To build a home [Marlene & James]

La maison était logée entre deux grands arbres, ce qui leur garantissait d’avoir de l’ombre dans le jardin même en plein cœur de l’après-midi. Cela avait été très agréable pendant le mois d’août qui avait été caniculaire et avait vu les températures s’affoler aux alentours du quinze. Aujourd’hui, en revanche, le temps était gris et orageux ; les nuages menaçaient de faire tomber une pluie diluvienne, si attendue après ces jours de chaleur.

James était sorti avec Eliott vers neuf heures du matin. Evidemment, son fils était éveillé depuis deux heures déjà et commençait à s’impatienter dans cette maison où son père lui intimait de ne pas faire trop de bruit pour ne pas réveiller sa mère, rentrée tard d’une garde à l’hôpital. Finalement, James avait décidé de l’emmener se promener dans cette petite ville où ils avaient emménagé à la fin du mois de juin. Marlene et lui avaient longtemps vécu à Londres, d’abord dans un appartement modeste puis dans un joli trois pièces qu’ils louaient une petite fortune mais qui avait le luxe d’être placé dans un quartier avec plusieurs garderies. Ils s’y étaient installés quand Marlene était encore enceinte d’Eliott ; c’était ici qu’ils avaient fondé leur famille, quatre ans plus tôt, quelques années après leur mariage. Bien installés dans leurs carrières respectives, ils avaient finalement fait le choix d’acheter leur propre bien et avaient enchaîné les visites sans être très convaincus. Ils avaient malheureusement des goûts que leur capacité d’emprunt ne leur permettait pas de satisfaire.

Jusqu’à ce qu’ils entendent parler d’Eldoria.

Un village sorcier, basé sur l’harmonie et le vivre-ensemble, conçu pour faire cohabiter différents peuples. Parce que le processus était encore expérimental, les maisons n’étaient pas chères à l’achat. Pourtant dubitatifs en lisant le fascicule, Marlene et James avaient été conquis par la visite. Il y avait trois chambres – trois vraies chambres, dont une suite parentale, plus une autre pièce qui pouvait faire office de bureau. Un grand salon ouvert sur la cuisine, un espace pour la salle à manger, deux salles de bain et un grenier.

Et, surtout, un beau jardin ombragé.

Ils n’avaient pas été très longs à convaincre. L’idée de s’éloigner de la ville ne leur déplaisait pas ; avec un enfant en bas-âge, ils aimaient l’idée de vivre dans un environnement plus familial.

Certes, leurs voisins étaient des centaures ce qui, les premières semaines, avait été plutôt déroutant. Mais James avait réussi à tisser un lien – il n’allait pas non plus parler d’une amitié – avec l’un d’entre eux, du nom d’Achernar, avec qui il échangeait parfois autour de la Divination, sa matière de prédilection qu’il enseignait à Poudlard depuis quelques années déjà. Les centaures avaient une autre manière d’interpréter les signes du ciel et James aimait écouter le récit des observations d’Achernar. Il s’était arrêté le saluer, ce matin, en compagnie d’Eliott (qui avait encore du mal à saisir la différence entre un centaure et un cheval). Ils s’étaient ensuite arrêtés à la boulangerie pour acheter des pâtisseries et, sur le chemin du retour, avait fait une rencontre plus ou moins étonnante.

« Tu fais doucement, bonhomme, d’accord ? Si maman dort encore, il faut la laisser dor… »

Mais James n’eut pas le temps de finir se phrase. Son fils venait d’apercevoir sa mère, qui terminait de se faire couler un café dans la cuisine. A peine ses chaussures retirées, il se précipita vers elle.

« Maman, maman, maman, on a pris des gâteaux ! »

James eut un léger sourire et s’avança à son tour pour saluer sa femme d’un baiser.

« Bien dormi ? » lui demanda-t-il avec une caresse dans son dos.

L’été était toujours une période plus facile pour eux. James ne travaillait pas et, lorsqu’il préparait la rentrée, il pouvait le faire depuis chez eux, ce qui leur évitait de devoir trouver des solutions pour garder Eliott. En dehors de ces deux mois estivaux, Marlene et lui étaient plutôt occupés ; elle par son travail de médicomage à Ste-Mangouste et lui par ses activités de Professeur et de directeur de maison à Poudlard. Il devait passer une nuit par semaine au château et un weekend entier par mois ; parfois, lorsque cela coïncidait avec les gardes de Marlene, il prenait Eliott avec lui pour le faire dormir dans ses appartements de fonction.

« Maman, maman, tu sais le monsieur d’à côté, eh bah, eh bah en fait, il est avec un autre monsieur et, et, en fait c’est des v… des Pears ! » s’exclama le petit garçon, un peu plus habitué aux technomagies qu’au vocabulaire des sorciers.

James réprima un rire.

« Tu sais, la maison au bout de la rue, celle avec les volets fermés en permanence ? En fait, elle n’est pas inoccupée. Elle appartient à un couple de vampires. Des gars très sympas, précisa-t-il. Hypers chaleureux, malgré leur aversion pour le soleil ! »  

La garde de la nuit dernière avait été plutôt tranquille, ou plutôt, ils avaient déjà vu pire. Quelques accidents de transplanage sans gravité majeure, deux cas de douleurs thoraciques, une fièvre chez un nourrisson, un stupéfix un peu violent, une jambe cassée, cinq alcoolisations, une brûlure au deuxième degré suite à un chaudron renversé, un nez cassé suite à une bagarre, une intoxication à la potion de sommeil, une allergie au latex, une morsure de Botruc assez profonde. Sans oublier une douleur à l'épaule qui durait depuis trois semaines, une piqûre de moustique très gonflée, un rhume, une insomnie et "une sensation bizarre dans la main." Elle était rentrée sur les coups de sept heures après les transmissions.Elle avait pris une longue douche pour se rafraîchir et s'était glissée auprès de James, qui n'avait pas tardé à se lever pour gérer Eliott.

Elle était régulièrement de garde de nuit aux urgences, cela la dérangeait moins que certains collègues. Elle trouvait que tout avait une ambiance plus particulière le soir. Ils devaient souvent se démener, car il y avait moins de spécialistes de garde dans l'hôpital, les examens mettaient plus de temps à revenir. Ils trouvaient des solutions alternatives, négociaient, se débrouillaient et elle appréciait aussi cette part du travail. C'était en partie pour cela qu'elle avait choisi de se spécialiser en médicomagie d'urgence, lorsqu'elle avait terminé son internat.

La garde de nuit était parfois plus facile dans leur organisation personnelle parce qu'elle lui permettait d'être là l'après-midi et en soirée pour passer du temps avec Eliott, qui n'avait pas encore repris l'école. Elle avait émergé sur les coups de treize heures, pas complètement reposée. La maison semblait vide, elle n'entendait pas les petits pas de son fils sur le parquet ou ses chants dans le salon. Elle avait passé quelques minutes dans la pénombre avant de trouver le courage de se lever. En descendant les escaliers, elle avait pu constater que James et Eliott n'étaient effectivement pas là, sûrement en balade dans le village. Ils avaient emménagé voilà quelques temps dans cette jolie maison au milieu des arbres, quittant définitivement Londres. Marlene en était plutôt contente : ils avaient beaucoup plus de place, Eliott avait un jardin pour courir et jouer, les environnements étaient beaucoup plus accueillants que leur quartier londonien. Et surtout, ils avaient pu faire un très bon investissement financier et s'endetter moins longtemps. Effectivement, la première fois qu'ils avaient croisé leurs voisins centaures, cela lui avait fait un peu étrange. Mais on s'y habituait !

Elle avait attrapé un mug dans le placard vitré de la cuisine - ils avaient tout choisie sur plan, elle l'adorait, elle l'avait beaucoup imaginée au travers de tableaux Pinterest avant - et avait glissé deux capsules de café dans la SpellSpresso (Latte macchiato caramel, sur lequel elle s'autorisait de temps à autre de la chantilly, entre deux régimes intermittents pour tenter perdre les quelques kilos de grossesse qui pouvait lui rester. Elle était en train de réfléchir à ce qu'elle pouvait manger avec, s'il leur restait des biscottes, quand la porte d'entrée s'ouvrit pour laisser passer leur petite tornade. Un sourire vint immédiatement illuminer son visage alors qu'elle tendait les bras à son fils. Elle lui déposa un bisou sonore sur la joue.

- Aaah mais parfait, pile ce que je voulais manger en plus !

Elle rendit son baiser à James, s'appuyant un instant contre lui.

- Pas assez, mais ça va, oui, mon chat ? interrogea-t-elle en se baissant vers Eliott qui l'interpellait de nouveau pour lui raconter ce qu'il avait vu lors de sa balade. Ah oui ?

Visiblement, leurs voisins étaient deux et étaient des téléphones. Eliott aimait beaucoup raconter des choses mais on ne savait pas toujours quoi. Lorsqu'il relatait ses journées d'école c'était toujours avec moults détails, beaucoup de prénoms et des éléments qui ne semblaient pas toujours liés entre eux "Et bah et bah même que la maîtresse elle a dit que les cartables, ils ils, Timmy à la récréation son t-shirt il était bleu et bah même que je lui ai dit que ne prêtais pas mon râteau mais mais mais et là, en prison !" Et James et Marlene de répéter en coeur "En prison ?!" et Eliott de confirmer d'un ton très grave "En prison." Elle avait rêvé chacun de ces petits moments avant même qu'elle ne soit enceinte et chaque instant la remplissait d'un profond sentiment d'accomplissement.

- Ca explique des choses, admit-elle lorsque son mari vint à sa rescousse en lui expliquant que leurs voisins étaient en réalité un couple de vampires.

Honnêtement, son premier réflexe fut une pointe d'inquiétude, surtout vis-à-vis de Eliott et le fait que les vampires se nourissaient de sang. Mais elle s'efforça de la calmer : après tout, si ce couple s'installait là, c'est qu'ils avaient sûrement envie de s'intégrer et de ne plus vivre cachés et manger ses voisins n'aidait pas à l'intégration. En plus, certes, ils étaient des vampires ! Mais ils pourraient avoir dans leurs voisins un tueur en série tout à fait humain sans même le savoir ! Les vampires, au moins, faisaient des efforts.

- Mais, réalisa-t-elle une seconde après, ils ont une piscine dans leur jardin ? On l'aperçoit, de la rue... Tu penses qu'ils s'y baignent la nuit ? Petit bain de minuit ?

Eliott tapota son genou.

- Est-ce que je peux manger le scone ?
- Oh bah après déjeuner, non, on fait à manger ? Il fait beau, on pourrait manger dehors !

Dans les premiers jours qui avaient suivi leur installation à Eldoria, Marlene et James avaient pu faire la connaissance de leurs voisins et certaines rencontres avaient été un peu plus déroutantes que d’autres. A quelques mètres de chez eux, il y avait une clairière, qui donnait sur un petit bois où vivaient quelques centaures. Un peu plus bas, un passage dans la roche annonçait les demeures des gobelins. Il y avait des sirènes dans un grand lac et un couple d’elfes de maison dans une petite chaumière. Le projet politique d’Eldoria était clairement de proposer un espace de partage aux différentes populations magiques qui avaient été séparées jusque-là. James n’était pas du tout opposé à ce vivre-ensemble mais il reconnaissait qu’il fallait un petit temps pour s’y adapter. C’était peut-être d’autant plus vrai pour Marlene et lui, qui avaient été élevés dans le monde moldu et qui, malgré les années, gardaient une forme d’ignorance sur certains pans de la culture sorcière.

Mais les deux étaient plein de bonne volonté et Eliott les aidait grandement à créer des liens avec leurs voisins (puisque tout le monde, centaures sorciers et gobelins, voulaient bien s’accorder à dire que leur fils était vraiment adorable, ce que James et Marlene ne pouvaient démentir.)

Aussi, la question de sa femme sur l’utilisation d’une piscine pour un couple de vampires lui tira un rire.  

« Sûrement. Et en même temps, ils ont raison, c’est le meilleur moment pour se baigner… » Il déposa précautionneusement la boîte qu’il tenait dans les mains sur le plan de travail et l’ouvrit. « Franchement, on devrait les inviter à dîner. Je veux dire, tu te rends compte du nombre d’anecdotes qu’ils peuvent raconter ? Si ça se trouve, ils ont vécu à la cour de la reine Victoria… »

Ses doigts s’étaient posés sur un scone, ce que son fils ne manqua pas de remarquer et de réclamer à son tour.

« Mais papa il a un scone ! réagit Eliott en pointant son père du doigt.
-Un scone ? Pas du tout. Pas du tout, papa il n’a pas de scone.
-Mais siiii !
-Mais non, regarde, je mets juste les gâteaux dans… une assiette ! » dit-il en saisissant une assiette vide pour y transvaser les gâteaux. « Comme ça, hop, on pourra les servir pour le dessert ! Il est malin, papa, hein ? »

Eliott pouffa et James se pencha vers lui pour lui embrasser les cheveux.

« Tu veux que je fasse à manger ? » demanda-t-il à Marlene en se redressant et en passant une main dans son dos. « T’as l’air de t’être réveillée il y a dix minutes… » Elle avait les cheveux encore un peu ébouriffés et sa tasse de café fumante dans les mains. « Je pourrais faire…
-Des crêpes ! Des crêpes ! réclama Eliott qui n’était pas très intéressé par les légumes depuis quelques mois.
-Des… brocolis ? l’interpella James en mettant ses poings sur ses hanches.
-Noooon, des crêpes !
-Des… Epinards ??
-Mais noooon ! répondit le petit qui s’amusait beaucoup. « Maman, des crêpes ! » Il tourna les yeux vers Marlene. « Si-te-plaiiiit » ajouta-t-il car il savait bien que certains mots faisaient pencher la balance en sa faveur.

C’était une véritable chance pour Eliott de grandir dans un tel environnement, Marlene en avait conscience. Eldoria était un très beau coin, plein d’arbres, de chemins forestier, d’une petite rivière qui passait au coeur du village. C’était parfait pour un enfant, cela stimulait beaucoup son imagination. Depuis qu’ils avaient emménagé, il demandait beaucoup d’histoires sur les fées et les botrucs et les lutins. Cela lui permettait également de rencontrer beaucoup d’autres cultures, comme des gobelins ou visiblement des vampires. Il grandissait véritablement à la croisée de beaucoup de choses, entre sa culture sorcière, moldue et magique. C’était un petit garçon très tourné vers les autres, toujours très curieux, qui nouait facilement le contact. Un peu trop des fois pour Marlene, qui était un peu moins sociable que son fils. James, lui, se laissait plus entraîner dans les discussions, comme le prouvait cet échange avec leurs voisins, qu’il voulait déjà inviter à dîner.

- Tu as l’air de parler d’expérience, le tança-t-elle avec un sourire quand il décréta que le milieu de la nuit était le meilleur moment pour se baigner. Quand il souligna qu’ils avaient peut-être vécu à la cour de la reine Victoria, elle écarquilla les yeux. C’est vrai qu’ils doivent avoir de sacrées anecdotes... Après si ça se trouve ce sont des vampires récents. On fantasme toujours les vampires, comme s’ils avaient tous 1500 ans mais si ça se trouve, ils sont devenus vampires en 1993 et leur plus grande anecdote est sur Britney Spears...

Elle prit une gorgée de son café, appuyée contre le comptoir, pendant que James plaçait les gâteaux dans une assiette, ce que Eliott ne manqua pas de remarquer en réclamant un score. Il adorait tout ce qui était petits gâteaux et bonbons et ils étaient assez vigilants à ce qu’il n’en mange pas trop (déjà ensuite parce qu’il courait partout, rechargé au sucre comme une batterie glycémique.)

- Je me suis réveillée il y a dix minutes, confirma-t-elle. Et je pense que je prendrais un deuxième café.

Elle sourit devant Eliott qui réclamait des crêpes, car depuis quelques mois, les légumes ça n’était plus trop ça (elle qui s’était vantée pendant longtemps que son fils adorait les haricots verts...). James proposa des brocolis, ce qui n’eut pas l’air de le ravir. Les épinards n’eurent pas beaucoup de succès non plus, et leur fils s’en tourna vers elle, sa petite bouille souriante et avec son « s’il te plaît » magique, qui lui ouvrait toujours beaucoup de portes. Marlene vint caresser sa joue de son pouce pendant qu’il se suspendait à sa jambe.

- C’est vrai que... ça pourrait être bon des crêpes, concéda-t-elle avec un sourire envers James. Mais avec des carottes râpées ! Un peu de crêpes, un peu de carottes et un peu de gâteaux en dessert !
- Beaucoup de crêpes, beaucoup de gâteaux ! contesta Eliott.
- Tu n’aimes plus les carottes râpées, toi ? fit-elle mine de s’étonner.
- Naaaaan, décréta Eliott, c’est même pas bon.
- C’est très bon !
- Naaan, maman, les crêpes c’est bon, expliqua-t-il d’un ton docte.

Que répondre à cela ?

- On met la table ? Tu mets les assiettes ?

Eliott aimait beaucoup mettre les assiettes, il considérait que c’était son travail. Ils les avaient rangées dans le buffet bas pour qu’il puisse les attraper.

- Je mets que les bleues ! décréta-t-il en se précipitant.

Marlene déposa sa tasse sur le comptoir pour pouvoir ouvrir le placard où se trouvait la farine, qu’elle sortit pour James.

- J’ai suggéré à Eiluned de venir manger à la maison cette semaine, glissa-t-elle, avec les enfants. Victoria rentre à Poudlard la semaine prochaine, tu réalises ? Imagine quand ça sera Eliott, fit-elle avec une petite moue.

“Et en même temps, souligna James, c’était quelque chose, Britney Spears.”

La chanteuse avait bercé une partie de leur adolescence à tous les deux. Elle était évidemment inconnue dans le monde sorcier mais James se souvenait très bien que, lorsqu’il retournait chez ses parents l’été, on l’entendait partout. Encore aujourd’hui, ses principaux titres étaient mondialement connus – des bangers comme disaient les jeunes à Poudlard – mais assister à un de ses concerts lorsqu’elle était encore à son apogée avait dû être une sacrée expérience (et peut-être que leurs voisins avaient pu faire ça et manger à la cour de la reine Victoria.) Depuis quelques années, la chanteuse sorcière qui pouvait rivaliser avec la popularité de Britney Spears chez les moldus était Aimee Dawson. L’américaine avait percé très brusquement peut-être trois ou quatre ans auparavant et enchaînait les albums et les tournées internationales depuis.

Il adorait.

Il n’avait pas honte de le dire : il adorait. Elle savait écrire, les textes étaient toujours incroyablement justes, elle pouvait alterner des rythmes très lents et endiablés et la mise en scène pendant ses concerts étaient incroyable. Non, vraiment il était fan. Grady, Marlene et lui avaient pris des places pour son concert – ils n’avaient pas eu de places pour Londres alors ils en profitaient pour faire un petit weekend à France pour l’occasion (et en plus, cela permettait à James de se retrouver au milieu de ses élèves. Il n’avait pas honte mais les adolescents étaient pénibles.) Ils avaient hâte, ils s’envoyer des memes sur le sujet sur la conversation qu’ils avaient tous les trois.

Cela faisait déjà un moment que Grady était parti vivre en Amérique du Sud. Enfin il ne “vivait” pas là-bas (et c’était important de le préciser, sinon cela signifiait qu’il s’y était réellement installé et James ne désespérait pas qu’il revienne en Angleterre) mais il y passait beaucoup de temps. Il explorait, il découvrait des créatures magiques... Il avait une vie assez trépidante, pas toujours dans le bon sens du terme (il avait fini à l’hôpital plus d’une fois). Parfois, il revenait quelques semaines ou quelques mois en Angleterre puis il repartait dans un autre pays. C’était toujours un peu difficile pour eux – le pire, cela avait été quand Grady était parti la toute première fois, vraiment, James avait eu l’impression d’être amputé de son bras gauche. Maintenant, ils avaient trouvé un rythme pour rester en contact et ils s’appelaient régulièrement. Grady avait évidemment une place importante dans leur famille : c’était le parrain d’Eliott, le Mctonton local (il avait un t-shirt brodé avec cette appellation). Parfois, quand il revenait en Angleterre, il prenait Eliott pour la journée et ils allaient faire une activité juste tous les deux. La dernière fois, Eliott était revenu en déclarant que son plat préféré était les chips et Marlene l’avait eu un peu en travers de la gorge.

Après, leur fils avait simplement du goût : il était évident que les brocolis, les épinards ou les carottes râpées ne faisaient pas le poids face aux crêpes, aux gâteaux ou aux chips. Heureusement qu’il n’était pas trop opposant non plus : généralement, il finissait par manger ses carottes même s’il en étalait un peu dans son assiette pour ne pas avoir à les finir (il se croyait très subtil.) La seule chose qu’il ne supportait pas, c’était les petits pois : ils avaient vécu un drame – le petit pois gate comme ils l’appelaient – deux mois plus tôt et ils en retrouvaient encore parfois sous le tapis du salon.

Tout en surveillant Eliott du coin de l’œil alors qu’il se précipitait vers le buffet, James s’empara d’un saladier et commença à réaliser la préparation de la pâte à crêpes. Il hocha la tête avec un sourire lorsque Marlene l’informa qu’elle avait proposé à Eiluned de venir dîner. La famille Wellington venait régulièrement chez eux et, inversement, ils lui rendaient souvent visite au Pays de Galles. Marlene était marraine d’Andreas, le cadet d’Eiluned et ils avaient choisi cette dernière pour être la marraine d’Eliott. Les enfants s’entendaient bien et jouaient toujours bien ensemble. Eliott était absolument fasciné par Andreas, qui était un peu plus âgé que lui et il avait longtemps réclamé à ses parents un grand frère – il avait été très triste quand ils lui avaient expliqué qu’il ne pourrait jamais en avoir.

La mention de Poudlard lui tira un petit rire.

“Oh, tu sais, moi, je le verrai tous les jours... glissa-t-il en mélangeant énergiquement la pâte. Je pourrais être son papa super pénible qui regarde s’il a bien fait ses devoirs.”

James en plaisantait mais il aimait bien l’idée de pouvoir être présent pendant la scolarité de son fils. Il savait que ce n’était pas évident pour certains élèves qui avaient leurs parents dans le corps professoral mais ils étaient habitués à gérer de telles configurations, désormais. Jonah, notamment, était un expert en la matière : son cinquième et dernier enfant avait fait sa rentrée au château l’année dernière.

“D’ailleurs, j’ai reçu mon planning, je dois être à Poudlard sur un weekend ou t’es de garde donc je prendrai Eliott avec moi... Hein mon grand ? l’interpella-t-il alors que le petit revenait vers eux. “On va faire comme l’année dernière, parfois tu viendras avec moi à l’école.
-Ouiiiii !” Il adorait ça. Il passait le weekend à déambuler dans le château, à parler aux portraits, à manger dans la Grande Salle en regardant le plafond. “Maintenant ?
-Non, pas maintenant. Mais bientôt, promis.
-Et, et, et, on pourra refaire le match ?”

Eliott était déjà venu à Poudlard pendant un weekend de match, la demi-finale Pousouffle / Gryffondor. James l’avait emmené au stade avec lui et lui avait mis un petit t-shirt de supporter de Poufsouffle. Il avait une photo adorable de lui dedans, sous une pancarte “GO POUFSOUFFLE” qui était désormais son fond d’écran.

“Je ne sais pas s’il y aura un match ce weekend mais on pourra aller voir les entraînements, si tu veux.
-Moi je veux faire du Kiddich !” s’exclama le petit en sautillant sur place.

Marlene était une femme adulte, mariée, trentenaire, médicomage de surcroît, aussi ce fut avec beaucoup de maturité qu’elle répondit à son mari, en levant les yeux au ciel :

- Nananère.

Ce n’était pas la première fois que James lui faisait remarquer qu’il aurait la chance de voir Eliott plus souvent qu’elle à Poudlard et cela attirait à peu près toujours le même type de réaction de sa part. L’idée d’envoyer son tout petit bébé en pensionnat la chamboulait toujours un peu, même si elle avait encore sept années entières devant elle et qu’il ne serait donc plus un si petit bébé. Quand elle-même était entrée à Poudlard, cela ne l’avait pas dérangée car elle s’était éloignée d’une maison avec une atmosphère un peu pesante. Mais cela serait très différent pour Eliott, il n’aurait sûrement pas envie de les quitter ! Même si désormais les enfants revenaient deux week-end par mois, cela lui semblait trop peu et elle avait envie de s’accrocher à son bébé et de ne jamais le laisser partir. James, lui, pourrait le voir tous les jours s’il était encore en poste à ce moment-là.

- Dans ce cas, moi je serai la mère cool qui ne lui demande jamais rien, plaisanta-t-elle en venant se mettre contre son dos, glissant ses bras autour de son ventre. Et à chaque fois je dirais « Vois avec papa. »

Bon flic, mauvais flic en somme, comme lorsqu’ils avaient été préfets-en-chef mais avec les rôles inversés.

- Tu me le rappelleras, souffla-t-elle lorsqu’il lui annonça qu’ils avaient un week-end de garde en commun.

Ce n’était pas la première fois que cela arrivait et James prenait simplement Eliott avec lui dans ces moments-là, ce qui était bien plus facile que de trouver un moyen de garde pour le week-end. Leur fils adorait aller à Poudlard avec son père, le château l’émerveillait profondément. L’annonce le réjouit donc particulièrement, au point qu’il était visiblement à partir immédiatement, surtout s’il y avait un match. Il avait assisté à une rencontre Gryffondor / Poufsouffle ce qui avait donné lieu à une adorable photographie qui était devenue bien évidemment l’un de ses fonds d’écran. Cela avait beaucoup marqué Eliott, qui s’était trouvé une nouvelle vocation, comme il le leur annonça.

- Tu veux faire du Quidditch ? s’enquit Marlene en relâchant James. Maintenant ou quand tu seras grand ?

Eliott prit une seconde pour réfléchir.

- Euuuh... mardi !

En ce moment il était très porté sur les temporalités. Il maîtrisait bien « hier, aujourd’hui, demain » et commençait à s’approprier les jours de la semaine. Il connaissait « Quand je serai grand » et « Mardi », qui était généralement un marqueur pour « maintenant mais pas trop. » Cela donnait toujours des discussions un peu farfelues « On va prendre un bain, Eliott ? » « Noon, mardi ! » « On rentre à la maison dans cinq minutes, d’accord ? » « Non, on rendre mardi ! »

- D’accord, et tu voudrais faire quoi dans le Quidditch ?
- Faire « wouuuuch », déclara-t-il en se mettant soudainement à sprinter dans le salon. WOOOOOOOOUCH.

En chaussettes, il repartit brusquement de l’autre côté, vers la salle à manger.

- Faire wouch, répéta Marlene avec un regard pour James. On pourrait tenter de l’inscrire dans un club, pour tester, suggéra-t-elle. Il doit y en avoir pour les petits. Ça le défoulerait, ajouta-t-elle alors que Eliott était reparti en trombe vers le salon, sur son balai imaginaire.

“Ce qui est bien, quand tu dis ça, fit remarquer James avec un sourire en coin lorsque Marlene plaisanta sur le fait d’être la “mère cool”, c’est que toi et moi on sait que ça risque de ne pas se passer comme ça.” Il tourna la tête pour lui voler un baiser.

Ce n’était pas que Marlene n’était pas cool – loin de là, elle n’était pas personne préférée pour rien (avec Grady) – c’était seulement qu’elle était très organisée et qu’elle aimait bien prévoir et contrôler les choses. James, lui, était plus détendu. Lorsqu’un imprévu survenait, il n’avait pas trop de mal à s’adapter et à changer ses plans. Avoir un enfant les avait forcément challengés tous les deux ; Marlene avait été obligée d’apprendre à lâcher-prise sur certaines choses et James à se montrer plus ferme et plus cadrant. Il avait l’impression qu’ils s’en sortaient plutôt bien. En tout cas, il se sentait bien dans la famille qu’ils construisaient ensemble et dans la manière dont ils investissaient leur parentalité. Ils avaient parfois quelques désaccords sur la manière de gérer les choses mais ils faisaient leur possible pour s’accorder au mieux, avec leurs personnalités différentes.

Et comme Eliott était – très objectivement – un petit garçon très heureux et bien éduqué, James avait tendance à penser que leurs méthodes étaient efficaces.

Il eut un sourire attendri en l’écoutant déclarer avec beaucoup d’aplomb qu’il voulait faire du Quidditch “mardi” – la temporalité, ce n’était pas trop ça mais il avait beaucoup de bonne volonté.

Et beaucoup d’énergie, comme il le leur prouva en repartant brusquement en courant dans le salon, imitant le vol d’un balai imaginaire.

“Les meilleurs joueurs de Quidditch ne disent pas mieux que ça” répondit-il à Marlene qui reprenait les termes très précis de leur fils. Sa proposition le fit hocher la tête. “Bonne idée. J’ai entendu une interview de...” Il fronça les sourcils. “Olivier Dubois, peut-être ? Qui disait que ça améliorait l’équilibre des petits. Ça ne peut pas lui faire de mal...” glissa-t-il à sa femme. Eliott n’était pas toujours très adroit et chutait parfois (ce qui était parfois très drôle et parfois beaucoup moins, comme la fois où il s’était ouvert le menton sur les graviers). “Il y a un club pour les enfants, à Flaquemare. Je crois que Roy a inscrit sa fille là-bas...”

Marlene connaissait un peu les Calder ; ils avaient été invités tous les deux à leur mariage quelques années auparavant. Roy et James se voyaient de temps en temps, prenaient des cafés ensemble ou se retrouvaient au parc pour permettre à Eliott de jouer avec les jumelles, qui n’étaient pas beaucoup plus âgées que lui.

“On pourrait aller voir, si ça te dit, lui proposa-t-il versant une louche de pâte sur la poêle chaude. Eliott ? appela-t-il d’une voix plus élevée pour atteindre l’attention de son fils, encore occupée à mener son équipe de Quidditch imaginaire à la victoire. Tu veux quoi dans ta crêpe, bonhomme ?
-Du jambon, du jambon ! s’écria le petit en accourant vers ses parents.
-Et du fromage ?
-Ouiiiiii.
-Et un oeuf ?”

Il secoua la tête avec une petite moue.

“Nan ça coule !”

Depuis quelques temps, Eliott avait décrété qu’il n’aimait que les œufs durs, bien cuits (et les œufs brouillés mais James soupçonnait qu’il n’ait pas encore compris qu’il s’agissait d’œufs, puisque la forme était différente et que le blanc et le jaune étaient mélangés.)

“Et on met des carottes râpées, alors ?
-Nooon pas les légumes, geignit-il en soupirant.
-Ah si, on a dit un peu de légumes. C’est... Soit des carottes râpées, soit du concombre.”

Le petit fronça le nez.

“Beeeen... Du concombre !”

James en découpant quelques rondelles tout en surveillant la cuisson de la crêpe. Le fromage commençait tout juste à fondre.

“Moi je voulais juste la crêpe...
-Mais les légumes c’est important, chéri. C’est pour grandir ! Pour être aussi grand que... Que maman !
-Et que papa ? demanda Eliott en se mettant sur la pointe des pieds pour essayer de voir son assiette sur le plan de travail.
-Pfiou, non, moi je suis beaucoup trop grand.
-T’es le plus grand papa de l’école !” affirma Eliott, ce qui le fit sourire.

“Et maman ? C’est la plus grande maman de l’école ?
-Naaaaan.” Le petit secoua la tête mais eut un sourire adorable. “Mais c’est la plus belle maman !”