Ira furor brevis est [Artémis & Théo]

Attablé face à Samaël, Théo mangeait d'un air absent. Cela faisait maintenant plus de quatre mois qu'il s'était disputé avec sa soeur, et il réfléchissait activement à un moyen de renouer le contact avec elle. Artémis et lui n'avaient jamais été spécialement proches, mais il était tout de même très étrange de la croiser quotidiennement sans pouvoir lui adresser la parole. Même s'il avait du mal à l'avouer, Artémis lui manquait et il aurait aimé savoir ce qui se passait dans sa vie. De plus, pour la première fois peut-être, Théo avait besoin de ses conseils ou au moins d'un avis, car elle était la personne la plus susceptible de comprendre en quoi sa situation était problématique, sans pour autant le rejeter complètement. Du moins, il l'espérait... La jeune fille s'entendait bien avec Samaël elle aussi, et cela en dépit de son homosexualité avérée, donc Théo s'autorisait à être un minimum optimiste. Il aurait bien besoin d'un allié dans la famille ! Mais avant de pouvoir lui parler de tout ça, Théo devait déjà trouver un moyen de se réconcilier avec elle, et cela n'allait pas être une mince affaire. Il avait beau y réfléchir depuis quatre mois, et il avait beau avoir considérablement évolué pendant cette période, Théo ne savait toujours pas comment s'y prendre. La rancoeur d'Artémis semblait bien plus ancrée et profonde qu'il ne l'avait cru au départ, à l'époque où il s'imaginait qu'un bouquet de fleurs, un cadeau de Noël ou une attitude avenante suffiraient à la faire revenir sur le droit chemin de l'amitié fraternelle... Mais il semblait que la fratrie Nott n'était guère décidée à rester sur le droit chemin de toute façon, alors il devrait y mettre du sien pour espérer regagner son affection.

Triturant mollement ses carottes du bout de sa fourchette, Théo jeta un coup d'oeil maussade à Samaël qui discutait avec l'un de leurs camarades de dortoir. Théo ne pouvait plus compter sur lui pour jouer les intermédiaires, maintenant. A vrai dire, il préférait que le jeune homme se tienne le plus éloigné possible de sa soeur ou de n'importe quel membre de sa famille proche ou éloignée, voire de n'importe quelle personne de sang-pur, tant qu'il n'avait pas eu le temps d'assimiler. Mais comme il n'était pas sûr de vraiment assimiler un jour, il se contentait pour l'instant de faire l'autruche.

N'ayant aucun appétit ces derniers temps, Théo s'apprêtait à abandonner son repas pour aller étudier à la bibliothèque avant d'aller se coucher, quand un éclair doré apparut dans son champ de vision. Théo tourna la tête et avisa la chevelure blonde de Nora Weaver, qui quittait la table des Poufsouffle en compagnie d'Artémis. Pris d'une soudaine détermination, Théo se leva du banc sans grande discrétion, attirant l'attention de ses camarades de dortoir au passage.

"Je vais voir quelqu'un, à plus tard !", expliqua-t-il d'un air absent.

Après avoir adressé un imperceptible sourire à Samaël, Théo s'élança à la poursuite des deux adolescentes. Il les rattrapa alors qu'elles sortaient de la Grande Salle, et attira l'attention d'Artémis en tapotant son épaule.

"Salut", dit-il avec un léger sourire pour Nora avant de reporter son attention sur Artémis. "Tu peux m'accompagner un moment dehors ? Je voudrais te parler. S'il-te-plait."

Il planta un regard perçant sur sa soeur, priant mentalement pour qu'elle ne refuse pas. Sa fierté de Nott était toujours présente quelque part en lui, et il n'avait aucune envie de la supplier... Et il n'apprécierait pas non plus qu'elle l'envoie balader devant sa copine. Au fond, malgré son envie de se réconcilier avec Artémis, une partie de sa colère contre elle était toujours présente et il savait qu'il leur faudrait beaucoup de temps pour construire une relation fraternelle saine et épanouie... En espérant qu'elle le veuille encore.

"Mais puisque je te dis que Danny n'aurait jamais envoyé des fleurs!" s'exclama Artémis devant l'entêtement de Jane.

La préfète Mason s'était mise en tête de se débarasser de son encombrant soupirant imaginaire, et essayait de le refourguer à Artémis. Ce n'était pas bien difficile, étant donné que Danny était, en fait, tombé sous le charme de la jeune fille depuis longtemps, au grand damne de celle-ci. Elle avait retrouvé des fleurs sur son lit, quelques mois auparavant, et avait immédiatement conclu qu'il s'agissait d'un cadeau du Poufsouffle. Celui-ci s'améliorait de jour en jour en matière de délicatesse, et Artémis avait de plus en plus de mal de trouver une raison de refuser ses avances. Elle aimait beaucoup Danny, sa maladresse, sa timidité, et elle se retrouvait parfois en lui, telle qu'elle était avant. Mais, comme il était hors de question de l'admettre devant Jane, elle persistait à répéter que Danny Sneals n'était pas assez dégourdi pour lui envoyer des fleurs. Ca n'était pas très juste pour lui, mais Artémis n'avait jamais été quelqu'un de charitable, et tant qu'il n'entendait pas, il n'y avait aucun mal, n'est-ce pas?

Lassée de sa petite guéguerre contre Jane, Artémis sauta sur l'occasion lorsque Nora se leva et quitta la table en sa compagnie. Il était plus facile d'être honnête avec sa capitaine, qui était de nature bien plus discrète et compréhensive. Elles se voyaient moins, depuis quelques temps, mais ça ne manquait pas vraiment à Artémis. Elle se sentait mieux qu'elle ne l'avait jamais été, et elle pouvait enfin se promener aux côtés de son amie sans être jalouse d'elle. Elle pouvait la protéger - elle ou Danny, par exemple - des gens qui se moquaient d'eux. Bien sûr, il n'y avait pas grand monde pour se moquer de Nora, mais c'était le principe. Artémis était heureuse de ce qu'elle devenait, et si cela passait par quelques heures en moins avec la blondine, tant pis. Elles se voyaient déjà beaucoup, jouaient au Quidditch ensemble, et Artémis était certaine que Nora appréciait qu'elle prenne confiance en elle.

Le plus dur était de ne rien dire. La jeune Nott n'était pas du genre à faire des cachotteries, et mentir n'avait jamais été son fort. Elle s'était donc contentée de donner le moins d'informations possibles sur ses sorties, tentant de choisir des horaires où cela n'étonnerait personne, mais elle savait que tôt ou tard, Jane et Nora finiraient par lui poser des questions. Cela l'effrayait, mais elle cherchait à prévoir ce moment pour qu'il se passe le mieux possible, et imaginait une pile de mensonges qu'elle pourrait leur servir. Le problème était que pour l'instant, elle n'avait rien trouvé.

Elle allait répondre à Nora lorsqu'une silhouette bien connue se matérialisa devant elles. Théo. Ah, oui, son frère. Qui demanda d'ailleurs à lui parler.

La première réaction de la jeune fille fut de l'ignorer et de continuer son chemin. Après tout, cela fait quatre mois qu'elle ne lui parlait plus, et il n'avait pas vraiment cherché à se faire pardonner, sinon de manière vénale, ce qu'elle trouvait insultant. Elle s'était faite à son absence. Les premiers temps, c'avait même été un soulagement de ne plus avoir à se soucier de lui, ni de Cécylia.

Mais aujourd'hui, il commençait à lui manquer. Car, maintenant qu'elle n'était plus aveuglée par la colère, elle s'apercevait bien qu'il avait fait quelques concessions, ne parlant plus à la raison de leur dispute, par exemple, et que ses cadeaux n'étaient pas forcément vides de sens, mais simplement maladroit. Elle avait envie de croire que, derrière sa froideur, son frère l'aimait quand même. Parce qu'en dépit de tout ce qu'il lui arrivait, du tourbillon du Quidditch, de la magie noire, de la nouvelle personne qu'elle devenait, elle restait une gamine de quinze ans qui avait besoin du peu de famille qu'elle avait.

"D'accord" répondit-elle donc après un moment d'hésitation. "Je te retrouve plus tard!" ajouta-t-elle à l'adresse de Nora.

Elle suivit Théo dans le parc, se murant dans un silence borné et prudent, car, même si elle avait accepté de lui parler, elle ne lui ferait pas le plaisir de sauter de joie. Il avait beaucoup à se faire pardonner. Lorsqu'ils furent arrivés au bord du lac, où peu d'élèves étaient présents, elle refusa d'aller plus loin, croisant les bras de manière colérique, et dit d'un ton sec:

"Bon, qu'est-ce que tu voulais me dire?"

Après avoir marqué un moment d'hésitation, Artémis accepta de l'accompagner et salua Nora. Un éclair de soulagement passa dans le regard de son aîné, qui se mit en route en direction du parc, tout aussi silencieux qu'Artémis. Il fallait qu'il réfléchisse attentivement à ce qu'il allait dire et qu'il pèse chaque mot, car il doutait d'avoir une seconde chance de se rattraper s'il n'était pas convainquant. Il s'attendait à moitié à ce qu'elle refuse de lui parler une première fois, vu son attitude catégorique des derniers mois, alors Théo devait faire attention à ne pas rater cette opportunité. Quand ils furent arrivés sur le bord du lac, non loin du lieu de leur première dispute, Artémis s'arrêta et le questionna avec brusquerie, en une attitude bornée qui refroidit quelque peu le maigre optimisme qu'il avait ressenti quand elle l'avait suivi.

"Je voudrais te présenter mes excuses", commença-t-il en croisant ses bras sur sa poitrine à son tour, mal à l'aise.

Bon. C'était un bon début, non ? Et ensuite ? Quelques secondes s'écoulèrent en silence, durant lesquelles Théo tenta de mobiliser son cerveau, si prompt à le torturer d'ordinaire. Mais, pour une fois qu'il avait vraiment, réellement besoin de lui, son cerveau était aux abonnés absents. Qu'avait-il prévu de dire, déjà, pendant ces longs moments où il s'imaginait présenter ses excuses ? Il voyait sa soeur face à lui, les bras croisés, colérique, et tout ce qu'il ressentait, c'était de la tristesse et de la lassitude. La vérité, c'est que Théo ne connaissait pas cette jeune fille qui se trouvait devant lui, et qu'il le regrettait. Elle était sa soeur, après tout.

"Je veux m'excuser pour ce que ce qui s'est passé avec Cécilya, pour ce que j'ai dis la dernière fois... Ça fait longtemps que j'essaie de venir te parler, mais je ne savais pas comment m'y prendre, et je ne le sais toujours pas, d'ailleurs. Ecoute, je sais que c'était idiot, les fleurs, le cadeau de Noël, comme si cela pouvait suffire à régler nos problèmes..."

Un soupir de frustration s'échappa de ses lèvres, tandis qu'il se maudissait d'être aussi maladroit. A défaut d'être éloquent, il pouvait essayer d'être sincère, ce serait déjà pas mal. Se sentant bloqué par le regard peu amène de sa cadette, Théo se détourna quelque peu pour faire face au lac, dont la vue l'avait toujours apaisé. Il commença à parler en s'attaquant à la racine du problème, son ancienne amie de Serpentard, sans vérifier si Artémis restait pour l'écouter. Il fallait que ça sorte, de toute façon, même si c'était douloureux... surtout pour son ego.

"Tu avais raison, pour Cécilya. Je l'ai idéalisé trop longtemps, je la voyais comme j'avais envie de la voir. J'ai fermé les yeux sur son comportement, sur cette façon qu'elle a d'écraser ceux qui l'entourent, sur son égoïsme. Tu sais, c'était dur, de lui tourner le dos, de l'entendre me mépriser comme si je n'étais rien, comme si je n'avais jamais été important pour elle. En fait au fond je crois que c'était surtout dur parce que j'ai réalisé que j'étais comme elle. Ce jour où je me suis disputé avec elle... C'était comme de me voir dans un miroir. Et..."

Sa voix se brisa un peu, mais il se força à continuer, le regard obstinément fixé sur les eaux sombres du lac.

"Je n'ai pas aimé ce que j'ai vu. Quelqu'un d'indifférent et d'égoïste."

Sa mâchoire se contracta à ces mots et il baissa le regard, sentant une honte mêlée de culpabilité l'envahir. C'était dit, et c'était une preuve s'il en fallait une que Théo était parvenu au bout de sa patience concernant cette dispute. Jamais il n'aurait avoué une chose pareille autrement, pas à lui-même et encore moins à quelqu'un d'autre. Il avait pris l'habitude de se sentir si supérieur aux autres, d'abord parce qu'on le lui avait dit, puis pour se protéger, et enfin par la force de l'habitude, que c'était réellement douloureux de se dénigrer ainsi. Mais, quelque part, c'était aussi libérateur, car c'était seulement en reconnaissant ses vieux travers qu'il allait pouvoir espérer s'en débarrasser. Et puis, c'était un bon entraînement que de ravaler ainsi sa fierté, étant donné ce qui l'attendait. Néanmoins, il ne fallait pas trop en demander à un Théo Nott, voilà pourquoi le jeune homme ressentit le besoin irrépressible de se justifier. Se tournant à nouveau vers Artémis, il posa sur elle un regard pressant et reprit :

"La différence, cela dit, c'est que je ne fais pas ça pour être méchant, tu sais, c'est...je ne m'en rendais pas compte, en fait. J'ai pris l'habitude d'être seul avec moi-même et j'ai du mal à prêter attention à ceux qui m'entourent, à m'ouvrir aux autres, et encore plus à leur dire que je tiens à eux. Pas seulement avec toi, d'ailleurs. Quant à Cécilya...je ne sais pas si c'est un mécanisme de défense, ou de la pure méchanceté. Honnêtement, je crois que je préfère ne pas le savoir."

Sentant une vague de tristesse s'envahir à la pensée de ce monumental gâchis qu'était devenue sa relation avec Cécilya, Théo s'empressa de clore le sujet.

"Bref, on ne se parle plus, elle et moi. Et nous deux... Je voudrais qu'on se réconcilie. Tu me manques, Artémis. Tu sais pendant toutes ces années j'ai pensé que tu avais besoin de moi. Je pensais plus à te protéger, du monde, de ce qu'on pouvait dire sur notre père et notre famille, qu'à essayer de réellement connaître la personne que tu devenais et... Je me rends compte aujourd'hui que c'est moi, en réalité, qui ait besoin de toi. J'ai besoin de ma petite soeur."

Voilà, il avait abattu sa dernière carte, fourni son plus gros effort. Il n'avait plus qu'à espérer que cela suffise pour tirer Artémis de son attitude obstinée, car il doutait de pouvoir faire mieux... Embarrassé par ses dernières paroles, Théo haussa les épaules et se retrancha dans le silence.

"Je voudrais te présenter mes excuses"

Artémis haussa un sourcil étonné à ces paroles. Théo Nott voulait s'excuser? Eh bien, c'était une première. Légèrement radoucie par cette entrée en matière, Artémis baissa les épaules, se décrispant, mais ne changea pas d'expression tant qu'il n'en avait pas dit plus. Elle ne savait pas encore ce pour quoi il pensait s'excuser, et il n'avait peut-être toujours rien compris, après tout. Il s'écoula un moment avant que Théo ne reprenne la parole.

Il lui expliqua que cela faisait longtemps qu'il essayait de venir lui parler, et qu'il se sentait idiot de lui avoir envoyé des fleurs. A ces mots, Artémis ouvrit de grands yeux, hésitant à comprendre ce que ces quelques mots signifiaient. Théo lui avait offert des fleurs? Mais, elle n'avait reçu qu'un seul bouquet... Réalisant ce que cela impliquait, la jeune fille aurait éclaté de rire, à la fois soulagée et déçue que Danny ne soit pas derrière tout ça. Elle avait raison lorsqu'elle mentait à Jane en disant que son camarade n'en était pas arrivé à ce stade de la galanterie. Mais maintenant qu'elle en avait la certitude, elle avait beaucoup moins envie de s'en vanter. Enfin, elle verrait cela en temps utile.

Pour l'instant, il y avait plus important, car Théo parlait, parlait, parlait plus qu'il ne lui avait jamais parlé. Le jeune homme semblait véritablement mal. Il ne la regardait pas, préférant fixer le lac. Elle remarqua que son attitude était plus empruntée qu'hautaine, plus gênée que distante. Il soupira, signe de son malaise, et hésita encore avant de reprendre la parole. Dire qu'Artémis était surprise du comportement de son frère était un euphémisme. A ses yeux, Théo avait toujours été quelqu'un de sûr de lui, presqu'imbûs de lui-même, un tantinet associal et égoïste, qui se fichait de ce que pensaient les autres. Pas une fois il n'avait semblé souffrir du jugement qu'on portait sur leur famille, se contentant de dédaigner les moqueurs dans un silence de glace, qu'elle aurait aimé pouvoir reproduire.

Théo continua à lui parler de Cécylia. Il lui avoua son aveuglement et la dure réalité, il lui expliqua qu'il ne lui parlait plus. Et si Artémis était consciente de tout cela, la douleur de son frère à la perte de son amie l'étonna. Elle n'avait jamais réalisé à quel point Théo tenait à la Serpentard, persuadée que malgré la préférence qu'il affichait, il n'y accordait pas vraiment d'importance, trop bien du haut de sa tour d'ivoire. Mais la détresse de Théo ne toucha pas vraiment sa soeur, cependant, car elle n'éprouvait pas de remords. Théo avait créé cette situation, et elle ne lui dirait pas "amen" pour qu'il se réconcilie avec cette petite peste. Elle ne la voulait plus dans sa vie. Elle n'irait cependant pas lui lancer des piques qui accentueraient sa douleur.

"En fait au fond je crois que c'était surtout dur parce que j'ai réalisé que j'étais comme elle. Ce jour où je me suis disputé avec elle... C'était comme de me voir dans un miroir. Et... Je n'ai pas aimé ce que j'ai vu. Quelqu'un d'indifférent et d'égoïste."

Plus Théo parlait, plus Artémis s'apercevait à quel point son frère lui semblait misérable. Envolée, la façade de froideur qui l'avait abusée pendant des années. Il ressemblait maintenant à un petit garçon qui ne savait plus quoi faire, tant dans ses mots que dans son attitude et elle en fut déstabilisée. Toute trace de colère quitta le visage de la jeune fille pour faire place à une incompréhension, à une perplexité qu'elle ne parvenait pas à dissimuler. Elle décroisa les bras, amorçant imperceptiblement un geste en direction de son frère, mais se retint finalement, et resta les bras ballants.

Sa première réaction fut l'orgueil. Elle se sentait forte face à la faiblesse qu'il montrait, face à ces aveux douloureux. Car pendant longtemps, cette attitude avait été la sienne, et alors qu'elle réussissait à s'en sortir, son frère semblait au contraire s'enfoncer. Elle avait été forte. Mieux, elle avait été plus forte que lui. Elle avait pris une résolution, qu'elle ne trouvait pas si terrible, rétrospectivement, mais son entêtement avait été suffisant pour faire craquer le roi du Nord qui lui servait de frère et l'amener à lui confesser ses doutes comme si elle était l'aînée. Elle avait réussi, elle avait vaincu, en quelque sorte. C'était un nouveau combat de gagné pour Artémis. Forte de cette réalisation, elle s'autorisa inconsciemment à laisser sa sensibilité revenir.

Et s'étonna du jugement particulièrement dur que son frère portait sur lui-même. Comment en était-il arriver à ce point alors qu'elle lui avait seulement reproché d'être absent, distant? Comment pouvait-il se comparer à Cécilya? Aux yeux de sa cadette, les deux n'avaient rien en commun sinon la pureté du sang. Et si elle admettait volontiers que indifférent et égoïste étaient des qualificatifs appropriés pour Théo, la façon dont chacun d'eux l'exprimait était bien différente. D'ailleurs, trouvant enfin le courage de la regarder, Théo exprima tout haut ce qu'elle pensait, sans toutefois sembler s'apercevoir de la portée de ses paroles.

"La différence, cela dit, c'est que je ne fais pas ça pour être méchant, tu sais, c'est...je ne m'en rendais pas compte, en fait. J'ai pris l'habitude d'être seul avec moi-même et j'ai du mal à prêter attention à ceux qui m'entourent, à m'ouvrir aux autres, et encore plus à leur dire que je tiens à eux. Pas seulement avec toi, d'ailleurs."

Et enfin, les mots qu'Artémis avaient tant attendu qu'il prononce arrivèrent.

"Bref, on ne se parle plus, elle et moi. Et nous deux... Je voudrais qu'on se réconcilie. Tu me manques, Artémis. Tu sais pendant toutes ces années j'ai pensé que tu avais besoin de moi. Je pensais plus à te protéger, du monde, de ce qu'on pouvait dire sur notre père et notre famille, qu'à essayer de réellement connaître la personne que tu devenais et... Je me rends compte aujourd'hui que c'est moi, en réalité, qui ait besoin de toi. J'ai besoin de ma petite soeur."

Si elle avait été d'une nature spontanée - et bénéficié d'une autre éducation - Artémis se serait jetée dans ses bras. Il y avait d'autres si qui expliquèrent qu'elle ne le fasse pas. Si elle ne devenait pas froide et plus rancunière de jour en jour. Si elle avait su comment réagir.

Parce qu'elle ne savait pas. Toute à sa colère contre son frère, elle avait vu Cécylia comme le coeur du problème et non comme sa cristallisation. Pourtant, les paroles de Théo prouvaient bien que même sans Cécylia, ils auraient pu en arriver là. Elle ne s'était pas interrogée, préférant reléguer ses sentiments au placard, ne sachant même pas ce qu'elle voulait qu'il lui dise. Elle n'avait jamais pensé qu'il pourrait lui dire. Elle avait toujours eu cet espoir sans jamais y croire, ne voyant pas comment leur relation pourrait changer. Et maintenant qu'il lui avouait avoir besoin d'elle, qu'il reconnaissait ses torts, elle ne savait ni quoi penser, ni quoi ressentir. Un poids sembla s'ôter de sa poitrine, et elle ressentait de la gratitude envers lui, parce qu'elle avait enfin entendu ce dont elle avait besoin.

Mais il était un peu tard pour cela, d'une certaine manière. Son entraînement à la magie noire la rendait plus froide, plus égoïste et plus distante de jour en jour. Il lui montait à la tête, lui donnant une force insoupçonnée et l'éloignant des autres. Petit à petit, elle perdait le sens de la réalité, des liens et de la vie sociale. Elle avait encore du chemin à faire, avant de devenir irrécupérable, et l'ancienne Artémis n'était pas morte et enterrée, loin de là. Les paroles de son frère la faisaient ressortir, et créaient dans sa tête un étrange malaise, une dualité d'envies qu'elle ne savait comment interpréter.

Elle resta silencieuse et froide un moment après que Théo eu terminé de parler. Il n'y avait pas vraiment d'émotion sur son visage, à peine de fugaces sentiments contradictoires qui passaient rapidement, sans s'attarder, tandis qu'elle fixait son frère, incertaine. Finalement, un sourire timide, puis plus éclatant envahit ses lèvres. Car les deux Artémis étaient heureuses. L'enfant qui lentement disparaissait parce qu'elle retrouvait son grand frère, qu'elle comprenait que, d'une certaine manière qu'elle avait été incapable de comprendre, il avait toujours été là pour elle. Et la femme en devenir, parce qu'on lui donnait enfin une raison et une force.

"Woah, je... je ne sais pas quoi dire. Je n'en attendais pas tant mais... mais ça fait plaisir, d'entendre tout ça."

Bon, c'était un bon début. Elle continua d'une voix moins hésitante.

"Je ne pensais pas t'avoir autant touché, je ne pensais pas que moi, j'en étais capable. Je croyais juste que je n'étais pas importante pour toi. Pour personne en fait. Et puis, un jour, on se rend compte du contraire."

Elle ne parlait pas seulement pour Théo. Elle pensait à Nora et à Jane, à Samaël, et même à Irving qu'elle croisait toujours, horriblement gênée au souvenir du nouvel an. Elle n'était pas l'amie de tous, mais elle existait.

"Je ne savais pas ce que tu faisais pour moi. Je ne pouvais pas savoir. Je suis contente de l'apprendre. Et si je dois te pardonner, je le fais de bon coeur, parce que je crois que tu as compris ce que je voulais..." Ce qu'elle voulait avait beaucoup changé ces derniers mois. Auparavant, elle avait besoin de sa reconnaissance, mais la situation c'était inversée. Aujourd'hui, elle demandait... "Juste mon frère." Qu'il soit grand ou petit, peut importait. La famille, c'était important. Et s'ils ne devaient avoir rien d'autre en commun, ils auraient au moins cela.

Ravie que ce soit à elle d'avoir les clés en main, de donner son absolution, elle continua.

"Je ne sais pas ce qui t'as fait croire que tu ressemblais à Cécylia. Si c'était le cas, je n'aurai pas subit toutes ces années de moqueries juste pour toi."

Parce qu'elle avait été faible, oui, mais certainement pas masochiste. Elle avait développé d'excellents réflexes de survie lorsqu'il s'agissait d'éviter ceux qui pouvaient la blesser.

"Si on doit recommencer, je crois qu'il faudrait... parler plus."

Elle n'était pas très cohérente, mais Théo lui en avait beaucoup dit d'un coup et elle avait du mal à digérer toutes les informations.

Théo bascula d'un pied sur l'autre, empli d'une impatience grandissante, tandis que sa soeur restait silencieuse. Il n'était pas habitué à ce qu'elle lui oppose un tel visage froid et inexpressif. D'ordinaire, c'était lui qui agissait de la sorte, et il pouvait voir désormais à quel point cela pouvait être déstabilisant. Il aurait donné beaucoup pour savoir ce qui se tramait dans son esprit, à cet instant. Heureusement, un sourire finit par éclairer le visage de sa soeur, sourire auquel Théo répondit automatiquement, soulagé. Le dialogue était rétabli, enfin, et il avait visiblement fini par trouver les mots pour atteindre l'adolescente. A son tour, Théo garda le silence pendant qu'Artémis lui répondait, méditant ses paroles. Elle n'en attendait pas tant, eh bien c'était compréhensible, lui-même n'en attendait pas tant de lui-même. Il se trouvait bien différent du jeune homme sur de lui qui s'était tenu là, quelques mois plus tôt. Théo ne savait pas exactement qui il était devenu, mais il ne pouvait nier avoir changé.

Il n'était pas le seul, d'ailleurs, réalisa-t-il face au comportement de sa soeur. Théo ne s'attendait pas à ce qu'elle lui réponde sur ce ton posé, réfléchi. Artémis aurait-elle gagné en maturité ? C'était possible, mais extrêmement surprenant étant donné son comportement des derniers mois. Le toiser avec froideur, refuser de lui parler n'avait rien d'adulte, et il s'attendait à des cris, à une dispute, pas à...ça. S'il était très heureux que cette histoire soit sur le point d'être mise derrière eux, Théo n'en était pas moins intrigué, et un peu attristé par cette impression grandissante de se trouver devant une étrangère. Où était sa petite soeur vulnérable et timide ? Elle avait grandi loin de lui, et c'était bien pour elle. C'était ce qu'il avait toujours voulu, qu'Artémis gagne en confiance et sache s'opposer à ceux qui pourraient lui chercher des noises. Mais cela n'avait pas que des avantages, car il avait l'impression que le fossé entre elle et lui était toujours aussi présent. A la fois soulagé et légèrement déconcerté, Théo réprima l'étrange impulsion qui le poussait à prendre sa petite soeur dans ses bras pour la serrer contre lui. Cela ne se faisait pas, ce type d'effusions en public, ils avaient été éduqués autrement... Un léger sourire ironique apparut sur ses lèvres à cette pensée. Pourquoi diable s'embarrassait-il encore avec ce genre de conventions ? Il avait commis bien plus grosse infraction au code de conduite des parfaits sang-pur, ces derniers temps.

"Si on doit recommencer, je crois qu'il faudrait... parler plus."

"Parler plus...", répéta Théo en secouant la tête avec amusement. "Oui, je crois que cela s'impose. Il y a eu trop d'incompréhensions entre nous, et puis...Je risque d'en avoir bien besoin, de toute façon."

Théo balaya ces paroles énigmatiques d'un haussement d'épaules et fit mine de s'intéresser à un oiseau qui volait à la surface du lac, le temps d'ordonner ses pensées. Il ne savait pas vraiment s'il était prêt à évoquer le sujet avec sa soeur. Théo savait qu'il en avait besoin, mais il préférait pour l'instant se concentrer sur Artémis, et oublier tout le reste. C'était en réordonnant peu à peu sa vie qu'il parviendrait à s'en sortir, pas en gérant tous les problèmes à la fois, sinon il allait encore tout mélanger et s'effondrer sous ses propres pensées. Pas étonnant qu'Artémis soit surprise par ses confessions, quand il n'arrivait pas à faire le tri...

Reportant son attention sur Artémis, Théo tendit la main vers son visage et cala une mèche de cheveux derrière son oreille en un geste affectueux.

"Parlons, alors. Dis moi ce qui s'est passé dans ta vie, ces derniers temps. Qu'est-ce que j'ai manqué ?"

Artémis leva un sourcil lorsque Théo lui confia qu'il risquait d'avoir besoin de parler. Ah bon? Parler de quoi? Depuis quand Théo Nott parlait? Elle se gifla mentalement. Les vieux réflexes reprenaient vite le dessus, décidément. Théo venait de lui montrer qu'il était capable de prendre sur lui-même pour elle, de faire un effort, elle devait prendre cela en compte. Il lui avait fait part de doutes dont elle n'aurait jamais soupçonné l'existence, et cela expliquait tout simplement son besoin, non? Après tout, il lui avait dit qu'il avait besoin d'elle. Elle eu un mouvement de recul lorsqu'il tendit la main vers elle pour remettre une mèche de cheveux en place, mais se laissa faire une fois la surprise passée. Théo était vraiment bizarre, il n'avait jamais eu de geste d'affection de la sorte avant. Elle n'y était pas habituée, absolument pas. Elle accepta néanmoins la caresse, ressentant un sentiment qu'elle avait enfoui ces derniers temps et qu'elle ne su identifier.

Il lui demanda de ses nouvelles et elle ne répondit pas tout de suite.

"Marchons, veux-tu?"

Que pouvait-elle bien lui dire? Elle ne pouvait révéler les cours qu'elle prenait avec Ulrich. Théo était un ami du Préfet-en-Chef et ignorait tout de sa véritable nature. Il y avait fort à parier qu'il prendrait ce secret comme une trahison. Et de toute façon, Artémis n'avait pas envie d'en parler. D'abord parce qu'elle craignait trop les représailles d'Ulrich si elle osait révéler son secret, et ensuite parce qu'elle aimait, elle aussi, avoir des activités inconnues et clandestines. Cela la faisait grandir, lui donnait l'impression d'avoir un but, une raison d'être.

Mais que pouvait-elle bien dire à Théo alors? Car, si l'on oubliait ce détail majeur, il ne s'était pas passé grand-chose dans sa vie. Elle ne pouvait pas lui parler de l'épisode du bouquet de fleurs, parce que Théo n'apprécierait pas qu'un garçon lui tourne autour - et encore moins Danny Sneals. En fait, elle ne pouvait pas parler de grand-chose avec son grand-frère, quand bien même ils ne se seraient pas disputés! Artémis les dirigea vers un arbre dont la grosse racine faisait un banc parfait et s'assit dessus, se décidant enfin à parler.

"Oh, tu n'as pas manqué grand-chose, tu sais, la vie à Poudlard n'est pas vraiment trépidante. Il y a beaucoup de travail avec les BUSEs qui approchent, mais j'ai fait pas mal de progrès en Quidditch. Samaël est vraiment sympa, travailler en duo avec lui c'est génial."

Voilà qui devrait suffire pour le moment. Toujours curieuse de savoir pourquoi Théo avait besoin de lui parler, et désireuse d'éloigner la conversation de sa propre personne, Artémis lui retourna alors la question:

"Et toi alors? De quoi as-tu besoin de parler?"

Théo accepta d'un hochement de tête la proposition d'Artémis et se mit en marche à ses côtés, pas mécontent de détendre ses jambes. La vie à Poudlard, pour ceux qui ne pratiquaient pas le Quidditch, n'était guère sportive, à part lorsqu'il fallait monter au sommet de la tour d'astronomie, et Théo était devenu avec le temps un grand adepte des marches longues et solitaires. Marcher en compagnie de sa soeur n'était pas désagréable non plus, après tout ce temps passé à s'ignorer. Il attendit patiemment qu'elle se décide à lui répondre, et comprit à ses mots qu'elle avait du faire le tri. Cours et Quidditch, deux sujets plutôt neutres dont elle pouvait lui parler comme elle pourrait parler à n'importe qui. Pourquoi en aurait-il été autrement, après tout ? Théo et Artémis ne parlaient pas de leurs soucis et préoccupations personnelles, de leurs amitiés ou de leurs sentiments, il en avait toujours été ainsi. C'était lui qui avait instauré cette distance entre eux, d'ailleurs, mais aujourd'hui il souhaitait la rompre. Car ce qu'il avait à partager était bien plus personnel que les examens qui approchaient.

Un petit sourire crispé s'étira sur ses lèvres tandis qu'Artémis vantait les mérites de Samaël. Il aurait préféré qu'ils ne se connaissent pas, sa soeur et son petit-ami. Cela aurait rendu les choses plus simples s'il s'agissait d'un inconnu, de quelqu'un qui n'était même pas à Poudlard, sur lequel Artémis n'aurait pas pu mettre de nom. Théo s'apprêtait à lui répondre sur le Quidditch, quand elle lui retourna la question. Le jeune homme se maudit intérieurement d'avoir laissé échapper qu'il avait besoin de parler, Artémis n'ayant pas manqué de le relever. Théo jeta un rapide regard à sa soeur avant de reporter son attention sur les rives du lac, gardant le silence. Devait-il le lui dire ?

D'un côté, ils venaient tout juste de se réconcilier et il ne se sentait clairement pas assez proche d'elle pour lui confier une chose pareille. Il n'avait pas la moindre idée de la façon dont elle allait réagir. C'était une chose d'accepter que son coéquipier au Quidditch soit gay, s'en était une autre d'admettre la même chose de la part de son frère. Une telle confidence pouvait tout gâcher entre eux, et il y avait aussi l'infime possibilité - infime, mais pas inexistante - qu'Artémis en parle à leurs parents. Alors... Théo ne préférait pas y penser, tellement cette perspective le glaçait d'effroi. S'ils devaient l'apprendre un jour, ce serait de sa bouche, et de la manière dont il l'avait décidé. D'un autre côté, Artémis était bien placée pour savoir comment leur famille risquait de réagir et donc, pour le conseiller. Et puis il avait besoin d'en parler avec quelqu'un d'autre que Samaël, il le sentait. C'était un secret beaucoup trop lourd à porter pour lui, et il avait besoin qu'une personne au moins connaisse la vérité.

Ces dernières considérations finirent par l'emporter, et Théo finit par briser le silence :

"J'ai... un problème. Ou un secret, plus exactement. Est-ce que je peux te faire confiance, Artémis ?"

Tournant la tête vers elle, il chercha à capter son regard comme pour jauger sa fiabilité et lui faire comprendre que c'était sérieux. Comme elle acquiesçait, Théo resta silencieux quelques instants, les mots se bousculant dans sa tête. Comment lui expliquer, alors que lui-même avait encore du mal à comprendre comment il en était arrivé là ? C'était justement pour y voir plus clair qu'il avait besoin d'en parler, aussi Théo finit-il par arrêter de réfléchir et par se jeter à l'eau.

"J'ai rencontré quelqu'un. Quelqu'un que les parents, et...que beaucoup de personnes, en fait, n'approuveront pas. Cela ne fait pas très longtemps, j'étais avec Olivia Fowler avant mais notre couple ne fonctionnait pas, et la raison pour laquelle ça ne fonctionnait pas, eh bien c'était justement cette autre personne... J'ai tenté de me voiler la face, j'ai tenté d'oublier, mais je n'y arrive pas. Et...il se trouve que c'est réciproque, alors..."

Il poussa un long soupir de frustration, tant agacé par la situation que par sa façon de tourner autour du pot. Artémis ne comprendrait pas l'horreur de la situation s'il n'était pas plus spécifique. Ce n'était pas comme s'il sortait simplement avec une moldue ou une cracmol, non, ça il serait encore capable de l'assumer. Là, c'était un crime bien plus grand aux yeux de la haute société sorcière. Fermant les yeux brièvement, Théo inspira lentement pour se calmer et posa sur Artémis un regard presque timide.

"Cette personne c'est..."

A nouveau, Théo s'interrompit et crut que son coeur allait s'arrêter de battre tellement il appréhendait. Ce fut donc un désir de mettre fin à son propre supplice qui le poussa à souffler le nom, non sans avoir vérifié auparavant que personne d'autre ne soit en mesure de l'entendre :

"Samaël."

Sentant ses joues s'empourprer, Théo s'efforça de garder le regard fixé sur sa soeur. Quelle que soit l'expression qui passerait sur son visage... il voulait la voir.

Après moultes hésitations et crispations, Théo fini par confesser à Artémis qu'il avait un secret. Elle l'avait bien compris et était plus qu'intriguée par le malaise de son frère. Qu'est-ce qui pouvait bien mettre le grand Théo Nott dans cet état? Il lui demanda s'il pouvait lui faire confiance, ce qui la vexait. Ce n'était pas elle, qui avait boudé sa famille pendant des années par orgueil, qui avait été incapable de donner le peu d'attention qu'on lui réclamait. La jeune fille pris donc un air pincé pour répondre vertement:

"Bien sûr, je ne m'appelle pas Twilfit, que je sache."

Toujours aussi laborieusement, son frère lui expliqua qu'il avait rencontré quelqu'un que "beaucoup de personnes" n'approuveraient pas, à commencer par leurs parents. Artémis songea qu'il avait dû s'amouracher d'une née-moldue quelconque et ne comprenait pas qu'il en fasse tout un plat auprès d'elle. Certes, leur père ferait une attaque s'il l'apprenait, mais il n'y avait aucune raison de le lui dire vu qu'il était à Azkaban. Leur mère serait déçue, râlerait peut-être un peu mais elle finirait par accepter le choix de son fils. Quant à Artémis elle-même, elle avait clairement marqué qu'elle se fichait du statut du sang, lui semblait-il. Comme Théo abordait le sujet Olivia Fowler, Artémis en conclu que s'ils avaient récemment rompus - elle n'était pas Swann Twilfit, mais cela n'empêchait pas de laisser traîner ses oreilles - c'était parce qu'il l'avait trompée avec la fameuse née-moldue. Cela expliquerait la gêne de Théo, qui était sûrement mortifié d'avoir commis un acte aussi peu noble. Quoique, non, ça ne cadrait pas avec le personnage.

Artémis commençait à s'impatienter, ne comprenant pas pourquoi Théo regardait précautionneusement de tous les côtés avant de, lentement, très lentement, trop lentement, avouer le nom de sa petite amie.

"Samaël."

Ah non, de son petit ami, en fait. Artémis ouvrit grand la bouche et les yeux, trop étonnée de l'annonce pour réagir, et se contenta de fixer son frère sans rien dire tandis qu'elle assimilait l'information. Samaël et Théo? Théo et Samaël? Mais, c'était quoi ce délire?

"Mais euh... je... tu... enfin..."

Un million de pensées tourbillonnaient dans sa tête sans quelle sache laquelle saisir, par quoi commencer. Elle aurait préféré être ivre, comme au nouvel an, la pilule serait passée plus facilement et elle aurait trouvé quelque chose de drôle ou de déplacer à dire, comme avec Samaël. Mais elle n'était pas drôle au naturel. Merlin, tant de choses lui venaient à l'esprit qu'elle ne savait pas par quoi commencer.

Déjà, Théo sortant avec Samaël, ça voulait dire que Théo était homosexuel. En soi, ça n'aurait pas du la déranger, puisqu'elle s'entendait très bien avec Samaël et n'avait aucun problème, on faisait ce qu'on voulait de son corps, après tout. Mais Théo Nott, gay? Ca sonnait horriblement faux. De plus, Artémis ne savait toujours pas pourquoi elle arrivait à fréquenter Samaël sans problème, parce que lorsqu'elle se mettait à y penser, elle n'était pas à l'aise avec l'homosexualité. Elle avait eu une éducation assez guindée, où on ne faisait déjà pas ce qu'on voulait de son corps lorsqu'on était hétéro, et l'homosexualitée n'avait jamais été abordée. Lorsqu'elle avait découvert cet étrange phénomène, il avait fallu un moment à Artémis pour conclure qu'en toute logique, qu'un garçon soit gay, elle s'en fichait. Les filles, c'était une autre histoire, parce qu'elle n'était déjà pas à l'aise lorsqu'un garçon lui faisait des avances (pas que ça n'arrive souvent), mais une fille... Enfin, en l'occurrence, Théo était un garçon ET son frère, donc la question ne se posait pas. Mais quand même.... La logique ne faisait pas tout. Il y avait toujours ce sentiment de gêne qui l'habitait, celle de trahir son éducation, ou de ne pas comprendre. Et pire, elle était gênée d'être gênée. A ce rythme là, elle n'allait pas s'en sortir.
Cependant, Artémis avait bien compris que Théo se confiait à elle par besoin et, fière de cette confiance, décida de l'honorer et se fit donc violence pour considérer ça sous un jour positif. Théo avait besoin d'elle, elle allait être utile, celle qui était forte, et elle ne faillirait pas. De toute façon, elle n'allait pas faire la tête à son frère parce qu'il sortait avec Samaël plutôt qu'avec Cécilya, n'est-ce pas?

Ensuite, Théo sortant avec Samaël, ça voulait dire que Samaël avait menti en disant que Théo n'était pas son genre. Artémis trouvait ça scandaleux, mais ce n'était pas la faute de Théo. Il faudrait qu'elle ait une petite conversation avec son futur beau-frère. Car oui, elle comptait bien les marier ces deux là. Après tout, Théo ne serait pas passé par dessus tous ses chers principes si Samaël n'était qu'une amourette sans importance, n'est-ce pas? Imaginer Théo amoureux lui fit bizarre, d'autant plus qu'il partageait le même dortoir que Sa... Non non, elle n'allait pas penser à ça. Surtout pas.

Enfin, Théo sortant avec Samaël, ça signifiait surtout qu'il allait avoir quelques problèmes avec leurs parents, se dit Artémis pour se focaliser sur des images moins traumatisantes. Ils auraient peut-être pu accepter une née-moldue, mais un homme? A moins que Samaël soit de Sang-Pur... et il ne lui semblait pas que ça soit le cas, il n'y avait aucune chance.

Une fois toutes ces pensées rassemblées, Artémis réalisa que Théo attendait peut-être une réaction un peu plus élaborée que celle du poisson rouge. Mais par où commencer? Elle ne savait toujours pas. Voyons, il avait l'air d'un condamné au baiser du détraqueur, il fallait peut-être détendre la situation. Il voulait peut-être savoir ce qu'elle pensait...

"Tu vas te faire tuer!" s'exclama-t-elle vivement.

Bon, certes elle le pensait, mais on avait vu mieux comme moyen de relâchement.

"Euh, désolée. Je veux dire, je suis euh... surprise. Parce que bon euh... Samaël est un garçon et je croyais pas que tu... bref. Et il m'avait dit que tu ne lui plaisais pas!"

Elle n'avait pu s'empêcher de prendre un ton outré, devenant aussi superficielle que n'importe quelle fille de son âge devant un détail ridicule. Puis elle réalisa que ce mensonge était sans doute la dernière préoccupation de son grand frère, et chercha quelque chose de plus constructif à dire.

"Enfin bref euh... je suis contente pour toi, vraiment. Il faudra que je me fasse à l'idée mais bon, c'est Samaël, ça devrait être facile. Par contre... tu comptes le dire quand à Maman? Non parce que Papa n'a pas besoin de le savoir, sinon l'un d'entre vous meure. Lui d'une crise cardiaque, et toi d'un infanticide..."

Ca n'était pas très positif mais c'était la triste vérité.

L'expression de surprise totale sur le visage d'Artémis aurait pu être comique si ce n'était pas lui, Théo, qui provoquait un tel ébahissement. A en juger par ses yeux ronds et par les quelques mots désordonnées qui franchirent sa bouche, sa petite soeur ne l'avait absolument pas vu venir, ce qui montrait que Théo avait échoué à préparer le terrain. Sentant le sang lui monter au visage, Théo détourna le regard, se sentant envahi par l'amertume. Qu'avait-il espéré, qu'Artémis sauterait de joie ? Mais pourquoi ça lui était arrivé à lui, d'ailleurs ? Pourquoi n'aurait-il pas pu continuer à chercher une gentille épouse sang-pur, tranquillement dans son coin ? Il n'avait même pas espéré le grand amour, il voulait juste une vie digne et confortable, dans laquelle il ferait son petit bonhomme de chemin sans faire de vague. Il n'avait jamais aspiré qu'à se comporter comme sa famille l'attendait, comme sa soeur l'attendait, et c'était tout le contraire qui se produisait... Théo resta immobile jusqu'à ce qu'Artémis se décide à lui répondre, chaque seconde de silence amplifiant son mal-être. Il était occupé à observer ses chaussures et à se demander quand, exactement, sa vie avait basculé lorsque la voix d'Artémis se fit enfin entendre, le faisant sursauter.

Comme électrocuté, il redressa la tête et posa un regard effaré sur la jeune fille. N'était-elle pas censée lui dire qu'il la dégoûtait, qu'elle ne voulait plus jamais avoir à faire à lui ? Ou bien, si ce n'était pas le cas et si elle était réellement aussi ouverte d'esprit que le laissait penser son comportement vis-à-vis de Samaël, ne devait-elle pas tenter de le rassurer ? Théo haussa les épaules avec impuissance, ne pouvant ni réfuter ses propos, ni proposer de solution. Oui, il allait se faire tuer, et le pire c'est qu'il n'avait pas la moindre idée de comment l'empêcher. Ce n'était pas comme s'il pouvait envisager la fuite, il tenait trop à son monde pour l'abandonner ! Non, il resterait là et affronterait la tempête, même si la tempête en question impliquait...hum, un infanticide. Théo posa un regard affolé sur sa soeur à ce dernier mot, silencieux à son tour. Théo se répétait depuis dix jours les possibles conséquences de son choix, ce n'était pas une découverte. Mais jusque là, il avait eu Samaël pour le rassurer et l'assurer de son soutien, tandis qu'Artémis ne faisait que confirmer ses plus grandes peurs. L'image de son père apprenant la nouvelle s'imprima dans son esprit, le visage déformé par la colère et la haine de son père, comme il l'avait vu une fois ou deux, dans son enfance...

"Je vais me noyer dans le lac, ça simplifiera les choses", lâcha-t-il d'une voix blanche.

Ce ne serait pas sans précédent, après tout, songea-t-il avec une pensée compatissante pour Sean Fitcher. Voilà à qui il pourrait peut-être parler, d'ailleurs... Théo reporta son attention sur Artémis, les paroles de la jeune fille tourbillonnant dans sa tête. Sa réaction n'avait rien de rassurant, certes, mais elle avait néanmoins dis quelque chose de très important. Elle avait dit qu'elle était contente pour lui, et ne s'était pas refermée, ne l'avait pas renié. C'était sans doute plus que ce qu'il obtiendrait de beaucoup d'autres personnes, y compris ses parents. Un petit sourire fraya son chemin sur son visage pâle, et il ajouta :

"Si tu es contente pour moi... Ça compte énormément pour moi. Merci. J'ai bien fais de te faire confiance et de t'en parler...Je ne savais pas quoi faire. Je ne sais toujours pas ! En parler aux parents ? Il faudrait être suicidaire, c'est sûr ! Mais je ne pourrai pas vivre caché éternellement, c'est impossible. Samaël ne le voudrait pas, et moi non plus d'ailleurs... Mais si Papa apprend ça..."

Il s'interrompit et grimaça avec éloquence, avant de reprendre :

"Je pourrais en parler à Maman d'abord, avant que ça se sache. Il faut qu'elle l'apprenne de moi. Mais...pas avant...plusieurs mois, années ? Je ne vois pas comment la préparer à ça. Honnêtement, je ne compte pas mettre quiconque au courant avant un bon moment, de toute façon. Ça ne fait pas longtemps que nous sommes ensemble, et je n'ai même pas bien compris ce qui m'arrive encore. Si ça te fais bizarre...imagine ce que je ressens."

Un petit rire gêné le secoua, alors qu'il réalisait à quel point c'était étrange d'évoquer un tel sujet avec sa petite soeur. Cela l'était déjà d'évoquer ses anciennes petites amies, mais là, c'était à peine s'il parvenait à soutenir son regard.

"Mais j'avais besoin d'en parler à quelqu'un qui puisse comprendre...hum...les possibles implications. Samaël n'est pas de notre monde, il ne comprend pas à quel point c'est quelque chose d'incompréhensible pour nos parents. Quand j'ai appris pour lui, cet hiver, je ne lui ai pas parlé pendant des semaines alors je sais pertinemment à quel point c'est un tabou chez les sang-purs. Du coup...eh bien, je n'ai pas la moindre idée de ce que je vais faire."

Théo laissa échapper un soupir d'impuissance, conscient que la solution ne viendrait probablement pas d'Artémis. C'était tout de même agréable de savoir que quelqu'un comprenait au moins partiellement l'impasse dans laquelle il se trouvait et serait capable, sinon de le conseiller, tout du moins de le soutenir. Le jeune homme se remémora alors d'autres propos d'Artémis qui l'avaient fait tiquer, et posa un regard mi-curieux, mi-suspicieux sur la jeune fille. Etant donné sa surprise à l'idée qu'il soit homosexuel, il ne s'était pas attendu à ce que Samaël et Artémis aient déjà évoqué le sujet...

"Au fait, qu'est-ce que tu voulais dire par "il m'avait dit que tu ne lui plaisais pas" ? Il a vraiment dit ça ? Mais parce que tu...vous...avez parlé de ça ensemble ?"

Théo souffrait, constata Artémis, qui décidément était de plus en plus surprise par son frère à mesure que leur conversation avançait. Elle réalisait qu'il n'avait pas juste besoin de parler, de se confier à quelqu'un pour s'ôter un poids de la poitrine, mais qu'il avait besoin de conseils. Pour la première fois de sa vie il n'arrivait pas à faire face seul à quelque chose, et il était si désappointé qu'il se tournait vers elle. Artémis, sa petite soeur, 15 ans, encore moins experte en relations sociales. C'était comme si le poids des responsabilités venait de changer d'épaules, et Artémis ne su pas quoi dire ni quoi faire. Théo attendait quelque chose d'elle, fait incongru, totalement nouveau et même inquiétant. Parce qu'elle avait 15 ans, qu'elle ne s'était jamais occupée de personne et qu'elle apprenait à peine à prendre soin d'elle-même. Alors comment aider un garçon de 18 ans qui peinait à s'assumer, sur un sujet auquel elle ne connaissait rien?

Elle resta silencieuse pendant que Théo parlait et parlait, pour dire simplement qu'il ne savait pas quoi faire. Il était véritablement torturé, et elle ne voyait vraiment pas quoi dire pour l'aider. Elle-même avait du mal à comprendre les possibles implications, ce qu'il pourrait sortir de tout ça. Elle n'imaginait pas sa mère renier son fils, mais le reste de la société le regarderait probablement comme un déchet. Il suffisait de voir les réactions lorsqu'Arthur Bones s'était enfui en Amérique. Enfui. Non, elle ne voulait pas qu'il arrive la même chose à Théo. Il devait bien y avoir une solution. En plus, c'était étrange, qu'il sorte avec Samaël alors qu'il avait eu des petites amies avant. Peut-être que c'était juste Samaël, et qu'en réalité, son frère était hétérosexuel? Artémis repoussa ses questions qui ne résoudraient pas le problème. Elle avait toujours imaginé n'avoir qu'un petit ami qu'elle épouserait plus tard, un gentil garçon bien comme il faut avec lequel la vie se passerait sans heurts. Théo avait été élevé avec ces mêmes idées, à peu de choses près. Et si Samaël s'avérait être celui avec lequel il voulait passer sa vie, qu'il soit hétéro ou non ne changerait rien au problème.

Perdue dans ses pensées, elle entendit à peine la dernière question de son frère. Artémis triturait l'ourlet de sa robe de sorcière, cherchant des paroles plus réconfortantes.

"Papa n'a pas besoin de le savoir." finit-elle par répondre au bout d'un long moment. "Là où il est, il ne peut pas faire grand-chose contre toi. Tu épouserais une Sang-Mêlée qu'il ne serait pas content, de toute façon, alors il ne faut pas te soucier de lui. Maman... Je ne sais pas. Mais... enfin, tu es son fils, elle nous aime beaucoup."

Même si les relations entre eux n'étaient pas des plus limpides. Non, Artémis ne savait pas comment sa mère réagirait. Elle voyait bien qu'elle avait fait beaucoup d'efforts et de sacrifices pour que ses enfants ne soient pas trop ostracisés, et elle était peut-être arrivé aux limites de sa tolérance. Ou pas. De toute façon, Théo avait raison, il ne fallait rien dire pour l'instant. Tant qu'il ne se sentirait pas prêt à assumer, rien de bon ne pourrait sortir de cette histoire.

"Je ne sais pas quoi te dire, Théo." Elle n'aimait pas en être réduite à dire ça alors que pour la première fois, on lui accordait de la confiance et un peu d'importance. "Enfin j'ai un peu entendu parler des gens dans ton cas ou qui ont des secrets et ils disent tous qu'il faut attendre d'être prêt... Alors ça ne sert à rien de te précipiter, ni de paniquer en attendant. Tu as dit toi-même que c'était récent. Essaye de euh... profiter et si vraiment ça te tient à coeur, tu y penseras plus tard?"

C'était une suggestion maladroite et inutile, car elle ne servait qu'à repousser le problème, mais elle n'avait pas grand-chose d'autre à dire. Quant à la fameuse question de Théo sur ses conversations avec Samaël... Délicat d'y répondre sans vexer l'un ou l'autre! Et Théo voudrait certainement savoir, et puis, ce serait un bon moyen de détendre l'atmosphère.

"Et non, on n'en a pas parlé avec Samaël. C'est juste que... j'étais là quand il a annoncé à tout le monde qu'il était... gay, et je ne savais pas quoi dire pour ne pas lui faire de peine, et comme vous êtes amis eh bien... Je lui ai demandé s'il voudrait bien t'épouser. Ou un truc comme ça. Pour rigoler." Merlin, que c'était embarassant, comme conversation! "Je ne sais pas comment je vais pouvoir le regarder en face sans ricaner, maintenant!"

Ne pas se soucier de son père ? Voilà une suggestion que Théo aurait balayé d'un revers de main, quelques temps auparavant. Toutes ces années, il n'avait jamais imaginé ce qu'il ferait s'il était amené à le décevoir, tellement il était persuadé de toujours être à la hauteur de ses attentes. Théo en tirait même une certaine fierté, du moins cela avait été le cas jusqu'à cette histoire. Il était le digne fils de son père, en ayant hérité tous les bons côtés en omettant tout de même l'allégeance aux mangemorts. Azkaban ou non, Théo avait toujours eu l'impression qu'il était proche de son père, qu'un lien particulier les unissait tous les deux. Mais était-ce réellement le cas ? Artémis avait raison, leur mère les aimait réellement, il en était conscient. Si l'un de ses deux parents était en mesure de tolérer la situation, à défaut de l'accepter, ce serait Aurora... Même si cela coûtait à Théo de l'admettre. Il écouta sa soeur parler en hochant la tête, méditant ses propos. Son père ne saurait rien tant qu'il pourrait empêcher la nouvelle de se répandre jusqu'à la prison, ainsi il aurait le temps de se préparer. Rien de ce que Théo pourrait faire ou dire ne préparerait son père à entendre le fait qu'il soit homosexuel. En revanche, Théo, lui, pourrait accepter l'idée d'instaurer une distance, peut-être permanente, entre son père et lui. Même s'il lui faudrait du temps.

Théo esquissa un sourire reconnaissant à l'égard de sa soeur, conscient que cette discussion devait être étrange et difficile pour elle. Elle n'avait pas plus de clefs que lui pour résoudre cette situation inextricable mais faisait des efforts pour tenter de l'aider, ce qui témoignait d'un véritable progrès dans leur relation. Ils avaient encore du chemin à parcourir, bien sûr, mais c'était beaucoup mieux que ce traitement du silence qu'elle lui réservait depuis plusieurs mois.

"Tu as raison. Merci", répondit-il simplement, le coeur un peu plus léger.

Artémis répondit alors à sa question précédente et Théo sentit le sang lui monter au visage. C'était vraiment très bizarre, pourquoi n'avait-il pas pu se trouver quelqu'un qui n'était pas déjà ami avec sa soeur ? Masquant son embarras par un éclat de rire, il répondit d'un ton amusé :

"Ricane donc ! Tu aurais du faire de la divination, tu lis l'avenir ! Enfin, pas pour le mariage, mais euh...tu vois ce que je veux dire."

Sur ces propos embrouillés, Théo décida qu'il était temps d'abréger cette conversation qui avait été bizarre pour eux deux, bien que nécessaire. Théo orienta la conversation sur un terrain moins glissant et ils reprirent le chemin du château tout en discutant de choses et d'autres, avant de se séparer. Théo rejoignit son dortoir le sourire aux lèvres, heureux d'avoir retrouvé sa petite soeur, et d'avoir réussi à révéler son secret pour la première fois...