« Une autre offre, déjà ? » Avalon fronça les sourcils, son téléphone coincé entre son épaule et son oreille alors qu’elle tenait Alma dans ses bras. « Mais je pensais qu’elle n’était même pas encore sur le marché ! » Elle berça sa fille, qui commençait à s’agiter. « Oui, bien sûr que je suis toujours intéressée. » Elle consulta sa montre. « Est-ce que c’est possible de prévoir une visite dans la journée ? Oui, seize heures ça devrait être possible. » Avalon se releva. « Parfait, merci. »

Elle récupéra son téléphone et le rangea dans sa poche, le visage légèrement froissé par la contrariété.

Quelques semaines plus tôt, Roy et elle avaient pris la décision de déménager. Malgré l’affection qu’ils portaient à leur appartement – qu’ils avaient acquis seulement neuf mois auparavant – ils avaient dû se rendre à l’évidence : leur sentiment d’insécurité était majoré par l’environnement dans lequel ils évoluaient. Tout, dans cet appartement, les ramenait à ce jour dramatique où ils avaient cru perdre leur fille. Les bons moments qu’ils y passaient étaient teintés par cette angoisse et, si le temps aurait pu permettre aux choses de s’apaiser, Avalon et Roy avaient décidé d’un commun accord qu’ils n’avaient pas les ressources nécessaires pour patienter. Ils avaient besoin d’un nouveau départ, dans un endroit éloigné de cette journée cauchemardesque. Dans un endroit éloigné de Bristol, que Roy cherchait désormais à éviter, après avoir passé douze ans à y construire son empire mafieux.

Ils avaient désespérément besoin de changer d’air, comme pour s’assurer qu’il était plus respirable ailleurs.

Pour s’épargner la fatigue des recherches immobilières, ils avaient décidé de faire appel à un agent, chargé de leur trouver la perle rare. Une maison, dans un quartier calme avec de bonnes écoles à proximité, un bel extérieur, plusieurs chambres. Pas trop éloignée de Londres pour Avalon. Au bord de la mer pour Roy. Evidemment, ces deux derniers critères étaient inconciliables.

Avalon voulait rester proche de la capitale, où ses frères et sœurs résidaient tous. Elle voulait qu’ils puissent la rejoindre facilement s’ils le désiraient, sans avoir forcément à être dépendants d’un sorcier pour les faire transplaner. Roy, quant à lui, voulait retrouver les embruns de la mer et le son rassurant des vagues qui heurtaient les falaises.

Ils visitaient ainsi plusieurs maisons, qui répondaient partiellement à leurs critères. Ils s’étaient déplacés à Worthing trois jours plus tôt, mais n’avaient pas été convaincus par la demeure, malgré la belle vue qu’elle offrait sur la baie.

L’appel qu’Avalon venait de recevoir provenait de leur agent immobilier et concernait une maison qu’elle avait visité uniquement avec Vivianne l’avant-veille. Située à Oxford, la maison n’était même pas encore mise sur le marché ; son agent lui avait obtenu l’exclusivité pour une visite – du moins, c’était ce qu’il lui avait dit en lui vantant les mérites de la bâtisse. En réalité, il n’avait pas eu besoin de dire grand-chose ; Avalon était tombée sous le charme de la maison, des grandes pièces à vivre, du parquet massif qui était posé au sol. Vivianne avait été conquise par le grand jardin et la piscine qui y était déjà creusée. Elles étaient tombées d’accord : la maison était parfaite.

Ne restait plus qu’à convaincre Roy.

Avalon avait demandé à l’agent un petit délai, le temps de faire une seconde visite avec son mari. Délai qu’elle n’avait visiblement pas obtenu.

« Qu’est-ce que tu en dis, Almalita ? » fit Avalon en s’adressant à sa fille qui l’observait attentivement. « Tu vas m’aider à convaincre ton papa qu’on doit absolument acheter cette maison ? Oui ? » La petite lui sourit en retour et Avalon embrassa sa joue rebondie. « Voilà, il faudra refaire exactement ça, tu es parfaite. »

Alma calée contre sa hanche, Avalon gagna le salon, où Roy était installé avec Vivianne. Cette dernière lisait, recroquevillée dans un fauteuil. Elle releva la tête en voyant sa sœur arriver avec un air mystérieux sur le visage.

« On sort ? » proposa-t-elle en cherchant le regard de son mari. « Il faut que je t’emmène voir quelque chose.
-Oooh, on retourne à… ?
-On retourne là-bas, oui. » confirma Avalon avec un petit sourire.

Vivianne se redressa et posa son livre sur la table basse.

« C’est un truc super, tu vas voir, annonça-t-elle en regardant Roy.
-On va voir une maison, lui expliqua Avalon en saisissant son regard un peu méfiant. Elle est parfaite. Il faut juste que tu… Que tu gardes l’esprit ouvert. »

Les fenêtres du salon étaient grandes ouvertes, dans l’espoir de faire circuler l’air en ce mois d’été qui commençait fort à Bristol. Bien que très charmant, l’immeuble où ils se trouvaient était relativement vétuste. Une panne de climatisation s’était déclarée la veille au soir et le technicien ne passerait pas avant le lendemain.

Roy avait promis de faire des efforts sur son intégration dans le monde moldu, pour Avalon, mais parfois il ne pouvait s’empêcher de songer que les petits tracas du quotidien se réglaient tout de même bien plus vite dans le monde magique.

Il échangeait avec Jayce sur le sujet par messages et ce dernier lui recommandait de ne pas céder à la tentation d’essayer de réparer ça d’un petit coup de Reparo -mélanger l’électricité et la magie était le meilleur moyen de mettre le feu à l’immeuble selon lui- quand Avalon fit irruption dans le salon. Elle avait une expression qui attira immédiatement l’attention de son mari ; c’était son sourire malicieux des surprises. Voyant Vivianne entrer dans le jeu, Roy se redressa sur le canapé où il s’était à moitié avachi, la mine suspicieuse.

« Ouh la, vous préparez un truc, toutes les deux. »

Avalon ne fit pas durer le suspense longtemps. La surprise teinta le visage de Roy quand elle lui apprit qu’elle avait prévu la visite d’une maison. Après cette soirée où ils s’étaient violemment disputés avant de finir par se réconcilier, il s’était peut-être écoulé un jour à peine avant qu’ils ne prennent une grande décision, celle qui leur apparaissait comme leur seule échappatoire possible : déménager. Bristol évoquait trop de choses à Roy, c’était toute sa vie d’adulte qu’il avait menée ici, toutes ses fréquentations, toutes les rues lui évoquait un souvenir lié à la mafia. Se couper de la mafia tout en restant dans la ville où il avait bâti son empire lui paraissait intenable. Même si cela lui brisait le coeur, parce que c’était la ville où il se sentait vraiment chez lui, il avait fini par contacter un agent immobilier, en précisant que la demande était urgente.

Ils avaient déjà visité quatre ou cinq maisons, sans qu’aucune ne les satisfasse pleinement. Roy voyait se rejouer entre sa femme et lui les débats et les longues recherches qu’ils avaient déjà connu avant d’acquérir leur premier appartement ensemble ; non seulement leurs goûts différaient sur beaucoup d’aspects, mais cette fois-ci en plus, leurs critères de lieu étaient presque inconciliables.

Pourtant, il ne désespérait pas de trouver la perle rare où ils pourraient installer leur foyer -il payait après tout une fortune cet agent pour qu’il leur trouve le bien de leurs rêves.

« Une maison… ? » répéta t-il. « Attends, une maison dans laquelle vous êtes déjà allées toutes les deux ? »

Elles avaient utilisé le terme « retourner ». Qu’elles aient visité une maison sans lui était forcément suspect, disait sa moue dubitative. Avalon ajouta une demande qui ne fit qu’accentuer sa méfiance :

« Elle est parfaite. Il faut juste que tu… Que tu gardes l’esprit ouvert.
-Déjà, si tu me dis un truc comme ça, c’est qu’il y a un truc qui va pas.
-Mais non, ça va te plaire ! assura Vivianne qui semblait surexcitée. Elle avait déjà bondi sur ses jambes, en reposant son livre sur la table basse. On y va maintenant ?
-Quoi, tout de suite ? s’étonna Roy en voyant Avalon acquiescer. Mais dans quoi vous m’embarquez… ? »

Tout de suite, ou en tout cas, le temps de préparer Alma à se déplacer avec eux. Une fois bien calé dans le porte-bébé adapté au transplanage, noué à la poitrine de Roy, ce dernier attrapa une main d’Avalon pendant que Vivianne saisissait l’autre.

« Et où est-ce que tu nous emmènes, au juste ? » demanda t-il. « Si c’est Londres, c’est pas la peine, hein ! »

Il savait qu’Avalon aurait adoré retourner là-bas mais en ce qui le concernait, c’était le pire endroit où il pouvait se trouver : pas un gramme d’air pur, beaucoup trop de mafieux et de touristes pour espérer y vivre en paix. Et surtout, toujours pas de mer.

« Oui, confirma Avalon. T'es tellement relou qu'on est obligées de faire de pré-visites.
-C'était juste pour être certaines que tu allais aimer ! » nuança Vivianne, plus diplomate, en laçant ses chaussures.

Quelques minutes supplémentaires furent nécessaires avant de quitter Bristol, le temps qu'ils rassemblent les affaires d'Alma et la prépare à sortir. Couches et changes dans un sac, biberons et compotes dans un autre. Avalon prit le temps d'étaler de la crème solaire sur les bras et les jambes de sa fille, pendant que Roy l'installait dans un porte-bébé conçu pour les déplacements magiques, qui la sécuriserait et la stabiliserait pendant le voyage.

« Parfait. » décréta Avalon. Elle tendit la main vers Vivianne, qui s'était replongée dans son livre pour patienter. « On y va ? »

Sa sœur attrapa sa main avec un sourire entendu. Roy, quant à lui, se montra plus suspicieux.

« Fais-moi confiance. » lui intima Avalon. « Et arrête de me faire ton laïus sur la pollution de l'air à Londres, on dirait ton père. »

Quelques secondes après, ils avaient disparu dans un crac sonore. Concentrée sur sa destination - d'autant plus que devait faire voyager trois personnes en plus d'elle - Avalon avait fermé les yeux. Elle ne les rouvrit que lorsqu'elle sentit le sol pavé sous ses pieds, et s'enquit d'un regard soucieux de l'état de ses passagers. Vivianne grimaçait, le temps que les effets du transplanage se dissipe. Roy regardait autour de lui en berçant Alma, qui gémissait un peu. Avalon capta le regard sceptique que son mari lui envoya, et y répondit par un sourire énigmatique.

Ils avaient atterri dans le quartier sorcier d'Oxford, juste devant un salon de thé réputé à la fois pour ses pâtisseries et pour être un passage entre le monde sorcier et le monde moldu. La propriétaire des lieux, Violette, était particulièrement appréciée par ses clients, moldus comme sorciers.

« Je sais, je sais » devança Avalon avant que Roy ne prenne la parole, « tu n'aimes pas Oxford. » Ils en avaient déjà longuement discuté tous les deux. Roy voulait à tout prix vivre au bord de la mer. Avalon désirait rester près de Londres, là où ses frères et sœurs vivaient tous. Ces deux désirs inconciliables les avaient mené à de nombreux débats pour espérer que l'autre fasse une concession. Pour l'instant, ils étaient au point mort. « C'est pour ça que je voulais visiter la maison avant. Mais elle vaut vraiment le coup. ».

D'un geste, Avalon invita Roy et Vivianne à la suivre. Ils entrèrent dans la pâtisserie, la traversèrent en saluant Violette et débouchèrent sur une rue moldue, dans un quartier relativement animé du centre-ville.

« En plus, t'es pas vraiment objectif sur la ville. C'est une belle ville, assez animée mais pas trop non plus. Une excellente qualité de l'air, ajouta-t-elle, un brin moqueuse. D'excellentes écoles pour Alma ! » Elle se pencha vers lui pour lui glisser, plus bas : « Et c'est pile bourge comme tu aimes ! »

« Et toi quand tu me dis ça, on dirait qu’on est un vieux couple » bougonna Roy car il n’avait jamais beaucoup aimé qu’on souligne sa ressemblance avec son père.

Le mystère cessa bientôt ; après quelques secondes de transplanage, la petite famille se retrouva devant une boutique que Roy connaissait bien. Pendant de nombreuses années, avant de s’installer avec Abel, Isobel avait vécu dans cette ville, dans un studio qu’elle affectionnait beaucoup. Roy connaissait le quartier où elle avait habité, quelques cafés et restaurants de l’hyper-centre où ils avaient pu manger un bout à l’occasion, quelques points de repères touristiques majeurs de la ville. Après avoir vérifié qu’Alma allait bien dans son porte-bébé, il tourna un regard entendu vers Avalon.

« C’est pas que j’aime pas Oxford » nuança t-il. Il n’avait en soi rien contre cette ville plutôt jolie et bien entretenue, d'une densité comparable à Bristol. « C’est qu’il y a toujours pas de mer, même pas au loin dans le paysage. »

Il n’y avait pas plus continental qu’Oxford, la ville était pile entre Bristol et Londres, à peu près à équidistance des trois fronts de mer du pays ; qu’il s’agisse de rejoindre la mer Celtique, la Manche ou la Mer du Nord, c’était du pareil au même. Autant dire qu’il n’y avait que des villages et des champs aux alentours. Pas un soupçon d’air marin dans l’atmosphère.

Pourtant, Avalon insistait, en argumentant que la maison qu’ils allaient voir valait vraiment le coup. Puisque de toute manière, ils avaient tous fait l’effort du déplacement, Roy se laissa entraîner vers la pâtisserie qui faisait le passage entre le monde moldu et le monde sorcier. Dès qu’ils arrivèrent de l’autre côté, Avalon poursuivit son laïus pour défendre son choix. Roy lui retourna un sourire légèrement moqueur.

« On dirait que t’as appris par coeur le discours que l’agent immobilier a du te faire pour te vendre son truc. En plus, j’ai jamais dit que je voulais un truc bourge. J’aime quand c’est propre et bien entretenu, nuance. » Il promenait son regard sur la rue du centre-ville ancien qu’ils étaient en train de traverser. « Mais c’est vrai que c’est bourge » commenta t-il. « C’est dans quel quartier de la ville, la maison que vous avez vue ? »

« Et c’est bien son seul point négatif. » commenta Avalon avec un regard appuyé vers son mari.

Elle ne partageait pas son envie irrépressible de vivre au bord de la mer, quand bien même elle affectionnait les paysages maritimes. Avalon était née et avait grandi à Londres, une ville qu’elle aimait particulièrement pour son dynamisme et son caractère cosmopolite. Et, si elle n’envisageait pas d’y retourner maintenant qu’ils avaient Alma, elle gardait en elle cet amour pour la vie citadine. Or, les villes côtières qui n’étaient pas des stations balnéaires n’étaient pas nombreuses au Royaume-Uni. Bristol (mais uniquement la partie sorcière), Liverpool, Cardiff, Edimbourg… Et toutes étaient très éloignées de la capitale.

Oxford n’était peut-être pas en bord de mer, mais elle ne manquait pas d’atouts, comme elle le souligna, s’attirant une remarque moqueuse de Roy. Haussant un sourcil, elle ne se priva pas pour le taquiner à son tour :

« J’ai rarement entendu une phrase plus bourge sortir de ta bouche. » Elle glissa son bras sous le sien et le guida vers la gauche, dans une rue qui s’éloignait de l’ancien centre-ville. « Dans Summertown, un peu au nord du centre. »

C’était un quartier agréable, relativement calme, où on trouvait plusieurs belles et grandes maisons avec des jardins bien entretenus. Il y avait une excellente école primaire, plusieurs restaurants, quelques bars.

« C’est à quinze minutes à pied de l’hypercentre. » lui indiqua-t-elle.

Lorsque l’agent immobilier lui avait donné la localisation de la maison, elle avait été un peu sceptique. Cela faisait plus de dix ans qu’Avalon vivait en centre-ville et, en bonne citadine, dédaignait un peu les habitations plus excentrées. En même temps l’effervescence inhérente à l’hypercentre était épuisante, voire même angoissante parfois. Les bruits des voitures, des commerçants, des passants, des touristes… Tout cela la mettait dans un état d’hypervigilance qu’elle peinait à quitter.

Alors évidemment, ce quartier très calme – et très propre – d’Oxford n’était pas celui vers lequel elle aurait été portée quelques mois plus tôt. Mais les choses étaient différentes maintenant et quelque chose dans ces rues larges, dans ces espaces verts bien entretenus lui apportait un certain réconfort.

« Voilà, c’est juste là, dans la rue perpendiculaire… »

Ils tournèrent à gauche et s’engouffrèrent dans une voie arborée. L’agent immobilier les attendait sur le trottoir, son porte-document coincé sous le bras.

« Ah, bonjour Mrs Calder. » Il s’avança pour lui serrer la main. « Mr Calder. » Il serra la main de Roy.
« Bonjour monsieur Evans.
-Bonjour Vivianne ! Vous allez bien ?
-Bien, et vous ?
-Très bien, je vous remercie. Ecoutez, je vous propose qu’on commence la visite maintenant, comme ça on aura le temps de discuter des détails, si jamais vous êtes intéressés. Est-ce que ça vous va ?
-C’est parfait.
-Formidable. » Il tapa dans ses mains, l’air ravi. « Vous allez voir Mr Calder, c’est une perle. Suivez-moi… »

Ils passèrent un portail et débouchèrent à sa suite dans une allée, qui laissait voir la façade de la maison.

« Donc, c’est une maison qui date du début du vingtième siècle mais qui a été entièrement rénovée par les anciens propriétaires. La toiture notamment, mais aussi les menuiseries, la plomberie, le système électrique… Elle est idéalement placée dans le quartier, donc ils auraient pu la détruire pour reconstruire quelque chose, mais je pense qu’ils aimaient le charme des murs en pierre… Et on les comprend. »

Summertown. Le nom ne résonna que vaguement dans l’esprit de Roy qui ne connaissait pas assez bien la ville d’Oxford pour se faire une idée juste. Mais il lui semblait que ce quartier faisait partie des plus cotés de la ville, sans être dans l’hypercentre, ce qui était un bon point pour Roy ; cela signifiait plus d’espace et plus d’intimité, exactement ce dont il avait besoin.

« D’accord, d’accord, je te suis » indiqua t-il à Avalon.

Vivianne trottinait à leurs côtés pendant qu’Alma promenait ses grands yeux autour d’elle, de son air curieux et sage à la fois. Ils finirent par arriver dans une rue résidentielle, très calme, composée de grandes maisons à peine visibles derrière les hautes haies et les clôtures sécurisées ; le signe d’un quartier occupé par de riches familles. Evans, l’agent immobilier moldu qu’ils avaient chargé de leurs recherches, les attendait devant un portail aussi haut que celui des voisins. Roy serra la main qu’il lui tendait, décidé à voir ce qu’il avait dans le ventre pour lui vendre quelque chose ici :

« Il y a intérêt ! C’est pas vraiment le lieu que j’imaginais…
- Je sais, vous teniez à un paysage proche de la mer, admit l’agent. Mais nous avons convenu avec votre épouse que la maison valait largement le détour. Elle bénéficie d’ailleurs déjà d’une offre d’une autre famille qui a eu un coup de coeur, alors qu’elle n’est même pas encore sur le marché, pour vous dire à quel point c’est un bijou. J’ai rarement vu un bien prêt à partir aussi vite… 
-Jouer sur la rareté pour vendre votre affaire, je vois que vous connaissez bien votre métier, commenta Roy avec un léger sourire railleur, ce qui tira un rire à l’agent.
-Vous allez très vite constater que ce n’est pas du bavardage commercial, répondit t-il en refermant soigneusement le portail derrière eux avec le boitier électronique qu’il tenait dans sa main.

Il les laissa avancer et découvrir la demeure, qui était plus grande que ce à quoi Roy s’attendait. Quand ils avaient discuté avec Avalon, ils avaient imaginé une maison avec cinq ou six chambres maximum, pour que Vivianne, Alma et Teresa puissent chacune avoir leur chambre, et laisser une ou deux chambres supplémentaires ; il était toujours pratique d’avoir une chambre d’ami, et même s’il n’en était pas question pour le moment, ils préféraient se laisser la possibilité d’avoir d’autres enfants plus tard.

À vue de nez, cette maison devait en posséder au moins sept ou huit, vu la taille de l’ensemble.

« Combien de chambres ? demanda Roy, après que l’agent eut terminé son introduction.
-Alors, à l’heure actuelle, il y a huit pièces qui font office de chambres. Cependant, la maison est faite de telle manière que les recompositions sont facilement envisageables ; si vous préférez par exemple, aménager un bureau, une bibliothèque ou des salons supplémentaires, tout est possible. »

Roy n’était pas dérangé par l’idée d’avoir beaucoup d’espace -loin de là- mais il tourna un regard un peu surpris vers Avalon, en revanche.

« Dis donc, c’est pas toi qui me disais que ma villa était beaucoup trop grande ? » la taquina t-il.

Il reporta son attention sur le bâtiment dont ils approchaient. Il devait reconnaître que la maison avait un aspect extérieur très plaisant ; tout juste ce qu’il fallait d’équilibre entre le charme de l’ancien avec les murs en pierre et la modernité avec les grandes baies vitrées. Un détail cependant accrocha son regard alors qu’ils approchaient du porche monumental devant l’entrée.

« Je vois des fenêtres sur le toit, il y a un étage mansardé ?
-En effet ! Un mansart très généreux, pour tout vous dire, la hauteur sous plafond est très correcte, les fenêtres sont grandes et le climat intérieur est bien maîtrisé grâce à la rénovation de la toiture. Vous n’aurez pas du tout l’impression de vivre sous les combles, là-dedans. Mais nous verrons ça plus tard, je vous propose de commencer par le rez-de-chaussée. »

Le commentaire de Roy tira un rire à Avalon. La maison qu'ils visitaient était immense et dépassait de loin la superficie sur laquelle ils s'étaient accordés en commençant leurs recherches. Et c'était exactement ce qu'Avalon avait souligné à leur agent immobilier, lorsqu'il l'avait appelé pour lui présenter le bien ; huit chambres, c'était quatre de trop par rapport à ce dont ils avaient besoin au quotidien. Oui mais, avait rétorqué Evans, la maison était idéalement située dans Oxford, le jardin était magnifique et elle valait au moins une visite. Avalon n'avait pas pu contre-argumenter sur le premier point, surtout que les biens immobiliers étaient rares dans cette ville, éloignée de moins de cent kilomètres de la capitale anglaise.

Alors oui, la maison était immense, presque démesurée par rapport à leurs besoins et Avalon ne pouvait pas dire qu'elle ressentait une profonde indifférence à ce sujet. Elle n'avait jamais eu un rapport neutre à l'argent ; elle était née pauvre et ce statut social la collait comme une ombre. Elle ressentait un mélange de fierté, de fascination et de culpabilité envers sa réussite sociale. Son ascension dans le monde magique lui avait offert une influence. Son mariage avec Roy l'avait fait devenir milliardaire. Sa vie était confortable, luxueuse et elle n'en regrettait rien. Mais il y avait toujours cette pointe d'illégitimité quand elle constatait le fossé immense qui la séparait des siens.

« Regarde-moi, à faire des compromis. » lança-t-elle finalement à Roy avec un sourire en coin. « J'espère que tu vas suivre mon exemple. »

Ils suivirent l'agent immobilier jusqu'à l'imposant porche de la maison. Même si elle avait déjà fait cette visite quelques jours plus tôt, Avalon écouta avec attention les informations données par Evans et leva les yeux vers les grandes fenêtres de l'étage. Elle n’avait pas été particulièrement dérangée par l’étage mansardé mais concevait qu’il s’agissait probablement du point faible de la maison – bien que le climat (très) tempéré de l’Angleterre avait au moins pour atout de ne pas trop les exposer aux fortes chaleurs.

« Alors… Voici l’entrée de la maison. » indiqua l’agent immobilier en les invitant à entrer. Il referma la porte derrière eux et s’avança de quelques pas. « Le parquet est en bois massif, comme dans quasiment toute la maison, outre quelques pièces d’eau et la cuisine. Ce que j’aime beaucoup dans cette entrée, c’est la présence de la pierre, qui rappelle la façade de la maison. » commenta-t-il en désignant la niche à gauche de la porte d’entrée. « Et c’est quelque chose qu’on retrouve à plusieurs endroits de la maison, une alliance entre la pierre brute, ancienne et des éléments résolument modernes, ce qui confère un charme particulier à l’ensemble. » En revenant au centre de la pièce, Evans poursuivit : « Le rez-de-chaussée est divisé en deux parties. Il y a trois chambres sur votre gauche mais on va d’abord commencer par les parties communes, suivez-moi… »

Vivianne trottinait derrière Evans et pénétra la deuxième dans un grand dégagement, où se trouvaient les escaliers qui menaient à l’étage.

« C’est vraiment immense. » fit-elle en levant les yeux, un air un peu rêveur sur le visage.

La luminosité importante et le choix des matériaux donnaient une certaine allure à l’entrée. Le parquet en bois massif craquait légèrement sous leurs pas et Roy y laissa traîner un regard appréciateur. Il avait fait le choix de mettre du carrelage dans beaucoup de pièces de sa villa à Bristol, ce qu’il avait fini par regretter ; les moindres traces de chaussures sales s’y voyaient très vite et Toni n’avait jamais pris le pli de les retirer dans l’entrée.

Le dégagement qui accueillait l’escalier principal de la maison se révéla encore plus lumineux et chaleureux que l’entrée. Toute la hauteur de la maison se déployait au-dessus d’eux, ce qui accordait beaucoup de prestance à l’espace. Derrière l’escalier, on devinait une grande verrière qui semblait donner sur un salon. Roy contourna le petit bureau au centre du dégagement, les yeux levés vers les poutrelles en bois qui supportaient la toiture.

« Bel espace, accorda t-il à l’agent qui semblait attendre ses réactions.
-N’est-ce-pas ? rebondit t-il avec un sourire ravi. Comme je vous le disais, toute l’architecture est pensée dans un équilibre entre l’ancien et le moderne : les pièces sont très lumineuses et bien équipées, avec des petits détails charmants comme les poutrelles en bois sur le plafond. Puisqu’on voit la verrière d’ici, je vous invite à me suivre dans le premier salon. »

Tout en marchant, Vivianne ne décollait pas les yeux des lieux et son commentaire tira un bref sourire à Roy. Il posa sa main sur son épaule pour l’interpeler.

« Elle te plaît cette maison, Viv’ ? »

Même si la jeune fille n’avait pas le dernier mot sur le choix final, son avis importait pour Roy. Elle le livra en toute franchise, avec des étoiles dans les yeux :

« Oui ! Beaucoup. C’est celle que je préfère, de toutes celles qu’on a visitées. »

Roy pouvait comprendre pourquoi : il devait reconnaître que l’intérieur de la maison avait tout autant d’allure que l’extérieur. Pour le moment, il ne trouvait rien à redire sur ce qui passait devant son regard et c’était rare. La découverte du salon fut une étape plus plaisante encore. Après un premier sas joliment décoré, mis en valeur par un sol en terre cuite, ils passèrent dans une grande pièce lumineuse. Tout le salon s’organisait autour d’une longue colonne en pierre qui contenait la cheminée. D’un air satisfait, Vivianne s’assit sur l’un des canapés, comme pour en tester le rebondi.

« C’est le plus grand salon de la demeure, présenta Evans.
-Combien de mètres carrés ? s’enquit Roy.
-Quarante-neuf ! La baie vitrée que vous voyez sur ce mur donne accès à une terrasse que nous irons voir tout à l’heure. Elle est accessible depuis cette pièce et également depuis la salle à manger principale, ce qui fait de cette zone de la maison un lieu idéal pour accueillir un grand nombre d’invités. C’était un critère important pour vous, il me semble ?
-Oui, on a une famille assez nombreuse et beaucoup d’amis.
-Vous pourrez les recevoir ici dans le plus grand confort. La salle à manger est par ici, vous pouvez y accéder directement depuis le salon, ce qui permet de bouger facilement vos invités pendant la soirée. Assez généreuse également, trente-deux mètres carrés. Vous pouvez facilement y installer une grande table pour dix ou douze personnes. Ici, les propriétaires ont voulu une ambiance très chaleureuse et conviviale, avec une forte présence du bois, au plafond et sur les murs. Bien sûr, le mobilier ne va pas rester -tant mieux, songea Roy en considérant l’épaisse table en bois et les chaises en osier qui étaient un peu trop campagnardes pour lui- mais les étagères incrustées dans le mur que vous voyez ici resteront telles quelles. »

Roy les évalua du regard en passant sa main sur l’une des étagères qui accueillaient de la vaisselle et de la décoration. Doux sous ses doigts, le bois couleur caramel réchauffait indéniablement la pièce.

« C’est très beau et bien fait.
-Toutes les prestations ont été réalisées par des artisans d’expérience. C’est le même menuisier qui a fait ces superbes arches ici, venez donc voir. »

Derrière la salle à manger, un passage donnait sur la pièce suivante. Roy palpa l’embrasure des arches recouvertes d’un épais et élégant placage en bois cintré.

« Ok, ça j’adore » reconnut t-il avec un sourire cette fois.

Roy et Avalon avaient déjà visité plusieurs maisons, avant celle-ci. Certaines situées dans des villes côtières comme Liverpool et d'autres davantage dans les terres. Comme lorsqu'ils avaient acheté leur appartement à Bristol, ils avaient dressé une liste interminable de critères - impossible à satisfaire dans son intégralité, notamment parce que certains étaient contradictoires. Le sourire de leur agent immobilier s'était un peu figé lorsque ses yeux avaient parcouru la feuille. Cela n'avait pas échappé à Avalon, qui avait échangé un regard railleur avec son mari. « On va vous trouver la perle rare », avait finalement affirmé Evans en rangeant la feuille dans un dossier cartonné.

Mais pour l'instant, ils n'avaient eu aucun coup de cœur pour les maisons qu'ils avaient visité. Elles étaient trop petites, ou mal agencées, ou situées dans un quartier trop bruyant, ou manquaient cruellement de charme. Or, ils n'avaient pas envie d'acheter juste pour déménager. Ils s'interdisaient même un peu cette énième fuite, en s'accordant le temps de trouver la maison dans laquelle ils se sentiraient de s'établir définitivement. Et c'était finalement ce qu'Avalon avait pensé en visitant pour la première fois cette maison ; elle pourrait vivre ici. Pas simplement survivre ou se cacher mais y vivre. La salle à manger appelait aux longs dîners, le salon aux retrouvailles devant la cheminée, la terrasse aux belles soirées d'été. En observant les lieux, Avalon se projetait facilement dans un futur où ces rêveries pourraient devenir des souvenirs.

Sentir Roy réceptif à cet endroit lui tira donc un sourire - peut-être encore plus large car elle savait que son mari n'était jamais avare en critique lorsqu'il achetait quelque chose (en même temps, autant Avalon râlait lorsque cela concernait un achat peu conséquent, autant elle le comprenait davantage lorsque l'achat en question se chiffrait en millions.)

« Moi aussi. » lui confia-t-elle alors en s'approchant de lui. A son tour, elle posa sa main sur le bois de l'arche. « J'aime bien que les pièces soient séparées mais pas totalement fermées.
-Ça donne ce qu'il faut d'intimité mais ça ne casse pas le volume d'une pièce, comme peut le faire une porte fermée, commenta Evans.
-Et le bruit ne se propage pas trop ?
-Pas particulièrement, puisque les pièces sont relativement fermées ! Et la partie nuit est très bien isolée des parties communes. »

En parlant, Evans s'était légèrement engouffré à travers l'arche. Il les incita à les suivre avec un petit geste de la tête.

« Suivez-moi, la cuisine est juste derrière. »

Ils débouchèrent en effet sur une cuisine, dont le bois du bar rappelait le bois des arches et celui des étagères de la salle à manger.

« Vous avez donc la cuisine contre le pan de ce mur, avec un îlot central qui augmente considérablement la surface de travail... Et de rangement. » ajouta Evans en désignant les nombreux placards. « Et c'est sans compter le beau cellier à l'arrière. » Cette fois-ci, il pointa du doigt une porte. « Dans lequel vous pouvez tout-à-fait installer une cave à vin, les conditions s'y prêtent à merveille.
-Ce serait pratique. » concéda Avalon en glissant un regard vers Roy.

La faiblesse de leur appartement actuel était la cuisine ; malgré sa taille, elle présentait peu d'espace de rangement et de stockage.

« Et donc cette cuisine donne sur un autre salon, plus petit, plus intime peut-être aussi. » fit Evans en se retournant. « Qui profite de la lumière naturelle grâce à cette belle baie vitrée. Plus qu'un salon pour recevoir, c'est un salon parfait pour y vivre au quotidien. Et le fait d'avoir la cuisine ouverte sur cet espace vous permet de garder facilement un œil sur les enfants. Évidemment, il y a également un espace pour manger juste ici. Plus petit que la salle à manger à côté, il permet néanmoins d'accueillir six adultes très facilement et huit personnes en comptant des enfants.
-J'adore ce salon, confia Avalon à Roy en posant une main sur son bras. Le fait d'avoir un espace plus petit, juste pour nous et en même temps de pouvoir profiter du grand salon quand on reçoit du monde... C'est vraiment bien.
-C'est fou d'avoir autant de canapés, quand même. » s'étonna Vivianne, qui testait l'assise de chacun. « On peut s'asseoir sur un différent tous les jours !
-Mais comme ça, quand on regarde un film, tu peux bien t'allonger, fit remarquer Avalon avec un sourire en posant une main sur son épaule.
-Ah bah ça c'est clair, parce que s'il y en a qu'un seul, tu prends toute la place dessus. »

Vivianne baissa brusquement la tête pour éviter la main de sa sœur qui venait ébouriffer ses cheveux, l'air faussement indignée.

Evans, qui avait un discret sourire face à cette scène familiale, finit par s'éclaircir la gorge.

« Est-ce que vous voulez voir la partie nuit ? Il y a notamment la suite parentale et je pense qu'elle devrait vous plaire. »

Après la salle à manger dans les tons bois et ocre, ils entrèrent dans un salon-cuisine habité d’un blanc lumineux. La première chose qui frappa le regard de Roy fut la taille de la cuisine, ce qui le poussa à dire à Avalon :

« Là, ma mère va pas pouvoir se plaindre de la taille de notre cuisine. »

Elle avait glissé un commentaire en ce sens quand elle avait découvert leur appartement à Bristol pour la première fois. Il fallait dire qu’Elena possédait une cuisine presque aussi grande que son salon, ce qu’elle justifiait très simplement : dans la culture mexicaine, c’était la pièce la plus importante de la maison, disait t-elle d’un ton docte. C’était là où toutes les conversations importantes se tenaient, là où la famille se retrouvait pour préparer ensemble de grands repas pour trente personnes, dans la joie et la bonne humeur. Si Roy n’investissait pas autant sa cuisine à titre personnel, il n’avait rien contre laisser sa mère y faire ses plats préférés, en tout confort.

Roy n’était plus aussi méfiant qu’au début de la visite, maintenant qu’il avait vu les pièces à vivre du rez-de-chaussée et qu’elles lui avaient tapé dans l’oeil. Le reste de la visite vers les chambres se déroula sous de bons auspices également. Il y avait trois chambres au rez-de-chaussée, qui comportait chacune leur dressing et leur salle de bain, ce qui était parfait pour leur famille ; une pour eux, une pour Vivianne qui était ravie de pouvoir avoir sa chambre à elle, et la dernière pour Alma et Teresa qui pourraient partager l’une d’entre elles tant qu’elles étaient encore petites.

Si Roy n’eut rien à dire sur le rez-de-chaussée, il fut en revanche plus tâtillon à l’étage ; il n’était pas fan du choix des carrelages dans les salles de bains, il avait en horreur le papier peint des chambres d’enfants et certaines d’entre elles lui parurent un peu petites. Mais il convint en regardant le plan qu’abattre quelques cloisons et changer les finitions suffirait à régler le souci.

Parce que l’agent connaissait bien son métier, il leur réserva pour la fin de la visite le clou du spectacle ; l’aménagement extérieur, avec son beau jardin et sa gigantesque piscine flambante neuve. Un immense porche abritait une terrasse couverte juste devant la piscine, dans un effet grandiose. Un sourire aux lèvres, il admira la vue un instant, avant d’admettre :

« Ok, définitivement le papier peint à fleurs de l’étage n’est plus un souci, là. »

Il désigna à Avalon la petite terrasse aménagée, sous une toiture accolée au porche où se trouvait une table à manger et un charmant barbecue.

« Regarde, on pourrait carrément installer une cuisine d’été, là, juste à côté du barbecue. »

Et cette remarque anodine voulait déjà tout dire ; s’il commençait à se projeter, l’affaire était déjà presque gagnée. Comme pour enfoncer le clou, l’agent vanta les mérites de la piscine :

« Elle a été finalisée l’été dernier, tout est en excellent état. Les propriétaires ont installé un système de traitement au sel, plutôt qu’au chlore. C’est beaucoup moins odorant et moins agressif pour la peau et les yeux.
-C’était ce que j’avais à Bristol aussi, approuva Roy, tout à fait sensible à tout ce qui pouvait préserver sa peau dans un état d’éternelle jeunesse. Ce fut le moment où Alma éternua contre son torse, dans un petit son absolument adorable, comme pour se manifester. Il posa sa main sur son dos d’un geste tendre, en prenant une voix amusée : Mais oui, ça va être bien pour ta petite peau de bébé aussi, Almalita. »

Vivianne -qui avait décidé de tester toutes les assises de la maison- faisait déjà mine de prendre un bain de soleil sur un transat. Evans s’approcha du couple, son téléphone à la main.

« Eh bien voilà, la visite est terminée. Je vous laisse quelques minutes pour discuter entre vous, je dois passer un appel. Je reviens très vite vers vous pour discuter du prix si le bien vous intéresse. »

Roy hocha la tête et le regarda s’éloigner, avant de tourner la tête vers Avalon. Elle le contemplait avec un sourire dont il devinait très bien la teneur ; c’était le genre de sourire qu’elle arborait quand elle attendait sagement qu’il admette une défaite. Levant les yeux au ciel, il fit son mea culpa avec un sourire en coin :

« Ok, j’avoue, tu as déniché un truc qui valait le déplacement. » Il balaya du regard le paysage autour d’eux. La taille généreuse du jardin et les grands arbres qui entouraient la propriété créaient un silence agréable autour d’eux et leur donnaient l’impression d’être coupés du monde. « On pourrait presque oublier qu’on est à Oxford ici… Par contre, je sais pas comment on va occuper huit chambres autrement qu’en passant les prochaines années à faire des bébés. »

Lorsqu'ils passèrent à l'extérieur, après avoir longuement visité les chambres et l'étage, Avalon avait un sourire aux lèvres. Si Roy s'était montré plus critique envers l'étage, il avait aussi rapidement admis que quelques travaux suffiraient à transformer l'espace en un endroit plaisant, qui remplirait aisément ses critères très pointus. Quant au jardin, Avalon ne doutait pas une seule seconde qu'il lui plairait aussi ; c'était même en le découvrant qu'elle s'était dit qu'il fallait absolument qu'elle y amène Roy. Il était grand, si grand qu'on entendait à peine la rue, déjà masquée par les arbres. La piscine était immense, bordée par une terrasse qui accueillait plusieurs transats. Une belle table se trouvait à quelques mètres de là et profitait de l'ombre du porche, tout en bénéficiant d'une proximité idéale avec le barbecue. Le commentaire de Roy n'échappa pas à Avalon, dont le sourire s'accentua encore un peu.

« Moi, j'aimerais bien voir si on peut prolonger la terrasse pour installer un grand salon de jardin. Tu sais, un peu comme celui qu'on avait installé pour notre mariage, avec le brasero. Ce serait parfait, avec la vue sur la piscine... »

L'agent immobilier en profita pour rebondir sur ce dernier point et leur donner quelques informations sur la construction de la piscine, dont le traitement avait été pensé pour être moins agressif que celui au chlore. La visite prit fin quelques minutes plus tard et Evans s'éloigna aussitôt, son téléphone à la main, sans doute aussi pour leur laisser un peu d'intimité pour discuter. En tournant la tête vers Roy, Avalon avait un sourire tranquille accroché aux lèvres, et ce regard presque insistant, un peu malicieux, qu'elle avait souvent quand on s'apprêtait à lui donner raison.

« Je t'avais dit qu'elle était parfaite. » souligna-t-elle en haussant les sourcils. Elle fit un pas vers lui pour entrelacer ses doigts aux siens. Elle baissa un regard tendre et soucieux vers Alma et réajusta son chapeau sur sa tête avant de retrouver le regard de son mari. Son commentaire lui tira un rire mais elle secoua la tête. « On est passé d'un foyer à deux à un foyer à cinq en quoi ? Six mois ? Je pense qu'on a mérité une pause. »

Il y avait de l'humour dans son ton mais une ombre dans ses yeux. Depuis la naissance d'Alma, Avalon n'avait pas songé une seule seconde à une hypothétique deuxième grossesse. Entre le déni, les complications, l'accouchement prématuré et l'enlèvement, elle ne parvenait pas du tout à se projeter dans une nouvelle expérience de maternité. Paradoxalement, elle savait qu'elle voulait d'autres enfants.

« Mais un jour, oui. » poursuivit Avalon. « Et on sera sûrs d'avoir la place, on n'aura pas à déménager encore une fois. En attendant, on peut occuper l'étage autrement, faire une salle de jeux pour les enfants, aménager une salle de sport... » En captant le regard de Roy, elle concéda : « Je sais, elle est beaucoup trop grande. Mais quand on l'a visité, tu t'es pas senti super bien, toi aussi ? Je sais pas, j'ai l'impression qu'on pourrait vraiment se sentir chez nous, ici. »

Et c'était un sentiment précieux, qu'elle avait rarement ressenti ces dernières semaines.

« Et je sais que c'est loin de la mer alors que ça te tenait vraiment à cœur mais j'ai réfléchi. Là, la priorité c'est l'achat de notre maison principale et la maison à la Nouvelle-Orléans. Mais peut-être qu'on pourrait acheter une maison secondaire, sur la côte anglaise ? Pas tout de suite mais dans quelques années ? » lui proposa-t-elle en serrant sa main dans la sienne. « Je pourrais même vendre mon appartement à Londres, si on a besoin d'un apport. »

« Oh c’est une bonne idée, ça » approuva Roy au sujet du salon de jardin. « Il y a de la place derrière le porche, ça devrait être possible… On pourrait demander son avis à Abel. »

Le brasero chez ses parents rendait mémorables tous les dîners dans le jardin. Il se souvenait y avoir passé des heures à s’y réchauffer, enlacé avec Avalon, sur la fin de leur soirée de mariage, quand tout le monde somnolait plus ou moins. Un archimage de renom comme Abel pourrait certainement leur proposer un joli aménagement, comme pour tous les autres travaux qu’ils pourraient faire dans cette maison : élargir le dressing de la suite parentale, casser quelques cloisons à l’étage pour réduire le nombre de chambre et agrandir leur taille, changer les salles de bain, aménager une salle de jeu pour les enfants… Les idées et les envies grouillaient déjà dans la tête de Roy, ce qui semblait être le cas d’Avalon également. Elle posa les bons mots sur le sentiment qui s’épanouissait doucement en lui ; l’impression de pouvoir s’y sentir chez eux.

Roy tourna son regard vers elle, alors qu’elle lui faisait une proposition pour appuyer son argumentaire. Dans leur situation financière personnelle, les deux époux n’étaient pas égaux ; même si Avalon gagnait très bien sa vie et possédait un bel appartement au coeur de la capitale qui valait son pesant d’or, Roy, lui, possédait une richesse qui se chiffrait à sept zéros, si l’on comptait ses biens immobiliers dans le lot. Même s’il quittait les Veilleurs, il était prévu qu’il parte avec une belle enveloppe et surtout, il comptait bien continuer à construire sa fortune ailleurs. C’était donc lui qui assumait une grande partie des dépenses de leur famille -et c’était de toute manière la fortune d’Avalon également, par leur mariage- et il le faisait sans pinailler, ni compter. Qu’elle soit prête à sacrifier son premier achat immobilier, cet appartement qui comptait tant pour elle parce qu’il représentait toute sa réussite et son attachement à Londres, simplement pour lui offrir cette vue sur la mer qu’il désirait, signifia beaucoup aux yeux de Roy. Touché, il déposa un baiser sur son front, pour la remercier.

« T’es un amour » dit-il avec un sourire, avant de considérer sa proposition. « On verra, on sera peut-être pas obligés de faire ça, je sais qu’il compte pour toi, cet appart’. » Mais c’était difficile à estimer pour le moment, alors qu’ils ne savaient pas encore de quoi était fait leur avenir professionnel. Pour l’instant, ils avaient établi un budget pour les deux achats qu’ils envisageaient à court terme : une maison principale ici et une autre à la Nouvelle-Orléans, pour les moments où ils venaient voir Teresa. Or, celle dans laquelle ils se trouvaient dépassait certainement ce qu’ils avaient prévu, ce n’était pas le moment de faire trop de plans sur la comète. « J’aime bien l’idée d’une maison secondaire en bord de mer, en tout cas… »

Et il commençait à se faire à l’idée qu’elle ne pourrait être que secondaire : ils avaient fait le tour des villes côtières pas trop éloignées de Londres et suffisamment urbaines, sans tomber sur un coup de coeur. Cette maison était la seule qui les convainquait tous les deux et Roy savait que c’était une occasion à ne pas laisser filer, car ils avaient du mal à se mettre d’accord. Il finit par faire l’aveu de sa capitulation à Avalon :

« Enfin, disons que je veux bien m’y résigner pour une maison comme celle-là… T’as gagné. » Il avait un sourire aux lèvres, parce qu’au fond, cette défaite n’avait pas de goût amer. Elle avait plutôt la douceur et l’enthousiasme d’une bonne décision pour leur famille. Après toutes les épreuves qu'ils venaient de traverser, cette promesse d'une vie paisible n'était pas seulement agréable, elle était salvatrice. « Elle est parfaite, cette maison, et on trouvera bien de quoi occuper l’espace. »

La voix de Vivianne, qui semblait tendre l’oreille depuis son transat, éclata à côté d’eux : elle venait de les rejoindre, d’un air surexcité.

« On va la prendre ? »

Ce fut un sourire carnassier qui prit place sur le visage de Roy, alors qu’il répondait :

« Et comment qu’on va la prendre. On va même l’arracher aux gens qui ont déjà fait une offre, je te le dis. Personne ne peut refuser mes offres à moi. »