No Time To Die [Amely Weaver & les jumeaux Rice]

Danielle avait coincé son PearPro entre son épaule et son oreille, alors qu’elle rassemblait d’épais documents dans une pochette marron. Elle était, pour une fois, restée à l’arrière de l’action, pour préparer la suite des évènements : prévenir le ministre, son directeur de département, mais également les responsables de l’île de Skye, avec qui elle était en relation actuellement, pour organiser un transfert immédiat des prisonniers dans leurs cellules. Nora Weaver et Irving Whitaker devaient être deux mines d’informations, et elle se ferait un plaisir d’aller explorer leurs mémoires pour en apprendre plus sur le mouvement auquel ils appartenaient.

Un léger sourire s’étira sur ses lèvres, alors qu’elle raccrochait. Ils avaient eu Chloé Hellsoft cinq jours auparavant, et voilà qu’ils tenaient – enfin – les meurtriers de Jacob Dalhiatus ? Elle n’en revenait pas ; c’était presque trop beau pour être vrai, après tous ces mois sans piste, toutes ces réunions infructueuses, toutes ces enquêtes qui n’avaient mené à rien. Elle se sentait soulagée, libérée d’un poids dont elle n’avait presque plus conscience après toutes ces années. Elle se sentait fière, aussi. Fière de ces hommes et de ces femmes, qu’elle avait formé, qu’elle avait observé évolué.

Seule ombre au tableau : la trahison d’Amely Weaver, qui lui restait au travers de la gorge. Elle avait, jadis, mis beaucoup d’espoir en cette jeune femme, allant même jusqu’à la nommer lieutenante. Elle était volontaire, déterminée, savait exactement ce qu’elle voulait et comment l’obtenir. Il y avait eu son erreur lors de la gestion de ce qu’on appelait désormais « l’affaire Miller », et Danielle l’avait tenu un peu à l’écart du terrain pendant un temps, tout en la laissant travailler sur le dossier Dalhiatus. Pendant combien de temps les avait-elle mené en bateau ? Quand avait-elle fait le rapprochement entre sa petite-sœur et son compagnon, et les meurtriers qu’ils recherchaient activement depuis plus mois ? Au début de l’enquête, voire même en amont ? Ou seulement quelques minutes auparavant, lorsqu’elle s’était retrouvée face au portrait de ces deux jeunes adultes qu’elle connaissait ?

Au fond, cela ne changerait pas beaucoup sa peine. Que sa trahison remonte à des années ou à quelques secondes, Amely s’était dressée contre la milice, contre ses collègues et amis, et ainsi, contre le gouvernement, pour potéger deux meurtriers affiliés à un réseau de terroristes. Elle ne donnait pas chère de sa peau. Et, à vrai dire, elle se ferait un plaisir de l’interroger elle-même.

La cheffe de la milice pianotait rapidement sur le bois sombre de son bureau, lorsqu’un patronus se matérialisa devant elle.

« La mission est finie. Les deux suspects se sont échappés. Ymeldiz est morte. Amely Weaver capturée. »

Son visage retrouva sa froideur légendaire, ses lèvres se pincèrent, ses sourcils se froncèrent. Les différentes émotions qui étaient brièvement apparues sur le visage de Danielle Coleman, lors de sa réflexion sur les récents évènements – joies et fierté – n’étaient plus qu’un lointain souvenir.

Elle transplana sans attendre et réapparut à quelques mètres de l’auberge. Un épais nuage noir masquait le ciel, et l’odeur de brûlé vint lui chatouiller les narines, alors qu’elle se tournait vers Elaine, une milicienne aux longs cheveux roux, qui était l’auteure du patronus qu’elle avait reçu.

« Je t’écoute. »

Alors, Elaine raconta. Comment ils étaient tous arrivés et comment ils s’étaient placés, selon les instructions très claires qu’elle avait fait parvenir à Desmond. Comment Amely avait prévenu les coupables, et comment elle s’était sacrifiée pour leur permettre de fuir. Comment elle avait mis feu à la forêt pour les ralentir, et comment elle s’était battu avec Angus Rice. Comment les suspects avaient progressé dans la forêt, comment Doreen Rice avait brisé leur formation, comment ils avaient déclenché un sortilège du Cridurut, et que, malgré leurs efforts, ils avaient réussi à sortir de la zone anti-transplanage et s’étaient enfuis. Comment la milice avait échoué à capturer deux jeunes à peine sortis de l’adolescence. Comment ils avaient été ridiculisés par deux aubergistes.

Danielle resta silencieuse pendant le récit, se contentant de hocher la tête à quelques reprises. Les deux femmes marchaient côte à côte, et, lorsqu’elle Elaine eut terminé et qu’elle se rendit compte qu’elle n’aurait pas de réponse de sa cheffe, elle décida sagement de se faire.

Si Danielle bouillonnait intérieurement, si elle était déçue, aucune mimique ne venait trahir ses émotions ; ce qui était, à bien y réfléchir, beaucoup plus inquiétant. Elle arriva bien rapidement auprès des miliciens. Certains étaient blessés, d’autres couverts suie. Elle les considéra un long moment du regard, sans briser le silence lourd de sens qui s’était instauré.

« Des adolescents. » lança-t-elle, d’une voix polaire. « Des adolescents, ont réussi à échapper à une trentaine de miliciens, normalement formés et aguerris. » Personne n’osait piper mot ; tous savaient peut-être qu’ils n’avaient pas intérêt à l’interrompre. « Cette mission aurait dû être un jeu d’enfant. Deux personnes à neutraliser. Deux personnes. Quand bien même ont-ils reçu de l’aide, vous étiez trente contre trois. » lança-t-elle en insistant sur les mots. « Mais j’ai entendu dire que les miliciens que je forme depuis plusieurs années sont incapables de respecter une formation » regard vers Doreen Rice, « ou ne sont bons qu’à neutraliser des animaux de compagnie aussi dangereux qu’un bambin. » regard assassin vers Covidus. « Je suis extrêmement déçue. » Nouveau silence. « J’ai appris, il y a quelques minutes, le décès d’Ymeldiz. Il en va de la responsabilité de chaque milicien de protéger ses frères, et vous avez failli dans cette mission également. Mais je ne suis pas sans savoir qui est la personne qui a causé la mort de notre collègue.» Pour la première fois depuis qu’elle était capturée, son regard se posa enfin sur Amely Weaver. Le visage d’ordinaire neutre de Danielle se tordit en une expression méprisante. « Tu vas être transférée à Skye en attendant ton procès mais, si j’étais à ta place, je savourerai les derniers moments de mon existence dès à présent. » D’un regard noir, elle la dissuada de prendre la parole. « Ne te donne même pas la peine d’expliquer ta trahison. J’examinerai ton esprit là-bas. ». Son regard se posa brièvement sur Angus, qui la tenait. « Agent Rice, mes félicitations. »

« Yavana, rassemble une équipe pour quadriller le terrain et le rendre inaccessible à toute personne qui ne possède pas une autorisation de la milice. On procédera à une fouille de l’auberge et des alentours dès demain matin. » Elle ne tourna pas la tête lorsqu’un bruit caractéristique du transplanage retentit à sa gauche ; deux agents de Skye venaient d’apparaître pour organiser le transfert de la traitresse vers l’île de Skye. « A partir de maintenant, nous concentrerons une partie de nos efforts dans la traque de Nora Weaver et d’Irving Whitaker. Faîtes passer leurs photos aux douaniers, aux AIRPUS. Interrogez leurs proches, menacez-les si vous avez besoin mais retrouvez-moi ces deux gamins. » Elle ajouta enfin : "J'attends vos rapports de mission sur mon bureau demain soir au plus tard. Visiblement, je vais devoir recevoir certains d'entre-vous pour vous rappeler le but de notre travail."

Et, au ton qu'elle employait, ces entretiens ne seraient pas une partie de plaisir.