Mean girls [Emma & Marlene]

Faire ses courses au grand supermarché de l’avenue Dalhiatus à Leopolgrad un soir de semaine à 18 heures 30 n’était pas la meilleure idée que Marlene ait pu avoir de sa vie. Il y avait énormément de monde à la sortie des bureaux. Les rayons étaient bondés, elle devait manoeuvrer entre les gens pour pouvoir atteindre les rayons qui l’intéressaient. Eliott était fatigué et n’arrêtait pas de bailler, installé dans la chaise du caddie. Il avait passé une longue journée lui aussi, à l’école puis à la garderie, comme elle était sortie en retard de sa garde. Il y avait eu un grave accident de translanage, impliquant onze membres d’une même famille, dont sept dans un état critique. Elle n’avait pas eu le coeur d’abandonner ses collègues à la mine et était restée le maximum avant que la garderie ne ferme. Eliott avait été un peu chamboulé d’attendre comme cela sans avoir été averti à l’avance et lui avait fait une crise au moment de mettre sa parka. Il avait fini par pleurer à chaudes larmes, déchargeant sa journée. Ils avaient fait un gros câlin sur le parking de l’école jusqu’à ce qu’il se sente un peu mieux et Marlene avait promis qu’ils mangeaient du poisson pané ce soir pour le consoler un peu.

Le frigo était complètement vide à la maison, en dehors de deux ou trois carottes et quelques yaourts à la vanille. Ils avaient pourtant fait de grosses courses le week-end dernier mais des fois, la nourriture semblait disparaître comme par magie. James était de garde à Poudlard pour la nuit donc Eliott et elle étaient donc en tête-à-tête. Elle n’avait pas l’intention d’acheter trop de choses, juste de quoi manger ce soir, demain midi et au moins demain soir pour James et Eliott, puisqu’elle repartait en garde de nuit à l’hôpital à partir de dix-huit heures. De quoi faire du café, le petit-déjeuner et puis quelques petits snacks. Et une tablette de chocolat car elle était au régime mais pas après des journées comme celles-ci. C’était d’ailleurs dans ce rayon qu’elle s’était arrêtée, hésitant entre une tablette lait-riz soufflé et une noir-chocolat. Elle pouvait peut-être prendre les deux... Le chocolat noir, ça ne comptait pas vraiment.

Elle venait d’attraper les deux dans ses mains pour les déposer dans son caddie lorsque ses yeux se posèrent sur un visage familier qui venait d’entrer dans le rayon.

- Oh bah salut Emma, la salua-t-elle avec un peu de surprise.

Cela faisait bien huit ou neuf mois qu’elles ne s’étaient pas vues en personne. Elles se suivaient encore sur les réseaux sociaux et ne manquaient jamais de commenter les photos postées par l’une et l’autre mais cela n’était pas comme à l’époque où elles vivaient ensemble. Elles avaient tendance à conclure leurs conversations par « On devrait aller se boire un café un de ces jours ! » sans jamais le faire. Elles avaient pris des chemins de vie assez différents. Marlene avait été absorbée dans ses études de médicomagie puis avait fini par emménager officiellement avec James, quittant alors la coloc. Ils s’étaient mariés et Eliott était arrivé dans la foulée, ce qui lui avait évidemment pris énormément de temps.

Elles avaient des rythmes de vie complètement différents. Emma était célibataire - encore - et semblait sortir beaucoup, si on en croyait ses stories où elle enchaînait les verres en terrasse et les restaurants. Elle postait toujours de superbes photos de voyage, elle avait passé une bonne partie de l’été au soleil. Marlene, elle, avait concentré sa vie autour de sa famille et ses amies aussi mamans. Elles se comprenaient, entre elles.

- Tu dis bonjour, Eliott ? lança-t-elle en passant sa main sur les cheveux de son fils.
- Bonjour... déclara-t-il avec un peu de mauvaise humeur.
- Il est fatigué, l’excusa Marlene. Tu vas bien ? Quoi de neuf ?

Sûrement encore un projet de voyage à Prague ou elle ne savait quoi.

Un profond soupir s'échappa des lèvres d'Emma alors qu'elle se faufilait entre deux caddies remplis à ras-bord. Elle n'avait vraiment pas eu l'idée du siècle en venant faire quelques courses de dernières minutes au supermarché de l'avenue Dalhiatus. Dailleurs  elle ne venait jamais ici habituellement, elle préférait aller sur le chemin de Traverse où directement à l'épicerie en bas de sa rue. Toutefois, elle avait reçu une invitation de dernière minute de l'une de ses collègues à venir dîner pour qu'elles puissent continuer à discuter du sujet qui les avait occupé toute la journée. Leur échange avait été vif et avait fait avancer leurs recherches vers une toute nouvelle direction. Elles avaient trouvé dommage de devoir attendre le lendemain pour continuer et avaient convenu de se retrouver chez Aby afin qu'elle puisse travailler tout en remplissant son rôle de jeune maman. Le papa était de garde à l'hôpital et ne pouvait donc pas s'occuper du petit bout. Les deux jeunes femmes avaient quitté le Département des Mystères à une demi-heure d'intervalle et Emma se retrouvait désormais dans les rayons bondés du supermarché pour ne pas arriver les mains vides. Elle avait déjà sélectionné deux bonnes bouteilles de vin, quelques snacks salés et il ne lui restait plus qu'à trouver une ou deux tablettes de chocolat pour parfaire le tout. Elle pénétra dans le rayon des sucreries sans réellement prêter attention à ce qui l'entourait, focalisée sur ce qu'elle cherchait. Ce ne fut que lorsqu'elle entendit une voix l'interpeller qu'elle releva la tête et vit Marlene à quelques pas d'elle. Un immense sourire se fendit sur ses lèvres alors qu'elle se rapprochait.

“Marlene ! Salut ! Ça fait super longtemps !”

Il y avait effectivement une éternité que les deux femmes ne s'étaient pas vues, plusieurs mois sans doute. Ce n'était pas faute d'avoir proposé de sortir prendre un café ou un verre mais son ancienne colocataire semblait toujours débordée, entre son travail et son fils, elle ne semblait pas pouvoir trouver de temps à lui accorder. Ce n'était pas très grave au fond, les choses n'étaient plus comme avant depuis déjà avant la fin de la colocation. Dès l'avortement de Marlene en réalité, elles n'avaient jamais vraiment réussi à retrouver le lien qu'elles partageaient avant leur dispute. Même si elles avaient mis du leur chacune de leur côté, ça n'avait pas suffi pour que les non-dits résidents entre elles soient totalement éclipsés. Et puis la vie les avait éloignées, elles avaient pris des chemins de vie totalement différents. Emma s'était consacrée à sa carrière, à ses collègues qui constituaient une seconde famille pour elle et elle s'était tournée plus facilement vers eux pour se confier. Ils passaient tellement de temps ensemble qu'ils savaient quasiment tout de la vie des uns et des autres. Et quand elle parlait de ses nombreuses rencontres et nombreux échecs amoureux, elle ne se sentait pas jugée. Pas comme avec Marlene et sa petite vie parfaite qui lui étalait toutes ses réussites sous le nez avec son mari parfait, son fils parfait et son boulot siii excitant. Même si de ce côté là, elle n'avait pas à se plaindre, son métier la comblait de mille façons et elle n'en aurait pas choisi un autre pour tous les gallions du monde. Son regard se posa sur le petit quand il la salua à la demande de sa mère et elle esquissa un nouveau sourire.

“Bonjour Eliott.”

Elle releva les yeux sur Marlene et secoua la tête à ses excuses.

“Il est tout excusé.  Il est beaucoup trop adorable pour qu'on lui en veuille. Il a bien grandi depuis la dernière fois que je l'ai vu”, ajouta-t-elle avant de hocher la tête aux questions de son amie. “Oui, ça va très bien et toi ? Toujours les mêmes choses, le boulot qui est super prenant mais toujours aussi intéressant et intense. Mais tu sais ce que c'est”, un léger rire entendu lui échappa. “Je dois d’ailleurs aller rejoindre une collègue pour qu'on puisse discuter de nos dernières découvertes. Et sinon, je suis en train de programmer mon prochain voyage pour mes futures vacances. J'hésite encore entre Vienne et Lisbonne. Et toi ? Vous avez des projets ? James va bien ?”

Il y avait longtemps qu'elle n'avait pas vu son ami non plus, ils s'envoyaient des messages assez régulièrement donc elle suivait ses aventures Poudlardiennes mais ce n'était pas non plus pareil que s'ils se voyaient. Elle savait qu'ils étaient tous pris dans cette vie de famille dont elle ne comprenait pas toutes les exigences n'étant pas confrontée à cette réalité. Et ça lui pesait réellement. Elle aurait aimé pouvoir, elle aussi, avoir une relation stable et posée, un premier enfant aussi mignon qu’Eliott et un projet de second. Elle aurait aimé avoir cette vie là. C'était d'ailleurs son rêve mais elle n'arrivait pas à garder ses relations plus de quelques mois. Le problème devait certainement venir d'elle. Elle ne trouvait pas d'autres explications. Bien sûr, elle était tombée sur des cas, des relations toxiques et des mecs machos, elle en avait eu plus d'un mais elle avait également eu des bons moments. Elle était tombée sur des perles qu'elle avait repoussé, mettant fin à des relations pourtant saines et stables parce qu'elle ne ressentait rien. Elle n’éprouvait que lassitude et indifférence à leur égard. Le dernier en date, Peter, en était le parfait exemple. Il avait tout pour lui, adorable, beau, un métier d'avenir et prometteur mais elle s'était rapidement lassée. Il se pliait pourtant en quatre pour faire d'elle la femme la plus heureuse du monde. Ils sortaient beaucoup, parlaient énormément de divers sujets, il la stimulait intellectuellement, la couvrait de compliments, d'attentions et de cadeaux et il était de loin l'un de ses meilleurs amants. Toutefois, ça n'avait pas suffi, il lui avait manqué quelque chose. Elle n'avait pas ressenti cette petite étincelle qu'elle avait pu avoir autrefois avec Angus.

Il lui arrivait de penser à lui parfois, il lui avait beaucoup manqué au début de leur séparation et elle avait eu beaucoup de mal à passer à autre chose. Ce qui l'avait poussée à enchaîner les histoires sans lendemain. Il lui arrivait encore parfois de regretter la vie qu'ils auraient pu avoir ensemble, à ce qu'ils auraient pu construire si elle avait su être plus patiente, si elle avait accepté son rôle de belle-mère. Elle avait pensé à lui le premier Septembre en songeant qu'il avait dû rentrer en première année à Poudlard. Déjà onze ans. Le temps passait décidément beaucoup trop vite. Emma était remplie de remords et pour autant, elle avait apprécié le temps qu'elle avait eu pour elle, les voyages qu'elle avait réalisés, cette jeunesse qu'elle avait vécu. Pour autant, elle aspirait à une toute autre vie aujourd'hui et voir Marlene et son enfant dans ce supermarché la renvoyait irrémédiablement à tous ces choix qu'elle avait fait, à ses échecs et à cette vie qu'elle souhaitait ardemment sans pour autant savoir comment l'obtenir et en niant avec véhémence vouloir cette vie, jouant les célibataires épanouie et criant haut et fort qu'elle ne voudrait pas d'autre vie même si c'était possible, noyant sa rancœur dans les sorties aux bars et les verres de vins. Et elle l'avouait, elle prenait grand plaisir à étaler ses sorties et ses voyages en stories uniquement pour donner envie et faire rager les mères de familles parfaites comme Marlene. Elle se doutait parfaitement qu'elle aurait aimé partir elle aussi en vacances comme bon lui semblait et qu'elle devait très certainement l'envier pour ça. C'était sa petite victoire personnelle.

Eliott alternait entre moue boudeuse et bâillement. Il était fatigué, ronchon, ses jambes s’agitaient contre le caddie et Marlene savait qu’il n’aurait plus longtemps la patience de rester sage dans le magasin, avec le bruit, les gens, les lumières et les choses qui le tenteraient. Lui qui était d’habitude si bavard et tourné vers les gens ne semblait pas l’énergie d’interagir avec le monde. Marlene caressa lui gratta doucement le dos. Elle eut un sourire lorsque Emma déclara qu’il était trop adorable pour qu’on lui en veuille - c’était vrai - et qu’il avait beaucoup grandi depuis la dernière fois - c’était vrai aussi. Il grandissait à une vitesse folle, sur tous les plans. Il avait toujours été un grand bébé, dès la naissance, où il faisait 52 centimètres (en même temps, son papa était très grand). Et il apprenait beaucoup tous les jours, il développait de nouvelles capacités, de nouveaux mots, de nouvelles connaissances. Ces derniers temps, ils trouvaient qu’ils faisaient de plus en plus petit garçon et de moins en moins bébé. Cela faisait toujours un petit pincement au coeur à Marlene, qui s’empressait toujours de le serrer fort dans ses bras. Elle avait envie de ralentir un peu le temps.

- Oui, confirma-t-elle à Emma. Il va à l’école maternelle maintenant ! 

Elle avait plus pleuré que lui le jour de la rentrée : Eliott avait aperçu les dinettes sur le pas de la porte et était parti en leur faisant un signe de la main pour aller jouer. Il était toujours content d’y aller, de retrouver son enseignante et ses copains et de jouer au « topogan. » Elle ne s’appensantit néanmoins pas sur les exploits de son fils. Elle le faisait avec certaines de ses collègues ou amies, comme Eiluned, qui étaient mères aussi et qui pouvaient comprendre et partager son enthousiasme à l’idée que Eliott sache désormais utiliser un ciseau. Elle savait que Emma ne pourrait pas comprendre, sa vie était à mille lieues des histoires d’école maternelle et d’enfants. Elle lui en fit d’ailleurs la démonstration immédiate en lui glissant, entre deux-trois nouvelles sur ses « découvertes » au boulot, qu’elle hésitait pour son prochain voyage, entre Vienne et Lisbonne.

Une pointe d’agacement la traversa. Alors elle sourit.

Emma voyageait beaucoup et c’était facile de le savoir parce qu’elle l’affichait toujours sur son compte Instagram. Beaux hôtels, dîners au restaurants, transats au bord de la piscine, cocktail à la mains, paysages à couper le souffle, déjeuners entre copines, beaux habits, beaux sacs... Elle voyait souvent ça de son canapé, fatiguée après sa garde, Eliott au lit, avec encore une lessive à étendre, une lunchbox à préparer pour le lendemain, une liste de courses à faire, les papiers envoyés par les impôts à relire, un gâteau à faire pour la fête de l’école, une tenue à aller acheter pour les cours de Quidditch chez les LittlePuddle. Elle passait rapidement les stories, remplies de soleil, de plages et de terrasse. Ils voyageaient, avec James. Moins depuis la naissance d’Eliott, il est vrai, mais ils le faisaient ! C’était toujours plus d’organisation et effectivement, ils allaient peut-être dans des destinations différentes mais c’était bien aussi. Ils avaient d’autres priorités, ils travaillaient beaucoup, ils venaient d’acheter la maison, Eliott était petit encore... Avec le « Vous avez des projets ? » comme si l’essence de la vie c’était d’aller à Lisbonne pour poster des stories sur un rooftop, Marlene avait l’impression que Emma lui demandait quand est-ce qu’elle ferait quelque chose d’intéressant. Et elle sourit.

- Super, ça se passe toujours bien ton boulot ? Tu es toujours au Ministère, c’est ça ? Ça doit être intense, oui, un bureau, comme ça... Ça se passe bien pour moi aux urgences de Sainte-Mangouste, je passe mes journées à courir mais bon !

Emma faisait des recherches théoriques sur des choses, au Département des Mystères. C’était sûrement intéressant, de réfléchir à des choses, comme ça, toute la journée.

- Trop chouette, Lisbonne, un peu de soleil ! Elle haussa légèrement les épaules. Sûrement cet été mais nous n’y avons pas encore réfléchi, tu sais, on vient d’acheter la maison, on voyage surtout dans les magasins de meubles ! Elle eut un léger rire. Mais ça y est, on a pris rendez-vous pour faire construire une piscine, creusée et chauffée, parce que c’est pas ici qu’on aura le soleil ! On verra cet été... Mais on voudrait emmener Eliott à - elle articula silencieusement le mot - Disneyland, au printemps, il va adorer. Oh, et puis, on va à Paris-tout-court en novembre là, voir le concert d’Aimee Dawson. Mais ça n’est pas vraiment un voyage, on y est allés tant de fois... Tu sais comme James adore la France.

Ils y étaient allés deux fois. Mais c’était déjà beaucoup !

- Mais oui, voilà, la vie normale, en famille. Elle sourit. C’est chouette.