Enfants des gradins [Andrew et Maeva]

1er octobre 2011.

Les gradins de Flaquemare, Maeva les connaissait par cœur. Enfant, elle avait passé des heures les arpenter en attendant que son père termine ses entraînements. Elle gardait de bons souvenirs de ces moments – elle aimait bien ce spectacle et son père s’arrangeait toujours pour qu’elle ne manque de rien pendant ces moments. Elle avait un en-cas à grignoter, du soda à boire et elle tuait le temps comme elle pouvait.

Cela faisait longtemps qu’elle n’était pas revenue au stade. Quand son père avait pris sa retraite, il y passait toujours beaucoup de temps mais elle avait cessé de l’accompagner. Déjà à cette époque, il était devenu plus acariâtre, supportant mal d’être relégué sur le banc. Puis il avait commencé à boire, et à jouer, et son addiction à l’adrénaline procurée par le sport avait été remplacée par autre chose.

Lorsque la jeune femme avait reçu l’invitation pour venir commémorer la mémoire de son père, sa première envie avait été de la décliner. Flaquemare organisait un gala pour rendre hommage à James Smith et lui dédier la coupe de la ligue de 2007, la dernière qu’ils avaient remporté à ses côtés. On avait demandé à Maeva – comme elle était connue des coéquipiers de son père depuis qu’elle était toute petite – de récupérer cette coupe pour lui, à titre posthume.

Maeva n’était pas très à l’aise avec le fait qu’on rende hommage à son père. A vrai dire, l’idée la mettait même profondément mal-à-l’aise. L’ambivalence qu’elle avait ressenti au moment de son décès n’avait pas disparu et le sentiment de soulagement qui l’habitait encore ne cessait d’alimenter une culpabilité qu’elle osait encore à peine verbaliser auprès de son psychologue. Mais depuis le mois de septembre, Maeva essayait de renouer avec des souvenirs plus anciens, moins tranchés aussi, pour reconstruire une histoire – la sienne – qu’elle avait tant rejeté pendant des mois et des mois depuis le décès de son père. C’était ce qui l’avait conduit à accepter cette invitation malgré tout, en se promettant de quitter la cérémonie si le moment devenait insupportable pour elle.

Cela aurait pu être pire, songea Maeva, une coupe de champagne à la main, les yeux posés sur la foule. Elle s’était mise un peu en retrait après avoir récupéré la coupe dédiée à son père et regardait désormais l’objet en le faisant tourner dans ses mains. Sans surprise, le gala était un peu pompeux et ennuyeux mais au moins, elle n’avait pas eu à faire face à des discours chargés en émotions face auxquels elle n’aurait pas su comment se positionner. On avait fait une rétrospective de la carrière de son père de façon assez factuelle et quelques anecdotes avaient été partagées par ses anciens coéquipiers. Cet homme généreux, plein d’humour qui avait été décrit par l’équipe était venu s’opposer aux souvenirs que Maeva gardait de son père. Comme si ce n’était pas le même homme.

L’arrivée d’Andrew, qui se laissa tomber à ses côtés, lui fit relever la tête vers lui.

« C’est toujours aussi long, ces galas. » commenta-t-elle pour l’accueillir.

Techniquement, Andrew n’avait rien à faire là en ce vendredi soir. Il aurait dû être à Poudlard. Mais disons que Tiphaine Bunch et lui s’étaient permis une petite dérogation... Tout avait commencé il y a un peu plus de deux semaines, à Leopoldgrad. Ils étaient au centre d’entraînement des Épouvantards, en pause, lorsqu’il avait reçu un appel de son père pour prendre quelques nouvelles. La conversation avait dérivé sur l’hommage que Flaquemare allait organiser début octobre en l’honneur de James Smith, qui était mort il y a presque un an dans des circonstances violentes. Tout le gratin du club serait-là, ainsi que d’autres personnalités du monde du Quidditch. Cette information n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd... Ou plutôt d’une sourde. En entendant cela, Tiphaine s’était empressée de lui demander s’il pensait qu’ils pouvaient s’incruster. « Après tout, c’est important de se faire du réseau ! » avait-elle dit. « Franchement, c’est un évènement professionnel. » avait-elle ajouté avec conviction. Andrew n’avait pas été bien difficile à convaincre : l’occasion de prendre un peu l’air était trop belle.

Leur appartenance au programme de sport-études, comme les autres apprentis, leur permettait de sortir de l’école pour leurs obligations professionnelles : c’est juste qu’ils avaient un peu enjôlé le terme « d’obligation » lorsqu’ils avaient sollicité leur autorisation de sortie exceptionnelle auprès de leurs enseignants (« Je vous assure professeur, toutes les recrues des EDL y vont à ce gala ! »). Ils avaient fourni en plus une autorisation écrite de leurs parents respectifs et Olivier s’était engagé à les ramener pour minuit à Poudlard. Dans les faits, Andrew s’en fichait un peu de ce gala mais il avait envie de sortir un peu de l’école, d’aller voir ailleurs. En plus, il était plutôt content de revenir à Flaquemare, cela faisait quelques mois qu’il n’était pas passé. Il avait passé le début de sa soirée avec Tiphaine, après avoir salué son père et ses anciens coéquipiers. On lui avait demandé des nouvelles de l’école, comment ça se passait chez les EDL et Tiphaine avait été bien trop heureuse de se présenter à tout le monde. Il l’avait abandonnée en pleine conversation avec Jocelyn Martin au sujet du dernier match des Chauve-Souris de Fichucastel. 

Après être allé faire un tour du côté du buffet pour prendre un verre de soda - il n’allait pas se risquer à approcher une flûte de champagne avec son père dans le coin - il avait parcouru la salle du regard. Tiphaine était comme un poisson dans l’eau à échanger avec tout le monde ; Oliver était en pleine discussion avec Sunde Kilic, l’attrapeuse actuelle de l’équipe ; sa belle-mère, qui était venue aussi, papotait avec l’une de ses amies, qui était l’épouse de Jane Usk (l’ancienne poursuiveuse vedette de l’équipe, elle et son père avaient joué pendant six ans ensemble). Derrière une grande baie vitrée qui menait à une portion des gradins, il distingua une silhouette familière qui regardait pensivement la foule. Se glissant entre les convives, il fut dehors en quelques secondes, sentant un léger vent frais souffler sur son visage. Remontant les marches, il se laissa tomber à côté de Maeva Hellsoft.

Elle était venue accepter la dernière coupe de la Ligue remportée par l’équipe et James Smith, en l’honneur de son père. À la voir, seule sur scène avec le président du club, se faire tendre l’objet doré, il s’était senti mal pour elle. Il n’osait pas imaginer ce qu’il ressentirait à sa place, surtout qu’elle semblait être venue toute seule, sans personne avec qui partager ce moment. Pour autant, il ne se voyait pas lui dire quoi que ce soit à ce sujet, c’était trop délicat. Ils se connaissaient depuis des années pourtant : ils avaient passé des heures ensemble dans ces gradins, à regarder leurs pères s’entraîner (et s’engueuler, des fois). Pourtant, ils n’étaient pas très proches : ils avaient deux ans de différence et, quand on était enfant, cela jouait. Elle l’accueillit d’une remarque laconique et il hocha la tête, en se laissant tomber à côté d’elle :

- Toujours aussi chiant, confirma-t-il. Enfin, ça dépend pour qui...

Il distinguait Tiphaine, quelques mètres derrière la vitre en contrebas, qui venait d’éclater de rire face à Marvin Hancock, l’ancien batteur de l’équipe. D’un geste de la tête, il désigna la coupe que Maeva tenait entre les mains.

- J’espère que tu es ravie de ta nouvelle déco. Ça fait son petit effet dans un salon.

Il avait le ton pince-sans-rire.

Maeva connaissait Andrew depuis très longtemps, bien avant sa Répartition à Poudlard chez les Gryffondor. Ils s'étaient rencontrés quand ils étaient encore petits et que leurs pères les déposaient dans les gradins de Flaquemare le temps d'un entraînement. Depuis le terrain, ils pouvaient prétendument garder un oeil sur eux (mais Maeva doutait fortement qu'Olivier Dubois ou James Smith aient été souvent déconcentré par leurs bambins, tant leur attention était portée sur le Souaffle qui passait entre eux.) Alors Andrew et elle passaient plusieurs heures à errer ensemble autour du stade. Ils n'avaient jamais développé une vraie amitié, solide et sincère, parce qu'ils s'étaient surtout fréquentés quand ils étaient enfants et qu'ils avaient deux ans d'écart (ce qui, à cinq ans, revenait à un univers entre eux.) Et puis, quand ils avaient grandi tous les deux et que cet écart ne paraissait plus être un aussi grand fossé, Maeva avait cessé de venir à Flaquemare et ils ne se voyaient plus que très ponctuellement, à des galas comme celui-là.

Des galas qui, comme le sous-entendait Andrew, rassemblaient la fine fleur du monde sportif. C'était un petit milieu où tout le monde se connaissait, les joueurs, les entraîneurs, les préparateurs... Les clubs avaient beau être en compétition, comme la plupart des joueurs faisaient carrière dans différentes équipes, ils avaient tous déjà plus ou moins été collègues. En dehors du Quidditch (et outre certaines animosité bien tenaces), ils se retrouvaient souvent dans des soirées similaires à celle-ci.

"Toutes ces personnes te connaissent plus ou moins depuis que tu as des couches." commenta Maeva en observant Olivier Dubois, désormais en grande conversation avec Gwenog Jones. "Forcément, ça tue un peu le côté glamour pour toi."

Maeva n'avait jamais envisagé une carrière dans le Quidditch. Elle aimait bien le sport, elle se débrouillait même plutôt bien, mais elle n'avait pas hérité de la passion de James Smith. Contrairement à Andrew, qui était autant passionné que son père et se destinait de toute évidence à une carrière professionnelle (et Maeva ne doutait pas qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour y parvenir ; chez les Dubois, on ne rigolait pas avec le Quidditch.)

Baissant les yeux vers la coupe qu'elle tenait toujours entre les mains, Maeva eut un petit rire à la remarque d'Andrew.

"Ça se fondera parfaitement chez moi." Absolument pas, la coupe était énorme, en or massif. Si elle rendait très bien sur les photos, brandie par toute une équipe, elle doutait qu'elle se fonde dans n'importe quel salon. Quelques mois auparavant, elle aurait probablement plaisanté sur le fait qu'elle envisageait de faire fondre la coupe pour récupérer une part de l'héritage de son père qu'il avait dilapidé. Aujourd'hui, elle réalisait avec un sentiment étrange qu'il s'agissait d'une des rares choses qu'elle hériterait de lui. "Après, si jamais j'ai besoin de me défendre contre qui que ce soit, ça peut toujours me servir puisque ça pèse environ dix kilos." Elle soupesa l'objet dans ses mains. "Pas très discret comme arme, mais franchement, ça donne un style."

Lorsque Maeva lui fit remarquer que la plupart des personnes présentes au gala le connaissaient depuis qu’il portait des couches, Andrew eut un instant d’arrêt. Il était né au moment où son père était devenu titulaire dans l’équipe, cette remarque était donc tragiquement vraie.

- Et bah nickel.

Autant dire que toute sa potentielle crédibilité en tant qu’éventuel futur joueur était complètement flinguée aux yeux de tous les sportifs et professionnels qui gravitaient autour de Flaquemare. D’un signe de tête, il désigna la foule qui s’étendait derrière la vitre.

- En vrai je n’avais pas forcément l’intention d’être là à la base, c’est Tiphaine Bunch - Maeva n’avait pas quitté Poudlard depuis si longtemps, elle devait forcément visualiser la capitaine des Serdaigle - qui a insisté pour venir. Elle se fait son réseau. Après un instant, il ajouta : comme les gens ne l’ont pas vu baver sur un hochet, ça marche bien pour elle. 

Et tant mieux pour Tiphaine : quoi qu’on en dise, le réseau était important dans ce milieu. Andrew plaisantait mais il n’avait jamais protesté quand son père le présentait comme la relève. Gwenog Jones, avec qui Olivier parlait, il l’avait rencontrée avant même d’entrer à Poudlard. C’était une vraie chance, quand bien même il passait encore pour un gamin à leurs yeux.

Il eut un sourire et secoua légèrement la tête lorsque Maeva déclara que l’énorme coupe de la Ligue passerait très bien chez elle. C’était bien, c’était discret. Son sourire se changea en rire lorsqu’elle affirma qu’elle pourrait assommer quelqu’un avec.

- Puis tu vois, c’est vraiment polyvalent comme truc : ça peut servir d’objet contondant mais également de vide-poche dans ton entrée. Sans oublier  - il leva son verre de soda - de très grosse pinte à bière en cas de déshydration.

Il prit lui-même une gorgée de sa boisson. En bas, il distingua son père qui semblait chercher quelqu’un dans la foule. Il envisagea de lui faire signe mais réalisa qu’il ne le verrait pas. Il faisait un peu sombre sur les gradins, qui étaient uniquement illuminés par la lumière de la salle en contrebas. Détachant son regard d’Olivier, Andrew se tourna légèrement vers Maeva, haussant les sourcils.

- Alors, c’est comment la vie en dehors de Poudlard ?

Maeva masqua un sourire face à la remarque d'Andrew. C'était le revers de la médaille ; tous les deux avaient grandi dans un milieu très privilégié, que beaucoup aspiraient à atteindre. Mais ils y évoluaient depuis tellement longtemps qu'ils accumulaient les anecdotes embarrassantes. Encore aujourd'hui, certains anciens coéquipiers de son père prenaient un malin plaisir à lui rappeler ce jour exquis où elle avait vomi sur les chaussures de l'entraîneur de l'équipe, alors qu'il était particulièrement remonté (évidemment, ce doux présent n'avait pas contribué à apaiser ses nerfs.) Mais malgré tout, ils avaient ce privilège rare d'être connus de tous ici, au point de pouvoir trouver ces soirées "longues" et "chiantes" quand d'autres y voyaient une occasion en or pour agrandir leur réseau.

"Faut dire que toi, tu n'as pas vraiment besoin d'agrandir ton réseau." fit remarquer Maeva. "Le réseau vient déjeuner chez toi un dimanche sur deux."

Ce qui était bien, avec Andrew, c'était qu'ils avaient un statut assez similaire au sein de l'équipe : les fils et filles de. C'était sûrement encore plus vrai pour le jeune homme, qui était sans cesse comparé à son père (surtout depuis qu'il avait rejoint une équipe professionnelle). Ils n'en n'avaient jamais discuté ensemble et, brièvement, Maeva se demanda si Andrew avait connu des difficultés vis-à-vis de cette position à laquelle on les ramenait très souvent. Adolescente, Maeva avait détesté être la "fille de." Pour être tout-à-fait honnête, elle avait surtout détesté être la "fille de la prof", parce que sa ressemblance avec Chloé était frappante et parce qu'elles se côtoyaient tous les jours lorsqu'elle enseignait à Poudlard. Son lien de parenté avec James Smith était moins évident parce qu'ils ne portaient pas le même nom. A Flaquemare, évidemment, tout le monde le savait. Puisque son père et sa mère avaient divorcé lorsqu'elle était encore très jeune, elle avait rapidement suivi son père dans ses entraînements au stade. Elle ne gardait pas beaucoup de souvenirs de cette époque, mais elle se rappelait qu'elle aimait venir ici, perchée sur les épaules de son père. Il l'appellait "ma princesse" (elle adorait ça) et il disait à qui voulait l'entendre que la seule personne capable de lui prendre le Souaffle serait sa fille, à cause de son joli sourire. C'était devenu un jeu entre eux : elle souriait jusqu'aux oreilles et il faisait mine de se cacher les yeux en la suppliant d'arrêter, en lui disant qu'il risquait de faire tomber la balle en plein match et que son entraîneur allait râler. Une partie de l'équipe s'était prise au jeu, et la blague avait duré un temps (ensuite, Maeva avait cessé d'avoir cinq ans).

C'était des souvenirs comme ceux-ci qu'elle était venue chercher ici ce soir. Des souvenirs doux et amers à la fois, qu'elle n'avait pas convoqué depuis plusieurs années maintenant. Elle avait l'impression d'avoir le coeur serré, une petite boule dans la gorge et, en même temps, elle se sentait un peu soulagée, sans trop savoir pourquoi.

"Et avoir un verre comme ça en soirée, ça donne un sacré style." commenta Maeva avec un sourire en levant la coupe devant ses yeux. "C'est discret aussi, non ?" Elle prit une mine surprise : "Quoi, ça ? Oh, trois fois rien, vous ne saviez pas que mon père et son équipe avait gagné la coupe de la ligue en 2007 ?"

Sa propre remarque lui tira un rire et elle secoua la tête avant de reposer la coupe par terre, à ses pieds. Elle ne se fonderait probablement pas parmi les murs nus de son appartement qu'elle n'avait pas pris le temps de décorer. La question d'Andrew lui fit relever la tête vers lui et elle prit une gorgée de champagne pour se donner le temps de répondre.

C'était comment, la vie en dehors de Poudlard ? Silencieux. Calme. Difficile. Pas exactement ce à quoi elle s'attendait l'année dernière. Elle délivra pudiquement à Andrew une réponse plus édulcorée :

"Studieux, pour le moment." Elle lui expliqua : "Je suis en apprentissage d'archimagie chez Laveau & Wells, alors je ne compte pas trop mes heures..." Elle haussa les épaules et lui glissa avec un sourire : "Mais tu penseras à moi quand tu voudras faire construire une maison, en sortant de Poudlard, je te ferais un prix."

Elle pivota de façon à se retrouver face à lui :

"Et toi alors ? J'ai entendu dire que tu avais été recruté par une équipe professionnelle ? T'es tellement prisé sur le marché qu'on ne te laisse même pas finir Poudlard ?" Une pensée la traversa et elle la lui livre, les sourcils légèrement haussés : "Enfin, j'ai aussi entendu dire que tu tournais des sex-tapes dans les vestiaires de Poudlard alors je ne sais pas trop quoi croire."

Maeva et Andrew avaient grandi avec les mêmes codes, dans le même milieu, et ce malgré les désaccords (bien connus en interne) entre leurs pères. Ils n’avaient pas besoin de développer beaucoup pour se comprendre et c’était plutôt agréable. Face à l’enthousiasme de Tiphaine, qui ne semblait plus savoir où donner de la tête dans la salle, cela faisait plaisir de tomber sur quelqu’un qui était un peu plus comme lui. Il ne blâmait pas sa camarade pour autant, songea-t-il en s’appuyant en arrière, posant ses coudes sur le gradin qui les précédait : il aurait fait la même chose s’il avait été à sa place. Il comptait d’ailleurs discuter avec Gwenog avant de rentrer à Poudlard, histoire de. Évidemment les Harpies, où elle avait pris place dans l’équipe d’entraîneuses, étaient hors de sa portée mais tout comme son père, elle connaissait beaucoup de monde.

- Ouais. Ils sont plus souvent chez moi que moi, tu te rends compte ? fit-il avec un air faussement concerné. Moi qui croyais être le joueur favori de mon père...

Pas du tout : c’était Dai Llewellyn « Le Dangereux », le capitaine des Catapultes de Caerphilly qui avait fini dévoré par une chimère en Grèce. Andrew devait arriver bon quatorzième dans le classement d’Olivier et encore : c’était purement l’amour filial qui parlait (en même temps, son père n’était pas non plus son joueur favori... Pour les batteurs, il s’agissait de Pyotr Vulchanov, des Vautours de Valtivara - il était très sympathique en plus, il l’avait rencontré quand il jouait avec son père - à égalité avec Shintaro Shingo, qui jouait avec la sélection nippone. Sinon en Poursuiveur, il était un grand fan de Connoly, de l’équipe nationale d’Irlande. Et la liste était encore longue.) Quand Maeva hissa la lourde coupe en prenant un air surpris, il eut un rire.

- Je trouve ça bien pour amener subtilement le sujet sur la table, c’est ça qui est bien. Ça fait vraiment modeste.

Il est vrai que le lien entre James Smith et Maeva ne se faisait pas automatiquement puisqu’elle avait longtemps porté le nom de sa mère, avant de prendre celui du professeur Virtanen l’année dernière (parce qu’il était son beau-père, évidemment, elle n’avait juste pas pris un nom de prof au hasard.) Il s’imagina quelques secondes prendre le nom de son beau-père - Gardner - avant d’avoir un frisson mental. Merci mais non merci. Mais bon, cela avait l’avantage d’être plus discret et au vu de ce qui était arrivé à ses parents respectifs, ce n’était peut-être pas plus mal. Surtout qu’elle s’était lancée dans le monde professionnel, loin des murs (théoriquement) protégés de l’école. Il hocha la tête avec intérêt lorsqu’elle lui révéla être en apprentissage dans un cabinet d’archimagie, donc très occupée.

- Ah bah ça tombe bien, moi qui ne savait pas dans quoi dépenser mon énorme fond de pension... répliqua-t-il avec un sourire en coin. Non mais en vrai c’est cool. Ça te plaît ?

Cela faisait vraiment partie des carrières qu’il n’avait jamais envisagées et en même temps, quand on voyait son niveau en arithmancie, il ne valait mieux pas qu’on le laisse calculer des choses. Même avec l’aide de Sasha l’année dernière, il n’avait obtenu qu’un D aux BUSES. Penser à sa meilleure amie lui filait un peu le bourdon - cela faisait un mois tout pile que la vidéo avait été diffusée dans le Poudlard Express et donc un mois tout pile qu’elle ne lui parlait plus - aussi fut-il plutôt content que Maeva enchaîne sur un sujet qui l’enthousiasmait beaucoup plus. Comme à chaque fois qu’on mentionnait les Épouvantards - et c’était arrivé très souvent ce soir - un grand sourire naissait sur ses lèvres. Il n’avait aucun regret d’avoir postulé et chaque entraînement le confortait un peu plus dans sa volonté de tout donner pour vivre un vraie carrière professionnelle. La petite plaisanterie de Maeva quant à son recrutement précoce lui tira un nouveau rire.

- Par les Épouvantard de Leopoldgrad, oui c’est ça. Bah écoute, ils sont venus, je n’allais pas leur dire non... plaisanta-t-il en haussant les épaules.

C’était complètement faux - et il espérait qu’elle avait saisi le second degré sinon il allait vraiment passer pour un sportif m’as-tu-vu - il avait passé les sélections bien gentiment comme tout le monde. Malheureusement pour lui, la conversation dériva immédiatement sur quelque chose de bien moins sympathique que ses entraînements pro. La mention de la sex-tape le fit se relever brusquement, manquant de renverser le soda qu’il avait posé à côté de lui sur le banc.

- C’était pas dans les vestiaires ! répliqua-t-il immédiatement, sans savoir pourquoi ce fut cette information précise que son cerveau avait choisi de contester en premier. Et surtout, enchaîna-t-il vivement, plantant ses yeux bruns dans ceux de Maeva. Ce n’était pas moi !

Le coeur battant un peu plus vite qu’à l’accoutumée, il regarda autour de lui comme si son père allait surgir de sous les gradins en ayant tout entendu. Olivier était encore en contrebas dans la salle de réception, en pleine discussion avec Gwenog Jones et Ginny Weasley. Tout air amusé avait disparu du visage d'Andrew pour faire place à un mélange d’indignation et d’inquiétude. Que cette histoire tourne à Poudlard, d’accord. Que son nom soit suggéré à l’école le révoltait déjà suffisamment mais il savait pourquoi les gens faisaient cette supposition. En revanche, que la rumeur qu’il tournait soi-disant des sex-tapes dans les vestiaires se diffuse en dehors du collège, c’était tout autre chose.

- Qui est-ce qui t’as dit ça ?

La remarque prétentieuse d'Andrew tira un rire à Maeva, qui rebondit dessus :

"T'as bien fait, c'est une bonne chose de donner de l'importance aux petites équipes aussi..."

Évidemment, Maeva était ironique ; si la culture du piston était très présente dans le milieu du Quidditch, la culture du talent l'était encore plus. Aucune équipe ne recruterait un joueur simplement pour ses liens familiaux - même si cela facilitait grandement les rencontres. Andrew avait passé les sélections des EDL - elle le savait parce qu'elle avait entendu Olivier Dubois le mentionner environ cinq fois depuis le début de la soirée - et avait été recruté parce qu'il avait le potentiel de faire une carrière professionnelle, tout simplement. En réalité, Maeva était ravie pour lui ; d'aussi loin qu'elle se souvenait de lui, il lui avait toujours paru passionné par ce sport. Quand ils étaient petits, ils jouaient parfois ensemble à Passe-Souaffle sur un des terrains libre de Flaquemare, et Andrew prenait ça très au sérieux.

Alors évidemment le réseau aidait, songea Maeva en observant Tiphaine en contrebas, mais ça ne faisait pas tout (et heureusement). En revanche, commencer une carrière professionnelle avant même de sortir de Poudlard, cela donnait un sacré appui au dossier d'Andrew et contribuait à lui créer une excellente réputation. Ce fut cependant une réputation toute différente que Maeva aborda ensuite, sans aucune forme de transition entre les deux.

"C'était pas dans les vestiaires !" repliqua-t-il immédiatement.
"Excuse-moi, je n'avais pas tout le contexte de la direction artistique." lança Maeva avec un sourire moqueur.
"Et surtout... Ce n'était pas moi !"

La véhémence d'Andrew fit hausser les sourcils de Maeva. Mais déjà, le jeune homme détournait le regard pour observer les alentours avec inquiétude, cherchant visiblement son père des yeux, qu'il trouva à plusieurs mètres d'eux, dans la salle principale du gala. La question qu'il lui posa ensuite lui demanda une seconde de réflexion.

"Quelqu'un l'a mentionné... dans une soirée je crois ?" Maeva eut un temps de silence. "Oui, c'est ça, c'était Terrence Brown tu vois qui c'est ? Il était dans mon année, à Serpentard. Je t'avoue que j'ai pas eu une conversation entière avec lui sur le sujet, mais il disait qu'une sex-tape avait été tournée dans Poudlard et que tu serais "visiblement"" elle mima des guillemets "le mec dessus."

Elle haussa les épaules ; à vrai dire, elle n'avait pas accordé trop de crédit à cette parole (déjà parce que Terry était connu pour exagérer ses récits, et ensuite parce qu'après avoir passé sept années à Poudlard, elle avait eu son lot des "on dit" et des "visiblement".)

"En vrai, j'ai plus trop de contact avec Poudlard. Enfin, à part Peter évidemment mais c'est pas exactement le sujet qu'on évoque à table" avoua-t-elle avec un rire. "Je pensais que c'était une rumeur..." Son regard se fit un peu plus long sur Andrew "Mais visiblement non ?"

En temps normal, la petite plaisanterie de Maeva sur la direction artistique aurait pu le faire sourire, dans un autre contexte, si la vidéo n’avait pas été celle de Sasha, s’il n’était pas en train d’être accusé d’en être à l’origine. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle soit mentionnée ce soir. S’il avait saisi l’occasion de prendre l’air en revenant à Flaquemare ce soir, c’était aussi pour sortir un peu de cette ambiance et des constantes références à cette histoire. Il ne pensait pas que la vidéo pourrait dépasser les frontières de l’école, pas à un endroit où son père pourrait en entendre parler.

Il avait tu toute cette histoire à ses parents. Il n’était jamais très bavard sur ce qui se passait à Poudlard - au plus grand désarroi de sa mère - et il n’allait pas commencer avec ce scandale. Déjà parce qu’il ne comptait pas parler de sex-tape avec ses parents (la conversation qu’il avait eue avec eux lorsqu’il avait commencé à sortir avec Aby l’avait déjà suffisamment traumatisé), ensuite parce qu’il était bien trop impliqué dans cette histoire à son goût. Même s’il n’était pas coupable, l’affaire avait commencé à prendre de l’essor à son anniversaire et il l’avait très mal gérée sur le moment. Et enfin... parce qu’il avait l’impression que cela ternirait la réputation de Sasha auprès d’eux. Ils la connaissaient depuis qu’ils avait douze ans, lorsqu’ils étaient rentrés de leur première année : elle avait été invitée à son anniversaire chez son père puis chez sa mère en août. Les invitations s’étaient multipliées avec les années et il savait que ses parents l’aimaient beaucoup. Il n’avait pas envie de leur parler de cela, quand bien même elle était la victime et non pas la responsable de cette vidéo.

En tout cas, il s’était encore une fois planté sur toute la ligne puisque l’histoire avait dépassé ls limites de l’école, au point que Maeva soit au courant. C’était une discussion en soirée, visiblement, lui expliqua-t-elle en mentionnant Terrence Brown. La mention du Serpentard lui fit lever les yeux au ciel. Quel con celui-là. Et quel mytho aussi ! Profondément contrarié, Andrew avait perdu toute sensibilité aux plaisanteries de Maeva. Cette histoire, qui jouait déjà énormément sur ses nerfs, commençait à être plus qu’insupportable. Si ça venait aux oreilles de ses parents... Ou même des Épouvantards ! Cela pouvait ruiner sa réputation et mettre sa carrière en danger. Et puis si ça sortait dans la presse... Le fils aîné du célèbre Olivier Dubois qui tournait des sex-tapes scandaleuses à l’école, cela pouvait faire un petite colonne aguicheuse. Il secoua sombrement la tête lorsque Maeva avoua qu’elle avait pensé que ce n’était qu’une rumeur. Il n’allait pas lui mentir de toute manière.

- Non, y’a bien une sex-tape qui tourne mais... Il souffla, avant de reprendre. C’est arrivé l’année dernière, à la soirée de fin d’année, une fille a couché avec un garçon et il l’a filmée sans qu’elle ne le sache. Et à la rentrée, dans le train, la vidéo a commencé à être diffusée massivement, on ne sait pas trop par qui. Il dit que ce n’est pas lui.

Clayton, cet abruti, avait dû l’envoyer à la mauvaise personne. Sa version officielle était que son téléphone avait été piraté ou bien que quelqu’un de mal intentionné avait fouillé dedans (puisque son code était 0000) et avait récupéré la vidéo pour l’envoyer. Andrew ne le croyait absolument pas : il était persuadé que la vidéo avait dû commencer à tourner pendant l’été, entre les mecs de sixième année. Et le jour de la rentrée, sans qu’on ne sache pourquoi, l’un d’entre eux l’avait envoyée à une dizaine de personnes, certaines l’avaient partagée et... on savait ce qui était arrivé.

- On dit que c’est moi parce que je connais la fille à qui c’est arrivé mais ce n’est pas moi, je ne ferai jamais ça. En plus, c’est complètement con, parce que je suis resté à la soirée jusqu’à quatre heures du matin. Et j’avais trop bu.

Après que Sasha soit partie, il avait étouffé sa contrariété dans des verres de plus en plus chargés. Il ne se rappelait même pas être rentré au dortoir : c’était Henry qui s’était chargé de les raccompagner. Gowan était complètement déchiré et le reste de leur petit groupe n’avait pas fière allure. Adarsh avait été malade et la salle Commune des Poufsouffle en avait apparemment souffert. Il soupira de nouveau avant de se retourner pour prendre une gorgée de son soda.

- Et du coup c’était dans des dortoirs, pas les vestiaires.
 

Deux semaines plus tôt, Maeva s’était rendue, accompagnée par Lisa – non, traînée par Lisa – à une soirée organisée sur les quais de la Tamise, à Londres. Deux Poufsouffle de sa promotion avaient proposé des retrouvailles, quelques jours après la date de la rentrée à Poudlard, comme pour commémorer cette première année où ils ne prenaient plus le train tous ensemble. Maeva n’avait pas prévu de s’y rendre – elle n’avait pas répondu sur le groupe de discussion auquel elle avait été ajoutée, espérant ainsi qu’on l’oublierait – mais c’était sans compter Lisa, qui avait décidé qu’elle travaillait beaucoup trop et qu’il était nécessaire qu’elle mette le nez dehors, au moins pour quelques heures. Maeva avait rendu les armes en s’apercevant qu’elle perdrait plus d’énergie à s’opposer à sa meilleure amie qu’à lui céder. Elle s’était donc retrouvée, par un soir de septembre, à bavarder avec d’anciens camarades alors qu’elle désirait ardemment retourner chez elle, et retrouver les bras familiers de Noah, qu’elle avait prévu de rejoindre un peu plus tard dans la soirée. Pour cette raison, elle était partie un peu tôt, retenue seulement quelques minutes supplémentaires avec une conversation qu’elle avait surprise entre Terrence et Jack, deux Serpentard. Le premier affirmait qu’une sex-tape circulait désormais dans Poudlard et avait été filmée depuis les vestiaires de Quidditch. « Je vous jure, » avait-il assuré devant Maeva et Jack, peu convaincus, « on dit que c’est Dubois dessus et bon, comme il passe autant de temps sur le terrain que dans son dortoir, ça me paraît plausible. » Maeva avait secoué la tête, dubitative, et l’histoire en était restée là.

Mais la vérité était bien plus sombre qu’une simple rumeur, comme Maeva l’apprit avec un certain effarement. Elle écouta Andrew sans l’interrompre, absolument inconsciente de ce qui avait bien pu se passer pendant cette soirée de fin d’année à laquelle elle n’avait participé que très brièvement. Son ventre se serra à l’idée qu’une vidéo puisse avoir été filmée puis diffusée à l’insu de la fille qui y était représentée.

« Mais c’est horrible… » souffla Maeva, ayant perdu toute trace d’humour sur un sujet aussi sensible. « On sait qui est l’auteur de la vidéo ? La PM a fait quelque chose ? » demanda-t-elle.

Sa première hypothèse avait été de penser à Damon – franchement, c’était bien le genre à faire ça – mais Andrew avait l’air d’en parler comme d’un garçon encore scolarisé. En plus, Damon – avait-elle appris après que ce dernier ait quitté Lisa – avait été très occupé avec une autre fille, un peu plus loin dans la Forêt. Pas de vestiaire ni de dortoir pour lui, donc.

« J’espère que la fille va bien… » fit-elle en baissant les yeux vers sa coupe de champagne. Elle n’osa pas lui demander son nom et décida que ce n’était pas à lui de le lui révéler. « Enfin, qu’elle tient le coup, en tout cas. »

Avec l’avènement des réseaux sociaux à l’école, les vidéos ne cessaient de tourner entre les élèves. La plupart étaient inoffensives mais plusieurs comptes se faisaient un plaisir de relayer la vie privée des élèves – Gossip Poudlard avait par exemple révélé la relation que Maeva entretenait avec Virgil, ce qui lui avait laissé un souvenir cuisant. En quelques minutes, l’école entière avait visionné les images. Elle n’imaginait même pas ce que cela avait dû être pour la fille qui avait vu son intimité exposée de la sorte.

« Bah dis donc, sacrée ambiance à Poudlard, hein. » commenta finalement Maeva en relevant la tête vers Andrew. « Vous avez déjà eu votre cours d’éducation à la sexualité et au consentement avec le professeur Forbes pour apprendre que non, on ne peut pas filmer les filles à leur insu, ou… ? » s’enquit-elle.

Sinon, pendre le coupable par les pieds depuis la Tour d’Astronomie, ça fonctionnait plutôt bien.

Maeva avait perdu toute hilarité face au récit que venait de lui faire Andrew. Il n’y avait rien de drôle dans cette histoire, malgré ce que Terrence Brown ou toute l’école semblaient penser. Il hocha la tête lorsqu’elle déclara que c’était horrible. Ouais, c’était le mot. Il hésita quelques secondes à répondre à ses questions, précautionneux quant à ce qu’il pouvait révéler. Il n’avait pas envie de faire une gaffe et d’aggraver un peu plus son cas auprès de Sasha mais, dans le même temps, il était rassuré par la réaction choquée de Maeva.

- La PM est prévenue mais j’ai pas l’impression qu’ils fassent grand-chose... Pour l’instant, ils ont demandé à la fille concernée de ne pas révéler le nom du mec, soi-disant le « temps de l’enquête. » Il ne voyait pas pourquoi : l’enquête était toute faite, c’était Clayton, il devait être puni et voilà ! Du coup en attendant, le mec en question est tranquille et t’as des rumeurs dégueulasses qui tournent. Et si jamais je lui fous une claque - parce que je sais très bien qui c’est - c’est encore moi qui aurait des problèmes.

Ensuite ses parents seraient convoqués puisque le règlement intérieur spécifiait qu’on n’avait pas le droit de casser la figure de Clayton Payne, et il faudrait leur expliquer pourquoi il avait fait ça, donc toute l’histoire de la sex-tape. Le seul point positif de ce plan était qu’il n’aurait plus à se soucier d’aucun problème puisqu’il n’atteindrait pas son dix-septième anniversaire : sa mère l’aurait tué avant. Quand Maeva s’inquiéta pour Sasha, sans savoir ce que c’était elle, Andrew baissa les yeux quelques secondes sur le liquide effervescent dans son verre. Il haussa légèrement les épaules.

- Bah elle douille quoi.

Ils ne se parlaient plus mais il voyait bien tout ce qui se passait autour d’elle, les insultes, les moqueries, les références constantes à la vidéo. Sasha était quelqu’un de solide, qui aimait prétendre que rien ne l’atteignait, mais elle devait vivre un cauchemar. Un silence s’établît quelques secondes entre Maeva et lui, avant qu’elle ne reprenne la parole avec une petite plaisanterie. Andrew eut un sourire et secoua la tête, désireux d’alléger un peu cette atmosphère pesante.

- Pas encore mais ça va être un grand moment, ça. Mais, ajouta-t-il en levant une main. Ça ne sera jamais aussi gênant que la conversation que ma mère avait voulu avoir avec moi à ce sujet. Et ça ne sera jamais aussi gênant que la conversation que je risquerai d’avoir avec mes parents s’ils venaient à entendre parler de cette histoire de sex-tape et de ma soi-disant implication. Je te jure que je me préférerais me jeter du haut de la falaise.

Le village de Flaquemare se trouvait dans le Dorset, perché sur les hauteurs typiques de la région.

Maeva faisait tourner le champagne dans sa coupe en écoutant le récit d’Andrew sans se risquer à l’interrompre. Vu la façon dont il s’exprimait, il semblait particulièrement atteint par l’histoire et il lui paraissait malvenu de le questionner davantage. Visiblement, il connaissait le garçon qui était impliqué dans cette histoire désastreuse mais il n’avait pas le droit de révéler son nom à ses autres camarades (pour une raison obscure évoquée par les policiers). Il était donc complètement impuissant, à la fois vis-à-vis des insultes qui devaient être proférées sur son amie et quant aux rumeurs qui circulaient sur son compte. Formidable. Excellent moment.

Intérieurement, Maeva se nota de questionner davantage Peter sur cette affaire – lui aussi devait être réjoui – mais relança la conversation sur une note un peu plus humoristique (si elle avait été sorcière vaudou, elle aurait proposé à Andrew de faire une petite poupée pour torturer le garçon en question mais ses capacités étaient limitées.) Aussi, plaisanter sur l’intervention du professeur Forbes lui semblait être une bonne alternative. Après « l’alcool c’est pas lol » pouvaient-ils s’attendre à un slogan comme « le sexe, c’est complexe » ou « le consentement, c’est important » ? Avec les affiches qui allaient avec évidemment, et les activités gênantes avec les jeux de rôles, et même des petits tote-bag à la fin de la séance. (Elle transmettrait toutes ces bonnes idées à Peter, tiens).

Devant le discours d’Andrew, Maeva ne put retenir un petit rire. Elle ne résista à l’envie de le taquiner un peu et fixant un point dans son dos en écarquillant légèrement les yeux, comme pour le pousser à se taire rapidement.

« Bonjour Olivier. » lança-t-elle avec un sourire contrit. Elle attendit qu’Andrew – qui frôlait l’arrêt cardiaque – se retourne brusquement pour constater qu’il n’y avait personne derrière lui, pour lâcher un éclat de rire.

Le regard de Maeva se détacha de son visage pour fixer un point derrière son épaule. Ses yeux s’écarquillèrent. Le coeur d’Andrew bascula dans sa poitrine. Il comprit immédiatement, avant que Maeva ne salue son père. Immédiatement, ses derniers mots retentirent dans son esprit « Ça ne sera jamais aussi gênant que la conversation que je risquerai d’avoir avec mes parents s’ils venaient à entendre parler de cette histoire de sex-tape et de ma soi-disant implication. » Pourquoi ? Mais pourquoi ? Il allait se faire tuer. Il était mort. Une décharge d’adrénaline parcourut son corps alors qu’il se retournait avec brusquerie, tellement vite qu’il jurerait avoir entendu sa nuque craquer, pour faire face à son père.

Qui n’était pas là.

Il n’y avait absolument personne sur les gradins. Son père était encore en contrebas dans la salle, à discuter tranquillement, complètement ignorant de ce qui était en train de se passer. Le soulagement qui l’envahit ne fut pas suffisant pour apaiser les battements effrénés de son coeur. Il prit quelques secondes pour laisser échapper un souffle avant de se retourner, cette fois-ci plus lentement, vers Maeva.

Elle se marrait.

Son hilarité était contagieuse et un sourire finit par percer sur le visage d’Andrew, qui secoua doucement la tête.

- Très drôle. Qu’est-ce qu’on se marre.

Il ne pouvait pas la blâmer : il aurait été tenté de faire la même chose.

- Achève-moi directement, hein, ça ira plus vite.

Il termina son soda, reposant le gobelet en plastique sur le banc à coté de lui.

- La coupe peut servir d’objet contondant. C’est une belle mort pour un joueur.
 

Cette blague n’était peut-être pas la plus prévenante, mais la tête d’Andrew en valait le détour, songea fugacement Maeva en le voyant devenir blanc. Elle n’avait pas pu résister à lui faire croire que son père avait entendu sa dernière remarque, alors que ce dernier se trouvait toujours dans la salle où se déroulait la réception, comme le lui avait prouvé le coup d’œil qu’elle avait jeté en contrebas. Evidemment, Andrew tomba dans le panneau et il se raidit d’une telle manière que Maeva pensa brièvement que son cœur avait dû s’arrêter. Elle aurait pu s’en vouloir, mais l’hilarité la gagna plus rapidement et elle s’esclaffa face à lui, un peu fière de son stratagème. D’accord, ce n’était pas très sympa, mais elle était à une cérémonie qui commémorait son père mort, elle pouvait bien avoir une carte joker et rire un peu !

Andrew finit d’ailleurs par esquisser lui-même un sourire, signe qu’il ne lui en tenait pas rigueur – il n’avait jamais été un garçon rancunier, de toute façon. Maeva baissa les yeux vers la coupe qu’elle avait déposé à ses pieds, comme pour la jauger du regard.

« Alors là, c’est sûr que ça ferait son petit effet dans les magazines. » confirma-t-elle, le sourire aux lèvres. « Et vu les circonstances de ta mort, l’enquête conclura sûrement que mon père est revenu sous sa forme de fantôme pour assassiner le fils de son plus grand rival. »

L’animosité entre Olivier Dubois et James Smith était connue de tous. Ils ne se détestaient pas à proprement parler mais ils avaient toujours été plus ou moins en compétition – la presse, en tout cas, n’avait jamais cessé de les présenter comme rivaux (et cela, même lorsqu’ils faisaient partie de la même équipe.)

« Evidemment, la question de comment un fantôme aurait-il été capable de soulever une coupe aussi lourde posera question à la police mais… » Maeva haussa les épaules. « Tout le monde pourra attester que mon père était capable de soulever des montagnes quand il s’agissait de faire chier le tien. » Elle eut un regard complice vers Andrew. « Un excellent alibi, finalement. »

Maeva semblait beaucoup s'amuser et Andrew en était plutôt content pour elle. La soirée avait sûrement été difficile, triste, remplie de lourds souvenirs. C'était bien qu'elle parvienne à sourire quand même... Même si c'était pour se foutre de lui. Il secoua tout de même la tête d'un air réprobateur, trop soulagé pour être véritablement contrarié. Il embraya rapidement sur ses plaisanteries, d'un air tout à fait sérieux.

- Mais même sur ma tombe, tu imagines ? "Andrew Dubois-Cavill, tué par une victoire au Quidditch", c'est le rêve. Mieux que "assassiné par sa mère."

Il eut un rire quand Maeva suggéra que l'enquête désignerait sûrement James Smith - ou du moins son fantôme - comme le coupable de son violent meurtre. Quand elle glissa que son père était son plus grand rival, il ne put s'empêcher d'avoir un léger sourire en coin.

- "Son plus grand rival"... On sait quand même celui des deux qui était du niveau supérieur, hein.

Il disait ça, il ne disait rien... (Enfin si, que l'un avait été le gardien de l'équipe nationale et que l'autre... jouait.) La presse, toujours adepte des racontars, s'était fait un grand plaisir de parler de la rivalité d'Olivier Dubois et de James Smith pendant des années, à l'aide de "sources internes" et bruits de couloirs. Dans les faits, les deux ne s'étaient jamais vraiment apprécié. La tension entre eux pouvait devenir très forte à certains entraînements, le staff avait dû intervenir plusieurs fois. Andrew avait déjà vu son père revenir furieux du stade, prêt à maudire de tous les noms son coéquipier qui ne prenait pas assez au sérieux le noble art du Quidditch (selon lui.) Néanmoins, ils savaient jouer ensemble lorsqu'il le fallait, ils savaient tous les deux prendre sur eux pour le bien de l'équipe, notamment lorsque Flaquemare avait remporté cette fameuse Coupe, aux pieds de Maeva. Et pourtant, comme le disait Maeva, James Smith était capable de beaucoup pour emmerder son père (et c'était relativement facile, puisque Olivier était la personne la plus premier degré qu'Andrew connaisse.) La mention de cet élément raviva un sourire sur son visage, en même temps que des souvenirs.

- J'avoue que c'est crédible. Mais tu sais que qui ferait vraiment chier mon père ? Pas que je meurs ce soir non. Mais que le stade soit condamné le temps de l'enquête, annulant donc le match de vendredi (Flaquemare contre les Catapultes, un classique toujours apprécié.) Ca, c'est le drame Maeva. Parce que tu ne peux pas annuler le Quidditch.

La grande devise de son père.

- Tu te rappelles quand ton père avait fait croire au mien que les Vagabonds de Wigtown avaient obtenu l'autorisation de la Ligue de s'équiper avec des Nimbus 2030, avant même leur lancement sur le marché pro ? Il en était devenu dingue. Il n'en dormait plus la nuit, je te jure. En conférence de presse, il avait failli sauter à la gorge d'un journaliste de Balai Magazine qui avait tenté de lui expliquer que c'était sûrement faux. Et je revois ton père, il était assis genre deux places plus loin, qui luttait pour ne pas exploser de rire et rester discret. Il a failli s'étouffer en tentant de boire. Il préférait mourir plutôt que d'avouer que c'était une vanne.

« Hum, aux dernières nouvelles, ton père n’a pas de cérémonie organisée en son honneur chez Flaquemare, avec des vidéos rétrospectives de sa carrière. » fit remarquer Maeva. « Alors, d’accord, c’est en partie parce qu’il est décédé, mais je suis sûre que mon père voit ça comme une écrasante victoire sur le tien. »

Un sourire étirait ses lèvres. Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas abordé son père d’une façon aussi légère, en convoquant des souvenirs heureux. Ces derniers lui paraissaient si lointains qu’elle avait parfois du mal à réaliser qu’ils lui appartenaient vraiment. C’était un peu douloureux, de ressasser tout ça, au regard de tout ce qui était advenu après mais… Mais cela lui laissait également un petit goût de nostalgie dans la bouche, une saveur douce-amère qu’elle ne pensait pas retrouver un jour. C’était ce qu’elle était venue chercher ici ce soir, sur les conseils de son psychomage à qui elle avait récemment confié l’étrange impression de n’avoir aucune racine familiale. « C’est comme s’il n’y avait rien au-dessus de moi. » lui avait dit Maeva. « Vous voyez, les arbres généalogiques ? Bah c’est comme si le mien était une souche. » Ce qu’elle faisait ce soir visait à reconstruire des branches, à retisser des liens et elle n’était pas mécontente d’avoir Andrew à ses côtés pour le faire.

Evoquer ainsi la rivalité de James Smith et d’Olivier Dubois lui rappelait plusieurs scènes inoubliables de son enfance. Son père – qui avait toujours eu un ego surdimensionné (comme tous les joueurs de Quidditch, à son sens) – ne supportait que très mal les régulières piques d’Olivier sur son jeu (et encore moins lorsque ce dernier avait été recruté par l’équipe nationale.) Maeva ne souvenait l’entendre marmonner régulièrement quelque chose qui ressemblait à s’y méprendre à « ce Dubois de mes deux ». Plusieurs altercations entre les deux hommes avaient été franchement tendues, mais ils avaient réussi à mettre leurs différends de côté pour jouer ensemble dans l’équipe de Flaquemare, qu’ils affectionnaient tous les deux particulièrement. Et puis, l’un des passe-temps favoris de James Smith était effectivement d’emmerder Olivier Dubois, donc il tirait un certain plaisir à cette animosité (et, même si Maeva aimait beaucoup le père d’Andrew, tout le monde pouvait se mettre d’accord pour dire qu’il était très facile de l’emmerder, même sans y mettre autant de volonté que James Smith.)

« Oh Andrew, ton père ne laisserait pas le stade fermer pour une simple enquête. » lui rappela Maeva avec un air compatissant. « Il préférerait que l’affaire soit classée sans suite. »

Justement, il suffisait de toucher de près ou de loin au Quidditch pour embêter Olivier Dubois qui était du genre à tout prendre au pied de la lettre. Le second degré ne l’avait pas touché à la naissance, comme disait souvent son père, qui ne se gênait pas pour en profiter sans scrupule, comme le lui rappelait justement Andrew.

« Oh Merlin oui ! » lança Maeva en riant. « Mon père était aux anges, je te jure. Ton père y a cru pendant quoi ? Une semaine ? J’aurais pu demander n’importe quoi au mien tellement il était de bonne humeur. » Et probablement qu’elle en avait un peu profité, d’ailleurs. « Et tu te souviens quand mon père avait décidé de faire croire au tien qu’il avait signé un contrat exclusif avec les balais norvégiens raske koster alors que tout le monde sait qu’il s’agissait des moins bons du marché ? Et que du coup, il serait obligé de voler avec sur 50% de ses matchs ? Je crois que je n’ai jamais vu ton père devenir aussi rouge. Il était même parti voir la direction de Flaquemare ! » Maeva secoua la tête, le sourire aux lèvres. « Ton père est bien trop premier degré, mon père s’est régalé avec ça pendant des années. »

Quand Maeva déclara que son père à lui n'avait pas de soirée hommage organisée à Flaquemare, Andrew dut prendre sur lui pour ne pas répliquer un peu trop rapidement que c'était dû au fait qu'on ait assassiné ce pauvre James Smith. Il pouvait être un tout petit peu trop intense quand on en venait au Quidditch. Heureusement pour lui, Maeva le rappela d'elle-même, ce qui lui permit de faire une blague qu'il n'aurait pas assumée devant ses parents (sa mère lui aurait mis une claque derrière la tête, sa grande spécialité, pauvre enfant battu qu'il était.)

- Laisse-moi aller annoncer à papa que j'arrête le Quidditch pour aller élever des dragons, il va faire une crise cardiaque et on va voir à qui Flaquemare va rendre hommage. A qui la Nation va rendre hommage même !

Non, il n'en faisait pas trop. C'est juste que son père avait joué plusieurs années au sein de l'équipe nationale, quand cette dernière avait remporté la Coupe du Monde. Cela voulait dire quelque chose. C'était plus qu'important. On parlait de l'équipe nationale. De la Coupe du Monde de Quidditch ! Même James Smith l'aurait compris, ça Andrew en était sûr (mais oui, il aurait quand même nargué Olivier avec le splendide hommage que venait de lui rendre le club ce soir. Son père en aurait été furieux et en aurait parlé pendant des semaines. Là, il se retenait juste parce qu'il était mort et donc que ce n'était pas correct. Amanda avait dû le briefer avant de venir, pas question de mentionner les échecs de James ou son amour des femmes ou le fait qu'il avait manqué le pénalty face aux Chauve-Souris de Fichucastel en 2007.)

- ... Oh c'est brutal, souffla Andrew en posant une main sur son coeur, quand Maeva rappela que son père préférerait que l'enquête soit classée sans suite après son meurtre, plutôt que de mettre en danger le match à venir. C'est vrai. Mais c'est brutal.

Andrew eut pendant quelques secondes en tête une scène où son père expliquerait à sa mère que sa mort était déjà jouée, contrairement au match, alors il ne servait à rien d'annuler ce dernier juste parce qu'il était décédé. Quelque chose au fond de lui soufflait que ce n'était peut-être pas si loin de la réalité... Après tout, sa mère lui avait déjà raconté que, lors de leur sixième année à Poudlard, la Chambre des Secrets avait été ouverte. Le Monstre se baladait dans toute l'école, pétrifiant des innocents, y compris Pénélope Deauclaire, qui était une amie de Sarah. La Coupe de Quidditch avait fini par être annulée, alors que des menaces de fermeture planaient sur l'école. Son père avait bien évidemment été choqué et outré qu'on puisse annuler la Coupe alors que "Personne n'avait jamais été pétrifié dans le stade" et "Annuler la Coupe n'allait pas empêcher le monstre de pétrifier des gens". La compassion n'avait jamais été sa qualité première. Ni deuxième.

Le second degré n'était pas non plus dans ses grandes qualités (euphémisme : il n'en n'avait aucun, c'était la personne la plus littérale au monde.) C'était donc assez facile de le rendre dingue et la plupart de ses proches ne s'en privaient pas, comme pour compenser le fait qu'Olivier les faisait tourner en bourrique avec le Quidditch. James Smith s'en donnait à coeur joie, prenant sûrement beaucoup de plaisir à embêter son capitaine (et il connaissait, il avait une Colette à l'école.) La liste des petites blagues qu'il avait fait à Olivier était longue comme le bras et ces souvenirs amusaient visiblement beaucoup Maeva. La mention des balais raske koster lui tira un grand éclat de rire à lui aussi. Cette histoire avait secoué les Dubois pendant des jours (et il se mettait dans le lot, parce qu'il avait été outré lui aussi, quand son père avait raconté ça.)

- Oh mais oui ! Rouge ? Tu parles, à côté de lui, le blason de Gryffondor ne ressemblait plus à rien. Il a frôlé l'AVC ! Il a tapé un scandale à Bratton - le président du club de Flaquemare - je crois qu'il a menacé de ne pas jouer le premier match de la Coupe d'Europe si ton père volait sur un raske koster. Il ne l'aurait jamais fait, et Bratton le savait, mais c'est dire à quel point il était furieux. A sa décharge, j'étais choqué aussi. Je crois que j'en ai fait des cauchemars. Il eut lui aussi un sourire lorsque Maeva rappela que James Smith s'était régalé pendant des années avec le côté très premier degré d'Olivier. En même temps, c'est tentant... J'aime mon père, hein, mais. Il tend la batte pour se faire battre. Il avait même cru ton père quand ce dernier lui avait fait croire que le nouveau sponsor de Flaquemare était Lissenplis, les potions capillaires là. Qu'ils allaient tous devoir se lisser les cheveux avec avant chaque match. Ma belle-mère a dû s'interposer pour qu'il ne se rase pas la tête.

Andrew secoua la tête, amusé.

- Tu te rends compte ? Maintenant il est dans l'équipe d'entraîneurs de Flaquemare et il n'y a personne pour le faire tourner en bourrique ? Les nouveaux doivent vivre un enfer. Je pense que c'est eux qui risqueraient de convoquer le fantôme de ton père. C'est eux les vrais coupables de ma mort, si tu veux mon avis.

Maeva se sentait assez légère, installée dans ces gradins qu’elle avait arpentés étant enfant. Comme ces moments lui paraissaient loin, désormais, presque comme s’ils ne lui appartenaient pas réellement. Les évoquer avec Andrew l’aidait à se les réapproprier, exercice auquel elle se livrait avec une surprenante facilité. C’était plus simple, de parler de tout ça avec lui plutôt qu’avec n’importe lequel de ses amis. Andrew et elle se connaissaient depuis longtemps mais ils appartenaient à deux univers opposés. Leur lien n’existait presque qu’à Flaquemare, lorsqu’ils s’y retrouvaient pour assister aux matchs, aux entraînements – ou, comme ce soir, à un hommage funèbre. Ils avaient une trop grande différence d’âge pour fréquenter les mêmes cercles à Poudlard alors ils ne se connaissaient pas si bien que cela. Suffisamment pour pouvoir se parler comme deux vieux amis, deux vieilles connaissances, mais pas assez pour qu’Andrew ait pu assister à la lente descente aux enfers de Maeva l’année dernière. Il ne savait pas, pas comme Noah, Virgil, Kasya ou Lisa. Alors c’était plus simple, pour un soir, de s’ouvrir à des souvenirs qu’elle avait longtemps repoussé, jusqu’à ce qu’ils lui deviennent étrangers.

« Ohhh, je me souviens ! » s’exclama Maeva en riant lorsqu’Andrew évoqua les potions capillaires Lissenplis. « Vraiment… Ton père a passé des années à fréquenter le mien et il continuait à tomber dans chacun de ses pièges. » Elle secoua la tête. « C’était presque trop facile pour lui ! »

Pourtant, James ne s’en était jamais plaint. Olivier Dubois avait le don de le rendre fou – outre, ses petites plaisanteries qui paraissaient bon enfant, les deux joueurs s’étaient déjà sérieusement accrochés sur le terrain, à tel point qu’un membre de la direction avait dû intervenir. Alors, il tirait un plaisir à le faire tourner en bourrique, jouant sur l’incapacité d’Olivier à percevoir le second degré ou l’ironie (c’était maladif, à ce stade.)

« Crois-moi que si on convoquait le fantôme de mon père pour venir hanter Flaquemare, il rappliquerait directement. » souligna Maeva. « Tu imagines ? Il pourrait commenter l’intégralité de ce qu’il se passe au club et, si Olivier se met à hurler sur lui - ce qui serait bien légitime -, il pourrait simplement le traverser jusqu’à ce qu’il arrête. Le pied. »

Cette vision lui tira un vague sourire et elle baissa les yeux vers la salle de réception où Olivier Dubois était toujours en grande conversation avec plusieurs membres du club, ainsi que la nouvelle capitaine des Harpies.

« Bon Andrew, maintenant qu’on est tous les deux, tu peux m’avouer la vérité. » fit Maeva en se tournant vers lui. Elle laissa planer quelques secondes de silence avant de reprendre, très sérieusement : « Tes entraînements chez les EDL ne valent pas un quart de ceux que tu suivais avec moi ici, n’est-ce pas ? »

Quand ils étaient petits et qu’ils passaient des heures à Flaquemare, Maeva et Andrew se lassaient bien vite de contempler les joueurs filer à toute allure pendant leurs entraînements. Leur jeu principal consistait à prétendre qu’Andrew était un joueur de Quidditch professionnel – comme son papa – et que Maeva était son entraineuse (elle était plus grande, alors il était bien normal que ce soit elle qui décide). Une fois, ils avaient effacé du tableau des vestiaires toute une partie de la stratégie de l’équipe pour qu’elle puisse dessiner des traits très embrouillés, censés représenter des figures qu’Andrew devait ab-so-lu-ment réaliser pendant son match imaginaire.

Trop facile, c’était bien le terme. On aurait pu croire qu’avec les années, Olivier aurait cessé de plonger la tête la première dans les petits pièges tendus par James Smith mais il n’en n’était rien. Quand il était au club, il était tellement concentré sur son jeu et sur le Quidditch que tout le reste lui passait au-dessus. Pour son père, le Quidditch était tellement sérieux qu’on ne pouvait être que grave dans un stade. Il n’était pas là pour plaisanter. Cette façon de voir les choses, ajoutée à son tempérament très premier degré... Les résultats étaient désastreux - pour lui - mais assez drôles - pour les autres, surtout quand ces autres s’appelaient James Smith. Andrew tourna la tête vers Maeva lorsqu’elle éclata de rire, visiblement plus détendue maintenant que lorsqu’elle était sur la scène tout à l’heure, à recevoir la coupe des mains du président Bratton. Cette constatation lui tira un léger sourire, sourire qui ne tarda pas à se transformer en grimace à l’idée d’un club hanté.

- Pitié, non. Tu sais, à la fin de la journée, c’est sur moi que ça retombe. Enfin, ajouta-t-il après quelques secondes de silence. Je suis à Poudlard la plupart du temps, donc c’est plutôt sur ma soeur et ma belle-mère. Mais quand même !

Déjà que son père était très tendu en période de championnat... Il savait très bien que cela n’était pas toujours facile pour Amanda, sa belle-mère, qui était également stressée à la même période : elle était journaliste sportive pour « On relâche le Vif », sur la RITM. Ce n’était jamais des périodes très agréables à la maison et, avant qu’il ne parte au collège, Andrew n’était pas mécontent de vivre principalement chez sa mère. Les choses étaient bien plus tranquilles (malgré l’arrivée de Doug quand il avait eu huit ans. De toute façon, Doug était quelqu’un d’assez tranquille.)

Il releva la tête vers Maeva lorsqu’elle reprit soudainement un ton sérieux, qui lui fit froncer les sourcils. Lui avouer la vérité ? Est-ce qu’elle allait encore lui parler de la sex-tape ? Elle laissa planer quelques secondes de silence avant de révéler ce qu’elle avait derrière la tête, ce qui lui tira un léger rire. Quand ils étaient gamins, les journées pouvaient se faire longues dans les gradins. Alors évidemment, ils s’échappaient pour jouer. Ils étaient en sécurité dans le club fermé, tout le monde les connaissait. Ils arpentaient les couloirs en courant, allaient jouer les enfants sages auprès des administratifs pour obtenir des bonbons et surtout, ils jouaient au Quidditch professionnel. Maeva était toujours l’entraîneuse, parce qu’elle avait déjà un bon caractère de Gryffondor : têtue, obstinée et persuadée d’avoir raison. Et lui... était plus petit, donc il se laissait faire la plupart du temps (jusqu’au moment où il en avait brusquement marre et piquait une crise gigantesque qui se terminait régulièrement - selon son père - par des tentatives de coups de pied ou de morsure.) Mais ils s’amusaient quand même beaucoup, à reproduire ce qui se faisait autour d'eux.

- Ah bah très clairement. D’ailleurs, quand les EDL m’ont demandé comment je m’étais préparé aux sélections, j’ai répondu « avec Maeva Hellsoft. » Ils étaient très impressionnés. Par contre, étonnamment, ils ne pratiquent pas la figure du dragon mangeur de sorciers.

Une technique très compliquée, inventée évidemment par leurs soins, qui impliquait de se laisser glisser le long de la rampe d’escaliers qui menait à la tribune des officiels, une pente particulièrement raide. Il en était tombé une fois et s’était ouvert l’arcade sourcilière sur le côté d’un banc. Leurs pères respectifs les avaient copieusement disputés (il fallait dire qu’ils avaient dû avoir une petite frayeur en les voyant revenir, lui le visage complètement en sang et la robe de Maeva tâchée aussi) et Olivier s’était en plus fait engueuler par sa mère, scandalisée de voir dans quel état il lui ramenait son fils.

- Mais t’inquiète, fit-il en appuyant ses coudes derrière lui, un jour ton génie sera reconnu par tout le monde sorcier. 

Il baissa la tête pour contempler quelques secondes la salle. De nouvelles choses semblaient être apparues sur le buffet, peut-être des amuse-bouche sucrés.

- Tu veux y retourner ? proposa-t-il à Maeva. Ou bien tu as eu ta dose de socialibilisation pour la soirée ?

Ce qu’il pouvait comprendre. Une soirée d’hommage à son père... Il ne savait pas comment elle tenait encore debout.

Flaquemare n’était pas franchement un lieu adapté aux enfants. Il n’y avait pas de garderie ou d’adultes destinés à les surveiller, ni de jouets ou d’activités pour les distraire pendant la journée. (Sans parler du fait que le terrain était occupé par des joueurs professionnels qui volaient à toute vitesse et des Cognards sacrément féroces). A part lors des moments festifs ou des portes ouvertes, le club était composé essentiellement d’adultes. Sauf que ces adultes en question avaient parfois des enfants, dont la garde ne pouvait pas être assurée par leur partenaire duquel ou de laquelle ils étaient séparés. James Smith n’était évidemment pas obligé d’amener sa fille à Flaquemare lorsqu’il en avait la garde – avec l’argent qu’il gagnait, il aurait très bien pu engager une nourrice et c’était ce qu’il avait fait à quelques reprises – mais Maeva refusait catégoriquement de quitter son père lorsqu’elle était jeune. Elle le regardait avec des grands yeux larmoyants, une petite moue sur les lèvres, disait « s’il-te-plait papa » et, sans trop de surprise, James craquait. Il séchait ses larmes, transplanait en tenant sa fille dans un de ses bras et son sac dans l’autre et Maeva passait la journée à arpenter le club de Flaquemare.

Souvent, elle y retrouvait Andrew. Il était plus petit qu’elle, alors elle pouvait le commander (elle adorait ça), et ils se lançaient dans des jeux qui n’avaient aucune limite à part celle de leur imagination. Ils chevauchaient les bancs des vestiaires comme s’il s’agissait de balais extrêmement rapides, glissaient sur la rambarde de l’escalier, courraient dans les couloirs. Ils tombaient, se blessaient, se disputaient, mais riaient beaucoup.

« Ils ne sont pas assez bons pour ça. » expliqua Maeva lorsqu’Andrew mentionna la figure qu’ils avaient inventé de toute pièce. « Ça demande une certaine dextérité technique que peu de joueurs peuvent acquérir. »

Elle lui adressa un sourire rieur avant de finir la fin de sa coupe de champagne.

« J’espère bien. Je compte bien gagner ma vie en apprenant à l’équipe d’Angleterre la technique de du strangulot affamé. » (Qui consistait à sauter de chaise en chaise en poussant des cris stridents).

Le cœur plus léger désormais, Maeva suivit le regard d’Andrew. Les lumières de la salle éclairaient les alentours et on pouvait facilement deviner ce qui se passait à l’intérieur. Visiblement, on servait des petites mignardises (et toujours du champagne, bien entendu). Brièvement, Maeva se demanda ce que son père aurait pensé de cet hommage. Elle l’imagina debout dans un coin de la pièce, un verre à la main, à observer l’assemblée. « Regarde, » lui aurait-il dit, « tu fais gagner un championnat à une équipe en marquant seize buts d’affilés, seize !, et on t’organise un hommage funèbre similaire à la fête de départ en retraite de la secrétaire. » Il aurait un peu ri. « Au moins ils ont mis le prix sur le champagne. » aurait-il conclu. Du pur James Smith : un peu grinçant, un peu ironique, un peu drôle.

« J’ai eu largement ma dose, ça ne s’est pas vu quand j’ai prononcé mes remerciements ? » plaisanta Maeva. « En plus je dois passer récupérer les dernières affaires de mon père, qui traînaient dans son ancien casier. » Un moment plein de joie en perspective. « C’est Edgar qui doit me les donner en plus. » grimaça Maeva. Edgar était le secrétaire du club. Il était sympa mais il adorait parler de sa passion pour les insectes. A vrai dire, il ne parlait que de ça. « Je préfère rester avec toi, on a des sujets de discussion plus variés, tu vois. Souvenirs d’enfance, études, sex-tape dans les vestiaires… »

« Une quoi dans les vestiaires ? » questionna alors une voix qui n’était ni celle de Maeva, ni celle d’Andrew et qui s’éleva dans l’obscurité.

Andrew eut de nouveau un rire lorsque Maeva déclara d’un ton tout à fait sérieux que les EDL n’étaient de toute manière pas assez talentueux pour maîtriser les figures très techniques qu’ils avaient pu inventer tout au long de leur enfance. Il fallait dire qu’à force de voir leurs pères et le reste de l’équipe sur leurs balais, accomplir des miracles qui semblaient remettre en cause les lois de la gravité, ils avaient eu envie de s’y mettre aussi. Et comme ils n’étaient absolument pas surveillés dans l’espace du club... Quand elle mentionna la technique du strangulot affamé, des images se bousculèrent soudain dans son cerveau et lui tirèrent une légère grimace.

- Hum... Combien de souvenirs gênants es-tu capable de convoquer ce soir ?

Beaucoup trop à son goût, en tout cas. Il était plutôt content qu’il n’y ait pas d’image de cette période parce qu’il se revoyait vaguement faire le strangulot affamé et... Disons qu’il ne l’assumait que moyennement. Surtout pas si ça tombait entre de mauvaises mains (comme celles de ses amis, par exemple, à tout hasard.)  

En contrebas, des petits-fours sucrés et des mignardises avaient été servis, entraînant un subtil déplacement des convives vers le buffet. Il aperçut sa belle-mère, de dos, en train d’hésiter visiblement sur ce qu’elle allait manger. Elle sembla échanger une plaisanterie avec Ginny Weasley-Potter, l’ancienne poursuiveuse vedette des Harpies, qui se tenait à côté d’elle. Un peu attiré lui aussi par les desserts, Andrew proposa à Maeva de redescendre si elle en avait envie. Comme il s’en doutait, elle n’était pas très partante : elle avait largement fait sa part pour ce soir et son apparition dans la salle ne manquerait pas de relancer la valse des condoléances et des gens qui voulaient avoir un petit mot avec elle au sujet de son père. Tant pis pour les desserts, il s’en remettrait très bien.

- Il est possible qu’à ce moment-là, j’ai été en train de me déplacer discrètement vers le buffet pour choper une coupe de champagne dans le dos de mes parents, répondit-il avec un sourire en coin.

Échec cuisant. Il avait croisé le regard sombre du coach Wade - qui était en charge plus spécifiquement de l’entraînement des batteurs - et il avait abandonné toute tentative. Le coach savait très bien qu’il était mineur et n’était pas du genre à laisser passer ça. Pas du tout, même. Andrew avait été chanceux de ne pas hériter de tours de terrain à faire en punition (quand bien même il n’était pas du tout membre de Flaquemare : le coach Wade estimait qu’être ici, c’était être sur son territoire et donc, son autorité.) Son sourire s’effaça néanmoins quand Maeva lui confia qu’elle devait en plus récupérer de vieilles affaires de son père. Encore un moment difficile à vivre pour elle ce soir, et elle était toute seule pour le faire... Il s’apprêtait à lui proposer de l’accompagner quand elle mentionna Edgar, le secrétaire de direction. Un homme un peu étrange, qui portait des pulls sans manches tricotés été comme hiver et avait une passion prononcée pour les insectes. Son bureau était rempli de trucs à pattes bizarres sous cloche et chaque personne qui y passait avait le droit à un exposé complet sur ses merveilles, comme il le disait. Andrew avait toujours fait en sorte de l’éviter et de s'adresser aux autres secrétaires, quand il en avait l’occasion... Mais comme Edgar était leur supérieur, des fois, il n’y coupait pas. Maeva non plus, ce soir.

- Pas de chance. Grace me disait justement l’autre jour qu’il avait récupéré des acromentules miniatures de Russie. Plus petites mais toujours aussi dégueues.

S’il en croyait du moins la description très imagée de sa soeur qui, à huit ans, avait beaucoup décliné le mot « beurk. » Il comprenait donc que Maeva n’ait pas l’intention de se presser auprès d’Edgar, préférant selon elle rester à discuter. La nouvelle mention de la sex-tape aurait presque pu lui tirer un sourire, voire même une petite blague, quand une voix retentit derrière eux.

Une voix qu’il connaissait par coeur.

Suivie de pas qu’il connaissait tout autant.

Il se retourna vivement pour faire face à son père, quelques bancs plus bas. Il ne l’avait pas vu quitter la soirée pour les rejoindre. Olivier avait les sourcils légèrement froncés et les mains prises. Il arriva vers eux en quelques enjambées, une expression indescriptible sur le visage. Andrew eut l’impression que son estomac venait de passer par dessus sa tête, comme lorsqu’il faisait un looping sur un balai. Il se pétrifia sur place, incapable d’articuler le moindre mot. Et pourtant, dans son cerveau, tout allait à pleine allure. Il avait entendu. Son père avait clairement entendu ce dont ils parlaient. Il allait poser des questions. Il allait comprendre. Il allait l’assassiner. Andrew n’avait jamais été un bon menteur. Et encore, pour mentir, encore aurait-il fallu qu’une idée d’explication lui vienne.

Son père le fixait toujours et il déglutit avec difficulté, réalisant que sa gorge s’était nouée. Impatient, le regard d’Olivier allait de lui à Maeva.

- De quoi vous parliez ?

Pour la première fois de sa vie, Andrew se retrouva à prier qu’un Cognard surgisse de nul part et vienne l’assommer. Peut-être que s’il était dans le coma, ses parents envisageraient de ne pas le punir pour l’éternité.

Si Maeva avait plaisanté sur le sujet un peu plus tôt dans la soirée, elle se figea en distinguant Olivier Dubois s’avancer vers eux, les sourcils froncés. La jeune femme se morigéna intérieurement alors que le père d’Andrew les observait à tour de rôle. Il avait évidemment entendu la dernière partie de sa phrase – son regard sévère en témoignait – et attendait désormais des explications avec l’air très caractéristique du père qui n’avait profondément pas envie de plaisanter.

A côté d’elle, Andrew n’en menait pas large. Il restait silencieux, incapable de répondre à la question de son père. Maeva ne pouvait pas le blâmer : ce n’était pas exactement une conversation agréable à avoir avec ses parents. « Papa, maman, l’une des mes amies a été filmée à son insu par un sale type, et désormais l’intégralité de Poudlard est persuadée que je suis le sale type en question. En revanche, elle était dans son dortoir, pas dans un vestiaire. » Non, vraiment, il y avait mieux pour finir la soirée.

Ne désirant pas laisser le silence s’installer trop longtemps, Maeva s’agita légèrement, sa coupe de champagne vide toujours entre ses mains.

« Je racontais à Andrew quelque chose qui est arrivé à l’une de mes amies, à l’école. » mentit-elle avec aplomb en observant Olivier. Le malaise qui demeurait dans son regard pouvait largement être compréhensible en raison du sujet qu’elle abordait. « Quelqu’un l’a filmé alors qu’elle se changeait dans les vestiaires. La vidéo a été diffusée à toute l’école, même certains professeurs l’ont reçu, et beaucoup sont persuadés qu’elle l’a fait exprès, pour faire parler d’elle. » Maeva secoua doucement la tête, puis posa son verre sur le siège vide à côté d’elle.

Il lui sembla plus judicieux d’éviter de s’étendre trop longtemps sur le sujet – elle était bonne menteuse mais n’avait pas envie d’inventer encore plus de détails à cette sordide histoire. Elle jeta un regard en contrebas puis lança avec un sourire d’excuse :

« J’étais venue ici pour avoir un peu de répit après la cérémonie… » avoua-t-elle. « Andrew a proposé de me tenir compagnie jusqu’à ce que je redescende pour vider le casier de papa avec Edgar. » Ce qui, honnêtement, ne serait pas une partie de plaisir. Maeva avait un peu peur de ce qu’elle allait trouver dans les affaires oubliées de son père et repoussait ce moment autant qu’elle le pouvait. « Je pense que ça lui aurait plu, la cérémonie. » fit-elle en s’adressant à Olivier. Elle eut un sourire un peu tordu, mi-triste mi-amusé : « Enfin, il aurait sûrement eu des choses à redire mais, au moins, il est l’unique vedette pour toute la soirée. »

Un profond sentiment de reconnaissance envahit Andrew lorsque Maeva ouvrit la bouche pour mentir à son père. Elle prétendit qu’une de ses amies avait été filmée à son insu en train de se changer et que la vidéo avait tourné dans l’école. Ce n’était pas tant un mensonge, quand on y pensait... Mais cela lui sauvait grandement la mise. Il vit les sourcils d’Olivier se détendre et ce dernier hocha la tête deux fois.

- Oh.

C’était sûrement tout ce qu’ils auraient de lui s’ils ne le poussaient pas sur le sujet et Andrew ne préférait vraiment pas, de peur de faire une gaffe. Il souhaitait absolument laisser ses parents en dehors de toute cette histoire, le plus longtemps possible, idéalement, pour toujours. Maeva enchaîna en affirmant qu’elle était venue ici pour avoir un peu de répit après la cérémonie et Andrew fit un signe de la tête pour acquiescer lorsqu’elle le mentionna. Il tourna le regard vers la salle illuminée à la mention de James Smith, ses yeux s’arrêtant sur les kakémonos à son image, dispersés dans la pièce.

- Ça le change, répondit laconiquement Olivier lorsque Maeva déclara que son père aurait apprécié d’être la vedette de la soirée.

Andrew tourna brusquement la tête vers son père et lui fit les gros yeux.

- Papa ! Tu ne peux pas dire ça.

Olivier fronça de nouveau les sourcils.

- Mais c’est vrai ! Pardon, Maeva, mais c’est la vérité, il n’a jamais été l’unique vedette. Il en aurait été content, il avait beaucoup d’ego.
- Mais papa ! C’est méchant à dire.
- C’est... Olivier posa les yeux sur Maeva. Pardon, alors.

Il lui tendit la petite verrine qu’il avait dans la main.

- C’est de la mousse au chocolat. Je l’avais prise pour Andrew, mais tu peux l’avoir du coup.
- Parce que la mousse au chocolat compense laaaargement le fait d’avoir mal parlé de son père à lors d’une cérémonie en son hommage.
- Je n’ai pas mal parlé, corrigea Olivier, c’est la vérité. Il aurait été là que je l’aurais dit également !

C’était sûrement très vrai, il n’aurait pas manqué de l’épingler.

- James n’était pas le meilleur joueur de Quidditch et il était absolument désastreux aux tirs aux buts mais c’est triste qu’il ne soit plus là, lança-t-il en regardant Maeva dans les yeux. C’est bizarre, un monde sans son père.

Il avait perdu le sien assez jeune, quand il avait vingt ans. Andrew ne l’entendait pas beaucoup en parler, il savait surtout les choses par sa mère. C’était son grand-père Ainsley, il avait apparemment un caractère assez difficile et les choses pouvaient être compliquées avec son fils. Il n’avait jamais vraiment compris son entêtement à vouloir faire du Quiddich son métier, ou bien l’étendue de sa passion. Le fait d’avoir un bébé imprévu juste après Poudlard n’avait pas non plus facilité les choses entre eux. Il avait été été assassiné lorsque Andrew avait à peine un an, par des mangemorts. Il appartenait à la PM et avait été envoyé sur le terrain pour une intervention, aux prémices de la deuxième guerre.

Olivier vint s’assoir en face d’eux et tendit un verre rempli de soda à Andrew. Son expression sembla se détendre.

- Tiens.

Maeva étouffa un sourire devant les remarques abruptes d’Olivier. S’il était un excellent joueur de Quidditch, il n’avait en revanche jamais été connu pour savoir faire preuve de tact et cela se vérifiait une nouvelle fois. Mais plutôt que de la heurter ou de la peiner, cette conversation la réconforta étrangement. C’était agréable d’évoquer son père avec quelqu’un qui l’avait connu pendant aussi longtemps ; cela lui rappelait des souvenirs anciens, qu’elle pensait avoir oublié dans la tourmente des dernières années de vie de son père, qui avaient été marquées par une longue et lente descente aux enfers – pour lui et pour toute leur famille. Olivier avait connu son père au sommet de sa carrière, lorsque l’alcool n’entachait pas encore son quotidien. Son père qui, se souvint Maeva avec un sourire nostalgique, l’avait fait monter sur son balai lorsque Flaquemare avait gagné la coupe de la Ligue, juste avant d’entamer un tour d’honneur avec le reste de l’équipe.

Elle avait souvent du mal à réaliser que ces deux personnes – ce père aimant qu’elle adulait et celui qui avait été si dur envers elle – n’en soient en réalité qu’une seule.

Maeva, qui s’était emparée de la mousse au chocolat que lui avait tendu Olivier, releva la tête vers lui lorsqu’il s’adressa de nouveau à elle. Ses mots flottèrent un instant entre eux. « C’est bizarre, un monde sans son père » disait-il avec une drôle d’expression sur le visage. Elle hocha la tête, comme pour approuver silencieusement cette phrase qui résonna en elle. C’était bizarre. C’était à la fois triste sans l’être entièrement. C’était rageant mais sans que la colère ne l’envahisse complètement. C’était bizarre.

« C’est bizarre, de penser qu’il ne reviendra plus jamais ici. » souffla-t-elle finalement en balayant le stade du regard. « Il a passé tellement d’années à Flaquemare, c’était comme une seconde maison pour lui… Pour moi aussi, sourit-elle, j’ai quasiment appris à marcher dans les tribunes. » Avec une petite cuillère, elle entreprit de casser la première couche craquante de chocolat, qui recouvrait la mousse. « C’était peut-être pas le meilleur joueur de l’équipe mais… Je crois vraiment qu’il a donné tout ce qu’il pouvait au club. » conclut Maeva en haussant les épaules. « Tu peux t’estimer heureux qu’il ne soit pas revenu en tant que fantôme pour hanter le terrain… »