Minefields [Andrew & Rosaleen]

Rosaleen réalisait à quel point le choc devait être grand pour Andrew. Elle garda le silence quelques secondes, comme si cela suffisait pour qu’il puisse assimiler la nouvelle. Elle hocha la tête lorsqu’il répéta qu’elle était enceinte, glissant ses doigts entre les siens. Elle posa leurs mains nouées sur ses genoux. Elle secoua la tête quand il demanda si elle savait de quand datait cette grossesse.

- Pas précisément, quatre semaines peut-être.

Elle n’était pas très attentive à ce genre de choses. Lorsqu’il posa la question de son mari, elle secoua la tête.

- Je voulais t’en parler avant.

Elle eut une hésitation avant d’ajouter.

- Mais il l’apprendra vite, je ne peux pas lui cacher.

Il était peut-être le père de cet enfant, après tout.

Rosaleen était enceinte. Enceinte de peut-être quatre semaines, peut-être un peu plus, peut-être un peu moins. Peut-être enceinte de lui, peut-être enceinte de Leopold. Andrew sentit un lourd poids tomber au fond de sa poitrine ; un poids qui n’était pas fait entièrement de désespoir, mais pas non plus fait de la joie pure qu’il aurait pu ressentir à l’idée d’avoir conçu un enfant avec Rosaleen. C’était pourtant une idée qu’il caressait parfois, de loin. Depuis le début de leur idylle, il avait eu tout le loisir de se rendre compte que ses sentiments pour Rosaleen n’étaient pas seulement sincères, ils étaient aussi forts et catégoriques. Il était profondément amoureux d’elle et voyait, dans les gestes de la jeune femme, que la réciproque était aussi vraie. Et Andrew était un homme qui aspirait à une vie traditionnelle, proche des modèles qu’il avait autour de lui ; épouser la femme qu’il aimait, fonder une famille avec elle, élever leurs enfants dans un beau manoir et partir en vacances dans leur résidence secondaire. Difficile de pas s’y projeter instinctivement avec Rosaleen.

Sauf que Rosaleen était mariée – mariée au père de son cousin, soit dit en passant. Elle était mariée, et déjà mère d’un enfant. Désormais, elle était enceinte du second ; et ce second pouvait très bien se révéler être le sien. Pris d’un vertige, Andrew ferma brièvement les yeux et souffla lentement, sa main enlacée à celle de Rosaleen. Lorsqu’il les rouvrit, il s’efforça de faire le tri entre tous les sentiments contradictoires qui l’habitaient et qui bataillaient en lui, pour laisser davantage s’exprimer son esprit pratique, logique, qui cherchait une solution à cette situation.

« Je suis peut-être le père de cet enfant. » énonça-t-il à voix haute, comme pour rendre cette réalité un peu plus tangible. Il ancra son regard dans celui de Rosaleen et resta silencieux quelques secondes. « Qu’est-ce qu’on fait, darling ? » demanda-t-il finalement.  

Rosaleen vit à la manière qu’eut Andrew de fermer les yeux que la nouvelle le perturbait profondément. Comment aurait-il pu en être autrement ? Elle-même avait accusé le choc. Quand elle avait découvert qu’elle attendait Nicholas, elle avait été comblée de joie. Elle avait toujours voulu être mère. Leopold et elle étaient mariés depuis quelques mois et tout se passait bien. Evidemment, ce n’était pas de l’amour, pour elle, mais ils étaient bien. Depuis, tout avait basculé. Leur mariage était devenu un temple de conflit, elle était en colère contre lui, pour tout ce qu’il avait fait, tout ce qu’il faisait, la manière dont il la traitait. Il n’avait plus pour elle les tendresses et la délicatesse dont il faisait preuve au début de leur union, quand ils vivaient en harmonie.

Puis il y avait Andrew. Elle n’aurait jamais pensé qu’elle serait le genre de femme qui tromperait son mari avec un autre. Elle se pensait au-dessus de cela. Trop digne pour cette bassesse-là. Mais elle était malheureuse avec Leopold. L’équilibre qui avait pu être le leur avait complètement basculé. Elle ne supportait plus son contact, sa présence, et pourtant, elle n’avait pas le choix. Car il était son époux, car ils étaient engagés et parce qu’il ne la laisserait pas partir. Elle ne supportait plus la constante humiliation publique qu’il lui faisait subir avec ses maîtresses, Clara Lorgan, la dernière en date. Il ne s’agissait même pas d’une jalousie d’amour, mais d’un peu de respect. Ne pouvait-il pas faire semblant d’être fidèle, comme tout époux qui se respecte ?

Alors quand sa relation avec Andrew s’était nouée, lorsqu’il avait fait battre son cœur et qu’elle avait trouvé un refuge entre ses bras, elle n’avait pas pu résister. Elle s’y était abandonnée car c’était son escapade et parce que cela rendait la vie au manoir Marchebank brusquement plus tolérable. Loin de son mari, avec Andrew, Rosaleen avait l’impression de respirer de nouveau. Alors elle s’était adonnée à la bassesse de l’infidélité. Et elle était enceinte. Plus rien n’était simple, comme pour Nicholas. Comme le souffla Andrew, la paternité de cet enfant se posait.

- Oui, peut-être...

Rosaleen ne savait même pas ce qu’elle préférait. Que l’enfant soit de son mari, comme il se devait ? Qu’il soit le frère ou la sœur de Nicholas, qu’il soit le descendant de Leopold ? Qu’aucun secret ne pèse sur cette naissance ? Ou bien qu’un enfant soit issu de ses amours avec Andrew ? Qu’il soit le bébé de l’homme qu’elle aimait, mais frappé par le sceau de l’adultère ? Elle ne souhaitait pas y penser tant ces pensées vertigineuses la troublaient.

- Je ne sais pas, souffla-t-elle à la question de son amant même si, en son sein, elle s’inclinait déjà pour une solution. Je ne suis pas certaine qu’on puisse faire grand-chose…

Andrew ne s’était jamais demandé s’il désirait avoir des enfants ou non ; pour lui, cela s’établissait comme une évidence. Les hommes de sa génération se mariaient puis fondaient un foyer avec leur épouse ; ensemble, ils élevaient des enfants dans les traditions que leurs propres parents leur avaient inculquées et les faisaient ainsi perdurer. Andrew et Daphné, s’ils n’avaient pas rompu leurs fiançailles, auraient pu prendre le même chemin – leurs familles les y poussaient fortement, heureuses de cette union que beaucoup qualifiaient d’harmonieuse et de respectable. Et leur union avait été en effet respectable, ainsi que plus ou moins harmonieuse. Daphné et Andrew se connaissaient depuis très longtemps et ne s’étaient pas opposés à ce rapprochement souhaité par leurs parents. Mais plus les mois passaient, plus la date du mariage se rapprochait, et plus le couple se fuyait. Andrew avait soupçonné Daphné d’être amoureuse de quelqu’un d’autre et, s’il ne l’avait jamais confronté à ce sujet, plusieurs signes allaient en ce sens. Mettre fin à ces longues fiançailles n’avait pas été une tâche aisée, et cela avait soulevé beaucoup de questions parmi leurs proches, auxquelles ni Daphné ni Andrew n’avaient souhaité répondre, arguant de simples « différends irréconciliables ». Leurs fiançailles avaient été une belle mascarade de plusieurs mois et la fin de ces dernières était un véritable soulagement. Andrew ne pouvait même pas blâmer Daphné pour ce mariage avorté ; lui-même ne s’était que trop rarement comporté envers elle comme un fiancé attentif au bonheur et au confort de son future épouse.

Tous les plans établis pour son futur étaient brusquement tombés à l’eau. Il aurait pu chercher une autre union – sa mère l’avait d’ailleurs rapidement poussé dans ce sens – mais Rosaleen était arrivée dans sa vie, et l’intégralité de ses certitudes s’étaient effondrées. Si Andrew n’avait jamais ressenti pour Daphné qu’une simple affection, il avait découvert auprès de Rosaleen le véritable sens du mot amour. Voilà pourquoi leur liaison perdurait depuis plusieurs mois, et pourquoi il se sentait incapable d’y mettre un terme, malgré les risques qu’ils prenaient quotidiennement à la faire vivre. Ils avaient réussi à construire autour d’eux une bulle dans laquelle ils évoluaient et dans laquelle ils auraient pu continuer à cultiver l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre.

Mais Rosaleen était enceinte, il était possible qu’il soit le père de cet enfant qu’elle portait, et brusquement, cette bulle n’était plus assez grande pour trois.

« Rose… » souffla Andrew à la suite des paroles de son amante. « Je t’aime. » lui assura-t-il en cherchant son regard. « Je t’aime et cet enfant, c’est le nôtre. Que ce soit biologiquement le mien ou non, au regard de l’histoire qui nous unie aujourd’hui, c’est le nôtre. » Il enveloppa sa main de la sienne. « On ne peut pas ne rien faire, se quitter comme si rien n’avait jamais existé, ce n’est pas possible. » Lui, en tout cas, n’en n’était pas capable. « Je sais que la situation n’est pas idéale, que les choses ne peuvent pas se faire dans la minute mais… Je n’irai nulle part. Je resterai pour toi, pour lui, » fit-il en baissant les yeux sur son ventre, « que je doive attendre un an, cinq ans ou vingt ans pour être véritablement à vos côtés. » Il effleura sa joue de son pouce. « Mais ne dis pas qu’on ne peut rien faire, darling. Si tu en as envie aussi, on trouvera une solution. »

Les mots d’Andrew firent naître une vive émotion chez Rosaleen et elle baissa les yeux, incapable de soutenir le regard de son amant plus longtemps. Il déclara sans la moindre hésitation que cet enfant était le leur, qu’il était issu de leur histoire, et ce peu importe la réalité biologique. Elle serra sa main dans la sienne en retour, touchée par cette preuve d’amour. Andrew était un homme bien. Elle était désolée de lui infliger une si sordide histoire. Il méritait mieux qu’un adultère, qu’un enfant dissimulé, il méritait mieux que ce qu’elle pouvait lui offrir pour le moment. Et pourtant elle n’avait pas le cœur de le repousser, de mettre fin à cette histoire qui la rendait si heureuse. Il était son échappatoire dans une vie qui l’oppressait. Il ne souhaitait pas la quitter, il ne souhaitait pas fuir cette situation qui était devenue brusquement plus complexe. Et elle ne souhaitait pas qu’il s’en aille. Elle releva ses yeux verts vers lui alors qu’il souffla qu’il resterait pour elle et pour le bébé qu’elle portait.

- Je ne souhaite pas que tu partes non plus... souffla-t-elle.

Il effleura sa joue de son pouce et elle s’efforça de lui sourire doucement.

- Je t’aime. Et je te remercie, pour tout... Je ne te mérite pas.

Elle glissa sa main contre sa mâchoire et se pencha vers lui pour l’embrasser, tendrement. Lorsqu’ils se séparèrent, elle conserva ses doigts entre les siens.

- Ce que je voulais dire c’est que... Je ne peux pas le quitter. Ils n’avaient jamais abordé frontalement ce sujet. Leopold n’est pas le genre d’époux que l’on quitte.

Andrew sentit son estomac se délier aux mots de son amante. Elle non plus ne souhaitait pas le voir partir et, une fois cette phrase formulée, il lui semblait que l’avenir devenait non pas plus facile, mais au moins envisageable. Evidemment que tout ne dépendait pas de leur volonté, mais ils avaient au moins les mêmes envies, les mêmes volontés, et pouvaient ainsi se projeter sur un chemin qu’ils aspiraient tous les deux à construire. Apprendre la grossesse de Rosaleen n’avait pas donné envie à Andrew de fuir, au contraire, il n’avait jamais autant aspiré à une vie avec elle.

« Ne dis pas n’importe quoi. » la coupa-t-il lorsqu’elle murmura qu’elle ne le méritait pas, avec un sourire triste.

La situation était loin d’être idéale ; Andrew en était bien conscient. En plus d’être mariée, Rosaleen était mariée à Leopold Marchebank qui était le ministre de la magie (et accessoirement le père de ses cousins germains mais le milieu Sang-Pur en avait vu d’autres). Elle avait déjà évoqué auprès de lui les humeurs de Leopold, et ses facultés à se montrer cassant ou méchant envers elle. Lorsqu’Andrew avait cherché à en savoir plus, elle avait refusé de poursuivre, arguant qu’elle voulait préserver leur relation de ce qu’elle vivait dans son mariage, ce qu’il avait accepté par respect pour elle. Evidemment, il ne pouvait s’empêcher de nourrir des inquiétudes à ce sujet, parfois, qu’il s’efforçait de taire. Mais cette fois-ci, il n’en fut pas vraiment capable :

« Parce qu’il ne te laisserait pas le quitter ? » devina Andrew sans lâcher sa main ni son regard.

Rosaleen ne parlait que peu de son mariage avec Andrew. Elle souhaitait préserver leur relation le plus possible de l’influence de son mari, elle voulait préserver cette bulle qui lui appartenait. Elle était de toute façon d’un tempérament réservé, rarement un mot plus haut qu l’autre. Elle avait été éduquée comme cela, à cacher ses émotions et ses difficultés derrière un joli sourire. Ne jamais expliquer, ne jamais se plaindre. Elle avait déjà évoqué à mots couverts des choses mais refusait de s’y aventurer. Quand Andrew l’interrogea sur une éventuelle séparation avec Leopold, elle se contenta de secouer la tête.

- Tu le connais, souffla-t-elle. C’est lui qui mène la danse. C’est lui qui choisit quand il s’en va, on ne le quitte pas. Ta tante - Meredith Warlock, la mère de Dave, la première épouse de Leopold - et lui étaient séparés depuis des années avant qu’il ne lui accorde un divorce. Et il l’a fait, je crois, car il avait décidé de se remarier avec une autre.

Avec elle. Ils avaient déjà été présentés à cette époque. Elle ne pouvait pas affirmer qu’il avait quitté Meredith pour l’épouser elle mais les choses s’étaient précipitées lorsqu’ils s’étaient rencontrés, sous l’influence de feue sa grand-mère.

- Et je ne pense pas qu’il ira épouser sa maîtresse.

Oui, Andrew connaissait Leopold. Il connaissait son caractère tempétueux, cette attitude qu'il pouvait avoir pour se mettre en avant et rabaisser les autres. Il connaissait aussi l'animosité de son père pour son ex beau-frère. John Warlock n'avait jamais caché ne pas s'entendre avec celui qui avait épousé sa soeur. Andrew n'avait pas tous les détails du conflit qui les opposait, mais il savait que son père n'avait jamais approuvé l'union entre Meredith et Leopold. Il avait bu un coupe de champagne quand leur divorce avait été enfin prononcé.

Leopold ne s'était visiblement pas apaisé dans son union avec Rosaleen, et c'était déjà ce qu'Andrew avait deviné à demi-mot dans les récits de son amante. Leopold ne la laisserait pas partir, il ne la laisserait pas le quitter et probablement qu'il ne la quitterait pas lui-même, même si leur mariage n'était plus qu'une mascarade. Rosaleen était son épouse, la première dame du pays et, malgré ses infidélités répétées et documentées dans la presse, Leopold persistait à vouloir afficher cette image de père de la nation. Pour cela, il devait être un père. Un mari.

Cette pensée révolta Andrew et ses sourcils se froncèrent imperceptiblement. Il détestait se sentir coincé, pris au piège par Leopold, tenu à l'écart de la femme qu'il aimait et de l'enfant qu'il voulait élever. Tout pour l'ego immense et malsain d'un dirigeant mégalomaniaque qui, de surcroît, avait déjà une solide dent contre sa famille.

"Sûrement pas." concéda Andrew. Leopold n'irait probablement pas épouser sa maîtresse et prendre le risque de s'attirer une mauvaise presse. "Mais ce n'est peut-être pas la seule solution." Les rouages de son cerveau tournait à plein régime, si bien qu'une ride de concentration s'était formée sur son front. "Nous allons y réfléchir. Pas nous précipiter dans quelque chose d'intenable ou d'imprudent, mais y réfléchir." Il glissa sa main contre la joue de Rosaleen. "Je ne te laisserai pas prisonnière d'une union si elle te rend malheureuse. Et je ne laisserai pas notre enfant témoin de cela non plus." promit l'avocat. "On va trouver une solution."

Rosaleen voyait bien que toute cette situation inquiétait Andrew : elle le voyait à la ride de son front, à ses yeux sombres et agités. Elle entrelaça un peu plus ses doigts fins avec les siens, caressant doucement le dos de sa main avec son pouce. Quand il finit par murmurer qu’il ne la laisserait pas prisonnière d’une union qui la laissait malheureuse, elle garda le silence quelques secondes, l’esprit agité. Elle n’osait pas formuler à voix haute ce qui l’inquiétait : était-elle si prisonnière ? Ou bien se satisfait-elle tant bien que mal de cet situation car elle avait peur de ce qui arriverait si elle tentait de s’en extraire ? Etait-elle si impuissante que cela, au point qu’elle ait besoin de lui ? Taisant ses pensées, elle se contenta de murmurer.

- On trouvera.

Andrew faisait les cent pas dans le salon du manoir Lestrange. Derrière les hautes fenêtres qui donnaient sur l’extérieur, on voyait nettement le jour baisser. On était en fin d’après-midi et le soleil avait commencé à décliner depuis plusieurs minutes. Andrew avait quitté le manoir Warlock, étourdi, choqué, dans un état de fébrilité tel qu’il s’y était repris à deux fois avant de transplaner. Plus rien ne faisait sens, depuis qu’il avait appris la mort de son père.

L’assassinat de son père.

Le besoin de retrouver Rosaleen était devenu urgent, vital, nécessaire. Il l’avait contacté en quittant le manoir et ils avaient convenu d’un rendez-vous un peu plus tard dans la journée dans le manoir Lestrange où ils avaient pour habitude de se retrouver. Il ne lui avait rien dit, encore, incapable de faire cette annonce à distance.

Lorsqu’elle franchit la porte, le regard qu’il tourna vers elle annonçait cependant une détresse pudique qui ne s’exprima que par ce biais. Sa voix paraissait lointaine lorsqu’il déclara :

« Mon père est mort, aujourd’hui. »

Une seconde passa, puis une deuxième.

« Il a été assassiné. »

Les jardins de Thornton n’étaient jamais aussi beaux qu’au printemps. Les massifs de fleurs explosaient de couleurs et de senteurs, la roseraie que son père avait fait planter à sa naissance était resplendissante. Rosaleen pouvait passer des heures entières dans les jardins de la maison, à les enrichir, à cultiver des plantes plus fascinantes les unes que les autres... Agenouillée devant les bourgeons, elle tamisait la terre, arrosait, arrachait les mauvaises herbes. La veille, la peau diaphane de son pouce avait été entaillée par une branche de lys un peu trop seyante. Une goutte de sang avait perlé le long du pétale blanc. Elle avait laissé son sécateur se refermer dessus, lui coupant la tête.

Mais aujourd’hui, ce n’était pas pour les jardins qu’elle était venue jusqu’au manoir de ses parents. Elle avait reçu un message pressant d’Andrew et ils s’étaient donné rendez-vous en fin de journée. Elle avait abandonné Nicholas aux bons soins de leur elfe mais elle savait qu’elle ne s’était pas échappée pour longtemps : Dave venait dîner et Leopold rentrerait donc tôt. Elle avait indiqué à leur personnel de maison qu’elle avait oublié des parchemins d’étude à Thornton et partait donc les récupérer. Elle émergea de la cheminée du hall, la seule encore officiellement active et qui était uniquement reliée au manoir Marchebank. Elle fit quelques pas vers le salon, pour y retrouver Andrew. Un mauvais pressentiment l’assaillit immédiatement et tua dans sa gorge les quelques mots qu’elle allait prononcer, pour le prévenir qu’elle ne pourrait pas rester longtemps.  

John Warlock était mort.

Une vague de compassion la traversa et elle avança jusqu’à son amant pour encadrer son visage de ses mains, comme si ce simple geste pouvait contenir la peine déchirante qu’il devait ressentir.

Il avait été assassiné.

- Oh, Andrew... murmura-t-elle.

Elle l’attira contre elle.

- Je suis tellement désolée.

Elle savait qu’aucune phrase ne serait à la hauteur de son chagrin.