Si Joséphine accepta son offre pour changer de logement, elle fut en revanche plus réticente à accepter une pension pendant sa grossesse. Pour Roy, assurer à la mère de sa future fille un confort financier était bien le minimum qu’il pouvait faire -et sans doute la manière la plus simple et directe pour lui de participer à cette grossesse- mais Joséphine ne semblait pas du même avis. Elle lui proposa plutôt de faire des achats ensemble, ce qui le déstabilisa brièvement :

« Euh… Ouais, on peut faire ça aussi. » Il avait plutôt imaginé Joséphine choisir ce dont elle avait besoin, puisque, après tout, c’était elle qui allait avoir la garde principale de leur bébé, et parce que lui, accessoirement, il n’y connaissait rien tandis qu’elle avait déjà deux enfants à son actif. Il comprit qu’elle lui proposait une autre manière de s’impliquer, une manière plus engageante quelque part, car il ne pouvait pas nier que c’était beaucoup plus facile pour lui de signer un chèque que d’aller choisir un modèle de poussette. En même temps, c’était son rôle aussi, non ? Il finit par affirmer, avec un peu plus de conviction : « On fera ça. »

Joséphine fut également hésitante sur le sujet de la pension alimentaire, qu’elle ne refusa pas, mais qu’elle trouvait visiblement trop élevée. Elle semblait avoir l’habitude de récupérer et recycler par souci d’économie, plutôt que d’acheter du neuf. Roy avait connu ça, lui aussi, plus jeune, car ses parents ne roulaient pas sur l’or, et avec quatre enfants à charge, ils avaient aussi partagé des jouets et des vêtements entre frères et soeur -ce qui s’était accompagné de son lot de conflits. Mais depuis cette époque, il avait fait fortune, il en était fier alors il voulait offrir mieux à son enfant. Il voulait qu’elle ne manque jamais de rien et surtout, il ne voulait pas qu’elle soit la petite fille qui se baladait dans les vêtements élimés et démodés de ses grandes soeurs. Mais il ne pouvait pas l’exprimer de cette manière à Joséphine, dont il avait suffisamment cerné la personnalité pour savoir qu’elle le prendrait probablement mal -et à sa place, il l’aurait mal pris aussi. Etant donné leurs différences monumentales de moyens financiers, le sujet de l’argent pouvait devenir sensible s’il ne faisait pas attention. Il tenta donc d’argumenter plus subtilement :

« Tu vivras dans une plus grande maison aussi, fit-il remarquer en haussant les épaules, avec plus de monde, donc plus de courses à faire et des factures plus élevées. Je préfère que ce soit large pour toi plutôt que pas assez. Mille dollars pour moi, c’est -il se retint de dire pas grand-chose, puisque Joséphine venait de dire tout le contraire- … une somme que je peux sortir pour notre fille. Alors tu peux te faire plaisir et lui acheter des choses neuves, plutôt que de récupérer d’anciennes affaires… qui seront peut-être plus utiles à d’autres gens de ta famille » ajouta t-il pour faire bonne mesure.

Espérant qu’ils seraient d’accord sur ce point, il préféra ne pas laisser durer le débat et changer légèrement de sujet :

« On n’a pas beaucoup parlé de la garde, aussi. Tu voyais comment les choses ? »

Joséphine fut plutôt contente de voir que Roy acceptait son offre de venir faire un peu de shopping pour le bébé avec elle. Cela lui permettrait de s’investir de manière beaucoup plus concrète, de commencer à agir comme le futur père qu’il était. Elle n’était pas psychologue ou quoi que ce soit mais cela lui semblait bien. En plus, les pères de ses premières filles ne s’étaient jamais autant investis. Le père d’Alice lui avait acheté quelques peluches quand ils étaient adolescents mais c’était insuffisant pour un bébé. Quant au père d’Iris, la grossesse n’avait pas été une bonne nouvelle pour lui alors elle n’avait pas insisté pour qu’il s’y implique beaucoup, en espérant que cela fasse passer l’orage. Quand ils s’étaient séparés, il avait pris ses dispositions de son côté pour accueillir sa fille. C’était la première fois qu’elle allait pouvoir faire ça avec le père de son bébé et elle trouvait ça drôle, elle était enthousiaste et cela se vit dans la manière qu’elle eut de s’agiter sur le canapé.

- Mais ça sera bien, tu verras ! Tu vas pouvoir choisir plein de trucs, enfin pas des trucs moches hein, et ça sera drôle ! On ira demain, décréta-t-elle sans lui demander son avis.

Elle connaissait plein de magasins sympas dans le Carré et un peu en dehors. Il y avait cette boutique aussi, pas très loin de l’avenue des Urselines, qui vendait d’adorables santiags pour bébés de toutes les couleurs. Avec le budget de Roy, ils en allaient pouvoir en prendre plein d’exemplaires ! Parce que de l’argent, il en avait plein. Mais vraiment plein. Il avait l’air plus riche que les plus riches familles du Carré, vu comme il lui offrait un appartement pour vivre avec leurs filles et lui proposait une énorme pension alimentaire tous les mois. Il n’avait pas tort en lui disant que ses charges allaient augmenter avec la nouvelle maison (ne serait-ce qu’en frais de climatisation, l’été à la Nouvelle-Orléans pouvait être difficile à supporter, surtout pour les petits bébés.)

- C’est vrai... concéda-t-elle. En plus il faudrait que je m’achète des nouveaux meubles pour le nouvel appartement, fit-elle alors qu’elle réfléchissait à voix haute. Genre un nouveau canapé. Tu ne veux pas savoir toutes les choses qui sont arrivées sur ce canapé.

Et elle faisait autant référence aux choses crapuleuses qu’aux vomis de bébé, verres renversés, accidents de couche, pâte à modérer étalée sur le tissu et elle en oubliait.

- Et puis je prendrais plein de nouveaux vêtements pour le bébé. Toutes mes cousines sont des bêcheuses, ça leur en boucherait un coin ! Non, en fait, c’est bien.

Elle sentait qu’elle allait pouvoir s’y faire à ces mille dollars par mois. Et puis après tout, elle les méritait. Elle fabriquait un bébé, ça valait tout l’or du monde. Au moins. Mais la conversation dériva vite sur un sujet qui pourrait être moins plaisant que de discuter de futurs achats. Pour une fois, Joséphine prit une seconde pour réfléchir avant de parler, consciente que cela pourrait être délicat.

- Et bien. Tant que c’est un bébé, elle reste ici, avec moi. Tu peux venir la voir autant que tu veux. Quand ça sera un bébé un peu plus grand, tu pourras la prendre pour la nuit, mais ici, genre en louant un appartement ou je ne sais pas quoi. Et après quand elle sera plus grande, elle pourra venir en vacances chez toi.

Mais il était évident qu’elle ne parlerait pas de garde alternée : une sorcière vaudou devait grandir à la Nouvelle-Orléans.

- Tu pensais à quoi, toi ?

Joséphine sembla ravie de voir Roy accepter son offre d’aller faire du shopping ensemble. Roy mit cela sur le compte de cette excitation particulière qu’avaient beaucoup de femmes pour le shopping, sans songer que c’était la première fois qu’elle faisait cela avec le père de son enfant. Il prit cela comme le signe d’une bonne entente entre eux, ce qui le rassurait : c’était déjà suffisamment compliqué d’élever un enfant à distance, il préférait rester le mieux possible en bons termes avec Joséphine pour que cette co-parentalité se passe au mieux.

Il ne connaissait pas bien la jeune femme, il ne l’avait fréquentée qu’une dizaine de jours et même si cette dernière était très bavarde, ce n’était pas assez pour considérer connaître une personne. Il découvrit donc en discutant avec elle qu’elle avait un esprit très pratique et qu’elle était tout à fait capable de faire des compromis, contrairement à l’impression qu’elle pouvait dégager de prime abord. Elle finit donc par accepter les conditions qu’il proposait et par y trouver son compte. Il sourit légèrement quand elle mentionna ses cousines, il avait bien saisi la rivalité qui existait entre les femmes Lavespère, ce qu’il ne jugeait pas : lui aussi, il aimait bien se distinguer avec des vêtements plus beaux, des choses plus chères de manière générale.

« Eh bien parfait, tu vas pouvoir te pavaner avec une poussette dernier cri et notre bébé qui sera forcément plus beau que les autres. »

Il n’y avait aucun doute là-dessus, en ce qui le concernait. Ils finirent par aborder un sujet essentiel, dont ils n’avaient pas eu l’occasion de beaucoup discuter, car ce n’était pas le genre de choses qu’on abordait par messages Pear. La garde de leur bébé pouvait provoquer des désaccords, Roy en était conscient et Joséphine aussi sans doute, car elle prit un ton plus précautionneux en proposant ses conditions.

« Sur le principe, ça me va, ce que tu proposes » répondit-il, quand elle lui renvoya sa question. « Mais il faut qu’on soit plus précis, qu’on fixe l’âge à partir duquel on change les modalités, tu vois. Je suis d’accord sur le fait que c’est pas top de faire voyager un nourrisson en portoloin ou en avion et que c’est mieux si c’est moi qui fais le déplacement les premiers mois. Tu penses qu’elle peut voyager à partir de quel âge ? »

Une fois qu’ils eurent trouvé un accord après quelques minutes de discussion, Roy songea au dernier sujet qu’il voulait aborder avec Joséphine et qui serait peut-être le plus délicat, selon la susceptibilité de cette dernière.

« Aussi, il y a un autre truc que je voulais te dire. » Un peu hésitant sur la manière de procéder, il songea qu’il n’y avait de toute façon pas mille façons de le dire et se jeta à l’eau. « Quand on s’est rencontrés toi et moi, j’étais célibataire. Mais ce n’est plus le cas. » Guettant la réaction de Joséphine à cette annonce, il ajouta : « Je suis en couple depuis un mois à peu près, avec une femme qui est une amie de longue date et… Ça se passe très bien, c’est plutôt sérieux alors je préfère te le dire. » Il se sentit obligé de préciser pour rassurer Joséphine : « Elle sait tout, hein, elle sait que je vais être père, elle l’a su avant même qu’on se mette ensemble. C’était pas rédhibitoire pour elle, elle prend très bien la chose, il n’y aura pas de problème. »