Rumor has it

L'expression outrée de Katie faisait plaisir à voir. Avec les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte, elle ressemblait à un strangulot hors de l'eau. Sasha ne chercha même pas à dissimuler le mince sourire qui venait de relever la commissure de ses lèvres. Sa camarade était naturellement hors d'elle et ne trouva rien de plus intelligent à faire que de les insulter une nouvelle fois toutes les deux d'une voix aiguë avant de quitter les toilettes. Bon débarras.

"J'suis désolée, je ne sais pas ce qui m'a pris... confia Cindy d'une petite voix quand la porte se referma derrière Kaylee. Tu penses qu'elle va le dire à un professeur ?
- Non, je ne pense pas. Elle espérait que Katie était trop fière pour ça. Et si c'est le cas il suffira de nier. Il n'y a aucun témoin."

Cindy hocha la tête, visiblement peu convaincue. Sasha était persuadée qu'à la moindre question d'un enseignant, son amie avouerait toute l'histoire. Elle se demandait souvent comment cette dernière avait pu être répartie à Serpentard. La plupart du temps elle était timide, loyale, bienveillante et un peu trop naïve. Et puis il y avait des jours comme aujourd'hui où elle se révélait plus agressive, et prête à se défendre. Sasha la préférait comme ça, même si gifler toutes les poufs de l'école n'était clairement pas un comportement raisonnable.

"N'écoute pas les filles comme ça, lança-t-elle en se dirigeant vers la porte des toilettes. Elles n'en valent pas la peine."

Cindy la suivit dans le couloir et, à peine avait-elle fait quelques pas qu'elle jeta un regard par dessus son épaule puis se pencha vers Sasha.

"Gryffondor en approche..."

La préfète soupira. Elle avait compris qu'il ne pouvait s'agir que d'Andrew mais n'avait aucune envie de lui parler. Elle ne ralentit pas le pas, en espérant qu'elles arriveraient en cours de sortilège avant que le jeune homme ne les ai rattrapées.

Lorsque les sixièmes années étaient sortis de leur cours de botanique, d’épais nuages obscurcissaient déjà le parc de Poudlard. Les plus malins avaient pressé le pas pour rejoindre le château, serrant contre eux les pans de leur cape qui prenait le vent. Les plus bêtes - ou optimistes - étaient restés en arrière, remontant un peu plus mollement, peu pressés de continuer leur journée de cours. Andrew faisait partie de ceux-là, un peu fatigué par avance des deux heures de sortilège qui l’attendaient. Alors cela n’avait pas manqué : une terrible averse s’était déversée sur les retardataires trois cent mètres avant qu’ils n’atteignent les portes de l'école. Ils avaient débarqué dans le hall trempés, hilares et brusquement réveillés.  

Ils avaient sorti leurs baguettes magiques pour sécher leurs sacs de cours, dans l’espoir de sauver les parchemins qui auraient pu prendre l'humidité. Benjamin Eriksen tordait son épaisse cape d’hiver entre ses mains, afin d’en faire dégorger un maximum d’eau. Ardarsh, lui, se mirait dans une armure pour remettre ses cheveux en place, déplaçant consciencieusement des mèches noires. Andrew était en train de lancer un recurvite sur ses chaussures pleines de boue lorsqu’une petite silhouette se planta devant lui. Il releva les yeux pour tomber sur le visage souriant de Susan, qui avait son air de petite fille modèle.

- Ça va ? interrogea-t-il, comme elle gardait le silence.

À quelques pas derrière elle, sa petite bande de copines semblait l’attendre. Suzie hocha la tête, réajustant son serre-tête vert.

- Je me demandais juste si tu pouvais me rendre un service... ?

Nouveau silence, comme si elle attendait simplement qu’il réponde « Oui bien sûr, tout ce que tu voudras. » Se redressant et réajustant la bandoulière de son sac séché, il inclina la tête.

- Dis toujours.

Susan prit une grande inspiration avant de se lancer :

- Est-ce que tu pourras me prêter ton balai ce week-end ? Avec les copines on veut jouer à passe-souafle comme il doit faire beau !
- Andrew, on bouge ? lança Benjamin, qui avait fini par retirer sa cape de ses épaules. Ils avaient sortilège ensemble.
- Vas-y Ben, je te rejoins. Prends un balai de l’école, reprit-il à l’intention de Suzie, qui fronça immédiatement les sourcils.
- Non, je n’en veux pas, ils sont sales et dégoûtants et en plus tout le monde les utilise.
- Mais non, protesta-t-il en faisant un pas vers les escaliers, ils sont très bien.
- Mais le tien est mieux ! répliqua Susan en le suivant.
- Faut que j’aille en cours Suzie, mais franchement prends un balai de l’école, ils sont nickels pour faire du passe-souafle. Je t’aiderais à choisir si tu veux.
- Mais j’en veux pas ! maintint-elle d’une voix plaintive. Pourquoi tu ne veux pas me prêter le tien ?
- Parce qu’il est trop puissant pour toi, tu ne vas pas pouvoir le diriger et tu vas te planter, répliqua-t-il en commençant à monter les marches, sa soeur sur ses talons.
- N’importe quoi ! s’offusqua Susan. Je sais voler aussi !
- Je sais que tu sais voler, c’est pas la question, mais je vais pas te prêter un Galaxie 2010 juste pour que tu fasses du passe-souafle ! C’est trop puissant, c’est ridicule. Et puis tu vas te planter, réaffirma-t-il, et je vais me faire tuer par les parents.

Susan attrapa sa manche alors qu’ils étaient arrivés au premier étage, l’air boudeur.

- Mais non je ne vais pas me planter, je sais voler ! Et puis les autres balais sont trop moches !
- C’est juste pour faire une partie, Suze, je pense que tu t’en remettras... Et si tu veux je t’aiderais à choisir, on en trouvera un bien !

Susan ne s’était pas départi de son air boudeur, ni de la manche de son frère. Andrew soupira.

- Demande à papa de t’envoyer ton balai, sinon ?

En bonne Dubois, sa soeur était bien évidemment équipée mais elle avait choisi de ne pas emmener son balai à l'école, arguant qu’elle n’en n’aurait pas besoin puisqu’elle n’avait plus de cours de vol et qu’elle ne jouait pas au Quidditch. Elle avait un Cosmos 2009, fiable, léger, en excellent état.

- Ça n’arrivera pas à temps ! pigna-t-elle en amorçant la remontée vers le deuxième étage avant lui. C’est pour ça que je voulais le tien...

Elle lui faisait ses grands yeux tristes alors qu’il la rejoignait, non sans avoir jeté un coup d’oeil à sa montre.

- Non mais c’est mort Susan, je te le passerai pas, cherche pas.

Contrariée, elle s’exclama vivement :

- T’es chiant, on peut jamais rien te demander !

Andrew roula des yeux et s’arrêta dans son ascension. Sa soeur le regardait avec colère. Peu désireux de la laisser dans cet état, il soupira de nouveau.

- Est-ce que tu veux que je vois avec Gowan s’il peut te prêter son balai ?

Son meilleur ami avait un Comète 2008, un engin stable, à usage familial mais qui ne déméritait pas en puissance dans sa gamme. C’était un balai bien plus adapté pour ce que voulait en faire Susan. Cette dernière sembla soupeser la proposition dans sa tête, évaluant sûrement si elle pouvait arriver à faire plier son frère. Finalement, elle eut un sourire.

- D’accord. Mais tu lui demande aujourd’hui alors !
- Si tu veux, capitula-t-il (comme souvent) face à sa frangine. T’as pas cours toi ?
- J’ai étude. Et toi, tu n’es pas en retard ?
- Bah si. Grâce à qui ?

Susan haussa les épaules et lui fit un grand sourire avant de se détourner, le pas guilleret. Andrew remonta les escaliers rapidement pour arriver au cinquième étage, où se trouvait la salle de sortilèges. En réalité, il n’était pas vraiment en retard, il allait arriver dans les temps s’il ne trainait en chemin. Il venait de tourner au coin d’un couloir lorsqu’il avisa Cindy et Sasha, qui allaient tout comme lui en sortilèges.

Depuis la rentrée, il avait essayé de parler plusieurs fois avec son amie, dans l’espoir d’arranger les choses entre eux. C’était malheureusement complètement vain : la communication avec Sasha était impossible, elle lui faisait bien comprendre qu’elle n’avait pas du tout envie de parler avec lui. Pour autant, il continuer d’essayer de temps en temps. Il n’avait pas envie de la harceler mais il n’avait pas non plus envie d’abandonner. La semaine dernière, il lui avait envoyé un message qui était resté sans réponse. Saisissant son opportunité, il rattrapa les deux filles d’un pas rapide, ajustant nerveusement sa bandoulière sur son épaule.

- Salut Cindy, souffla-t-il en croisant son regard. Elle venait de lui faire un sourire un peu contrit, bien consciente de la situation tendue entre Sasha et lui : elle était présente dans le wagon avec eux quand c’était arrivé. Salut Sasha... Tu aurais cinq minutes pour parler à la fin des cours tout à l'heure ?
 

Sasha résista à l'envie d'accélérer le pas alors qu'Andrew arrivait à leur hauteur et saluait Cindy. Elle n'avait pas envie de lui parler. Elle éprouvait encore des sentiments très contradictoires à l'égard du Gryffondor et l'évitait depuis la rentrée. Elle lui en voulait toujours terriblement de ne rien lui avoir dit au sujet de la vidéo et continuait de penser que, s'il l'avait mise au courant, elle aurait pu s'épargner le cauchemar qu'elle vivait depuis un mois.

Elle était en colère contre lui mais savait que ce n'était pas uniquement à cause de la vidéo. Elle lui en voulait aussi de l'avoir repoussé à la soirée de fin d'année, après qu'ils se soient embrassés. Elle aurait voulu avoir le courage de faire comme si rien ne s'était passé, mais son égo blessé était encore trop fragile pour qu'elle puisse faire face à Andrew sans avoir envie de lui hurler au visage ou de fondre en larmes.

"Salut, répondit-elle simplement sans tourner la tête vers lui. Je surveille l'étude après les cours."

Cela faisait partie de ses prérogatives de préfète de surveiller les plus jeunes élèves et de les aider avec leurs devoirs. En pratique, elle pouvait parfaitement arriver avec cinq minutes de retard, mais cela lui offrait une excellente excuse pour s'éclipser rapidement après les cours sans donner la chance à Andrew de pouvoir lui parler. Qu'auraient-ils bien pu se dire, de toute façon ? Elle s'interdisait de lui avouer à quel point elle s'était sentie trahie parce que c'était reconnaitre tout ce qu'elle avait attendu de lui.

Elle refusait de craquer, aussi limitait-elle ses interactions avec le Gryffondor au strict minimum. Pour autant, elle n'avait jamais trouvé le courage de l'ignorer complètement. Elle aurait pu l'ignorer, ou lui dire d'aller se faire cuire un oeuf de dragon, mais elle ne le faisait pas. Parce qu'une part d'elle avait envie qu'il continue de venir régulièrement lui parler, même s'ils n'échangeaient que quelques mots. Cela lui donnait l'impression que, peut-être, les choses pourraient un jour revenir à la normale.

Sans surprise, Sasha semblait même refuser de croiser son regard. Elle déclara qu’elle devait surveiller l’étude après les cours, ce qui voulait dire « Dégage, je n’ai pas une minute pour te parler. » Même si cela faisait quasiment un mois, il n’était pas habitué encore à cette froideur et cela lui fit quelque chose. Ne se décourageant pourtant pas, il reprit :

- Après alors, avant le dîner.

La présence de Cindy l’embarrassait un peu, ses yeux allaient de Sasha à lui sans trop de discrétion. Il ralentit légèrement alors que la salle de sortilèges apparaissait au bout du couloir. La plupart de leurs camarades attendaient déjà en ligne, dans un joyeux brouhaha. Il hésita quelques secondes avant de se permettre le geste : il attrapa entre ses doigts la cape de son amie pour l’inviter à ralentir aussi.

- S’il te plaît Sash', faut vraiment qu’on parle. 

Sasha soupira intérieurement face à l'insistance d'Andrew. Une petite part d'elle était soulagée de voir qu'il ne se décourageait pas, signe que leur amitié n'était pas définitivement perdue, pourtant elle ne se sentait pas prête à faire des efforts de son côté. Elle était encore en colère, et savait que rien de bon ne pourrait ressortir d'une confrontation avec le Gryffondor.

"J'ai des devoirs, je grignoterai un truc plus tard."

Depuis la rentrée, elle s'arrangeait généralement pour manger en tout début ou en toute fin de service, quand la Grande Salle était presque vide, pour éviter de se retrouver au centre d'une foule d'adolescents dont le passe-temps favoris était de la couvrir d'insultes. Cela lui avait valu de louper quelques repas, mais cela lui avait surement épargné quelques humiliations publiques.

Ils arrivaient presque à la hauteur de la salle de Sortilèges, devant laquelle leurs camarades patientaient déjà dans un joyeux brouhaha. Sasha vit Andrew ralentir le pas mais n'en fit rien. Ce fut la légère pression exercée sur sa cape qui la fit se retourner.

"Quoi ? s'agaça-t-elle en faisant volte-face. Cindy s'était arrêtée aussi et les observait tour à tour avec une mine inquiète. On a quatre minutes avant le début du cours, annonça-t-elle après avoir consulté sa montre. De quoi tu veux parler ?"

Quelque part, elle aussi aurait bien aimé pouvoir parler avec lui, comme avant. Elle voulait revenir à cette époque où les moments qu'elle passait avec Andrew était les meilleurs de sa semaine, mais ce n'était plus le cas désormais. Dès qu'elle croisait son regard elle était envahie par un mélange de colère et de tristesse qu'elle avait du mal à contenir.

Évidemment, Sasha n’était pas disponible avant le dîner. Et elle ne le serait pas non plus après, ni au petit-déjeuner, ni à la pause du matin, ni samedi, ni dimanche, ni jamais. Le message qu’elle lui envoyait était plutôt clair et pourtant, Andrew n’arrivait pas à lâcher l’affaire. Parce que s’il le faisait, qu’est-ce qui se passerait ? Ils resteraient fâchés pour toujours ? Elle continuerait sa vie, il continuerait la sienne ? Leurs cercles amicaux se croisaient déjà très peu avant cette histoire avec Clayton, ils ne se croiseraient plus jamais. Il la savait déterminée : elle était capable de lui faire la tête jusqu’aux ASPICS. Et une fois sortis de Poudlard ? Il n’avait pas envie que cela se passe comme cela. Il pouvait être plutôt tenace lui aussi quand il s’y mettait. Il ne se démonta pas quand elle se retourna vers lui avec agacement, déclarant, montre en main, qu’il avait quatre minutes avant le début du cours.

Il posa les yeux sur Cindy, comme pour lui demander silencieusement de les laisser, mais cette dernière ne bougea pas. Il était pourtant persuadé qu’elle avait compris le message mais il n’avait pas vraiment le temps de se lancer dans ce débat.

- Tu sais de quoi je veux parler... Je sais à quel point j’ai merdé en ne te disant rien pour la vidéo, Sasha, je m’en veux à mort je te jure.

Le mot était faible.

- Dis-moi ce que je peux faire pour arranger les choses. Je... Il trébucha sur les mots, jamais très doué avec. J’ai pas envie que... Qu’on reste brouillés pour toujours.

Il se tut en sentant une présence passer à coté d’eux. James et Clayton venaient de remonter le couloir, ce dernier un peu engoncé dans son uniforme. Il sembla s’appliquer particulièrement à ne croiser aucun de leurs regards, tandis que James leur jetait un coup d’oeil. Les deux amis rejoignirent Benjamin et Gowan, qui attendaient déjà depuis quelques minutes.

- Si tu veux qu’on se débarrasse de Clayton ensemble, tenta Andrew dans une pitoyable tentative d’humour, ça peut s’arranger. On ira planquer le corps dans la Forêt Interdite.

"Je sais", répondit froidement Sasha quand Andrew lui répéta à quel point il s'en voulait.

Elle le savait parce qu'il le lui avait déjà dit des dizaines de fois, et qu'il avait l'air sincèrement désolé. Il était évident que son ami n'avait pas pensé à mal, et qu'il regrettait sincèrement de ne pas lui avoir parlé de la vidéo, mais le mal était fait. Et parfois il ne suffisait pas d'être désolé pour réparer ses erreurs.

"Il n'y a rien à faire, soupira-t-elle, agacée par cette conversation qu'elle avait l'impression d'avoir déjà mené. C'est trop tard, laisse tomber."

Sasha était lucide. Dans l'immédiat, il n'y avait rien qu'elle puisse faire pour arranger la situation. Les différents réseaux sociaux sorciers avaient bloqué la vidéo, et grâce à l'aide de cette ingénieure de chez Vargas, les liens de plusieurs sites pornographiques avaient également disparu des moteurs de recherches. Mais supprimer la vidéo n'avait plus aucune utilité maintenant que tout le monde l'avait vu. Elle n'avait plus qu'à attendre que le temps passe et que les gens se lassent. D'ici quelques mois ils trouveraient bien quelqu'un d'autre à harceler, pour une raison ou une autre.

Elle sentit son coeur se serrer quand le Gryffondor affirma qu'il ne voulait pas qu'ils soient fâchés pour toujours. Elle non plus elle ne le voulait pas, et elle espérait qu'un jour les choses redeviendraient comme avant, mais elle était trop en colère contre lui pour pouvoir l'envisager pour le moment.

La piètre tentative d'humour d'Andrew ne la fit pas sourire. Elle n'avait pas le coeur à plaisanter à ce sujet. D'autant plus que, si cela relevait de la blague pour le Gryffondor, Sasha était de plus en plus persuadée qu'elle en aurait été sérieusement capable. Cette idée l'emplissait d'un mélange de fierté et de terreur mais était de plus en plus présente dans son esprit : elle en voulait tellement à Clayton qu'elle aurait pu le tuer. Elle ne le ferait pas, bien sûr, parce qu'elle avait conscience que c'était profondément mal, et parce qu'elle ne voulait pas avoir de problème. Mais elle aurait pu le faire, elle en était persuadée.

"Très drôle, commenta-t-elle sur un ton de reproche, le regard glacial. Si cette histoire t'amuse je pense qu'on peut en rester là ?"

Parce qu'elle n'avait absolument pas l'intention de plaisanter à ce sujet.

Sasha ne lâchait pas un centimètre de terrain : comme à chaque fois qu’ils parlaient, Andrew se heurtait à un mur. Il n’y avait rien à faire. C’était trop tard, qu’il laisse tomber. Il n’y avait aucun moyen de rattraper cette décision qu’il avait prise cet été, en quelques minutes, sous le coup de la surprise. Non, c’était faux... Il avait eu tout le reste de l’été pour changer d’avis, pour envoyer un message à son amie pour l’avertir. Il avait eu deux mois avant que l’affaire n’éclate dans le Poudlard Express. Et il ne l’avait pas fait. Même s’il n’avait pas pensé à mal, même s’il avait pensé avoir pris la bonne décision, il s’était planté. Et il avait une grande part de responsabilité dans cette histoire, même s’il n’était pas celui qui tenait la caméra, même s’il n’avait pas été celui qui avait partagé la vidéo. Il l’avait bien compris. Et Sasha le savait aussi. Et elle lui en voulait.

Il resta silencieux quelques secondes à la fixer, ne sachant pas quoi répondre, ne sachant pas comment repartir à la charge, une nouvelle fois. Il regretta immédiatement d’avoir tenté de détendre l’atmosphère avec une piètre tentative d’humour quand le regard de Sasha se durcit un peu plus. Sa réplique claqua dans l’air et il eut l’impression de se prendre un seau d’eau glacée sur le crâne. Elle interprétait mal ses propos, il n’avait jamais voulu rire de cette histoire.

- Non pas du tout, répliqua-t-il immédiatement, un peu paniqué, ça ne m’amuse pas du tout, ce n’est pas ce que je voulais dire, c’est...
- Hé, Andrew !

Il releva la tête pour voir Gowan qui s’était avancé vers eux, se détachant du groupe bruyant qui attendait devant la porte.

- Tu viens ? Je veux la place près de la cheminée.

La table était stratégiquement placée près de la fenêtre (avec la vue sur le parc pour la distraction), dans le fond de la salle (tranquille loin de l’enseignante donc) et proche d’une source de chaleur (idéale pour les journées écossaises qui commençaient à se refroidir).

- Je... Il posa ses yeux sur Sasha, qui le regardait toujours avec colère. Il eut un pincement au coeur. J’arrive.

Il hésita encore quelques secondes avant de se détourner, ouvrant la bouche comme s’il allait ajouter quelque chose. Mais il garda le silence, dépassant les deux jeunes filles, assez lâchement. Qu’est-ce qu’il pouvait dire de plus de toute manière ? Elle ne le croirait pas. Il rejoignit Gowan, la mine un peu refermée. Ses yeux croisèrent ceux de Clayton, qui était quelques pas derrière, et il lui envoya un regard de profonde colère. Il le tenait responsable de son amitié qui était en train de  se casser la figure, si ce n’était pas déjà fait. Immédiatement, le Serpentard sembla rentrer la tête entre ses épaules, comme une tortue, et recula d’un pas avant de se tourner vers James. Tandis que ses copains devisaient joyeusement autour de lui, il garda le silence, tournant régulièrement la tête vers Sasha qui, elle aussi, lui tournait le dos.

Le fossé entre eux n’avait jamais paru aussi profond qu’à cet instant.

Sasha vit clairement le visage d'Andrew se décomposer suite à sa réponse. Elle savait, bien sûr, que cette histoire ne l'amusait pas vraiment. Elle savait qu'il ne cherchait qu'à alléger un peu l'atmosphère pour dissiper les tensions entre eux, pour autant elle n'était pas prête à laisser passer la moindre erreur. Elle lui en voulait terriblement, et elle s'accrochait à la moindre raison supplémentaire qui pouvait justifier sa colère à son encontre.

Elle fut presque heureuse de l'intervention de Gowan, qui vint mettre fin à cette pénible conversation, et observa Andrew s'éloigner avec un pincement au coeur. Elle avait obtenu ce qu'elle voulait : qu'il la laisse tranquille, pourtant elle se sentait tout sauf soulagée. Elle évita le regard contrit de Cindy et se dirigea vers la fin de la file qui s'était formée devant la salle de Sortilèges.  

Elle croisa brièvement le regard de Clayton, qui détourna les yeux à une vitesse record, et sa colère changea aussitôt de cible. Sasha s'était montré particulièrement patiente. Elle avait laissé la P.M faire son travail et avait scrupuleusement suivi toutes les consignes qui lui avaient été données. Elle n'avait pas révélé le nom de Clayton publiquement et avait attendu sagement que les agents remontent jusqu'à la personne à l'origine de la diffusion de la vidéo. Mais trois semaines s'étaient écoulé, et l'enquête en était toujours au même point. Elle pouvait comprendre qu'une affaire de sex-tape entre adolescents ne soit pas leur priorité, et imaginait sans mal ce dossier prendre la poussière sous une pile de procès verbaux pour stationnement gênant, mais dans ce cas, qu'attendait-elle pour obtenir les réponses elle-même ?

Elle se laissait doucement aller à cette hypothèse quand la porte de la classe s'ouvrit, ce qui la tira de ses rêveries. Elle dépassa Clayton pour aller s'installer au premier rang, comme à son habitude, et se promit qu'elle ne le laisserait pas s'en tirer si facilement.