La grossesse d’Eiluned était désormais bien avancée ; elle était entrée dans son cinquième mois au début du mois d’août, et son ventre était désormais bien arrondi. Cela lui faisait toujours un peu étrange de s’apercevoir dans un miroir et de constater autant de changements physiques sur ce corps qu’elle avait tant cherché à contraindre dans le passé. Elle avait définitivement dû investir dans de nouveaux vêtements et n’avait plus la même souplesse qu’avant. Parfois, cela lui créait une sensation de malaise un peu diffuse, que Leonard percevait assez facilement parce qu’il la connaissait mieux que quiconque. Souvent – et de plus en plus maintenant que sa grossesse devenait aussi réelle et tangible – Eiluned s’émerveillait des sensations qui lui rappelaient qu’elle était en train de créer la vie, et que c’était pour accueillir leur petite fille que son corps se transformait autant.

Ils allaient avoir une fille. C’était ce que la deuxième échographie, passée quelques jours plus tôt, avait définitivement révélé. Leonard et Eiluned avaient longuement réfléchi avant de savoir s’ils voulaient découvrir le sexe de leur bébé avant la naissance ou non. La curiosité et l’enthousiasme de Leonard avaient eu raison de leurs hésitations, et ils avaient appris, les yeux posés sur les images animées de l’échographe, qu’ils étaient les heureux parents d’une petite fille, qui se développait très bien et qui ne présentait aucune anomalie. Eiluned avait un peu pleuré sur la table d’examen, sa main logée dans celle de son mari. La grossesse la rendait très émotive.

Cependant, son deuxième trimestre n’était pas marqué par des symptômes particulièrement désagréables. Elle avait connu quelques nausées matinales, et une intense fatigue à la fin du troisième mois, mais elle se sentait de ne plus en plus épanouie et radieuse. Elle sentait désormais sa fille bouger ; pendant plusieurs semaines, cela lui avait fait l’effet d’un fourmillement diffus dans le ventre, mais, désormais, elle ressentait véritablement des petits coups, et ne manquait jamais d’en informer Leonard, qui avait pris l’habitude de s’adresser directement à son ventre depuis le jour où il avait appris qu’elle était enceinte. Eiluned ne pouvait s’empêcher de sourire en le voyant caresser tendrement sa peau tendue, et songeait souvent qu’elle n’aurait jamais pu rêver de meilleur partenaire pour cette aventure.

Car il s’agissait bel et bien d’une aventure et, comme à son habitude, Eiluned s’y était préparée avec rigueur. Elle avait dressé un calendrier de grossesse pour pouvoir suivre son évolution, et y avait noté toutes les dates importantes à ne pas manquer : celles des échographies, mais également celles des visites prénatales, ainsi que le début des cours de préparation à l’accouchement et, évidemment, sa date présumée d’accouchement – le 2 janvier. Elle avait aussi noté, dans le même carnet, les contacts de ses sages-femmes au courant de son projet d’accouchement, et les conseils qu’elle ne voulait pas oublier. Et puis, il y avait des listes, évidemment. Celle des choses qui restaient à faire avant la venue du bébé et celles qui venaient détailler lesdites choses. Par exemple, il y avait, sur la première « finir la chambre », une tâche qui était elle-même divisée en plusieurs items : finir les peintures, choisir un berceau, fixer un mobile, commander le tapis d’éveil… L’organisation avait toujours été la grande force d’Eiluned.

Bien plus que celle de Leonard, qui agissait de manière beaucoup plus instinctive. Ils se complétaient bien ainsi, tous les deux. Ils erraient aujourd’hui dans un magasin de puériculture ; Eiluned avec une liste détaillée en main et Leonard qui s’arrêtait tous les trois mètres pour attirer son attention sur un objet insolite dont il voulait impérativement connaître le fonctionnement.

« Lenny, » répéta Eiluned avec un soupir amusé, une main posée dans le creux de son dos pour se soulager du poids de son ventre « ne songe pas à transformer notre fille en serpillère vivante. »

Les magasins de puériculture regorgeaient de produits insolites qui étaient parfois même à la limite de l’absurdité mais qui ne manquaient jamais de leur tirer des rires. Une vendeuse s’approcha du couple, avec un immense sourire accroché aux lèvres.

« Bon-jour ! » lança-t-elle gaiement. « Est-ce que je peux vous aider ? »
« Bonjour, » répondit Eiluned en se tournant vers elle, « oui, pardon, nous cherchons le rayon des écharpes de portage ? »
« Echarpes ou porte-bébés ? » s’enquit la vendeuse.
« Echarpe. » répondit Eiluned sans hésitation ; elles permettaient un maintien plus physiologique et favorisait également la sécurité affective du nourrisson en le replaçant dans des positions fœtales.
« Suivez-moi, » fit la vendeuse en les guidant dans un rayon, « tous nos modèles sont ici… C’est votre premier ? »
« Oui. » répondit Eiluned en posant une main sur son ventre.
« Et vous êtes à l’aise avec le portage en écharpe ? Ce n’est pas forcément le plus intuitif… »
« Il suffit d’apprendre. » répondit la jeune femme en haussant les épaules. Elle échangea un regard un peu complice avec son mari, « Et on est justement inscrits à un cours, c’est pour ça qu’on vient essayer quelques modèles d’abord… »
« Très bien, je vais vous chercher ça, ne bougez pas ! » La vendeuse s’éloigna de quelques pas, sous le regard d’Eiluned, qui profita ensuite de son absence pour se rapprocher, avec Leonard, d’un présentoir qui mettait en avant plusieurs tire-laits. Elle les détailla brièvement, occupée à comparer leurs différentes utilisations, lorsqu’une voix sembla les interpeller. Eiluned releva la tête pour croiser le regard d’Angus Rice, l’une des collègues de Leonard qu’elle avait déjà rencontré à plusieurs reprises.

« Oh, salut Angus ! » fit Eiluned, l’air un peu surprise de le trouver là et dans un tel… Accoutrement. « Tu es… » Elle hésita sur les mots. « Bien équipé. » finit-elle par commenter avec un léger sourire. « Comment vas-tu ? »

Le monde de la parentalité était fascinant. C’était la conclusion à laquelle Leonard était arrivée en découvrant la prolifique littérature qu’il y avait sur le sujet. Les livres sur sa table de chevet -et celle d’Eiluned- avaient changé, depuis qu’ils savaient qu’ils attendaient un bébé tous les deux. Soucieux de faire les choses correctement, ils passaient beaucoup de temps à se renseigner sur l’éducation des enfants et se partager ce qu’ils découvraient. Leonard lisait des tas d’articles tous les jours, que sa mémoire éléphantesque absorbait sans faire le tri entre ce qui était réellement utile et ce qui n’allait probablement jamais lui servir en situation réelle, alors il lui arrivait souvent de citer quelques informations importantes à sa femme ou à l’inverse, des « fun facts » qui les amusaient tous les deux. La veille, il lui expliquait par exemple que les données statistiques montraient que les bébés nés en mai pesaient en moyenne deux-cent grammes de plus que les autres ! Ou encore, que chaque intonation de pleurs chez un bébé traduisait un besoin spécifique et il avait suggéré à Lili d’enregistrer les futurs pleurs de bébé pour qu’ils apprennent à les différencier.

Actuellement, Leonard découvrait comme le monde des produits de consommation autour de la vie de bébé était aussi vaste et improbable que la quantité de littérature sur le sujet, et cela le fascinait tout autant. Il vagabondait avec curiosité entre les rayons, à la recherche du petit bijou -ou de l’objet le plus étrange, on ne savait pas trop- et revenait souvent vers Eiluned avec un article entre les mains, tel un enfant rapportant à sa mère ce qu’il avait envie d’acheter :

« Lili, Lili, regarde ! C’est incroyable. » Il désigna une petite boîte recouverte d’une image où l’on voyait un mystérieux engin introduit dans le nez d’un bébé. « C’est un nezpirateur. Regarde, tu appuies sur ce bouton et bzzzzz hop ! La morve est absorbée ! C’est pour les gens qui ne connaissent pas l’existence des mouchoirs, ils ont enfin une solution !! Fantastique, non ? » conclut-il, hilare.

Il retourna en sautillant dans le rayon pour reposer cet article qu’il n’allait évidemment pas acheter et se dirigea avec plus de sérieux vers les rayons vêtements. Maintenant qu’il savait qu’ils allaient avoir une fille, il ne pouvait s’empêcher d’aller regarder toutes les adorables petites robes de bébés et autres accessoires absolument très mignons qui ponctuaient les rayons bébé fille. Avec Eiluned, ils s’étaient accordés pour dire qu’ils voulaient le moins possible genrer l’éducation de leur -ou leurs- futurs enfants mais pour autant, est-ce qu’ils allaient faire l’impasse sur d’adorables petites robes à fleurs et serre-tête à noeuds dans les cheveux ? Leonard décidait que non.

De manière un peu impromptue, il trouva un article qui n’avait sans doute rien à faire là et qu’un client avait dû déposer ici par flemme de le remettre au bon endroit. Il s’apprêtait à faire part de sa découverte à Eiluned mais celle-ci le devança.

« Lenny, ne songe pas à transformer notre fille en serpillère vivante.  
-Pardon mais mesures-tu réellement l’intérêt de cette invention ? C’est pour les gens qui n’ont pas de vraie serpillère !! »

Tout était fascinant dans cette boutique, décidément. Cependant, ils ne pouvaient pas éternellement flâner -en tout cas Leonard ne pouvait pas éternellement flâner- car ils avaient une liste à suivre. Une liste élaborée par les soins d’Eiluned, évidemment, et l’arrivée d’une vendeuse leur fournit justement l’occasion de rayer un des articles. Les fameuses écharpes de portage avaient fait l’objet d’une discussion entre eux, quelques semaines plus tôt, quand Eiluned en avait découvert tous les bénéfices dans l’un des livres qu’elle lisait. Leonard s’était d’abord amusé de la forme en disant qu’ils allaient ressembler à des kangourous tous les deux, mais s’était sans mal laissé convaincre de l’intérêt de ce type de portage. Restait encore à apprendre comment nouer ce type de dispositif sans faire tomber le bébé, et là-dessus Leonard ne faisait pas trop le malin, il comptait beaucoup sur le cours que mentionnait justement Eiluned.

Le temps que la vendeuse revienne, ils examinèrent tous les deux le présentoir de modèles de tire-lait, qui tirèrent un sourire à Leonard. Il attrapa entre ses mains un spécimen pour le faire tourner entre ses doigts.

« On dirait pas, genre, un mélange entre un mégaphone et une bouteille de produits ménagers ? A tout moment, je confonds ça avec le nettoyant de vitre et j’asperge les fenêtres avec ton lait, je te le dis. »

Il reposa l’objet au moment où Eiluned signalait l’arrivée d’un de ses collègues, qui avait donc sans doute entendu cette dernière remarque. Heureusement qu’il ne s’agissait pas de Danielle Coleman -mais que ferait Danielle Coleman dans une boutique de puériculture ? c’était environ aussi improbable que de la croiser dans une boutique de sextoys- mais d’Angus, que Leonard salua avec un grand sourire :

« Hey, Angus ! » Le commentaire d’Eiluned attira son regard vers le porte bébé qui recouvrait le torse du milicien, une vision qui l’amusa beaucoup. « Je t’ai vu dans beaucoup de situations improbables, mec, mais alors celle-là vaut de l’or. » Réflexe bien ancré chez lui, il sortit aussitôt son Pear One de sa poche pour prendre une photo d'Angus et commenta ce qu’il imaginait déjà comme légende à cette photo dans le Trombi :  « Quand Angus se prépare à l’arrivée d’un stagiaire à la Milice ? »

« Mais si ? » répondit Eiluned, l’air interloquée, en observant le tire-lait que Leonard faisait tourner entre ses mains. « Mais vraiment ? » Elle eut un léger sourire en fronçant les sourcils. « Imagine il se passe l’inverse et on met le contenu du nettoyant pour vitre dans un biberon pour la nourrir ? » Elle chercha le regard de son mari, faussement sérieuse : « On va bien étiqueter les flacons hein. Si on finit au centre antipoison deux jours après sa naissance, ça fera mauvais genre. »

Eiluned et Leonard échangèrent un sourire complice, avant que la jeune femme ne se désintéresse du présentoir, interpellée par une voix qui lui était désormais familière. Difficile d’oublier Angus Rice ; déjà, parce que Leonard lui parlait beaucoup de lui – photographies à l’appui – et parce qu’Eiluned avait une excellente mémoire perceptive qui lui permettait de se souvenir sans mal des gens qu’elle fréquentait même brièvement. Et puis, il fallait dire qu’Angus n’était pas le genre de personne qui passait inaperçu ; ni sa stature, ni sa voix sonore ne l’y autorisait.

« Exactement ! » répondit Eiluned en souriant. « On essaie de ne pas se perdre dans le magasin en tout cas… »

Elle hésita à lui retourner la question. Son accoutrement, pourtant, montrait bien qu’il n’était pas entré ici par hasard… Déjà, il était rare de venir flâner dans une boutique de puériculture. Angus pouvait parfaitement être là pour choisir un cadeau, mais Eiluned trouvait étonnant que son choix se soit porté sur un porte-bébé, qu’il avait lui-même enfilé et fait ajuster à sa stature. Le plus souvent, le choix du porte-bébé se faisait par les parents, justement parce qu’ils prenaient le temps d’essayer plusieurs modèles pour définir dans lequel ils se sentaient le mieux. Chaque moyen de portage avait son lot d’avantages et d’inconvénients – Eiluned les avait étudié longtemps – et chacun pouvait convenir, ou non, à des futurs parents. Il était donc plus logique que ce soit eux qui le choisissent, quelques mois avant la naissance de l’enfant. Or, il ne lui semblait pas que Leonard lui ait mentionné une seule fois qu’Angus s’apprêtait à devenir père…

Prudente, Eiluned évita de relancer Angus sur le sujet, et tourna les yeux vers son mari. Depuis qu’ils se connaissaient, ils avaient développé une excellente communication non-verbale. Eiluned aurait donc voulu envoyer à Leonard son regard qui disait : « je crois qu’on passe à côté de quelque chose » ; mais c’était oublier le légendaire enthousiasme de Leonard qui, loin de saisir le questionnement de sa femme, dégainait déjà son Pear pour prendre un Angus absolument pas consentant en photo. Ce dernier ne tarda d’ailleurs pas à manifester son mécontentement en abattant sa main sur le téléphone de Leonard avec une protestation sonore. Sa véhémence surprit Eiluned, qui l’observa en silence. Peu à l’aise avec le conflit, elle demeura immobile, vaguement mal à l’aise, jusqu’à ce qu’Angus se reprenne et vienne tempérer ses propos.

« Pas tout de suite » nuançait-il avec un regard qu’Eiluned n’interpréta pas immédiatement. Son commentaire suivant, en revanche, ainsi que le sourire coupable qu’il affichait, furent suffisants pour balayer le doute qui planait depuis le début de leur rencontre. Angus allait être papa !

Eiluned laissa échapper un « Oh ! » à la fois surpris et joyeux, qui vint accompagner le sourire qui fleurissait sur ses lèvres. « Félicitations ! » lança-t-elle. « Je ne savais pas que… Emma c’est ça ? était enceinte. » C’était pourtant la colocataire de Marlene, qui devait, elle-aussi, être dans le secret. « Vous l’avez appris récemment ? »

La photo que Leonard venait de prendre par surprise n’était pas destinée à être envoyée à leurs collègues de la Milice -en tout cas pas tout de suite- mais sa réputation de professionnel du prank lui collait trop à la peau pour qu’Angus ne réagisse pas de manière instinctive. En plus, il détestait les Pear One qu’il qualifiait volontiers d’engins du démon, Leonard le savait, aussi sa méfiance s’éveillait naturellement à l’égard de tout ce qui gravitait autour. Il leva aussitôt les mains en l’air, comme pour prouver sa bonne foi :

« T’inquiète ! Je la garde pour moi… pour l’instant » nuança t-il avec un sourire en coin.

Mais Angus n’était pas vraiment d’humeur à plaisanter, Leonard s’en rendit assez vite compte en face au ton grave qu’il emprunta. Sa curiosité piquée, il détourna le regard de son Pear One pour le reporter sur son collègue qui semblait hésiter à s’expliquer. Quoique Leonard ait pu imaginer comme raisons derrière son embarras, il n’aurait pas pu prédire ce qu’Angus finit par leur avouer à demi-mot, avec un sourire étrangement timide venant de lui. Leonard ne fut pas aussi réservé en laissant éclater sa surprise joyeuse, face à ce qui était une heureuse nouvelle :

« Mais non ?! » Il échangea un regard surpris avec Eiluned, qui fut la première à présenter ses félicitations. Il renchérit aussitôt à sa suite, en donnant une tape amicale sur l’épaule d’Angus : « Mais c’est super ! Félicitations ! Oh la la, tu nous as bien caché ça ! »

Pourtant, en y réfléchissant bien, ce n’était pas si étonnant, en tout cas, Leonard pouvait à peu près deviner les raisons pour lesquelles le milicien avait préféré ne pas ébruiter ses projets. Sa petite amie Emma était particulièrement jeune, Angus devait déjà subir le regard des autres à ce sujet, alors si on ajoutait en plus un bébé en route… Pour être honnête, Leonard était assez surpris et déstabilisé, maintenant qu’il se rappelait qu’Emma faisait partie de cette équation. Il ne pensait pas que leur couple, encore récent lui semblait-il, était stable et sérieux pour envisager de fonder une famille ensemble, c’était vraiment étonnant. Et en effet, Emma était particulièrement jeune, surtout pour devenir mère. Il n’en fallut pas plus pour que Leonard échafaude mentalement plein d’hypothèses pour expliquer l’espèce d’embarras et de retenue qu’il avait perçue chez Angus à l’instant. Et si c’était un bébé accident ? Et s’il était obligé d’assumer ce bébé ? Et si au contraire, c’était lui qui avait insisté auprès de sa petite amie pour qu’ils gardent cet enfant ? Et s’ils faisaient fausse route et que ce n’était pas Emma qui était concernée par cette grossesse, mais une autre femme ? Une amante de passage ? Et si Angus trompait Emma et que ce bébé surprise avait fait exploser son couple ? Cela expliquait l’absence de la présupposée concernée dans cette boutique de puériculture !

Tant de questions et trop peu de réponses. Leonard s’efforça de calmer la machine infernale de ses pensées pour tenter de comprendre ce qui se passait. Il interrogea Angus, d’une voix plus posée, car il sentait bien que quelque chose ne collait pas bien :

« Tout va bien ? »

Quelque chose, dans la réaction d’Angus, ne sonnait pas juste. Son expression facile révélait un malaise dont Eiluned prit conscience un peu après Leonard qui, déjà, interrogeait son collègue avec un air soucieux. Plus réservée, elle garda le silence et se contenta d’observer le milicien, les sourcils légèrement froncés. De toute évidence, Angus n’avait pas prévu de leur révéler la grossesse de sa compagne…

Tout simplement parce que sa compagne n’était pas enceinte.

Eiluned afficha une expression de surprise, en même temps qu’elle laissait échapper un « Oh » un peu étouffé. Elle comprenait mieux pourquoi Angus avait eu l’air aussi embarrassé par ses suppositions. Eiluned avait immédiatement songé qu’Emma attendait un enfant, sans penser qu’Angus menait ce projet individuellement. A bien y réfléchir, elle aurait pu trouver étonnant qu’Emma – qui était encore plus jeune que Marlene, sa filleule – veuille déjà fonder une famille, alors que son couple avec Angus était encore récent. Mais mille raisons pouvaient justifier une grossesse prématurée ; en revanche, le fait qu’Angus puisse avoir recours à une mère porteuse n’était pas une idée qu’Eiluned aurait pu imaginer d’elle-même.

La situation était d’ailleurs sûrement complexe : Angus était engagé dans une relation sérieuse avec une femme qui aurait sûrement un rôle à jouer dans la vie de ce futur bébé s’ils étaient amenés à rester ensemble. Elle semblait l’avoir accepté ; du moins, c’était que ce que le milicien laissait sous-entendre. Brièvement, la jeune femme songea à la position dans laquelle se retrouvait Emma ; prise entre l’amour et l’affection qu’elle portait sûrement à Angus, et ce projet qu’il voulait mener coûte que coûte. Peut-être s’était-elle sentie mise à l’écart, invisibilisée par ce fort désir d’enfant qui ne laissait rien barrer sa route, pas même une relation sérieuse qui aurait pu, peut-être, ouvrir le chemin à une parentalité partagée… Mais, bien vite, ses pensées revinrent sur Angus et sur ce qu’il leur dévoilait de lui…

« Enfin, c’est pas à vous que je vais apprendre qu’un désir d’enfant peut être très profond. » Et Eiluned hocha la tête.

En effet, Leonard et Eiluned auraient été bien mal placés pour juger le choix d’Angus. Certains devaient y voir une décision égoïste, mais la jeune femme savait qu’un tel désir dépassait totalement ces considérations. Elle aussi avait fait le choix de fonder une famille envers et contre tout, laissant son envie de devenir mère prendre le dessus sur des réflexions plus rationnelles qui auraient pu la dissuader. Créer la vie était sûrement une des plus belles choses que Leonard et elle entreprenaient ensemble et le bonheur que cela leur apportait compensait les peines et les souffrances d’un destin pourtant funeste. Angus n’était peut-être pas pressé par un dénouement aussi fatidique, mais Eiluned pouvait comprendre d’où lui venait ce besoin de mener ce projet jusqu’à sa finalité, quitte à le mener seul.

Sa plaisanterie lui tira un sourire qu’elle lui adressa.

« Ça te va très bien. » affirma-t-elle, un peu moqueuse, avant de commenter, plus sincèrement : « La paternité était faite pour toi ! » Une expression un peu plus sérieuse revint sur ses traits alors qu’elle poursuivait : « Félicitations, en tout cas. C’est un beau projet et c’est très… courageux de le mener seul. » Parce qu’Eiluned était bien plus à l’aise avec le fait de proposer son aide et des solutions qu’avec les déclarations sincères aux personnes qu’elle ne connaissait que très peu, elle ne résista pas à l’envie d’ajouter, plus timidement : « Si jamais tu as besoin de quelque chose… Enfin, je veux dire, comme on se prépare aussi à accueillir un bébé… J’ai plein de bouquins, de listes, à la maison. Je pourrais te les passer, si tu veux ? »