I got a bad idea [Emily & Emrys]

Une vague de chaleur s'abattait sur l'Angleterre et les rues de Leopoldgrad grouillaient de sorciers se précipitant dans les magasins et les bars pour profiter de leur fraîcheur climatisée. En dehors de toute cette agitation, les volets à moitié fermés plongeant son appartement dans une semie-penombre, Emrys préférait profiter de sa climatisation magique personnelle, étendu sur son canapé. Un hologramme flottant face au canapé diffusait une émission sur laquelle il ne portait pas grand intérêt, préférant se concentrer sur un autre hologramme qui émanait de son Pear posé sur son torse. Depuis plusieurs jours maintenant, le milicien avait installé l'application de rencontre TinderSurprise dont il avait parfois entendu parler autour de lui. Plus par curiosité que par réelle envie, il s'était créé un profil sobre et relativement anonyme où "E." était un homme de trente ans sportif et amateur de voyages qui n'apparaissait que de dos sur ses photos. Et il s'était rapidement pris au jeu. Que recherchait-il sur cette application ? Il ne le savait pas vraiment, n'ayant, en s'inscrivant, aucune idée en tête autre que celle de flatter un peu son ego en s'assurant qu'il pouvait toujours plaire. C'est ainsi qu'en cernant facilement les envies des profils qui lui étaient proposés, il tentait de doser ses likes entre les jeunes femmes qui semblaient rechercher du sérieux et celles qui, au contraire, manifestaient clairement leur volonté de s'amuser sans se prendre la tête. Lorsqu'il se sera enfin décidé sur ses envies, Emrys aura ainsi la possibilité de choisir celle qui l'intéresse le plus parmi sa petite collection. Sous réserve que son profil matche avec ceux qu'il likait, bien sûr, car rares étaient les personnes qui voulaient prendre le temps de discuter en ligne avec un homme qui ne montrait ni sa tête ni son prénom.

"Gotta find somebody quickly...". D'un swipe vers la droite, Emrys aima ce profil d'une jeune femme qui pour l'instant, au vu de sa description et de ses photos plus que suggestives, ne recherchait certainement pas du sérieux. Si elle le likait en retour, elle rejoindrait les rangs de celles avec qui il partegerait éventuellement une aventure d'un soir - ou pas si elle était incapable d'avoir un minimum de discussion.
Il passa ainsi plusieurs profils, alternant entre le like et le dislike, la quiétude de son appartement seulement troublée par l'émission en fond sonore. Il s'attarda plus longtemps sur un profil en particulier, son attention d'abord retenue par le prénom aussi anonyme que le sien "E.". La ressemblance ne s'arrêtait pas là, constata le milicien alors qu'il découvrait les photos de dos de la jeune femme qui souhaitait visiblement garder un minimum d'anonymat. Il essaya d'inspecter au plus près les courbes de celle ci, sa chevelure, son style vestimentaire, essayant de déterminer une morphologie particulière ou une personnalité qui pouvait transparaître. Se rendant compte qu'il se prenait certainement trop la tête et faisait une parfaite déformation professionnelle, le milicien lika le profil de cette mystérieuse "E." qui matcha instantanément avec lui. Un haussement de sourcil surpris accompagna un petit sourire satisfait. En réalité, en posant son doigt sur le petit cœur, il avait un peu espéré cette tournure d'événement : sa curiosité avait été attisée par ce profil similaire au sien. Réfléchissant un peu avant de se lancer, Emrys ouvrit alors la discussion avec la jeune femme et lui envoya le premier message.

"On dirait qu'on a tous les deux envie de garder un peu de mystère... Qu'as tu à cacher comme ça ?"

Elle ne savait pas ce qui lui était passé par la tête. S’inscrire sur un site de rencontre, cela ne lui ressemblait pas du tout. Cela faisait pourtant deux ans qu’elle supportait sans difficulté toutes les remarques plus ou moins bienveillantes au sujet de son célibat : « J’ai un ami qui est en cours de divorce lui aussi, je peux te le présenter » et « Tu es encore jeune, tu vas rencontrer quelqu’un » ou « Il est temps de refaire ta vie ». Elle détestait cette expression, « refaire sa vie », comme si sa vie était « défaite » simplement parce qu’elle n’était pas en couple avec quelqu’un. Elle pouvait parfaitement être heureuse toute seule, merci bien.

Et pourtant, en ce début de mois d’août, après un mois passé en compagnie de son fils, elle s’était soudainement sentie un peu seule, et elle avait craqué. Elle s’était créé un profil sur la désormais célèbre application « Tinder Surprise », en divulguant bien trop peu d’informations à son sujet. Uniquement des photos de voyage prises de loin ou de dos, pas de métier, pas de prénom, à peine quelques centres d’intérêts listés succinctement « Course, sports de combat, voyage, lecture ». On pouvait difficilement faire plus anonyme comme profil. Au mieux elle passait pour une timide maladive, au pire pour une psychopathe.

Elle avait reçu quelques « match » immédiatement après la création de son profil –certainement une manipulation de l’algorithme pour vous obliger à rester– mais avait toujours trouver des excuses pour ne pas « liker » les profils en retour. Un tel était trop vieux, un autre trop jeune, celui-ci était complètement chauve, et celui-là avait une mauvaise orthographe. Si elle avait été honnête avec elle-même, elle aurait reconnu qu’elle était simplement mal à l’aise à l’idée d’engager la discussion sur cette application dont elle ne maîtrisait pas les codes, mais elle préférait se chercher d’autres raisons.

Peu satisfaite de cette première expérience, Emily n'avait plus ouvert l’application depuis quelques jours, mais une notification retentit justement alors qu’elle sortait de la douche après un footing de début de soirée. Les températures estivales l'obligeait à sortir courir plus tard que d'habitude pour ne pas mourir de chaud, mais elle n'avait rien de prévu pour le reste de la soirée. Elle enfila un vieux t-shirt à l’effigie d’un groupe de rock dont le nom est devenu illisible avec les années et déverrouilla son pear pour découvrir un match avec un mystérieux "E." Voilà qu’on lui piquait son pseudo nul. Amusée par la coïncidence, elle chercha un instant un élément rédhibitoire dans ce profil pour justifier un « dislike » mais, comme elle, E n’avait pas fourni beaucoup d'informations. Après une seconde d’hésitation, elle appuya finalement sur le cœur, partagée entre la gêne et l’excitation.

Un message de E. s'afficha immédiatement sur l'écran de son Pear, face auquel elle n'hésita qu'une seconde avant de répondre.

« Rien de répréhensible, promis. Mais on peut tout à fait faire connaissance sans se donner nos prénoms.» Une opinion que semblait partager son interlocuteur.

Elle était persuadée qu’il était parfaitement possible d’apprendre à connaître quelqu’un sans connaître son identité, jusqu'à un certain point. Finalement elle n’avait pas besoin de connaître le prénom ou le nom de famille de l’homme derrière l’écran. Elle avait plutôt envie de savoir ce qu’il aimait le plus chez lui, la qualité qu’il aurait aimé acquérir, la personne qui l’inspirait le plus, le rêve d’enfant qu’il n’avait jamais réalisé. Emily était généralement assez peu encline à se dévoiler sur des sujets si personnels, mais le fait de se savoir anonyme rendait la chose beaucoup plus facile et elle se surprit à relancer d’elle-même la conversation.

« Par exemple, si tu pouvais te réveiller demain en ayant gagné une qualité ou une compétence, ce serait laquelle ? »

Son match Tinder Surprise partageait son avis sur l’anonymat et Emrys hocha la tête pour lui-même quand celle-ci répondit à son premier message. Ils pouvaient en effet apprendre à se connaître sans partager dans un premier temps leur identité. De par ses missions au sein de la Milice, il savait qu’on pouvait en apprendre bien plus sur une personne en s’intéressant à ce qu’elle faisait et aimait dans sa vie plutôt qu’en se penchant immédiatement sur l’aspect purement identitaire. L’identité était une chose que l’on pouvait cacher mais aussi modifier à sa guise lorsque l’on possédait les moyens nécessaires. Sa curiosité pour la jeune femme qui se cachait derrière ce profil augmenta ainsi d’un cran alors qu’elle lui envoyait aussitôt un deuxième message.

« J’ai déjà bien trop de qualités pour souhaiter en avoir plus »,  répondit instantanément Emrys au message de sa mystérieuse correspondante. Un sourire étira le coin de ses lèvres alors qu’il rajoutait : « Du coup il faudrait peut-être gagner en modestie ? » Il était un homme de raison qui reconnaissait ses défauts. « Non plus sérieusement, j’aimerais savoir faire de la musique, jouer d’un instrument… J’ai fait un peu de guitare à Poudlard mais j’ai arrêté pas longtemps après. »

Il avait en réalité abandonné la gratte suite à sa rupture avec son ex Alyssa mais garda bien évidemment cette information pour lui. C’était la jeune femme qui l’avait initié à la musique à l’époque et Emrys n’avait plus eu le goût de continuer lorsque leur histoire s’était terminée. Elle lui avait même offert une guitare pour leur trois ans de relation et l’instrument était désormais enfermé dans son étui au fond d’un placard. Il n’était même pas sûr de pouvoir rejouer certains morceaux ou même d’enchaîner les gammes. Soucieux de ne pas raviver des souvenirs potentiellement douloureux, le milicien reprit la conversation sur son Pear.

« Et toi ? Si tu devais rajouter une qualité ou une compétence à la, j’en suis sûr, longue liste de celle que tu possèdes déjà, ce serait quoi ? »

Emrys retourna ensuite sur le profil de la jeune femme où elle mentionnait aimer les sports de combat. Cela leur faisait un autre point commun qu’il s’empressa de lui faire remarquer.

« A défaut de me servir de mes doigts sur une guitare ou un piano, je fais de la boxe avec mes poings. Tu t’intéresses au sport de combat aussi ? »

Emily leva les yeux au ciel en lisant la réponse de son "match" dont l'égo était visiblement surdéveloppé. Elle s'apprêtait à le cataloguer comme un macho prétentieux et à abandonner son Pear pour le reste de la soirée mais le message suivant la fit hésiter. Bon, il avait de l'humour, il se rattrapait bien. Il avait selon ses dires fait un peu de guitare à Poudlard -qui n'avait pas essayé ?- mais devait avoir perdu ses bases puisqu'il lui avoua qu'il aurait aimé maitriser un instrument de musique. Elle même n'avait jamais pris de cours de musique. Sa mère avait bien essayé de l'inscrire au solfège quand elle était enfant mais elle s'y était vite ennuyé et avait préféré rejoindre le club d'athlétisme de son école.

Sans surprise, son interlocuteur lui retourna sa question. Elle prit le temps de réfléchir et quitta sa salle de bain pour rejoindre sa cuisine où elle fit chauffer l'eau de la bouilloire d'un coup de baguette. Elle devait reconnaitre qu'il y avait un côté assez agréable dans le fait de pouvoir flirter avec un inconnu tout en restant en pyjama et en buvant une tasse de thé. Les applications de rencontre l'avaient longtemps rebutée mais elle réalisait finalement qu'elle était plus à l'aise à cet instant que si elle avait dû faire la conversation avec un homme croisé dans un bar ou chez des amis. Elle pouvait prendre le temps de réfléchir à ses réponse, était libre de le planter quand bon lui semblait sans avoir à inventer d'excuse, et pouvait le faire depuis son canapé.

"Peut-être la patience, pianota-t-elle sur son Pear. Une qualité qui manque à la Poufsouffle que j'étais !"

Elle n'avait clairement pas été répartie chez les jaunes et noirs pour sa patience légendaire, tous ceux qui avaient un jour travailler avec elle pouvaient en témoigner. Elle n'était pourtant pas du genre à perdre son sang-froid où à céder facilement sous l'émotion, mais elle s'agaçait rapidement. Et beaucoup de choses l'agaçaient. Elle songea un instant à questionner son interlocuteur sur la maison dans laquelle il avait été réparti mais se ravisa. Elle n'avait pas envie d'apprendre qu'ils avaient peut-être été camarade de promotion, elle se connaissait et savait qu'elle ne résisterait pas à l'envie de deviner son identité après ça. les commençaient seulement à échanger, elle préférait garder un peu de mystère pour le moment.

Heureusement pour elle, son match relança de lui-même la conversation en lui indiquant pratiquer la boxe. Emily se souvint avoir elle-même coché la case "sport de combats" comme centre d'intérêt au moment de la création de son profil. En vérité, elle n'avait pas pratiqué depuis quelque mois, mais elle avait passé son diplôme d'instructeur en self défense quand elle travaillait dans le monde moldu. Sa carrière lui avait imposé trois ans de formation chez les Aurors, suivis de deux ans de formation à l'école de police, pendants lesquels elle avait excellé en combat rapproché. C'était toutefois des informations un peu trop personnelles à son goût, aussi se contenta-t-elle d'une réponse un peu plus passe-partout.

"J'ai pris quelques cours de krav maga, ça défoule. Comme la box j'imagine ? Qu'est ce qui t'a attiré, dans la boxe ?"

Hyperactif avec le besoin de se vider la tête ? Ou tempérament violent qui aimait casser le nez de ses adversaires ?

Emrys esquissa un sourire – et souffla du nez – à la réponse de la jeune femme qui disait manquer de patience pour l’ancienne Poufsouffle qu’elle était. Il s’attendait à ce qu’elle en profite pour lui demander dans quelle maison il avait été réparti à Poudlard mais elle n’en fit rien. Ce n’était peut-être pas plus mal s’ils souhaitaient garder un minimum d’anonymat pour le moment. Leur génération avait été marquée par la guerre et à Poudlard, dans de telles circonstances, la grande majorité des élèves se connaissait entre eux, toutes maisons confondues, alors ils avaient quelques chances de s’être croisés ou d’avoir partagé des cours. Le milicien se retint donc de la chambrer sur sa maison et de louer la supériorité de la maison de Serpentard – un jour, peut-être, pourra-t-il – et l’interrogea sur son intérêt pour les sports de combat qu’elle avait mentionné dans son profil.
Son visage s’assombrit à la réponse de la jeune femme. Il réfléchit quelques secondes avant de poser son Pear sur son torse pour fixer le plafond. Qu’est ce qui l’avait attiré dans la boxe ? La possibilité de se défouler, assurément. Mais s’il s’était inscrit dans ce club moldu c’était surtout pour se vider la tête suite au décès d’Edern. Tourmenté par ses sentiments, sa colère, sa peine, sa culpabilité, ses regrets, Emrys avait eu le besoin d’extérioriser. Et le moyen qui lui convenait le mieux était de frapper, fort, toujours plus fort, à en perdre le souffle, et de se prendre des coups pour se raisonner et s’endurcir. Il avait conscience que c’était un peu cliché mais la boxe avait été le meilleur moyen d’apaiser son esprit qui le torturait. En se battant avec d’autres ou en frappant dans des sacs de sable, il s’était battu en réalité avec lui-même.

Mais était-ce une chose à dire à un match Tinder Surprise ? Il se redressa pour s’asseoir et rouvrit la conversation avec la jeune femme. Il pouvait rester évasif et répondre que la boxe le défoulait comme elle avec le krav manga mais ce ne serait qu’une demie-vérité. Il n’avait pas envie de cacher la principale raison : la mort de son frère. Ce serait comme en avoir honte, comme la rejeter. Et puis étrangement, se sentir presque anonyme avec cette femme lui donnait envie de se confier un peu plus. Plus qu’il ne l’aurait fait en face à face en tout cas où il aurait tout fait pour ne pas aborder ce sujet. Au pire, elle serait gênée et fuirait, au mieux, elle aurait un minium d’empathie pour lui. Et qui sait, peut-être avait-elle fait du krav manga pour une raison autre que « se défouler » ?

« Parce que mon frère est mort. »

Un ange passe, songea-t-il alors avec ironie en s’imaginant sans mal le silence qui se serait installé si la discussion avait eu lieu en direct.

« Je dormais plus alors plutôt que de compter les moutons et de frapper mon oreiller, je me suis inscrit dans un club moldu. Pour me vider la tête. »

Préférant ne pas attendre la réponse de la jeune femme, Emrys verrouilla son Pear et reporta son attention sur l’hologramme qui diffusait une émission qu’il ne regardait pas. D’un mouvement de baguette, il fit défiler les programmes et s’arrêta sur une chaine musicale. Se concentrant un instant sur le clip du morceau pop-rock projeté, le milicien se demanda si son match allait le croire ou si elle allait penser qu’il s’inventait une vie de pathos…

"Parce que mon frère est mort".

Ah. Emily reposa brièvement son Pear sur l’accoudoir de son canapé, comme pour prendre un peu de distance face à cette révélation inattendue. Elle se demandait si son interlocuteur se serait montré aussi brutalement honnête s’ils avaient été assis autour d’une table de café. Certainement que non. Leur relatif anonymat et le fait que cet échange ait lieu via Pear interposés facilitait ce genre de confessions. Elle n’avait pas l’habitude de recevoir des informations si personnelles de la part d’inconnus, ce qui la mettait un peu mal à l’aise.

Elle envisagea une seconde la possibilité de terminer la conversation ici mais se ravisa en réalisant à quel point cela serait violent pour son interlocuteur. Non, elle devait lui répondre, après tout c’était elle qui avait posé la question. Cela lui apprendrait à se montrer avenante ! Elle récupéra son Pear et ouvrit l’application, sans savoir quoi écrire. Qu’était-elle bien censée répondre à ce match qui lui parlait de son frère mort après seulement trois messages ? Elle n’avait pas dragué depuis longtemps, et visiblement les techniques d’approche avaient bien changé depuis.  

"Je suis désolée."

On pouvait difficilement faire moins personnel, mais cela semblait être un passage obligé. Elle se retint de demander comment il avait perdu son frère alors que, d’après les informations de son profil, il devait avoir entre trente et quarante ans, ce qui était bien trop jeune pour une mort naturelle. Il n’avait certainement pas envie de parler de la mort de son frère. Quoique, après tout, c’était lui qui avait amené le sujet, peut-être avait-il besoin de se confier ? Elle n’était pas vraiment –pas du tout, même- convaincue d’être la bonne personne pour ça, mais il était un peu trop tard pour reculer maintenant.

"Vous étiez proches ?"

Au cours de sa carrière, Emily avait dû apprendre à annoncer des mauvaises nouvelles à des familles endeuillées. Cela ne lui arrivait que rarement, mais chacun de ces moments étaient restés gravés dans sa mémoire. Elle se souviendrait toute sa vie de ces appels téléphoniques glaçants « Madame, on a retrouvé votre fille… ». Elle se rappelait la gêne, la compassion, la peine, et la petite part de soulagement à l’idée qu’elle ne se trouvait pas à l’autre bout du fil. Dans ces situations, elle avait constaté que parler du défunt soulageait souvent les personnes en deuil. C’était inconfortable, et souvent délicat, si bien que la plupart des gens préféraient éviter le sujet, mais partager un souvenir ou une anecdote sur la personne disparue était souvent bénéfique pour ceux qui restaient.

Elle ne savait pas si c’était ce dont le mystérieux « E. » avait besoin, mais elle lui aurait au moins laissé l’opportunité.

"Pourquoi un club moldu ? Tu viens d’une famille moldue ?" enchaina-t-elle, au cas où il préfèrerait poursuivre la conversation sur un ton plus léger.

Elle reposa de nouveau son Pear et but une longue gorgée de thé. Elle avait peut-être un mauvais à priori des applications de rencontre mais elle s’était attendue à une discussion beaucoup plus légère que ça, et n’arrivait pas à savoir si ce décalage entre ses préjugés et la réalité était une bonne chose ou non. La suite de la conversation le lui dirait certainement.

« Je suis désolée. »

Jamais Emrys ne se serait permis de révéler que son frère était mort si tôt dans leur échange s’il avait eu lieu en direct et être anonyme face à cette jeune femme semblait lui faire oublier sa bienséance. Mais à vrai dire, il s’en fichait un peu. Il trouvait la situation presque comique : s’imaginer la gêne que pouvait ressentir son match à cet instant lui donnait envie de rire. En partageant ce genre d’informations très personnelles au bout de quelques messages, il bousculait les codes habituels de cette application, où les discussions étaient censées être plus légères, et il aimait ça. Bon, pour être tout à fait honnête, il était également un peu gêné d’avoir ainsi refroidi l’ambiance, aussi tenta-t-il de rassurer la jeune femme.

« C’est moi qui suis désolé de casser l’ambiance. »

Loin de fuir ou de le traiter de grand malade en lui conseillant d’aller suivre une thérapie – chose qu’il aurait probablement faite si les rôles avaient été inversés – sa mystérieuse interlocutrice l’interrogea sur la relation qu’il partageait avec Edern. Le milicien haussa les sourcils, surpris de son intérêt. Elle le faisait sûrement par politesse mais, d’une certaine façon, il appréciait. Le milicien ne ressentait pas le besoin d’en parler mais se sentir un minimum écouté était toujours appréciable. De plus, parler d’Edern et de leur jeunesse lui faisait désormais chaud au cœur – s’il occultait les circonstances de son décès et la culpabilité qui l’avait rongé pendant des mois.

« D’abord, je tiens à te rassurer, si je peux en parler aussi librement c’est que tout va bien, j’ai fait mon deuil depuis le temps et je ne crois pas avoir besoin d’une thérapie Peut-être que de ne pas te connaître fait que j’ai moins de filtres mais c’est la vérité, je me suis mis à la boxe suite à sa mort parce que j‘avais besoin de me changer les idées. Il réfléchit un instant avant d’envoyer un autre message. Et oui on était très proches. Il était le genre de grand frère à toujours m’entraîner dans ses conneries mais on avait une relation assez fusionnel. »

Le genre de grand frère qui l’avait entraîné dans le trafic de drogue mais ce n’était décidemment pas une information qu’il comptait révéler : il avait des limites. Si l’on oubliait ce détail, Edern et lui avaient formé un duo inséparable de longues années durant et étaient toujours fourrés ensemble quelque part. Pendant leur enfance, l’un n’était jamais loin de l’autre et on s’amusait de leur ressemblance, de leurs intérêts commun – quand ceux-ci n’étaient pas de lancer des œufs sur les façades du voisinage – et certains disaient même qu’Emrys était la photocopie parfaite de son aîné. C’est à Poudlard que les deux frères se sont individualisés, chacun dans une maison différente, avec des fréquentations différentes, mais leur symbiose quasi naturelle revenait vite au galop dès lors qu’ils étaient ensemble. Sans cette synergie qui les poussait à faire les quatre cent coups, Emrys ne se serait certainement jamais laissé embarqué dans les histoires des Sharacks.
Une notification sur son Pear le tira de ses pensées et le milicien porta son attention sur le nouveau message de son match.

« Non je n’ai pas de famille moldue, proche du moins, mais m’inscrire dans un club moldu m’a semblé être le meilleur moyen pour me changer complètement les idées. J’avais moins de chances de croiser des têtes connues ou des collègues de travail, tu vois. »

En fait, non. Puisqu’il s’était avéré qu’Avalon était inscrite dans le même club et l’avait attendu dans une pose langoureuse pour lui mettre de grosses raclées en brrrr fâché.

« Et toi alors ? Tu fais du krav manga depuis combien de temps ? Ça ressemble à quoi d’ailleurs ? »

Bon, au moins son étrange interlocuteur était conscient qu'il avait complètement plombé la conversation avec sa réponse. Il n'était donc pas complètement fou à lier. Ce qui était une bonne chose. Il enchaina aussitôt sur un message visant certainement à la rassurer en lui expliquant qu'il avait fait son deuil depuis longtemps et qu'il ne cherchait pas de thérapie.

"C'est une bonne chose parce que je pense que je ferais une très mauvaise psychologue."

Elle même était suivie par un professionnel depuis qu'elle avait craqué en mission, côté moldu, et avait mis du temps à ne plus se sentir mal à l'aise à chacune de ses séances. Cela restait des moments assez peu agréables -elle détestait parler d'elle- dont elle sortait complètement vidée d'énergie, mais elle était forcée d'admettre que cela lui avait fait du bien, sur le long terme.

Cela lui avait également permis de se rendre compte que psychologue n'aurait absolument pas été un bon choix de reconversion professionnelle pour elle. Elle ne savait pas réagir aux confidences, elle n'arrivait jamais à laisser tomber la distance qu'elle maintenait face aux malheurs des autres, comme pour s'en protéger. Elle aurait été incapable de se projeter dans les problèmes de chaque patient, de se mettre à leur place, d'essayer de les comprendre, cela l'aurait démolie.

Heureusement pour elle, la conversation s'orienta vers un sujet qui ne nécessitait pas d'être discuté avec un professionnel. Contrairement à ce qu'elle avait d'abord imaginé en apprenant son intérêt pour la boxe, son match ne venait pas du monde moldu, et avait choisi d'y pratiquer son activité uniquement pour éviter de croiser des visages connus.

"Tu fuis tes collègues ? pianota-t-elle avec un sourire amusé en songeant qu'elle avait exactement la même attitude lorsqu'il s'agissait de sa vie privée. Ils sont si terribles que ça ?"

Peut-être que lui aussi avait un co-bureau envahissant qui faisait tomber des miettes de croissant sur ses dossiers. Elle se demanda ce qu'il faisait comme métier, mais n'eut pas le temps de lui poser la question puisque son interlocuteur l'interrogea sur ses propres loisirs.

"J'ai commencé quand je bossais un peu dans le monde moldu, confia-t-elle. Et ça fait malheureusement au moins six mois que je ne me suis pas entrainée. C'est du combat rapproché, expliqua-t-elle. Inspiré par des techniques d'autodéfense."

Et par différentes techniques incapacitantes ou létales venues tout droit de l'armée israélienne, mais ce n'était pas le genre de détails que l'on fournissait à un match Tinder lors d'une première conversation. Ils ne pouvaient pas être deux à plomber l'ambiance.

« Tu fuis tes collègues ? »

Emrys esquissa un sourire à la réponse de son match. « Fuir » était peut-être un grand mot mais n’était pas si loin de la réalité. En dehors d’Avalon avec qui il boxait, Samir qu’il connaissait de longue date, Leonard à qui il parlait soi-disant mal par messages – ce n’était pas de sa faute si son chef ne comprenait pas le brrr fâché – et Benedict avec qui il avait créé une certaine amitié en travaillant avec lui, le milicien n’avait pas tissé de liens autre que professionnels avec ses collègues. Et il estimait passer suffisamment de temps avec eux dans l’open-space de la milice pour avoir besoin de les voir en plus en dehors du travail. Il avait déjà l’impression de passer trop de temps au ministère alors croiser le moins de collègues possible en dehors de ses heures de service était une chose qu’il appréciait.

« Disons que je tiens à garder un peu de vie privée sans que l’intégralité de mes collègues soit au courant… Je ne sais pas toi mais où je travaille, tout se sait assez rapidement. Il avait d’ailleurs toujours craint qu’un jour quelqu’un finisse par apprendre qu’Avalon et lui avaient couché ensemble bien avant de se retrouver à la milice. Mais, a priori, ce n’était pas encore le cas. Merci Merlin. Et j’aime me changer les idées sans penser au boulot alors être au milieu des moldus est parfait. »

En parlant de moldus, sa mystérieuse interlocutrice lui apprit avoir commencé le krav manga lorsqu’elle travaillait dans le monde moldu. Intéressé, il se demanda ce qu’elle avait bien pu exercer comme métier. Venait-elle d’une famille moldue ? Ou avait-elle été forcée d’intégrer le monde moldu ? Peut-être l’avait-elle aussi fait par intérêt, comme de plus en plus de sorciers.

« Qu’est ce que tu faisais parmi les moldus ? Il sourit pour lui-même avant de rajouter : Tes collègues sorciers étaient si terribles que ça ? »

En attendant la réponse de la jeune femme, Emrys lança une recherche sur le krav manga et trouva quelques vidéos de démonstration qu’il projeta face au canapé. Réellement intéressé, il s’amusa à chercher les ressemblances et les différences avec la boxe puis lut une description de cet art martial apparemment développé par l’armée israélienne. Il en apprenait tous les jours. Avant de se mettre à la boxe et d’entendre parler de toutes les autres disciplines qui existaient, pour lui, tout ce qui sollicitait les poings était rangé dans la case « boxe » et il considérait le reste plus comme du judo ou du karaté. Il avait été forcé de constater qu’il existait beaucoup de styles et de pratiques différentes qui avaient chacune leurs spécificités. Aussi ne se risquait-il plus désormais de dire à un pratiquant de krav manga qu’il faisait, en gros, du karaté.



18 août 2011


En ce début de journée, l’atrium du ministère était le théâtre du ballet incessant des sorciers qui commençaient leur journée de travail. Les cheminées ne dégorgeaient pas et certains pressaient le pas pour rattraper leur retard. Emrys ne faisait pas partie de cette catégorie : il n’était que très rarement en retard et quand il l’était, il ne courait pas. Un retard était un retard, cela ne servait à rien de courir et d’arriver essoufflé et suant en plus. Le milicien prit la direction des ascenseurs et sortit son pear de la poche de son jean une fois dans l’habitacle. Il eut le temps de consulter rapidement les actualités et ses réseaux sociaux avant d’arriver dans l’open-space de la milice où il entra d’un pas tranquille en saluant ses collègues au passage. Il rejoignit son bureau où l’attendaient ses dossiers et s’y assit avec un léger soupir, les yeux toujours baissés vers son Pear où il avait désormais ouvert Tinder Surprise. Cela faisait maintenant quelques jours qu’il discutait avec sa mystérieuse match et il lui semblait que le feeling passait bien. Il releva les yeux sur les environs avant d’écrire rapidement un message en s’installant un peu plus confortablement dans son fauteuil.

« Est-ce que pour toi aussi ce lundi a un goût de "J’ai envie de retourner en week-end" ou je suis le seul ? »

Le milicien reposa son Pear sur son bureau qu’il connecta avec son Pear pro et des hologrammes se matérialisèrent face à lui. Il avait des anciens dossiers à clôturer, de nouveaux à traiter et il était sûr que de tout frais ne tarderaient pas à arriver. Une journée de travail habituelle. Tant que Avalon et Leonard ne leur collaient pas une réunion de crise au milieu de tout ça, il allait survivre.

Emrys jeta un rapide coup d’œil à la notification mentionnant le nouveau message de « E. » qui s’afficha sur son Pear et eut une petite moue dubitative. On ne pouvait pas dire qu’il était un « travailleur courageux », songea-t-il avec amusement en parcourant son bureau du regard. Actuellement, il aurait préféré être encore dans son lit. Comme tous les matins, il avait cette désagréable impression d’avoir été tiré de son sommeil et cet état ne s’arrangeait pas jusqu’aux coups de dix heures minimum et quelques tasses de café. Il ne comprenait pas comment faisaient tous ses collègues qui arrivaient à être frais et disponibles dès leur arrivée alors que lui avait l’impression d’évoluer au ralenti. Emily par exemple, qui l’avait salué lorsqu’il était entré dans l’open space, qui était toujours là quand il arrivait, ce qui voulait dire qu’elle était très souvent en avance. La milicienne faisait partie de ceux qui avaient l’air véritablement courageux.

Le regard d’Emrys avait lentement glissé vers sa collègue plus loin et ce fut le lieutenant Dane qui le ramena à la réalité en passant dans son champ de vision.

« Tu dors encore Emrys ? Il arborait un sourire moqueur tout en se penchant au-dessus du bureau face à celui d’Emrys pour y déposer un dossier.
- Ben n’est pas là cette semaine, répondit simplement le milicien en désignant le bureau vide de Benedict où Dane venait de poser sa paperasse.
- Je sais, ça sera pour son retour. Le regard du lieutenant se fit plus malicieux alors qu’Emrys frottait ses yeux d’une main. Et bah dis donc, faut dormir la nuit !
- Tes vacances ? s’enquit Emrys avec un sourire faussement poli, les yeux rougis. Il n’avait pas envie d’entendre les moqueries de Dane et préférait presque écouter d’une oreille distraite le récit de son lieutenant.
- Oh ma foi c’était top ! Non vraiment très bien. La Sicile est un pays magnifique et…
- C’est pas un pays, marmonna Emrys en tournant les pages d’un dossier devant lui pour éviter le regard de Dane.
- Hein ?
- Non rien. Et donc c’est magnifique ?
- Oh oui vraiment et donc avec les enfants on a... »

Etrangement, faire semblant d’écouter le lieutenant Dane raconter ses vacances en famille l’avait réveillé et Emrys se sentait dans de meilleures conditions pour abattre sa charge de travail. Aussi s’octroya-t-il une petite pause en attrapant son Pear – oui cet homme est parfaitement contre-productif.

« Je suis un juilletiste. Donc mes vacances sont déjà passées malheureusement… Mais j’ai encore quelques jours début septembre pour aller voir de la famille. »

Ses parents l’attendaient d’ailleurs de pieds fermes et ils avaient prévu de partir en terres galloises pour rendre visite à ses grands-parents maternelles. Son père était toujours ravi de passer du temps chez ses beaux-parents octogénaires qu’il, parfois, ne comprenait pas. C’est faux, il se plaignait sans cesse de leur accent incompréhensible et il faut dire que ses gallois de grands-parents ne faisaient pas vraiment d’effort.

« Et toi ? Du repos de prévu ? Ou du temps passé en famille peut-être ? »

Sa mystérieuse interlocutrice lui avait appris qu’elle était née-moldue mais Emrys ne savait pas si elle passait souvent du temps en famille ou si elle avait abandonné le monde moldu au profit de celui des sorciers.

Emily avançait dans la lecture du rapport de ses collègues du week-end tout en suivant d'une oreille distraite le récit des vacances de Dane. Le pauvre Emrys avait eu la mauvaise idée de le lancer sur le sujet, ce qu'il devait amèrement regretter. Erreur de débutant. Déconcentrée par les éclats de voix du lieutenant Dane qui racontait son ascension de l'Etna, la milicienne attrapa son Pear pour consulter le dernier message de son match Tinder.

"Juilletiste aussi", pianota-t-elle en réponse au mystérieux E dont les vacances étaient déjà terminées, même s'il prévoyait de partir quelques jours en septembre.

Elle en déduisait qu'il ne devait pas avoir d'enfant, pas en âge d'être scolarisé en tout cas. Partir en dehors des vacances scolaires, loin de la foule et des prix gonflés à bloc, lui manquait parfois, mais elle s'adaptait. Se plier au rythme scolaire était bien moins pénible que de devoir tenir compte du planning de son crétin d'ex. Ils avaient miraculeusement réussi à s'arranger sans trop s'écharper cet été, principalement parce qu'elle avait accordé à Richard ce qu'il voulait. Taylor avait passé tout le mois de juillet avec elle, même si elle avait dû travailler quelques semaines et le confier à ses parents, et il était chez son père en août. Elle n'aimait pas être séparée de lui pendant un mois entier -elle le trouvait tellement changé à chaque retour de vacances !- mais elle n'avait pas tellement eu le choix.

"Ou du temps passé en famille peut-être ?"

Son interlocuteur semblait avoir lu dans ses pensées, et Emily hésita un instant avant de répondre, délaissant son Pear pour essayer de se concentrer sur le rapport qu'elle n'avait pas fini de lire. Elle parcourut quelques pages supplémentaires mais son esprit continuait de se diriger vers la conversation avec son match Tinder, laissée en suspens. En temps normal, elle n'aurait pas évoquer sa situation familiale tout de suite. Son fils de sept ans n'était pas vraiment son meilleur atout séduction. Mais elle ne cherchait pas exactement une relation sérieuse, ce qu'elle avait indiqué dans l'application, et le fait qu'elle ait un enfant n'aurait normalement pas la moindre importance -ce n'était pas comme si elle avait prévu de présenter son match Tinder à son fils.

Elle se dirigeait, au mieux, vers un plan de quelques soirs, et n'avait aucune intention de se lancer dans quelque chose de plus sérieux, aussi décida-t-elle qu'elle n'avait rien à perdre à se montrer honnête.

"J'ai passé quelques jours en famille dans le sud du pays, avec mes parents et mon fils."

Son frère les avait rejoint également, accompagné de sa femme et de ses deux enfants, un tout petit peu plus âgés que Taylor. Supporter toute sa famille pendant plusieurs jours de suite s'était révélé une véritable épreuve, mais voir son fils créer des liens avec ses cousins en valait la peine, même si elle savait que ces liens se perdaient certainement un peu quand Taylor entrerait à Poudlard. Elle était passée par là.

Avisant sa tasse désespérément vide, Emily quitta sa chaise pour aller se servir en café avant de s'atteler aux dernières pages du rapport qui l'occupait depuis son arrivée. Elle patienta derrière Emrys, occupé à se verser un café dont il semblait avoir bien besoin.

"Bon week-end ?" demanda-t-elle pour la forme.