Permis de rupture [Jalene]

Marlene prit un peu la mouche lorsque James répéta qu’elle conduisait si lentement qu’on aurait pu mourir de vieillesse sur l’un de ses trajets. Elle fit une moue boudeuse.

- Je peux rouler plus vite !

Elle appuya sur l’accélérateur et passa de soixante-trois à soixante-et-onze. Certes, la route était limitée à quatre-vingt-dix mais c’était déjà un effort. Ses mains s’étaient crispées sur le volant. Elle n’était décidément pas à l’aise au volant et clairement pas prête à transporter leurs enfants imaginaires, même avec des petites protections.

- Les accidents de magicobus sont rarissimes ! Et je ne vois pas la différence entre les conducteurs du magicobus et ta conduite, chéri.

Elle avait l’impression qu’elle allait mourir dans les deux cas.

- Moi aussi je voudrais qu’ils grandissent avec de la culture moldue, acquiesça-t-elle. C’est important, c’est notre culture et c’est important qu’ils s’intègrent dans nos familles. Mais ce n’est pas avec moi qu’ils apprendront la voiture, je pense !

Elle préférait laisser le volant à James, qui était de toute manière très content de conduire à chaque fois. Elle reporta son attention sur la route et fronça les sourcils. Quelques feux arrières s’illuminaient. Elle enfonça la pédale de frein et la voiture pila, les roues crissèrent sur le goudron. James et elle furent relativement projetés avant, même si les ceintures firent leur travail. Derrière eux, quelqu’un klaxonna furieusement. Une voiture s’était arrêtée à quelques centimètres de la carrosserie de James. Devant Marlene, il y avait encore soixante mètres pour ralentir. C’était un simple ralentissement car une voiture s’était insérée brusquement un peu plus loin. Eux, ils étaient arrêtés sur l’autoroute.

James observa le compteur augmenter très légèrement lorsque Marlene accéléra et esquissa un léger sourire en coin, sans faire d’autre commentaire. Il sentait qu’elle était tendue par cette énième leçon de conduite – pourtant, elle ne se débrouillait pas trop mal – et susceptible à ses plaisanteries. Sagement, le jeune homme décida de retenir un « on vient de gagner dix secondes d’espérance de vie », et se contenta d’observer le paysage défiler. James avait toujours été un partisan de la paix – son côté Poufsouffle, sans doute.

« Quoi ? » s’indigna-t-il cependant car Marlene attaquait frontalement, « Arrête, tu peux pas dire ça. Même si je conduis un peu vite, je roule pas à contresens moi ! »

Et il n’avait jamais eu d’accident, aurait-il pu continuer à argumenter, si Marlene n’avait jamais changé de sujet pour évoquer leurs enfants imaginaires, ce qui tira un léger sourire à James. C’était un jeu auquel ils se prêtaient de plus en plus, surtout ces derniers mois. Ils imaginaient à quoi pourrait bien ressembler leur futur et leurs enfants hypothétiques et ne se lassaient pas d’argumenter leurs positions. Le premier débat qui les occupait était le nombre : Marlene disait en vouloir trois, mais James soutenait que, dans une fratrie de trois, il y avait toujours un seul ; autant en faire deux, ou quatre.

« Ah bon ? » fit mine de s’étonner James. « Pourtant je t’imagine bien en conduite accompagnée avec eux. » la taquina-t-il. Elle s’accrocherait à la portière en poussant des petits « attention devant… attention ! » très aigus. Il visualisait très bien la scène.

Malheureusement, il n’eut pas le loisir de la lui partager puisque – sans raison précise – il se retrouva projeté vers l’avant, sous l’effet d’un coup de frein particulièrement virulent de Marlene. La ceinture de sécurité le retint sur son siège, mais déjà James relevait la tête, pris d’un sentiment d’urgence en sentant leur véhicule immobilisé en plein milieu de la route. En plein milieu de l’autoroute.. Derrière déjà, les automobilistes klaxonnaient furieusement, et la situation devenait dangereuse.

« MARLENE. DEMARRE ! » s’exclama James après avoir vainement cherché une pédale du pied – malheureusement, ils roulaient dans sa voiture et pas celle à double-commande qu’ils louaient parfois. « Vite ! »

- Je ne roule pas à contresens ! s’exclama Marlene en tournant brièvement la tête vers James. Si on oubliait ce petit incident où elle avait pris un sens interdit, évidemment.
Mais elle se reconcentra bien vite sur la route : après tout, la voiture allait à grande vitesse. Quand il la taquina de nouveau sur le fait qu’il l’imaginait très bien faire la conduite accompagnée avec leurs enfants imaginaires, elle leva les yeux au ciel. Elle le connaissait par cœur, elle savait très bien ce qu’il insinuait par là : qu’elle allait être stressée et ridicule.

- Il faudrait déjà que j’ai mon permis pour ça, rappela-t-elle.

Et ce n’était pas gagné, au vu de ce qui se passa juste ensuite. Alertée par l’illumination de quelques feux arrières, Marlene eut le pied un peu lourd sur la pédale de frein. La voiture fit un brusque arrêt, les projetant vers l’avant. Elle n’avait pas rétrogradé, aussi la voiture cala-t-elle Un concert de freins et de klaxons s’éleva immédiatement derrière eux. Le conducteur qui les suivait avait eu suffisamment de distance - et de réflexes - pour s’arrêter sans les percuter mais la manœuvre semblait l’avoir profondément contrarié. La voiture tremblait légèrement à chaque automobiliste qui les frôlait à grande vitesse.

James s’énervait déjà à ses cotés, élevant la la voix pour qu’elle redémarre. Complètement paniquée, Marlene tenta de remettre le contact de la voiture qui s’était arrêtée. Le moteur vrombit mais elle n’était pas repassée au point mort : elle cala une nouvelle fois, la voiture faisant un petit bon en avant. Elle tenta désespérément de repasser au point mort mais oublia d’appuyer sur l’embrayage. La boîte de vitesse cria son désespoir.

- J’Y ARRIVE PAS !

La voiture était arrêtée sur l'autoroute. Sur l'autoroute. La voiture. Arrêtée. Les pensées de James avaient dû mal à sortir de cet inquiétant état de fait, et cela n'allait pas en s'arrangeant. Pris par une violente panique - ILS ETAIENT ARRETES SUR L'AUTOROUTE - le ton monta très rapidement lorsqu'il pria Marlene de redémarrer. D'accord, crier sur son élève - qui était aussi sa copine - n'était sûrement pas très pédagogue, ni l'idée du siècle pour préserver la paix dans son couple. Mais à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle, et James estimait qu'une mort très proche et certaine était une situation dans laquelle il pouvait bien élever un peu la voix, quand bien même cela n'avait rien de constructif. De toute façon, il était incapable de s'en empêcher, et ne cessait de regarder frénétiquement derrière eux. Les voitures arrêtées derrière eux commençaient à se rabattre sur les autres files pour les doubler, en leur jetant des regards incendiaires au passage et en les frôlant jusqu'à en faire tanguer l'habitacle. Formidable.

Tout aussi formidable que les redémarrages ratés de Marlene, qui ne parvenait à mettre le contact, à appuyer sur la pédale au bon moment, où à enclencher la bonne vitesse. Les nerfs de James, déjà bien atteints, cédèrent parfaitement lorsque la voiture fit un énième bond en avant en crachotant.

"MARLENE !" s'exclama-t-il, les sourcils froncés. "Putain mais... !" Son juron s'étouffa dans sa gorge, alors qu'il passait en revue leurs options. Il ne pouvait pas prendre le volant - impossible de quitter la voiture pour prendre la place de Marlene, c'était déjà suffisamment dangereux d'être arrêtés DANS UNE VOITURE en plein milieu de l'autoroute, il n'allait pas non plus EN SORTIR. Marlene était la seule à pouvoir redémarrer. "Marlene, appuie sur l'embrayage." lança finalement James, un peu sèchement, la main posée sur le levier de la boîte de vitesse. Il passa la première. "Maintenant, démarre... Doucement..." Lui indiqua le jeune homme, dont la voix était bien plus pressante que douce.

Les hurlements de James étaient loin de l’aider. Au contraire. Marlene avait perdu ses moyens, elle se sentait pétrifiée. Les voitures qui doublaient semblaient les frôler, klaxonnant furieusement. Quelque chose s’était serré dans sa poitrine. Elle appuyait sur les pédales de manière complètement inconséquente et évidemment, la voiture ne redémarrait pas comme par magie. Elle aurait voulu transplaner d’ici immédiatement, mais c’était parfaitement impossible. Ils ne pouvaient pas abandonner la voiture comme ça, les autorités allaient se poser trop de questions et en plus c’était dangereux. Mais à cet instant, elle aurait juste voulu disparaître.

- MAIS ARRÊTE DE CRIER ! hurla-t-elle, sa voix déraillant un peu.

Il lui demanda d’appuyer sur l’embrayage, ce qu’elle fit, à fond. Il passa la première et l’invita à tenter d’avancer. Le cœur battant à tout rompre, alors que la voiture tanguait à chaque véhicule qui les dépassait, Marlene tenta d’appuyer doucement sur l’accélérateur, tout en relevant son pied de l’embrayage.

2 - 3 : Marlene avance de quelques mètres à 8 km / heure.
4 - 5 : Marlene cale.
1 - 6 : BAM. Une voiture les percute à l’arrière.

Rien n'allait. Ils étaient toujours arrêtés en plein milieu de l'autoroute - l'ai-je suffisamment répété ? - et la situation devenait de plus en plus dangereuse au fur et à mesure que les minutes passaient. Les autres voitures les frôlaient en passant à côté d'eux et, comme ils étaient à la sortie d'un virage - certes assez large - ils n'avaient pas une excellente visibilité pour savoir ce qui arrivait derrière eux.

Lentement - et trop lentement au goût de James - Marlene pressa l'embrayage et il passa la première vitesse pour faire redémarrer la voiture. Doucement, elle relâcha la pédale et la voiture se mit à vrombir, prête à avancer de quelques mètres. Le jeune homme - qui était entièrement porté par l'adrénaline - sentit un poids s'envoler de ses épaules.

Puis, brusquement, un choc à l'arrière de la voiture les propulsa brusquement en avant. Les mains de James se posèrent sur le tableau dans un geste un peu vain pour le maintenir droit, alors que sa ceinture lui enserrait le torse pour le maintenir contre son siège. Il ferma les yeux.

1 - Sous le choc, la voiture est propulsée sur le côté, se retourne et est percutée une seconde fois.
2 - Sous le choc, la voiture est propulsée sur le côté et se retourne.
3 - Le coffre est enfoncé, la voiture est déplacée en travers de la route.

Marlene ne vit pas le choc arriver. Elle était en train de redémarrer, la voiture avançait doucement. Ses mains et ses épaules étaient encore crispées, ses bras tendus sur le volant. Ce fut un horrible bruit, comme une explosion. Elle sentit toute la force de la voiture alors qu’ils étaient emportés. Elle eut l’impression d’avoir crié mais elle n’en n’était pas vraiment sûre. Elle sentit sa ceinture de sécurité la serrer très fort alors que la voiture se retournait. C’était comme d’être emportée dans un manège terrible. Ils étaient balancés de tous les côtés. Elle sentit un choc brusque contre son bras. Un bruit de verre brisé.

En quelques secondes, c’était fini.

Elle mit quelques secondes à réaliser qu’ils étaient à l’envers. Elle prit une inspiration erratique, ses doigts cherchant à écarter sa ceinture de sécurité qui la compressait tellement qu’elle avait l’impression de ne plus pouvoir respirer. Elle ressentait une vive douleur au cou, au bras. Elle tourna la tête vers James.

Avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit, ils furent de nouveau emportés. Cette fois-ci, la voiture glissa le long de la route dans un horrible crissement. Elle sentit sa tête heurter quelque chose avant d’être bringuebalée de l’autre côté. Tout s’arrêta net lorsqu’ils vinrent s’écraser contre quelque chose.

Un grand silence sembla s’établir quelques secondes. Elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Elle avait l’impression d’avoir du mal à respirer. Ses mains cherchèrent frénétiquement à se détacher, mais sans y parvenir. Ils étaient toujours à l’envers et elle eut vraiment l’impression d’étouffer. Elle sentit un sanglot lui échapper.  

D'abord, il y eut un choc sur l'arrière, au niveau du coffre. La voiture fut propulsée vers l'avant, ou sur le côté, James ne sut réellement le dire car il avait fermé les yeux. Le bruit était terrible ; le pire fut la sensation qui arracha son estomac et leva son cœur. Sa tête cogna contre la portière, rebondit contre l'appui-tête et son menton heurta son torse solidement maintenu par sa ceinture qui brûlait la peau découverte de sa gorge. Puis. Tout s'arrêta. Une seconde plus tard, ce fut le silence.

Il ne dura cependant pas très longtemps. A peine le temps pour James de rouvrir les yeux, la respiration courte et saccadée, et de prendre conscience qu'ils s'étaient retournés et que sa tête reposait contre le toit de la voiture, pourtant collé contre le bitume. Avant même qu'il ne puisse véritablement assimiler cette information, un second choc - à l'arrière gauche cette fois, sur la portière - les percuta. La voiture fut emportée sur plusieurs mètres avant d'être arrêtée toute aussi brusquement. James ne se souvenait pas avoir crié et pourtant, il avait mal à la gorge comme si c'était le cas. Ou alors, c'était parce qu'il ne parvenait plus à respirer correctement. Sa nuque le faisait souffrir aussi ; il grimaça en tentant de bouger légèrement la tête, puis nota qu'il avait un goût de sang dans la bouche.

Le sanglot de Marlene eut cependant raison de la souffrance de James qui pivota pour la regarder. Elle avait l'air dans le même état de lui, mais il était déjà soulagé de la savoir en vie à côté de lui. Elle semblait respirer et était conscience, ce qui était déjà le point le plus important.

"Marlene ?" fit-il d'un ton inquiet. "Marlene ça va ?" Il essaya de tendre la main vers la boucle de sa ceinture pour l'aider à se libérer, mais ce mouvement fut vain de réussite. "Attends, j'arrive pas à..." Il essaya de détacher sa propre boucle de ceinture, sans succès. "Marlene ?"

Finalement, les questions de James se noyèrent dans un gorge. Un homme âgé d'une quarantaine d'années s'était agenouillé devant la voiture à la vitre brisée.

"TOUT LE MONDE VA BIEN ? Madame ? Madame ça va ?

Marlene ne répondit pas aux interpellations de James. Elle avait les oreilles qui bourdonnaient un peu et la tête qui tournait. Le fait d’être à l’envers n’aidait sûrement pas. Elle voulait sortir d’ici. Elle voulait sortir d’ici. Elle voulait sortir de là. Maintenant. Tout de suite, elle voulait sortir de là. Malheureusement, cette pensée entêtante ne changeait pas la situation. Elle se sentait retenue par sa ceinture de sécurité, qui lui compressait avec force le thorax. Elle sentait l’angoisse l’envahir de plus en plus. Sa respiration s’accélérait mais elle avait toujours cette terrible sensation de manquer d’air. Marlene ferma brusquement les yeux. Elle tenta de souffler, comme pour expier son angoisse. En vain. Reste calme. Reste calme. Respire. Réfléchis. Reste calme.

Soufflant toujours doucement, elle tenta de faire le vide dans son esprit. Il fallait qu’elle reste calme, comme elle l’aurait fait à l’hôpital. Dans ses chaussures, elle gigota les orteils. Bougea doucement les jambes. Elle sentait que l’avant de la voiture s’était un peu déformé autour d’elle mais elle pouvait toujours secouer légèrement ses pieds. Bonne mobilité inférieure. Pas de douleur au bassin. Elle posa sa main sur son ventre. Ses doigts s’enfoncèrent contre sa peau. Abdomen souple et dépressible, indolore. Douleur au rachis. Pas de détresse respiratoire. Douleur cervicale. Elle était parfaitement consciente. Elle porta sa main à son visage et y trouva un peu de sang, une petite plaie sous les cheveux.

- Ça va, finit-elle par souffler alors qu’un homme s’était précipité vers la voiture. Elle tourna la tête légèrement vers James mais stoppa son mouvement en raison de ses douleurs à la nuque. Tu vas bien aussi ?

Elle voulait penser au médical. Elle voulait penser au médical pour ne pas paniquer. Qu’est-ce qu’il fallait faire ensuite ? Qu’est-ce qu’il fallait vérifier dans le cas d’un AVP ?  Rectitude nécessaire du rachis. Mise en place d’un collier cervical non-compressif. Bilan lésionnel. Palpation des gros troncs artériels et des fosses lombaires. Ne pas oublier la pression des ailes iliaques pour éliminer la fracture du bassin. Il fallait chercher les signes de lésions intraabdominales, notamment spléniques et les contusions myocardites. Quoi d’autre ? Elle avait les yeux fermés. Elle revoyait ses petites fiches colorées, surlignées avec soin. Test de Glasgow. Surveillance de la saturation. Surveiller l'hypoxie et l'hypoventilation qui augmentent la pression intracrânienne. Ne pas passer à coté de l’hypovolémie... Hypothermie. Surveiller l’hypothermie. Il y avait autre chose. Un autre paragraphe, surligné en jaune.

Un coup contre la voiture la fit sursauter. Plusieurs autres personnes s’étaient approchées. Le monsieur de tout à l’heure avait continué de parler, elle ne l’avait pas écouté.

- ... téléphone. Les pompiers sont en route mais ils ont dit de ne pas vous bouger.
- Je veux sortir de là, murmura Marlene. Tu peux te détacher ? demanda-t-elle à James.  

Avant de devenir l'heureux propriétaire d'un bar, James avait été un ambulancier, formé aux soins d'urgences. Il savait - théoriquement - comment réagir aux accidents qui survenaient sur la voie publique. Pourtant, pris lui-même dans l'habitacle d'une voiture renversée, son premier réflexe fut celui, humain, de fuir. Ses mains cherchaient vainement la boucle de sa ceinture de sécurité pour la défaire, mais elle paraissait bloquée. Il chercha à ouvrir la portière qui, bien sûr, ne céda absolument pas sous son geste. Elle était complètement enfoncée sur une partie, ce qui laissait présager qu'elle ne s'ouvrirait pas d'elle-même. La vitre était cassée, mais au moment où il bougea le bras pour l'atteindre, une vive douleur se répandit dans son épaule et irradia jusque dans sa nuque. Avec une grimace, James suspendit son mouvement.

Cette vive douleur le poussa à se concentrer davantage sur ce qu'il ressentait. Une douleur dans l'épaule gauche, dans la nuque, et dans les côtes. Il pouvait remuer les jambes - et était capable de respirer profondément - quand bien même le fait de gonfler entièrement ses poumons lui occasionnait une vive douleur, que James apparenta à une côte cassée ou fêlée. Ses yeux se fermèrent brusquement, sous le coup d'une vive émotion qui noua sa gorge. Malgré ce premier constat rassurant, l'adrénaline du choc commençait à redescendre pour le laisser entièrement en proie à une peur panique diffuse qu'il avait bloqué au moment de l'accident. La voix de Marlene se chargea de le ramener à la réalité. L'entendre dire qu'elle allait bien le rassura légèrement. Il finit par hocher la tête à sa question, en grimaçant un peu malgré lui.

"Je crois aussi." finit-il par répondre. "Je dois avoir une côte cassée..." précisa-t-il toutefois, tout en sachant pertinemment que, dans le monde magique, une côte cassée équivalait à peine à une égratignure - ils avaient des potions capables de réparer ça en quelques secondes à peine. "Est-ce que tu..."

Mais sa question fut coupée par l'arrivée d'un homme, qui les observait avec un air inquiet. Il avait son téléphone plaqué contre le l'oreille, et parlait visiblement avec les pompiers. Intérieurement, James jura. Il aurait préféré être conduit directement à St Mangouste, sans passer par un hôpital moldu. Mais, évidemment, l'accident avait eu lieu en pleine autoroute moldue, et c'était les secours moldus qui étaient en route. Le murmure de Marlene lui fit légèrement tourner la tête vers elle, en faisant attention à ne pas forcer sur sa nuque douloureuse. Mû par une certaine inquiétude, il attrapa sa main.

"Non... Nos ceintures sont bloqués, on peut pas bouger." souffla James. "Il faut qu'on attende les pompiers." Impossible aussi de faire de la magie sous les yeux des individus qui les observaient. "Ca va aller." Il ne savait pas vraiment s'il disait ça pour elle ou pour lui ; dans sa voix pointait une touche de panique qu'il ne réprimait que difficilement.

Une sonnerie déchira l'atmosphère quelques secondes plus tard. James avait fermé les yeux à nouveau ; il se sentait, à vrai dire, très fatigué.

"Il faut qu'on ouvre les portières, elles sont bloquées !" clama un homme à la voix forte.

Une vague de soulagement envahit Marlene lorsque James lui confirma qu’il allait bien, même s’il avait peut-être une côte cassée. Ce n’était rien, cela se réparait littéralement d’un coup de baguette magique. Sauf qu’ils n’allaient pas avoir la chance de pouvoir être transportés à Sainte-Mangouste : les témoins de l’accident étaient déjà en ligne avec les pompiers moldus. Elle aurait voulu leur dire de tout annuler, qu’ils allaient se débrouiller, mais malheureusement, ils étaient coincés dans sa voiture. Le fait d’être la tête à l’envers commençait à être de plus en plus pesant, elle sentait sa tête s’alourdir. Être enfermés dans sa voiture allait très vite devenir insupportable. Si seulement elle avait pu attraper son sac à main, qu’elle avait initialement posé à l’arrière... Elle y avait sa baguette magique, elle aurait pu couper leurs ceintures. Ce n’était pas prudent évidemment, avec une douleur comme la sienne au rachis, il était nécessaire d’immobiliser sa nuque, elle le savait, en tant que soignante. En tant que victime, elle voulait sortir de là le plus vite possible.

James attrapa sa main et elle glissa ses doigts contre les siens, serrant sa paume. Ce contact l’apaisa un peu. Elle entendit un peu de panique dans sa voix et s’efforça de le rassurer, même si elle se sentait elle-même tiraillée par l’angoisse.

- Ça va aller. Tu vas bien, je vais bien, on a sûrement des blessures mineures.

En réalité, il lui suffisait de réfléchir un peu pour trouver des milliers de problèmes qui allaient leur tomber dessus. Est-ce que les personnes qui les avaient percutées allaient bien ? Est-ce qu’ils allaient avoir des soucis avec la police ? Elle n’avait pas le permis, elle était en conduite accompagnée. Et puis il y avait les assurances... Elle ferma les yeux et déglutit, s’efforçant de souffler. Ça allait. Ça allait. Elle rouvrit les yeux et prit tout ce qui lui restait d’énergie pour tenter de faire sourire James.

- Par contre je crois que la voiture a un accroc.

Autour d’eux, les gens commençaient à essayer de s’organiser pour ouvrir la voiture. Quelques personnes tirèrent sur la portière, en vain. Heureusement, au loin, quelques sirènes retentirent. Les pompiers étaient déjà là, la police aussi peut-être. Quelques minutes après, des hommes en tenue se présentaient autour de la voiture.

- Bonjour madame ! lança un pompier, qui s’était agenouillé au niveau de la fenêtre brisée. Elle ne savait pas si c’était un bon jour mais... Comment vous vous sentez ? Et vous monsieur ? On va vous installer des colliers cervicaux pour protéger vos nuques et on va vous sortir de là, d’accord ?

Quelques secondes après, une femme pompier s’était approchée et installait un collier autour de la nuque de Marlene, pendant qu’on faisait de même à James. Elle les entendait discuter autour des plans d’action. Le premier pompier s’approcha de nouveau.

- Madame, on va essayer d’ouvrir la portière à la pince. Monsieur, ça va prendre un peu plus de temps, c’est un peu plus enfoncé de votre côté.

Et en effet, en cinq minutes, la portière de Marlene fut démontée dans un crissement de tôle assourdissant, qui lui fit fermer les yeux. Elle n’avait pas lâché la main de James.

- Madame, on va faire passer la planche et on va vous tenir d’accord, au moment où on va couper la ceinture ? On va vous installer et vous sortir de là. Vous tenez le coup, monsieur ?

Entendre Marlene parler fit l’effet d’un véritable soulagement à James, comme si cela venait confirmer ce qu’elle lui avait pourtant dit plus tôt : elle allait bien. Elle allait bien, il allait bien aussi, et, mis à part quelques blessures mineures – du moins, l’espérait-il – ils seraient rétablis en quelques heures avec la magie. Le trait d’humour de sa petite-amie lui tira un petit rire, puis une grimace lorsqu’une vive douleur se répandit dans ses côtes.

« Tu crois ? » répondit-il toutefois, en observant l’habitacle défoncé de sa voiture. « Finalement, je crois que tu as raison. Le bus, c’est bien aussi. »

Il se doutait bien que Marlene refuserait de s’asseoir à la place du conducteur pendant un bon moment et, si James était honnête, il n’était pas certain de vouloir conduire de sitôt non plus. Même si l’accident n’avait causé de dégâts majeurs, ils étaient passés à côté d’une catastrophe qui aurait très bien pu leur coûter la vie. Pour le moment, James voulait simplement remercier leur bonne étoile de veiller sur eux et de prier encore un peu pour sortir le plus vite possible de cette voiture. Par chance, les pompiers arrivèrent quelques minutes plus tard, à grand renfort de sirènes stridentes qui lui perça les tympans. Un homme s’agenouilla à côté de la fenêtre brisée, pour leur exposer ce qu’ils comptaient faire pour les tirer de là. James resta silencieux, sans lâcher la main de Marlene, le cœur prit par une appréhension déraisonnable qui lui faisait craindre le moment où ils sortiraient de la carcasse de la voiture. James avait été ambulancier suffisamment longtemps pour savoir que bouger des victimes pouvait se révéler été un moment critique. Il essayait de ne pas y penser plus que de raison.

Le crissement effroyable au niveau de la portière droite lui fit fermer brièvement les yeux. Quelques secondes passèrent avant que son regard ne se pose sur Marlene, qui était en train d’être soutenue par plusieurs pompiers, affairés à couper sa ceinture. En quelques mouvements, elle fut allongée sur une planche, le cou maintenu par un collier cervical qu’on lui avait posé.

« Amenez-là à l’ambulance ! » indiqua un pompier d’une voix forte.
« Marlene ? » appela James, qui, brusquement, s’était retrouvé seul dans la voiture. « Marlene ça va ? »
« Elle va bien. » le rassura le pompier avec un sourire chaleureux. « Vous avez eu beaucoup de chance, tous les deux. »
« On dirait, oui… » souffla James.
« On va ouvrir votre portière maintenant, monsieur, d’accord ? Vous allez sortir d’ici, on va vous installer sur une planche, puis vous irez tranquillement à l’hôpital. Tout va bien se passer. » James hocha la tête. « Attention, ça va faire un peu bruit… »

En effet, après un bruit sourd, la portière gauche fut arrachée à la voiture. Quelques minutes plus tard, James était installé sur un brancard, autour de deux ambulanciers qui prenaient sa tension et vérifieraient ses signes vitaux.

« On va partir pour l’hôpital… » James voulut tourner la tête pour observer Marlene. Son collier cervical l’en empêcha, mais l’ambulancière suivit le mouvement de ses yeux. « Tout va bien, monsieur. »  

Marlene avait fermé les yeux très fort le temps du transport. Lorsqu’elle fut installée sur la planche, elle eut l’impression d’être libérée. Elle sentait l’air frais glisser sur son visage et ne put décrire le soulagement qui l’envahit. Elle avait envie que tout se termine, d’aller à Sainte-Mangouste pour qu’ils réparent en quelques minutes ce qui posait problème et de rentrer chez elle, se coucher dans son lit. Alors qu’elle était emmenée vers le camion, elle tourna les yeux vers la voiture de James, qui ne ressemblait plus à grand-chose. Les pompiers étaient en train de découper la portière de son petit-ami et cela faisait de grandes étincelles. Au moment où ils arrivaient devant les portes ouvertes de l’ambulance, elle crut distinguer un amas de tôle bleue un peu plus loin. La voiture qui était venue s’emplafonner contre eux avait dû également subir de gros dégâts. Elle espérait que la personne dedans allait bien.

Un bruit sourd sembla indiquer que la portière de James venait de céder, alors qu’on s’affairait à lui poser un cathéter. Elle sentit la douleur et ferma de nouveau les yeux. Le soulagement faisait de nouveau place à l’angoisse, elle se sentait de nouveau enfermée dans son collier cervical. Elle leva une main pour tenter de le retirer, geste qui fut interrompu par un pompier.

- Il faut garder ça mademoiselle, on va aller à l’hôpital faire quelques examens.

Elle aurait voulu protester mais elle n’en n’avait plus l’énergie. Elle ferma de nouveau les yeux, déglutit difficilement. Sa voix fut un peu rauque lorsqu’elle interrogea :

- Mon copain va bien ?

Une femme pompier se pencha vers elle pour être au dessus de son village immobilisé.

- Il est dans l’autre ambulance, ça a l’air d’aller, on va aller à l’hôpital de West Berkshire. Vous vous retrouverez là-bas.
- Et les gens dans l’autre voiture ?
- Ça semble aller aussi, ils sont surtout secoués. Est-ce que vous voulez qu’on prévienne quelqu’un ?
- Mon père, j’ai son numéro dans mon téléphone, dans ma poche...

Son portable moldu était toujours dans sa poche arrière, comme souvent quand elle était en dehors du monde sorcier. Son père allait être plus qu’inquiet, elle espérait qu’il n’allait pas débarquer à toute vitesse pour faire une esclandre.