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Le premier jour du reste de ta vie [OS]

Joséphine Walker
Joséphine WalkerProfesseur de danse
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Le premier jour du reste de ta vie [OS] Icon_minitimeSam 24 Déc 2022 - 10:00
29 février 2012

Elle savait que ce moment serait difficile. Elle l'avait beaucoup redouté, au début. Puis, ces dernières semaines, elle s'était concentrée davantage sur l'accouchement. Elle avait mal au dos, elle n'arrivait plus à dormir, elle avait hâte de retrouver sa liberté de mouvement. L'impatience avait pris le pas sur l'inquiétude et elle avait compté les jours qui la séparaient de cette délivrance. Le moment était finalement arrivé, avec quelques jours de retard qui lui avaient paru interminables, et elle l'avait accueilli avec un mélange de soulagement et de nervosité. Cela avait été plus long que ce qu'elle pensait, très fatiguant, mais pas aussi douloureux qu'elle ne l'avait craint. Les injections de potion anti-douleur avaient été efficaces, et continuaient de produire leur effet. Elle aurait voulu se dire que le plus dur était passé, que c'était fini. Elle savait que ce n'était pas le cas.

Le plus dur, c'était maintenant. Elle était à moitié allongée sur son lit d'hôpital, encore moite de sueur, épuisée et un peu pâle. Elle n'avait pas mangé depuis longtemps et les dernières heures avaient été éprouvantes. Elle aurait certainement eu besoin d'un peu de sommeil, pourtant ses yeux restaient grands ouverts. Ils ne pouvaient pas se détacher de ce petit être qu'on avait posé dans ses bras, quelques instants plus tôt. C'était la première fois qu'elle le voyait. Elle n'avait pas voulu le prendre contre elle immédiatement après sa naissance, comme le faisait toutes les mères. Parce qu'elle n'était pas sa mère. Elle avait demandé à ce qu'il soit confié à Angus en premier. Il avait donc été amené immédiatement à son père, qui avait pu assister aux premiers soins pendant que les médicomages finissaient de s'occuper d'elle. Un peu plus tard, Angus était réapparu sur le pas de sa porte, un tout petit bébé au creux de ses bras immenses. Il lui avait demandé si elle souhaitait le voir. Elle n'avait pas pu dire non.

Ils étaient désormais seuls tous les deux, pour la première et la dernière fois de leurs vies. Pas tout à fait la première, songea-t-elle. Ils se connaissaient plutôt bien, après neuf mois de cohabitation. Joséphine effleura du bout des doigts les traits du poupon endormiC'était la première fois qu'elle le voyait et pourtant elle aurait pu le reconnaitre tout de suite. Il avait grandi en elle et tout, dans ce tout petit être, lui était familier. C'était ces minuscules petits pieds qui avaient donné tant de coups vigoureux dans ses côtes ces dernières semaines. Cette jolie petite tête toute ronde qui aimait s'appuyer sur sa vessie au beau milieu de la nuit. Ils se connaissaient déjà plutôt bien.

Elle se sentait envahie par une bouffée d'amour incontrôlable, et la perspective d'être séparée de ce bébé qu'elle avait porté pendant neuf mois lui paraissait soudainement insupportable. Elle était parfaitement consciente que c'était l'effet des hormones et de la fatigue, et qu’au fond elle ne désirait pas réellement garder cet enfant auprès d’elle, pourtant à cet instant elle n’arrivait pas à se résoudre à se séparer de lui. 

Elle n’avait pas envie d’être sa mère. Elle ne voulait pas se lever la nuit pour le réconforter quand il pleurerait, elle ne voulait pas réorganiser toute sa vie autour de la sienne, mais il était la chair de sa chair et elle l’aimait plus qu’elle n’avait jamais aimé quiconque. Elle ne s’était pas préparée à ça, à cet amour qui n'avait aucune raison, aucun ancrage autre que ce corps qu’ils avaient partagé pendant neuf mois. Elle n'avait pas désiré cet enfant, et elle ne le désirait toujours pas, pourtant elle éprouvait pour lui un amour qu’elle ne s’expliquait pas et qui lui déchirait le cœur.

Joséphine ne doutait pas de son choix, elle ne songea jamais vraiment à remettre sa décision en question. Elle savait que c’était la meilleure chose à faire, pour tous les deux. Il serait plus heureux auprès d’un parent qui l’avait attendu, qui s’était préparé à l’accueillir et qui, elle en était certaine, l’aimait déjà autant qu’elle. Et elle serait plus heureuse sans lui, même si elle avait du mal à le concevoir à cet instant.

Qu'est-ce qu'ils pourraient bien faire, tous les deux ? Elle n'avait rien à lui apporter. Elle essaierait de faire au mieux, bien sûr, parce qu’elle l’aimait, mais elle ne saurait pas prendre les bonnes décisions, le guider sur le bon chemin.  Elle finirait par lui en vouloir, de lui prendre son temps, son énergie, sa liberté. Elle gâcherait sa vie, comme elle avait tant de fois gâché la sienne. Et un jour il lui en voudrait aussi, d’avoir été trop présente ou pas assez, de ses opportunités qu’elle n’avait pas pu lui offrir, de cet égoïsme de l’avoir gardé pour elle quand il aurait pu avoir une meilleure vie ailleurs. Ils n’avaient aucun avenir, tous les deux. S’ils voulaient se laisser une chance d’être heureux, ils devaient se séparer.

Elle avait beau être persuadée qu’elle faisait ce qu’il y avait de mieux,  jamais un choix n’avait été si douloureux pour elle. Ce bébé au creux de ses bras était ce qu’elle avait fait de plus beau, de toute sa vie. Elle n’avait pas réussi beaucoup de choses et elle n’avait pas vraiment de quoi être fière d'elle, mais lui était parfait. Il était sa plus belle réussite, mais elle ne serait pas là pour admirer ses succès. Elle ne le verrait pas grandir, s’épanouir, devenir un petit garçon puis un jeune homme.  

Joséphine effleura le front du nourrisson du bout des lèvres pour y déposer un baiser. Elle sentait sa peau douce et chaude contre ses joues humides de larmes. Celles d'épuisement versées pendant l'accouchement et celles de tristesse qui continuaient de filer entre ses paupières. Elle pleurait tout doucement, en silence, pour ne pas troubler le repos paisible de ce tout petit être. Elle était bouleversée par sa vulnérabilité alors qu'il dormait sagement tout contre elle, comme s'il savait qu'elle le protégerait quoiqu'il arrive. Il semblait lui accorder une confiance qu'elle ne méritait pas, elle qui s'apprêtait à le trahir, à l'abandonner.  

Elle espérait qu’il ne lui en voudrait pas, qu’il ne grandirait pas en détestant cette mère biologique qui n’avait pas voulu de lui. Elle aurait voulu qu'il sache combien elle l'aimait. Qu’il sache qu’elle l’aimerait toujours, même si elle ne le verrait plus jamais. Qu’il comprenne que le laisser partir avait été l'épreuve la plus difficile de sa vie.  

Elle aurait fait n’importe quoi pour lui, et elle savait que cela signifiait lui dire adieu. 

Un sanglot s’échappa d’entre ses lèvres et réveilla le bébé qui s’agita en gémissant doucement.

"Oh non, non, je suis désolée, souffla-t-elle à travers ses larmes en le redressant doucement pour le caler contre son épaule, sa main derrière la petite tête couverte d'un bonnet blanc. Chut, chut, chuchota-t-elle doucement. Tout va bien. Elle le berça doucement jusqu’à ce qu’il ferme à nouveau les yeux. Elle sentait son petit souffle chaud contre sa peau nue. Il s’était rendormi. Tout ira bien."


Le premier jour du reste de ta vie [OS] Signature-Jo