CÉ LOUI [Sasha & Virgil]

Accoudé sur le dossier du fauteuil de  Priya Rahman, Virgil observait l’écran, l’air concentré. Ses pupilles suivaient les mouvements du curseur tandis que l’ingénieure répondait à sa question sur la traçabilité des vidéos.  A en juger par son travail -que Virgil pouvait apprécier en direct-, elle savait  parfaitement de quoi elle parlait si bien qu’il ne remit pas en doute son analyse quant elle évoqua la difficulté à retrouver la publication d’origine. Il hocha simplement la tête et tira sur sa cigarette sans lâcher du regard les lignes de codes qui défilaient à toute vitesse. Ce langage était totalement incompréhensible pour lui alors que Priya semblait le maitriser à la perfection.  Il observa quelques instants le sommet du crâne de l’ingénieure et se promit de l’inviter sur Incarcerim tant elle pouvait s’avérer être un contact précieux, au final.

L’interface utilisateur réapparut soudainement, éclairant leurs traits d’une lumière blanche.
« Et voilà, irréprochable ! »  S’exclama l’ingénieure. Les résultats de la recherche nominative  ne renvoyaient plus qu’à des liens institutionnels ou à des contenus tout à fait innocents.
« C’est bluffant. »
Priya Rahman était donc capable d’offrir une virginité numérique à n’importe qui.  Virgil se redressa.
« Comment puis-je vous remercier ? » souffla-t-il à dessein. Rester en contact avec une personne disposant de telles compétences pouvait s’avérer particulièrement utile. L’ingénieure avait beau tempérer sa prouesse en affirmant que la vidéo pouvait réapparaitre sous une autre forme, plus tard, la démonstration qu’elle venait de conduire suffisait amplement à Virgil.  « Tenez, prenez ma carte. Dit-il en lui tendant sa carte professionnelle, « Si je peux vous aider pour quoique ce soit, n’hésitez pas à faire appel à moi. »

Si Priya Rahman avait des souvenirs à effacer, Virgil lui ferait un prix d’ami, promis. Grace à elle, il allait pouvoir vivre ce congrès plus sereinement maintenant que des vidéos pornos de sa soi-disant petite-amie ne circulaient plus sur le web.

«  Vous avez besoin d'autre chose ?"

« Non, ça ira. Nous avons déjà bien abusé de votre temps.  En quelques enjambées, Virgil rejoignit la porte pour l’ouvrir et libérer l’informagicienne, Merci encore. Il leva sa cigarette à peine entamée qu’il tenait entre ses doigts, Vous ne m’en voulez pas si je ne vous raccompagne pas jusqu’en bas ? » La journée promettait d’être longue et Virgil comptait bien profiter de cette petite pause salutaire encore quelques instants. Priya Rahman ne se formalisa pas et  s’éclipsa sans délais, visiblement soulagée de quitter ce drôle de binôme.

Le  résultat obtenu  dépassait toutes les attentes  de Virgil.  Pour être tout à fait honnête, il n’aurait jamais pensé que l’affaire puisse être réglée si facilement et si rapidement mais, devant Sasha,  il entendait bien faire comme si.

« Alors ? J’attends … dit-il en reportant son attention sur elle, qu’est-ce qu’on dit à son gentil tuteur ?  il posa un index sur son oreille et tourna légèrement la tête, Quel est le mot magique ?... J’ai pas bien entendu ? »

Il aimait assez l’idée que Sasha soit obligée de le remercier pour ce qu’il avait fait pour elle – même s’il avait surtout agit dans son propre intérêt - mais il ne comptait pas se contenter de simples paroles. Sans attendre, il agita son index devant lui comme aurait pu le faire son père lors d’un sermon « Tu sais que tu m’en dois une maintenant. »

Même si elle décidait de nier, Virgil estimait qu’elle était redevable.

Sur ses mots, il retourna s’asseoir à son bureau et fit pivoter son fauteuil pour se retrouver face à son écran. Il avait coincé sa cigarette entre ses lèvres et il parcourait les pages de résultats, une à une, sans trouver la moindre trace de l’enregistrement compromettant.

« Je pense que j’ai mérité de connaitre l’identité du cognard… » dit- il sans quitter l’écran des yeux. «  Déjà je sais que ce n’est pas Damon. Il reporta son regard  cerné sur Sasha, Son nom circulait mais  il s’est tapé une autre meuf ce soir là. Virgil avait eu beaucoup de détails insolites sur cette partie  de la soirée de son pote. Damon lui avait révélé que baiser debout contre un arbre était une très mauvaise idée : La fille en question était ressortie avec des griffures d’écorce tout le long du dos... Ce n’est pas non plus Kirk Lawrence – l’ancien attrapeur de Serpentard- même si, d’après Gaby, beaucoup d’élèves ont l’air de le penser.  Sauf que, si Kirk a été absent une bonne partie de la PPP ce n’est parce qu’il couchait avec toi mais parce qu’il était en train de vivre le pire bad-trip de son existence – Virgil le savait car il lui avait revendu la Mandragore du jeune Faust  Ziegler, Donc il ne reste plus que cette tête de gland de Zekky Ziegler – le gars assez con pour se filmer et pour laisser fuiter la vidéo-  ou ton pote là, Dubois.  A ce qui parait vous vous êtes éclipsés un moment dans une alcôve lors de la soirée… »

"C'était pas Dubois »

Si  Sasha démentait le fait qu’il puisse s’agir d’Andrew, elle ne le faisait pas pour Ziegler.  Ce pouvait-il que ce gars complètement décérébré ait réussi à lui faire perdre la tête au point qu’elle accepte de coucher avec lui ? Virgil était dubitatif mais ce scenario  ne lui semblait pas complètement improbable.  Parfois les apparences pouvaient  être trompeuses. A titre d’exemple, personne n’aurait pu imaginer qu’il puisse entretenir une liaison avec Nelly Horrocks, préfète bien sous tout rapport… Et pourtant.

Il s’apprêtait donc à demander confirmation auprès de Sasha lorsqu’elle lui révéla l’identité du fameux jeune homme.

« Clayton Payne ? » répéta Virgil, visiblement interloqué. Il afficha une moue d’incompréhension avant de reporter son attention sur l’écran de son Pear Pro. Il tapa le nom du jeune homme dans le moteur de recherche, cliqua sur entrée et agrandit la première photographie obtenue dans les résultats. « C’est lui ? » demanda-t-il en tournant l’écran vers Sasha. Il observa de nouveau le cliché. « Ce gars est à Poudlard ? Vraiment ? » Il secoua la tête comme s’il ne l’avait jamais vu.

Il faut dire que Virgil s’intéressait relativement peu à ses semblables, d’une manière générale.  Encore moins lorsqu’ils étaient plus jeunes et encore moins lorsqu’il s’agissait de garçons. Il connaissait les joueurs de quidditch, les préfets et quelques personnalités incontournables -du genre  Linnet Sneals- mais les autres élèves ne l’intéressaient guère.  Il n’avait  donc aucun souvenir de Clayton mais cela n’avait rien d’étonnant. Aux vues des photographies qui trainaient sur la toile Clayton était un électron anonyme  de ce que Virgil et ses potes appelaient simplement «  La bande à Dubois. » Une meute de petits mecs boutonneux gravitant autour du capitaine de quidditch.

« Pourquoi ça t'intéresse ?"

« Simple curiosité lubrique. » avoua-t-il, sans gêne, en parcourant les autres photographies de Clayton dont certaines lui tirèrent un vague rictus moqueur.  Il inspira plusieurs  bouffées de nicotine tout en faisant défiler les clichés les uns après les autres, le dos appuyé dans son fauteuil en cuir.  Sasha devait apprécier la compagnie de ces garçons effacés du genre de Clayton ou Casey, analysa-t-il. Moins brillants qu’elle, ils ne pouvaient  pas lui faire d’ombre.

"On devrait remonter. » suggéra Sasha.

« Humhum. » fit Virgil d’un air absent son regard toujours posé sur l’écran.
«  Si on ne nous voit pas en salle de conférence, Domingo va commencer à raconter qu'on est en train de coucher ensemble dans un recoin sombre."

Le traqueur interrompit son défilement pour reporter lentement son attention sur Sasha. Il y avait quelque chose d’étrangement excitant  dans cette remarque.  Virgil avait l’intuition qu’il ne s’agissait pas d’une phrase anodine, balancée comme ça,  sans réfléchir. Il se trompait peut-être mais la remarque de Sasha raisonnait presque comme un appel du pied ravivant les pensées qu’il avait eues à son égard quelques minutes plus tôt, lors du visionnage de la vidéo. Il l’observa un instant les paupières légèrement plissées comme s’il cherchait à déchiffrer ses pensées cachées derrière  ses yeux bleus.

Dans un autre contexte, avec une autre personne, Virgil aurait sûrement saisit l’occasion. Il aurait joué le jeu et  trouvé  un moyen de s’assurer des intentions de la jeune femme avec un très direct «  Autant donner raison à Domingo. » ou une formule plus subtile mais tout aussi évocatrice. Il était d’une nature à saisir les opportunités qui se présentaient à lui mais pourtant, aujourd’hui, il émettait quelques réserves tant il ressentait des sentiments très ambivalents à l’égard de la jeune femme. Un mélange de répulsion et d’attraction qu’il avait du mal à cerner.

La plupart du temps, il avait très envie de claquer Sasha – notamment quand elle jouait les ingénues devant Stern ou quand elle s’arrangeait pour passer outre son rapport. Sasha avait la capacité de le mettre en colère, vraiment,  et dans le même temps, de le séduire, un peu,  comme à cet instant.  Il aimait ce qu’elle dégageait. Cette assurance pleine de défi.

Mais il était question de  Sasha Benson. Son apprentie pour l’année à venir. Et surtout… l’ex de son frère Casey. Même si habituellement Virgil était loin d’être raisonnable, il décida de ne pas se laisser entrainer sur cette pente qu’il devinait très glissante.

« Dois-je te rappeler qui a dit la première que les choses s’étaient « concrétisées » entre nous ? » dit-il en mimant les guillemets de ses doigts. Il coinça la cigarette dans ses lèvres et sortit son Pear de sa poche pour consulter ses messages, l’air totalement détaché. Puis sans relever les yeux sur Sasha, il ajouta.
« T’as qu’à remonter. Moi je finis ma clope. »


Malgré une entame quelque peu chaotique pour Virgil et Sasha, la première journée du congrès s’était relativement bien déroulée. Les différentes délégations avaient visitées les locaux de Skye avant d’assister à une série de conférences l’après-midi sur la Magie de l’esprit et sur le fonctionnement du centre de réhabilitation mémoriel.  

Fort heureusement pour tout le monde, la présentation sur le système de sécurité Vargas avait été assurée par Logan en personne et non pas par Priya Rahman. Virgil l’avait vue de loin, dans la foule du congrès, mais il n’était pas retourné la saluer. Il avait préféré occuper son temps à rencontrer quelques acteurs incontournables du milieu : Beaucoup de chercheurs, des psychomages et médicomages et même un shaman.  Il n’avait pas croisé Sasha de toute l’après-midi  et chacun avait vaqué à ses occupations si bien qu’il ne savait pas si elle participait à la soirée de gala organisée par le Ministère en l’honneur du congrès international. Elle devait sans doute rentrer à Poudlard le soir et il la reverrait bien assez tôt, s’était-il dit en repassant chez lui brièvement pour prendre une douche et revêtir un costume sombre.

Tous les invités avaient rendez-vous dans un restaurant étoilé de Leopoldgrad. Tenue de soirée de rigueur, disait l’invitation.  Leopold Marchebank figurait sur la liste des invités comme plusieurs directeurs de département, la directrice de Sainte Mangouste et quelques patrons de l’industrie des potionnistes. Trois mois plus tôt, Virgil fêtait la fin de sa scolarité dans une tente  lors d’une soirée décadente  -habillé en pyjama- et voilà qu’il se retrouvait aujourd’hui à boire une coupe de champagne en compagnie des plus grands chercheurs du monde entier. Qui l’aurait crû. Il avait parfois l’impression de vivre deux vies, totalement opposées l’une de l’autre…

L’apéritif était servi dans  une salle de réception richement décorée attenante à la salle à manger où plusieurs tables rondes étaient dressées pour accueillir une petite dizaine de convives chacune.  Virgil n’avait pas encore  jeté un coup d’œil au plan de table affiché à l’entrée, préférant  échanger avec un certain Preston Shamer de l’Université  Canadienne de Magie  et Dorothy Lang une chercheuse australienne au sujet de la traque de souvenirs.  

« L’état est en train de légiférer pour autoriser la traque de souvenirs dans les affaires de meurtre et de terrorisme. » expliquait l’australienne. « Si la loi passe, je travaillerais conjointement avec la police de mon pays pour créer une unité spéciale de recherches au sein du département de la justice… »

«  Si vous avez besoin de conseils pour monter votre structure vous pouvez vous tourner vers nous sans problème. » Virgil serait ravi d’offrir son aide surtout si cela impliquait une petite visite à Sidney tous frais payés par Skye. «  Tobias se charge de mettre en place les partenariats mais vous pouvez lui dire que vous vous êtes déjà entretenue avec moi et que je suis tout à fait disposé à venir vous aider pour mettre en place une cellule de Traque de Souvenirs. »
« C’est très aimable de votre part , monsieur… ? »
« Forbes, mais appelez moi Virgil. »

Dans ce genre de soirée, il avait parfois l’impression de ne plus être celui qu’il avait toujours été. Il laissait entrevoir  une partie de lui-même qu’il avait longtemps ignorée – ou masquée aux yeux de ses camarades et de sa famille. Ici, il était monsieur Forbes, un jeune loup talentueux et pétri d’ambition. Cette volonté de réussir avait toujours été  présente en lui, il le savait très bien, mais il l’avait ensevelie sous sa posture rebelle et détachée.

Aujourd’hui, il éprouvait une réelle satisfaction à sortir de cette case et à laisser parler son potentiel. Enfin.

Il but une gorgée de champagne en se sentant totalement à sa place. Il aurait sans doute dû être impressionné par cette concentration de chercheurs mais il était plutôt pressé d’être considéré comme un de leur pair.

Il s’apprêtait d’ailleurs à relancer la conversation lorsque Domingo et Magdalena jouèrent des épaules pour s’inviter dans leur petit groupe.
« Bonsouaaar ! » s’exclama Domingo en anglais.
Magda avait revêtu une tenue de soirée bariolée qui aurait surement tué un épileptique et Domingo irradiait littéralement  dans son costume crème. A en juger par leurs joues rosies, leurs mines joyeuses et leur proximité ils n’en étaient pas à leurs premiers verres de champagne….
« ViRRRil ! Bellissimo ! Como tou es beau con el costoume! » s’exclama Magda avant d’échanger un rire avec Domingo,  ses lèvres carmins  déformées derrières sa coupe de champagne. Elle tituba légèrement et s’appuya sur l’épaule de son vieil ami qui en profita pour trinquer avec elle. Merlin, ils étaient complètement pétés. Virgil risqua un regard en direction de Preston et Dorothy qui ne semblaient pas du tout amusés par cette situation.
« Bonsoir Madame Pilàr Lourdes De Vasconcellos. » souffla Dorothy.
« ¿Dónde está Sasha? » articula Domingo.
« Domingo démande où est Sasha ? » traduisit Magda en ignorant les salutations de l'australienne.
Virgil se racla la gorge.
« Je ne sais pas. » répondit-il  un peu mal à l’aise face à cette situation. Il aurait bien voulu terminer sa conversation avec les deux chercheurs plutôt que d’avoir à chaperonner une Magda bourrée en compagnie de son vieil amant.
« ¡La vi hace un momento! No debe estar muy lejos » souffla Domingo en fouillant la foule des yeux comme s’il s’attendait à voir Sasha au milieu des convives, Ah ! Ahí está ¡Sasha ! ¡SASHA ! Insista -t-il alors en interpellant quelqu’un dans le dos de Virgil.

Plusieurs convives se retournèrent  en direction de l’espagnol – il faut dire que Domingo n’était pas le roi de la discrétion- et Virgil fut prit d’un vague sentiment de malaise devant le peu de professionnalisme du duo espagnol. Il était à peu près sûr que Stern et Kane n’appréciaient pas vraiment cette situation. Il échangea d’ailleurs  un bref sourire d’excuse à l’attention de Dorothy avant de se tourner pour accueillir – Ô quelle surprise- Sasha qui était donc belle et bien présente à la soirée.

« Voila la ploue belle des apprenties. » roucoula Domingo dans un français approximatif. Virgil n’avait pas besoin de comprendre la langue pour deviner que le vieux lui faisait du gringue.
« Sasha vient de débuter son apprentissage chez les Traqueurs de Conscience », expliqua-t-il très sérieusement  à Preston et Dorothy.
« Une future consoeur donc. » souffla l’australienne.
« Ravi de faire votre connaissance. » abonda Preston.
« VirRRil et Sasha sonte nos pétits diamants bruts ! Et en plous, ils sonte amoureux. » expliqua Magdalena en papillonnant des paupières.
Génial. Merci Magda. Virgil ne chercha pas à masquer son agacement cette fois. Il reporta son attention sur Dorothy et enchaina.
« On préfère rester discret sur cette question. »
Il tenait avant tout à se désolidariser du comportement adolescent de Magdalena.
« C’est tout à votre honneur. » Dorothy semblait vraiment gênée pour eux. Elle leur accorda un sourire compatissant et enchaina à l’attention de l’apprentie.
«  Votre conjoint était justement en train de me proposer son aide pour monter une cellule de traque au sein de la police de Sidney.» Votre conjoint ? Mais merlin, elle leur donnait quel âge ? Certes Sasha faisait bien plus vieille que son âge – et encore plus ce soir- mais quand même !  «  Est-ce que vous seriez intéressée pour  l’accompagner ? »

Sasha ne se donna pas la peine de démentir les propos de Dorothy au sujet de leur prétendue union, bien au contraire. Elle préféra maintenir le doute et profiter de cette soi-disant proximité avec  Virgil  pour chasser sur les plates bandes du traqueur. Dire qu’il avait réussi à se positionner sur ce projet de travail collaboratif avec la police magique de Sidney et  voilà que Sasha s’incrustait avec son air frais et enthousiaste. Il regrettait presque de l’avoir aidé à effacer sa sexe tape tant elle semblait à l’aise et parfaitement à sa place malgré son inexpérience. C’était assez fou de voir à quel point elle avait l’air nettement plus épanouie ici qu’à l’école.

Sans se départir de son sourire,  elle évoqua quelques contacts qu’elle possédait déjà au sein de la Milice. Virgil l’observait, sa coupe de champagne en main, aussi impressionné que jaloux  de découvrir qu’elle n’avait pas trainé pour se constituer un réseau de partenaires au sein du Ministère. Il l’écouta  parler de l’unité de renseignement (dont il ne soupçonnait même pas l’existence) et du  «  monde de demain » qu’ils se devaient de préparer en tant que jeunes chercheurs en magie de l’esprit. Rien que ça !

Il enviait presque son aisance naturelle à converser si facilement. Non pas qu’il soit timide, loin de là, mais il était persuadé qu’il attirait moins la sympathie que Sasha. Il renvoyait parfois l’image de quelqu’un de froid,  de distant  -ce qu’il était clairement- et peut-être, d’un peu snob.
Dorothy Lang semblait toutefois charmée par le duo atypique qu’ils formaient tous les deux et elle n’hésita pas à renouveler son souhait de pouvoir travailler avec eux en Australie.

« Je l’espère également. » abonda Virgil.

Il se contenta d’un sourire contenu pour appuyer sa réponse. Evidemment, il était satisfait d’avoir amorcé ce partenariat  mais il n’était que moyennement enchanté à l’idée de devoir le partager avec Sasha.  Il aurait bien rappelé à qui voulait l’entendre qu’elle était encore mineure et seulement étudiante en sixième année  mais il ne pouvait plus vraiment prendre le risque de l’évincer maintenant qu’elle s’apprêtait à jouer les entremetteuses entre Dorothy et la Milice. Elle faisait partie de l’équation, qu’il le veuille ou non.

«  Cé séré oune belle destination dé loune dé miel !" lança alors Magda au sujet de Sidney.
Cette ultime remarque de sa collègue plongea Virgil dans une vague contrariété. Il retint difficilement un soupir d’exaspération qui n’échappa pas à Preston Shamer. Le chercheur masqua son rictus derrière sa coupe de champagne et Dorothy fut subitement subjuguée par les bulles dans son verre.

« Nous sommes trop jeunes pour envisager ce genre de projet. » dit-il d’un ton glacial.
« Croyez en mon experiencia, ça arrive plou vite qu’on lé croit ! »
«  Tres fois ! » fit Domingo en indiquant le chiffre trois de ses doigts. Il avait suivit l’échange à l’aide de son pear.
« Mainténant cé fini ! Plou dé mariage ! Les hommes, OUI, mé la bague , NON ! » expliqua Magda en riant.


Le spectacle de cette femme alcoolisée n’avait rien de plaisant et à  choisir, Virgil préférait composer avec Sasha -qui, au moins,  ne cherchait pas à le décrédibiliser- plutôt qu’avec Magdalena qui anéantissait en une phrase tous leurs efforts pour incarner une institution sérieuse.
Virgil échangea un bref regard avec sa partenaire d’infortune  et constata que, pour une fois, ils semblaient sur la même longueur d’onde. Ils devaient se débarrasser du duo aussi maléfique qu’hispanique.

Sasha tenta de faire partir Domingo mais contre toute attente ce fut Ivana qui les rejoignit.

"Vladimir n'est pas avec vous ? » essaya-t-elle une nouvelle fois.
« Non il a dû rester à l'hôtel, il ne se sentait pas très bien."  Répondit la russe dans son anglais impeccable.
« C’est regrettable  qu’il rate cette soirée, releva Virgil, pour ne pas dire étrange d’ailleurs, les échanges y sont fructueux. »

Il sentit le regard de Sasha posé sur son profil mais il l’ignora pour ne pas attirer l’attention d’Ivana. A la place,  il accorda un bref sourire à Dorothy qui le lui rendit.
Le chercheur soviétique avait eu un comportement bizarre lors de la visite tant il semblait plus intéressé par le système de sécurité Vargas que par les protocoles de réhabilitation.  Cela n’avait pas échappé aux deux jeunes gens…

« ¡Mais qué Calor ! » s’exclama alors Magdalena. Elle porta une main sur son décolleté  et fouilla dans son sac à main pour en sortir un éventail de poche.  « ¡Vous ne tRRouvez pas qu’il fé tré chaud ? ! » demanda-t-elle en s’éventant.

Virgil secoua négativement la tête.

« ¡ Es la menopausia !» s’esclaffa Domingo en attrapant les épaules de son amie pour la secouer un peu. Il était hilare mais Magda était blême. Elle souffla vers le haut pour décoller sa frange brune de son front luisant et parcourut l’assistance d’un regard hagard.

« Magda, tu vas bien  ? » s’inquiéta Ivana en se penchant vers la tisseuse.
« Oui, oui, répondit-elle avec un léger sourire. Elle cherchait clairement à faire bonne figure, Cé youste une coup dé chaud ! »  Elle prit de profondes inspirations et tendit le bras devant elle pour refermer ses ongles manucurés de rouge sur le bras de Sasha,  Tou veu bien m’accompagner yousqu’aux toilettes mi quérida ? Yé né mé sens pas très bien… »
Elle fit un pas en avant et trébucha contre Virgil qui n’eut pas d’autre choix que de la soutenir. Il l’aurait volontiers laissé choir au sol pour lui remettre les idées en place mais il en allait de son image.
« Olala ! Yé soui désolé ! yé taché ta veste avec dou champagne. »
« Ce n’est pas grave. » Une veste Antonio Cardamone à 30 galions, putain d’bordel. «  Je crois que je vais les accompagner, c’est plus sûr. » dit-il à contrecœur en reportant son attention sur les membres de leur petit groupe. Si ça n’avait été que de lui, il aurait laissé Magdalena seule dans son vomi mais les deux jeunes gens escortèrent leur collègue jusqu’aux toilettes sous le regard curieux de quelques convives. Virgil poussa la porte de l’épaule et il accompagna Magda jusqu’à une cabine dans laquelle elle s’enferma à double tour, les laissant seuls devant les lavabos en marbre blanc.

«  Putain ma veste… » Marmonna Virgil  en tirant sur le tissu pour observer l’ampleur des dégâts. Il se retourna pour mirer son reflet dans les miroirs sertis de dorure et posa sa propre coupe sur la pierre froide. L’éclairage faisait ressortir ses cernes violacées et sa peau pale mais il ne regardait que la longue auréole sur son veston. Sheba Twilfit lui avait déconseillé d’utiliser de simples sortilèges de  nettoyage sur cette pièce unique. Il devait se tourner vers un professionnel pour la laver aussi décida-t-il de l’ôter pour la remiser au vestiaire dès qu’il sortirait d’ici. Tout en la retirant il chercha le reflet de Sasha dans le miroir.

« J’apprécierai que tu ne t’incrustes pas dans tous les projets que je monte. » Il déposa le haut de son costume sur son avant bras et ajusta de sa main libre le col de sa chemise.  «  Et que tu démentes quand Dorothy pense qu’on est marié. »
Une fois satisfait de l’image qu’il renvoyait, il se tourna vers elle et désigna la porte des toilettes où s’était enfermée Magdalena.
« Elle est complètement pétée. » articula-t-il d’une voix inaudible. «  Ca va Magda ? » reprit-d’une voix forte cette fois à l’attention de l’espagnole.
« Non. Souffla la Tisseuse de mémoire depuis sa cabine, yé crois qu’on a mit quélqué chose dans mon verre. »
« Oui ça s’appelle du champagne Magda ! » claironna Virgil de manière méchamment ironique.
« Non, yé veux dire… autre chose. »

Virgil réajustait le col de sa chemise tandis que Sasha essayait de garder contact avec une Magdalena complètement alcoolisée.  De toute évidence, son apprentie tentait  de marquer des points auprès de la chef des Tisseurs en se montrant bienveillante et soucieuse de son état de santé. Si Serpentard.

Malgré sa grande expérience dans la gestion des personnes bourrées – coucou la PPP- Virgil comptait bien les planter toutes les deux ici. Ce soir, il avait autre chose à faire que de tenir les cheveux de Magdalena quand elle se mettrait à vomir au dessus de la cuvette des toilettes… Il n’allait pas rater les meilleures opportunités de sa vie pour elle !

"Pourquoi quelqu'un ferait ça ?  Vous voulez qu'on appelle un médicomage ?  Magda ?"

Et pourtant. A la troisième question de Sasha sans réponse,  Virgil quitta des yeux son reflet dans le miroir pour observer  la porte close de la cabine située dans son dos. Sasha martelait le battant de plusieurs coups. Elle semblait inquiète si bien qu’elle se tourna vers lui pour lui demander de déverrouiller la porte de la cabine. Le jeune homme jeta un coup d’œil en direction de  la sortie – c’était tellement tentant – mais il se ravisa et sortit sa baguette dans un soupir. Dans un cliquetis métallique, la porte s’ouvrit sur une Magdalena en piteux état. En l’espace de quelques minutes à peine, son teint avait pris une couleur  jaunâtre et elle était agitée de spasmes et de tremblements.
Sasha s’accroupit à côté d’elle et Virgil s’approcha dans l’embrasure de la porte, gagné lui aussi par une légère inquiétude devant l’état de santé de sa collègue. Cela ressemblait plus à une crise ou à une overdose qu’à un coma éthylique.  Magda luttait pour leur parler mais ses propos devenaient de plus en plus  incohérents. Elle voulait son sac.

Virgil parcourut les toilettes du regard à la recherche du sac coloré de la tisseuse, en vain.
« Vous avez un traitement à l’intérieur pour soigner ce genre de crise ? » demanda le jeune homme sans s’autoriser à émettre une autre hypothèse : Celle ou Magda semblait accuser quelqu’un de l’avoir empoisonnée. C’était tout bonnement impossible. On ne voyait ce genre de scénario que dans les films moldus et les mauvais romans de Mildred Magpie.
 Il chassa cette idée de son esprit mais son inquiétude monta d’un cran lorsque la tisseuse perdit complètement conscience et que sa tête retomba lourdement sur sa poitrine. A son tour il s’accroupit à côté d’elle pour lui donner des petites tapes sur la joue. Il entrouvrit ses paupières entre son pouce et son index et ne vit qu’un globe oculaire blanc.

Ok. Il devait prendre les choses en main.

«  Il faut l’allonger sur le côté. » souffla-t-il en attrapant les chevilles de Magdalena pour la tirer à l’extérieur de la cabine. Les campagnes de prévention contre les conduites additives et les formations de premiers secours auxquelles son père l’avait inscrit s’avéraient finalement assez utiles.
«  Tu sais si elle a pris autre chose que du champagne ? Genre de la Volubilis ou de la TNB ? »
Virgil le savait de Seth, les tisseurs de mémoire comptaient plusieurs consommateurs de drogue dure dans ses rangs mais il ne lui semblait pas que Magda en faisait partie. Peut-être fumait-elle un joint de mandragore de temps en temps mais rien qui puisse la mettre dans des états pareils.
«  Tu peux appeler les secours ? demanda-t-il en relevant les yeux sur Sasha, je vais chercher Tobias. »
Il se redressa et quitta sans attendre les toilettes pour déboucher dans le hall du grand restaurant. Il s’apprêtait à bifurquer en direction de la salle de réception lorsqu’il vit deux silhouettes bien connues un peu plus loin, vers les escaliers monumentaux qui desservaient l’étage inférieur et la sortie. Ivana et… Vladimir. Ce dernier attrapa  quelque chose des mains de sa collègue et descendit les escaliers sans demander son reste.

N’était-il pas sensé être cloitré à l’hôtel pour cause de maladie ?

Ivana se pencha au dessus de la balustrade pour le regarder s’éloigner avant de revenir sur ses pas.
«Oh Virgil, s’étonna-t-elle en le voyant dans son dos, je vous cherchais. » Elle fit quelques pas vers lui mais il avait toujours les yeux rivés sur les escaliers où le soviétique venait de disparaitre
«   C’était Vladimir ? » demanda-t-il  en s’efforçant de ne pas paraitre trop soupçonneux.
« Oui. Il ne trouvait pas un apothicaire ouvert à cette heure ci ! Il est venu récupérer ma potion contre les migraines – il sait que j’y suis sujette-  il va rentrer tranquillement  à l’hôtel se soigner pour être en forme demain… » Virgil ne dit rien. «  Tenez, reprit la russe en tendant entre eux un sac rouge brodé de dentelles noires, Magdalena l’a fait tombé en trébuchant tout à l’heure. Comment va-t-elle ? »
Virgil attrapa le sac.
«  Ca va, répondit-il, elle a besoin de se reprendre. » Il ne savait pas pourquoi il mentait mais il avait l’intuition qu’il devait le faire.
«  Viril ! » Domingo, Preston et Dorothy débouchèrent dans le hall, visiblement inquiets.
¿Dónde está Magdalena? ¿Cómo está? » Les propos de Domingo furent immédiatement traduits par son Pear.
« Elle est avec Sasha. Je crois qu’elle a un peu trop bu. » Ou peut-être qu’il s’agissait d’autre chose, songea Virgil en s’efforçant de ne pas croiser le regard d’Ivana qui le scrutait. Il n’allait pas commencer à jeter le trouble sur le congrès international, ni à affoler tout le monde. «  Domingo, connaissez-vous un membre de la famille de Magda qui pourrait venir la raccompagner chez elle ? » enfin, plutôt suivre l’ambulance jusqu’à Sainte Mangouste ?
L’espagnol grisonnant réfléchit un instant. « Si. Son grand fils, Elio ou sa fille Penelope. Je peux essayer de les appeler si vous voulez.
« Ce serait parfait. » Le chercheur ibérique s’éloigna son Pear en main. « Et vous Dorothy, pouvez-vous demander à Tobias Stern de nous rejoindre dans les sanitaires ? » Virgil voulait s’entretenir avec Sasha à propos de la présence de Vladimir avant d’être confronté à Tobias. Il avait l’impression que cette information était importante au regard du comportement du soviétique lors de la visite. Il avait semblé étrangement intéressé par tout le système de protection de Skye plutôt que par les opérations qui y étaient menées.

«  Oui, bien sûr, évidemment. »Dorothy croisa le regard de Preston, « nous allons le chercher. »
Virgil les remercia d’un bref sourire mécanique avant de retrouver Sasha dans les toilettes des dames.
«  Tobias arrive, dit-il en venant s’accroupir à côté de son apprentie. Magda n’avait toujours pas retrouvé connaissance. Et j’ai trouvé ça. Il tendit le sac entre eux et le retourna pour renverser son contenu au sol à la recherche d’un flacon de potion ou de quoique ce soit d’autre pouvant s’apparenter à des médicaments. Un tube de rouge à lèvre carmin roula un peu plus loin tandis qu’il parcourait le contenu du regard. C’est Ivana qui l’avait. Finit-il par dire après quelques secondes de silence. Je l’ai vue avec Vladimir quand je suis sorti. Elle lui donnait quelque chose. Une potion anti-migraine, soi-disant. Il est reparti tout de suite.»

Il se refusait à formuler à haute voix une hypothèse conspirationniste mais il savait que Sasha avait eu une impression mitigée elle aussi. Comme lui, elle avait été étonnée que Vladimir ne soit pas là ce soir, et comme lui, elle avait trouvé ses questions étranges lors de la visite.

Virgil releva les yeux vers elle, attendant de voir si elle se risquait à verbaliser tout haut  ce qu’il pensait tout bas…

"Son badge, Il manque son badge de Skye. » fit remarquer Sasha après avoir étudié le contenu du sac éparpillé au sol.

« Peut-être qu’elle l’a laissé chez elle. Suggéra Virgil en chassant les mouchoirs usagés de Magda de la pointe de sa baguette, une moue passablement dégoutée imprimée sur son visage. Pour sa part, il n’emmenait jamais son badge en soirée et il préférait le laisser à l’appartement, en lieu sûr, plutôt que de prendre le risque de le perdre. Pourtant Sasha lui assurait que Magdalena l’avait toujours sur elle, en toute circonstance. Au travail, certes, mais peut-être pas ici !
« Tu penses que quelqu'un aurait pu lui prendre ?" ajouta-t-elle en cherchant son regard. Etrangement, il savait exactement à qui elle pensait. Il laissa passer quelques secondes de silence avant de reporter son attention sur le corps de Magdalena.
« J’en sais rien. »

Enfin quoi. Il n’allait pas accuser un chercheur russe d’espionnage industriel… Cela ne tenait pas debout. Magdalena avait juste un peu trop abusée sur l’alcool même si ses derniers mots laissaient suggérer un tout autre scénario.

Virgil était tout à ses pensées lorsque la porte des toilettes s’ouvrit sur un Tobias soucieux. Le jeune homme se redressa de toute sa hauteur et s’effaça pour laisser sa place au chef des traqueurs qui vint s’accroupir au chevet de sa collègue pour prendre son pouls. Sasha livra  un résumé de la situation tandis que  Virgil réfléchissait à toute vitesse en essayant d’y voir plus clair.
Ce congrès international était organisé avec des pays alliés, certes, mais les agents de Skye avaient tous reçu une brève formation  sur l’importance de bien encadrer les participants. Ils ne devaient jamais les laisser seuls et ne dire que le strict minimum concernant certaines procédures.
Si la direction de Skye avait jugé bon de les inviter à la prudence, c’était surement parce qu’il existait un risque de fuite de données sensibles…

« Et son badge a disparu. » révéla  soudainement Sasha. Virgil et Tobias tiquèrent.
« Ouai, enfin on ne sait pas si elle l’avait sur elle ce soir. Il est juste pas dans son sac. » Tempéra Virgil en observant son apprentie. D’où elle balançait ce genre de donnés sans les avoir vérifiées ?  Ces sous entendus pouvaient vite déboucher sur une crise diplomatique.

- Est-ce que vous avez repéré quoi que ce soit d'anormal ?"

Cette fois, Sasha ne se mouilla pas. Elle releva la tête vers Virgil et fut immédiatement imité par Tobias qui semblait assez impatient d’avoir son avis. Merci pour la patate chaude Benson. S’il incriminait un partenaire privilégié sans preuve à l’appui, il était bon pour se griller. Et s’il ne révélait pas l’intuition qu’il avait eue au sujet de Vladimir et qu’elle se révélait fondée, on l’accuserait d’avoir été négligeant.

«  Anormal, non, commença-t-il en cherchant le meilleur angle de présentation, mais disons que le comportement d’un partenaire m’a semblé un peu étrange. Il s’est beaucoup intéressé à la sécurité du site cet après-midi.  Il ne devait pas être présent ce soir mais je l’ai vu brièvement, tout à l’heure, juste après que Magda ait perdu connaissance. Ce n’est peut-être qu’un concours de circonstances mais…»
« Qui ? » le coupa Stern.
Virgil laissa passer un silence.
« Tourgueniev. »
« Vladimir ? Impossible. » Répondit Tobias d’un ton sans appel. Il reporta son attention sur la Tisseuse toujours inconsciente et Virgil chercha brièvement le regard de Sasha. Pour le coup, il lui en voulait un peu d’avoir balancé cette histoire de badge. «  Le partenariat avec les russes est très bien engagé. Ils n’ont aucune raison d’agir comme telle. »

Virgil ne répondit rien et s’appuya sur le linéaire en marbre dans son dos. Très bien, puisque les russes n’avaient aucune raison de se livrer à une quelconque forme d’espionnage il n’avait plus qu’à rejoindre la salle de réception plutôt que de trainer dans les toilettes des dames, songea-t-il passablement agacé.
« Tu vas passer à Skye. » décida soudainement Stern après un long moment de reflexion.  Il ne le regardait pas et scrutait le visage jaunâtre de sa collègue inconsciente.
« Comment ça ? » souffla Virgil. Son regard passa du crâne dégarni de Tobias au visage de Sasha.  Il avait peur de comprendre, Maintenant ? »
Maintenant tout de suite ? Alors qu’il était sensé retrouver Dorothy et parler de leur future collaboration ? Tobias se fichait de lui !
« Oui, je veux être sûr de ne rien laisser au hasard. Tu fais un saut, tu t’assures que tout va bien et tu reviens. Tu en as pour 5 minutes à peine.  Je vais prévenir l’équipe de sécurité de ta venue et leur demander d’être vigilants.  Tobias sortit son Pear pour envoyer un message.  « Je ne tiens pas à faire intervenir la PM sans fondement. » dit-il en pianotant avant d’ajouter «  Sasha tu l’accompagnes.  Je reste avec Magdalena. Allez-y. »

Il était sérieux. Il voulait vraiment qu’ils aillent vérifier si un putain d’espion russe rodait dans les couloirs du Centre de Réhabilitation ?

« Plus vite vous y serez, plus vite vous reviendrez. »

Virgil ne chercha même pas à cacher son agacement. Il  attrapa sa veste d’un geste brusque et quitta les toilettes sans demander son reste. Il en avait plus qu’assez de se faire traiter comme un larbin par Tobias. Il traversa le hall et rejoignit l’escalier monumental en direction de la sortie tout en fulminant.

« T’avais vraiment besoin de parler de cette histoire de badge ? S’énerva-t-il contre Sasha en descendant les marches rapidement, on ne sait même pas si elle l’avait sur elle ce soir ! » Pesta-t-il.
Il passa devant le vestiaire sans récupérer son manteau et déboucha dans la rue animée pour s’arrêter sur le perron de l’établissement. Il fit un geste impatient de la main pour inviter Sasha à attraper la sienne.
« A moins que tu préfères attendre le Magicobus ? » dit-il de méchante humeur. Pour sa part, il préférait transplaner fissa.
Les deux jeunes gens s’évaporèrent dans un « pop » et apparurent quelques instants plus tard au sommet de la falaise de Skye, sous une pluie torrentielle. L’eau froide glaça Virgil en quelques secondes à peine.
« Génial. » maugréa-t-il en faisant un pas dans la boue en direction de la lumière vacillante du phare…

Sasha et Virgil hâtèrent le pas pour rejoindre le PC sécurité situé en contrebas de l’entrée principale. Ils s’abritèrent quelques instants sous une corniche tandis que Sasha appelait l’employée de surveillance par la petite ouverture. Virgil avait mi ses mains en casquette sur la vitre pour observer à l’intérieur  mais l’endroit semblait parfaitement désert. Les deux agents de la PM devaient être en pleine ronde dans les étages. Soit.

De toute manière, le PC sécurité était prévenu de leur bref passage.  Sasha et lui pouvaient très bien rentrer et s’assurer que tout était ok avant de regagner la soirée rapidement. D’un regard ils décidèrent de remonter en direction de l’entrée principale. Sasha sortit son badge – heureusement qu’elle l’avait- et ils pénétrèrent dans le hall sans délai. La porte se referma derrière eux et le  bruit de la pluie cessa, étouffé par les murs épais du centre. L’ambiance était bien différente qu’en journée  mais pas vraiment nouvelle pour Virgil. Il avait déjà eu l’occasion de voir Skye endormi de la sorte certains soirs où il était resté  travailler un peu plus tard, après les horaires d’ouverture au public. En  générale, il aimait cette ambiance silencieuse et sombre mais ce soir il avait du mal à décolérer et à apprécier pleinement la quiétude des lieux.

Il sortit sa baguette et retint un claquement de langue agacé devant ces chaussures qu’il devinait couvertes de boue. Décidément, après la veste ruinée par Magda, les chaussures par Tobias !  Le traqueur renonça à un nettoyage en règle - cela ne servait à rien, il allait de nouveau les salir et se mouiller en sortant pour rejoindre la zone de transplanage-  et il releva  finalement les yeux en direction de  Sasha. Dans la pénombre,  il ne discernait que sa fine silhouette moulée dans sa robe. Elle se détachait en ombre chinoise sur les lumières bleutées des sorties de secours.  Il observa la scène quelques secondes avant que la jeune femme ne brise le silence.

"Par où on commence ?"   Les sons aussi étaient différents la nuit. Pas de musique douce comme en journée pour couvrir le léger écho du hall.
 
« Le bas et on remonte ? Etage par étage. » suggéra Virgil  en la suivant en direction des ascenseurs. Les bruits de leurs pas se réverbéraient contre les murs et les yeux du jeune homme commençaient à s’habituer à l’obscurité. Il appela l’ascenseur et on entendit la machinerie se mettre en branle dans les étages inférieurs. Un signal lumineux les éclairait par intermittence.

«  Si Tobias estime que Valdimir est blanc de tout soupçon, pourquoi est-ce qu’il nous envoie vérifier ? »   Souffla-t-il dans le noir en attendant l’ouverture des portes. Ils durent attendre encore de longues secondes pour qu’elles s’écartent  devant eux. Le traqueur fronça les yeux, ébloui par l’éclairage blanc et puissant de la cabine. Il pénétra dans l’habitacle et fit face à  Sasha avant de laisser échapper un léger rire moqueur en la voyant à la lumière. Elle avait des traces de boue sur les jambes et ses cheveux dégoulinaient littéralement sur ses épaules et son décolleté.  Objectivement, c’était sexy, mais Virgil ne tenait pas à l’admettre.

« Dire que je vais pouvoir me sécher et me nettoyer d’un sortilège et que toi tu vas devoir repasser chez toi pour te refaire une beauté avant de revenir à la soirée… C’est dur la vie. »

Il arborait un léger sourire narquois mais le cœur n’y était pas vraiment tant il était  conscient d’être dans le même cas de figure que la jeune femme présentement : Surement en train de rater les meilleures opportunités de sa vie professionnelle.
L’habitacle s’ouvrit finalement sur l’étage du bas, la cafétéria, sombre et  déserte. Virgil fit quelques pas à l’extérieur et convoqua un lumos pour éclairer la pièce et les profondeurs sous marines. Un ban de poissons argentés s’éloigna rapidement de la large baie vitrée.

« Mark ? Elizabeth ? Il y a quelqu’un ? »

Sa voie brisa le silence. Aucune réponse. Il fit quelques pas pour contourner le comptoir du self et s’en alla vérifier l’amphithéâtre qui avait accueilli le colloque de l’après-midi. Personne.  Pas d’âme qui vive.

Il s’était sans doute trompé. Le pauvre Vladimir avait juste un atroce mal de tête et il était surement calé bien au chaud dans son lit, à l’hôtel.  Au fond, rien n’accusait le russe, si ce n’est les propos quelque peu incohérents de Magda. Et encore.

Il retourna finalement à proximité de Sasha en se demandant sincèrement ce qu’il faisait là.

«  Tu en as pensé quoi de Vladimir ?  Franchement. » S’enquit-il alors. " Tu penses qu'il aurait pu récupérer le badge avec la complicité d'Ivanna?"

Virgil hocha la tête comme pour approuver le point de vue de Sasha. A bien y réfléchir ce scénario d’espionnage industriel semblait improbable. Cela n’arrivait pas dans la « vraie vie ». En laissant sous entendre qu’elle avait été empoisonnée, Magda avait sans doute juste cherché à se prémunir d’éventuelles remontrances pour s’être complètement alcoolisée lors d’un diner de travail. Il n’y avait au fond pas d’autres explications possibles.

"Et toi, t'en penses quoi ?"
« J’sais pas. Souffla Virgil en montant dans l’ascenseur, soit on est complètement parano et on est là comme deux cons à faire le tour de Skye pendant que tout le monde prend du bon temps. Soit on a eu du flair et nous sommes sur le point de confondre un espion russe. Il laissa échapper un bref rire désabusé à cette idée, Dans les deux cas on est baisé. »

Cette histoire d’espionnage ne tenait pas debout, tentait-il de se convaincre.  Pourtant, tout le monde savait que la politique de Marchebank crispait quelques états à l’international – coucou la France- et Virgil avait  parfaitement conscience du fait que le Centre de Réhabilitation était loin de faire l’unanimité dans le monde. L’autorisation à la manipulation mentale – même consentie-  était débattue âprement au sein de plusieurs pays. Les questions éthiques avaient d’ailleurs été au cœur de la conférence de l’après-midi et même des discussions informelles du soir. Le Centre de Skye était dans le viseur de bon nombre de détracteurs mais Virgil peinait à croire qu’il puisse se retrouver mêler à d’un tel conflit qui ne concernait que  les hautes sphères du gouvernement et certainement  pas un simple traqueur de conscience et son apprentie.

Les portes de l’habitacle s’ouvrirent sur l’étage suivant  et Sasha laissa échapper une exclamation devant le spectacle mystique offert par les archives mémorielles. Virgil n’avait jamais visité ce lieu de nuit plongé dans la pénombre et il resta quelques secondes subjugué par la beauté du spectacle lui aussi.  Des centaines et des centaines de souvenirs luisaient sur les étagères, comme des veilleuses. Sasha fit quelques pas en direction d’une allée et Virgil l’imita.
Depuis son premier jour  à Skye il avait été subjugué par cet endroit : Un véritable trésor d’information exposé sous ses yeux.  Tous ces souvenirs classés chronologiquement formaient une base de donnée spectaculaire sur la vie et les traumatismes des britanniques mais à chaque fois qu’il venait ici, il était toujours guidé vers le même emplacement, vers la même fiole de souvenir, sans trop savoir pourquoi.

«  1er juin 2010, Montgomery Curtis. » Il observa le filament ondulant dans son tube.
Il ne pouvait pas en être sûr mais il était quasiment persuadé que Curtis n’avait jamais donné son accord pour une réhabilitation. Son camarade avait été embarqué par la Milice ce fameux 1er juin. Coleman en personne était venue le cueillir aux Trois Balais.  Montgomery était réapparu en cours quelques jours plus tard littéralement  transformé. Finies les idées révolutionnaires, l’envie de faire tomber le gouvernement : Le nouveau Curtis n’avait plus rien à voir avec le jeune homme qu’il était avant son interpellation. C’était comme si il avait été …lobotomisé.

Virgil l’avait cherché dans la base de patients mais il ne l’avait pas trouvé pourtant un souvenir de lui existait bel et bien dans les archives mémorielles.  Virgil attrapa la fiole en question. Il était persuadé que Curtis était passé par le quartier Haute Sécurité de Skye spécialisé dans la gestion des criminels. Le traqueur n’avait pas d’accréditation pour se rendre dans cette partie là du centre de réhabilitation mais il rêvait d’en savoir plus sur les conditions de travail là bas. Peut-être que ce souvenir lui apporterait les informations qu’il recherchait. Il lui suffisait de glisser la fiole dans sa veste et de visionner la réminiscence  tranquillement chez lui. Personne ne saurait…
Il hésita un instant, s’assura que Sasha ne le regardait pas  depuis l’autre allée. Il s’apprêtait à glisser le souvenir dans sa poche lorsqu’ un bruit déchira le silence et le fit sursauter. Le son venait du fond de la pièce qui était plongée dans l’obscurité. Virgil  tourna la tête en direction de son apprentie. Ils étaient séparés par un rayonnage mais une chose était sûr,  elle avait entendu elle aussi.

S’agissait-il de Mark et Elizabeth ? Virgil resserra sa poigne autour de sa baguette avant de se signaler.  

« Hé. C’est nous. Sasha et Virgil, Il ne tenait pas à se prendre un sortilège en pleine tête si les deux agents de sécurité n’avaient pas consulté leur Pear ! Merci bien. Tobias nous a demandé de venir jeter un œil. Il vous a envoyé un message. »

Pas de réponse. La voix de Virgil se répercuta en echo sur les murs des archives.
Le jeune homme chercha de nouveau le regard de  Sasha entre les fioles. Quelque chose clochait et sa petite voix intérieure lui conseillait de dégarpir tout de suite mais qu’allait-il dire à Tobias ?

« J’ai entendu du bruit, j’ai eu peur, je suis parti ? »Cette explication n’était tout bonnement  pas entendable.

Les sens aux aguets, Virgil avança donc lentement dans son allée. Stern lui avait demandé d’aller vérifier si tout allait bien, il n’allait pas détaler au moindre bruit suspect. Il progressait de mètre en mètre avec  la désagréable impression de se sentir observé.  Son esprit lui jouait des tours. Il avait regardé trop de film d’horreur. Il allait juste tomber sur Mark et Elizabeth en plein batifolage, voila tout mais un éclat de lumière au sol le fit se stopper net. Des bris de verre. Il avança d’un pas et éclaira la zone d’un lumos.

Le visage blanc de Magdalena surgit de la pénombre tel un spectre. Virgil eut un mouvement de recul tandis qu’elle levait la main en signe d’apaisement.

« Cé né rien, yé lé youste échappée. »

Son maquillage était grossier et sa mise bien moins soignée qu’à l’accoutumé. Son rouge à lèvres avait même un peu bavé et ses yeux sombres brillaient d’une lueur inconnue. Elle était inconsciente quelques minutes plus tôt et maintenant, elle était là. Impossible. Ce ne pouvait pas être Magda, songea Virgil avant que son cerveau n’admette l’impensable, trop tard : Ce n’était pas Magda.