La remarque d’Avalon, malgré son ton amusé, était plutôt sérieuse. Après ces dernières semaines troublantes, et cette conversation bouleversante, elle aspirait largement à quelques heures pour découvrir cette nouvelle relation que Roy et elle entamaient à peine. Quelques heures pour appréhender leur lien et cet amour qui les unissait et qu’ils s’autorisaient finalement à exprimer. Quelques heures dans l’intimité de son appartement avant de se confronter au monde extérieur et aux remarques moqueuses de son meilleur ami qui ne manquerait pas de faire remarquer – à plusieurs reprises et pendant plusieurs jours – qu’il avait vu clair dans leur jeu dès le début. Ce qui n’était – mais Avalon, dans sa grande fierté, ne le reconnaîtrait jamais – pas entièrement faux.

La proposition de Roy lui tira donc un sourire aussi charmé qu’approbateur, alors qu’elle répondait à son baiser en glissant une main derrière sa nuque. Un court moment de silence se glissa entre les deux amants, et Avalon, les yeux à moitié clos, se laissa envahir par une sensation de bien-être qu’elle n’avait pas ressenti de manière aussi intense depuis longtemps. Le commentaire de Roy la fit replonger dans son regard, en même temps saisissait sans mal les raisons de cette interrogation qu’il ne se donna pas la peine d’expliciter davantage.

La récemment promue chef de la milice, en couple avec un mafieux connu des services de police du ministère. Le problème se posait de lui-même.

Les liens d’Avalon avec les Folies Sorcières n’étaient pas inconnus ; elle n’avait jamais cherché à cacher sa proximité avec Fergus ou Toni. Elle avait marqué à l’encre noir, sur son corps, son amour pour ses deux frères de cœur et n’avait jamais menti sur la signification de ses tatouages. Son récent rapprochement avec Roy était déjà plus ou moins connu par la milice depuis la soirée qui avait été donnée pour la promotion de Danielle à la tête de justice magique. Dans l’entourage professionnel direct d’Avalon, personne ne tomberait des nues en apprenant une telle nouvelle.

Cela ne signifiait pas, pour autant, qu’on s’en réjouirait.

Dans la sphère publique, Roy Calder était connu pour être un homme d’affaire très influent, à la réputation sulfureuse. La Gazette du Sorcier ne titrait pas un scandale, estima Avalon, qui réfléchissait en silence. Au sein du ministère, en revanche, c’était une toute autre histoire. La milice connaissait évidemment les liens de Roy avait la mafia – puisqu’ils collaboraient avec eux – tout comme le bureau des Aurors. Le ministère collaborait étroitement avec les Veilleurs ; Avalon s’était rendue à plusieurs réunions aux Folies Sorcières, qui rassemblaient tous les directeurs des départements du ministère, le ministre lui-même, ainsi que quelques membres privilégiés de certains secteurs dont elle faisait désormais partie. Mais – et Avalon le savait au fond d’elle – il y avait une sérieuse différence entre un partenariat professionnel, et une relation amoureuse toute personnelle. La question de la loyauté, encore une fois.

Où allait sa loyauté ?

A cette question, Avalon pouvait répondre la même chose, depuis des années : sa loyauté la plus pure, la plus forte, était du côté des gens qu’elle aimait, bien plus que du côté des institutions ou des groupes qu’elle représentait. Evidemment qu’Avalon était fidèle à la milice, aux hommes qu’elle qui travaillait avec elle, à Danielle qui avait toujours cru en elle. Mais sa loyauté allait à Fergus. A Toni. A Roy et à Jayce, aux Veilleurs qu’elle fréquentait depuis des années. C’était pour eux, qu’elle avait accepté à de se mettre en danger face à Norvel. Pas tant pour l’organisation mafieuse, mais pour eux.

L’équilibre pouvait rapidement devenir précaire, Avalon le sentait bien. Pour l’instant, l’étroite collaboration entre la mafia et le gouvernement servait largement ses intérêts de cœur. Et si cela cessait ? Elle s’était déjà posée la question, plusieurs fois, et encore plus depuis qu’elle avait été nommée à un poste avec autant de responsabilités. Si cela cessait, alors elle devrait faire un choix. Et, quand on évoquait la famille, quand on évoquait ces liens si forts qui la liaient à Fergus et à Toni, ce n’était pas tant un choix qu’une évidence.

Ce qu’elle désirait faire, en observant Roy, relevait aussi de l’évidence. Aussi satisfaite de sa position professionnelle qu’elle l’était, et désireuse de la maintenir, Avalon ne concevait pas pour autant d’amputer une partie de sa vie personnelle. Elle avait toujours mené sa vie comme elle l’entendait, s’était entourée des personnes qu’elle désirait voir proche d’elle. Et c’était tout. Pas de secrets, pas d’omissions, pas de faux-semblants.

La décision était audacieuse. Au moins, elle était vraie.

Avalon haussa les épaules.

« Ça ira pour moi. » avança-t-elle finalement. Elle précisa et corrigea rapidement : « A la milice, ça ira… C’est dans les autres services que ça risque de moins bien passer. Le BDA, surtout. » confia Avalon. Elle secoua la tête. « Mais écoute. La plupart ne sont pas suffisamment gradés pour me reprendre sur ma vie personnelle. » Elle ajouta tout de même : « Sauf Danielle. Et Marchebank. » C’était une légère nuance. Sa mine se fit plus sérieuse lorsqu’elle reprit : « Ecoute, j’ai jamais caché mes liens avec les Veilleurs, avec Fergus ou Toni par exemple. Danielle sait, la milice sait. Je vais pas commencer avec toi, avec notre relation. » affirma Avalon avec un regard décidé. « Si ça te va aussi, on n’a pas besoin de rester discrets, de se cacher... Et si des agents de la PM ou des Aurors crachent dans mon dos… Bah. Ca leur fera un sujet de conversation délicieux pour la pause déjeuner, et je me sens d’humeur généreuse. »

Un sourire en coin vint éclairer son visage sur cette dernière remarque, et trouva écho chez Roy.

« J’ai pas envie de me cacher, j’ai assez donné dans les relations secrètes. Si ça râle chez les gars, au pire je reste le patron donc... je peux gérer. Si tu penses que toi aussi alors... C’est parti pour se rouler nos meilleures pelles au milieu des rageux. »

Avalon fut secouée par un léger rire, aussi amusé que libérateur.

« Deal. On s'entraîne encore un peu chez moi ? »