LOSQ (Lutte Organisée contre le Stupide Quidditch) [Sasha]

Andrew avait fini par s'endormir. Sarah voyait qu'il luttait contre le sommeil depuis plusieurs minutes déjà, ses yeux se fermaient par intermittence avant qu'il ne redresse la tête, reprenant tant bien que mal sa phrase. Elle le regardait faire avec tendresse, un sourire amusé sur les lèvres. Ses temps d'éveil s'étaient allongés ces derniers temps mais il restait tout de même très fatigué. Il avait quitté la réanimation voilà quelques jours pour monter en soins intensifs. C'était un soulagement, un pas de plus vers la sortie. Dix jours étaient passés depuis l'accident, un temps qui leur semblait aussi bref que long. Ils espéraient tous qu'il serait sorti pour passer Noël à la maison.

Les médicomages tempéraient leurs attentes à ce sujet mais les nouvelles rassurantes se succédaient depuis son réveil. La priorité pour les soignants avait été de faire un bilan neurologique. Les trois arrêts cardio-respiratoires dont il avait souffert - sur le terrain, dans l'ambulance et au bloc - avaient pu causer des dommages cérébraux, avaient-il expliqué. Dès son réveil, il avait passé plusieurs examens dont les résultats avaient été satisfaisants. Les massages quasi-immédiats dont il avait bénéficié à chaque fois avaient préservé l'oxygénation de son cerveau, en plus de lui sauver la vie. Le pronostic vital avait été levé dans la matinée du lundi, à leur plus grand soulagement. Le poids qui pesait sur la poitrine de Sarah s'était dénoué. Elle respirait enfin. Olivier avait pu prévenir tout le monde, leurs familles, leurs amis, l'école et cette fois-ci, elle avait accepté de leur parler aussi. Elle avait partagé ses larmes de soulagement, ses peurs, sa fatigue, avec ses amies et leurs voix familières et chaleureuses de l'autre côté du combiné avaient semblé raccommoder quelque chose en elle.

Dès le mardi, Andrew avait eu faim. Olivier s'était empressé d'aller lui chercher ce dont il avait envie, à savoir des frites et un hamburger. Il n'avait pas tout fini, pris d'une nausée au bout de quelques bouchées, mais Sarah avait songé qu'elle n'avait jamais été si soulagée de le voir manger n'importe quoi à n'importe quelle heure. Les infirmiers l'avaient mobilisé dès le mercredi, pour qu'il puisse bouger. Il était sorti difficilement de son lit, aidé, endolori en s'appuyant sur les soignants mais il s'était mis debout. Les médicomages avaient évoqué un possible transfert vers les soins intensifs dès le vendredi, mais une infection inquiétante s'était déclarée, repoussant ce projet de quelques jours. Les potions avaient fait effet rapidement, rassurant tout le monde. Il avait fini par gagner son déménagement le dimanche.

L'arrivée en soins intensifs avait été pour eux l'occasion d'en apprendre un peu plus sur l'étendue des blessures d'Andrew, lorsque la médicomage avait fait le point. Le docteur Minnick avait pris le temps de s'asseoir avec eux, pour qu'ils comprennent mieux ce qui était arrivé. L'accident avait été extrêmement traumatique. Un de ses poumons avait été perforé, ainsi que la plèvre (peut-être durant les massages cardiaques), il avait souffert d'un traumatisme rénal, sa rate avait éclaté et n'avait pas pu être sauvée par les chirurgiens. Il avait eu plusieurs hémorragies internes et avait donc perdu beaucoup de sang. La chute avait induit une contusion cardiaque, qui avait participé aux multiples arrêts. Le traumatisme crânien avait été violent, au point qu'il affectait encore son sens de l'équilibre. Il avait également eu plusieurs fractures, notamment à l'humérus gauche, au coude droit, et au tibia de la jambe droite. Il avait souffert d'un déplacement des vertèbres C3 et C4 qui avait été "correctement" stabilisé au bloc. Même si la magie pouvait faire des miracles avec les os, la médicomage estimait qu'il allait avoir besoin d'une rééducation et surtout, de beaucoup de temps pour se remettre. Olivier avait fini par poser la question qui devait lui brûler les lèvres depuis plusieurs jours : "Il pourra jouer de nouveau ?" Le docteur Minnick avait gardé le silence quelques secondes. "Concentrons-nous sur l'essentiel pour le moment : qu'il ne garde pas de séquelles au quotidien."

Ils avaient soigneusement évité le sujet avec Andrew. Il leur avait posé la question pourtant mais Sarah avait simplement répondu que pour l'instant, il fallait qu'il guérisse avant de remonter sur un balai. C'était peut-être la fatigue ou les médicaments, mais il s'en était contenté. Lorsqu'elle en avait reparlé avec Olivier, il avait eu une toute autre explication : leur fils n'envisageait même pas que cet accident puisse avoir des conséquences si graves. Après tout, la magie pouvait tout arranger, non ?

Eux savaient bien que non. Ils avaient vécu la guerre et des blessures que même les plus grands médicomages ne pouvaient guérir. Même quand aucun maléfice n'était impliqué, le corps peinait parfois à se remettre. Olivier en avait fait les frais. Il avait reçu un cognard dans l'épaule alors que son bras était en plein déploiement lors d’un match contre les Cerfs-volants de Karasjok. Malgré les interventions des meilleurs médicomages du sport, malgré la rééducation, il en avait conservé une raideur et des douleurs qui avaient mis fin à sa carrière à trente trois ans seulement. Pour autant, ce n’était pas ce qui préoccupait Sarah pour le moment. Elle souhaitait surtout qu’Andrew se remette, sorte de l’hôpital et passe Noël à la maison. C’était leur priorité. Elle eut un regard tendre pour son fils, dont la respiration s’était apaisée. Un soupir lui échappa alors qu’elle s’appuyait en arrière sur sa chaise. Marcher un peu lui ferait du bien... Elle attrapa sa veste, remonta la couverture sur les épaules d’Andrew et sortit de la chambre en refermant doucement la porte derrière elle.

Elle croisa un aide-soignant qu’elle salua d’un sourire avant de passer devant le poste infirmier. Quelques mètres pour lui, elle crut distinguer un visage familier. Sasha Benson, la meilleure amie de son fils, qui aurait dû être à l’école... songea Sarah dans un réflexe purement parental. Elle lui fit un petit signe de la main avant de s’approcher d’elle.

- Sasha, ma puce, ça fait longtemps ! Comment vas-tu ?

Elle n’avait pas vu la jeune fille à la maison pendant l’été, contrairement aux années précédentes.

- Tu venais voir Andrew ? Il vient de s’endormir... Il est très fatigué, encore.

Andrew allait vivre. Le poids qui pesait sur la poitrine de Sasha depuis l'incident s'était un peu allégé quand elle avait appris la nouvelle. Il allait survivre. Il allait revenir. Ils allaient pouvoir se parler. Cette perspective, qu'elle aurait repoussé quelques semaines plus tôt, l'angoissait toujours un peu mais elle était consciente de la chance qu'elle avait de pouvoir l'envisager à nouveau. Elle n'était pas tout à fait certaine de ce qu'elle voulait lui dire, mais elle sentait qu'elle avait besoin de le voir.

Immédiatement après l'annonce, lundi dernier, elle était allée trouver le professeur Forbes pour demander une autorisation de sortie. Il la lui avait refusé, au motif que seule la famille était autorisée dans la chambre pour le moment. Elle avait réessayé le lendemain auprès du professeur Londubat, sans plus de succès. Elle avait eu beau argumenter qu'elle devait lui amener ses devoirs, et qu'elle était presque majeure -donc presque adulte- rien n'y avait fait.

Frustrée de ne pas pouvoir son meilleur ami -alors qu'il était réveillé depuis deux jours !- elle s'était consacrée à lui préparer des fiches, pour son retour à l'école. Elle avait commencé à assister aux cours de matières qu'elle ne suivait plus depuis l'année dernière, qu'elle avait résumés dans des fiches détaillées et colorées. Puis elle avait fait des fiches de ces fiches, plus concises et avec beaucoup de schémas. Elle y consacrait tout son temps. Elle travaillait le matin avant le début des cours, pendant la pause déjeuner, le soir. Elle réalisait parfaitement que ce n'était qu'un moyen pour elle de s'occuper l'esprit et de se sentir utile, mais c'était la seule façon qu'elle avait trouvé de ne pas devenir complètement folle.

Elle était revenue à la charge tous les jours, décidée à obtenir un droit de visite. Elle avait proposé d'aller à Ste-Mangouste en dehors de ses horaires de cours -elle avait vérifié avec les heures de visites autorisées et il y avait trois créneaux possibles pendant la semaine. Elle avait promis de ne rester que cinq minutes -on ne se rendrait même pas compte qu'elle était partie ! Elle avait même offert de faire le double de rondes de surveillance pendant une semaine si on la laissait y aller. Après des jours de négociation et après avoir assisté à son troisième cours d'étude des moldus -option qu'elle n'avait jamais suivie car elle lui était parfaitement inutile- elle avait finalement reçu l'accord du Professeur Forbes. Elle était à moitié persuadée que c'était parce qu'il en avait marre de la voir au premier rang de son cours, mais peu importait. Elle avait le droit d'aller voir Andrew le lendemain, entre midi et quatorze heures.

Le jour même, alors qu'elle aurait dû être impatiente de revoir enfin son meilleur-ami, elle avait l'estomac noué et se retrouva soudainement prise de doutes. Peut-être qu'il n'aurait pas envie de la voir. Elle l'avait évité pendant des mois, il était en droit de lui en vouloir. Et s'il ne la reconnaissait pas ? S'il avait perdu la mémoire, ou qu'il n'arrivait plus à parler ? Elle avait passer la soirée de la veille à lire un traité de médicomagie sur les conséquences possibles d'un comas, même bref. Elle n'avait pas tout compris -il y avait beaucoup de termes techniques qu'elle ne maitrisait pas- mais elle en avait lu assez pour savoir que les séquelles pouvaient être importantes.

Sasha fut distraite toute la matinée et participa à peine au cours de potions alors qu'elle passait généralement le cours le bras en l'air dans l'espoir qu'on l'interroge. En sortant de la salle de classe, elle se surprit à remettre en question cette visite. Peut-être ferait-elle mieux d'attendre un peu, de lui laisser le temps de récupérer... Elle était en train de s'auto-convaincre qu'elle ferait mieux de laisser tomber quand Cindy l'intercepta à l'angle d'un couloir pour lui coller un ours en peluche mauve dans les bras.

"C'est pour Andrew, expliqua-t-elle. Tu pourras lui donner ? Sasha hocha la tête. J'ai fait une carte aussi, plein d'élèves de la maison l'ont signé."

Cindy cala l'enveloppe entre la tête de l'ours et le bras de Sasha, qui réalisa soudainement qu'une carte de bon rétablissement était peut-être plus adaptée qu'une fiche sur la deuxième guerre des Gobelins -ainsi qu'une fiche de fiche, un plan détaillé, et des flash-cards pour mémoriser les dates.

"Tu l'embrasseras pour nous ! ajouta Cindy, la voix chargée d'émotion. Dis-lui qu'il manque à tout le monde.
- Je lui dirai."

Il lui manquait à elle, c'était certain. Il lui manquait depuis bien avant l'accident, mais elle savait qu'elle n'aurait certainement pas le courage de lui dire. L'ours mauve dans les bras, Sasha gagne le bureau du Professeur Virtanen, dont elle était censée emprunter la cheminée pour se rendre à Ste-Mangouste.

Quelques instants plus tard, elle foulait le carrelage de l'hôpital, qui dégageait une forte odeur de potion désinfectante et lui rappelait l'atmosphère aseptisée de Skye. Elle se présenta poliment à un comptoir d'accueil et on lui indiqua le numéro de la chambre d'Andrew, dans les étages. Le besoin urgent de le voir, qui l'avait animée pendant des jours, l'avait brusquement quitté pour la laisser en proie aux doutes. Elle hésita à faire demi-tour quand les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur le service de soins intensifs, mais elle eut l'impression que l'ours mauve la regardait de travers, et sortit de la cabine.

Elle se sentait étrangement coupable d'être là alors qu'elle avait été si absente ces derniers mois. Pour qui se prenait-elle, à se présenter comme sa meilleure-amie alors qu'elle ne lui adressait plus la parole avant l'accident ? Elle sentit sa gorge se nouer et ralentit malgré elle alors qu'elle approchait de la chambre. Son regard se posa alors sur la silhouette d'une femme, plus loin dans le couloir, qui lui faisait un signe de la main. Sarah, la mère d'Andrew. Sasha se força à accrocher un sourire poli à ses lèvres et franchit en quelques pas la distance qui les séparait.

"Ça va, merci, répondit-elle. Et vous ?"

Sasha avait toujours beaucoup apprécié Sarah, qui correspondait à l'image qu'elle se faisait de la mère parfaite, et elle ne pouvait qu'imaginer l'enfer qu'elle avait dû vivre ces derniers jours.

Elle fut étonnamment soulagée d'apprendre qu'Andrew s'était endormi. C'était peut-être mieux ainsi. Elle n'aurait pas su quoi lui dire, de toute façon.

"C'est pas grave, qu'il se repose surtout. Je venais lui amener des cours. Elle leva un peu son coude, auquel était accroché un sac en toile qui contenait quelques kilos de prise de note. Et ça. Elle baissa les yeux sur l'ours en peluche. Ce n'est pas moi qui ai choisi la couleur."

Elle hésita un moment. Elle avait envie de tout savoir et de poser mille questions, mais elle ne voulait pas accabler Sarah plus que nécessaire. Elle trouverait bien un infirmier à harceler pour connaitre tous les détails de l'état de santé d'Andrew. Pour le moment, elle voulait seulement être rassurée.

"Comment il va ?" demanda-t-elle timidement.

Lorsque Sasha lui demanda comment elle se sentait, Sarah haussa les épaules. Elle était très fatiguée, elle aussi. Cela faisait plusieurs jours qu’elle avait recommencé à dormir chez elle et plus sur le fauteuil dans la chambre d’Andrew mais ses nuits étaient agitées. Elle avait du mal à se laisser aller, elle sursautait beaucoup. Quand elle rouvrait les yeux, elle avait l’impression qu’ils venaient juste de se fermer. En plus, Oscar ne dormait pas beaucoup non plus depuis l’avant-veille : il avait un rhume qui lui prenait le nez et la gorge, il toussait et cela le réveillait. Doug se levait dès qu’il l’entendait mais leur fils avait également tendance à se glisser dans leur lit au coeur de la nuit, avec toute la discrétion d’un enfant de quatre ans. Cela la réveillait systématiquement. Elle cogitait beaucoup, elle pensait à Andrew, si tout allait bien. Elle attrapait régulièrement son Pear pour vérifier que sainte-Mangouste n’avait pas cherché à la joindre.

Quand elle ne pensait pas à son fils, à sa santé, sa rééducation à venir et son avenir, elle pensait à l’argent. Elle n’avait pas rouvert la librairie depuis l’accident et Noël était sa deuxième meilleure période de l’année, après l’été. Elle avait fait de grosses commandes en espérant faire de belles ventes et... Alors elle n’avait jamais gagné énormément mais elle avait des charges à payer. Doug et elle venaient d’avoir une grosse facture d’eau suite à une fuite à la cave... Elle s’en était ouvert à Olivier à un moment, alors que Andrew était parti passer un scanner. Son ex-mari avait froncé les sourcils devant ses inquiétudes et avait lancé « J’en ai de l’argent moi, je peux t’en donner si tu en as besoin. » Elle avait levé les yeux au ciel, un peu amusée. Il n’avait pas toujours été comme ça, il y avait un temps où ils étaient tous les deux du même milieu social, issus de la classe moyenne. « Ce n’est pas comme ça que ça marche » avait-elle rétorqué. « Ce n’est pas toi qui va devoir expliquer ça à ton comptable. » Olivier avait haussé les épaules. « Je peux t’acheter tout ton stock alors. » Elle avait secoué la tête. « Tu sais que je ne vends pas uniquement des exemplaires du Quidditch à Travers les Âges, n’est-ce pas ? » Sa mine scandalisée l’avait amusée pendant dix bonnes minutes.

Malheureusement, cela ne réglait pas le problème. Elle ne se voyait pas reprendre le travail pour le moment car elle ne souhaitait pas laisser Andrew. Elle ne pouvait pas accepter la proposition déraisonnable d’Olivier - tout d’abord parce qu’elle était déraisonnable - et ensuite parce qu’elle savait que cela aurait gêné Doug. Il ne le disait jamais frontalement mais elle savait que certaines choses le dérangeait. La maison, pour commencer. Elle en était la seule propriétaire alors qu’ils y vivaient tous les deux... Tout simplement car c’était Olivier qui l’avait achetée, il y a seize ans, juste avant la naissance d’Andrew. Il y avait versé ses premiers salaires du Quidditch, pour qu’ils aient un endroit pour accueillir leur fils. Quand ils s’étaient séparés, il la lui avait cédée pour pas grand-chose. Lorsque Doug et elle s’étaient rencontrés, elle y vivait encore, c’était sa maison. Elle n’avait pas souhaité la quitter, pour ne pas déstabiliser encore plus Andrew, qui vivait mal l’arrivée de son beau-père dans sa vie. Puis les années étaient passées... Il y avait également le fait qu’Olivier lui verse une pension alimentaire très importante « Comme si on était à plaindre » avait un jour marmonné Doug. Ou bien qu'il paye intégralement les frais de scolarité d’Andrew à Poudlard (puisque ces mêmes frais étaient en grande partie annexés sur son salaire mirobolant.) Alors elle n’allait pas rajouter à tout cela qu’il l’aide pour son entreprise.

- Ça va, finit-elle par souffler en affichant un sourire un peu forcé, qui retrouva en sincérité alors que Sasha expliquait qu’elle était venue apporter des cours... et un ourson mauve. C’est très gentil, merci ma puce. Il est normalement plus dragon en peluche mais... Elle eut un bref instant de réflexion et une moue amusée se forma sur son visage. Ne lui dis pas que je te l’ai dit.

Il avait trainé son doudou dragon partout pendant toute son enfance. La pauvre bête n’avait presque plus d’écailles, avait perdu une aile et une demi-patte. Elle avait fini par rester à la maison après la deuxième année à Poudlard et traînait désormais sur le bureau de sa chambre. À la question de la meilleure amie d’Andrew, Sarah haussa de nouveau les épaules.

- Mieux ? Mais le chemin est encore long, il va devoir avoir une rééducation, l’accident a été extrêmement grave... Je ne sais pas quand il pourra sortir, on espère pour Noël mais... En tout cas, il en a déjà marre d’être enfermé, tu le connais. Elle tendit la main pour serrer l’épaule de la jeune fille. Il sera content de te voir, c’est gentil d’être passée... Ça fait longtemps que je ne t’ai pas vue en plus !  

Contrairement aux étés précédents, la jeune fille n’était pas passée à la maison pendant les vacances.

- Est-ce que tu veux qu’on aille boire quelque chose à la cafétéria pour papoter un peu, en attendant ?

Sasha trouvait à Sarah un air fatigué, ce qui était tout à fait normal étant donné que son fils aîné était hospitalisé depuis plus d’une semaine après avoir frôlé la mort, et qu’elle avait un deuxième fils en bas âge. C’était même à se demander comment elle tenait encore debout, et pourtant elle lui adressa un sourire sincère face au ridicule ourson mauve de Cindy.

"J’ai eu l'honneur de rencontrer Flammèche", confia-t-elle en rendant son sourire à Mrs. Cavill.

Andrew était devenu aussi rouge qu’un souaffle en réalisant qu’il avait laissé la peluche sur son bureau, la première fois que Sasha était venue lui rendre visite chez sa mère. Cela devait être l’été après la première année, peut-être la deuxième. Elle s’était gentiment moquée de lui et avait juré de ne parler de Flammèche à personne, en échange de quoi Andrew n’avait jamais raconté qu’elle ne savait pas faire de vélo. Leur amitié était née de ces confidences partagées, de ces secrets qui ne paraissaient plus si importants aujourd’hui.

Sasha hocha la tête, la mine concentrée, en écoutant avec attention le bilan de Sarah sur l’état d’Andrew. Son sourire poli s’éteignit un peu quand cette dernière rappela que l’accident avait été très grave, et disparut complètement quand elle affirma qu’il serait content de la voir. Rien n’était moins sûr. Sasha ne pouvait évidemment pas avouer à la mère de son meilleur-ami qu’elle n’avait pas parlé à ce dernier depuis des mois, aussi préféra-t-elle amener la discussion dans une autre direction.

"Je voulais venir plus tôt mais j’ai dû attendre une autorisation de sortie. Un comportement que Sarah, en tant que parent responsable, validerait certainement. J’espère qu’il pourra sortir avant noël, pour que vous puissiez passer les fêtes ensemble."

Elle savait qu’Andrew serait ravi de pouvoir sortir de Sainte-Mangouste et de retrouver sa famille pour les fêtes. Il se plaindrait certainement de devoir fêter noël à de trop nombreuses reprises -c’était le lot des enfants divorcés- mais au fond il serait certainement reconnaissant de pouvoir profiter de ces moments.

L’idée qu’il aurait pu mourir en laissant derrière lui Sarah et toute sa famille la saisit brusquement et elle réalisa à quel point ils avaient frôlé le drame. Elle avait beaucoup pensé à combien Andrew lui manquerait, si elle devait ne jamais le revoir. Elle avait ressassé tout ce qu’elle aurait aimé lui dire, repensé aux nombreux souvenirs qu’ils partageaient ensemble. Mais elle n’avait pas vraiment pensé à toutes ces autres personnes qu’il aurait laissées endeuillées. Andrew était extrêmement important pour elle, et une des personnes qui comptait le plus dans sa vie, mais il comptait aussi pour tellement d’autres personnes... Il aurait manqué à beaucoup de monde. Bien plus qu’elle, si elle avait été à sa place.

Sasha réprima cette pensée tout à fait inappropriée et se força à adresser un sourire poli à Sarah, qui lui proposait de patienter à la cafétéria. Elle fut tentée de refuser, elle avait plutôt l’intention de déposer l’ourson et les deux kilos de fiche et de filer en douce, mais hésita. Elle avait encore plein de questions à poser à Sarah concernant Andrew (à commencer par : quand reviendrait-il à Poudlard ?) et elle était partie après son dernier cours de la matinée sans prendre le temps de déjeuner. Un détour par la cafétéria ne paraissait pas être une si mauvaise idée.

"Avec plaisir, merci, mais je ne veux pas vous retenir, si vous aviez l’intention de partir… ?"

Si Andrew s’était endormi, sa mère avait peut-être prévu de profiter de ce rare moment de temps libre pour faire autre chose que de papoter avec elle, ce qu’elle pourrait tout à fait comprendre.

Sarah eut un sourire lorsque Sasha répondit qu’elle avait eu l’honneur de rencontrer Flammèche, le doudou-dragon de son fils. Evidemment. Andrew et elle étaient très proches, depuis des années. Quand son fils était parti pour Poudlard, elle avait évidemment eu des inquiétudes, mais le fait qu’il ne se fasse pas d’amis n’en n’était pas une. Il avait toujours été un garçon sociable, bien entouré. Dès les premières semaines, des noms commençaient à revenir dans les lettres qu’il lui envoyait. Gowan, Henry, Baen, Adarsh, Sasha puis d'autres. Des noms qui revenaient toujours d’ailleurs, des prénoms qui s’étaient par la suite incarnés en des adolescents qui envahissaient sa maison pendant l’été. Et dès la fin de sa première année, elle avait pu rencontrer Sasha, qui faisait encore petite fille avec ses tresses soignées et sa bouille ronde. Elle l’appréciait beaucoup. C’était une jeune fille sage, studieuse, pleine de projets. Sarah savait également qu’elle avait vécu des choses difficiles, avec ce qui était arrivé à son papa... Elle avait eu l’occasion également de rencontrer sa mère, quelques fois, une femme qui ne semblait pas très impliquée dans la vie de sa fille. À chaque fois qu’elle y pensait, elle ressentait un élan d’affection pour Sasha. Quand cette dernière déclara qu’elle avait attendu de façon très raisonnable d’avoir une autorisation de sortie de la part de l’école, Sarah eut un sourire amusé.

- C’est bien, commenta-t-elle. C’est ce qu’on espère aussi, ajouta-t-elle dans un soupir au sujet de la sortie d’Andrew pour Noël. Il se remet doucement mais les examens sont bons, précisa-t-elle avec un sourire.

Elle avait envie de l’avoir de nouveau à la maison, pour que la vie reprenne un cours de normalité. Elle voulait pouvoir veiller sur lui tout le temps, sans se sentir coupable de délaisser Oscar en passant ses journées à l’hôpital. Doug était là, bien évidemment, mais elle voyait bien que son cadet était perturbé par toute cette histoire.

- J’avais l’intention de me dégourdir les jambes et de prendre un café, répliqua-t-elle lorsque Sasha sembla s’inquiéter de la retenir. Ne t’en fais pas.

Elle lui fit un sourire alors qu’elle l’invitait d’un geste du bras à passer devant elle pour rejoindre les escaliers, qui menaient notamment à la cafétéria au cinquième étage. Avec tout le temps qu’elle passait ici, Sarah connaissait à bien connaître les lieux. Le « salon de thé » qui n’avait de salon que le nom était un grand espace à la décoration vieillotte, qui vendait notamment des sandwiches un peu spongieux, des salades, des pâtisseries et des boissons chaudes à la pelle. C’était l’heure du déjeuner et il y avait du monde, quelques patients en blouse qui mangeaient avec leurs familles, quelques soignants regroupés ensemble à des tables et surtout, beaucoup de visiteurs, certains avec des mines défaites. Sarah et Sasha rejoignirent la queue, derrière une famille de sorciers habillés de manière très traditionnelle.

- Prends ce que tu veux, je t’invite, précisa-t-elle en désignant du regard les grands panneaux au mur qui indiquaient le menu du déjeuner. Je ne te recommande pas la soupe de petits pois, elle a un goût de lait avarié.

Alors qu’elles avançaient doucement, Sarah attrapa l’élastique qui était à son poignet pour entortiller ses cheveux longs dans un chignon. Ce simple geste lui fit réaliser à quel point les muscles de ses épaules étaient tendus.

- Alors, demanda-t-elle alors qu’une sorcière à la caisse s’énervait de la pénurie de tartelettes au citron. Comment se passent les cours ? C’est une année difficile la sixième, pas facile d’avoir ton âge...

Surtout quand on était née-moldus et qu’un monstre échappé de la Chambre des Secrets errait dans les couloirs de l’école en quête de personnes à pétrifier (ou bien, comme l’aurait dit Olivier, quand la saison de Quidditch était annulée.)

Sasha accueillit la réponse de Sarah avec un sourire reconnaissant. Un déjeuner à la cafétéria de Sainte-Mangouste avec la mère de son meilleur-ami n'avait rien du programme idéal, surtout dans ces circonstances, pourtant elle sentait qu'elle avait besoin de ce moment de pause. Elle était contente qu'Andrew n'ait pas été réveillé, finalement. Elle n'était pas encore prête à le voir. Elle n'aurait pas su quoi lui dire. Au moins avec Sarah, elle pouvait faire semblant. Elle pouvait jouer aux jeunes filles modèles et prétendre qu'Andrew et elle étaient encore amis. C'était un mensonge agréable à entretenir.

L'adolescente suivit le chemin de la cafétéria, que la mère de famille semblait connaitre parfaitement, certainement après l'avoir effectué des dizaines de fois. Elle la remercie poliment quand cette dernière lui annonça qu'elle l'invitait, et promena un regard indécis sur le contenu de la vitrine devant elle. Elle n'avait pas particulièrement faim, et les sandwich exposés n'étaient pas très appétissants, elle se décida donc pour une part de cake au citron, et une tasse de thé.

Sasha s'était attendue à ce que le déjeuner tourne exclusivement autour d'Andrew, et avait mille questions à poser à Sarah, mais celle-ci l'interrogea en premier, au sujet des cours. C'était un sujet sur lequel la jeune fille était particulièrement à l'aise, pourtant elle trouvait presque étrange de discuter de quelque chose d'aussi banal dans de telles circonstances. Elle s'apprêtait à répondre quand une remarque se son interlocutrice la déstabilisa.

"pas facile d’avoir ton âge..."

Sarah le pensait-elle réellement ou disait-elle cela comme tous les parents, pour se moquer gentiment des tourments adolescents qu'ils ne considéraient pas vraiment comme de réels problèmes ? Beaucoup d'adultes parlaient avec nostalgie de leurs années Poudlard, et elle ne comptait plus le nombre de fois où on lui avait dit de "profiter de sa jeunesse". Elle détestait cette formule, et elle détestait cette jeunesse dont elle était censée profiter. Profiter de quoi ? Des insultes ? De l'humiliation ? De la solitude ? Elle avait hâte d'être plus âgée, de ne plus côtoyer d'adolescents stupides, de ne plus être traitée comme une enfant. C'était peut-être la première fois qu'un adulte reconnaissait que l'adolescence puisse être autre chose qu'une période merveilleuse.

"Ça va, répondit-elle simplement, sans rien trahir de ses tourments intérieurs. Le programme est plus difficile, mais on a moins de matières cette année. Elle aurait pu s'arrêter là, ou parler de ses bonnes notes et de son contrat en alternance à Skye, au lieu de quoi elle se laisse pousser par la curiosité. Vous n'avez pas aimé avoir seize ans ?"

Elle avait posé la question sur le ton de la conversation, presque avec surprise, comme s'il était impensable pour elle de ne pas apprécier cet âge. Elle avait peur d'en faire un peu trop, à vouloir jouer les adolescentes épanouies, aussi reporta-t-elle son attention sur la vitrine de gâteaux pour éviter de croiser le regard de Sarah.

Sarah avait choisi un sandwich au concombre. Déjà peu appétissant exposé en vitrine, il était encore moins ragoûtant une fois déballé. Elle aurait dû faire comme Sasha et prendre une part de cake avec son thé. Détachant un bout de pain de mie un peu spongieux, elle écouta la jeune fille lui expliquer que le programme était plus difficile cette année. Tout cela était loin pour elle mais elle se souvenait bien que ses camarades de promotion et elle avaient naïvement cru que l’année entre les BUSES et les ASPICS serait plus facile... Rien de tout cela : les notes qu’ils obtenaient à cette occasion étaient celles sur lesquelles se basaient en partie les recruteurs. Ils avaient passé une sixième année difficile, entre ça et - surtout - le montre de la Chambre des Secrets... Lorsque Sasha lui demanda si elle n’avait pas aimé avoir seize ans, elle ne put s’empêcher d’avoir un rire.

- Ah ça !

Elle secoua doucement la tête, attrapant un bout de concombre entre deux bouts de pain.

- Par où commencer... Hum... Et bien disons que vers le milieu de ma cinquième année, j’ai craqué très fortement pour un garçon qui s’avérait être le capitaine de Quidditch de l’équipe de Gryffondor. Il était mignon comme tout, populaire, il plaisait à plein de filles... Et quand on s’est mis ensemble, pas mal de ces filles ont commencé à me traiter de tous les noms. Je t’en épargne la plupart, mais disons que retrouver un petit bout de parchemin dans son livre de métamorphose avec « prostituée » en moins poli, ça ne fait jamais plaisir. Elles étaient à la fois un peu jalouses et également, mon petit-copain - en fait, le père d’Andrew - s’était séparé de sa petite-amie de l’époque pour se mettre avec moi donc autant te dire que j’ai obtenu du jour au lendemain une réputation de « fille facile. » Je suis passée de « Sarah, la Poufsouffle un peu sympa » à la pire des vipères en un dîner, à peu près. Tout le monde y allait de sa petite théorie de comment j’avais « volé » ce garçon. Et ça a duré des mois et des mois !

Elle eut un petit rire incrédule. Toute cette histoire avait pris tellement d’ampleur à l’époque et pour quoi ? Pour un garçon ? Cela avait bouffé ses nuits et ses journées, elle en avait même perdu des copines dans l’histoire.

- Ça s’était un peu calmé après l’été, en sixième année, parce qu’on était toujours ensemble et c’était donc devenu une sorte de non-évènement... Mais de temps en temps, ça ressortait, comme ça, parce que j’avais eu le malheur d’avoir le chemisier un peu ouvert ou parce que je m’étais assise sur les genoux de mon petit-ami. Les gamins de cet âge sont si méchants et honnêtement, je trouve que les filles étaient les pires ! En plus, évidemment, on ne disait rien à mon copain, parce que... Je ne sais pas, il jouissait de cette aura intouchable où tout ce qu’il faisait était cool. Il me disait de l’ignorer mais je l’ai mal vécu, j’avais l’habitude d’être assez, je ne dirais pas appréciée, mais tout le monde était normal avec moi. Je crois que ça ne s’est vraiment calmé qu’en septième année...

Elle haussa légèrement les épaules. Et après, tout le monde s’étonnait lorsqu’elle disait qu’elle gardait un souvenir compliqué de ses années d’école.

- Donc ma sixième était déjà mal partie puis s’est rajoutée l’ouverture de la Chambre des Secrets, où on disait que le monstre allait tuer tous les nés-moldus comme moi... Une de mes amies s’est faite pétrifier, d’ailleurs. Mais elle va très bien ! s’empressa-t-elle d’ajouter. Mais disons que cela n’a pas aidé à me sentir sereine à l’école.

Sasha était très surprise par le récit de Sarah. Elle n’avait jamais pensé ce à quoi avait pu ressembler sa jeunesse -son statut de maman d’Andrew la faisait paraitre à ses yeux comme une personne ayant toujours été adulte- mais elle n’aurait jamais imaginé ça. Être la petite-amie du capitaine de l’équipe de Quidditch de Gryffondor aurait dû lui garantir le titre de jeune fille populaire et jalousée, mais cela n’avait visiblement pas été le cas. La mère de famille avait subi beaucoup de moqueries, surtout de la part de ses camarades féminines qui lui prêtaient des mœurs très légères.

L’adolescente grimaça en entendant les insultes qu’avait essuyées Sarah. Elle aurait pu compléter la liste avec toutes les moqueries dont elle était elle-même victime. Les bruits sexuels sur son passage, les gestes obscènes, les dessins pornographiques sur la porte des toilettes, les murmures, les regards, les rires. Pourtant elle ne dit rien.

Cela faisait du bien d’entendre un témoignage qui faisait tant écho à son propre quotidien, et cela aurait été l’occasion parfaite pour partager sa situation. Sarah comprendrait certainement, elle qui en avait été victime aussi. Pendant un instant Sasha se surprit à imaginer la compassion et les paroles rassurantes qui pourraient répondre à une confession de sa part. Elle se visualisait sans mal fondre en larmes, et Sarah lui caresser les cheveux en lui affirmant que tout irait bien, que les choses finiraient par s’arranger. Peut-être que cela lui ferait même du bien, de se laisser aller. Pourtant elle ne dit rien.

Elle ne voulait pas changer l’image que la mère de famille avait d’elle. Elle avait vu la satisfaction sur son visage tout à l’heure, quand elle avait expliqué avoir attendu l’autorisation de ses professeurs pour quitter le château. Elle avait cette réputation d’élève modèle, et elle tenait à la conserver auprès de ceux qui y croyaient encore. Elle se souvenait encore de la surprise de sa mère et -pire- de la déception du Professeur Forbes et des autres enseignants quand ils avaient appris la vérité. Elle ne voulait pas voir la même chose dans le regard de Sarah. A ses yeux elle était encore une jeune fille studieuse, et responsables, et elle voulait le rester.

"Ça n’a pas dû être facile, commenta-t-elle simplement. Comment vous avez fait, pour supporter tout ça ?"

Elle n’était pas prête à lui partager sa propre expérience, mais si elle pouvait glaner quelques conseils, elle n’allait pas s’en priver.

La sixième année de Sarah faisait étrangement écho à la sienne, même au-delà du harcèlement. Elle aussi avait un faible pour le capitaine de Quidditch des Gryffondors, et elle aussi non plus n’avait pas eu un début d’année très serein. Certes, aucun monstre mystérieux ne rodait dans Poudlard pour attaquer les nés-moldus, mais elle avait été prise en otage par un espion russe dans les archives de Skye, c’était certainement un traumatisme équivalent. Tout aurait dû paraitre moins grave, après avoir vécu une situation si angoissante, et les moqueries de ses camardes n’auraient pas dû l’atteindre, elle qui avait subi les pires tortures psychologiques, mais les choses n’étaient pas si faciles. Sasha savait d’expérience qu’on pouvait affronter bravement la perspective d’être tuée -par un basilic ou par un espion russe- tout en s’inquiétant de sa réputation à l’école, aussi dérisoire que cela puisse paraitre.

C’était fou, quand elle y repensait. Tout ça parce qu’elle avait eu le malheur de craquer sur un garçon... Alors certes, Olivier avait très mal géré les choses lors de sa rupture avec sa petite-amie du moment mais après tout, ce n’était pas sa faute à elle. C’était un bon vieux schéma patriarcal : on trouvait toujours le moyen de blâmer la femme dans l’histoire. Personne n’attendait d’Olivier qu’il soit parfait dans ses relations, après tout, c’était un homme. Ou plutôt un garçon, à l’époque. C’était normal qu’il virevolte entre plusieurs fois et soit indécis (les mauvaises langues auraient dit infidèle.) Elle, en revanche, elle devait être parfaite, bien évidemment. Ne pas se compromettre auprès d’un garçon, sous peine de recevoir le couperet social, quand Olivier était applaudi. Les choses avaient fini par se tasser mais Sarah en avait longtemps gardé un goût un peu amer dans la bouche. Quand Sasha lui demandait comment elle avait géré tout cela, elle haussa légèrement les épaules en détachant un autre morceau de pain.

- J’ai fait avec ! Au début, je protestais beaucoup, je voulais me défendre mais je me suis vite rendue compte que ça ne servait à rien : personne ne m’écouterait car ma version de l’histoire était bien moins drôle à leurs yeux. En plus, on me disait rarement les choses en face à face, c’était plus insidieux. Personne ne s’est jamais planté devant moi dans la Grande Salle pour m’insulter. Mais les petits mots, les murmures... Sentir le regard d’un groupe de filles sur toi à la bibliothèque, puis elle chuchotent, puis elles rigolent. Et je savais qu’elles parlaient de moi. Mais je n’en n’avais pas la preuve.

Sarah eut un léger rire.

- J’ai fini par passer pour quelqu’un de parano, mes amies compatissaient mais je pense qu’elles ne réalisaient pas à quel point ça me blessait. Quant au père d’Andrew, il n’a jamais vraiment vu les choses, parce que rien ne se passait devant lui, les gens n’osaient pas trop. Au final... Elle soupira. Oui, j’ai vraiment fait avec. Je me suis beaucoup appuyée sur mes amies. C’était plus facile avec elles ! J’étais aussi très amoureuse et ça me rendait heureuse et j’ai eu l’occasion de me faire de nouveaux copains en sortant avec Olivier, il avait ses amis aussi... Je me sentais bien dans cette petite bande, je me sentais plus protégée. L’effet de masse à l’adolescence, c’est terrible, et je l’avais bien compris. J’ai donc décidé de l’appliquer aussi !

Olivier était populaire à l’époque, et elle avait vite pris sa place dans cette petite bande là. Les choses étaient alors devenues plus faciles, parce qu’elles l’atteignaient moins.

- Mais tu sais au final, on finit par laisser derrière soi ce genre de choses. J’étais contente de terminer Poudlard et de prendre un nouveau départ. Ça prenait énormément de place dans ma tête à l’époque, mais maintenant, je ne pourrais même plus te donner comme ça le nom de famille de certaines de ces filles. C’est un peu ingrat l’adolescence, mais c’est seulement un passage.