avait laissé voir tout à l’heure. Être encore vierge était de toute évidence quelque chose dont il n’était pas très fier, vu les détours pas lesquels il était passé dans leur conversation pour ne pas avoir à le dire, avant de finalement l’avouer.

Leur discussion prit une tournure encore plus délicate, maintenant que Kathrina avait toutes les cartes en main pour comprendre ce qui s’était passé. Elle s’efforça de ravaler sa surprise pour ne pas mettre mal à l’aise Andrew. Elle n’avait pas envie de le faire se sentir en décalage, comme si c’était absolument incroyable qu’il n’ait jamais couché avec personne alors qu’au fond, il n’avait même pas encore dix-sept ans.

« Je vois… C’est pour ça que ça a coincé avec Sasha ? Tu n’avais pas envie de faire ta première fois comme ça ? » Une autre question lui vint, peut-être plus importante encore et préliminaire au reste. « Est-ce que… Est-ce que c’est quelque chose que tu as envie de faire ? Coucher avec une fille de manière générale, je veux dire, sans parler de Sasha. »

A tout moment, Andrew lui avouait que sa relation avec Aby lui avait fait découvrir qu’il était gay. Elle ne savait pas, maintenant elle s’attendait à tout.

La surprise évidente de Kathrina à sa révélation ne fit que renforcer le malaise grandissant d’Andrew. Honteux, il se tassa dans sa chaise. C’était pour ça qu’il n’osait pas en parler, surtout qu’il savait que les réactions de ses copains seraient mille fois pires. Elle mentionna le nom d’Aby et il ne sut pas quoi répondre, se contentant de secouer la tête. Il avait chaud et ce n’était sûrement pas dû à la température des cuisines, où un elfe venait de mettre au four d’énormes plats en céramique blanche. Il était persuadé d’avoir rougi. Il ne pouvait pas blâmer Aby pour quoi que ce soit, après tout, il n’avait jamais rien fait pour rétablir la vérité de son côté. Au contraire, il avait entretenu une sorte de flou artistique sur la question en ne démentant jamais ses amis lorsqu’ils partaient du principe qu’il l’avait déjà fait. Ce n’était pas vraiment du mensonge, essayait-il de se convaincre, puisqu’il n’avait jamais affirmé textuellement que lui et Aby avaient couché ensemble. Il se contentait de ne pas dire qu’ils ne l’avaient pas fait. C’était différent.

La réaction de son amie le confortait dans l’idée qu’il avait pris la bonne décision tout ce temps-là – et Abigail aussi – puisqu’elle semblait abasourdie. Andrew aurait voulu se défendre et dire qu’à seize ans (depuis juillet !) ce n’était peut-être pas si grave de ne pas l’avoir fait, qu’il y avait sûrement d’autres sixième année dans le même cas. Mais au fond de lui, il savait que ce n’était que des excuses. Tout le monde autour de lui semblait avoir sauté le pas sans la moindre anxiété. Baen, au début de la cinquième année. Gowan, en cinquième année aussi ! Imogen et Adam, l’année dernière. Kathrina, depuis un moment déjà. Le nom de Sasha lui passa à l’esprit mais il l’évacua bien vite. Et ceux qui ne l’avaient pas fait, comme Adarsh, sauteraient sur l’occasion s’ils le pouvaient. Lui, il avait eu de multiples occasions avec Aby. Elle avait envie qu’ils le fassent, qu’ils aient leur première fois ensemble. Et il s’était toujours dégonflé.

Comme avec Sasha. Et comme à son habitude, Kat posa immédiatement les questions qui fâchaient. Andrew s’enfonça un peu plus profondément sur son siège, le visage rouge comme le blason de Gryffondor. Quand elle lui demanda si c’était quelque chose qu’il avait envie de faire de façon générale, il eut un vague mouvement des mains alors qu’il haussait les épaules, en espérant vaguement que le chaudron de soupe qui cuisait pas loin explose, afin de lui donner une échappatoire.

- Oui, enfin, oui mais, enfin, genre, théoriquement, oui, et puis après il y a le... Enfin, tu vois, non parce que... C’est... Après dans les faits, c’est plus... enfin.

Il balbutia encore quelques mots avant de s’interrompre, laissant échapper un soupir.

- Oui, théoriquement. Mais c’est juste que... Ça s’est jamais fait, voilà. Parce que... enfin. Voilà.

A la question de Kathrina, les joues d’Andrew se colorèrent d’un rouge aussi vif qu’un Rappeltout. La jeune fille le vit s’embourber dans une réponse qui n’avait ni queue ni tête et dont elle ne put rien tirer. Perplexe, Kathrina le regarda dans l’attente de précisions supplémentaires qui ne vinrent pas. Théoriquement oui, Andrew avait bien envie de coucher avec une fille. Mais dans les faits… non, visiblement ? Qu’était-elle sensée comprendre de cette explication ?

A cet instant, une hypothèse émergea au-dessus des autres, tel un jet de lumière qui venait clarifier toutes les zones d’ombre de cette histoire. Kathrina se sentit telle une enquêtrice de talent venant de résoudre un mystère insolvable mais elle ne fit pas tout de suite part à Andrew de ses conclusions. Il semblait tellement embarrassé, il fallait la jouer fine pour ne pas le gêner davantage. Kathrina prit donc un ton précautionneux :

« Alors… Désolée si je te pose une question trop indiscrète, tu n’es pas du tout obligé de me répondre si tu n’as pas envie mais… Quand même, sache que tu peux tout me dire et que ça ne changera rien du tout entre nous si tu me confirmes ça. » Elle ne lâchait pas son ami du regard, dans la quête du moindre signe chez lui qu’elle allait trop loin. Elle finit par oser faire sa demande : « Est-ce que tu es gay, Andrew ? »

C’était l’explication qui lui paraissait la plus logique et plausible, à ce stade de la conversation. Andrew venait de lui avouer qu’il n’avait jamais couché avec aucune fille, malgré toutes les occasions qu’il avait pu avoir. Il venait d’admettre que c’était un acte qu’il voulait bien faire en théorie, mais il se montrait beaucoup plus réticent dans la pratique. Si ce n’était pas la preuve d’un grand questionnement sur son orientation sexuelle, Kathrina ne voyait pas ce que cela pouvait être d’autre.

Le ton de Kathrina, encore plus précautionneux qu’auparavant, intrigua Andrew. Il se sentait toujours aussi à l’aise qu’un crabe de feu en milieu aquatique et ils parlaient déjà de sujets très indiscrets, comme son amie le disait pudiquement, alors que pouvait-elle vouloir savoir d’encore plus intime ? Elle ressentit même le besoin de lui dire que cela ne changerait rien entre eux s’il lui « confirmait ça. » Fronçant ses sourcils épais, il la regarda avec un peu de méfiance, attendant qu’elle dise ce qu’elle avait sur le coeur.

Lorsqu’elle lui demanda s’il était gay, ses yeux s’écarquillèrent de surprise et sa tête eut un mouvement de recul, trahissant son étonnement. Mais quelle drôle de question ? Il ne l’avait pas vue venir, celle-ci. Bien sûr que non, il n’était pas gay. Alors certes il ne s’était jamais posé la question en détail mais parce que la réponse lui semblait évidente. Il était toujours sorti avec des filles. Il avait toujours regardé les filles, à vrai dire, à partir du moment où il avait commencé à les regarder. Abigail, la première. Kathrina, ensuite. D’autres, même s’il n’était pas sorti avec. Et même s’il n’avait jamais couché avec Aby, il s’était passé des choses entre eux quand même. Et il avait toujours beaucoup apprécié ce qui se passait entre eux. Vraiment beaucoup. Alors certes, il avait beaucoup d’admiration pour certains joueurs de Quidditch mais il était à peu près persuadé qu’admirer leur technique et leurs capacités de vol ne relevait pas de l’homosexualité... (même s’il les admirait vraiment beaucoup.) En plus, il était certes dans une position un peu compliquée quand il s’agissait de coucher avec des filles mais cela ne lui était jamais passé par la tête d’aller essayer de coucher avec des garçons en contrepartie. À vrai dire, rien que l’idée lui semblait étrange, ou en tout cas, bien étrangère à lui.

- Mais pas du tout, répondit-il donc à Kathrina, secouant la tête.

Elle était pourtant assez bien placée pour le savoir.

- On est sorti ensemble, tu t’en souviens ? ajouta-t-il, en plaisantant à moitié.

Il la voyait déjà répondre qu’ils étaient jeunes à l’époque et que ça ne voulait rien dire, aussi en rajouta-t-il une couche.

- Je ne suis pas gay, Kat... finalement, se permit-il de dire avec un léger sourire, tu n’es pas si perspicace que ça, je suis un peu déçu.

Alors certes, il n’avait pas couché avec Abigail. Ou Sasha. Mais il savait très bien que le problème ne résidait pas là, ce n’était pas qu’il n’avait pas envie de le faire. Comme il l’avait dit un peu plus tôt, il en avait envie, dans sa tête. C’était le fait de sauter le pas qui le bloquait un peu.

- C’est avec des filles que j’ai envie de le faire, c’est juste que... Il chercha la meilleure formulation quelques secondes avant de laisser tomber. C’est un peu flippant ? Pas que je flippe, hein ! s’empressa-t-il d’ajouter pour sauver son honneur de Gryffondor. Je ne flippe pas. Mais c’est un peu flippant.

Kathrina sentit qu’elle n’avait pas pris la bonne piste en voyant le mouvement de recul que fit Andrew et la mine clairement incrédule que prit son visage. Elle en fut presque déçue, parce qu’il y avait une certaine logique dans son raisonnement qui aurait pu tout expliquer, mais Andrew le démentit sans hésiter.

« Oh, ça ne veut pas forcément dire quoi que ce soit, ça » dit-elle quand il souligna qu’ils étaient sortis ensemble. Ils étaient si jeunes à l’époque qu’on ne pouvait pas dire que cela indiquait quoi que ce soit sur son orientation sexuelle. Elle haussa les épaules quand il ajouta qu’elle n’était pas si perspicace, en défendant son hypothèse : « Quoi ! Tu aurais pu sortir avec des filles et finalement te rendre compte qu’elles ne t’attiraient pas plus que ça… Plein de gens se rendent compte qu’ils sont gay comme ça ! »

Bon, elle n’avait pas plein de témoignages à mettre sur la table -en dehors des histoires qu’elle pouvait lire ou des bruits de couloir qu’elle pouvait entendre - mais elle était certaine que son raisonnement pouvait se tenir. En tout cas, son erreur semblait avoir suffisamment déridé et détendu Andrew pour qu’il accepte enfin de lui en dire un peu plus. Et la simplicité de sa réponse fut presque désarçonnante.

Il avait peur. Tout simplement. Il avait peur de coucher pour la première fois avec une fille. Comment n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? se demanda t-elle, les yeux rivés sur lui. La réponse à cette question, elle, lui vint assez facilement. C’était les filles qui avaient peur. Tellement de peurs. Peur d’avoir mal, peur que leurs parents sachent, peur que le garçon ne soit pas le bon, peur de ne pas aimer, peur de mal faire, peur de déplaire. Mais Andrew était un garçon, lui. Les garçons n’avaient pas peur de coucher pour la première fois. Au contraire, ils n’attendaient que ça, ils en parlaient avec des rires gras et des blagues plutôt moyennes, et quand ils se trouvaient devant une occasion d’enfin déboutonner leur pantalon, ils ne la manquaient jamais. Ensuite, ils en tiraient une grande fierté, alors qu’ils ne s’illustraient généralement pas du tout -même si ensuite, certains s’amélioraient un peu. Kathrina le savait, elle avait dépucelé plusieurs garçons dans cette école, ce qui avait participé à lui coller cette réputation de fille facile. En vérité, elle songeait parfois avec un certain amusement -un peu méprisant- qu’elle n’était pas plus facile que ces jeunes garçons à peine pubères qui sautaient sur la première fille qui voulait bien leur toucher la nouille. Et d’ailleurs, ils étaient encore plus facile à faire jouir. Deux minutes trente de travail tout au plus.

Andrew, lui, ne semblait pas se ranger dans cette catégorie où Kathrina rangeait les garçons de leur génération, comme un grand tas dans lequel elle aimait piocher de temps en temps quand elle s’ennuyait. Andrew avait peur, même s’il ne le disait pas vraiment. Il avait peur en se défendant d’avoir peur, comme le garçon et le Gryffondor qu’il incarnait.

Intéressant.

Puisqu’elle tenait devant elle un spécimen de garçon un peu différent des autres, à l’envie d’aider son ami s’ajouta une certaine curiosité chez Kathrina qui la poussa à demander :

« Et qu’est-ce que tu trouves flippant là-dedans ? »

- Aby et moi sommes restés quasiment deux ans ensemble quand même ! protesta Andrew quand Kat lui expliqua qu’il aurait pu sortir avec des filles et réaliser qu’elles ne l’attiraient pas. Je sais que je peux être long à la détente mais tout de même... glissa-t-il avec un sourire.

Mais il voyait sa moue un peu dépitée : elle était vexée de ne pas avoir eu raison sur ce point et cela l’amusa.

- Tu as presque l’air déçu !

Elle aurait été sûrement très fière d’être la première à deviner ça chez lui (même avant lui, c’est dire). Andrew songea quand même que s’il avait été effectivement gay, et qu’Aby l’avait appris, il aurait eu le droit à une scène magistrale sur le fait qu’il lui avait menti pendant tout le temps de leur relation (ce qui n’était absolument pas le cas.) S’ils n’avaient jamais vraiment couché ensemble, cela n’avait rien à voir avec son attirance pour elle. Il la trouvait très jolie, très belle, il aimait l’embrasser, ils s’embrassaient toujours beaucoup quand ils étaient ensemble et il aimait beaucoup leurs moments tous les deux. Sauf que, comme il venait de le révéler à Kat... Le reste était un peu flippant. Quand elle lui demanda plus de détails, il haussa légèrement les épaules.

- C’est le... Il soupira. C’est un peu impressionnant, tu sais ? Et je suis censé savoir comment faire... Ses yeux croisèrent ceux de Kat et il s’interrompit, réalisant que ses paroles pouvaient donner lieu à interprétation. Je sais comment faire, corrigea-t-il avec un sourire en coin. Mais tu sais, en tant que mec tu es censé prendre les choses en main, et guider le truc, et savoir exactement ce que tu dois faire, justement parce que c’est pas à toi d’être flippé. Toi t’es censé être à l’aise. Et ni Aby ni moi ne l’avions fait hein, mais justement, c’était à moi de... de savoir, un peu.

Elle ne lui avait jamais dit ça mais Andrew le savait, c’était évidemment, c’était comme ça.

- Et tu imagines tu te rates ? Enfin, je me rate ? Tu traumatises ta copine comme ça ? Va rattraper ça derrière.

« Oh tu sais, y a des gens qui passent toute une vie à se penser hétéro… Les gays refoulés, ça te dit un truc ? » répliqua Kathrina, avec un sourire en coin. Sur la boutade d’Andrew, elle admit en hochant la tête : « Déçue, c’est un grand mot. C’est juste que j’aime bien avoir raison » dit-elle en haussant les épaules, avant d’ajouter en levant les mains en signe d’innocence : « Mais je te crois hein ! »

Andrew ne savait pas très bien mentir, or il avait nié sans hésiter, sans montrer le moindre trouble face à sa question. Si son hétérosexualité ne semblait pas faire de doute pour lui, la manière de l’explorer semblait déjà plus compliquée. Maintenant qu’il avait admis le plus difficile, Kathrina eut le plaisir de cesser de lui tirer les vers du nez et de l’entendre expliquer davantage ce qui le tracassait. Elle écouta avec un réel intérêt, pas seulement par amitié pour Andrew et envie de le soutenir, mais également parce qu’elle n’avait jamais entendu de garçon exprimer de doutes ou de réticence sur le sujet de la sexualité. Ils semblaient tellement tous vouloir franchir le pas le plus vite possible -généralement pour pouvoir s’en vanter entre eux derrière- que le point de vue d’Andrew la surprit. Elle comprit à travers son discours que les garçons pouvaient aussi avoir leur lot de craintes, à cause de ce qu’on attendait d’eux. Elle décela dans ses mots une forme de pression, qu’il ne désigna pas comme tel, mais qui pesait de manière évidente sur ses épaules. Elle vit chez lui une envie de bien faire, si grande qu’elle en devenait paralysante, visiblement.

Un peu désarçonnée par son approche des choses, Kathrina resta silencieuse quelques secondes puis émit un petit rire, un peu incrédule.

« Hum… Je ne sais pas trop quoi dire, tu es le premier mec que j’entends dire ça » admit-elle avec un sourire étonné. « Généralement, vous êtes plus… Comment dire… Moins précautionneux. » Si les garçons de cette école qu’elle avait dépucelés avaient eu ne serait-ce que la moitié de la délicatesse d’Andrew, peut-être qu’elle aurait passé un meilleur moment avec eux, plus amusant et moins expéditif, songea t-elle. Cette pensée la fit ajouter : « Mais c’est bien hein ! C’est super bien que tu t’en préoccupes autant. C’est que tu veux bien faire, c’est important. »

C’était tout à l’honneur d’Andrew, elle ne pouvait que le saluer. Se rappelant qu’elle avait initié cette conversation pour l’aider à surpasser ses blocages, Kathrina prit un petit temps de réflexion, le temps d’ordonner ses pensées, avant d’en faire part à son ami.

« Mais, tu sais… Bon, ça n’engage que moi, mais je pense qu’on sacralise aussi vachement ces choses-là. La première fois, tout ça. Surtout celle d’une fille. Il faut que ça soit avec le bon garçon, celui dont elle est amoureuse, il faut qu’elle y réfléchisse bien avant. Et le garçon, lui, il doit savoir comment faire, comme tu dis, diriger les choses, être doux, bla bla bla… » Elle agita les mains en l’air, comme pour mieux chasser les volutes de contes de fées dont on les bassinait depuis la naissance. « Ça s’est pas passé comme ça pour moi, c’était loin d’être la première fois idéale des contes de fées et j’en suis pas morte. À vrai dire, ça ne m’a pas du tout empêché d’aimer ça et de recommencer ensuite. Je n’ai pas du tout été traumatisée, tu vois » conclut-elle, pour reprendre les mots d’Andrew. « C’est juste qu’on fait tout un plat de la première fois alors que souvent, c’est pas incroyable et c’est pas si grave. Ça devient mieux plus tard, avec de l’entraînement. » Ce terme fit naître une idée de métaphore dans l’esprit de Kathrina et elle la partagea en songeant que cela parlerait peut-être mieux à Andrew de cette manière : « En vrai, tu pourrais prendre ça comme le Quidditch ! La première fois qu’on tombe sur un balai, bon bah c’est pas glorieux, on tombe, on cherche son équilibre, c’est pas facile. Plus tu t’entraînes et plus tu t’améliores, jusqu’à gérer le truc. Le sexe c’est pareil » dit-elle en haussant les épaules. « Ça fait sens ce que je dis ? »

Andrew secoua la tête avec un sourire lorsque Kathrina lui demanda s’il avait déjà entendu parler des gays refoulés. Il est vrai que Poudlard n’était pas toujours un endroit très tolérant des différences. C’était sûrement mieux maintenant qu’avant mais les gens pouvaient être vraiment horribles. David en avait fait les frais quand il avait fait son coming-out en fin de quatrième année : plein de gens murmuraient sur lui dans les couloirs, certains osaient même l’insulter directement. Les choses s’étaient calmées depuis - en tout cas il en avait l’impression - mais cela avait été une période difficile. De toute façon, comme le disait son ami, statistiquement, il y avait des dizaines de personnes qui n’étaient pas hétérosexuelles à Poudlard. C’est juste que très peu l’assumaient au sein de l’école (et David était donc célibataire, à son plus grand dépit.)

- Et bien écoute Kat, si je me découvre soudainement gay à quarante ans, je te promets que tu seras la première au courant, répliqua-t-il en souriant.

C’était à son sens très peu probable, puisqu’il se savait très attiré par les filles. Il n’avait pas de doute là-dessus, il avait des dizaines d’exemples en tête pour le prouver, des moments avec Aby aux longs instants à contempler le sourire de Sasha, ou bien la manière dont Kat défaisait toujours du bout de ses doigts fins sa cravate et les premiers boutons de sa chemise lorsque leur journée de cours se terminait. C’était juste la concrétisation de tout ça qui était complexe, comme il l’expliqua justement à son amie, du mieux qu’il le pouvait. Aussi fut-il un peu vexé de l’entendre rire un peu, ses sourcils se fronçant alors que sa contrariété se lisait sur son visage. Il lui révélait des choses très personnelles, des choses qu’il n’avait jamais dites à personne. 

- Pas la peine de te moquer, marmonna-t-il.

Elle lui expliqua bien vite qu’il était le premier garçon à lui dire des choses comme ça et il haussa légèrement les épaules. Oui, il avait compris, il était bizarre et les autres se débrouillaient très bien. C’était justement pour ça qu’il en avait si honte et qu’il n’en n’avait jamais parlé à personne. Kat eut la gentillesse d’appeler ça de la précaution, avant de dire que c’était bien, que c’était le signe qu’il voulait bien faire. Evidemment qu’il voulait bien faire, c’était important quand même, il avait envie que ça se passe bien, pour sa copine et lui. Sauf qu’en attendant, comme il n’était pas certain de ce que « bien faire »  signifiait, il était bloqué dans le « ne rien faire. »

Ils s’absorbèrent dans le silence quelques secondes, Andrew contemplant le fond de sa tasse avec un sentiment de malaise accru. La réaction de Kat lui avait donné l’impression d’être encore plus bizarre, même si elle avait essayé de se rattraper aux branches en disant que c’était bien. Un peu nerveusement, son pied droit battait la mesure sous la table. Quand elle reprit la parole, il releva les yeux vers elle, soudain un peu anxieux. Selon elle, on sacralisait un peu trop la première fois et c’est vrai qu’on disait que c’était important. Il en avait parlé avec Aby et ils étaient d’accord tous les deux, c’était important, ils voulaient faire ça bien quand ça arriverait. Pas à Poudlard, dans un placard à balais ou dans une salle de classe abandonnée. C’était un moment important, dont on se souvenait toute la vie, c’était ce que tout le monde disait... Et effectivement, on disait que c’était encore plus important pour une fille. Il ressentit un élan de culpabilité lorsque Kat lança qu’une fille était censée le faire avec le garçon dont elle était amoureuse, songeant que Aby et lui ne l’avaient jamais fait alors qu’ils l’étaient, amoureux.

Brièvement, lorsque son amie mentionna que sa première fois n’était pas idéale et n’avait rien à voir avec les récits idéaux qu’on en faisait, il se demanda comment ça s’était passé et avec qui. Baen ? Il n’en n’était pas certain. Mais il n’osa pas la relancer sur la question, c’était peut-être trop intime pour elle, même si elle n’en n’avait pas été traumatisée.

- Oui, enfin, l’interrompit-il, je n’aimerais pas que le bilan de ma copine après notre première fois soit « ça va, il ne m’a pas traumatisée » !

C’était déjà bien, certes, mais quand même... Quand elle lança que c’était comme le Quidditch, il haussa les sourcils. Il aurait bien aimé que ce soit comme ça, parce que ça aurait été facile... La métaphore qu’elle fit lui tira un léger sourire.

- Ça fait sens. Sauf que tomber de ton balai au Quidditch n’implique que toi, pas quelqu’un à qui tu tiens que tu déçois ! En plus, contrairement au Quidditch, il n’y a pas de coach dans le sexe ou de camp d’entraînement ou de matches...

Il s’interrompit alors qu’une blague vaseuse passait dans son esprit.

- Alors certes, tu peux regarder des rencontres dans les deux cas, mais ce sont des professionnels à chaque fois, c’est différent, ricana-t-il.

« Je ne me moque pas ! » assura Kathrina.

Et elle essaya de le lui prouver par la suite de son discours, qui parut laisser Andrew pensif et sceptique à la fois. Il maintint sa position première et même s’il comprit sa comparaison avec le Quidditch, il en tira plutôt une conclusion dans un humour gras qui eut son effet sur Kathrina. Elle eut un grand éclat de rire et secoua légèrement la tête.

« Alors, règle numéro un, ne pas croire ce qu’on voit dans le porno, c’est en effet très différent de la réalité. »

A nouveau, elle prit un bref instant pour réfléchir à ce qu’elle allait dire. Elle se pencha par-dessus la table et leurs tasses de chocolat désormais froids, pour poser sa main sur l’un des poignets de son ami.

« Ecoute, je te promets que je ne moque pas de toi. Si les mecs se posaient le quart des questions que tu te poses, probablement que nos premières fois seraient un peu plus sympas et mémorables » dit-elle avec un léger sourire en coin. « Donc c’est tout à ton honneur que tu ne veuilles pas y aller tête baissée et faire n’importe quoi. Cependant, je reprends ma métaphore sur le Quidditch. Peut-être que tu as juste besoin de t’entraîner un peu pour prendre de l’assurance et résoudre tous tes questionnements. Tu disais tout à l’heure que le garçon était sensé savoir quoi faire et diriger le truc mais… Qui a décrété ça ? En vrai, on fait bien ce qu’on veut. Il n’y a pas la police du sexe qui va débarquer en plein milieu de l’acte pour dire « monsieur, mettez-vous dessus et imposez le rythme, ou on vous colle une amende ! », plaisanta t-elle avec un petit rire pour cette image absurde. Alors, hum… Peut-être que ça te bloquerait moins si tu faisais ta première fois avec une fille qui a déjà de l’expérience et qui pourrait plus te guider. »

Elle aurait pu s’arrêter sur cette conclusion mais alors qu’elle parlait, la suite logique de ses propres mots lui apparut soudainement. Car elle voyait déjà Andrew lui répondre « admettons, mais qui ? » et une réponse évidente lui sauta aux yeux. Elle hésita toutefois à partager le bout de ses pensées avec Andrew. Est-ce que c’était bizarre de proposer à son ami de coucher avec elle ? Et si c’était trop ? Et si cela le mettait mal à l’aise ? Avant de trop réfléchir à comment Andrew pourrait le prendre, elle prit le temps de sonder ce que sa propre idée générait chez elle. Elle avait toujours trouvé Andrew très beau garçon et d’ailleurs, ils étaient brièvement sortis ensemble quand ils étaient encore en troisième année. Une petite histoire sans grandes conséquences, à cette époque, Kathrina n’était pas encore la jeune femme sans tabou qu’elle était devenue, elle était encore une enfant et d’ailleurs, tout ce qui touchait au sexe lui paraissait nébuleux et bizarre. Un truc d’adulte, en somme. Avec Andrew, ils n’avaient donc rien fait de plus que se tenir la main et se bécoter gentiment et maladroitement, jusqu’à ce qu’ils finissent par se rendre compte qu’ils ne nourrissaient pas de sentiments amoureux. Depuis, leur relation s’était développée sur un plan amical, elle pouvait dire sans hésiter qu’Andrew était devenu l’un de ses plus proches amis.

Est-ce qu’elle avait envie de changer cela ?

Elle n’avait pas forcément de scrupule à coucher avec un ami -parfois, elle le faisait avec Baen, par exemple- mais elle considérait que la question méritait toujours d’être posée. La relation se teintait forcément de quelque chose d’un peu différent et on ne pouvait jamais prédire à l’avance si cela allait porter préjudice à l’amitié originelle entre les deux amants. Le regard pensif de Kathrina se promena sur le visage de son ami, sur ses épaules, son buste, et à nouveau, elle se rappela ce point : elle avait toujours trouvé Andrew beau garçon. Un des plus beaux de leur promotion, probablement. Ce n’était pas parce qu’ils étaient amis qu’elle ne le voyait pas, elle ne pouvait pas nier qu’elle avait déjà laissé traîner son regard sur lui, elle l’avait déjà vu torse nu dans la piscine des Dubois pendant son anniversaire par exemple, lui, ses bras musclés par le Quidditch, ses épaules larges de batteur, ses grands sourires… Vraiment, il n’y avait rien de déplaisant dans l’idée de promener ses mains et ses lèvres sur tout ça.

Alors que cette idée plutôt agréable faisait du chemin dans son esprit, Kathrina finit par trouver le courage de l’exprimer. Après avoir jeté un bref regard autour d’elle, pour s’assurer que les oreilles des elfes affairés n’étaient pas proches, elle ajouta, sur un ton plus bas :

« Comme… moi, par exemple. » Son regard était rivé sur le visage d’Andrew, à la recherche du moindre signe de malaise sur son visage. Kathrina se sentait un peu nerveuse et un peu excitée à la fois, comme face à un moment qui pouvait mal tourner comme lui réserver une belle surprise. Elle s’efforça de rendre son discours le plus naturel possible en lui souriant et en haussant les épaules. « Si tu veux. On pourrait… Je ne sais pas. Tenter l’expérience et je pourrais te montrer deux ou trois trucs ? Si ça t’intimide de faire ta première fois avec une fille dont tu es amoureux alors… Peut-être que ça le sera moins avec moi. On est juste amis et moi, je n’ai pas d’attente particulière donc… Pas de pression pour toi. »

Andrew sourit d’autant plus en constatant que sa petite blague avait fait rire Kathrina. Ce n’était pas très fin mais elle lui avait tendu la perche avec son analogie avec le Quidditch. Lorsqu’elle rebondit sur sa petite vanne, il secoua la tête.

- N’en dis pas plus, tu réveilles d’abominables souvenirs de la discussion avec ma mère.

Sarah avait vraiment voulu être exhaustive dans son discours et avait prononcé des mots qu’Andrew n’aurait jamais souhaité entendre de sa part (voire même, si on lui demandait, qu’aucun enfant ne devrait entendre de la part des parents.) Est-ce qu’il en faisait trop ? Oui, clairement. Mais il avait le droit, comme n’importe quel garçon de quatorze ans dont la mère souhaitait lui parler de pornographie, sexualité et contraception. Son père en avait remis une couche en plus, le week-end d’après, et cela avait été presque pire. Tout ça parce qu’il leur avait dit qu’il sortait avec Abigail. En plus, ils pouvaient bien parler tous les deux, en attendant ce n’était pas lui qui avait eu un bébé accidentel à la sortie de Poudlard...

Laissant ses parents où ils étaient, Andrew baissa les yeux sur la main que Kat venait de poser sur son poignet, comme pour le réconforter. Elle lui promit qu’elle ne se moquait pas de lui, ce qui le rassura un petit peu. Elle alla même jusqu’à dire que si les autres mecs se posaient autant de questions que lui, les premières fois se passeraient mieux, ce qui lui fit secouer la tête.

- Ah bah ça serait plus simple, puisqu’ils ne coucheraient pas, du coup, plaisanta-t-il avec un léger sourire.

Son amie tenait en tout cas à sa métaphore sportive puisqu’elle reprit en disant qu’il devait juste s’entraîner pour prendre de l’assurance... ce qui ne répondait pas à sa problématique puisque cela signifiait qu’il fallait toujours passer la première fois. Il voulait bien croire que le sexe, ça s’apprenait en soi et puis aussi que les deux personnes impliquées se découvraient peu à peu, ça ne se faisait pas en une seule fois mais... Mais il fallait quand même sauter le pas.

Quand elle mentionna « la police du sexe », l’image lui tira un léger rire qui secoua ses épaules. Effectivement, chacun faisait ce qu’il voulait mais... Il ne savait pas. Il avait l’impression qu’il y avait cette attente. Que Aby avait cette attente de lui. Que sinon, il allait la décevoir. Il n’avait jamais voulu ça. Et puis, quand il y réfléchissait bien... Il avait toujours eu un peu peur des conséquences de cette déception. Est-ce qu’elle lui rebalançerait à la figure lors d’une dispute ? Ou bien est-ce qu’elle en parlerait avec ses copines pour avoir un bon sujet d’amusement pour la soirée ? Il savait bien qu’elle avait tendance à disséquer tout ce qui pouvait se passer entre eux assez publiquement, avec ses copines. Il le savait parce que Rachel le lui avait déjà rapporté une fois ou deux, ces discussions le soir dans le dortoir. Dans un sens, il avait toujours eu peur que leur première fois subisse le même traitement, que ce moment intime soit exposé à la vue de tout le monde, que chacun y aille de son petit commentaire. Il avait manqué de confiance en elle, tout simplement. A tort ou à raison, il ne le saurait jamais maintenant, mais c’était le cas, il le réalisait. Il n’avait pas eu assez confiance en Aby, malgré leurs sentiments, malgré leur longue histoire, pour franchir le pas avec elle.

Alors quand Kat lança que cela le bloquerait peut-être moins de faire ça avec quelqu'un qui l’avait déjà fait, il ne réagit pas de tout de suite. Oui, peut-être que ça aiderait. Qu’il ne se poserait pas la question de faire rater sa première fois à une fille. Qu’il aurait moins la pression de guider la chose, de savoir quoi faire après. Mais dans un sens... Est-ce qu’il n’aurait pas plus peur d’être incompétent ? Avec une partenaire qui était tout aussi débutante que lui, la question se posait moins puisqu’elle n’en saurait pas franchement plus que lui. Mais avec quelqu’un qui s’y connaissait ? Toutes ses erreurs et maladresses se verraient beaucoup plus vite. Et si elle le trouvait ridicule ? Il réalisa qu’il en revenait à l’impression qu’elle allait se foutre de lui. C’était un peu là, le coeur du sujet. Expérimentée ou pas, c’était le faire avec quelqu’un en qui il avait profondément confiance pour partager cette intimité là. C’était retrouver quelqu’un avec qui il se sentait vraiment bien. Mais qui ? Il ne sortait avec personne en ce moment et n’avait personne en vue. En plus, maintenant que tout le monde pensait qu’il l’avait fait, cela passerait d’abord par admettre à sa partenaire qu’il avait menti... Sauf si elle le savait déjà.

Quand Kathrina lança, d’une voix plus basse alors qu’elle s’était rapprochée de lui, que cela pouvait être elle, il écarquilla les yeux de surprise. Elle venait vraiment de lui proposer de... coucher avec lui ? Comme ça ? Elle leur ouvrait vraiment cette possibilité là ? Elle lui adressa un sourire alors qu’il était trop pris de court pour répondre. Ils pourraient tenter l’expérience, disait-elle. Elle pourrait lui montrer des choses. Sans pression, sans attente, parce qu’ils étaient amis. Mais justement, ils étaient amis. Et les amis ne couchaient pas entre eux, non ? Enfin. Il n’avait jamais envisagé de le faire avec une de ses amies. À vrai dire, la seule personne avec qui il avait envisagé de le faire, c’était Abigail. Il n’avait jamais songé à le faire avec Kat... et pourtant, elle le lui proposait.

- Je... Il avait balbutié. Il avait senti le rouge s’emparer de ses joues une nouvelle fois. Enfin, c’est... On... Il eut un sourire un peu nerveux. Tu veux que... qu’on couche ensemble ?

Elle était tout à fait sérieuse, il le voyait dans le regard qu’elle posait sur lui. Coucher avec Kat ? Il ne pouvait pas dire qu’il était complètement indifférent à cette idée vu le torrent de sentiments variés que cela déclenchait en lui. Il n’y avait jamais pensé. Il ne l’avait jamais envisagé. Pourtant, elle était très belle, il l’avait toujours pensé. Elle avait ce sourire qui illuminait tout son visage lorsqu’elle était heureuse, de grands yeux bleus avec de longs cils, un bleu qui virait au gris lorsque les nuages dominaient dans le ciel, il l’avait remarqué quand ils sortaient ensemble. Ils étaient très jeunes quand c’était arrivé, ce n’était plus le cas maintenant, ils avaient grandi, Kathrina avait grandi et évidemment qu’il l’avait vu. Et il ne s’était jamais vraiment autorisé à le faire, parce qu’il avait longtemps été avec Abigail et puis parce qu’ils étaient amis et qu’on ne regardait pas ses amis comme ça. Mais il l’avait vu, quand elle marchait dans les couloirs de Poudlard, lorsqu’elle portait ses fines robe d’été quand le beau temps revenait. Quand ils se baignaient dans le lac quand les beaux jours revenaient, à son anniversaire, quand ils s’étaient jetés dans la piscine. Il ne pouvait pas dire qu’il ne l’avait pas remarqué et il ne pouvait pas dire qu’il ne la trouvait pas encore plus belle qu’avant. Il ne pouvait pas dire qu’il ne la trouvait pas attirante. Il ne pouvait pas dire que l’idée de l’embrasser, là, l’idée qui lui traversait l’esprit, était désagréable. Bien au contraire. 

Mais est-ce que cela voulait dire qu’il voulait coucher avec elle ? Ils étaient amis. Elle était son amie. Elle l’était l’une de ses plus proches amies et il tenait à elle, à sa présence dans sa vie. Est-ce que ce n’était pas tout gâcher que de faire ça ensemble ? Est-ce qu’ils ne prenaient pas un risque ? Et si cela rendait les choses trop bizarres entre eux ? Et si ensuite ils n’arrivaient plus à se regarder en face ? Qu’est-ce que cela voulait dire de leur amitié ?

- On est amis, finit-il par souffler. Je tiens énormément à toi Kat, vraiment. Et j’ai peur que... et si ça gâche tout ?

Le coeur de Kat s’emballait un peu face à la nouvelle perspective qu’elle venait d’ouvrir dans sa relation avec Andrew. Ses mots avaient donné un peu plus de réalité aux images qui naissaient dans sa tête. Elle n’était pas serviable et dévouée au point de faire une telle proposition à son ami si cela ne l’intéressait pas elle aussi -d’ailleurs, cela aurait pu être assez humiliant pour lui qu’elle fasse ça par pure charité. Ce ne fut donc pas très étonnant qu’Andrew commence par l’interroger là-dessus : est-ce qu’elle en avait envie ? Elle n’hésita pas vraiment sur sa réponse, même si cela lui fit tout drôle de le dire :

« Eh bien… Je ne te le propose pas juste pour te rendre service, ça serait… un peu bizarre, souligna t-elle avec un léger rire. Ça me plairait aussi. »

C’était très étrange de le reconnaître et d’en prendre conscience, alors qu’elle n’y avait jamais pensé sérieusement auparavant. Elle n’avait jamais porté de désir ou de sentiment amoureux sur Andrew jusqu’à maintenant, ils entretenaient une relation très amicale. Mais plus l’idée faisait du chemin dans sa tête et plus elle la trouvait séduisante. Andrew était un garçon attirant, gentil, attentif, et en cela il réunissait déjà plus de qualités que beaucoup de garçons avec qui elle avait déjà couché. Alors pourquoi pas ? Kathrina était curieuse et adepte de nouvelles expériences, celle qu’elle venait de proposer lui semblait plutôt amusante et prometteuse. Elle sentait qu’Andrew n’y était pas indifférent, elle le voyait dans le rose que ses joues avaient pris, le balbutiement troublé de son discours, le léger sourire confus sur ses lèvres, ce qui l’encourageait dans son idée. Pour autant, elle se posait des questions aussi, les mêmes que le jeune homme finit par évoquer, en rappelant son affection pour elle. Touchée, Kathrina lui sourit et prit quelques secondes pour peser intérieurement le pour et le contre.

« Moi aussi je tiens beaucoup à toi, Andrew. Tu es un de mes plus proches amis. Alors… Justement, j’ai toute confiance en toi. Et en nous. » Elle jugea que le moment était bon pour rappeler un point : « Je sais qu’on n'a pas de sentiments ambigus l’un envers l’autre qui pourraient venir interférer là-dedans, on est déjà arrivés à cette conclusion toi et moi quand on est sortis ensemble, donc… Je suis à peu près sûre que ça ne gâchera rien du tout. »

Elle avait plutôt confiance en ce point, en tout cas. Elle ne croyait pas du tout que le sexe et l’amour étaient forcément liés. Cela n’avait jamais troublé son amitié avec Baen par exemple, alors pourquoi cela changerait quelque chose avec Andrew ? Elle ajouta en guise de dernier argument, avec un sourire :

« Et puis, surtout, on peut s’arrêter quand on veut. Je veux dire, si on essaye et qu’on voit que c’est bizarre… Eh bien, on arrête, tout simplement. Promis, je m’en vexerai pas. »