CÉ LOUI [Sasha & Virgil]

07 septembre 2011
Virgil réajusta le col de sa chemise immaculée et passa ses deux mains dans ses cheveux propres. Le miroir lui renvoyait l’image de l’homme qu’il voulait incarner aujourd’hui :  Un jeune loup plein d’ambition et de talent.

Il s’apprêtait à vivre  une grande journée. De celle qu’on ne doit pas rater dans une carrière. Le congrès international de Magie de l’Esprit  allait se tenir en Angleterre et il était organisé sous la houlette du centre de réhabilitation mémorielle. Des sorciers et sorcières du monde entier allaient se retrouver  à Skye pour ce colloque prévu sur trois jours. Toute la fine fleur de la Magie de l’Esprit mondiale regroupée dans un seul et même lieu. D’après les retours d’invitation, ils étaient nombreux à être  impatients de visiter le centre,  ce lieu aussi symbolique que controversé. Si les américains arrivaient en délégation, près d’une dizaine de sorciers et sorcières, la France avait décidé de boycotter l’événement cette année en signe de désaccord avec la politique et les institutions de  Marchebank. Mais les italiens seraient là, les polonais, les  sénégalais, les chinois et aussi les russes avec lesquels Tobias travaillaient étroitement à l’ouverture d’un centre similaire à Skye non loin de Mourmansk.

Virgil était pressé d’échanger avec tous ces sorciers étrangers. Chaque culture convoquait la magie différemment et il brûlait d’envie  d’en apprendre davantage sur les coutumes des uns et des autres. Quels sortilèges de manipulations mentales utilisaient-ils ? Travaillaient plutôt avec des baguettes ? Des runes ? Il avait entendu dire que certains chamanes africains  pratiquaient la magie de l’esprit  avec de simples incantations chantées qui envoutaient n’importe quelle psyché.
Une table ronde était organisée dès le lendemain autour de ces questions. Aujourd’hui, les employés de Skye accueillaient les délégations  et faisaient visiter leur merveilleux centre avant que tout ce beau monde rejoigne Leopoldgrad en soirée pour une réception privée organisée par le Ministère.
Il s’agissait là d’une belle opportunité pour croiser les pratiques et qui sait, peut-être trouver de nouveaux collaborateurs ou employeurs.   Virgil ne se sentait pas enchainer à Skye. Il devait beaucoup à Tobias Stern qui lui avait fait confiance, il en avait conscience,  mais il se sentait près à parcourir le monde pour accroitre ses connaissances et ses compétences… Et s’il pouvait, par la même occasion rejoindre des pays avec une politique plus permissive, il ne bouderait pas son plaisir. Rien ne le retenait vraiment en Angleterre, il était jeune, et il se sentait prêt à saisir toutes les opportunités.

Il était quasiment prêt pour cette rencontre au sommet mais il lui restait toutefois  à régler un dernier détail avant de transplaner. Le jeune homme rejoignit son salon sobrement décoré. Il s’installa quelques instants dans son canapé en cuir et sortit de la poche intérieure de son costume un sachet de Volubilis. Il traça un rail fin sur le verre fumé de la table basse et sniffa la poudre d’une inspiration. La drogue fit immédiatement effet. Il se sentait plus stimulé, plus performant, comme une version augmenté de lui-même.
Maintenant il était prêt.




Le vent écossais transperça immédiatement ses vêtements  quand il déboucha sur la falaise non loin du centre de réhabilitation. Il ferma un bouton de sa veste de costume –costume sur mesure griffée T&T- et avança prestement en direction de l’entrée du phare.
-VIRRÍL !
Une tornade rouge venait de l’interpeler. Magdalena Pillar Lourdes de Vasconcellos avançait dans sa direction. Les pans de sa robe et de son châle tourbillonnaient tout autour d’elle. Ses nombreux bracelets et colliers tintaient dans le vent autant qu’un capteur de rêve.
« Bonjour Magda. »
«  Dios mío, ¡qué día! »  lança-t-elle en arrivant à sa hauteur littéralement perdue au milieu des froufrous de sa tenue ¡ Yé vé m’envoler comme oune vivé doré! » D’autorité elle agrippa le bras de Virgil pour  se faire accompagner jusqu’à l’entrée. Il faut dire que ses talons hauts rouges vernis n’étaient pas les chaussures les plus adaptées pour traverser la lande écossaise.
« Yé souis muy impatiente dé rétrouver mis amigos español ! Yé fé mes études avec Domingo Sanchez tou sé – cété oune bon ami – expliqua Magadela, le regard dans le lointain, auyourd’hui il  é director del Instituto Español de Magia. Yé né lé pas vu dépuis… plou dé vingt cinq ans ! Les lèvres carmin de Magda s’étirèrent en un sourire nostalgique  ¡Veinticinco años… ¡Que pase el tiempo! Dit-elle pour elle-même en réajustant sa coiffure. Elle avait refait sa couleur ébène la veille et accordé un soin tout particulier à son maquillage flamboyant. «Garance, mi guapa ! Tu é souperbe ! »
Ils venaient d’entrer dans le hall où les agents d’accueil attendaient les membres des délégations. Garance et Niall étaient secondés par une ribambelle d’hôtes et d’hôtesses du ministère, tous tirés à quatre épingles. « ¡Niall cé costoume té va trééé bien ! Tou es magnifico ! ¡Que guapo !!! » Magda avait toujours eu un faible pour les hommes aux origines ibériques. Sans un mot, Niall et Virgil échangèrent un regard qui en disait long. Les deux agents d’accueil bavardèrent avec l’espagnole avant que cette dernière ne se tourne vers Virgil.
« Yé descends dans la salle dé récépción ! ViRRil, tou m’accompagnes ?»
«  Je te rejoins Magda. » Les parfums foraux de la directrice des Tisseurs de Mémoire écœuraient toujours Virgil et il n’avait pas envie de se retrouver dans l’ascenseur avec elle et prendre le risque d’être nauséeux toute la journée.
Magdalena s’éloigna et s’arrêta un peu plus loin près de Tobias Stern qui donnait quelques recommandations à un groupe d’hôtesse tandis que Meredith Kane s’entretenait avec une personne chargée des réceptions  ministérielles. L’ambiance était encore à la préparation, au réglage des derniers détails.
«  J’adore toute cette effervescence ! » souffla Garance. « Ca nous change des patients déprimés… » Le centre était fermé exceptionnellement pendant trois jours. «  On accueille la première délégation dans moins d’une heure. »
«  Oui, les australiens, expliqua Niall,  C’est moi qui leur remets leur badge. Il leva celui d’une jeune sorcière blonde, dans la vingtaine, une certaine Kidmen Kimberly, et désigna sa photo de son index, intéressante n’est-ce pas ? »
Physiquement intéressante peut-être, mais ce qui préoccupait  davantage Virgil restait de loin  ses fonctions au sein de la délégation australienne  «  médicomage spécialisée dans les maladies mentales. » lut-il, Il releva les yeux vers Niall «  Très intéressant. » Il échangea un bref sourire avec lui juste avant que Tobias ne l’interpelle.
« Ah Virgil. Je voulais te voir. Est-ce que tu peux m’accorder un moment ? » Tobias Stern semblait un peu préoccupé.
« Oui bien sûr, il salua ses amis d’un bref signe de tête et suivit Tobias à l’écart, un souci avec une délégation ? »
« Non. Descendons dans mon bureau si tu veux bien. »
Virgil fronça imperceptiblement les sourcils. Il s’engouffra dans l’ascenseur avec son ancien tuteur et il attendit qu’ils soient seuls tous les deux dans l’habitacle  pour relancer la conversation.
« Que se passe-t-il ? »
« C’est au sujet de Sasha Benson. »
« Benson ? »
Virgil se tût. Il avait rédigé son rapport quelques semaines plus tôt en s’efforçant d’être le plus crédible possible dans ses annotations. Il avait dit que Sasha était une jeune femme  volontaire  et motivée– évidemment, elle avait fait le tour des services et fait l’unanimité auprès des collègues, il ne pouvait pas dire le contraire- mais que la motivation ne suffisait malheureusement pas. Son profil ne correspondait tout simplement pas à celui d’un spécialiste en magie de l’esprit. Il avait évoqué  « son émotivité handicapante », « son manque de distance vis-à-vis des problématiques des patients » et, surtout, « sa fragilité psychologique évidente ». « J’ai eu l’occasion de m’entrainer plus personnellement avec Miss Benson  et j’ai eu l’intuition que  sa motivation pour intégrer nos équipes est dictée  par une volonté de résoudre ses problèmes personnels. »
Il avait coché certains items plutôt positifs pour éviter d’attirer les soupçons  -Grande rigueur, bonne adaptation dans l’équipe - mais il avait pointé dans le même temps des  items rédhibitoires comme, sujette au stress, faible résistance nerveuse et manque de sang froid.

Il s’était relu, satisfait de sa prose puis il avait transmis son rapport à Tobias en lui signifiant son avis défavorable. Adieu Sasha ! S'il devait être honnête avec lui même il devait admettre qu'il avait pris un certain plaisir à la côtoyer. Elle était assez étonnante et parfois déroutante ( davantage encore depuis qu'il avait eu vent de la sextape). Au fond, il avait aimé l'étudier et  se mesurer à elle mais il ressentait encore plus de satisfaction à l’idée de lui barrer la route dans ses projets professionnels. Même si elle avait essayé de l’intimider,  cela ne fonctionnait pas avec lui, bien au contraire…et elle l’avait appris à ces dépend. Du moins, le pensait-il.

« Oui, ton ancienne stagiaire. » Les deux hommes débouchèrent à l’étage des traqueurs totalement vide en ce jour de colloque. Ils rejoignirent le bureau de Tobias – le plus grand et le plus éclairé de l’étage- et Stern attrapa un parchemin  pour le tendre à Virgil. Ce dernier reconnu immédiatement  le document. Il s’agissait du fameux rapport. Il releva les yeux vers Tobias et l’interrogea du regard.
« De nouvelles données sont venues compléter ton rapport  si bien que nous avons modifié l’avis final.»  Virgil tourna les pages pour arriver au dernier feuillet. Sous son avis défavorable on pouvait lire une annotation presque illisible qui  disait « En dépit de l’avis du tuteur de stage, Sasha Benson intégrera nos équipes en tant qu’apprenti traqueuse en partir de septembre.  » Le mot était suivit d’une signature que Virgil ne connaissait pas.
Il tendit la paperasse en direction de Tobias.
« C’est Meredith ? » demanda-t-il réellement contrarié.
« Non. Au dessus. »
Virgil laissa échapper un rire sans joie. Il jeta un regard désabusé en direction de la mer grise.
« Evidemment. Egalité. » Sasha ne lui avait-elle pas dit qu’elle le connaissait ? Tobias ne répondit rien. «  Pourquoi est-ce qu’on m’a demandé de la tutorer si tout le monde savait déjà qu’on allait la prendre ? » Virgil jeta le rapport sur le bureau de son chef. Ce geste d’humeur qu’il ne se serait pas permis habituellement trahissait son mécontentement.
« Rien n'était programmé à l'avance Virgil. » assura Tobias posément. « M. Egalité m’a simplement  assuré qu’il disposait d’informations complémentaires lui permettant de penser que Miss Benson pourrait faire une belle carrière chez nous. Elle a, d’après lui, des prédispositions. »
Virgil savait qu’il y avait du vrai dans cette remarque  mais il ne décolérait pas.  « Je ne me souviens pas avoir vu monsieur Egalité à Skye cet été.»  Releva –t-il avec désinvolture.
 Il s’agissait d’un simple passe-droit que Sasha avait obtenu on ne sait comment. Ils devaient appeler un chat, un chat et Virgil en voulait à Tobias de chercher à masquer cette réalité derrière de faux  arguments.  Il ne décolérait pas. Rien ne se passait comme il l’avait prévu. « Elle est inapte. »
« C’est ton avis en l’état actuel des choses et je le respecte. Mais comme tu l’as dit dans ton rapport, Sasha est très motivée. Ses enseignants à Poudlard disent qu’elle apprend vite, qu’elle fait preuve d’une grande maturité et Constantine pense qu’elle peut vraiment progresser et maitriser notre art sans se mettre en danger ni mettre en danger les autres. Et je dois avouer qu’il m’a convaincu. »
Mais bien sûr. Comment légitimer une odieuse faveur.
« Et pourquoi suis-je là au juste? De toute évidence je n’ai pas mon mot à dire. » Il avait l’impression de s’être fait rouler du début à la fin. Sasha avait-elle su, dès le début de son stage, que son apprentissage lui serait assuré ? Cette perspective le plongeait dans une profonde contrariété qu’il peinait grandement à refouler. Il avait eu l’impression d’avoir toutes les cartes en main. Il s’était cru le seul décideur, le maitre du jeu… et il s’était trompé.
« Nous pensons que tu peux l’aider. »
Virgil haussa les sourcils « Pardon ? »
« Oui, d’après ton rapport, vous avez réussi à nouer une relation privilégiée, il avait peur de comprendre où Tobias voulait en venir, si elle a parlé avec toi de ses problèmes c’est qu’elle te fait confiance non ? »
Virgil secoua la tête négativement. Il voyait le schéma se dessiner devant lui : il fonçait droit dans le mur qu’il avait érigé lui-même.
« On a tous notre lot de difficultés, reprit Tobias, – et Merlin seul sait combien l’existence de cette jeune fille a du être difficile- il avait en mémoire l’affaire Sorden,  mais cela ne doit pas être rédhibitoire pour accéder à un poste chez nous. Elle a besoin du soutien de collègues bienveillants qui vont l’aider à progresser et à acquérir toutes les compétences nécessaires à notre métier. »
« Non Tobias. Elle n’est pas faite pour le job. C’est écrit noir sur blanc là-dedans.   Virgil désigna le rapport d’un geste de la main. Tu ne peux pas me demander ça. »
« Je ne te le demande pas… Je te missionne, en tant que chef de service. Elle sera apprentie au sein de notre département et tu resteras son référent cette année. »

Virgil résista très difficilement à l’envie de l’envoyer balader. Ce cher Constantine Egalité avait pris une décision irrévocable. Il avait fait son caprice et Kane avait plié, Stern avait plié et maintenant… C’était à son tour de baisser son froc.  Il allait devoir se coltiner Sasha uniquement parce qu’un obscur directeur de département qui ne mettait quasiment  jamais ses pieds à Skye l’avait décidé. Merlin, il imaginait déjà le sourire victorieux de Sasha, son petit air supérieur et il détestait ça.

Il emmerdait Egalité, Stern et Benson. Qu’ils aillent tous se faire foutre.

« Nous avons conscience de la charge supplémentaire de travail que cela va représenter pour toi mais il faut que tu vois cette nouvelle mission comme une marque de confiance que nous t’accordons. Elle t’ouvrira assurément de nouvelles portes au sein de nos services. »

Virgil peinait à croire Tobias. Il lui faisait miroiter une promotion pour qu’il la ferme. Il pensait plutôt que les autres traqueurs s’étaient débarrassés de la petite apprentie et qu’on lui avait refilé le paquet. Toutefois, il ne verbalisa pas ces impressions, conscient que toutes les choses n’étaient pas bonnes à dire. Comme souvent lorsqu’il était vraiment contrarié Virgil préférait s’enfermer dans un silence mutique.

« Et souviens toi Virgil. Ton dossier était loin d’être parfait lorsque tu as postulé à Skye, Meredith ne voulait pas te prendre en apprentissage et pourtant j’ai misé sur toi. Je t’ai formé et regarde. » Tobias écarta les bras pour lui faire prendre conscience du chemin parcouru. Stern était habituellement avare en compliment mais ce brusque revirement  dans son comportement ne contenta pas Virgil. Pas du tout. Tout sonnait faux.  Il avait l’impression qu’on le prenait pour un cognard. Pour un gosse. Comme s’il allait se laisser attendrir par l’image du  passeur de savoirs qu’il devenait à son tour. Sourire et prendre les choses avec philosophie. C’était mal le connaitre.
« Elle commence quand ? »
Un silence passa.
« Elle est déjà en bas. »
Virgil accueillit la nouvelle sans changer d’expression.  Quoiqu’il dise, quoiqu’il fasse, Tobias avait pris sa décision : Lécher les boules d’Egalité.
« Tu voulais voir autre chose avec moi ? »
« Non, c’est bon,Stern attendit quelques instants avant d’ajouter,  tu peux y aller. »

Virgil  fit volte face et quitta le bureau de son chef. Il appuya frénétiquement sur le bouton de l’ascenseur pour rejoindre l’étage inférieur où se tenait le buffet d’accueil. Les portes de l’habitacle s’ouvrirent sur les nombreux employés de Skye qui attendaient avec une certaine impatience la première délégation étrangère. Quelqu’un lui tendit un badge à son nom qu’il épingla sur sa veste marine tant en balayant la salle de restauration du regard. Il  tomba finalement sur Sasha qui patientait dans un coin, près de l’immense baie vitrée, seule. Il fonça droit sur elle.  
« Oh tiens, tu es là, souffla-t-il d’un ton acerbe en arrivant à sa hauteur,  je pensais te trouver dans les toilettes en train de sucer Constantine Egalité. »

Virgil se sentait clairement floué mais il n’était visiblement pas le seul à nourrir une certaine rancune aujourd’hui. Sasha semblait au moins aussi en colère que lui et elle abandonna tout faux semblant pour le rabrouer sèchement.

«  C'est parce que je ne t'ai pas sucé toi que je suis "instable psychologiquement" et "inapte à la magie de l'esprit" ?"

De toute évidence, elle avait lu le rapport.

 Virgil aurait du être satisfait de la voir perdre son beau sourire de parfaite stagiaire mais il ne parvenait pas à tirer la moindre satisfaction de ce moment. Les rapports de force entre eux venaient brusquement de basculer.  Comment s’en réjouir ! Sasha bénéficiait bel et bien des soutiens qu’elle avait avancés lors du premier jour de son stage et Virgil n’avait pas été assez méfiant. Il connaissait pourtant son ambition. Il savait qu’elle était prête à aller très loin pour réussir et elle avait vite compris qu’il pouvait représenter un obstacle à son évolution de carrière. De toute évidence,  elle avait fait le nécessaire pour le contourner.

« Désolé de te l'apprendre mais tu es instable psychologiquement." Dit-il alors, même si, pour lui, tout le monde avait sa part d'instabilité psychologique et qu'au fond ce n'était pas très grave." Et laisse moi te dire que ça n’aurait absolument rien changé à mon rapport que tu me suces. » assura –t-il d’un ton mauvais. « Mais j’aurais peut-être du essayer d’en profiter puisque tu as l’air d’être ce genre de fille. » Ajouta-t-il uniquement pour la blesser.

Si la colère de Virgil semblait  dirigée sur Sasha, il s’en voulait surtout  d’avoir été aussi naïf. Il était furieux contre lui-même  et, Virgil étant ce qu’il est, il comptait entrainer sa nouvelle apprentie dans ses propres tourments.  Il s’était vu en décideur tout puissant mais la vérité était difficile à avaler pour son égo démesuré : Il n’avait pas eu son mot à dire dans l’équation et il ne l’aurait sans doute jamais. Sasha allait suivre son apprentissage à Skye qu’il le veuille ou non. Il s’était imaginé plus intelligent, plus malin… Il lui avait fait découvrir le métier de Traqueur contre ses souvenirs,  pensant être celui qui y gagnait le mieux au change. Celui qui jouait avec l’autre. Il s’était trompé et il en faisait l’amer constat  aujourd’hui.

Il ne recula pas lorsque Sasha plaqua les feuillets du rapport sur son torse avec rage. Il se saisit du document d’un geste tout aussi  brusque et jeta un regard à la ronde pour s’assurer que le ton de leur conversation ne nourrissait pas les inquiétudes de leurs collègues. Mais personne ne semblait vraiment  les remarquer. Tous les regards étaient tournés en direction des ascenseurs pour accueillir la première délégation qui n’allait pas tarder à arriver.

"Je manque de sang froid ?"
-De toute évidence, oui.
Il suffisait de la voir à cet instant.
" Tu sais que ça va rester dans mon dossier professionnelle toute ma carrière ?" insista-t-elle alors.

« Oh arrête, tu vas me faire pleurer. » répondit-il sans même la regarder. Elle l’avait dupé et elle osait encore se plaindre !  Il secoua la tête et laissa échapper un rire jaune en se penchant vers elle. « Demande à ton ami directeur de changer l’appréciation, ça ne devrait pas être trop difficile pour lui… » Virgil attrapa le poignet de Sasha  fermement  afin de lui rendre d’autorité le document froissé dans la main mais il ne relâcha pas sa poigne immédiatement. Au contraire, il avait envie de serrer, encore et encore, porté par une effrayante dureté qu’il finit par réprimer à contre cœur.

Ses doigts se relâchèrent d’un seul coup, conscient qu’une telle tension n’avait pas sa place ici, au milieu de tous leurs collègues. Il se redressa de toute sa hauteur  et toisa Sasha pour calmer le fourmillement qui s’était emparé de lui.

« Et demande lui de changer de référent pendant que tu y es. Je ne suis pas sûr qu’on arrive à se supporter pendant un an, toi et moi.»

- Il n'y aurait rien à changer si tu avais été un minimum intègre !"
-Inquoi ? répéta-t-il en se faisant passer pour plus bête qu’il n’était.

Sasha vivait dans le monde merveilleux des boursoufflets. Virgil , honnête ? Mais quelle blague.

De toute évidence, elle n’avait pas encore compris à qui elle avait à faire… contrairement à lui.
Durant ce stage estival, Virgil avait tout à fait perçu le potentiel de Sasha. Non seulement elle avait des prédispositions à la magie de l’esprit – il avait pu s’en rendre compte lorsqu’elle l’avait éjecté de sa psyché au Felix Felicis- mais, en plus, elle était portée par une ambition à toute épreuve. Il le savait pour l’avoir vu dans ses souvenirs : Sasha était prête à tout pour réussir et elle avait beau essayer de lui faire croire que l’honnêteté et la confiance comptaient pour elle, il n’y croyait pas une seconde.

La preuve, elle avait joué de ses relations pour être accepté en tant que stagiaire. Elle était exactement comme lui, fourbe, louvoyante : Indigne de confiance … et elle ne tarda pas à montrer son vrai visage.

"Ne crois pas que tu vas te débarrasser de moi comme ça » répondit-elle lorsqu’il lui suggéra de changer de tuteur.

Il observait la pièce pleine de monde mais le ton doucereux de Sasha le poussa à reporter son attention sur la jeune femme. Un sourire mauvais  étirait ses lèvres et une étincelle brillait au fond de son regard. Elle avait exactement la même expression qu’au K-Club lorsqu’elle l’avait menacé à demi-mot. Cet air dangereusement attirant. Elle voulait l’impressionner, le contraindre, mais les tentatives d’intimidation ne fonctionnait pas vraiment sur Virgil. Du moins, elles avaient généralement l’effet inverse:  plus on cherchait à le faire rentrer dans le cadre, moins il s’y conformait, quitte à s’attirer des ennuis.
 
« Et si j'étais toi j'éviterai de recommencer ce genre de choses. »

« Sinon quoi ? » dit-il en se penchant vers elle. Il laissa passer un bref silence et arqua un sourcil, comme pour la mettre au défi de tenter quoique ce soit.  Il aurait sans doute du essayer d’aplanir la situation mais il était déjà assez contrarié par l’idée de s’être fait évincer par Egalité pour  lui donner pleinement satisfaction et s’écraser sous ses insinuations. Virgil n’avait plus l’ascendant sur Sasha mais il ne se laisserait pas mener par le bout du nez. Son ego le poussait à réagir, à provoquer,  même si sa raison lui intimait de faire profil bas.

«  Si la direction doit encore intervenir pour rattraper tes caprices, tu vas finir par te faire remarquer, et pas comme tu le voudrais..."

«Mais. Sasha. Je n’attends que ça, souffla-t-il en secouant la tête, Que la direction  vienne me voir, il releva les yeux et accrocha du regard une silhouette bien connue qui se tenait non loin d’eux. Il n’hésita pas longtemps  avant de reprendre la parole, Tiens d’ailleurs… Tobias ! » Stern était descendu des étages supérieurs. Il réglait les derniers détails avec Magdalena. Les deux directeurs tournèrent la tête vers les adolescents et Virgil les rejoignit en quelques enjambées.

A l’instar de Sasha, Virgil était lui aussi un maitre-chanteur. Il connaissait les rouages d’une telle situation et il devinait  les conséquences irréversibles sur sa vie et sur sa carrière si jamais il se laissait enfermer dans cet engrenage… Il ne pouvait pas laisser cette opportunité à Sasha. Il savait comment il se comportait lui-même avec Mildred et il ne tenait pas à se faire avilir à ce point - alors il tenta  le tout pour le tout. «  J’étais en train de discuter avec Sasha des modalités de son apprentissage et elle avait quelque chose à te dire… » La mettre au pied du mur.

Il désigna d’un geste de la main l’adolescente pour l’inviter à approcher et à prendre la parole.
Il n’était pas sûr que son coup de bluff soit le plus judicieux mais c’était toujours mieux que de devoir  ployer l’échine devant elle pendant une année scolaire entière. Il n’allait pas trembler à chaque mention de Constantine Egalité.  

« ¡Mi guapa ! Tou as été prise comme apprRentie !? Yé né savais pas ! » Intervint Magda. L’air autour d’elle était chargé d’effluves fruités et entêtants. Elle chercha le regard de Tobias, visiblement surprise par cette nouvelle. Stern hocha simplement la tête en guise de réponse et les bijoux de la directrice se mirent à teinter de plus belle tandis qu’elle s’approchait de Sasha pour lui saisir les mains, ¡ Maravilloso ! ¡ Souperbe ! Tou es la bienvénoue  dans l’équipe ma yolie ! » Une expression soucieuse passa sur le visage expressif de la Tisseuse de mémoire, Tou as oune problème avec tou contrRat ? »

Derrière son masque impassible, Virgil retint son souffle. Il tentait de relativiser mais il ne pouvait pas ignorer les énormes risques qu’il prenait. Il risquait tout simplement de se faire virer. Là-maintenant. Sasha pouvait inventer tout et n’importe quoi pour le faire tomber... Cette perspective creusa un vide dans son estomac et fit battre son cœur un peu plus vite mais c’est un regard bleu implacable qu’il jeta à la jeune femme.

« Alors. Un problème ? »

Virgil bluffait complètement mais il n’avait pas vraiment le choix. Soit il se laissait assujettir par Sasha et il ployait l’échine sous ses menaces, soit il essayait de s’en tirer avec une pirouette en la mettant au pied du mur. Si Sasha le mouillait, si elle avouait qu’il avait volontairement cherché à lui nuire, elle entacherait forcément sa propre réputation, par extension. La confiance que lui portait Egalité serait forcément atteinte : Il lui dégottait  un apprentissage et elle ne trouvait rien de mieux que de faire des vagues au sein du Centre de Réhabilitation !

Les choses étaient ainsi faites dans cette institution : Personne à Skye n’aimait les scandales… et chacun œuvrait pour offrir une image lisse et aseptisée de cet endroit. Les problèmes se réglaient entre quatre yeux, derrière les vitres fumés des salles d’opération et il espérait que Sasha allait se conformer à cette ligne de conduite et garder leur différent pour eux.
Mais la Serpentard avait de la suite dans les idées. Virgil comprit très vite qu’elle n’allait pas l’attaquer frontalement.  Lorsqu’elle approcha d’un pas hésitant, il sut qu’elle allait privilégier un autre angle.  Mais lequel ? Il se demandait où elle voulait en venir. Quoiqu’il en soit, elle se fondait dans le rôle de la stagiaire servile  à merveille, Virgil devait l’admettre, même si elle agissait à ses dépens. Il était impressionné – et un peu  inquiet- par son jeu d’actrice et sa rapidité d’adaptation. Qui irait remettre en doute la parole de cette adolescente polie et motivée ? Personne et surement pas Magda qui semblait totalement acquise à la cause de la jeune fille.

« Est-ce que peut-être vous pourriez...M'accorder une deuxième évaluation ? J'aimerais beaucoup avoir un deuxième avis, pour avoir une meilleure idée de mon niveau et de ma marge de progression."

Voila où elle voulait en venir. Elle cherchait à le décrédibiliser aux yeux de Stern. Si Tobias acceptait de l’évaluer personnellement, il ne tarderait pas à se rendre compte des aptitudes de Sasha. Son ancien tuteur remettrait forcément en doute sa propre clairvoyance et sa capacité à détecter des collaborateurs de qualité. Il perdrait confiance en son jugement. Un scénario catastrophe que Virgil tenait à éviter, coute que coute.

Il devait trouver un moyen de  justifier le décalage entre le rapport qu’il avait rédigé et les potentielles observations de Tobias.  Comment ? Il ne le savait pas encore.

"Je suis désolée de vous déranger avec ça, reprit la timide Sasha. Je voulais attendre la fin du séminaire mais... » Elle coula un regard en direction de Virgil comme pour lui faire porter la responsabilité de sa prise de parole tandis que Madgalena suggérait qu’elle passe le test immédiatement.

Il n’avait pas une seconde à perdre. *Mais ? Mais ?* Il devait absolument trouver quelque chose.
« …Mais c’est moi qui lui suggéré de faire une deuxième évaluation avec un confrère. »
Tous les regards se tournèrent vers Virgil. Il  n’avait pas la moindre idée de comment il allait justifier ce brusque revirement.  Il réfléchissait à toute vitesse pour justifier cette idée parfaitement saugrenue compte-tenu du rapport négatif qu’il avait rédigé. Il observa Sasha comme s’il pouvait trouver une réponse dans son regard faussement innocent. Dans cette attitude un peu empruntée d’adolescente indécise.

« Bon, c’est un peu délicat mais… Tu peux le leurs dire. » souffla-t-il à l’attention de la jeune fille sans toutefois lui laisser le temps de s’exprimer. Il se tourna vers  Tobias et Magda et enchaina rapidement, Sasha vient de m’apprendre de nouveaux éléments. Elle est trop timide pour vous en parler alors…Disons qu’elle m’a avouée avoir été un peu mal à l’aise à l’idée que je sois son tuteur,  Cette théorie collait parfaitement avec l’image candide que Sasha voulait se donner à Skye,  On se connaissait d’avant et elle était un peu… comment dire… troublée à l’idée de bosser avec moi– de là à sous entendre qu’elle avait un crush sur lui, il n’y avait qu’un pas. Un pas que Magda franchit allégrement. Ses lèvres carmin  formèrent une moue attendrie et elle joignit ses mains en prière devant sa bouche.

« Oh ma chérie… » souffla-t-elle, compatissante en inclinant la tête sur le coté.
« Bref, coupa Virgil comme s’il agissait en grand seigneur et qu’il voulait éviter à Sasha ce moment gênant. Il semblerait que ça ait pu avoir une incidence sur son comportement et ses aptitudes. » Ce manque d’assurance et de sang froid qu’il avait pointé pouvait tout à fait s’expliquer par les emballements de son cœur amoureux, voyons !
« Du coup, il est possible que je me sois trompé sur son compte. J’ai peut-être été un peu dur mais je  ne pensais pas que... » Il laissa sa phrase en suspens, phrase que Magda s’empressa de compléter.
« …Que le cœuRr puisse nous faire perdré la tête ? ¡ Mé ViRRril ! çé ça l’amouRr !!! La Tisseuse de Mémoire se tourna ver Sasha, Né t’inquiète pas ma chérRie. Moi aussi, yé souis  oune véritable – cómo se dice- réfléchit-elle un instant, Ah oui :   Oune veritable cœur d’arRtichaut ! Un corazón de alcachofa ! rit-elle visiblement très amusée par cette expression,  Et rRegarde, elle écarta la bras fièrement, yé souis la dirRectrice dé Tisseurs dé MémoirRe. On peut trRès bien réoussir à Skye, même avec oune grRand coeurR. »
 «  Tout à fait. Surenchérit Virgil en hochant la tête. Il se tourna vers Tobias, Sasha a droit à une deuxième chance, avec un autre tuteur peut-être ? »

Stern observa tour à tour les deux jeunes gens. Il semblait un peu intrigué par cette drôle de situation et, par  reflexe, Virgil ferma son esprit aux intrusions : Tobias était un fin legilimens, capable de pénétrer n’importe quelle psyché d’un simple regard. Virgil ne cilla pas  lorsque leurs yeux se croisèrent mais il  avait la désagréable impression que son directeur de service n’était pas dupe et qu’il les avait confondu, tous les deux.  Le directeur resta silencieux un très –trop- long moment  avant de remonter ses lunettes sur son nez et de prononcer sa sentence. « D’accord pour le test. Il accorda un sourire mécanique  à Sasha et reporta son attention sur Virgil,  Pour le changement de tuteur, on verra.  Maintenant que vous avez crevé l’abcès, cela devrait être plus simple pour vous deux de travailler ensemble, n’est-ce pas ?»
Il chercha le regard de Sasha pour l’inviter à répondre.

Virgil avait l’impression très désagréable  de s’être aventuré sur un terrain extrêmement glissant. Ni lui ni Sasha ne voulait perdre la face devant les deux directeurs de service et ils s’obstinaient à entasser les mensonges de plus en plus délirants. Si Virgil s’était déjà retrouvé maintes fois dans ce genre de situation inconfortable  à Poudlard – devant des professeurs ou des préfets-  il ne s’était jamais enlisé de la sorte à Skye, son lieu de travail, où il avait nettement plus à perdre : en terme de sanction, on ne parlait pas de vulgaires rubis retirés dans un sablier, non, il risquait de perdre le capital confiance qu’on lui accordait au sein de cette institution.  Il avait passé une année entière à gagner le respect de Tobias et Magdalena et il allait tout ruiner à cause d’enfantillage avec Sasha. Est-ce que cela en valait vraiment la peine ? Il n’était plus si sûr. A trop vouloir jouer avec le feu, il allait finir par se brûler.

Et ce qui devait arriver arriva…

"Ça devrait être plus facile maintenant que nous...Enfin, maintenant que les choses se sont concrétisées".

Le regard cerné de Virgil croisa celui faussement gêné de Sasha. Mais quelle cognasse ! Elle le faisait passer pour un tuteur abuseur de stagiaire. Alors certes, il avait peut-être un peu profité de sa position pour lui extirper des informations mais certainement pas pour s’attirer des faveurs sexuelles, comme Sasha le laissait sous entendre, à demi-mot.  

Il n’eut toutefois pas le temps de s’appesantir davantage sur ce que lui inspirait présentement sa camarade – à savoir, une envie de meurtre- puisqu’il avait plus urgent à gérer : la réaction pour le moins enflammée de Magdalena Pilàr Lourdes de Vasconcelos.

Les traits de l’agréable tisseuse de mémoire s’étaient considérablement durcis et  ses yeux fardés de khôl balayaient Virgil d’un regard aussi méprisant que courroucé.

« Dios Mio ! Comment ça «  concRétisé » ? ViRRil ! Qu’est-ce qué tou a fé ? » le somma-t-elle de s’expliquer.
« Rien de répréhensible Magda, répliqua Virgil en levant les paumes devant lui comme pour prouver son innocence. Il détestait être acculé de la sorte mais il devait prouver qu’il n’était pas un gars dégueulasse profitant de la faiblesse d’une jeune fille en fleur. Profil qui risquait de lui couter sa place à Skye. Et pour cela, il n’avait pas mille solutions…
« Tou sé qu’elle é mineure, n’est-ce pas ? » tempêta la tisseuse en levant un index entre eux, On né youe pas avé ces choses là ! Dans un tintement sonore de breloques et de perles, elle fit non du doigt, Yespère qué té intencións sont louables sinon, ¡Mi pequeño vas a tener que lidiar conmigo!» éructa-t-elle en hachant chaque syllabe d’un air de tigresse que Virgil ne lui connaissait pas.

Il  ne comprenait pas l’espagnol mais il avait saisit l’idée générale.

«  Magdalena, commença-t-il posément,  si on prend le soin de vous en parler Sasha et moi, c’est justement parce que ça nous semblait plus judicieux de jouer franc jeu avec vous, Oh Merlin, il n’arrivait pas à croire que ces mots sortaient de sa bouche. Heureusement qu’il pratiquait l’art du mensonge depuis sa plus tendre enfance sinon il se serait fait trahir par la détresse qu’il ressentait au plus profond de lui-même. Stern était resté étonnement silencieux ce qui n’augurait rien de bon. Personnellement je ne voulais pas que vous l’appreniez par quelqu’un d’autre. Reprit-il pourtant avec un calme qui n’était qu’apparent, Je sais que Sasha est jeune et que le rapport de subordination qui nous lie peut laisser croire à une relation malsaine mais…c’est loin d’être le cas. » Il posa un regard qui se voulait tendre sur cette saloperie de Benson.
« ViRRil Forbès, yéspère qué tou dis vré. » Fit Magda en le regardant en chien de faïence.
«  Ce mois de stage a été très difficile à vivre pour nous deux car on luttait contre l’évidence. » Virgil avait envie de se DBD. Alors, oui,  peut-être, que c’était déplacé d’évoquer ce sujet avec vous – je veux bien l’admettre-  mais… nous préférions être sincères pour éviter tout malentendu.

La seule solution pour ne pas passer pour un gros dégueulasse était de jouer la carte de l’amour véritable et inconditionnel.  Virgil avait tout  simplement envie de vomir.

« Mmh. » Fit Magda encore un peu sur la défensive. Elle laissa passer un silence avant de poursuivre. «  Tou a intérêt à être  yentil avec elle.  ¡Y sourtout, tou la respecte ! Est-ce clair ? »
« Evidemment. »
Sur ces mots, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur un groupe de personnes élégamment vêtues.  Les premières délégations étrangères venaient d’arriver. Ils quittèrent l’habitacle et s’avancèrent lentement dans la salle de réception en direction de Meredith Kane chargée de les accueillir.  A en juger par les drapeaux sur les badges épinglés à leurs vêtements, il s’agissait des équipes russes et espagnoles.
« ¡Domingo ! » s’exclama brusquement Magda. Elle planta littéralement leur petit groupe et fendit la foule telle une tornade parfumée avant d’enlacer  son vieil ami.
« Magda ! » Ils échangèrent plusieurs phrases en espagnol en se tenant mutuellement  les avant-bras. Ils semblaient sincèrement émus et heureux de se retrouver. Cette scène aurait presque pu être mignonne si Tobias Stern ne s’était pas raclé la gorge pour se rappeler au bon souvenir de Sasha et Virgil.

« Jeunes gens, commença-t-il en les scrutant tour à tour, quelque soit la nature de votre relation, elle ne doit en aucun cas impacter votre travail à Skye. Dit-il d’un ton sans appel. Virgil déglutit tant il avait la désagréable intuition d’être percé à jour, J’attends de vous que vous mettiez toute votre énergie dans la réhabilitation mémorielle de nos patients et dans la promotion de notre établissement. Et dans rien d’autre.  Tobias réajusta ses lunettes sur son nez, Nous avons décidé de vous embaucher en tant que traqueur et apprentie car nous croyons en vos potentiels respectifs et nous sommes persuadés que votre collaboration pourrait être fructueuse. Il observa Sasha et Virgil tour à tour : Mais rien n’est gravé dans le marbre.  Alors, je vous en conjure, ne nous faites pas regretter nos choix. »

Virgil s’était rarement senti aussi petit, aussi humilié et aussi menacé par Stern.  A l’en croire, il avait le pouvoir de les virer, l’un comme l’autre.  Virgil hocha simplement la tête pour montrer qu’il avait parfaitement saisit l’avertissement. A Skye, il n’y avait pas de place pour cette guerre d’ego. Ou, du moins, rien ne devait remonter aux oreilles de Stern…

«  Sasha, je procéderai à ta seconde évaluation demain, en attendant, suivez-moi tous les deux. »
Tobias avança en direction des membres des délégations étrangères et s’arrêta devant un homme et une femme qui venaient de saluer Meredith Kane.
« Ivana, Vladimir, bienvenue à Skye. » Il serra la main des deux agents russes.
« Tobias, quel plaisir de vous revoir, répondit  la femme dans un anglais parfait,  Nous sommes ravis de fouler le sol du centre de réhabilitation mémorielle. Son regard froid balaya la pièce et notamment le mur vitré donnant sous les profondeurs sous-marines écossaises, Nous avons hâte d’apprendre tous les secrets de Skye. »
« Laissez nous d’abord vous servir une petite collation, un plateau lévita entre les convives, ensuite Virgil vous fera visiter.  Virgil ? »
Saisissant la perche tendue par son directeur, le jeune homme s’approcha pour saluer d’une poignée de mains les deux membres de la délégation soviétique.
« Virgil Forbes, je suis traqueur de conscience au sein du centre de réhabilitation. » Il croisa le regard scrutateur de Stern. Il s’agissait d’un test et Virgil entendait bien le réussir. Il  se tourna donc légèrement pour s’effacer et désigner Sasha d’un geste de la main, Et voici Sasha Benson. » Il laissa le soin à la jeune femme de détailler ses fonctions, si elle le souhaitait. Stern voulait les voir collaborer, très bien, il allait être servi.

« Sasha fera la visite avec nous. Elle connait bien les différents services. » Ajouta-t-il, soucieux de la mettre en valeur aux yeux des autres tout en sachant pertinemment qu’elle connaissait surtout le service hygiène et restauration.

« Vos agents sont bien jeunes, Stern. Intervint Vladimir en les  toisant du regard.  Il avait un accent plus prononcé qu’Ivana et un ton plus dur. Vous les nourrissez au biberon ? » De toute évidence, il n’était pas ravi d’être guidé par des adolescents quasi-inexpérimentés.
«  Ne vous fiez pas à leurs jeunes âges Vladimir. Ils sont…étonnants. Comme vous aimez.» Stern afficha un sourire tranquille avant de s’excuser. Il devait saluer Domingo Sanchez mais il ne manquerait pas de revenir discuter avec eux.  Virgil et Sasha se retrouvaient donc seuls avec les deux agents russes. Rien que ça.  
« Je suis Ivana Galitzine et voici mon compatriote,  Vladimir Tourgueniev. Nous travaillons pour le Ministère, expliqua Ivana sans toutefois révéler qu’ils appartenaient tous les deux au service de renseignement  intérieur russe. Virgil l’avait appris lors du briefing du colloque.  Nous avons été mandatés pour effectuer un rapport sur le fonctionnement de Skye, dit-elle en les observant tour à tour comme pour les inviter à en dire plus.

Virgil suivit du coin de l’œil Stern qui s’éloignait en direction de Domingo Sanchez. Cette journée aurait dû lui permettre d’asseoir un peu plus sa position au sein du centre de Réhabilitation et il avait pourtant la désagréable impression d’avoir perdu des points auprès de son supérieur.  Contrairement à Sasha, il ne disposait pas de soutien haut placé, lui. Certes il connaissait un peu plus personnellement Meredith Kane par son père mais la psychomage ne l’aiderait jamais à garder son poste.  Elle avait été très réticente à lui proposer un programme d’apprentissage et Virgil avait pu intégrer le corps des Traqueurs seulement grâce à la confiance de Tobias.

Confiance qui semblait entamée aujourd’hui.

Cette mauvaise manœuvre  lui était en partie imputable (comme l’avait assez justement souligné Sasha  en aparté) mais, au moins, il n’était pas le seul incriminé. Virgil se raccrochait à cette idée. Stern les avait mi en garde tous les deux prouvant qu’il n’était pas dupe du jeu de Sasha : l’image de la parfaite petite apprentie était elle aussi égratignée…  Une maigre satisfaction, certes, mais une satisfaction tout de même.

Toutefois, Virgil remisa ses pensées dans un coin de son esprit, soucieux de ne pas se laisser parasiter par cette histoire. Tout n’était pas perdu. Stern venait de leur confier les russes, comme pour les mettre au défi de réussir.

L’objectif était clair. Le centre de réhabilitation de Skye devait nouer des partenariats avec l’étranger. Ce point avait été longuement abordé lors du  briefing pré-convention auquel Virgil avait assisté en début de semaine. Un représentant du Ministère, issu du département de la coopération magique internationale était même venu appuyer les propos de la directrice de Skye.  Tous les agents devaient tendre vers la même finalité : Développer des alliances et des coopérations prometteuses pour l’avenir du pays…

Il s’agissait donc d’apporter un certain nombre d’informations aux délégations pour leur donner  envie de travailler en étroite collaboration avec le centre. Skye avait déjà communiqué sur ce point auprès des pays invités.  La célèbre institution était prête à détacher des agents pour venir former des sorciers et des sorcières étrangers dans l’objectif de monter des structures similaires à Skye dans les autres pays…  Des structures labellisées Skye et co-présidées par des commissions mixtes issues des deux pays, évidemment.

Virgil n’était pas stupide. Il s’agissait avant tout d’une manœuvre de politique expansionniste. Une opération séduction qui n’était pas sans risque. Les membres des délégations devaient être étroitement surveillés pour éviter l’espionnage industriel. Certes, ils étaient invités à venir visiter Skye mais ils ne devaient en aucun cas repartir avec assez d’informations pour concevoir leur propre centre sans l’aide des britanniques. L’entreprise Vargas était venue renforcer la sécurité numérique et magique du lieu. Elle avait fait installer des brouilleurs rendant impossible l’enregistrement de données qu’elles soient audio ou visuelles. La sécurité des « Passes », ces barrières magiques  limitant les accès à certains lieux avaient été reprogrammées spécifiquement pour la convention afin d’éviter les intrusions.

Virgil devait saisir cette occasion de briller et prouver qu’il pouvait devenir un maillon essentiel du centre de réhabilitation, que Sasha soit sur son dos ou non.  On leurs avait confié les russes et ils allaient devoir obtenir d’eux ce que la direction désirait…

« On devrait peut-être commencer la visite ? lança d’ailleurs Sasha en se tournant vers lui.Si nous voulons avoir le temps de passer dans les différents services."
Virgil n’était pas ravi de travailler avec elle – doux euphémisme- mais il prit sur lui pour ne rien laisser paraitre. Ils devaient donner une image de cohésion et de bonne entente entre employés…et ils prendraient le temps de s’écharper plus tard.

« Oui tout à fait, suivez moi. » dit-il en rejoignant  les ascenseurs pour en appeler un.
Ivana suggéra qu’ils commencent par l’étage des traqueurs ce que Virgil approuva. La visite pouvait être menée  dans n’importe quel sens. Il s’effaça pour laisser entrer tout le monde dans l’habitacle avant de répondre à  la question de la russe.

« Les missions des traqueurs de conscience sont variées. Nous devons dans un premier temps identifier les souvenirs problématiques pour le patient. Ensuite nous les dupliquons avant de travailler en étroite collaboration avec les Tisseurs de mémoire pour établir un scénario de remplacement. Les Tisseurs se  chargent de recréer les réminiscences conformes au nouveau scénario, réminiscences que nous implantons en lieu et place des souvenirs problématiques. »

Rien de plus simple sur le papier.

Les portes s’ouvrirent sur l’étage -4 et Virgil guida les deux soviétiques jusque dans une salle d’opération spécialement ouverte pour la visite.

« C’est ici que nous pratiquons les différentes interventions. » dit-il en laissant les deux russes parcourir les lieux pour découvrir les différents équipements. Toutes les potions et documents sensibles avaient soigneusement été mis sous clef mais l’espace aseptisé parlait de lui-même.

« Combien de temps dure une opération ? » demanda Ivana en caressant le dossier du fauteuil en cuir dans lequel les patients s’installaient.  
« Tout dépend de l’accessibilité et du nombre de souvenirs à identifier, extraire et implanter.  Cela peut varier de quelques minutes à plusieurs heures.»  Virgil croisa les bras sur son torse tout en surveillant du coin de l’œil Vladimir qui observait chaque recoin de la pièce de ses yeux perçants.
« Quels sont les profils des patients ? De quels genre de souvenirs souhaitent-ils se débarrasser ? »
Virgil se tourna vers Sasha. Elle avait visité le service statistique de Skye cet été. Il s’en souvenait bien, il l’avait calée là-bas une journée entière.
C’était le moment pour elle de se rendre utile…

Virgil devait admettre que Sasha se montrait tout à fait professionnelle face aux deux russes. Il était surement le seul à savoir qu’elle était encore mineure tant son attitude et ses propos contrastaient avec ceux d’une adolescente lambda de seize ans. Elle semblait tout à fait sûre d’elle et des réponses qu’elle apportait, sans chercher toutefois à en faire trop ou à se mettre bêtement en avant. Pile le bon dosage. Et elle maniait l’art de la langue de bois bien mieux que lui, c’était un fait…Avec une autre coiffure et d’autres chaussures, nul doute qu’on lui aurait donné l’âge de Garance, sans hésiter.
Elle échangea quelques mots avec Ivana tandis que Vladimir déambulait dans la pièce, son regard bleu s’attardant sur chaque détail de la salle d’opération. Virgil restant en retrait, les mains croisées dans le dos, attentif et  disponible pour répondre aux éventuelles questions des deux russes. Ivana se glissa momentanément dans le siège du patient. Que cachait-elle derrière son visage impassible ? Virgil aurait voulu le savoir mais il se refusait à étendre son esprit vers elle. Il n’avait pas encore atteint le niveau de Tobias ou de certains experts en légilimancie qui étaient capables, avec un simple regard, de déceler les tourments d’une psyché sans se faire repérer.  

Le cuir du fauteuil  crissa lorsqu’elle se leva pour s’adresser à lui:
« Vous avez déjà eu des plaintes ?"  
« Pas à ma connaissance, non. Le centre existe sous cette forme depuis 2009 et je travaille ici depuis un an, ce qui, à l’échelle de la création du centre était beaucoup,  Je n’ai jamais vu revenir un patient. Du moins, pas pour traiter le même souvenir. » Précisa-t-il sans l’ombre d’un sourire.

Pour qu’il y ait plaintes, les patients devaient se souvenir d’avoir  fait appel au centre de réhabilitation mémorielle pour régler leurs soucis or c’était rarement le cas.

« Les réminiscences conçues par les Tisseurs et implantées par les Traqueurs  portent sur les souvenirs problématiques, évidemment, mais également sur toute la démarche d’acceptation de la réhabilitation mémorielle. » expliqua Virgil en complément.

Ivana hocha la tête et ce fut au tour de Vladimir d’enchainer sur des questions de sécurité. Il était situé dans l’embrasure de la porte et il observait les cameras de surveillance implantées dans le couloir, tout en s’étonnant de ne pas en trouver dans la salle d’opération. Virgil se doutait que la délégation russe allait finir, tôt ou tard, par les questionner sur la sécurité du centre mais il n’avait pas imaginé que cela soit si rapide. Ils n’avaient même pas encore vu tous les espaces de Skye que Vladimir entrait déjà dans le vif du sujet.

Virgil s’apprêtait à répondre mais Sasha le devança avec une parfaite réponse de politicienne. Leurs regards se croisèrent et, malgré son léger agacement de la voir si prompte à répondre aux questions,  il abonda dans son sens.

« Nous avons un contrat avec l’entreprise Vargas. D’ailleurs, Logan Vargas sera là en personne cet après-midi pour présenter les différents dispositifs de sécurité. » En partie, tout du moins. Il s’agissait pour le créateur de la marque à la poire de laisser entrevoir le savoir-faire de son entreprise  en matière de sécurité informagique sans révéler la totalité de ses équipements.  

Vargas faisait partie du marché. Si une délégation étrangère souhaitait implanter un centre de réhabilitation mémorielle dans son pays, elle devrait obligatoirement confier la sécurité à la célèbre entreprise américaine.
« Vargas nous équipe également en matériel informagique de base. Nous travaillons exclusivement  sur Pear Pro. »
Ce fut au tour d’Ivana et de Vladimir d’échanger un regard. Virgil était loin d’être un expert en politique étrangère mais il avait cru comprendre que les américains et les russes n’étaient pas dans les meilleurs termes. Si ce point fit tiquer les deux soviétiques, ils ne le verbalisèrent pas et Ivana se contenta d’enchainer :
« Et où se situe l’atelier de fabrication de souvenir ? »
«  Au niveau -3. Si vous voulez bien me suivre. »
Le petit groupe  regagna  de nouveau le couloir pour attendre l’ascenseur qui s’ouvrit sur les deux membres de la délégation soudanaise accompagnés par Seth. Chaque intervenant se présenta rapidement dans le hall de l’étage. Seth avait visiblement déjà croisé Ivana lors d’un congrès et Vladimir semblait bien connaitre Esraa Mubarak. Virgil avait lu l’un de ses livres lors de son année d’apprentissage et il était assez impressionné de la rencontrer en vrai. Elle faisait figure d’institution dans le monde de la magie de l’esprit.
« Ravi de vous rencontrer Mme Mubarak. »
« Esraa. » répondit-elle en pressant la main de Virgil et en s’inclinant légèrement. Il était impatient de pouvoir discuter avec elle plus longuement puisqu’elle était connue pour pratiquer la magie de l’esprit par incantation. Elle n’avait pas besoin d’être en contact direct avec la personne, elle était capable de lire son esprit à plusieurs kilomètres de distance…

Les deux délégations durent toutefois se séparer et les russes regagnèrent sans attendre l’étage des tisseurs de mémoire. La porte de l’ascenseur s’ouvrit sur une odeur entêtante de parfum, signe que Magdalena Pilar Lourdès de Vasconcellos était déjà là. Elle faisait la visite aux espagnols et notamment à son vieil ami Domingo. En les entendant arriver, elle tourna la tête dans leur direction et s’exclama, rayonnante.

-Vladimir ! Как ваши дела? Elle s’approcha pour embrasser le russe sur les deux joues comme s’il s’agissait d’un petit enfant. как обстоят дела с детьми? Enchaina-t-elle en prenant dans ses bras Ivana. ¡Dios mío! Я так рада видеть вас снова! »

Virgil  chercha le regard de Sasha. Depuis quand Magda parlait-elle mieux le russe que l’anglais ?

Le niveau sonore était monté en flèche tandis que les soviétiques  et les espagnols se saluaient chaleureusement.  Virgil ne comprenait absolument rien  de ce qu’ils se disaient et il était un peu contrarié à l’idée d’être ainsi mit à l’écart. Tout ce beau monde semblait déjà bien se connaitre et lui, il était complètement largué. Il allait devoir se perfectionner en langues étrangères pour le prochain congrès, se promit-il, tandis que tout le monde riait à gorge déployée suite à une phrase en russe de Domingo.

Magda s’éventa avec son éventail de poche rouge et noir – visiblement Domingo lui donnait des bouffées de chaleur- puis elle se tourna vers les deux jeunes gens.

« Yé vé faire la visite dé l’atelier por Ivana y Vlàdimir en rousse ! Yé les conné bien ! Yé été en programme PORTUS à Moscow durante un año con Domingo ! »
Domingo partit d’un grand rire.

« ¡El pЯogЯдmme Vodкд ! » s’exclama-t-il dans un mélange de russe et d’espagnol qui fit rire tout le monde. Cela ressemblait à une private joke vieille de plusieurs décennies. Le genre de blague redondante et lourde  que faisait Jonah quand il retrouvait ses vieux amis de l’équipe de quidditch de l’école.

« Domingo, Les presento a VirRRilio y Sasha, reprit Magda en les désignant tour à tour, Son rastreadores de conciencia... expliqua-t-elle sérieusement avant d’ajouter, espiègle.  ¡Y están enamorados! »

Enamorados ? Virgil avait peur de saisir le sens de cette expression  et son intuition fut confirmée par l’expression coquine de Domingo. Génial. Toutes les délégations allaient croire qu’ils étaient ensemble maintenant.

« No hablo bien inglés » s’excusa Domingo en leur serrant la main.  « Il né parle pas tré bien anglais. » traduisit Magda.

Les rares mots que Virgil connaissait en espagnol étaient des insultes que Javier Soteras, un ami de Dean, leur avait apprises à Poudlard.  Répondre « ¡Hijo de puta ! » à Domingo était sans nul doute une mauvaise idée.
Virgil s’excusa donc à son tour de ne pas parler espagnol tout en priant pour qu’il en soit de même pour Sasha…

Merlin soit loué, Sasha ne parlait pas espagnol non plus. Virgil aurait mal supporté qu’elle entame une grande discussion avec le directeur de l’institut ibérique de magie de l’esprit. Tranquillisé à l’idée de se retrouver à armes égales avec son apprentie, Virgil s’apprêtait à poursuivre la visite avec les deux russes lorsque la voix de Sasha lui fit vivement tourner la tête.

"Je parle un petit peu français, peut-être vous aussi ? »
Mais ? Quelle audace ! Songea Virgil avec cette image mentale en tête.
- ¡ Si, ye parle francé aussi !
Et quelle merde surtout !
Voila que Sasha et Domingo se trouvaient des points communs, et même pire, ils communiquaient l’un avec l’autre dans une langue que Virgil ne comprenait  pas.  Leur français respectif semblait quelque peu hésitant mais c’était toujours mieux que d’être un foutu germaniste, comme lui.  Il maudissait  Agathe et Jonah qui avaient inscrits tous leurs enfants en LV1-  Allemand chez les moldus,  uniquement pour éviter que leurs fils se retrouvent dans les classes des fauteurs de trouble. Super. Merci.

Virgil tenta vainement de retenir Magdalena – La visite ne pouvait pas être aussi instructive qu’elle aurait du l’être dans un français approximatif- mais cette dernière lui assura que Sasha allait très bien se débrouiller.
« Fé confiance à tou amor ! » lui souffla-t-elle avant de s’éclipser en direction de l’atelier potion en compagnie d’Ivana et Vladimir. Virgil la regarda s’éloigner en se promettant d’étouffer cette fausse rumeur (qu’il avait  pourtant lui-même participé à propager) dans les plus brefs délais. Il n’allait pas pouvoir supporter ces sous-entendus – enfin, devrait-il plutôt dire «  ces remarques tout à fait directes »-   très longtemps. A contrecœur, il reporta  son attention sur Domingo et Sasha qui , de toute évidence, parvenaient à se comprendre l’un l’autre.
"Le atelier est par ici » crâna Sasha en désignant d’un geste de la main la direction de l’espace de travail.

Pff. Lui aussi il savait parler français ! -Pomme deu terre. J’aime leu fromage. Voulé vous couché avec moi ceu soir- mais il n’en faisait pas tout un plat. Il emboita le pas du binôme tout en se concentrant sur la réponse de Domingo pour capter quelques mots dont il pourrait éventuellement saisir le sens. Mais force était d’admettre qu’il était encore moins bon en français qu’en espagnol ! Il n’avait strictement rien compris et ce constat était vraiment très, très, frustrant pour lui. Virgil retint un soupir agacé.  Il allait devoir se résoudre à s’en remettre à Sasha… Et il détestait ça.

« Qu’est-ce qu’il a dit ? » demanda-t-il finalement en interpelant la jeune femme.
- Il a dit quelque chose à propos de notre amour.
-Putain c’est pas vrai, souffla Virgil  en basculant la tête en arrière en signe de lassitude, Ils vont pas tous s’y mettre.
-Je crois qu'il se demande comment j'ai pu tomber sous ton charme, ajouta Sasha sans se départir de son air faussement amoureux visant à entretenir l’illusion. Virgil était forcé de donner le change. Il posa une main sur la taille de Sasha et l’attira un peu vers lui en se tournant vers Domingo, un sourire tranquille aux lèvres.
« Sasha est une belle ordure doublée d’une odieuse manipulatrice, dit-il dans son anglais le plus distingué. Si l’on ne se fiait qu’à son expression, on pouvait aisément croire qu’il couvrait de compliments sa jolie petite amie. Il hocha lentement la tête et Domingo l’imita, tout sourire lui aussi.

Le vieux chnoque ne comprenait vraiment rien.

Virgil relâcha son étreinte pressentant un retour de bâton imminent. A force de s’opposer à Sasha, il commençait à la connaitre et à savoir qu’elle ne se laissait pas faire. Comme on pouvait s’y attendre, une première riposte ne tarda pas à arriver à la suite d’un bref échange avec Domingo.

- Il est fatigué à cause du décalage horaire, il demande si tu peux lui faire un café.
-Je suis sûr qu’il n’a pas dit ça…  souffla Virgil en plissant les paupières, visiblement suspicieux.
Domingo et Sasha échangèrent encore quelques mots incompréhensibles avant que son apprentie ne se tourne vers lui, l’air très sûr d’elle.
- Noir, sans sucre, ordonna-t-elle alors.

Virgil hésita quelques secondes, ses pupilles passant de Sasha à Domingo,  mais il finit par obtempérer sous le regard curieux et quelque peu décontenancé du vieil espagnol. Le traqueur esquissa un vague rictus et s’éloigna d’un pas rapide en direction de la kitchenette de l’étage des Tisseurs. Il voyait bien que Sasha prenait un malin plaisir à le dominer sur cette situation mais Virgil n’avait pas dit son dernier mot. Certes il s’était promis de ne pas compromettre son avenir à Skye à cause d’elle mais cela ne voulait pas dire se laisser dicter sa conduite…même si, présentement, il était en train d’ouvrir tous les placards  de la petite cuisine à la recherche des dosettes. D’un sortilège, il lança le nettoyage d’une tasse dans l’évier tout en rajoutant de l’eau à la cafetière.  Il était en train de s’affairer comme une véritable petite fée du logis lorsque Sasha déboucha dans son dos et le fit presque sursauter en demandant du sucre.


« Qu’est-ce que tu fais là, gronda Virgil à voix basse après s’être retourné, Il était assez peu enclin à ce qu’elle le voit avec son torchon fleuri entre les mains en train de lustrer un mug, on ne doit pas les laisser seuls. Retourne lui faire la conversation. » murmura-t-il avant d’ajouter d’un air pédant et dans un français plus qu’approximatif,   «  Allons mangeons de les grenouilles et de les escargu. »

Il secoua la tête de gauche à droite et entreprit de trouver un peu de sucre en poudre pendant que le café passait et que Sasha retournait auprès du directeur espagnol. Au bout de quelques minutes –bien trop longues à son goût- Virgil  retrouva ses deux compagnons occupés à échanger dans leur français dégueulasse.  Domingo ne le regarda même pas lorsqu’il s’empara de la tasse fumante qu’il venait de lui apporter. L’espagnol trempa ses lèvres dans le café chaud et sucré sans quitter des yeux sa jeune et charmante interlocutrice.  Il était bien trop occupé à discuter avec Sasha devant le mur rempli d’émotion en fiole pour remarquer son humble serviteur… Mais Virgil n’entendait pas se laisser ainsi voler la vedette par son apprentie.

« Domingo, si vous le voulez bien, je vais continuer la visite, dit-il en anglais avant de se tourner vers Sasha, Tu traduis. »
Domingo les observa tour à tour attendant visiblement que Sasha  serve d’interprète. Enfin, elle retrouvait sa juste place et Virgil lui refilait le rôle de figuration.
« Donc vous êtes ici à l’étage des tisseurs de mémoire, commença-t-il en désignant d’un geste ample l’open space réservé aux créatifs de Skye. Il fit quelque pas entre les établis  et s’appuya de part et d’autre d’une pensine, Plus précisément dans l’atelier de conception et de fabrication de souvenirs,  C’est ici que sont élaborées les réminiscences  de remplacement des patients, expliqua-t-il en laissant volontairement quelques temps de pause pour que Sasha puisse faire son job,   Si, par exemple, le patient a jeté une terroriste  dans une plante carnivore ou couvert une bavure policière, il peut compter sur le travail merveilleux des tisseurs pour oublier tout cela. »  Ajouta-Virgil,  tout sourire, odieusement fidèle à sa réputation de troll.

Virgil pensait avoir repris le contrôle de la situation mais le puissant éclat de rire de Domingo lui indiqua clairement qu’il se fourvoyait. Vexé dans son ego, il  foudroya Sasha du regard conscient qu’elle avait dû faire un trait d’humour à ses dépens. Il mourrait d’envie de lui demander ce qu’elle avait dit au directeur espagnol pour le faire rire de la sorte mais il était bien trop orgueilleux pour quémander cette information.
Il n’appréciait guère le fait que Sasha  le tourne en ridicule devant un confrère et qui plus est, un potentiel futur partenaire professionnel. Il avait imaginé que ce congrès allait lui servir de tremplin pour sa carrière  mais il s’embourbait dans cette stupide situation.
«  Je crois qu’il se fout de toi..."
« Vraiment ? J’avais pas deviné… »  Répondit-il, aussi ironique qu’agacé, sans même la regarder.
Il était sérieusement piqué par le comportement de Sasha mais il ne comptait pas se laisser faire. Il essaya d’équilibrer ce rapport de force avec une banderille en lui rappelant  le bon souvenir de la mort de Sorden. L’expression haineuse  qui passa momentanément sur le visage de son apprentie le consola quelque peu, mais pas assez pour qu’il soit pleinement satisfait de la tournure des événements.  Il restait contrarié. Agacé. Et il ne prenait jamais de bonnes décisions dans cet état d’esprit.

 S’il continuait de la sorte, son avenir professionnel allait lui glisser des mains. Il le savait… si ce n’était pas déjà le cas : Sasha avait repris sa conversation avec Domingo, comme s’il n’était pas dans la pièce avec eux.  Il était de nouveau réduit au simple rôle de spectateur, évincé par la barrière de la langue.

Pourtant, il ne résistait pas à l’envie de se mesurer à Sasha dès que l’occasion se présentait. C’était plus fort que lui. Il était porté par une sorte d’instinct de compétition, il voulait prendre l’ascendant, la dominer, même -et surtout-si elle n’était pas prompte à se laisser faire.  Il s’inquiétait un peu de la savoir capable de s’imposer face à lui mais une part de lui-même se sentait étrangement  stimulé à l’idée d’avoir trouvé  une adversaire à sa taille. Il laissa courir son regard sur le profil de la jeune femme tout en se disant qu’il allait absolument devoir trouver le bon équilibre. Savoir faire un pas de côté pour ne pas foncer tête baissée dans le mur... Comme un bon Gryffondor.  

Les limites avaient été posées par Stern. Il devait rester le bon professionnel qu’il était sans que sa relation avec Sasha n’entame la qualité de son travail… ni sa crédibilité auprès de leurs collaborateurs.  Il ne devait pas se laisser perturber et éviter de montrer à son apprentie qu’elle parvenait à l’atteindre en le faisant passer pour un cognard aux yeux de Sanchez.
Il était tout à ses pensées  lorsque Sasha se tourna vers lui pour l’interroger sur le protocole de réhabilitation. Elle ne devait pas connaitre la réponse sinon elle ne se serait pas donné la peine de l’intégrer à la conversation… non sans toutefois chercher à lui faire passer un message personnel.

« La confidentialité, ça te dit quelque chose ?"
« ça va, redescends, j’ai rien dit… » Tempera-t-il en s’approchant d’elle. Il tira un tabouret et s’y installa avant de s’accouder sur un établi, Moi qui te croyais incollable sur Skye,  visiblement quelques informations t’ont échappées durant ton stage … » souffla-t-il avec l’air de rien,  Les patients n’ont pas le dernier mot sur le choix des scénarios à implanter, Il se tourna  vers Domingo comme s’il pouvait le comprendre,  Ils peuvent émettre des hypothèses bien sûr mais  on suit rarement leur avis, pour être honnête. Le scénario final est décidé conjointement entre le psy, le traqueur et le tisseur. Nous devons tenir compte de nombreux paramètres que le patient ne maitrise pas – Le profil psychologique du malade, l’état de sa psyché, le nombre de ramification du souvenir-  Et, surtout, nous ne sommes pas payés  pour lui façonner une vie de rêve qu’il a totalement fantasmé. On s’appelle pas Instamag. Certains patients arrivaient parfois avec des idées totalement saugrenues. Virgil se souvenait d’un homme venu pour traiter ses souvenirs de l’attentat de la Marchebank. Il avait abandonné dans les décombres une femme et son enfant qui n’avaient pas survécus à l’effondrement. Il s’était rêvé en sauveur, en sauveteur, et  il avait expressément fait la demande qu’on lui implante le souvenir de son attitude héroïque, sortant des décombres la mère et son bébé.   L’équipe de Skye n’avait rien conçu de tel et Virgil avait juste implanté un souvenir dans lequel la petite famille n’avait jamais croisé la route du patient...

Skye n’avait pas le pouvoir de faire revenir les morts.

« L’objectif pour nous c’est que le nouveau souvenir soit à la fois très proche de la réalité – pour qu’il s’intègre bien dans la psyché - et à la fois complètement différent de la réalité – pour que le trauma soit définitivement oublié- C’est un équilibre difficile à obtenir.  Du coup,  le patient n’a pas vraiment son mot à dire. »
Virgil esquissa un sourire tranquille avant de tourner la tête vers Sasha.
«  Tu comptes traduire ou en faire une libre interprétation dont tu as le secret ? » demanda-t-il avant d’ajouter «  En tout cas n’hésite pas si tu as encore besoin de quelqu’un de compétent pour répondre aux questions de notre cher ami. Je suis là. » Il observa ses ongles rongés  d’un air satisfait avant de relever le regard sur Domingo dont le Pear bipa brièvement dans sa poche.

Mais ! Evidemment ! Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ?! Virgil se redressa, sortit son Pear de sa veste et le déverrouilla de son empreinte. Il pianota dans les applications et finit par trouver celle qu’il cherchait. Il prit quelques secondes de plus pour régler les paramètres et approcha ses lèvres du micro.

« Bonjour Domingo. Je crois que j’ai trouvé un moyen plus efficace que le français approximatif de Sasha pour communiquer avec vous ! »
L’application chargea et la voix de Virgil sortit du téléphone.
"Hola Domingo. ¡Creo que he encontrado una manera más efectiva que el francés áspero de Sasha para comunicarme contigo! »

Le traqueur reporta son attention sur son apprentie pour guetter sa réaction. Il n’avait peut-être pas ses compétences en français mais il avait un peu de jugeote ! Si l’enregistrement de données qu’elles soient audio ou visuelles était impossible, rien dans les recommandations de Vargas n’empêchait le recours à un logiciel de traduction  informagique.   Il se doutait que Sasha n’allait pas être aussi ravie que Domingo de cette trouvaille.  L’espagnol venait de sortir son Pear de sa poche pour tester le dispositif. Il semblait  très excité de pouvoir communiquer plus librement et il tendit impatiemment son écran de Pear entre lui et Virgil. Ce dernier  l’aida à trouver la bonne application dans l’interface puis Domingo se mit à parler rapidement dans son micro.
« Merlin bénisse la technolmagie ! traduisit son Pear en anglais, Voila une application qui va considérablement faciliter nos échanges ! C’est pour ça que  j’aime travailler avec les jeunes gens, ils ont plein d’idées ! » Domingo les observait de son regard rieur. Merci Sasha pour ton français mais communiquer par ce biais va être beaucoup plus simple maintenant. »
« Tout à fait d’accord, commenta Virgil, Merci Sasha mais le escargu peut aller se rhabiller ! » dit-il non sans plaisir.  Il enfonça la touche traduction de son Pear et reprit, Vous avez d’autres questions Domingo ? Peut-être que les traductions de Sasha manquaient de précisions ?  Si tout vous paraît clair,  nous pouvons continuer la visite en direction du service psychomagie…»

Après quelques instants, sa voix espagnole s’éleva dans la pièce, pour sa plus grande satisfaction…

« Tout était très clair, votre chérie se débrouille très bien ! » répondit le Pear de Domingo.
«  Evidemment, elle est parfaite. » souffla Virgil en cherchant le regard de Sasha d’un faux air amoureux. Ils montèrent tous les trois dans l’ascenseur et les portes se refermèrent sur le sourire tranquille de Virgil.

Il avait clairement recouvré sa bonne humeur et la mine contrariée de son apprentie y était pour beaucoup, il devait l’admettre. Il retrouvait sa place légitime dans les échanges et il allait enfin  pouvoir mettre en avant ses compétences et ses connaissances en matière de magie de l’esprit sans avoir à passer par l’entremise de Sasha. Alors, certes, peut-être que l’application traduction qu’ils utilisaient n’était pas parfaite mais Vargas Corp était le principal partenaire commercial de Skye en matière de sécurité : L’entreprise ne verrait sûrement  pas d’inconvénient à ce qu’ils utilisent leur application entre ces murs… Bien au contraire.

D’ailleurs Sasha finit par se résoudre à utiliser son propre Pear pour rejoindre leur conversation qui avait légèrement dérivé de leurs problématiques professionnelles. En effet, Domingo se pencha vers Virgil pour lui montrer fièrement  son profil instamag, exactement  comme Gabriel aurait pu le faire… Sauf que Domingo avait au moins 55 ans et non pas 14.

Virgil fit mine d’être intéressé, alors que, très clairement, il se fichait bien du profil insta du vieil homme surtout si c’était pour regarder des photographies de #Tapas, #Barcelone #VinoAlbariño. L’espagnol semblait toutefois  partager beaucoup d’informations sur lui – personnelles et professionnelles- et de nombreux memes rédigés dans sa langue natale. Alors qu’il faisait défiler le contenu holographique, Virgil put voir plusieurs photos de lui en Espagne, dans son jardin avec ses enfants et ses petits enfants (qui lui ressemblaient tous beaucoup physiquement) mais aussi des publications  plus sérieuses : Présence à  des congrès divers, captures d’écran d’articles et liens renvoyant vers des sites spécialisés. Visiblement, personne n’avait dit à Domingo qu’il pouvait avoir deux comptes afin de bien séparer vie publique et vie privée. Peut-être que cette confusion des genres  ne l’embêtait pas mais Virgil avait été plus que briefé par son père – Internet c’est pas net !- pour connaitre les dangers à trop s’exposer sur les réseaux sociaux. Il  se promit toutefois d’exploiter cette faille et d’aller éplucher un peu plus en profondeur le profil du directeur pour y glaner des informations – en bonne fouine des réseaux qu’il était.

Sasha suggéra d’ailleurs à Domingo de s’abonner à la page de Skye ce qu’il fit avant de leurs demander s’ils possédaient  des comptes sur le réseau social.

« Oui bien sûr, répondit le jeune homme ,  @ForbesVirgil_UK. » indiqua-t-il.  Ce profil n’avait absolument rien à voir avec « Gilvir Sebroff » son « vrai » compte perso. Celui sous lequel il était connu à Poudlard et sur lequel il postait absolument n’importe quoi. Virgil avait créé une seconde page plus consensuelle  uniquement dans le but d’alimenter ce genre d’échanges professionnels.  Son profil  ne comptait que quelques publications sérieuses, des abonnements spécialisés dans la magie de l’esprit et  une poignée d’abonnés parmi lesquels @Stern_SkyeCenter,  "honnêtement je l’utilise assez peu, révéla-t-il à Domingo, Pour tout ce qui est pro, je préfère IncarceremIn, Ce fut au tour de Virgil d’exhiber son profil sur le célèbre réseau social des entreprises. L’interface est clair, les informations fiables et on retrouve nettement  plus facilement les différents acteurs de notre secteur d’activité… » Dit-il en cherchant le profil en ligne de Domingo Sanchez qu’il ne tarda pas à trouver et à inviter.

« C’est vrai qu’ IncarceremIn est pratique, consentit Domingo en acceptant l’invitation,  mais il manque un peu de fantaisie à mes yeux. »

Virgil aurait pu être  d’accord avec Domingo. Sur le papier, IncarceremIn était une appli totalement déprimante mais c’était sans compter avec la bêtise et le cynisme  de certains abonnés rivalisant  de stupidité. A eux seuls, ils avaient transformé cet endroit en véritable mine d’or.  Le traqueur avait entamé une collection de captures d’écran insolites du réseau  qu’il alimentait avec Damon. « Comment concilier Consumeuse et Travail : Pistes de réflexion. Rejoignez la discussion » ou encore le compte rendu du premier entretien de recrutement en jouant au quidditch  : « Merci à Daniel  de s’être  prêté au jeu avec enthousiasme pour motiver son projet d’alternance en expert comptable runique. Il n’a pas eu peur de se mettre en danger #Cognard&Machoire et cela prouve qu’il a toute sa place au sein de notre équipe ! ( Daniel, comme promis tu trouveras les coordonnées de notre dentiste partenaire en fin de post !) »

Comment ne pas tomber sous le charme de cette application ? Franchement !

« Et vous Sasha ? » s’enquit alors Domingo en tournant la tête vers la jeune femme. On peut vous trouver sur les réseaux ? »

Virgil releva les yeux vers son apprentie qui était restée étonnamment silencieuse tout du long. A bien y réfléchir, ce n’était pas si étonnant.  Sasha était belle et bien présente sur les réseaux mais certainement pas de la manière dont elle l’aurait souhaitée… Virgil se remémora avec force détails la vidéo que lui avait envoyée Gabriel quelques semaines plus tôt et il comprit assez vite pourquoi Sasha s’avérait si peu loquace.

Virgil avait suivi cette affaire à distance, laissant le soin à Dean et Gaby  de gérer au mieux les états d’âme de Casey, qui, comme on pouvait s’y attendre, avait assez mal vécu cette publication. Son frère n’était pas personnellement  concerné par cet enregistrement mais il en avait été perturbé. Il avait essuyé quelques remarques de certains camarades – comme on pouvait s’y attendre- et il s’était senti mal à l’aise et triste pour Sasha. Il n’avait toutefois pas trouvé le courage d’aller lui parler… ce qui l’avait rendu encore plus mal à l’aise et encore plus triste. La difficile vie de Casey Forbes.

Quoiqu’il en soit, Sasha ne semblait pas prompte à répondre à Domingo. Il avait déjà commencé à taper le nom de la jeune femme dans le moteur de recherche ce qui n’augurait rien de bon pour elle…
Et rien de bon pour Virgil, constata subitement ce dernier en prenant pleinement conscience du problème.

Ici, il était officiellement le petit ami de Sasha.  Si Domingo tombait sur cette vidéo épicée de la jeune femme, il penserait forcément que Virgil en était l’auteur. Bref, un bad buzz que le traqueur tenait absolument à éviter.

Au même moment, le ding de l’ascenseur retentit et les portes s’ouvrirent sur Meredith Kane et la délégation chinoise. Sans attendre une seconde, Virgil posa sa main sur le poignet de Domingo pour l’inviter à baisser le bras et  relever la tête de son écran.

«  Domingo, vous connaissez Meredith Kane ? » dit-il d’une voix un peu trop sonore en l’invitant à quitter l’habitacle de sa main libre.
Un peu décontenancé, Domingo observa Virgil du coin de l’œil avant de reporter son attention sur la psychomage et sur les deux chinois qui l’accompagnaient.

« Meredith, mi amiga ! » s’exclama l’espagnol. Il sortit de l’ascenseur, rangea son Pear dans la poche de sa veste blanche et enlaça la directrice du centre avant gratifier les chinois de salutations chaleureuses.

Virgil profita de ce bref échange pour attirer Sasha légèrement à l’écart d’un mouvement de tête.

«  Est-ce que la vidéo de la soirée de fin d’année est encore en ligne ? » demanda-t-il sans préambule en observant le dos de Domingo.  Il attendit quelques instants et  reporta son attention sur Sasha conscient qu’elle devait être un peu mal à l’aise qu’il aborde ce sujet, Gaby nous en a parlé, lâcha-t-il alors en l’observant. Il ne révéla pas que son petit frère leur avait transféré l’enregistrement et qu’il l’avait visionné. Plusieurs fois, Il s’inquiétait de la réaction de Casey. » Crut-il bon de préciser même s’il n’était pas sûr qu’elle le croit. Il avait la désagréable impression de se justifier aussi ajouta-il, Bref, on s’en fout.  Ce qu’il faut c’est que personne du congrès ne puisse tomber sur cet enregistrement.  Dit-il en se penchant vers elle pour ne pas être entendu des autres, C’est pas bon pour nous.  Déjà que Stern nous a à l’œil. Il sortit de nouveau son Pear de sa poche,  Si on tape ton nom dans le moteur de recherche, on tombe dessus ? » demanda-t-il en alliant le geste à la parole…

"Elle n'est plus sur Instamag, ni sur Twitcher, mais certains l'ont téléchargée et repostée depuis d'autres sites..."  affirma Sasha d’une voix blanche. Elle n’était toutefois pas en mesure de lui dire si on pouvait remonter jusqu’à elle avec une simple recherche nominative. Virgil l’observa un bref instant en silence. Ce n’était pourtant pas bien compliqué. Il lui suffisait de taper « Sasha Benson » dans n’importe quel navigateur, attendre les résultats et parcourir les liens holographiques proposés…

Si elle avait quelques réticences à le faire, il pouvait s’en charger.  Il s’apprêtait à procéder lui-même à cette vérification lorsque Sasha déverrouilla son propre Pear. Le jeune homme interrompit sa recherche, les doigts suspendus au dessus de son clavier pour l’observer. Elle avait la tête baissée, ses cheveux cachaient son visage tandis qu’elle pianotait les premières lettres de son nom dans le moteur de recherche.  C’était sans doute mieux ainsi, se dit-il. Il glissa son pear dans sa poche et se rapprocha d’elle pour lire par-dessus son épaule tout en surveillant du coin de l’œil les échanges entre Domingo, Meredith et les deux chinois.

Les premiers résultats semblaient tout à fait conformes à l’image sage de Sasha. Les liens proposés renvoyaient vers l’université de Salem, les préfets de Poudlard, ou encore quelques photos de soirées d’anniversaire…mais ils n’eurent pas besoin de visiter la page deux pour découvrir ce qu’il en était vraiment. La vidéo avait fuité. Et elle était associée à l’identité de la jeune femme.

« Et merde, souffla- Virgil en avisant l’URL caractéristique d’un site pornographique. Ils n’avaient pas besoin de visiter le lien pour deviner quel contenu sexuel ils allaient découvrir. Super. »

Virgil en voulait un peu à Sasha de ne pas avoir fait le nécessaire pour supprimer cette vidéo. Elle se doutait bien que des partenaires professionnels allaient finir par la chercher sur la toile et potentiellement tomber sur cet enregistrement ! Pourquoi avait-elle attendue d’être ici pour s’en soucier ?

« Je peux le signaler » lâcha-t-elle alors  en cliquant sur une icône qu’il n’avait jamais remarqué auparavant. En quelques manipulations elle indiqua l’illégalité du contenu et précisa le type d’infraction dans un menu déroulant. Elle n’en était clairement pas à son premier signalement. Dire qu’il venait de penser qu’elle n’avait pas cherché à régler le problème en amont… Il s’était clairement trompé. Elle avait surement dû passer des soirées entières à répéter cette manipulation, encore et encore.  

« Mais la demande met plusieurs heures à être traitée... Il n'y a rien à faire."

Le son de sa voix paraissait différent et elle n’avait toujours pas relevé le nez de son Pear, visiblement honteuse de la situation dans laquelle elle se trouvait. A force de se mesurer à elle, Virgil avait oublié que Sasha était une jeune femme de seize ans et qu’elle pouvait se montrer faillible, comme tout un chacun. Ce constat le frappa tant il ne s’y attendait pas.  Elle avait offert jusque-là une image d’elle particulièrement  forte et assurée. Lorsqu’il avait été question du meurtre d’Ana Sorden  et de bavure policière, Sasha n’avait pas tremblé. Elle avait même su se montrer menaçante à son égard pour protéger ses intérêts et elle  avait laissé croire à Virgil que rien ne pouvait l’atteindre. Absolument rien, si bien qu’il avait imaginé qu’elle réagirait tout à fait différemment à l’évocation de cette vidéo.  Jamais il n’aurait pensé que cet enregistrement la plonge dans un tel trouble perceptible.

Elle avait l’air accablée et résignée. Virgil prenait seulement conscience du poids que Sasha devait endurer depuis quinze jours.  Il avait beaucoup pensé à son frère -et à la manière dont Casey gérait la publication de cet enregistrement- mais à aucun moment  il n’avait pensé à ce que Sasha  pouvait ressentir, alors qu’elle était la principale victime de l’histoire. Il avait imaginé qu’elle vivait la situation sereinement – comme toutes les autres expériences affreuses qui avaient jalonnés sa vie- mais force était d’admettre qu’elle paraissait  réellement ébranlée cette fois. Elle s’était préparée à l’idée qu’un membre du congrès découvre sa partie de jambes en l’air et cette attitude ne lui ressemblait pas. Virgil préférait mille fois la voir combative – et un peu dangereuse-  qu’au bord des larmes.

« Arrête d’être défaitiste. » la sermonna-t-il avec rudesse. Il aurait sans doute dû trouver des mots plus appropriés -et  plus gentils- mais le fossé entre eux était bien trop profond pour qu’il se risque à dire quoi que ce soit d’empathique. Et puis, ils étaient sensés se détester. Du revers de la main il lui donna une petite tape dans l’épaule. « Suis-moi. »

Si elle semblait avoir baissée les bras ce n’était clairement pas le cas de Virgil qui entendait bien prendre le problème à bras le corps.  Les ennuis de Sasha étaient devenus ses ennuis  et il allait actionner tous les leviers en sa possession pour les résoudre.  Et cela commençait par chercher du soutien auprès des bonnes personnes, le plus rapidement possible…
« Excuse-moi Meredith. Nous devons nous absenter quelques minutes, Sasha et moi. Est-ce qu’on peut vous laisser un instant avec Domingo ? »
« Oui bien sûr, je vais lui faire visiter l’étage. Son regard balaya les jeunes gens, rien de grave j’espère ? »
« Non, tout va bien, la rassura-t-il en appuyant sur le bouton de l’ascenseur. Nous devons régler quelques détails en salle de conférences. Il esquissa un petit signe de la main à l’attention de Domingo auquel ce dernier répondit puis  les portes se refermèrent sur Sasha et lui, seuls dans l’habitacle. Virgil poussa un soupir en basculant sa tête vers l’arrière.  Il réfléchissait à toute vitesse.

« On a pas vraiment le temps d’attendre que les liens que tu as signalé disparaissent. Il observa Sasha d’un regard en biais,  On va essayer de contourner le problème.» expliqua-t-il sans s’étendre sur le plan d’action qu’il avait en tête. Il était loin d’être sûr de ce qu’il avançait mais il allait essayer.
Vargas Corp était un partenaire privilégié du Centre de Réhabilitation… C’était le moment d’utiliser cette carte et de faire preuve d'un peu de culot !

« J’espère que tu lui as broyé les couilles à ce cognard. » souffla-t-il en reportant son attention  sur les portes closes devant lui. Si cette vidéo venait à compromettre sa propre carrière, Virgil se chargerait lui-même de castrer l’heureux élu.

L’ascenseur les libéra  dans la salle de réception  quasiment vide puisque les différentes délégations visitaient les étages supérieurs. Seuls quelques techniciens s’affairaient à installer du matériel dans la salle de conférence attenante où les échanges de l’après-midi allaient se conduire.  Virgil rejoignit la pièce et la balaya du regard depuis le haut des gradins. Des agents installaient des bouteilles d’eau sur les tables situées en contrebas, d’autres reliaient un pear pro à un gigantesque  écran holographique Vargas. Certains employés de la multinationale étaient mandatés pour présenter le système de sécurité  à 16h.  Tout le monde s’affairait dans ce but sans se soucier d’eux. Une jeune femme avec un badge « Vargas Conférence Sécurité » passa à proximité et Virgil fit un pas en avant pour lui barrer la route.

« Excusez-moi Madame… Il jeta un coup d’œil au badge, Rahman.Je suis Virgil Forbes, Traqueurs de Conscience au sein du centre.  Il tendit une main entre eux pour la saluer,  Vous êtes informaticienne ? » demanda-t-il  sans toutefois libérer la main de Priya. Maintenant qu’il tenait une experte en sécurité, il n’allait pas la lâcher. «  J’ai besoin de vos services. Enfin « Skye » a besoin de vos services, reprit-il pour donner plus de poids à sa requête,  Notre jeune apprentie Sasha Benson – ici présente-  est dans une situation plutôt … inconfortable. Il n’était pas sûr que Sasha apprécie l’idée qu’il parle de sa sextape à la première venue mais il ne lui demandait pas son avis. Il devait agir au plus vite. Une vidéo pornographique d’elle circule sur la toile. Et cette vidéo est reliée à son identité.  Virgil grimaça, «  Si on tape Sasha Benson dans le moteur de recherche Vargas on la trouve en fâcheuse posture.   Autant vous dire que personne n’a envie de voir ça : ni les autres employés du centre de réhabilitation, ni les patients,  et encore moins  nos partenaires étrangers. » Il sourit légèrement et  poursuivit, Nous apprécierions que le service sécurité face quelque chose pour remédier à ce problème. Rapidement. Voir même… très rapidement. » Insista-t-il en restant planté devant l’informagicienne, sa main toujours dans la sienne.

Sans le savoir, Virgil s’était tourné vers la bonne personne en alpaguant cette chère miss Rahman. Malgré sa requête quelque peu insolite – pour parler poliment- elle n’avait pas l’air de vouloir s’enfuir et semblait même toute disposée à les aider.  Merlin bénisse le partenariat commercial entre Skye et Vargas !

« Oui, bien sûr. Excusez-moi. » répondit Virgil lorsque Priya lui demanda si elle pouvait enfin récupérer sa main. Il la libéra de son emprise avec un sourire mécanique  et hocha la tête en entendant ses propos sur le déréférencement de la vidéo. Elle avait tout comprit. «  C’est exactement ce qu’il nous faut. » approuva-t-il.

L’enregistrement pouvait encore être disponible sur la toile : tant qu’on ne remontait pas jusqu’à Sasha – et donc,  jusqu’à lui- Virgil s’en contenterait.

L’ingénieure avait visiblement  besoin d’information complémentaire concernant la diffusion de la vidéo.  Virgil se tut et croisa les bras sur son torse, soucieux de se mettre  en retrait pour suivre  l’échange entre l’informagicienne et son apprentie. Cette dernière avait retrouvé son aplomb légendaire ce qui n’était pas pour lui déplaire. Elle avait recouvré un peu de sa superbe dans l’ascenseur à l’évocation de sa vengeance future :  Rien de mieux qu’une haine viscérale à l’égard d’un tourmenteur  pour retrouver un regain de motivation et d’énergie ! Virgil savait de quoi il parlait !   Elle semblait d’ailleurs nettement plus à l’aise à l’idée d’évoquer sa situation que Miss Rahman qui buttait sur chaque mot et tournait autour du pot. Ce n’était pas comme s’ils étaient pressés. Virgil dut prendre sur lui pour ne pas brusquer l’ingénieure. Il se contenta d’afficher un sourire poli -mais clairement factice-  alors qu’il bouillonnait intérieurement. Il espérait sincèrement que Vargas n’avait pas mandaté cette informagicienne pour la présentation orale de l’après-midi. La patience de Virgil était déjà entamée.

« Mais…euh…ben…Hum… » Mais Merlin, dites lui de finir ses phrases !!! Songea-t-il en se pinçant la lèvre inférieure dans un effort de retenue. C’était à croire qu’elle n’avait jamais entendu parler de sextape de sa vie. D’ailleurs, il rêvait où elle était en train de rougir ?
"Est-ce qu'il y a un bureau où on pourrait s'installer ? » demanda-t-elle finalement après quelques hésitations.
Virgil sauta sur l’occasion pour intervenir. « Oui. Bien sûr. Tout à fait. On peut aller dans le mien. » dit-il en entrainant les deux femmes à l’extérieur de la salle de conférence.  Plus vite l’algorithme dont leur parlait Priya serait installé, plus vite ils pourraient reprendre leurs activités respectives. Virgil ne comptait pas passer sa journée à aider Sasha. S’il le faisait, c’était avant tout dans son propre intérêt… aimait-il se persuader.

« Vous nous sauvez la mise, Miss Rahman. » souffla-t-il en pénétrant dans l’habitacle pour la dixième fois de la journée. Il avait l’impression d’avoir passé sa matinée dans cet ascenseur. L’ingénieure allait enfin les aider mais elle profita d’être seule avec eux pour savoir si Sasha avait porté plainte. Virgil ne lui avait même pas posé la question tant il portait en piètre estime le travail de la PM. Dans ce pays, lorsque l’on souhaitait obtenir justice, il fallait souvent la faire soit même.

Sasha répondit qu’une enquête était déjà en cours mais que les agents de la Police Magique n’avaient pas encore trouvé l’auteur de la première diffusion.  Voila qui appuyait le constat de Virgil. Il secoua légèrement la tête comme si cette situation était tout à fait prévisible mais il se garda de tout commentaire oral.

De toute manière, il savait de source sûre que Sasha ne se contenterait pas d’une simple enquête. Elle le lui avait dit dans l’ascenseur : Elle allait trouver un moyen radical pour se venger et il lui faisait nettement plus confiance sur ce point qu’à la PM.  Il observait justement la jeune femme en se demandant ce qu’elle avait prévu lorsqu’une remarque de Priya Rahman le tira de ses pensées.

"Est-ce que vous connaissez un certain Jonah Forbes ?"

Virgil haussa légèrement les sourcils en reportant son regard cerné sur l’ingénieure.
« C’est mon père. » révéla-t-il alors. Il resta quelques instants silencieux pour fouiller sa mémoire à la recherche de cette femme qui connaissait son paternel. Priya ne lui disait rien mais si elle était britannique, ils s’étaient forcément croisés à Poudlard. Elle semblait un peu plus âgée que lui et  généralement les filles de cette génération lui demandaient s’il connaissait Dean plutôt que Jonah.  «  Vous l’avez rencontré dans le cadre de ses recherches sur la technomagie ? »
Il ne pouvait pas en être autrement. Jonah avait rédigé un essai sur le phénomène et Virgil savait qu’il avait interviewé plusieurs acteurs du milieu. «  Vous le connaissez bien ? » ajouta-t-il presque suspicieux cette fois.

L’ascenseur les libéra de nouveau à l’étage des traqueurs, interrompant ce bref échange.  Ils passèrent devant la salle d’opération –Stern y faisait une présentation- et ils s’enfoncèrent dans le couloir desservant les différents bureaux. Virgil déverrouilla la porte du sien d’un coup de baguette magique et il s’effaça pour indiquer à Priya son siège et son ordinateur professionnel.
« Je vous en prie. Installez-vous. »

La pièce était plongée dans la pénombre – Virgil avait hérité du bureau le plus sombre de Skye donnant directement sur la falaise- et il y faisait plus froid qu’ailleurs puisqu’il avait échappé à l’effervescence des visites de ce début de journée. Le traqueur referma la porte derrière les deux jeunes femmes et desserra le premier bouton du col de sa chemise. Un peu d’air frais et de calme lui faisait du bien.

Il s’avança, prit place dans un siège visiteur et croisa les jambes tout en surveillant du regard les recherches de  l’ingénieure.

« Cela vous arrive souvent de régler ce genre de problème ? » demanda-t-il en observant l’écran de son ordinateur depuis sa place derrière le bureau. Il ne tenait pas à ce que Priya aille se promener dans les dossiers des patients même si, en tant qu’experte de la sécurité, elle avait sans doute déjà accès à toute l’arborescence numérique de Skye.  
« Jonah  va développer une nouveau programme de prévention contre le cyber-harcèlement à Poudlard. »  révéla-t-il alors pour alimenter la conversation. Virgil tenait l’information de Gaby qui la tenait lui-même de Dean puisque, pour sa part,  il n’avait pas été en contact avec son père depuis fin aout. «  Il va sans doute vous contacter Mme Rahman. » dit-il avant de chercher le regard de Sasha. «  T’es sa nouvelle marotte. » Et, pour le coup,  il était vraiment désolé pour elle.  Virgil observa la jeune femme un instant avant d’ajouter.

« Comment sais-tu  que celui qui a filmé n’est pas celui qui a diffusé ? » s’enquit-il alors.

D’après les rumeurs que lui avait relaté Gaby,  l’auteur de la vidéo était sans doute un ancien septième année ayant quitté Poudlard. Plusieurs noms circulaient – dont celui de Damon qui était tout à fait capable de conserver ce genre de « souvenir » d’une fille- mais personne n’était en mesure de prouver qui était réellement l’auteur et le diffuseur de l’enregistrement.

Si Priya Rahman n’était pas la plus grande des oratrices, elle semblait maitriser à la perfection son champ de compétences informagiques. Virgil essayait de suivre ses manipulations mais elle était bien trop rapide de ces mains. En quelques clics, elle modifia l’interface et passa en mode administrateur pour rechercher la vidéo en ligne qu’elle trouva facilement grâce aux indications de Sasha.  Elle tourna légèrement l’écran dans leur direction pour leurs faire vérifier le lien et Virgil hocha la tête affirmativement en même temps que son apprentie.

- Ok. Je vais...Hum...Je suis désolée, je...Je dois ouvrir le fichier vidéo, pour pouvoir l'encoder.

Ah. Virgil jeta un regard en biais à Sasha dont le visage était parfaitement impassible. Elle regardait droit devant elle, le menton haut, et elle ne cilla pas lorsqu’elle donna l’autorisation à l’ingénieure de lancer la lecture de l’enregistrement.  Elle n’avait plus rien à voir avec l’adolescente perturbée qu’il avait entrevue momentanément au service psychomagie. Pour le coup, cette Sasha là forçait le respect.

Devait-il prendre les devants et  sortir de la pièce de son propre chef ? La question se posait.
Il étudia durant quelques secondes les deux alternatives. Il pouvait agir en parfait gentleman et s’éclipser – comme l’aurait fait n’importe quel garçon bien élevé- ou il pouvait rester et demeurer fidèle à sa réputation de gougeât qu’il se plaisait à entretenir. Le choix fut vite fait d’autant plus qu’il n’avait pas envie de dévoiler la moindre faille face à Sasha. Si elle s’apercevait qu’il était prêt à faire des efforts pour qu’elle se sente mieux, elle n’hésiterait pas à retourner ce levier contre lui et à abuser de la situation. Il commençait à voir à qui il avait à faire.

Puisque elle assumait, il comptait bien réagir avec le même détachement qu’elle.

Il s’accouda donc sur les bras de son fauteuil et joignit ses mains en prière devant sa bouche attendant que l’ingénieure lance l’enregistrement.  Son expression ne changea pas lorsque les soupirs extatiques de Sasha emplirent la pièce mais son cœur se mit à battre un peu plus vite. Cette situation aurait dû être gênante – Il écoutait Sasha faire l’amour en présence d’une inconnue, quoi de plus malaisant ?- mais contre toute attente  une part de lui trouvait ce moment…excitant.
Dire que Sasha était là,… assise juste à côté....

Le son s’arrêta brusquement, interrompant dans le même temps les pensées lubriques du jeune homme. Ce n’était ni le lieu, ni le moment. Et d’une manière générale, fantasmer sur la vidéo volée d’une adolescente – qui plus est l’ ex de son frère-  était une très, très mauvaise idée.

Heureusement,   Priya Rahman semblait si gênée qu’elle se mit à déblatérer une somme d’information  - parlant tour à tour  d’encodage, de contenu altéré et de référencement-  ce qui laissa le temps à Virgil de se ressaisir pleinement et de chasser l’image mentale d’une Sasha dénudée de son esprit. Par chance, il faisait frais ici et cela contrebalançait sa température intérieure qui était monté d’un cran.

«  Faites au mieux. » dit-il. «  On vous fait confiance. »


Au bout de quelques secondes, il s’appuya sur la paume de sa main et tourna légèrement la tête en direction de son apprentie. Il s’efforça de la regarder dans les yeux – les yeux-  pour lui parler des projets de Jonah, projets qui semblèrent la ravir en tout point. Elle lui indiqua d’ailleurs qu’elle avait vécu la convocation la plus humiliante de l’histoire de Poudlard et Virgil laissa fleurir un rictus moqueur sur ses lèvres.

«  Toi et mon père en train de parler de cette vidéo ? Oh merlin, le malaise ultime. » Il se mit à rire doucement tout contre sa main «  Franchement j’aurais aimé être une mouche pour assister à ça. »

Déjà que Jonah n’était pas très à l’aise à l’idée d’éduquer sa première fille après quatre garçons, alors gérer la sexe-tape d’une de ses élèves ne devait pas particulièrement l’emballer.

« Prépare-toi, il va vouloir que tu ailles voir l’infirmière, que tu suives une thérapie, si ce n’était pas déjà le cas,   Il va te prescrire un test VIH, une potion contraceptive puis t’acheter un paquet de préservatifs  «  Pour rester pote, porte une capote. »

Tous les fils Forbes avaient eu droit à leur boite, même Casey.

Virgil reporta son attention sur Priya toujours occupée à pianoter sur son clavier pour déréférencer la vidéo.  Elle avait l’air concentrée mais elle devait sans doute les écouter aussi décida-t-il de compléter la définition qu’elle avait donnée de Jonah «  Intéressant, passionné …et un peu trop investi dans les campagnes de prévention contre les conduites à risques. » Sur ces mots, il se leva de son fauteuil  et contourna son bureau pour attraper un paquet de cigarette dans le tiroir du bas.

Puisqu’ils parlaient de conduites addictives et qu’ils étaient bloqués ici autant allier l’utile à l’agréable. Il proposa une cigarette aux deux jeunes femmes  avant de s’appuyer sur le rebord de son bureau, face au siège qu’il venait tout juste de quitter .  La conversation avait dérivé  assez naturellement vers l’auteur de la vidéo compromettante. D’après Sasha, le garçon en question avait été contrôlé par la PM mais il n’était pas le « diffuseur officiel » du contenu.

« Pff. N’importe quoi,  souffla Virgil en expirant de la fumée au dessus de son crâne. Il secoua la tête, la première diffusion émane forcément de son pear. A moins qu’il ait filmé avec le pear d’un pote… ou avec le tien, si à la base, c’était juste un petit jeu entre vous. » Bon, peut-être que Sasha n’avait pas vraiment envie de s’étendre sur ses pratiques sexuelles. Et puis Priya Rahman risquait de faire un AVC s’ils abordaient ce sujet devant elle.

L’adolescente  se contenta d’ailleurs de lui dire que l’auteur de l’enregistrement allait s’en tirer avec relativement peu de sanction et elle crut important de préciser qu’il ne s’agissait pas de Casey.
Virgil la gratifia d’un regard entendu. Il tira une taffe sur sa cigarette et finit par lui dire. « Je sais. » Il avait vu la vidéo et l’extrait était plus que  représentatif. «  Mais je ne te cache pas qu’il ya plusieurs noms qui circulent… »  Peut-être serait elle assez curieuse pour savoir de qui il s’agissait… Et peut-être qu’en échange Virgil pourrait connaitre l’identité du véritable auteur ? Par pure curiosité, bien sûr.

 Il resta quelques instants silencieux et finit par reporter son attention sur Miss Rahman.

« Et vous ? Vous ne pouvez pas savoir quel appareil a posté la première copie sur le réseau ? C’est si compliqué que ça à retrouver ? »  Les moldus allaient sur la lune mais les agents de la PM étaient incapables de retrouver l’auteur de ce petit délit.

Il se leva de sa place et regagna l’arrière du bureau pour venir s’accouder sur le dossier du siège de Priya et observer ses nombreuses manipulations….