Pizzaversaire [Marlene]

James s'était assis en tailleur sur son lit, les yeux perdus dans le vague. La mention de l'anniversaire de Marlene lui fit un pincement au coeur ; il y avait pensé toute la journée, ne cessant de se demander s'il devait, ou non, lui envoyer un message. Il avait fini par le faire - il l'avait écrit, effacé et réécrit trois fois avant de lui envoyer. C'était le premier anniversaire de l'un d'eux depuis qu'ils avaient commencé à se fréquenter, de temps à autre, mais il n'était pas certain de la conduite à adopter. Il avait fini par lui envoyer un message un peu drôle avec une photo animé de chaton qui dansait qui la faisait mourir de rire d'ordinaire. Il avait écrit "J'espère te voir vite" puis il l'avait supprimé pour un "Bisous", qu'il avait fini remplacé par un "Je t'embrasse". Il ne lui avait pas proposé qu'ils se voient, parce qu'il ne savait pas trop s'il pouvait le faire et il avait laissé les jours défilés - de toute façon, ils ne s'étaient pas vus depuis une ou deux semaines, il ne savait plus.  

James, tout à son envie de pardonner Grady, essaya de suivre le raisonnement de son meilleur ami. Il avait invité Marlene, parce que c'était une pote, qu'ils s'entendaient bien. C'était un peu comme lui, finalement, quand il avait continué à voir Kessy, même après sa rupture avec Grady. Il avait toujours été dû côté de son colocataire, évidemment, mais il avait vu son ex petite-amie, de temps à autre, quand l'occasion se présentait. Alors, c'était différent - il n'avait pas la même relation avec Kessy que Grady avait avec Marlene, même il pouvait deviner le parallèle. Voilà pourquoi il en voulait tant à Marlene, bien plus qu'il n'avait l'impression d'en vouloir à Grady ; parce que Grady avait embrassé son ex petite-amie, alors que Marlene avait embrassé son meilleur ami. Ce qu'il ressentait comme étant de la trahison n'avait pas le même statut, dans les deux cas.

Et puis, Grady ne savait pas, lui souffla une petite voix intérieure. Il ne savait pas que Marlene et lui se fréquentaient de nouveau, même après l'hôpital. James ne lui avait pas dit parce que... Hé bien parce qu'il n'était lui-même pas très certain de ce que cela signifiait. Tant qu'il le gardait pour lui, il avait l'impression de garder le contrôle de ses émotions, parce qu'il évitait soigneusement d'y songer. Il n'avait pas envie d'être confronté à la question "Mais... Qu'est-ce que ça veut dire ?" et, ainsi, il avait préféré ne pas en parler.

Alors voilà, c'était tout. Grady avait invité Marlene chez eux pour son anniversaire, ils avait regardé la télévision, puis ils avaient bu, il l'avait trouvé jolie, et il l'avait embrassé. C'était tout, essaya de se raisonner James en repoussant fermement l'aigreur qui lui brûlait l'estomac. Il réalisa qu'il n'avait pas envie d'être en colère contre Grady, parce qu'il avait bien trop peur de le perdre. C'était son ami le plus proche, et il n'envisageait pas de sacrifier leur amitié. C'était profondément injuste, et il le savait, parce qu'il en voulait terriblement à Marlene, mais c'était comme ça. Marlene était son ex, il pouvait être en colère contre elle. James aimait trop Grady pour s'énerver contre lui. Au plus profond de lui-même, il savait aussi qu'il aimait trop Marlene pour ne pas s'énerver contre elle.

"Ok." souffla-t-il un peu douloureusement. Il ne savait pas quoi dire d'autre. Il avait toujours les mêmes questions, qui lui revenaient, en boucle, et auxquelles son meilleur ami avait déjà répondu.

Il sentit tout de même qu'il était important de préciser : "Marlene et moi on s'est vus, beaucoup, depuis l'hôpital." Il releva les yeux vers Grady pour appuyer le terme "vu" afin de lui signifier qu'ils ne jouaient pas à la bataille explosive. "C'est pour ça aussi que..." expliqua-t-il en haussant les épaules.

Grady restait dans l'encadrement de la porte, attendant que James digère ce qu'il venait de lui dire. Nerveusement, il tapotait sa cuisse du bout de ses doigts, attendant le couperet tombe. Il n'était pourtant pas du genre à s'inquiéter beaucoup, disons qu'il était un garçon plutôt tranquille, mais à cet instant précis, des scénarios plutôt inquiétants tournaient dans son cerveau. Il ne voulait vraiment pas que cet événement gâche son amitié avec James, c'était son meilleur ami, son bro, son frère même, et ce depuis des années. Depuis qu'ils avaient onze ans même. Il était prêt àf faire toutes les corvées de l'appartement pendant deux ans, à se déguiser en licorne, à donner toutes les chips d'un paquet à James pour que cela s'arrange entre eux.

Finalement, son meilleur ami finit par souffler et il distingua ses épaules qui se détendaient très légèrement. Il sentit que les cris étaient finis. Pourtant, la blessure était toujours nette, il le voyait dans l'air un peu défait de James et cela ne fit qu'augmenter sa culpabilité. Stupide Grady, stupide. Il allait se coincer les oreilles dans la porte du micro-onde. Il espérait que le temps aiderait à apaiser les choses entre James et lui, il comprenait qu'il soit blessé maintenant et était prêt à lui laisser de la place, un peu d'air : il pouvait même retourner chez ses parents quelques jours. Ou peut-être pas chez ses parents puisqu'il fuyait un peu son père et toute son histoire de "communion familiale après la mort de Juliana." Il trouverait bien quelqu'un pour lui prêter son canapé. Il s'apprêtait d'ailleurs à le lui suggérer lorsque James reprit la parole, avec une information qui fit s'élever les sourcils de Grady jusqu'au plafond (ou du moins, jusqu'aux mèches de cheveux sur son front.)

- Ah. Ah.

Il ne savait pas. C'était gênant. C'était problématique. Cela changeait un peu le statut de Marlene. Ce n'était pas "que" (et c'était déjà beaucoup) l'ex de son meilleur ami. C'était... Il ne savait pas trop. Mais ce n'était pas ouf.

- Je savais pas, mec, si j'avais su... J'aurais pas venu. Je sais pas, je l'aurais p'tet pas invitée. Je suis vraiment désolé, franchement. Il se racla la gorge. J'espère juste que... Qu'on va rester potes... J'peux te laisser l'appart quelques jours si tu veux un peu d'air.

James sentit, à l'air de Grady, qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il avait bien pu se passer entre Marlene et lui. Il s'était longtemps demandé si son meilleur ami se doutait de quelque chose et avait décidé de ne pas lui en parler, en respectant ainsi son silence, ou s'il était plutôt à des années lumières d'envisager une telle chose. Visiblement, il s'agissait de la deuxième option, et, lorsqu'on songeait à la façon dont ils avaient rompu, ce n'était pas trop étonnant non plus. Mais James et Marlene n'avaient jamais été très forts pour rester loin l'un de l'autre, et ce même lorsqu'ils se détestaient cordialement.

Et évidemment, Grady devant cette nouvelle information, était tout penaud. James lui adressa un vague sourire assorti à un haussement d'épaule, pour lui signifier qu'il savait que s'il avait su, les choses se seraient passées différemment. Que Marlene était "plus" que (et c'était déjà beaucoup) son ex. James poussa un profond soupir, ferma les yeux et passa une main lasse sur son visage.

Il aurait pu s'énerver - véritablement s'énerver - sur Grady. Lui dire qu'il n'aurait jamais dû avoir l'idée de se rapprocher de Marlene sans lui en parler avant, qu'il était déjà sorti avec Kessy après lui - lui demander s'il s'agissait désormais d'un mode opératoire, d'aller draguer ses ex. Mais le jeune homme n'avait absolument pas coeur à s'énerver. Il n'avait jamais été du genre à exploser pour la moindre contrariété et il aimait trop Grady pour ça. Il voulait simplement que les choses redeviennent comme elles l'étaient avant, de mettre tout ça derrière lui. Il n'était pas prêt de pardonner quoique ce soit à Marlene, c'était certain mais Grady... Grady, ce n'était pas pareil.

"Ca va, ça va." lança James en réouvrant les yeux pour les poser sur son meilleur ami. "Bien sûr qu'on va rester potes." Grady et lui savaient qu'au fond, ils étaient bien plus que "potes" mais ils étaient tous les deux trop pudiques pour l'avouer.

Il prit une profonde inspiration et souffla, comme pour prendre un nouveau départ. Il allait tâcher de laisser la rancoeur dans le passé car, de toute façon, elle ne lui permettrait jamais d'avancer. James était un garçon résolument optimiste, qui ne s'accrochait pas à la colère plus que de raison, bien conscient qu'elle ne lui apporterait jamais rien de bien. Il était blessé, c'était certain, mais il était suffisamment mature pour gérer cela seul.

Il s'étira, se leva.

"Il y avait rien à manger à la soirée où j'étais. Il nous reste de la pizza d'hier ?" demanda-t-il en se dirigeant vers la cuisine. Lorsqu'il passa à côté de Grady il posa brièvement une main sur son épaule et échangea avec un lui un regard lourd de sens, avant de l'entraîner à sa suite.

Il suffit à Grady de croiser le regard de James pour comprendre que cela irait. Son meilleur ami ne lui avait peut-être pas encore pardonné (en même temps, c'était arrivé il y a une heure, il ne fallait pas trop en demander non plus) mais leur amitié arriverait à surmonter cette fâcheuse soirée. C'était tout ce que voulait Grady, il était prêt à faire n'importe quoi pour cela. James assura que cela allait et il poussa un soupir bruyant, soulagé. Il avait presque envie de serrer son meilleur ami dans ses bras - en toute bromance évidemment - mais se retint. C'était peut-être malvenu après avoir roulé un patin à son... pas ex ? Tant qu'ils restaient potes, cela irait. James le confirma d'ailleurs et Grady hocha la tête. Potes, bro, meilleurs amis, presque frères. Ils ne le disaient pas mais c'était le cas, il le savait. Tacitement, ils mettaient toute cette histoire derrière eux et n'en parleraient plus : leur amitié était trop importante. Grady allait se sentir coupable longtemps, il le savait, James le savait sûrement, et il ferait attention à ne plus blesser son ami. La vie allait reprendre son cours, en espérant que ce rebondissement ne les impacterait pas trop longtemps. Il observa James se lever et se redressa lui-même, le dos moins vouté que lorsqu'il présentait ses excuses. La demande de son poto montrait bien qu'il voulait revenir à la normale, aussi Grady s'empressa-t-il de jouer le jeu.

- Ouais, je t'ai laissé les deux dernières parts, tu me connais !

Embrasser ses ex, oui. Attenter à sa pizza, jamais.

FIN DU RP