Installée sur le siège passager d’une jeep, Avalon tourna un regard mi-amusé mi-désabusé vers Roy, qui conduisait. Après les mois d’avril et de mai qui avaient eu leur lot d’évènements bouleversant ou traumatisants, ils avaient pris la sage décision de poser une semaine entière de congés pour s’envoler loin de l’Angleterre et de sa chaleur timide en ce mois de juin. C’était une chaleur beaucoup plus lourde qui avait accueilli le couple à son arrivée à Santa Cruz, une île des Galapagos, où ils avaient prévu de passer quelques jours dans un hôtel magnifique qui surplombait une mer turquoise. Les journées interminables, le soleil brûlant, le sable chaud, avaient aidé Avalon et Roy à relâcher la pression qui avait accompagné les dernières semaines. Ils avaient passé les deux premiers jours à découvrir les environs et à profiter de la plage, alternant baignades dans une eau magnifiquement claire et siestes au soleil, où leurs peaux naturellement hâlées prenaient des teintes plus foncées.

Ces vacances leur permettaient de couper avec un quotidien bien chargé, pour se concentrer sur un aspect de leurs vies qui avait rapidement pris une place importante pour eux : la naissance de leur couple. Loin de leur travail, de leurs préoccupations habituelles, Avalon et Roy se découvraient, toujours avec étonnement, une complicité qui venait renforcer leurs sentiments. Ils se taquinaient beaucoup, se chamaillaient tout autant, riaient des défauts de l’autre et s’aimaient tendrement. Ils s’offraient le luxe de ne pouvoir se concentrer que sur cet amour naissant et paradoxalement déjà solidement ancré en eux, dans un cadre où rien ne venait troubler leur tranquillité d’esprit.

Après ces quelques jours de farniente, les esprits plus aventureux d’Avalon et Roy avaient quitté les îles pour le continent, où ils avaient loué une jeep pour parcourir l’Equateur comme bon leur semblait, sans s’établir dans un hôtel en particulier. Ils enchaînaient les randonnés ardues et les visites des villes et des villages qu’ils croisaient, férus de nouvelles expériences qui leur faisaient oublier leurs vies anglaises. Ils avaient l’avantage de parler couramment la langue officielle du pays – l’espagnol – ce qui facilitait largement leurs échanges. Et c’était d’ailleurs au cours d’une conversation avec un restaurateur, que ce dernier leur avait indiqué le meilleur chemin pour se rendre à la lagune de Quilotoa, espace protégé et magnifique. Ils étaient partis le soir même et avaient fait étape dans un petit village. Au petit matin, ils avaient pu découvrir un paysage magnifique ; Avalon en avait eu le souffle coupé. Ils avaient passé la journée entière à explorer ce lieu idyllique, et s’étaient baignés dans l’eau atrocement froide de la lagune.

Ils avaient repris la voiture quelques heures plus tôt, avec la volonté de commencer la route vers le volcan de Cotopaxi. Malheureusement, la nuit était tombée et une pluie torrentielle s’était mise à tomber. Les essuie-glaces fonctionnaient sans interruption pour chasser l’eau du pare-brise, et les phares éclairaient péniblement devant la jeep. Ils auraient dû croiser un village où faire étape une heure auparavant ; ce n’était absolument pas le cas. Avalon avait déjà soumis l’idée qu’ils avaient pris la mauvaise direction, ce que Roy avait réfuté en arguant qu’ils avaient seulement pris du retard parce qu’ils devaient rouler plus doucement sous la tempête.

Avalon pivota pour observer Roy, concentré sur sa conduite – encore heureux, il ne manquait plus qu’ils les perdent dans un ravin. Un sourire moqueur étira ses lèvres.

« Bon. Tu veux bien avouer que t’aurais dû m’écouter quand je t’ai dit de prendre à droite, ou tu vas continuer à mentir jusqu’à ce qu’on arrive en Colombie ? » Même si, très sincèrement, Avalon n’était pas persuadée que prendre à droite à cette fameuse intersection les aurait réellement remis sur le bon chemin.

Avalon se pencha en avant pour attraper la carte, qu’elle étudia attentivement. Il faisait déjà tellement nuit dehors qu’il était impossible de se repérer aux récifs montagneux, et cela faisait plusieurs kilomètres qu’ils n’avaient pas croisé de panneaux indiquant une direction, ni même une autre voiture que la leur.

Ils auraient dû arriver à leur destination avant la tombée du jour ; cela se sentait d’ailleurs à la façon dont ils étaient encore tous les deux vêtus. Les lunettes de soleil d’Avalon reposaient dans ses cheveux, encore un peu humides de leur dernière baignade. Elle n’avait revêtu qu’un short en jean qui remontait en haut de ses hanches avant de prendre la voiture, mais portait toujours le haut de son maillot de bain rouge, désormais sec.

« On est clairement perdus. » annonça Avalon. Sa main gauche vint se poser dans la nuque de Roy, mais ses mots étaient bien plus moqueurs : « Tu veux écouter ton instinct pour les trois prochaines heures encore ou on part sur un plan un peu plus solide ? »

Y avait-il quelque chose de mieux qu’un hôtel cinq étoiles, à l’autre bout du monde, sur une île paradisiaque en compagnie d’une merveilleuse femme, à boire des cocktails, se baigner dans une eau transparente et faire l’amour toute la journée ? Oui, évidemment : le frisson d’une expédition aventureuse dans des contrées sauvages et inconnues, à se laisser porter au gré de ses pas et de ses rencontres vers des trésors de la nature, à vivre des expériences plus ou moins dangereuses sur son chemin et c’était encore mieux si c’était en compagnie de la même femme citée plus haut.

En somme Roy passait ce qui s’apparentait à des vacances idéales pour lui, après une première moitié d’année absolument éprouvante qui lui avait donné envie de tout mettre derrière lui le temps d’une semaine. De ses ruptures douloureuses, ses tentatives de meurtre échouées, ses bébés imprévus, ses bouleversements du quotidien, Roy avait brusquement éprouvé le besoin de tout laisser en Angleterre et d’aller reconquérir un esprit neuf et des ressources d’énergie dans un trou perdu de préférence beau et chaud. Et bien que ce qui se situait entre les cuisses d’Avalon eût tout à fait ces qualités, ce que Roy n’avait pas manqué de lui dire en dégainant une carte du monde et en acceptant le coup de genou qui s’en était suivi, ils avaient décidé d’un commun accord de choisir une destination où passer des vacances, car c’était aussi l’occasion pour eux de cultiver des moments à deux.

Roy avait ainsi eu le plaisir de se découvrir deux points communs avec Avalon. Tout comme lui, elle n’organisait pas grand-chose de ses vacances, elle se tenait prête à partir en ayant un plan défini pour son premier jour et en voyant la suite sur place. De cet amour pour une vie au jour le jour découlait assez naturellement une envie partagée de moments d’aventure.

Roy avait déjà eu l’occasion par le passé de vivre ce type de raid. Il avait passé son permis de conduire assez jeune, sous l’impulsion de Jayce qui lui avait ouvert la porte de sa culture moldue et avec qui il avait déjà mené ce genre d’expédition hasardeuse au milieu de nulle part, à bord de vieilles voitures d’occasion, simplement pour le plaisir de l’adrénaline et l’envie de repousser leurs limites. Il était assez heureux de découvrir chez Avalon un goût similaire pour ce genre d’exploration, qui le ramenait quelques années en arrière dans sa jeune vingtaine.

Depuis cette époque, Roy avait tout de même un peu grandi et prenait légèrement plus de précautions, en transportant des rations et en balisant un peu plus son chemin avant de partir, histoire de ne pas se retrouver en pleine nuit au milieu de nulle part, à ne pas pouvoir camper ni manger. En revanche, il n’empruntait toujours pas les routes goudronnées et bien délimitées pour les voitures, car où était l’amusement ? Avec Avalon, ils avaient décidé de couper à travers monts et vallées, en traversant des forêts et des sentiers caillouteux à bord de leur jeep de location, comme deux vrais routards.

Et c’était tout à fait amusant jusqu’à ce que la nuit tombe et qu’un mauvais pressentiment n’assaille secrètement Roy. Il n’en avait rien dit, parce qu’il s’était longuement chamaillé avec sa dulcinée sur la route à suivre et qu’il la sentait, à quelques centimètres de lui, n’attendre que le moment où il allait avouer son erreur que sa fierté immense l’empêchait de reconnaître. D’ailleurs, elle finit par le lui demander explicitement alors qu’il ralentissait un peu l’allure pour voir plus clairement le sentier éclairé par ses phares. Il répondit absolument la première bêtise qui lui vint en tête, pour botter en touche :

« Tu sais ce qu’on dit en Colombie, justement ? Ne jamais prendre à droite, car c’est la route du démon. Et tu sais ce qu’on dit ici ? En Equateur, toujours suivre l’instinct du conducteur. Regarde, l’adage rime, c’est forcément vrai. »

Il tourna un sourire narquois vers sa partenaire. Mais Roy, bien que trop orgueilleux pour son propre bien, n’était pas totalement stupide et sentait bien approcher son game over. L’obscurité s’épaississait face à eux, il allait bientôt devenir dangereux de conduire sans être certain de sa route et malheureusement, il n’y avait toujours pas l’ombre d’une lueur citadine face à eux. Pour ne pas perdre la face, Roy aurait même accepté n’importe quel troupeau de huttes dans la forêt qui pouvait vaguement s’apparenter à un village, tant qu’il y avait des gens à qui ils pouvaient demander le logis. Malheureusement, cet espoir s’amenuisait de plus en plus. Avalon annonça finalement ce qu’il avait tant de mal à admettre :

« On est clairement perdus. »

Peut-être. C’était éventuellement possible. Roy admirait tout de même son calme face à la situation, alors qu’elle aurait pu lui crier dessus pour les avoir égarés. Mais non, elle attendait simplement, avec un sourire tranquille aux lèvres, en caressant sa nuque, qu’il reconnaisse sa défaite. Il ne savait pas trop ce qui était le pire. Mais puisqu’ils semblaient d’accord pour préférer en rire qu’en pleurer, il continua sur le même registre d’humour :

« Est-ce que tu es en train de sous-entendre que mon instinct n’est pas solide, Av’ ? Car ça, vraiment, ça me blesserait, tu vois. Non mais parce que avec tout ce qui m’est arrivé cette année, je pensais t’avoir prouvé ma capacité à survivre en toute situation de crise, mais je vois que -sa tirade dramatique fut interrompue par une secousse de leur voiture- ah sa mère le troll, y a des gros cailloux par ici -il arrêta la voiture avec le frein à main, pas fou au point de risquer de crever leurs pneus, et tourna la tête vers Avalon- bon très bien, c’est quoi ton super plan pour nous sortir de là, madame je sais tout ? »

Roy et Avalon avaient – et la jeune femme le remarquait de jour en jour – de nombreux points communs. Ils avaient une vision des choses plutôt similaires, ce qui les conduisaient à tomber rapidement d’accord. Ils étaient tous les deux très entiers, très loyaux, très assurés dans leurs positions. Ils étaient aussi dotés d’une fierté légendaire qui les empêchait de reconnaître leurs torts et d’une mauvaise foi sans limite qui leur permettait toujours d’éviter ça. Sur ce point, il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre ; l’avantage étant que cela faisait d’eux un duo terriblement redoutable – et probablement atrocement insupportable pour leurs proches. D’ailleurs, Avalon aurait sûrement trouvé la réplique de Roy parfaitement insupportable aussi si elle n’avait pas été dotée de la même fierté, et si une part d’elle n’aimait pas Roy pour cela.

Elle se contenta d’hausser les sourcils en l’observant, un sourire moqueur aux lèvres.

« Ah bon, tu es sûr de ça ? Moi je crois surtout qu’on dit « Qui suit son instinct finit dans le ravin » mais bon… J’imagine qu’on ne va pas tarder à le découvrir. »

Avalon reporta son regard sur la route, difficilement éclairée par les phares de leur voiture, et rendue dangereuse par la pluie. Le constat qu’elle fit, d’un ton assez égal, ne souleva pas chez elle une vague d’angoisse ou un nœud d’anxiété : ils étaient perdus. Avalon n’était pas une femme particulièrement anxieuse ; elle avait toujours aimé voyager de la sorte et savait que les choses ne se déroulaient pas toujours comme prévu. Cela faisait, estimait-elle, partie du jeu. A vrai dire, dans leur malheur, Avalon les trouvait plutôt chanceux : ils étaient à l’abri dans une voiture et avaient de quoi se sustenter. Ils auraient très bien pu se perdre – vu l’excellent sens de l’orientation de Roy – pendant une randonnée en montagne. Et, à vrai dire, attendre que Roy admette son erreur était un cadeau suffisamment plaisant pour compenser l’inconfort des prochaines heures.

Evidemment, imaginer que son partenaire allait lui accorder raison si rapidement aurait été mal le connaître. Il essaya de s’en tirer d’une longue tirade dramatique, brusquement interrompue par une secousse et une insulte qui tira un rire à Avalon. Il finit par arrêter la voiture, qui s’immobilisa au milieu de la route, avant de se tourner vers elle, volontairement moqueur.

« Ahh, me demander ça, c’est vraiment la meilleure idée que tu pouvais avoir ! » argua-t-elle avec un sourire. « Mais déjà, plusieurs choses. Tout ce qui t’est arrivé cette année, ça m’a surtout prouvé que tu étais capable de te mettre dans n’importe quelle situation de crise. Et finalement, » elle haussa les épaules, faussement modeste, « heureusement que je suis là pour te sortir de celle-là. »

Avalon considéra un bref instant les options qui s’offraient à eux. Celles-ci étaient si limitées qu’elle n’eut pas à réfléchir trop longtemps.

« Ça ne sert à rien qu’on continue comme ça, on voit pas à deux mètres, on va juste finir par planter la voiture dans un arbre… » Sa main continuait à caresser distraitement la nuque de Roy, alors qu’elle essayait d’observer les alentours. « Essaye de te garer sur le côté ? On peut attendre que le jour se lève. » proposa-t-elle avant d’ajouter, un sourire narquois aux lèvres : « Et ça c’est ce qu’on appelle un instinct solide, tu me remercieras en étant en vie demain. »

« Ok toi aussi t’as un adage qui rime, admit Roy, mais tu sais quoi ? Je l’aime moins, il est vachement plus pessimiste. »

Et surtout, beaucoup moins en sa faveur, dans la situation présente, car il aurait fallu admettre qu’il n’avait pas eu un bon instinct ou qu’il avait mal lu sa carte et là-dessus, Roy n’avait pas très envie de faire des aveux à ce sujet. Avalon ne l’exigeait pas de lui mais semblait plutôt l’attendre patiemment, dans cette pédagogie qui consistait à le laisser aller jusqu’au bout de son erreur, jusqu’à ce qu’il soit au pied du mur. Il fallait reconnaître là une persévérance caractéristique des Poufsouffle, une fichue qualité qui la rendait absolument sereine face aux résultats de cet échec qu’ils allaient devoir subir tous les deux.

Tant mieux pour lui, d’une certaine manière. Dans cette situation où ils auraient pu se disputer, Avalon préférait en rire et le taquiner dans un jeu qui devenait familier entre eux et consistait à s’échanger le plus de vannes possibles. Cela ne les sortait pas vraiment de la situation problématique où ils étaient mais avait le mérite de les distraire un peu. Roy resta donc dans son attitude théâtrale en protestant :

« Quoi ! Je ne me mets pas dans les situations de crise, je les attire, c’est tout. Et un peu comme avec les femmes, j’y peux rien » énonça t-il de manière parfaitement insupportable, en haussant les épaules avec innocence.

Un peu plus sérieusement, Avalon reprit la parole pour suggérer ce qui semblait être la solution la plus sûre, à laquelle Roy voulait bien souscrire car l’obscurité avait désormais totalement gagné l’horizon et les phares de la voiture ne suffisait plus à éclairer la route dans cette forêt épaisse où ils avançaient.

« Eh bah super, ta solution c’est donc, ne faisons rien ! fit t-il semblant de râler pour le principe, avec un sourire narquois, alors qu’il parvenait tout à fait aux mêmes conclusions qu’elle. Bon, je me gare. » Quelques minutes plus tard, la jeep était déplacée sur le côté du sentier, frein à main serré, et Roy regardait le paysage environnant à travers son côté de la vitre. « Hum, je suis pas sûr qu’on puisse planter une tente par ici… On va voir ? » proposa t-il en glissant sa main dans celle d’Avalon.

Si Avalon n’aimait pas être dans la position de Roy – à savoir, avoir tort et devoir plus ou moins le reconnaître – elle adorait, en revanche, être à la place qu’elle occupait : absolument certaine de ce qu’elle avançait, sur un ton qui ne souffrait pas de contradiction. Evidemment, c’était mal connaître son partenaire que de penser qu’il admettrait son erreur aussi facilement ; une nouvelle fois, il essaya de s’en tirer d’une remarque narquoise, qui tira à Avalon un rire franc, un peu moqueur.

« T’es en train de me comparer à une situation de crise, Calder ? » demanda-t-elle en haussant les sourcils, un sourire au coin des lèvres.

Car au moins, se retint-elle de lui faire remarquer, elle était capable de les gérer, elle, les situations de crise – et sans les perdre au beau milieu de nulle part. La nuit noire autour d’eux les empêchait d’observer correctement le paysage qui les environnait ; les phares n’éclairaient plus suffisamment bien pour les guider sans risque sur le chemin caillouteux qu’ils empruntaient depuis plusieurs kilomètres désormais. Il n’y avait rien d’autre à faire qu’attendre que le jour daigne se lever.

« Oui bah, je ne peux pas non plus faire des miracles pour rattraper tes erreurs. » souligna Avalon en répondant à son sourire narquois avec un regard provocateur.

Quelques minutes plus tard, la voiture était immobilisée sur le bas-côté. La pluie avait cessé de s’écraser contre le pare-brise – signe évident qu’ils venaient enfin de prendre une décision judicieuse – et Avalon accueillit la main de Roy dans la sienne avec un léger sourire. « Allez. » approuva-t-elle en décrochant sa ceinture pour s’extirper de la Jeep.

Elle veilla à prendre sa baguette magique, dont elle éclaira l’embout d’un « Lumos » informulé. Puis, elle se dirigea vers le coffre de la voiture pour attraper deux sacs à dos ; l’un qu’elle passa sur ses épaules, et l’autre qu’elle tendit à Roy, avant de revenir chercher le contact de sa paume.

« Bon. » fit-elle, baguette tendue devant elle pour lutter contre l’obscurité. « Où est-ce qu’on va ? »

A leur gauche, la forêt avait l’air épaisse, absolument impénétrable. Ce qu’ils avaient à leur droite ressemblait davantage à un bosquet plus facile d’accès, vers lequel ils se dirigèrent d’un même mouvement, dans un silence brisé par leurs pas maladroits. Ils pénétrèrent dans le bosquet, en observant autour d’eux la possible faune qui pouvait s’y trouver. Tout avait l’air calme, jusqu’à ce qu’un bruit étonnant leur parvienne ; animal, vent dans les arbres, fruit de leur imagination… ? Avalon tourna un regard narquois vers Roy.

« C’est sûr que tu nous as perdu dans un lieu maudit en plus de ça. » accusa-t-elle un sourire aux lèvres.

Peut-être n’aurait-elle pas dû dire ça sur un ton si humoristique.

Spoiler:

« J’ai droit à combien de jokers sur tes questions pièges dans la journée ? Juste pour savoir » répliqua Roy, simplement pour avoir le dernier mot.

Mais leurs chamailleries durent s’arrêter, le temps qu’ils s’accordent à une solution sur le problème qui se présentait à eux, à savoir trouver un lieu où faire un feu et planter leur tente ou se résigner à dormir dans l’inconfort de leur jeep. Puisque la pluie s’était arrêtée, ils purent s’extirper hors de la voiture, munis de leurs sacs à dos. En revanche, leurs chaussures ne tardèrent pas à rencontrer la sensation flasque d’une boue mêlée de mousse, à chaque pas qu’ils firent. Ils avançaient prudemment, mains nouées l’une à l’autre, guidés par la lumière de leurs deux baguettes magiques et surtout, un instinct approximatif puisqu’ils n’avaient pas de carte du lieu et pas de réseau Pear depuis déjà un moment.

« Hum… Franchement à gauche, ça a l’air aussi glauque que la Forêt Interdite, je sais pas ce que t’en penses. »

Ils prirent plutôt l’autre direction, en étant attentifs à ce qu’ils trouvaient sur leur route. Leurs baguettes magiques dans leur main leur donnait l’assurance de pouvoir réagir au danger, mais à part un bruit qui devait certainement être celui d’un oiseau dans les arbres, ils ne rencontrèrent rien. Ce qu’ils n’anticipèrent pas, en revanche, fut un dénivelé sous leurs pieds, masqués par l’épaisseur de la végétation au sol, contre lequel ils glissèrent en poussant un cri, avant même que Roy ne puisse répondre à la provocation tout à fait offusquante de sa partenaire.

Ils dévalèrent peut-être deux, trois mètres d’une pente pas très importante, rien de quoi leur fouler une cheville, mais par contre, largement de quoi imbiber l’arrière de leurs vêtements d’une boue épaisse.

« Putain de… »

S’ensuivit une collection de jurons susceptibles de traumatiser les publics les plus jeunes, puis d’hasardeuses tentatives de se dépatouiller de la gadoue, qui se soldèrent par plus de salissures sur les mains et les avant-bras de Roy. Quand il finit par se relever, il se tourna vers Avalon qu’il vit tout autant en peine pour se redresser. Cette vision d’eux, dans la pénombre, en train de galérer comme s’ils apprenaient à marcher, et plus globalement, le ridicule de leur situation présente, finit par lui tirer un rire.

« Mais tu vois ! C’est ta faute, ça. Tu parles de lieu maudit et hop, direct on glisse. Dis pardon au monsieur de la forêt, tu l’as vexé. » Il aperçut alors le visage de sa partenaire, sa chevelure salie et trempée de boue sur tout un côté, les éclaboussures sur sa peau, et cette vision le fit rire de plus belle. « Putain, Av’, t’as une tête ! On dirait que tu sors du cul d’une vache. »

Il ne devait pas avoir meilleure mine cela dit. Et s’il n’avait pas été en trek dans une forêt sauvage depuis deux jours, préparé à ce genre de situation et donc, habillé de vêtements qu’il acceptait de salir, Roy aurait probablement passé trois heures à râler, comme il avait longuement pesté au sujet des chaussures de luxe qu’il avait détruites en se faisant traîner par Joséphine dans son bayou louisianais. Il ramassa sa baguette magique qui avait échoué au sol mais se ravisa à l’utiliser tout de suite.

« Bon on va probablement glisser encore douze fois si on continue sur cette route, donc ça sert à rien de nous nettoyer maintenant. » Parce qu’il n’était pas totalement le pire des petits amis à se payer la tête de sa copine au lieu de l'aider, il demanda pour faire bonne mesure : « Tu t’es pas fait mal ? »

Autour d’eux, tout semblait silencieux. Le bruit – qu’ils accordèrent à un oiseau nocturne – ne retentit pas une seconde fois, si bien qu’ils purent reprendre prudemment leur chemin. Pas suffisamment prudemment, de toute évidence. Un pas un peu hasardeux vers l’avant eut pour effet de déséquilibrer totalement Avalon lorsqu’il rencontra une surface glissante, qui la précipita à terre. Un juron sonore lui échappa tout naturellement, alors qu’elle dévalait une pente sur plusieurs mètres, couchée sur le dos, empêtrée dans une végétation massive qui griffa ses bras. Elle finit par s’immobiliser et essaya de de se redresser, en vain. La boue qui maculait ses mains et ses chaussures l’empêchait de prendre appui sur le sol – déjà glissant – pour se relever. De ces tentatives infructueuses, elle finit encore plus salie, et hilare.

Son rire rejoint celui de Roy, debout face à elle, avec qui elle échangea un regard résigné et brillant d’amusement. Mieux valait rire de la situation qu’en pleurer – aussi, Avalon s’en donna à cœur joie, jusqu’à ce que son hilarité soit étouffée par une protestation offusquée.

« Mais dis pardon de nous avoir perdu en plein milieu de nulle part, surtout. » rétorqua Avalon en haussant les sourcils. Mais non content de l’accuser pour une situation dont il était à l’origine, Roy se moqua d’elle et de son apparence – peu flatteuse, elle le sentait bien à l’eau terreuse qui emmêlait ses cheveux, et à la boue qui collait à sa peau. « Mais va mourir, Calder. » répondit-elle, pas tant par susceptibilité que parce qu’elle était incapable de lui laisser le dernier mot – et surtout sur une telle remarque. Elle l’observa un moment, puis répliqua en relevant le menton : « C’est la première fois que ton physique est en accord avec ce que tu es vraiment. Tu ressembles à un vrai troll. »

Toujours assise par terre – au point où elle en était, vraiment – Avalon détailla les alentours, à la maigre lumière émise par la baguette de son petit-ami. Elle se fichait bien de salir ses vêtements – en revanche, elle préférait éviter de se tuer en tombant au fin fond d’un ravin. Ils avaient déjà eu suffisamment de chance de ne tomber que sur quelques mètres, sans blesser autre chose que leur égo. La question de Roy lui tira un sourire en coin.

« Genre ça t’intéresse ? » releva-t-elle par provocation, avant de tendre la main vers lui. Lorsqu’il la saisit, elle en profita pour le tirer vers elle et le déséquilibrer en poussant sa jambe avec son pied. Il glissa à terre une seconde fois, près d’elle. Avalon partit d’un grand éclat de rire, en conservant la main de Roy dans la sienne. Elle finit par lancer, le visage dévoré d’un sourire : « Mon amour, on dit tellement que la boue est bonne pour la peau… J’ai fait ça pour toi. Tu sais, je suis comme ça, généreuse et tout.»  

Parce que la mauvaise foi de Roy ne connaissait pas de limites lorsqu’il se trouvait en tort, plutôt que de s’excuser comme Avalon le lui suggérait, il répliqua :

« Que serait la vie sans le plaisir de quelques péripéties ! Je nous fabrique des souvenirs mémorables de vacances, voilà tout. »

Des souvenirs d’eux deux, coincés dans la gadoue, en train de se vanner sur leurs mines atroces. Roy savait qu’ils s’en rappelleraient et ne manqueraient pas de raconter ces moments à leurs amis, bien plus que les heures de farniente sur une plage de sable fin, qu’ils avaient savourés en début de semaine. Pour son plus grand plaisir et son malheur à la fois, Avalon non plus n’avait pas la langue dans sa poche et ne manqua pas de lui retourner un compliment de son cru sur son apparence désastreuse. Plutôt que de s’offusquer, il se para à nouveau de sa mauvaise foi, en relevant le menton avec son arrogance légendaire.

« Arrête, c’est faux. Je porte très bien la boue et c’est à ça qu’on reconnaît les gens vraiment beaux. »

En vérité, il préférait ne pas voir sa tête à cet instant, même s’il lui semblait que son visage avait été à peu près épargné. Cette chance fut de courte durée. Quelques poignées de secondes plus tard, Roy se retrouvait étalé de tout son long, sur le ventre, la face contre terre, pris au piège d’une manoeuvre extrêmement fourbe de sa petite amie qu’il avait gentiment voulu aider. On ne l’y reprendrait plus.

« Mais putain… ! »

Il n’était même pas sûr d’avoir bien compris ce qui s’était passé, il avait la main d’Avalon dans la sienne et la seconde d’après, elle le tirait fort vers l’avant en poussant sa cheville de son pied. La boue était si glissante que l’opération n’avait pas manqué de le déséquilibrer totalement et dans sa surprise, il n’avait pas eu le temps de tourner la tête.

Il était donc littéralement en train de goûter à de la boue tropicale plein de humus, pendant que sa copine éclatait de rire.

Quand il releva la tête, Avalon était penchée sur lui avec un de ses immenses sourires qui faisait battre son coeur en temps normal, mais qu’il avait envie de remplir de boue à cet instant. Nianiania, mon amour c’est bon pour la peau, je suis généreuse. Elle allait payer, il le jurait.

Plein d’une envie de vengeance, Roy se redressa sur ses coudes et tira sur la main qu’elle avait gardée dans la sienne, pour la forcer à se rapprocher. Il passa un bras autour de ses épaules, avec un sourire qui ne présageait rien de bon.

« Tu sais quoi ? C’est bon tout court, la boue, tu devrais goûter, bébé. »

Il ne lui laissa pas vraiment le choix de se dégager -de l’avantage d’être un homme avec plus de force- et plaqua sur sa bouche sa paume, qu’il avait pris soin de charger de gadoue. Bon appétit ! Dans des mouvements hasardeux, Roy finit par se laisser entraîner dans ce qui n’était ni plus ni moins qu’un combat de boue désordonné avec Avalon qui se défendait bien, entre cris de protestations et éclats de rire d’enfants de trois ans et demi qu’ils étaient. L’enjeu était sérieux : chacun avait un affront à faire réparer, et Roy avait même quelques excuses à présenter, alors ils se débattirent avec la volonté claire de prendre le dessus sur l’autre et réclamer une rançon en conséquence…

Il y avait quelque chose de parfaitement incongru dans le fait de se retrouver maculée de boue tropicale, en plein milieu de la nuit, quelque part sur le bord d’un chemin caillouteux, quasiment impraticable en voiture. Avalon en riait aux éclats, doucement euphorique d’une situation qui – elle voulait bien accorder ce point à Roy – deviendrait un souvenir mémorable. Tout aussi mémorable que la chute de son partenaire, qui tomba à côté d’elle, emportant dans la boue toute son arrogance. Elle assortit cette petite manœuvre d’une fausse bonne intention, largement démentit par ses yeux rieurs, et son bien trop large sourire. Le regard que lui retourna Roy, en revanche, ne présageait rien de bon.

Elle se sentit attirée vers lui d’une pression de sa main, et chercha vainement à se dégager du bras qu’il passait sur ses épaules. Avisant sa main juste avant qu’elle ne rencontre sa bouche, Avalon serra les lèvres et ferma les yeux. Le contact de la boue sur sa peau n’avait – disons-le clairement – rien de particulièrement agréable comme elle avait pu le sous-entendre à Roy quelques secondes plus tôt, et lui arracha plutôt une exclamation de protestation et un mouvement de recul, avant qu’elle n’envisage une riposte.

S’en suivit une lutte acharnée et parfaitement désorganisée, où chacun tentait de prendre le dessus et d’immobiliser l’autre. Pourtant habile, Avalon se retrouva incapable de se dégager de la présence de Roy qui la plaqua contre le sol en immobilisant ses mains. Le sol étant trop glissant pour qu’elle puisse prendre appui dessus, Avalon se retrouva rapidement obligée d’admettre – intérieurement – que Roy avait gagné. Elle croisa son regard victorieux déjà insupportable et fronça les sourcils.

Evidemment, Avalon ne comptait pas admettre sa défaite – plutôt mourir dans un ravin, pour le coup – et changea donc habilement de technique. Brusquement, elle cessa de se débattre, relâchant totalement la tension de ses muscles, s’allongeant tout-à-fait sur le sol. Les traits de son visage se détendirent à leur tour, comme si elle vivait un moment parfaitement choisi et agréable.

Un léger sourire vint étirer ses lèvres alors qu’elle relevait le regard vers Roy.

« Ah, on est quand même vachement bien dans cette boue, tu ne trouves pas ? » demanda-t-elle, l’air de rien, visiblement très peu préoccupée d’avoir perdu cette lutte.

Puisque finalement, elle l’avait gagné. Tout n'était qu'une question de point de vue.

Roy aimait gagner, environ autant qu’Avalon détestait perdre. Alors évidemment, gagner contre elle dans un de leurs défis ou jeux stupides avait quelque chose de particulièrement satisfaisant, qu’il ne manquait jamais de savourer. Il n’avait aucune retenue à fanfaronner dans ces cas-là et la provoquer encore plus, troll qu’il était, pour le plaisir de la voir faire la moue, mais également pour celui de l’entendre sortir des excuses absolument improbables pour expliquer ce qu’elle refusait toujours de nommer défaite. Elle était pleine d’imagination et d’ingéniosité dans ce domaine, souvent elle ne manquait pas de faire rire Roy ou parfois, de l’indigner. Il réagit assez vivement en la sentant s’immobiliser au moment où il remporta leur petit combat et adopter une attitude totalement détendue, comme si elle était très bien là où elle était, immobilisée sur le sol, la face dans la boue :

« Oh non mais t’es sérieuse ! Tu fais genre t’es contente juste pour pas admettre ta défaite ? Putain, Av’, t’es vraiment… Je sais même plus quoi te dire, admit t-il en secouant la tête, aussi révolté que hilare. Je te jure, j’ai envie de te laisser bloquée ici jusqu’à demain. Puisqu’on est vachement bien dans cette boue, je vais m’endormir sur toi, tiens. »

Illustrant ses propos, il s’allongea de tout son long sur elle, sans égard pour le poids qu’il faisait peser sur son dos. Ils ne ressemblaient désormais à rien, tous les deux, maculés de boue, comme deux tas informes enlacés et secoués de rires. Pendant quelques secondes, Roy maintint cette position en songeant que, aussi étonnant cela soit-il, Avalon n’avait pas complètement tort : ils étaient bien ici, tous les deux. Et même s’il savait que cela n’avait pas grand-chose à voir avec leur position peu confortable et leurs vêtements sales, mais plutôt avec le fait qu’ils vivaient un joli moment de complicité à deux, à l’autre bout du monde, Roy décida de faire preuve de la même fourberie que sa partenaire et tourner la situation à son avantage. Avec un sourire, il glissa à l’oreille d’Avalon :

« Hum… En vrai, je suis d’accord avec toi. On est vachement bien dans cette boue, murmura t-il. Du coup, je pense qu’on peut dire que je ne nous ai pas perdus du tout, mais au contraire : je nous ai trouvé un petit coin de paradis. Qu’en penses-tu ? »

Avalon n’était ni une bonne perdante, ni une bonne gagnante ; et, si elle pouvait laisser sous-entendre que cela faisait intégralement partie de son charme, il s’agissait aussi d’un aspect de sa personnalité profondément irritant pour son entourage. Sans surprise, sa manœuvre pour transformer sa défaite en une victoire partielle fit réagir vivement Roy, qui semblait osciller entre la révolte et l’amusement.

« Tu fais genre t’es contente juste pour pas admettre ta défaite ? Putain, Av’, t’es vraiment… »
« Merveilleuse ? » suggéra-t-elle avec un sourire, qui s’agrandit encore un peu à la suite du discours de son compagnon, avant de se transformer en un rire outré lorsqu’il s’allongea sur elle, accentuant le contact de son corps dans la boue humide qui s’infiltrait jusque dans ses vêtements. « Putaaaain » jura-t-elle en essayant vainement de se redresser, « t’es lourd, bouge » demanda-t-elle entre deux éclats de rire à un Roy qui faisait la sourde oreille à ses requêtes.

Si la voiture de location garée sur le bas-côté de la route caillouteuse n’était pas venue certifier le fait qu’ils étaient au moins majeurs, on aurait sûrement pu croire qu’ils avaient dix ans.

Mais c’était justement pour ces moments de complicité insouciante qu’ils s’étaient envolés tous les deux loin de leur quotidien parfois troublé et lourd de responsabilités. Une semaine pour souffler, après toutes les épreuves traversées depuis le début de l’année et avant toutes celles qu’ils rencontreraient dans les mois à venir. Et, à côté de ce qu’ils vivaient en Angleterre, une mésaventure de la sorte en Equateur sonnait plutôt comme un divertissement qui leur donnait l’occasion de se chamailler, ce qu’ils ne se lassaient pas de faire. La remarque de Roy lui tira justement un rire indigné, qui se perdit dans la nuit.

« Tu réécris l’histoire, là, » signala Avalon – pleine de mauvaise foi parce qu’elle faisait pareil – en redressant la tête pour tourner un regard amusé vers son petit-ami. « Mais merci d’admettre enfin que tu nous as totalement perdu. » railla-t-elle en caressant du bout des doigts sa joue maculée de boue. « Ça te dit qu’on remonte à la voiture ? On pourra jamais planter une tente ici, le sol de ton coin de paradis est beaucoup trop glissant. » releva Avalon, qui, de toute façon, ne parvenait pas à se redresser avec la présence de Roy sur son dos.

« Pas du tout. Je mets en valeur des faits, que tu énonces toi-même » répliqua Roy, pour se défendre de toute mauvaise foi qu’il manifestait pourtant clairement. « J’ai rien admis, j’ai dit le contraire, j’ai dit que je nous ai pas perdus ! T’écoutes pas, hein. » Ou plutôt elle n’entendait que ce qu’elle avait envie d’entendre, mais cela n’étonnait plus Roy. Il daigna toutefois se déplacer sur le côté, pour libérer Avalon du poids de son corps, qui devait bien peser sur elle. « T’as de la chance que je te fasse pas chanter pour te laisser partir » souligna t-il.

Car dans la position de force où il était, il aurait pu exiger une reddition avant de la relâcher. Mais il était gentil et adulte. Il était même si gentil qu’il tendit la main vers Avalon, pour l’aider à se relever à son tour.

« N’essaye même pas de me faire tomber, hein, ça marchera pas deux fois » avertit t-il avec un sourire en coin, avant qu’elle n’attrape sa main. Une fois tous les deux debout, il put admirer l’étendue des dégâts sur leurs vêtements et leurs visages, dont des pans entiers disparaissaient sous des plaques de boue, ce qui le fit grimacer : « Par contre, y a pas moyen qu’on s’assoit dans la voiture en étant aussi sales hein, c'est dégueulasse. » Ce n’était pas tout à fait sa voiture, mais quand même. L’idée de passer la nuit dans la saleté le répugnait. « Tu vas passer au karcher, je te le dis. »

Et pour cela, rien de tel qu’un bon coup de baguette magique. Après quelques minutes de chahutage supplémentaire dans les bois, ils parvinrent tous les deux au niveau de la voiture garée sur le bas-côté. Après un rapide coup d’oeil autour d’eux -sait-on jamais que des moldus passent- Roy extirpa sa baguette de sa poche, en la pointant sur Avalon, avec un sourire moqueur.

« Ah bah tiens, c’est l’occasion de t’apprendre à exécuter correctement un sortilège de nettoyage, puisque c’est pas exactement ton point fort » lança t-il, en faisant explicitement référence à quelques chamailleries qui l’avait opposé à sa petite amie sur deux ou trois détails d’importance, comme la propreté de la vaisselle ou du siphon de douche.

« Quoi ? Je passe ma vie à t’écouter, c’est juste pas de ma faute si tu dis n’importe quoi. » contra Avalon en soupirant d’aise lorsque Roy la soulagea du poids de son corps sur son dos. Elle pivota pour se retrouver assise et saisit la main qu’il lui tendait pour se redresser. Elle ne rebondit pas sur son commentaire, et se contenta de lui retourner un sourire malicieux.

Debout l’un en face de l’autre, ils purent ainsi constater les dégâts de leur combat. Malgré la pénombre, il était difficile de passer à côté de la boue qui maculait leurs vêtements, leurs peaux et leurs cheveux. Rien n’avait été épargné ; ils étaient dans un sale état. Et, si cette image tira un sourire moqueur à Avalon, ce fut sans surprise une moue dégoûtée qui s’afficha sur le visage de Roy, qui avait une tolérance à la saleté extrêmement basse – voire même carrément inexistante. C’était le paradoxe du personnage ; un mafieux ayant pourtant connu les rues mal famées de Londres et de Bristol des années plus tôt, qui ne supportait pas les tâches d’eau sur sa table basse.

« Wooow, doucement non ? » réagit Avalon en remontant précautionneusement le chemin glissant à ses côtés. « Souviens-toi, c’est bon pour ta peau. » lui rappela-t-elle. « Pleins de nutriments et de vertus hydratantes. »

En réalité, Avalon aussi aspirait à se débarrasser des couches inconfortables de boue qui commençaient à sécher sur elle ; ses cheveux n’étaient plus qu’une masse sèche informe dans laquelle un écosystème pouvait très bien commencer à se développer librement. Aussi, lorsqu’ils furent de retour à leur voiture, Avalon sortit sa baguette de sa poche… Avant de s’étouffer dans une exclamation indignée.

« Mais pardon ? » Elle haussa les sourcils, les lèvres brûlantes d’une contre-argumentation basée sur l’insupportable tendance de Roy au snobisme ménager. Elle la réprima de justesse pour laisser uniquement un sourire appuyé étirer ses lèvres. « Non tu as raison, j’ai besoin d’entraînement. » fit-elle mine d’admettre. « Je commence et tu me corriges ? » Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et pointa sa baguette sur lui. « Alors, c’est simple, tout est une question d’équilibre et de mesure… » D’un sortilège informulé, une véritable cascade d’eau se renversa sur Roy, emportant une partie de la boue avec elle. « Et j’ai bien retenu que, le plus important, c’était de savoir utiliser les bons produits. » souligna-t-elle en associant à l’eau qui s’écoulait toujours une épaisse mousse blanche avec un doux parfum fleuri, bien loin des savons « bois de hêtre viking » que Roy affectionnait particulièrement. « Tu vois que je t’écoute quand tu parles ! » lança Avalon en élevant la voix, pour couvrir le bruit de l’eau.

Roy pressentit l’arnaque à l’instant où Avalon prononça la phrase « Tu as raison ». Cette phrase suffisait à la trahir et rendre tout son discours louche puisque jamais Avalon Davies n’admettait qu’elle n’avait tort et que quelqu’un d’autre qu’elle avait raison. Si c’était le cas, elle préparait forcément un mauvais coup et malheureusement pour Roy, elle fut trop rapide pour qu’il puisse s’en dégager.

« Attends, tu… ! »

Son début de protestation fut très vite étouffé par un torrent d’eau qui jaillit au-dessus de lui et le noya -il exagérait à peine- en emportant la boue qui recouvrait sa peau. Cela aurait presque pu être agréable si le jet n’était pas si fort, au point qu’il en avale par inadvertance, et surtout si Avalon n’y mêlait pas une mousse de savon au parfum bien trop entêtant qui lui piqua les yeux. Impossible de se dégager, évidemment : le sortilège le suivait à la trace.

« Stooooop, putain Av’, je vais te tuer ! » protesta t-il en criant, trempé et recouvert de mousse mélangée à de la boue. « Putaaaaain, t’abuses, je vais sentir le produit pour toilettes ! »

Le nettoyage des cuvettes chez sa grand-mère, c’était tout ce qui lui évoquait les parfums excessivement fleuris, type lavande. Quand il put retrouver à peu près la vue et rouvrir ses yeux, il pointa sa baguette vers Avalon, dans l’espoir de mettre fin à cette torture.

Avalon riait déjà lorsque le sort de Roy la frappa. Evidemment qu’elle n’avait pas admis sa défaite ; d’ailleurs, aurait-elle pu souligner, elle savait parfaitement exécuter un simple sortilège ménager. En revanche, ce qu’elle avait aussi rapidement assimilé, c’était que Roy trouvait toujours quelque chose à redire lorsqu’une tâche – et particulièrement une tâche ménagère – n’était pas exécutée par lui, ou selon ses méthodes très précises. Cela la rendait folle et, forcément, ils se chamaillaient sur ça – et parce que les cheveux d’Avalon tombaient malencontreusement dans la douche le matin et qu’elle ne pensait pas toujours – pas souvent – à les retirer du siphon immédiatement parce qu’elle était perpétuellement en retard.

Tout cela pour dire qu’elle était très heureuse de pouvoir souligner à son partenaire qu’elle était très à l’écoute de ses conseils ménagers – et il en avait beaucoup – et qu’elle était même capable de les mettre en application. Occupée à se moquer de lui, Avalon ne capta même pas le sort qui la frappa pourtant au niveau du ventre. En revanche, elle perçut très distinctement les effets du sortilège, qui lui arracha un grand éclat de rire et l’empêcha totalement de riposter dans un premier temps. Les mains posées sur les côtes, Avalon recula brusquement de plusieurs pas, le visage dévoré par un sourire et un rire qui l’essoufflait et lui tordait l’estomac.

« Putaaaaain Roy ! » jura-t-elle en heurtant le coffre de la voiture, contre lequel elle s’appuya. « T’abuses, je faisais ça pour te rendre service au moins ! » Déconcentrée, Avalon leva le sortilège qu’elle maintenait sur Roy. La cascade d’eau au-dessus de sa tête cessa, le laissant simplement détrempé en plein milieu de la route. « Regarde tu es hyper, » fou-rire, « propre ! »

D’un geste, Roy sembla à son tour lever le sortilège. Avalon resta quelques secondes appuyée contre la voiture, pour retrouver son souffle. « T’es vraiment un enfant, Calder. » commenta-t-elle avec un sourire moqueur, avant d’apercevoir son reflet dans la vitre de la Jeep. Elle grimaça et pointa sa propre baguette sur elle pour retirer la boue de sa peau et de ses vêtements. Le travail fut fastidieux – évidemment, la boue avait séché dans le laps de temps – mais bien vite, sa peau retrouva une apparence humaine et ses cheveux tombèrent avec souplesse dans son dos. Ouvrant le coffre de la voiture pour farfouiller dans leurs sacs entassés, Avalon y extirpa un t-shirt un peu large qu’elle passa après avoir retiré son maillot de bain et qui la couvrit jusqu’aux cuisses, et une barre énergétique qui lui tira un sourire réjoui. « J’ai trop faim. T’en veux une ? » proposa-t-elle à Roy, l’esprit déjà à mille lieues de leur lutte acharnée quelques minutes plus tôt.

Au grand plaisir de Roy, son sortilège atteignit sa cible et la déconcentra de son méfait, car il savait appuyer sur une des faiblesses d’Avalon. Il put enfin souffler, puis être libéré de ce sortilège qui l’avait aspergé d’eau. Il devait avoir une mine terrible, désormais, avec ses cheveux et sa barbe détrempées, ses yeux rougis par le savon, et ses vêtements lourds d’eau. Mais au moins, il était propre, disait Avalon. Il baissa les yeux sur lui en faisant cesser son gentil sortilège de chatouilles. En effet, les traces de boue avaient en grande partie quitté ses vêtements, mais cela ne le satisfaisait pas vraiment : des zones restaient mal nettoyées.

« Eh bien, encore une fois… C’est du travail mal fait ! Tu n’as rien appris. » Très mature, il répliqua quand Avalon le traita d’enfant : « Toi-même, ouais. »

On pouvait objectivement convenir qu’ils avaient tous les deux cinq ans d’âge mental. En tout cas, la trêve semblait conclue, car Avalon daigna tourner sa baguette sur elle-même cette fois. Roy en fit de même pour terminer de se laver après avoir retiré tous ses vêtements, et surtout il prit le temps de se sécher, histoire de ressembler à quelque chose. Quelques minutes plus tard, il rejoignit sa partenaire occupée à se changer devant le coffre de la Jeep. Il attrapa à son tour un short, avec un sourire pour le dîner improvisé d’Avalon : évidemment elle s’était jetée sur des sucreries.

« Toi tu dînes de barres de sucre et c’est moi l’enfant, non mais. On aura tout vu. Y a rien d’autre ? » Il fouilla dans le sac, sans trouver autre chose que des encas : évidemment, ils étaient sensés arriver dans une auberge cette nuit et n’avaient pas prévu de dîner en pleine forêt. Avec un soupir, il se rabattit sur une barre de céréales à son tour et une bouteille d’eau. « C’est moi qui dort sur la banquette arrière » annonça t-il sans préavis.

« Pas de ma faute si tu sais pas bien te laver. » répliqua Avalon en laissant à Roy le soin de terminer de se débarrasser de la boue qui marquait encore sa peau.

Elle fit de même de son côté, avant de se sécher et de passer un semblant de pyjama. Evidemment – car il y avait des priorités, dans la vie – Avalon partit en quête de nourriture dans leurs sacs malheureusement un peu trop vides. Il leur restait toutefois quelques en-cas sucrés dont ils devraient se contenter pour ce soir, et dont la jeune femme s’empara de bon cœur. Elle leva les yeux au ciel à la remarque de son partenaire : « Non, y a rien d’autre mais si jamais tu veux aller chasser le gibier, je t’en prie. »

Pour sa part, elle allait se concentrer sur sa barre énergétique, qu’elle libéra de son emballage pour mordre dedans avec appétit. Un petit soupir de satisfaction s’échappa de ses lèvres – l’effet du sucre, sans aucun doute, qui fut cependant contrecarré par l’audacieuse remarque de Roy. Avalon haussa les sourcils.

« Mais tu t’es cru chez ta mère toi, dis donc. » commenta-t-elle. « Déjà que tu nous perds en pleine forêt, à des centaines de kilomètres de toute civilisation et qu’on ne doit qu’à mon bon sens ne pas être morts au fond d’un ravin à l’heure actuelle… » Elle exagérait à peine. « En plus de ça tu veux choisir le premier l’endroit où tu dors ? Non non. Je choisis d’abord, attends, pousse-toi. » demanda-t-elle.

Avalon se pencha en avant pour saisir sa baguette magique, abandonnée sur son sac. D’un sortilège de lévitation, elle envoya leurs sacs au niveau du siège du conducteur, dégageant le coffre. Il lui fallut un autre sort pour décrocher les sièges arrières, et un troisième pour les métamorphoser en un matelas qui vint se poser dans l’habitacle. Avalon s’approcha pour palper le couchage ; sans être particulièrement luxueux, il était relativement confortable. Elle s’assit au bord de ce lit improvisé, les jambes encore à l’extérieur de la Jeep.

« Tu prends le siège avant du coup ? » annonça-t-elle avec un sourire en coin. « Comme ça j’ai enfin de la place pour dormir. »

« Chasser dans un domaine aussi naturel, préservé de l’homme ? Fit-il mine de s’offusquer. Tu n’y penses pas. Ma conscience écologique ne me permet pas de faire ça. »

Et pas du tout ses capacités limitées en chasse, ni son manque d’envie de s’aventurer dans la forêt en pleine nuit, évidemment. Il n’avait pas très envie de mourir dévoré par une bête sauvage, il lui semblait avoir assez frôlé la mort ces derniers temps pour le restant de ses jours. Il préférait largement rester bien au chaud dans cette voiture, à manger des barres énergétiques excessivement sucrées et continuer d’exercer l’un de ses passe-temps favoris : embêter Avalon. Il ne songeait pas réellement à occuper seul la banquette arrière mais c’était drôle de le dire pour la voir s’offusquer et évidemment, il ne rata pas son coup. Il devinait déjà qu’elle allait lui rappeler que c’était de sa faute s’ils étaient coincés là et qu’il n’avait donc pas intérêt à faire la fine bouche. Son « mais tu t’es cru chez ta mère » lui tira un rire -cette femme parlait vraiment trop mal- et il daigna s’écarter pour la regarder sortir sa baguette magique.

« Casse pas la voiture hein » commenta t-il en la sentant prête à lancer un ou deux sorts pour transformer l’intérieur de l’habitacle.

C’était une location moldue, ils seraient bien en peine d’expliquer pourquoi les sièges arrière avaient disparu. Mais visiblement, Avalon ne se débrouillait pas trop mal en métamorphose. Il s’approcha pour palper la surface moelleuse du matelas, qui leur permettrait de passer une nuit au confort inespéré dans les circonstances où ils se trouvaient. Mais évidemment, Roy préféra la charrier un peu :

« Ok, tu te débrouilles mieux en métamorphose qu’en sortilèges de nettoyage. »

Il s’apprêtait à se laisser tomber contre ce matelas qui l’appelait, après cette longue journée d’errance et de combats dans la boue, mais Avalon le retint d’un commentaire. Le sourire moqueur qu’elle affichait fit hausser les sourcils de Roy, dans une moue sceptique.

« Oh vraiment, c’est ce que tu veux ? » Il la défia du regard un bref instant, avant de contourner la voiture. « Très bien… »

Puisqu’elle voulait jouer, ils allaient jouer et sur ce coup, Roy était à peu près sûr de gagner. Il savait très bien qu’Avalon ne cherchait pas du tout plus de place pour dormir : même dans un lit king size, ils occupaient un quart du matelas à deux, car elle ne pouvait s’empêcher de rouler jusqu’à lui pour se blottir dans ses bras. Un vrai koala accroché à son arbre. Aucune chance pour qu’elle le laisse passer la nuit à plus de dix centimètres d’elle. Mais il fit mine d’accepter sa requête et s’installa sur le siège conducteur dont il abaissa le dossier pour mieux s’allonger. En croisant les mains sur sa poitrine, il soupira d’aise et ferma ses yeux comme s’il s’apprêtait à dormir.  

« Ah on est bien, ici. »

C’était plus fort qu’elle ; Avalon adorait défier Roy. Ils passaient une très large partie de leurs journées à se chamailler, ravis de joutes verbales qui les opposaient et qui, souvent, terminaient par des éclats de rire. Leur petit séjour à l’étranger leur permettait justement de se comporter avec une telle insouciance, sans être interrompus par les responsabilités de leurs quotidiens respectifs. Ils pouvaient donc enchaîner randonnées, combats passionnés dans la boue tropicale et duels de sortilèges dans la plus grande quiétude. Peut-être auraient-ils dû s’arrêter là ; sûrement, si Avalon était tout-à-fait honnête, parce qu’elle se sentait déjà épuisée par leur journée et qu’elle aspirait à retrouver le calme d’une étreinte apaisée. Mais elle ne put empêcher une dernière pique de franchir ses lèvres et, forcément, elle trouva sa réponse chez Roy. Son expression ne lui disait rien de bon et, en le voyant contourner la voiture pour s’installer sur le siège avant, Avalon se sentit légèrement déçue.

En même temps, elle l’avait bien cherché. Sans rien dire, elle s’allongea à son tour sur le matelas, profitant d’une place qu’elle ne savourait pas entièrement. Le commentaire de Roy, qui soupirait d’aise, lui tira une moue contrariée que sa fierté l’empêcha de verbaliser. Elle se retourna une première fois dans l’espoir de trouver une position plus confortable, puis une seconde en glissant son bras sous sa tête pour la soulever légèrement. Elle finit allongée sur le dos, les yeux fixés sur le toit de la voiture, le cœur agité par l’hésitation.

« Roy… » commença-t-elle d’une voix un peu incertaine, qui s’éleva dans l’habitacle.

Elle batailla un peu contre son ego – mais le combat n’était pas évident – parce qu’évidemment, Avalon détestait mettre fin à un défi qu’elle avait elle-même lancé. Sauf qu’elle envisageait aussi les six longues heures qui les séparaient de la levée du jour. Et qu’elle commençait à avoir froid. Et qu’elle n’aimait pas dormir seule.

« Viens, on arrête de se battre et tu me rejoins ? » finit-elle par lâcher en se retournant pour essayer de croiser son regard.

Retrouver le relatif confort de son siège et faire mine de fermer les yeux mit en évidence un fait : la journée avait été longue et Roy avait bien besoin de se reposer. Lui aussi, il se voyait le faire en partageant une étreinte avec Avalon, comme ils aimaient le faire. Ce que l’histoire ne disait pas, c’était que si Avalon avait pris l’habitude de dormir blottie contre lui, c’était aussi parce que Roy ne la laissait pas partir : de nature tactile, tous les deux, ils y trouvaient largement leur compte.  

Il espérait donc qu’elle allait le rappeler à elle, autant parce qu’il en avait gagné que pour le plaisir de gagner cette petite bataille. Il ne se faisait pas trop de souci là-dessus. Il sentait déjà, dans le silence d’Avalon, une espèce de déception qu’elle taisait et une hésitation qui l’agitait. Juste quelques poignées de secondes à tenir, songea t-il. Elle allait bientôt craquer. Un sourire se glissa sur ses lèvres en l’entendant prononcer son prénom sur un ton flottant.

« Hum, oui… ? »

Son sourire victorieux s’agrandit et s’ancra définitivement sur son visage alors qu’il voyait son pari se réaliser. Avalon finit par l’inviter à faire la paix et à la rejoindre sur son lit improvisé. Il tourna la tête vers elle, la trouva assez adorable dans la position où elle se trouvait, avec l’expression qu’elle affichait.

« Finalement tu n’aimes pas avoir de la place pour dormir ? » la taquina t-il.

Mais il était d’accord avec elle. Ils avaient assez joué, ils s’étaient assez cherchés mutuellement. C’était l’heure de se retrouver, désormais, et puisque Avalon le demandait si gentiment, Roy quitta son siège pour la rejoindre. Il revint dans l’habitacle en rentrant par la porte du coffre, qu’il referma derrière lui, avant de se laisser aller contre le matelas, aux côtés de sa partenaire. En appui sur ses coudes, le visage penché au-dessus du sien, Roy la contempla un bref instant en souriant, avant de glisser un compliment qui signait leur trêve :  

« T’es mignonne. »

Il ne résista pas à lui voler un baiser, un deuxième plus long encore, puis l’invita d’un geste à s’allonger contre lui, en passant ses deux bras autour d’elle dans une position qui leur était familière. Les yeux fermés, il resta quelques secondes dans le silence, sans réussir à ignorer la sensation de creux dans son estomac.

« J’ai encore faim. Tu prends des risques à te coucher avec moi, c'est possible que je dévore un bout de toi à un moment de la nuit. »

Avalon était trop fière pour acquiescer à la taquinerie de Roy ; en revanche, comme elle avait amorcé une trêve, elle ne pouvait pas non plus y répondre. Elle se contenta donc de souffler un « Hum… » pas tout-à-fait convaincu, sans pouvoir s’empêcher d’esquisser un sourire en voyant son partenaire quitter son siège pour la rejoindre effectivement dans son lit improvisé. Avalon ne parvenait à pas sentir déçue de ce défi abandonné ; à vrai dire, elle était plutôt heureuse d’y avoir mis un terme aussi rapidement. Elle aspirait surtout à partager cette nuit insolite avec son partenaire car, malgré les péripéties – ou peut-être grâce à elle – elle resterait mémorable. La jeune femme se redressa sur un coude, accueillant Roy vers elle en glissant une main dans sa nuque alors que leurs regards se croisaient. Son sourire s’accentua à son compliment et elle le remercia d’un regard tendre. Lorsque leurs lèvres se trouvèrent dans le silence d’une nuit déjà bien avancée, les souvenirs de leurs chamailleries étaient déjà loin.

Avec un soupir d’aise, Avalon se blottit contre Roy, emmêlant ses jambes aux siennes et posant sa tête contre son torse. Elle ferma brièvement les yeux pour savourer leur étreinte, ne les réouvrant que lorsque son petit-ami reprit la parole. Son commentaire lui tira un petit rire alors qu’elle relevait les yeux vers lui.

« Si toi tu as faim, imagine mon état. » souligna-t-elle avec un soupir désespéré. Elle ressentait un creux au niveau de l’estomac, qui n’avait pas été tant comblé que ravivé par son en-cas avalé quelques minutes plus tôt. Elle se retourna pour lui faire face, une partie de son buste appuyé contre son torse. Elle croisa son regard et eut un sourire en coin. « Franchement, moi, je veux bien sacrifier pour la cause. » Avalon approcha son visage du sien pour capturer ses lèvres en un baiser un peu plus appuyé, avant de souffler : « C’est ma nature généreuse. »  

Cette position où ils se retrouvaient blottis l’un contre l’autre, les jambes enlacées, à se raconter leur quotidien et leurs secrets, devenait une habitude pour eux. Après quelques mois, comme n’importe quel couple, ils avaient trouvé leurs marques, leurs petits rituels du soir quand ils passaient la nuit chez l’un ou chez l’autre. Roy avait appris à déceler la teinte de chacune de leurs étreintes, entre celles qui appelaient à des chamailleries, celles qui favorisaient les confidences, celles qui les berçaient avant le sommeil, celles qui laissaient place à leur désir. Il saisit donc assez vite la sensualité qui se cachait derrière le sourire en coin d’Avalon, son léger mouvement en avant pour rapprocher leurs bustes et ce baiser un peu plus insistant. Le commentaire qu’elle fit explicita ce que sa gestuelle impliquait déjà, ce qui amusa Roy. Tout en riant, il répliqua avec, comme toujours, un soupçon d’humour et de provocation :

« D’accord donc en fait tu veux te souvenir de cette journée comme de celle où on s’est perdus en pleine forêt, éclaté la figure dans la boue, avant de baiser dans le coffre arrière d’une voiture, c’est ça ? »

Ce résumé lui semblait fidèle à ce qu’ils venaient de vivre et ce qui commençait à s’esquisser, mais surtout, il correspondait bien au couple qu’ils formaient tous les deux. Ils se souviendraient de ces vacances en Equateur comme d’un moment où ils avaient cherché un peu de frissons, d’aventures en tout genre et d’endroits insolites pour tout types d’activités. Conquis par cette idée, il se redressa légèrement pour pouvoir renverser leurs positions et se retrouver au-dessus d’Avalon, les yeux dans les siens et un sourire aux lèvres.

« Moi ça me va. »