La soirée de la désintégration [Virgil]

Une bruyante musique techno pulsait dans les hauts-parleurs. « La soirée de la désintégration » battait son plein au cœur du Deluminator, cette boite branchée de Leopolgrad. De nombreuses associations étudiantes, issues de différentes formations du pays, s’étaient réunies pour proposer cette immense soirée, au goût plus ou moins douteux. Les affiches d’invitation mettaient en avant des sorcières au décolleté pigeonnant, vêtues de robes « traditionnelles » étonnamment courtes. Les organisateurs proposaient « trois salles, trois ambiances », des canons à mousse et des « animations. » Au vu de la qualité de l’affiche, Marlene n’était pas vraiment pressée de voir la qualité desdites animations.  

Et pourtant, comme beaucoup d’étudiants, elle était présente ce soir. Quand elle était entrée en Médicomagie, elle s’était promis de s’intégrer, pas comme à Poudlard. Ça passait notamment par assister aux soirées auxquelles participaient ses camarades de promo et, honnêtement, il y en avait beaucoup pour des gens qui travaillaient autant. Elle s’y amusait plus ou moins, selon les soirées et les ambiances. Les plus cool à son sens étaient celles en plus petits comités, avec quelques promotions de médicomagie. Elle n’était jamais à l’aise dans ces grandes foules débridées, au contraire de sa copine Fiona. Cette dernière pouvait descendre les verres sans hésiter, danser sur la piste même avec des inconnus et arriver à parler à tout le monde comme si elle les connaissait depuis toujours. Marlene avait toujours du mal à la suivre et finissait souvent assise dans un coin, à regarder autour d’elle. Mais elle était toujours contente d’être présente, elle avait l’impression de mener la vie que les filles cool de son âge (comme l’était Fiona) devaient mener. Elle espérait que cette année ne les éloignerait pas. Elle passait en deuxième année de médicomagie alors que son amie redoublait sa première année. Elle ne l’avait pas très bien vécu, elle n’était qu’à 0, 9 points de la validation.

En tout cas, les deux filles s’étaient mises en quête d’une banquette pour déguster leurs consommations, deux cocktails colorés et assez sucrés. Mais la boite était pleine et tous les endroits semblaient occupés. Fiona leur fit arpenter deux salles avant de trouver un coin où se poser, Marlene tirant régulièrement sur sa robe noire, qu’elle trouvait un peu courte. Elles se glissèrent face à une table un peu collante, avec une vue plongeante sur toute la salle. Des lumières stroboscopiques illuminaient la salle par intermittence, alors que les gens se remuaient sur de la musique. Les banquettes étaient enchantées pour que le son de la musique y paraisse moins fort, facilitant ainsi les discussions.

- À la tienne ? suggéra Fiona en levant son verre. À la réussite de nos années respectives !
- On va gérer, assura Marlene en hochant la tête, leurs boissons s’entrechoquant.

Le regard de Fiona dériva sur la piste de danse et elle se pencha vers Marlene pour désigner une fille qui portait une combinaison de cuir rouge.

- Elle s’est trompée de lieu elle, elle voulait aller au club BDSM là, celui pas loin de la Place Merlin.
- Tu me sembles bien renseignée dis donc...

Fiona ricana et lui fit un haussement de sourcils suggestifs. Elle aspira un peu de sa boisson à la paille avant de reprendre.

- En vrai, l’année dernière lors de mon stage au premier étage (le service des blessures par créatures vivantes, donc), le docteur Pye m’a parlé de ce patient qui arrivait de ce club. Il avait un dard de billywig profondément enfoncé dans son...
- Oh bah Fiona !

Une jeune fille brune aux grands yeux verts venait de les interrompre, laissant à Marlene le soin d’imaginer où avait pu finir le dard de billywig. Deux hypothèses, toutes les deux éprouvées lors de gardes aux urgences, lui venaient en tête.

- Juliet ! Ça va ?

Fiona se leva pour saluer chaleureusement son ancienne camarade de promo. Elles échangèrent quelques mots et ladite Juliet finit par désigner un coin de la salle avec sa main. Visiblement, d’anciens camarades de Serdaigle étaient réunis là-bas.

- Je vais aller dire bonjour alors ! Je reviens ! Tu gardes la place Marlene ?

Marlene hocha la tête et se retrouva vite toute seule sur sa banquette, à siroter son cocktail à la paille. Bon bon bon. Elle guettait la salle, espérant voir apparaître Fiona. Elle se sentait un peu stupide à être toute seule sur sa banquette, comme si quelqu’un allait la remarquer et la trouver ridicule. La plupart des gens étaient en train de se secouer plus ou moins langoureusement sur la piste de danse, ou bien agglutinés au bar. Pour se donner une contenance, elle plongea la main dans son petit sac pour en sortir son Pear. Pas de message. Elle commença à faire défiler Instamag, prenant soudainement l’air occupé.

Marlene faisait défiler des vidéos sur son Pear et les regardait d’un air très absorbé. Elle s’était arrêtée sur une fille qui montrait des tenues « back to school » en tournoyant. C’était une jolie jupe tiens... Elle était en train d’en chercher la référence dans les commentaires quand quelqu’un se glissa à côté d’elle, la faisant presque sursauter. Dire qu’elle fut étonnée de voir Damon Drop serait un euphémisme. Mais c’était bien son ancien camarade de Poudlard qui s’était incrusté sur la banquette, accompagné, sans surprise cette fois-ci, de Virgil. Ce dernier avait tiré un pouf face à la table, visiblement bien décidé à s’installer. Ça, elle ne l’avait pas vu venir.

Il faut dire que Virgil, Damon et elle n’avaient jamais été très copains. Euphémisme, encore. Les rares fois où Damon avait dû lui adresser la parole directement, c’était pour se foutre d’elle. Alors qu’elle était dans une année supérieure ! Les choses s’étaient accentuées lors qu’elle était devenue préfète-en-chef et était donc sortie de l’ombre. Elle n’était pas certaine qu’il l’ait vraiment remarquée avant. Elle se sentait toujours mal à l’aise de passer devant la petite bande qu’il formait avec Virgil, Kasya, Phil et compagnie quand elle marchait dans les couloirs. Plusieurs fois, elle les avait avait entendus ricaner juste après son passage. Elle pouvait très bien imaginer ce qu’ils avaient à dire sur elle... Avec Virgil les choses étaient légèrement différentes. Alors elle n’allait pas dire qu’elle était contente de le voir mais elle était un peu moins surprise qu’il l’ait saluée, depuis leur conversation à peu près normale il y a deux semaines.

Ce qui n’était pas normal en revanche, c’était le regard que Damon posait sur elle. Il glissa son bras sur le dossier derrière elle et déclara qu’elle était très en beauté ce soir, d’un ton presque caressant. Marlene resta quelques secondes interloquée. Deux options ici. Soit il avait quelque chose à lui demander (mais comme ils n’étaient plus à Poudlard et qu’elle ne pouvait pas lui annuler une retenue, elle ne voyait pas ce qu’il pouvait vouloir) soit... il la draguait. Ou bien, troisième option, la plus probable en fait : il se foutait d’elle, après avoir manigancé quelque chose avec Virgil. Un peu méfiante, Marlene reposa son Pear refermé sur la table.

- Je suis en médicomagie, répondit-elle assez laconiquement, son regard passant du sourire enjôleur de Damon à Virgil.

Ce dernier prit justement la parole et comme d’habitude, ne s’embarra pas de fioritures. Damon voulait coucher avec elle. Ou espérait en tout cas. Il s’était installé là dans l’espoir de conclure avec elle pour tirer son coup (parce qu’elle n’était pas naïve, c’était Damon Drop.) Alors ça. Avec elle. Elle hésitait entre « C’est la chose la plus dégoûtante que j’ai entendue de ma vie » et « Avec moi ? » Non parce que c’était dégoûtant, Damon était un mec dégoûtant, méchant, qu’elle n’appréciait pas pour un sou. Mais il draguait des filles plutôt mignonnes d’habitude. Et là c’était elle ? Ça devait être la robe, songea-t-elle. Le mélange « un peu trop courte et un peu trop décolleté. » Mais quand même. Depuis quand elle était la fille qu’on draguait dans les bars ? Qu’est-ce qui avait changé ? Ça marchait vraiment ce truc de nouvelle Marlene ?

Elle ouvrit la bouche pour répondre quelque chose, une sorte de « Mais ça va pas ? » d’un ton outré (et un peu aigu) mais se retint. Ses yeux venaient de se poser sur Virgil, qui avait toujours la répartie vive. Être outrée, c’était l’ancienne Marlene. Elle aussi, elle pouvait avoir des réparties à peu près classes. Ou en tout cas, un peu plus cool. Elle avait une occasion devant elle, une occasion qui ne se représenterait sûrement pas deux fois. Après des années à l’entendre se moquer d’elle, elle avait l’occasion de remettre un peu Damon à sa place. Elle avait l’occasion de recaler Damon Drop et franchement, elle ne pensait pas que ce moment se présenterait à elle un jour. Elle sentit cette impression de petit pouvoir et en éprouva une large satisfaction.

- Damon, commença-t-elle en se tournant vers lui, lui adressant un sourire. Tu vois le balcon là-bas ? Et bien je préférais m’en jeter et me briser tous les os plutôt que de coucher avec toi. Elle prit une gorgée de son cocktail (elle avait vu ça dans un film une fois.) Mais bien tenté.

Cette situation était surréaliste tout de même. Le ton doucereux avec lequel Damon s’adressait à elle, la façon dont il la regardait dans les yeux en tentant de la flatter... Peut-être que si cela avait été quelqu’un d’autre, cela lui aurait fait un peu d’effet. Peut-être qu’elle aurait pu se sentir flattée d’être repérée par un beau garçon comme cela - même si évidemment, elle était amoureuse de James et n’aurait jamais eu l’intention d’en faire quoi que ce soit - peut-être qu’elle aurait pu rendre à Damon un vrai sourire. Sauf que le problème, c’était que c’était Damon Drop. Et outre le fait qu’elle savait très bien ce qu’il voulait (parce que Virgil le lui avait dit), elle le connaissait assez pour savoir qu’il n’avait pour elle aucun respect : il s’était bien fait plaisir à Poudlard, il s’était bien foutu d’elle. Alors tout son petit déploiement de charme la laissait parfaitement indifférente à lui (même si, pour être tout à fait honnête... cela lui faisait plaisir d’être pour une fois celle qu’on tentait de draguer.) Elle répondit d’un air circonspect à sa question, ses yeux allant régulièrement de lui à Virgil.

- Je n’ai pas encore de spécialité, je rentre en deuxième année...

Mais la façon qu’elle eut de le repousser - pourtant, pour une fois qu’elle avait une bonne réplique - n’eut pas grand effet. Damon posa dramatiquement une main sur son coeur comme si elle le blessait, avant de déclarer qu’elle l’impressionnait beaucoup. Elle eut un petit rire incrédule, secouant la tête. Oh non, il n’allait quand même pas jouer de ce violon-là... ? Mais si. Il eut le culot de déclarer qu’il se moquait d’elle pour qu’elle le remarque, avec une petite moue dépitée et de grands yeux brillants. Elle ne pouvait pas le nier, il était doué à ce petit jeu-là... Mais c’était Damon Drop. Elle n’arrivait pas à le croire, elle ne pouvait pas le croire, et surtout, elle voyait du coin de l’oeil que Virgil se retenait de se marrer. En même temps, Damon y mettait vraiment du coeur dans son petit numéro. Tout ça pour avoir ses chances avec elle... Et bah. Les choses changeaient dis donc. Elle aimait vraiment bien ce truc de Nouvelle Marlene (mais pas au point d’envisager quelque chose avec son ancien camarade de classe, c’était vraiment impossible. Et elle aurait trouvé ça impossible qu’elle soit avec James ou pas.)

- Drop, fit-elle après un silence. Je suis beaucoup de choses mais vraiment pas stupide.

Elle secoua la tête, son regard continuant d’alterner entre Damon et Virgil.

- Tu n’étais absolument pas impressionné par moi et vous vous amusiez bien à vous foutre de moi, rappela-t-elle. Dommage pour toi du coup, souffla-t-elle, plutôt amusée de pouvoir le recaler. Mais bien tenté, hein, dix points pour l’effort.

Elle reprit une gorgée de son cocktail, savourant ce nouveau petit pouvoir.

- T’as dû t’en prendre des râteaux ce soir avant de te rabattre sur moi, dis donc... C’est ça le problème d’atteindre son apogée à Poudlard. Après tout n’est plus qu’une longue descente...

Ou en tout cas, elle avait eu besoin de croire à cette théorie, que tous ces gens populaires qui l’avaient un peu malmenée avaient connu leurs heures de gloire lors de leur scolarité et finiraient ensuite agents d’assurance bedonnants, célibataires et chauves dans un petit village ennuyeux tandis qu’elle pourrait vivre ses heures de gloire à elle.

Marlene savait qu’elle n’avait jamais été très douée pour sortir des punchlines qui remettaient quelqu’un à sa place en quelques secondes. C’était un talent qu’elle aurait aimé avoir, elle en avait souvent rêvé. Le soir, dans son lit (surtout à Poudlard) elle se repassait le fil de la journée et imaginait ce qu’elle aurait pu répondre si elle en avait eu le courage et l’imagination. Évidemment, c’était toujours plus facile des heures après, une fois que la situation était terminée et qu’elle n’était plus dans la panique d’être sous le feu des projecteurs. Depuis quelques temps, elle essayait de développer ce côté-là d’elle, parce que c’était toujours pratique au travail face à des patients un peu agressifs ou des collègues étudiants qui prenaient les externes pour leurs elfes de maison. Là, face à Damon Drop, elle avait tout donné.

Et ce n’était pas très efficace.

Pourtant, elle avait eu l’impression d’avoir été piquante avec lui mais cela ne semblait rien lui faire. Au contraire, il continuait, allant même jusqu’à poser sa main sur son bras alors qu’il assurait que les moqueries à Poudlard étaient relativement bon enfant. Ce n’était pas le souvenir qu’elle en gardait, elle pouvait très facilement convoquer le sentiment d’humiliation que cela avait provoqué chez elle. Quand Virgil lui avait fait un croche-pied devant tout le monde alors qu’elle passait dans un couloir... La remarque hautement obscène que Damon lui avait fait dans le hall alors qu’elle revenait des serres de botanique, à base de James, Mimi Geignarde et Chambre des Secrets. S’il n’y avait eu que ça... Elle avait en mémoire tout un catalogue de moqueries qui, à la décharge de ses deux anciens camarades, ne provenaient pas que d’eux. Il y avait eu Lauren et Samantha, Clara Guipure et Ashley Reynolds, Kalamity Chambers et Kessy Brooks et d’autres. Alors Marlene ne pensait pas qu’elle avait fait partie de ces élèves harcelés, qui ne pouvaient jamais passer une journée en paix. On la laissait relativement tranquille, elle était une élève assez discrète. Mais de temps en temps, une petite pique, quand elle était appelée au tableau, quand elle remontait entre les tables de la Grande Salle, dans les couloirs, dans son dortoir. Des petites remarques qui, individuellement, n’avaient sûrement pas beaucoup de retentissement mais qui s’étaient gravées au fer rouge dans sa mémoire.

Elle retira donc son bras de la main de Damon, peu sensible à sa défense. Elle s’apprêtait à lui rappeler la remarque qu’il lui avait faite dans le hall en septième année lorsque Virgil intervint, en étant parfaitement honnête et lucide sur ce qui était arrivé. Elle ne sait pas si elle aurait utilisé le terme qu’il venait d’employer mais puisqu’il l’avouait lui-même...

- Comme tu dis, approuva-t-elle en hochant la tête, son regard un peu surpris s’attardant sur l’ancien Gryffondor.

Au premier abord, elle fut étonnée qu’il parle si franchement mais, en y réfléchissant bien, ce n’était pas la première fois. Déjà la dernière fois à l’hôpital, il avait tenu un discours plutôt direct vis-à-vis de leurs familles et de leur tentative de recomposition. Est-ce que c’était le Nouveau Virgil ? Elle ne pouvait pas le dire : à Poudlard, elle avait toujours eu un a priori extrêmement négatif de son camarade, qu’elle considérait comme un abruti méchant, moqueur, fatiguant et glandeur. Elle n’avait pas pensé à lui chercher une qualité comme la franchise alors que depuis le début de la conversation, c’est lui qui avait exposé les intentions de son ami, continuant encore en lui demandant s’il comptait vraiment sur sa réussite (sous-entendu donc, réussir à coucher avec elle. Elle n’en revenait toujours pas. Il en avait vraiment eu l’intention. Et d’ailleurs, il continuait de l’avoir, au vu de ses dires.) Il lança d’ailleurs une nouvelle estocade, gonflant ses muscles. Cela lui fit hausser les sourcils, peu impressionnée (quand même, elle sortait avec James Carter, il lui en fallait un peu plus.)

- Je ne suis pas certaine que ce soit ton coeur que tu veuilles me montrer, Damon...

En tout cas, elle pouvait lui accorder qu’il était déterminé : rien ne semblait lui faire lâcher l’affaire, ni ses refus ni les petites piques de Virgil qui semblait s’amuser de la situation. Au bout d’un moment, cela devait être de l’ego songea Marlene. Il ne devait juste pas tolérer le rejet, lui qui était habitué à avoir toutes les filles à ses pieds, ce n’était pas possible de se faire repousser par une. Ce n’était pas qu’il voulait coucher avec elle à ce point, non ? Non. C’était de l’orgueil. Forcément. C’était pour cela qu’il osait prétendre qu’il ne voyait qu’elle (mais oui, bien sûr), ce qui fut vite démenti par Virgil.

- Aaah, fit Marlene en reprenant une gorgée de son verre, c’est donc ça.

C’était bien plus cohérent qu’il se soit déjà fait recaler une première fois. En tout cas, Damon n’apprécia pas de ne pas être soutenu par son meilleur ami comme cela puisqu’il répliqua immédiatement. Malgré elle, Marlene ne put s’empêcher de laisser échapper un rire, presque en même temps que Virgil. Ah.

Deux choses : la première était qu’elle n’avait pas le souvenir d’avoir déjà vu ce dernier rire sincèrement. Cela avait dû arriver mais elle lui associait bien plus un petit ricanement méchant ou un sourire en coin qui n’annonçait rien de bon. Mais un vrai rire ? Jamais. Et la deuxième... Depuis quand est-ce qu’elle s’amusait (un peu) en présence de Damon Drop et de Virgil Forbes ? Qu’est-ce qu’il y avait dans son verre ? Parce que la situation devenait de plus en plus incroyable au fil des minutes.

Toujours aussi déterminé, elle vit que Damon avait glissé son bras sur le dossier de la banquette, se tournant un peu plus vers elle pour la regarder dans les yeux. Est-ce que c’était déjà arrivé avant ? Elle n’en n’était pas certaine. Elle avait tendance à fuir son contact visuel dans les couloirs de l’école, comme on fuirait un prédateur dans la nature : ne pas se tenir dans la zone de tir... Sauf que cette fois-ci, c’était un autre tir que Damon tentait. Il l’observa quelques secondes de manière assez intense avant de déclarer qu’elle était sur la pente ascendante, prenant Virgil à parti. Alors là. C’était un compliment ? Et pour la première fois depuis le début de la conversation, Marlene eut l’impression qu’il y avait un fond de vérité dans ce qu’il lui disait. Pour le coup, elle eut l’impression qu’il le pensait un peu. En même temps, s’il la pensait vraiment repoussante, il n’aurait pas perdu son temps à tenter avec elle.

Est-ce qu’elle était flattée que Damon Drop la trouve sur la pente ascendante ? Non, elle n’aurait pas dû l’être. Maaaais. Il fréquentait quand même pas mal de jolies filles. De très jolies filles. Et il lui disait un peu qu’elle ne faisait partie. Ou commençait. Alors elle n’aurait pas dû être flattée. Mais cela lui faisait quand même un peu plaisir. Un plaisir un peu, un peu-beaucoup coupable. Cela changeait des remarques des dernières années. C’était comme avoir changé de catégorie un peu. Alors il est vrai qu’elle faisait plus attention depuis qu’elle était sortie de Poudlard, depuis qu’elle avait quitté le carcan un peu rigide de l’école. Elle s’habillait autrement, elle essayait de prendre des vêtements plus flatteurs, aidée par ses nouvelles copines notamment : Flora s’habillait de manière assez sexy. La preuve en était : sa robe de ce soir était à la fois un un peu courte et un peu décolletée (mais Flora avait dit que c’était très bien.) Et puis ça y est, elle n’avait plus les plaques de boutons qu’elle avait eues en sixième année et globalement, elle se sentait mieux dans sa peau et son corps depuis qu’elle sortait avec James. Cela l’avait beaucoup aidée, parce qu’il lui disait à quel point il la trouvait belle, parce qu’il la désirait, la complimentait beaucoup. C’était plus facile de se sentir belle quand on vous regardait avec tant d’amour.

Mais que les compliments lui viennent d’ailleurs que de son petit-ami, cela lui faisait aussi quelque chose. Parce que James n’était plus objectif, ils étaient amoureux. Damon Drop n’aurait pas hésité à lui rebalancer une horreur s’il avait voulu. Et là, il lui faisait comprendre en gros qu’elle était attirante. Elle ne pouvait pas ne pas en être un peu contente. C’était plus fort qu’elle. C’était une petite victoire pour l’ancienne Marlene. Mais ce n’était pas pour autant qu’elle allait lui sauter au cou en le remerciant de la trouver un peu jolie. Prenant sur elle pour ne pas sourire (même si cela se vit un peu sur son visage), elle haussa les épaules.

- Et bien je suis toujours hors de ta portée, Damon, répondit-elle d’un ton qui se voulait égal.

Et pas uniquement parce qu’elle sortait avec James d’ailleurs. Mais parce qu’elle ne ferait jamais confiance à Damon : c’était le genre de mec à vous filmer en douce pour montrer la vidéo à ses potes. Son amoureux fut d’ailleurs mentionné, parce qu’il devait « baliser » qu’elle sorte sans lui comme ça. Elle ne pensait pas, il ne lui avait jamais rien dit. Il était juste content qu’elle s’amuse avec ses copains de médicomagie. Ils se faisaient confiance. Elle n’eut pas le temps de répondre que oui, ils étaient encore ensemble, que Virgil le fit pour elle, mentionnant la conversation de l’enfer sur laquelle James avait été ajouté par son père.

- Oui, on est toujours ensemble. Et non, il ne balise pas, parce qu’il n’est pas comme ça. Elle prit une gorgée d’alcool avant de hocher la tête, en réponse à la question de Virgil au sujet de Noël. Ouais. Il ne sait pas ce qui l’attend, le pauvre... Il pense que ça sera un dîner normal. Elle leva les yeux au ciel, illustrant ce qu’elle pensait de cette réunion de famille à venir. Pauvre James. Son côté Poufsouffle n’était pas prêt pour cela. Mais je pense sur le long terme. L’année prochaine, je pourrai juste dire qu’on passe Noël chez lui. Parce que là, Ottilie est un bébé, à dix-huit heures elle est couchée. L’année prochaine, elle aura dix-huit mois et il faudra la contempler pendant une heure ouvrir ses paquets cadeaux avec ta mère qui n’en peut plus et mon père qui nous impose le spectacle dans un silence religieux.

Elle reprit une gorgée d’alcool ; ce verre descendait vite dis donc.

Marlene ne pensait pas que cette simple petite déclaration au sujet de James déclencherait tant de réaction. Elle vit la mine faussement - elle l’espérait - accablée de Virgil et le regard circonspect de Damon. À la manière dont il le formula, elle comprit ce qu’il voulait dire mais elle secoua tout de même la tête : elle ne préparait pas vraiment son réveillon 2012. Elle ne savait pas ce qu’elle allait offrir comme cadeaux, ou le thème de décoration de la table. C’est juste que James était une constante dans sa vie, ils étaient amoureux, bien sûr qu’elle imaginait les deux prochains Noëls avec lui, tout comme elle imaginait les suivants. Virgil formula cette pensée tendre à voix haute et ce, de manière bien moins mignonne. Il la singea en mentionnant la maison, les enfants et le chien, ce qui fit lever les yeux de Marlene au ciel. Evidemment, lui, il ne pouvait pas comprendre. Est-ce qu’on l’avait déjà vu dans une relation longue avec une fille ? Non, bien sûr que non (ou en tout cas, pas qu’elle le sache et elle voulait bien admettre qu’elle n’était pas non plus une grande spécialiste de la vie amoureuse de Virgil Forbes.) Damon se tourna vers elle avec un air horrifié et Marlene se sentit obligée de se justifier.

- On est heureux ! protesta-t-elle quand il déclara qu’elle ne pouvait pas faire ça. On est bien tous les deux, c’est tout.

Elle soutint son regard alors qu’il se décalait pour mieux lui faire face, visiblement complètement scandalisé par ce qu’elle osait dire. Quelle horreur, brr, une relation de couple épanouie ! Néanmoins, sans le savoir véritablement, Damon mettait le doigt sur des questions qui avaient déjà traversé l’esprit de Marlene à un époque. James était son premier petit-ami. Il était même son premier tout. Et il y avait eu un moment, avant qu’ils ne se séparent l’année dernière, où le fait qu’il soit son unique, en plus de son premier, l’avait un peu taraudée. Pas au point de faire quoi que ce soit de ces questionnements, elle tenait trop à lui et à leur relation pour tout envoyer en l’air pour des pensées, mais elle y avait un peu réfléchi. Cette idée qui circulait partout qu’à vingt ans, on devait être célibataire pour découvrir plein de choses et ne pas s’enfermer dans une relation. Qu’il fallait enchaîner les conquêtes ou au moins un peu profiter de sa jeunesse. Elle s’était posé la question. Est-ce qu’un jour, elle allait regretter de n’avoir connu que lui ? Elle l’avait un peu envié, dans un sens, car elle savait qu’il avait fréquenté plusieurs filles avant elle. Il ne devait pas se poser ces questions lui, questions qu’elle refusait d’aborder car elle se refusait à lui faire de la peine.

Puis ils s’étaient séparés, violemment. Cela lui avait brisé le coeur, elle en avait été très malheureuse pendant longtemps. Et dans un sens, cette rupture avait répondu à ses questions : elle avait rencontré quelqu’un pendant qu’ils n’étaient plus ensemble, Liam, qui l’aidait en sortilèges pour réussir sa médicomagie. C’était arrivé une fois. Cela n’avait pas soigné son coeur brisé. Cela ne lui avait pas donné envie de multiplier l’expérience dans toutes les soirées de médicomagie (et pourtant, certains camarades ne se privaient pas.) Elle avait juste envie d’être avec James. C’était avec lui qu’elle avait envie de profiter. Lorsqu’ils s’étaient remis ensemble, ces questionnements n’étaient plus là. Alors même si Damon et Virgil avaient vu plutôt juste, elle ne se sentit pas vraiment troublée par ce qu’ils insinuaient. Elle les vivait, les meilleures années de sa vie.

Néanmoins, pas découragés par le manque de conviction qui apparaissait sûrement sur ses traits, les deux amis enchaînaient, dans un petit numéro qui semblait bien rôdé. La façon qu’eut Virgil d’hésiter sur le prénom de Damon lui tira un sourire, mais ce fut aux commentaires de ce dernier qu’elle eut un véritable éclat de rire, amusée par leur cinéma. Qui eût cru que Damon Drop et Virgil Forbes pourraient la faire rire comme cela ? Tout en reprenant un peu de sa boisson, Marlene secoua la tête, son sourire toujours aux lèvres.

- Bedonnant et chauve ? Vous avez déjà rencontré James ou... ?

Non parce que, certes, elle n’était pas complètement objective, elle voulait bien l’admettre. Mais quand même. Quand Damon plongea son regard dans le sien en lui donnant du « ma belle », elle eut comme un léger coup de chaud, qui dut se traduire par ses joues rouges. Ils étaient chargés ces cocktails quand même. Pleine de bonnes résolutions, elle posa son verre quasiment vide sur la table - il valait mieux en rester là - avant de se tourner plus franchement vers Damon.

- Admettons. Mais on peut aussi se demander ce que pensent tes coups d’un soir le lendemain matin, quand tu les dégages pour passer à la prochaine. Ça doit être un mélange entre « Mais pourquoi j’ai fait ça ? » et « Où est le centre de dépistage le plus proche ? » Et tu sais comment on appelle ça, Damon ? Des remords.

Elle souleva son verre par réflexe avant de le reposer sur la table en le sentant vide à son poids.

- Enfin, je dis Damon mais ça vaut aussi pour toi Virgil. C’est peut-être vous qui vous réveillerez à quarante ans bedonnants et chauves en vous disant « Si j’avais su je n’aurais pas été un cognard avec les filles. » « Si j’avais su, je me serais trouvé une copine tant que j’avais encore des abdos » ajouta-t-elle en désignant vaguement le torse de Damon de la main.

Marlene haussa les sourcils lorsque Damon déclara qu’elle affirmait quelque chose d’incroyablement sexiste. Il avait l’air outré mais quelque chose lui disait qu’il en rajoutait une couche... Elle secoua la tête lorsqu’il lui demanda si elle pensait qu’une fille ne pouvait pas désirer une relation d’un soir. Ce qu’elle pointait du doigt, c’était que des fois tu espérais plus d’un garçon que cela et que tu pouvais regretter ensuite de t’être investie pour rien. Et parce qu’elle imaginait bien des filles regretter d’avoir couché avec Damon (pire, Virgil !). C’était cohérent dans sa tête en tout cas. Juste un peu plus difficile à expliquer à cet instant, parce qu’elle avait l’impression que les mots ne sortiraient pas dans le bon ordre.

- Je n’ai pas dit ça, protesta-t-elle quand même en secouant de nouveau la tête. Je sais très bien qu’une fille peut juste vouloir un coup d’un soir.

Étrange sujet de discussion avec Virgil et Damon, elle en convenait. Mais tout dans cette soirée était un peu bizarre, de la compagnie à Flora qui l’avait visiblement complètement abandonnée. Et si ll avait dû rester toute seule à cette table ? Pas très cool de sa part. Certes, elle s’amusait bien - et elle en était la première surprise - mais quand même. Son rire se majora lorsque Damon entreprit de prouver qu’il avait une belle implantation capillaire et ne risquerait donc pas de devenir chauve, comme elle le prophétisait. Son meilleur ami saisit l’occasion de l’embêter un peu, déclenchant immédiatement une vive réaction. Ah, visiblement le sujet était sensible... et la Serpentard qu’était Marlene le nota dans un coin de sa tête. C’était toujours utile à savoir. Cela la faisait rire de les voir interagir tous les deux, ils semblaient bien plus sympa sous cet angle. Visiblement un peu piqué dans son ego, l’ancien batteur entreprit de faire la liste de ses relations, pour prouver qu’il avait été en couple plus longtemps qu’elle.

- Bien essayé, répondit-elle. Mais James et moi on est ensemble depuis 2008. Ça fera trois ans en novembre, soit plus que tes... rapide calcul mental. Deux ans et trois mois en couple. Donc ça veut dire que suis bien plus expérimentée que toi sur ce sujet !

Elle avait laissé de côté les quasi sept mois où ils avaient été séparés. Déjà parce qu’ils avaient recommencé à se fréquenter au bout de trois mois, pendant l’été, et aussi parce qu’ils étaient compensés par cette période de quatre mois à Poudlard où ils se fréquentaient sans être officiellement ensemble. Grosso modo, ça s’annulait, surtout si c’était pour gagner un point face à Damon Drop.

La mention de Virgil en tant que « loveur » lui fit hausser les sourcils. Ce n’est pas exactement le terme qu’elle aurait employé à son sujet, surtout si c’était pour l’associer à celui de « canard. » Elle ne se rappelait pas l’avoir vu avec une fille à Poudlard (même si elle n’était pas tout le temps concentrée sur lui.) Quand il tenta d’échapper aux allusions de son ami, Marlene leva une main pour l’interrompre, se penchant un peu sur la table.

- Détrompe-toi, ça intéresse beaucoup Marlene.

Elle était toute ouïe, surtout si c’était pour entendre une histoire de Virgil désespérément amoureux. Lui qui était si prompt à se foutre d’elle... Il y avait des chances que cela soit drôle. Elle s’accouda sur la table, posant son menton dans sa main alors que le récit toujours très coloré de Damon débutait.

- Tu sais que ce gars était tellement amoureux…
- Tout de suite les grands mots.
- Tutut’ laisse moi raconter.
- Oui, Virgil, laisse les adultes discuter entre eux, nargua Marlene, décidément bien échaudée parce qu’elle avait bu.
- Je disais donc que ce gars était tellement amoureux qu’il a cherché l’adresse moldue du père de la meuf en question pour la rejoindre chez elle.
- Mooh. Un vrai petit stalker.

Elle éclata de rire à l’anecdote du transplanage. Elle imaginait la tête qu’aurait fait Agathe si elle avait trouvé son cadet en train de faire le mur alors qu’il était puni pour aller séduire une fille...

- Et ensuite il s’est pointé comme une fleur chez la nana et il l’a emballée au clair de lune.
- Au clair de lune ? Elle coula un regard circonspect envers lui, parce qu’elle peinait vraiment à croire qu’il avait la trempe d’un héros des livres romantiques qu’elle dévorait. Ouais, c’est bien ce qui me semblait, rajouta-t-elle quand il contesta cet état de faits. Virgil Forbes est bien trop cool pour ça.

Au clair d’un joint de mandragore lui ressemblerait déjà plus.

- Neuf mois ? Elle n’avait pas pu s’empêcher de le relever, surprise. Il y a donc une fille sur cette terre qui a accepté de manière consensuelle de rester neuf mois avec toi ? Je dois savoir qui c’est. C’est une Poufsouffle ? C’est forcément une Poufsouffle pour être si charitable.

Elle baissa les yeux sur le plateau de shooters arc-en-ciel qui était arrivé sur leur table sans qu’elle ne le remarque. Elle avait dû être trop absorbée dans le récit de Damon (à raison. Savoir que Virgil Forbes avait été amoureux était un plus grand retournement que le dernier épisode de Games of Brooms.) Elle souleva un des petits verres au liquide multicolore et pailleté, en même temps que les garçons. Virgil proposa un toast et Damon ne se fit pas prier, leurs verres s’entrechoquant. Marlene vit le regard qu’ils portèrent vers elle en même temps et elle approcha son shooter des leurs.

- À la vôtre !

Elle contempla le sien quelques secondes - elle se demandait vraiment ce qu’il y avait dedans - avant de le descendre cul-sec (on apprenait des choses en soirée médicomagie.) Elle reposa le verre sur la table dans un léger claquement, avant de commenter.

- Ce n’est même pas bon.

Et comme elle était assez logique, elle en reprit un entre ses doigts fins pour faire tourner les couleurs sous les lumières stroboscopiques de la boite de nuit.

- Vous savez quoi ? déclara-t-elle. Vous êtes en fait plutôt fréquentables. Pourtant je ne pensais pas !

Elle avait passé des années à jurer le contraire.

- À l’heure actuelle, vous êtes mêmes plus sympa que ma pote qui m’a complètement abandonnée. C’est à ça qu’on reconnaît les Gryffondor, affirma-t-elle, l’oeil un peu plus brillant que d’habitude. Vous êtes même drôles. Alors que je disais à tout le monde que vous étiez de vrais cons ! Surtout toi Virgil, ajouta-t-elle spontanément.