Summer nights [PV Grady]

Pour la quatorzième fois en l'espace de deux minutes, Priya sortit son Pear de la poche de sa veste en jean pour vérifier qu'elle n'avait pas de nouveau message. Elle en était arrivée à espérer que Grady aurait un empêchement et qu'il annulerait au dernier moment. Elle avait pourtant très envie de le voir, mais une partie d'elle avait peur de ne pas savoir quoi faire ou quoi dire et de se ridiculiser, comme souvent. Elle savait que c'était une crainte parfaitement irrationnelle, ils avaient passé des nuits entières à discuter par messages, il n'y avait pas de raison pour qu'ils se retrouvent subitement à court de sujets de conversation, mais si ça arrivait ?

Elle replaça nerveusement une mèche de ses longs cheveux noirs derrière son oreille. Elle avait décidé -après de très longues minutes d'hésitation- de laisser ses cheveux détachés mais elle commençait à regretter cette décision. Ils risquaient de la gêner. Et elle allait passer pour la fille superficielle qui arrangeait tout le temps ses cheveux. Elle s'empara de l'élastique de secours qu'elle portait toujours à son poignet et rassembla sa chevelure sur son épaule pour la tresser rapidement. Elle jeta un rapide coup d'oeil dans une vitrine pour vérifier que sa coiffure n'était pas grotesque, mais ne s'éternisa pas sur son reflet. Elle avait changé d'avis sur sa tenue environ vingt-sept fois avant de finalement opter pour son premier choix : un short en jean, un t-shirt coloré, sa paire de converses fétiche et une veste en jean. Et elle ne voulait pas se laisser une occasion supplémentaire de questionner cette décision.

Priya n'était pas particulièrement douée pour les premiers rendez-vous. Entendons-nous bien, elle n'était pas douée pour les interactions sociales en général mais elle était abonnée aux premiers rendez-vous catastrophiques. Elle n'avait pourtant que très peu d'expérience en la matière, mais les quelques rencards qu'elle avait eu au cours de sa vie n'avaient jamais été concluants, et n'avaient jamais été suivis d'un deuxième rendez-vous. Elle espérait sincèrement que celui-ci serait l'exception.

Son coeur s'emballa quand elle aperçut au loin la haute silhouette de Grady et elle voulut lever le bras pour lui adresser un signe de la main mais elle manqua de gifler un pauvre monsieur qui passait à côté d'elle à ce moment-là. Elle s'excusa d'une grimace -pardon Monsieur- et fit quelques pas pour rejoindre Grady. Les joues rougies par l'embarras, elle accueillit le jeune homme avec un sourire timide. Elle avait envie de lui dire qu'il était particulièrement beau aujourd'hui, et qu'elle était contente de le voir mais le seul mot à franchir ses lèvres fut un "Salut !" enthousiaste mais un peu hésitant.

"Comment ça va ?" s'empressa-t-elle d'ajouter, terrifiée à l'idée de laisser un blanc s'installer.

Elle n'avait aucune idée du programme de la soirée. Tout avait été prévu par Grady, qui lui avait simplement donné rendez-vous en plein Londres moldu. Plus elle y pensait plus elle espérait que ce serait une séance de cinéma ou une autre activité qui ne nécessiterait pas de faire la conversation car tous ses neurones semblaient tous être partis en congés en même temps.

Grady avait un rendez-vous. Et, croyez-le ou non, ce n’était pas si fréquent que cela. Alors il avait sorti le grand jeu. Il avait demandé à sa mère de lui repasser sa plus belle chemise. Il s’était rasé de près (une véritable aventure. Il s’était coupé trois fois. Avait mis du sang partout sur l’évier en jurant. Avait fouillé dans la pharmacie pour retrouver les baumes que Marlene s’entraînait à faire pour réviser. Avait trouvé une crème qu’il pensait être cicatrisante mais était en réalité quelque chose qui brûlait très fort. Il avait poussé des petits cris partout dans la salle de bains et avait cogné son pied contre le meuble, ce qui avait entraîné la chute de la boite d’affaires rangée au dessus. Il s’était pris trois après-shampooings sur le coin du nez. Qui avait besoin d’autant d’après-shampoings ? C’était donc ça, le secret beauté de James ? Il se roulait dans l’après-shampoing ?). Il s’était coiffé avec attention et pour terminé, avait utilisé le parfum qu’on lui avait offert à Noël.

Il était parti tout heureux de retrouver Priya. Cela faisait plusieurs mois qu’ils discutaient via Instamag, à base d’envoi de mèmes de qualité et de petites blagues. Ces derniers temps, Grady était devenu un peu plus entreprenant. On pouvait même dire qu’il avait flirté en envoyant des photos très équivoques des cafés qu’il servait au Hufflepub. Et puis, la semaine dernière, encouragé par James, il avait pris son courage à deux mains et avait décidé de l’inviter. À un rencard. Un vrai, un sérieux. Il avait tout prévu et il espérait que cela allait lui plaire.

Il lui avait donné un rendez-vous dans un quartier branché de Roy et marchait très vite pour la retrouver. Il ne voulait pas être en retard : il avait même quelques minutes d’avance. Quand il l’aperçut, il lui adressa un grand sourire et un signe de la main. Elle était toute jolie. Il remarqua ses jambes et se força à en rester à cette simple constatation : Priya avait deux jambes. C’était une belle qualité chez une femme. Un humain, même. C’était très pratique.

- Salut ! Ça va super et toi ? T’es très jolie.

Il plongea les mains dans les poches de son jean pour se donner une contenance. En grand expert des rendez-vous amoureux, il était très à l’aise.

- On y va ? suggéra-t-il, après un bref silence.

Il commença à marcher d’un bon pas mais ralentit en voyant que Priya ne le suivait pas si aisément. Pendant qu’ils avançaient, Grady lança la conversation.

- Tu vas voir, j’ai prévu un truc qui va te plaire je pense.

Ils arrivaient justement devant une grande porte illuminée par un néon géant. C’était une salle d’arcade à l’ancienne, avec tous les grands classiques.

- Je me suis dis qu’on pourrait enfin voir qui de nous deux était le meilleur aux jeux vidéos !

Priya remarqua immédiatement que Grady portait une chemise et regretta aussitôt son choix de tenue. Elle aurait du mettre quelque chose de plus élégant. Et surtout elle aurait du lui demander le dress code avant de se préparer pour leur rendez-vous, ce qu'elle n'avait pas osé faire. A tous les coups il allait l'emmener dans un endroit chic et elle aurait l'air ridicule. Il allait avoir honte d'elle. Ils s'étaient à peine salué et elle avait déjà tout gâché. Elle venait surement d'établir une sorte de record du pire rencard de l'histoire.

Si le jeune homme était embarrassé par son look décontracté, il n'en laissa toutefois rien paraitre puisqu'il lui glissa même qu'elle était très jolie. Elle sentit ses joues rougir sous l'effet du compliment et baissa les yeux malgré elle, un peu gênée.

"Merci beaucoup, tu es très joli aussi. Enfin non, tu n'es pas joli, se corrigea-t-elle précipitamment avant de se rendre compte qu'elle aggravait son cas. Je veux dire, les garçons ne sont pas jolis, mais euh...*Tais-toi par Merlin. Tais-toi Priya. Et ne parle plus jamais*. Tu es très beau."

Elle avait envie de disparaitre dans un trou de souris et fut extrêmement reconnaissante à Grady de ne pas lui tenir rigueur de son entrée en matière particulièrement gênante. Elle hocha vivement la tête à sa suggestion de se mettre en route et lui emboita le pas. Ou du moins essaya de lui emboiter le pas. Priya n'était pas particulièrement petite, elle avoisinait même le mètre soixante-dix, mais Grady restait beaucoup plus grand qu'elle et se déplaçait à pas de géant. Elle commençait à s'essouffler un peu quand il ralentit finalement et elle le remercia d'un sourire.

Son coeur, déjà survolté après ces quelques pas trop rapides, se mit à battre encore plus fort quand le jeune homme lui annonça qu'il avait prévu quelque chose qui devrait lui plaire. Elle était très curieuse de savoir ce que c'était, et un peu nerveuse. Ils s'arrêtèrent justement sous le néon d'une grande enseigne lumineuse qui s'avérait être l'entrée d'une salle d'arcades. Un immense sourire s'étira sur les lèvres de la jeune ingénieure alors qu'elle détachait son regard des néons pour le poser sur Grady. C'était la première fois qu'un garçon l'emmenait dans un endroit qu'il semblait avoir choisi exprès pour elle et dans lequel il n'aurait pas emmené n'importe quelle autre fille. Elle n'avait pas été à beaucoup de rendez-vous mais le dernier en date avait impliqué d'assister à un combat de "Monster Truck des Neiges" en compagnie de Rick, un de ses camarades de l'institut d'Alaska. Les trois heures les plus longues -et les plus froides- de sa vie. Mais ce soir pour la première fois de sa très courte et catastrophique vie amoureuse, elle se sentait un peu spéciale.

"C'est une super idée ! s'exclama-t-elle, réellement impressionnée. Cet endroit est génial."

Ils venaient de passer les portes d'entrée et son regard se retrouva aussitôt attiré par les lumières provenant des multitudes d'écran autour d'eux.

"Tu viens souvent ici ?" Elle se demandait comment il avait connu cet endroit, très clairement moldu. Il lui avait appris, au détours d'une de leurs longues conversation sur Instamag que ses deux parents étaient sorciers.

La salle était immense et séparé en plusieurs espaces, avec des jeux vintage d'un côté et les dernières nouveautés en matière de jeux-vidéo de l'autre. La jeune femme repéra immédiatement une table de "air hockey" au centre de la pièce.

"Oh, j'adorais ce jeu quand j'étais petite ! Elle se souvenait avoir disputé des parties particulièrement animées contre son frère. On fait une partie ?"

Devant la mine embarrassée de Priya, Grady se retint de rire. Déjà parce qu’il n’était pas passé à côté du compliment et s’en trouvait tout content : à coup sûr, c’était la chemise bien repassée qui faisait tout. Ensuite parce qu’il voyait bien son air embarrassé et il n’avait pas envie de la gêner encore plus. Elle devait se sentir comme lui, quand il répondait « Merci vous aussi ! » aux serveurs qui lui disaient « Bon appétit » dans les restaurants.

- Tu peux dire que je suis joli, ma mamie serait d’accord avec toi.

Bon, à bien y penser, ce n’était peut-être pas l’idée du siècle de comparer la fille qui lui plaisait à sa grand-mère. Petite note personnelle pour plus tard. Ce n’était pas que sa mamie n’était pas cool, évidemment. Gloria était très cool. Elle faisait des gâteaux super bons et il mangeait toujours bien chez elle. Elle avait aussi cette tendance à lui filer quelques gallions en douce, quand ses parents regardaient ailleurs. Dans ces moments-là, elle ressemblait un peu à un dealer mais il ne voulait pas porter d’insinuation sur la jeunesse sûrement très respectable de sa mamie. En tout cas, même si sa mamie était cool, Priya n’était pas sa mamie. Heureusement d’ailleurs, ça serait bizarre. Ça serait peut-être des mamies-issues ?

Heureusement, il eut l’impression de regagner des points lorsqu’ils arrivèrent à destination.  Priya et lui avaient beaucoup discuté de jeux vidéos, il s’était donc dit que cela pourrait être une super idée de commencer par cela : ils étaient sûrs d’éviter les silences gênants. Parce que, quand le silence devenait gênant, il avait tendance à dire tout ce qui lui passait par la tête et ce n’était jamais glorieux. Il était célibataire depuis longtemps, ce n’était pas pour rien. À son dernier rendez-vous, il avait paniqué et avait comparé les cheveux de Molly, cette fille rencontrée sur une appli de rencontre, à des nouilles chinoises. C’était dit avec beaucoup d’affection parce qu’il aimait beaucoup les nouilles chinoises, c’était bon et réconfortant. Mais pas la chose à dire à une fille. Pas du tout. Elle n’avait pas du tout apprécié. Elle lui avait dit des choses qu’il ne pourrait pas répéter devant sa mamie, justement.

- Pour être honnête, c’est la première fois ! C’est un ancien copain de Poudlard qui vient souvent ici qui m’en a parlé. Je te le dis, comme ça, tu ne pourras pas te dire que c’est parce que je suis habitué que je t’ai battue à plates coutures !

Non, il allait faire cela à la loyale, comme un gentleman. Un gentleman qui voulait quand même plaire, donc il allait être sympa. Genre l’écraser gentiment.  Il promena un regard curieux autour de lui. Il y avait beaucoup de lumière et beaucoup de son, ce qui était à son sens typique des endroits moldus. Ça se voit qu’ils ne payaient pas les chandelles, hein. Ils n’en n’avaient pas. C’est pour cela qu’ils ne payaient pas. Enfin, il s’était compris quoi. Comme aurait dit sa grand-mère, « C’est pas Poudlard ici ! » Il pensait trop à sa grand-mère ce soir, c’était bien trop inquiétant.

Priya désigna une table au milieu de la salle et Grady haussa les sourcils. Il ne connaissait pas trop mais cela semblait pas mal !

- Si tu veux mais je ne sais pas jouer ! Faut mettre le machin dans le truc ?

Priya fit mine de pouffer de rire et balaya les paroles de Grady du revers de la main quand il expliqua qu'il venait ici pour la première fois, et qu'elle ne pourrait pas mettre sa future victoire écrasante sur le compte de l'habitude.

"Je demande à voir !" répondit-elle simplement avec un sourire.

Il y avait assez peu de domaines qu'elle maitrisait vraiment bien. Les dernières minutes avaient clairement prouvé que le flirt n'en faisait pas partie, mais c'était le cas des jeux-vidéos. Pendant ses années à Poudlard, la jeune femme avait passé tous ses étés enfermée dans sa chambre à jouer aux jeux-vidéos et ignorer les cris de sa mère qui voulait absolument qu'elle "prenne l'air". Non seulement ces petites sessions estivales lui avait permis d'acquérir un très bon niveau dans la plupart des jeux classiques, mais elles lui permettaient aussi de se ressourcer avant la rentrée. La vie en communauté n'avait jamais été évidente pour elle. Elle avait besoin de temps seule pour recharger ses batteries et c'était difficilement compatible avec une vie en dortoirs.

La seule personne qu'elle avait toujours accepté d'intégrer dans ses parties de jeux-vidéos était son frère, qui avait très vite dépassé de loin son niveau. Ce qui était parfaitement injuste parce qu'il pouvait s'entrainer douze mois par an quand elle devait se contenter des vacances d'été. Un des jeux auxquels elle n'avait jamais battu Jamal était d'ailleurs ces tables de Air Hockey. Les réflexes et la coordination n'étaient pas exactement ses points forts mais elle adorait ce jeu qui lui rappelait des fous rires mémorables. Elle proposa une partie à Grady, qui accepta aussitôt même s'il n'avait jamais joué.

"Je vais t'expliquer les règles, le rassura-t-elle. Comme ça, tu ne pourras pas te dire que c’est parce que tu ne sais pas joué que je t’ai battu à plates coutures !" ajouta-t-elle avec un sourire insolent en reprenant volontairement la formule du jeune homme.

Priya s'approcha de la table et sortit une pièce de monnaie moldue de son sac -elle avait toujours de l'argent moldu et de l'argent sorcier sur elle- pour lancer la partie. Elle récupéra aussitôt un palet en plastique qu'elle déposa au centre de la table et qui semblait léviter très légèrement au dessus de celle-ci, maintenus en l'air grâce à de puissants souffles d'air.

"On a chacun un machin, commença-t-elle en tendant à Grady un maillet en plastique rouge. Et il y a des fentes de chaque côté de la table, poursuivit-elle en désignant les ouvertures sur chaque largeur de la table. Ton but est d'utiliser ton machin pour mettre le truc dans ma fente, et moi je... Elle s'interrompait alors que ses derniers mots résonnaient dans sa tête et qu'ils y trouvaient un tout autre sens. Enfin, dans la fente de ce côté de la table, se corrigea-t-elle, les joues aussi rouges que le blason de Gryffondor. Enfin, tu vois quoi. Et moi je dois mettre le truc dans la fente de ton côté de la table. Le premier qui marque sept buts a gagné, termina-t-elle un peu précipitamment. On joue ?"

Il valait mieux qu'elle arrête de parler, estimait-elle, étant donné le nombre de bêtises qu'elle pouvait débiter à la minute quand elle était nerveuse. Et Grady la rendait un peu nerveuse, mais d'une bonne façon.

- Mais dis donc ! protesta Grady de son meilleur ton d’outrage (il était très entraîné car il l’utilisait dès qu’on osait lui dire - lui dire à lui, le capitaine de l’équipe de Bavboules de Poufsouffle ! - que ce n’était pas un vrai sport.) Tu as des années d’entraînement visiblement professionnel au fin fond de l’Alaska, donc si je perds, je dirais quand même que c’est injuste !

Honnête comme un Poufsouffle. Ils s’approchèrent de la table alors que Priya se lançait dans des explications... imagées. Le palet voletait au dessus de la table et Grady se demandait comment cela pouvait arriver, alors que le jeu n’était visiblement pas enchanté. Les moldus étaient un peu magiques, sur les bords, même s’ils inventaient des jeux bizarres. Il fallait donc mettre des choses dans des fentes. Une dizaine de plaisanteries graveleuses lui vinrent en tête mais, comme il était un garçon bien élevé, il se tut. Au vu de la couleur des joues de Priya, elle avait compris que ses mots pouvaient avoir un double-sens et il n’avait pas envie de l’embarrasser plus (même si elle était vachement mignonne comme ça, dis donc.) Il allait conserver ses blagues de mauvais goût pour son bro James, qui saurait en apprécier toute la subtilité. Il avait déjà cinq ou six jeux de mots avec « fente. »

- J’ai bien compris qu’il fallait mettre des choses ta fente, acquiesça-t-il. Qui commence ? Honneur aux dames ?

Tel un joueur de tennis surentraîné, il se mit à faire des petits bonds réguliers de son côté de la table. Il fallait bien s’échauffer pour éviter le claquage des ligaments croisés. En tant que capitaine de l’équipe de Bavboules de Poudlard, il connaissait toutes les techniques de sportifs de haut-niveau, surtout au niveau des étirements du poignet.

- Ils ne jouent pas au air hockey en Alaska, corrigea Priya alors que Grady l'accusait d'avoir une longue pratique de ce jeu derrière elle. Ils préfèrent le vrai hockey, celui où ils perdent des dents et se font foncer dessus par des gros bonhommes de cents kilos.

Ce n'était pas vraiment son sport de prédilection. Elle était une catastrophe ambulante sur des patins à glace. Ses camarades avaient d'ailleurs beaucoup ri la première fois où ils l'avaient emmenée sur un lac gelé et où sa maladresse légendaire avait trouvé un nouveau terrain d'expression. A vrai dire, elle n'avait pas réellement de sport de prédilection. Elle s'était inscrite au K-Club sur les conseils insistants de sa mère qui affirmait qu'elle devait absolument "s'entretenir un peu" parce que "elle n'aurait pas toujours vingt ans", et de son kinémage qui trouvait qu'elle avait une très mauvaise posture -comment aurait-il pu en être autrement alors qu'elle passait douze heures par jour penchée sur son écran ? Elle avait assisté à quelques cours de yoga, dont elle était ressortie plus stressée qu'en y entrant, puis elle avait tenté le pilate et cru mourir pendant les exercices de gainage, et en avait conclu que le sport n'était pas fait pour elle. Ou plutôt qu'elle n'était pas faite pour le sport. Depuis, elle avait arrêté d'aller au K-Club mais puisqu'elle continuait de payer son abonnement -il fallait envoyer un courrier avant une date anniversaire pour résilier et elle l'avait loupée- elle y passait de temps en temps le matin pour remplacer son habituel cappuccino par un de ces smoothies tout verts dont Jude raffolait. C'était son action "healthy" de la semaine.

Priya fut très reconnaissante à Grady de ne pas rebondir sur ses explications particulièrement imagées des règles du jeu. Il y avait pourtant de quoi faire, mais elle aurait été trop embarrassée pour avoir de l'humour. Elle devait avoir l'air parfaitement stupide, avec ses balbutiements et ses joues cramoisies, et elle avait soudain beaucoup trop chaud. Elle avait tendance à beaucoup faire ça, quand elle se trouvait dans une situation qui impliquait de parler à des gens qu'elle ne connaissait pas très bien. Elle visualisait la scène comme si elle se tenait en face d'elle même, et se jugeait complètement ridicule. Elle était gênée par la vision qu'elle avait d'elle-même, ce qui la faisait agir de façon encore plus ridicule, donc était encore plus gênée. C'était un cercle vicieux dont elle avait parfois du mal à sortir.

Heureusement, le début de la partie lui offrit l'opportunité d'arrêter de dire des obscénités et de retrouver un semblant de calme. Elle attrapa le maillet en plastique rouge posé devant elle pour envoyer le palet de l'autre côté de la table. Le jeu se mit en place doucement et pendant quelques secondes, ils se renvoyèrent calmement le palet. Les échanges ne tardèrent pas à gagner en intensité avec les premiers buts -deux pour Priya et un pour Grady- et ils commencèrent à se chambrer sur leurs manques de réflexes. Priya était plutôt bonne perdante - ce qui était important une bonne chose était donné son manque de talent dans le milieu sportif, mais elle pouvait vite avoir l'esprit de compétition et se laissa volontiers emporter par le jeu.

La partie était serrée et Grady se révélait être un adversaire redoutable -ou en tout cas du même niveau que Priya. Le jeune homme venait d'égaliser avec un deuxième but et le palet arrivait de nouveau à toute vitesse en direction de Priya, qui se jeta sur le côté pour le renvoyer avec un geste vif. Le palet cogna trop brusquement contre le bord de la table et décolle du plateau pour foncer directement...*craaac*...en plein sur le nez de Grady.

- Mouais mouais ! répondit-il quand Priya affirma qu’elle ne s’était pas entraînée au fond de l’Alaska. Il imaginait bien un camp d’entraînement parfaitement secret au fin fond de la glace, dans un bunker, où on formait l’élite mondiale de air hockey. Ensuite, on les envoyait s’infiltrer dans différents pays du monde pour obtenir plein de médailles. Certes, l’explication qu’elle lui fournissait, arguant que ses camarades de classe préféraient le vrai hockey était très probable. Mais Grady préférait sa version. Je ferai quand même appel au président de la ligue de air hockey en cas de malversations !

Ils se plongèrent dans la partie, doucement au début, trouvant leurs marques, puis de plus en plus intensément. Priya marqua deux buts mais, bien déterminé à ne pas se laisser faire, Grady parvint à lui en coller un. Ravi, il leva les bras en l’air en guise de victoire.

- HAHA !

Comme il avait la victoire modeste, il se contenta de faire une petite danse des bras. Il reprit la partie avec intensité et parvint à marquer un deuxième but, égalisant le score. Priya se jeta sur le palet qui arrivait vite sur ses buts pour le contrer. Grady plia les genoux, tel un athlète professionnel, paré à la réception. Il pouvait le faire, il était un ninja de l’air, un champion, il pouvait, il allait le...

Un craquement abominable et une vive douleur au visage. Ce fut les deux premiers éléments que Grady perçut.

La douleur irradiait de son nez et il fit quelques pas en arrière, portant les mains à son visage. Elles se couvrirent aussitôt de rouge et de larmes. De larmes viriles d’homme. D’homme qui avait très très très mal. Il poussa un gémissement en écartant ses mains de son nez, pour constater que le sang continuait de couler. Il avait si mal. Il avait le nez cassé, à tous les coups.

Du sang. Beaucoup trop de sang. Le visage de Grady, tordu de douleur, était couvert de sang. Il avait le nez cassé c'était certain. Elle lui avait cassé le nez. Elle avait cassé le nez de Grady. Cette pensée tournait en boucle dans sa tête sans qu'elle ne parvienne complètement à l'assimiler. Les premières réactions, autours d'eux, la firent sortir de sa paralysie. Quelqu'un venait d'éclater de rire -merci pour le soutient- et deux autres personnes étaient parties cherchés un responsable.

"Je suis désolée ! s'exclama-t-elle d'une voix trop aiguë en faisant rapidement le tour de la table. Est-ce que ça va ? Bien sûr que non ça n'allait pas. Parce qu'elle lui avait cassé le nez. Je suis vraiment vraiment désolée !" répéta-t-elle en esquissant un geste vers sa baguette même si elle ne maitrisait aucun sortilèges de soin.

Elle se rappela juste à temps qu'ils se trouvaient dans un lieu moldu et qu'il n'aurait pas été prudent de faire apparaitre des compresses d'un coup de baguette magique. Elle fouilla ses poches, les mains tremblantes, pour en sortir un paquet de mouchoirs qui paraissait bien inutile face au flot de sang qui s'échappait du nez de Grady. Elle déplia un mouchoir et lui tendit mais le papier fut complètement imbibé en seulement quelques secondes et elle laissa échapper un gémissement d'inquiétude.

"Qu'est-ce qui s'est passé ici ?"

Priya se retourna pour faire face à un homme vêtu d'un t-shirt aux couleurs de la salle d'arcades, auquel était accroché un badge qui indiquait "Hank - Manager". Hank-Manager portait une trousse grisâtre marquée d'une croix rouge dont il n'avait pas l'air de se servir souvent, et une poche de glace.

"Je suis désolée, je... Elle désigna la table d'un vague geste de la main. Et le palet... Elle désigna le pauvre Grady dont le sang continuait de couler et commençait à tacher la moquette. C'était un accident, je suis désolée !
- Eh bah, faut pas vous contrarier vous ! Hank s'approcha de Grady et l'invita à s'asseoir sur une banquette à proximité avant de lui tendre des compresse pour stopper le saignement et la poche de glace. Le nez est surement cassé, annonça-t-il, bien qu'il n'ait pas l'air d'être un spécialiste de la question. Vous voulez qu'on appelle les pompiers ?
- Non ! La réponse trop rapide de Priya avait surpris Hank et il se tourna vers elle en fronçant légèrement les sourcils. Pas besoin d'appeler les pompiers pour ça, on... On va aller à l'hôpital le plus proche... En voiture."

Sa réponse improvisée parut convaincre Hank, qui hocha silencieusement la tête. En vérité, Priya cherchait à éviter à tout prix que Grady soit pris en charge par un médecin moldu. La magie pouvait réparer un nez cassé en quelques secondes et même si elle savait que les moldus soignaient très bien les fractures aussi, elle savait également que le processus était beaucoup plus long. Elle s'était cassé le bras quand elle avait huit ans et elle avait du garder son plâtre pendant un mois complet. Elle n'était pas certaine que l'on puisse plâtrer une fracture au nez, et elle n'avait aucune envie de le découvrir. Ils devaient absolument se rendre à Sainte-Mangouste.

"Vous devez aller à St Thomas, intervint une jeune femme qui avait interrompu sa partie de Pac-Man pour observer la scène. Je peux vous y emmener si vous voulez.
- Non, c'est gentil mais je... On... Je suis garée pas loin..."

La jeune femme insista et Priya eut toute la peine du monde à ne pas céder face à sa gentillesse. Elle avait très envie de laisser tous ces gens bien plus confiants gérer la situation, mais elle savait qu'ils devaient se débrouiller tous seuls s'ils voulaient rejoindre Sainte-Mangouste. Hank les escorta jusqu'à la sortie et leur confia un stock conséquent de compresses.

"Ça a l'air de se calmer un peu. Il désigna le nez de Grady, qui saignait toujours mais moins abondamment. Ça va aller ? lui demanda-t-il. Soyez prudents, ajouta-t-il à l'attention de Priya.
- Merci beaucoup, et désolée !"

Elle attrapa doucement Grady par le bras et l'entraina dans la rue qui longeait la salle d'arcades, sous les regards inquiets de Hank-Manager et de quelques clients.

"Je suis vraiment désolée ! répétait-elle, mortifiée. Il faut qu'on trouve un endroit calme pour transplaner à Sainte-Mangouste."

Ils trouvèrent rapidement une ruelle déserte et s'y engouffrèrent discrètement pour en disparaitre quelques secondes plus tard. Ils réapparurent dans le hall d'accueil de Sainte-Mangouste, la seule zone de l'hôpital sorcier qui soit ouverte au transplanage.

Grady aurait aimé pouvoir encaisser virilement cette douleur, tel un vrai joueur de hockey. Pouvoir en rire, même, façon « Haha, ça m’arrive tout le temps quand je joue au Quidditch dans l’équipe nationale d’Angleterre ou quand je surfe avec des requins en Australie. » Sauf qu’il n’encaissait pas du tout. Il avait même foutrement mal, par Merlin. La sensation de tout ce sang poisseux sur ses mains ne l’aidait pas non plus à dédramatiser la situation. Peut-être qu’il était défiguré à vie. Il perçut la voix de Priya qui affirmait qu’elle était désolée et il tenta un vague hochement de tête comme pour le rassurer. Elle lui tendit un mouchoir qu’il attrapa à tâtons mais ce dernier fut vite complètement imbibé de sang. Peut-être qu’il allait se vider de son sang. Peut-être qu’il allait mourir ici, de son hémorragie, sur cette moquette moche. Peut-être qu’on mettrait une petite plaque commémorative à sa mémoire sur le jeu (et c’était quand même un peu classe.)

Quand quelqu’un de la salle suggéra qu’on appelle les pompiers, Grady fit non de la tête.

- Non, non, ça va, ça va super.

Hors de question qu’il aille à l’hôpital moldu avec leurs piqures et leurs IMR (il avait vu ça en Étude des moldus.) À Sainte-Mangouste, ils lui répareraient d’un coup de baguette magique alors que ici, ils allaient sûrement vouloir lui faire il ne savait pas trop quoi avec des aiguilles, lui recoudre l’os ou quelque chose. Les moldus étaient étranges. Assis sur sa banquette avec sa glace et ses compresses (il avait du mal à jongler entre les deux, le choc lui avait fait perdre toute coordination), il était aussi gracieux que Gradouble quand il venait de manger et roulait accidentellement du canapé.) Priya semblait partager la même pensée que lui et il comprit bien qu’elle tentait d’éviter l’hôpital moldu pour rejoindre Sainte-Mangouste, malgré les gens qui insistaient autour.

- Oui, c’est ça, on va y aller euh en voiture, en prenant la troisroute. Quelque chose comme ça. Ça va aller vite.

On lui confia un gros stock de compresses alors qu’ils se dirigeaient vers la sortie. Le manager semblait trouver que c’était mieux, Grady songeait toujours à sa mort prochaine par hémorragie. Son t-shirt était maculé de sang. Il se laissa entraîner par Priya - les compresses et la glace gênaient toujours sa vision et il tentait de garder la tête en arrière - afin de trouver un endroit tranquille pour rejoindre l’hôpital.

- Tu transplanes pour deux ? Je ne crois pas que je puisse le faire.

Il n’allait pas tenter le diable, en tout cas. Quelques secondes plus tard (et l’impression que son nez se décrochait pendant le voyage, tel un Voldemort des temps modernes), ils se retrouvèrent dans la salle d’attente bien trop éclairé de Sainte-Mangouste, étonnamment peu remplie aujourd’hui. Ils se dirigèrent vers le comptoir d’accueil où un sorcier assez peu aimable prit leurs informations avant de les inviter à s’assoir, disant qu’un Médicomage allait venir s’occuper de lui. Priya et Grady finirent dans un coin, pas très loin d’une sorcière dont la peau avait pris une étrange couleur violette. En face de lui, un sorcier avait une énorme plaie à la jambe. Une sorte d’énorme dent luisante en sortait. Un papa faisait les cent pas avec son bébé dans les bras, bébé qui pleurait un peu. Remontant un peu sa poche de glace, Grady appuya son crâne contre le mur.

- Je pense qu’on est ici sur une malversation, finit-il par dire après quelques secondes. Compte sur moi pour avertir le président de la ligue de air hockey à la première heure demain.

"Ouau bien sûr, répondit-elle avec empressement quand Grady lui demanda de transplaner pour deux. C'est plus sûr oui."

Le moment était certainement très mal choisi pour lui avouer qu'elle avait raté son permis de transplanage deux fois. C'était d'ailleurs le seul examen de sa vie qu'elle ait raté. Cela avait beaucoup fait rire ses camarades, à l'époque. Elle était la première de sa promotion dans presque tous les cours, mais elle était incapable de transplaner sans laisser une de ses jambes derrière elle. Elle s'était désartibulée une fois, lors des premiers cours, et elle en avait gardé un très mauvais souvenir. Pendant des mois elle avait fait un véritable blocage et n'avait plus réussi à transplaner, complètement paralysée par cette mauvaise expérience. Lors de son premier examen, et après avoir finalement réussi quelques transplanages, elle avait tellement angoissé qu'elle n'avait rien pu faire. Et la deuxième fois elle avait laissé la moitié de ses cheveux derrière elle.

Heureusement, elle avait fait des progrès depuis. Elle n'aimait toujours pas ça et elle évitait de transplaner autant que possible, mais elle pouvait le faire. Elle avait son permis, elle avait déjà transplané plusieurs fois sans encombre, elle en était parfaitement capable. Elle avait même déjà fait du transplanage d'escorte, une fois.

"Ok, allons-y..." annonça-t-elle d'une voix mal assurée en posant sa main sur le bras libre de Grady, l'autre étant occupé à maintenir la poche de glace sur son nez cassé.

Et si elle ratait son coup ? S'ils se désartibulaient ? S'ils arrivaient à Sainte-Mangouste en plusieurs morceaux ? Bon, au moins ils seraient directement au bon endroit. Mais est-ce qu'on pouvait mourir d'un accident de transplanage ? Elle s'interdit de réfléchir plus longuement à cette question, et ferma les yeux pour se concentrer. Quelques désagréables secondes plus tard et après avoir eut l'impression que tout son corps était compressé dans un minuscule tuyaux et propulsé à travers la ville, ses pieds touchèrent de nouveau le sol. Elle fut rassurée de sentir le bras de Grady sous ses doigts et ouvrit les yeux pour s'assurer que le reste de son corps y était bien attaché. Elle laissa échapper un soupir de soulagement en constatant que seul son nez était toujours de travers.

Ils s'approchèrent du comptoir d'accueil où ils furent reçu par un sorcier pas très aimable qui leur fit remplir un formulaire avant de les diriger vers la salle d'attente. Priya évita d'observer les autres patients qui semblaient tous assez mal en points, et se contenta de s'installer sur la chaise en plastique à côté de celle de Grady et de fixer le bout de ses pieds, embarrassée par ce qui venait de se passer. Elle ne savait pas quoi dire et luttait contre le besoin de s'excuser pour la vingt-troisième fois.

Elle laissa échapper un rire gêné suite à la remarque pleine d'humour du jeune homme, qui ne semblait pas trop lui en vouloir de l'avoir défiguré. Elle lui était profondément reconnaissante de savoir détendre l'atmosphère même dans une situation comme celle-ci.

"Oh non, tu penses que ça va compromettre mes chances de participer au championnat du monde ? se lamenta-t-elle pour entrer dans son jeu. Je suis vraiment désolée, reprit-elle plus sérieusement tournant la tête pour voir s'il saignait toujours beaucoup. Oh Merlin... laissa-t-elle échapper avec une grimace. Elle n'y avait pas fait attention jusque là parce que la poche de glace masquait une partie de son visage mais il manquait à Grady une moitié de sourcil gauche. Je... Tu devrais peut-être aussi contacter le Ministre des Transports Magiques pour qu'ils me retirent mon permis, confessa-t-elle en baissant les yeux. Il te manque un bout de sourcil... Je suis désolée ! " Pour la vingt-quatrième fois.

Ça y es, c'était officiellement le pire premier rendez-vous possible, elle avait tout gâché. Elle ne méritait peut-être pas de médaille en air hockey mais elle avait clairement le premier prix en matière de rendez-vous raté. Elle ne voyait pas ce qui pouvait arriver de pire.

- Ah mais c’est fini là ma p’tite demoiselle, répondit Grady avec emphase (moins que d’habitude car tout mouvement du visage le faisait souffrir mais l’intention était là.) C’est une carrière internationale qui s’arrête pour toi.

Et dans un sens, il valait mieux. C’était la première et dernière fois qu’il jouait avec Priya à ce jeu, voire même qu’il jouait à ce jeu tout court. C’était bien trop dangereux. Et pourtant, lui-même vivait de manière hasardeuse : tout d’abord en étant un sportif très impliqué dans les Bavboules, domaine qui avait déjà connu de graves accidents (orteil cassé, joueur qui trébuche sur une boule et se tord la cheville, lésions oculaires pendant plusieurs jours à cause du liquide à l’intérieur.) Ensuite, il était capable de manger des choses à la composition étrange ou bien à la date limite de consommation dépassée. Face au danger, il ne disait pas non, tel un aventurier des temps modernes. Mais pour les prochaines fois au air hockey, il passerait son tour, il laissait ça aux américains et aux joueurs de Quidditch, qui n’avaient pas peur des Cognards. Priya aurait fait une bonne batteuse aussi du coup. Il n’eut pas le temps de lui partager cette remarque qu’elle s’excusait de nouveau. Il crut que c’était encore une fois pour le palet mais non.

Ils avaient eu en plus un petit accident de transplanage, qui mettait Priya dans tous ses états. Ce n’était clairement pas son nez, au vu de la douleur lancinante qu’il ressentait. C’était presque dommage d’ailleurs parce qu’il avait un réservoir assez impressionnant de blagues sur Voldemort. Il aurait pu commencer à préparer Halloween dès maintenant ! Il s’annonçait assez mythique cette année. Il porta la main à son sourcil pour constater effectivement qu’il en manquait un bout. Priya semblait vraiment dévastée. Pour être tout à fait honnête, Grady espérait que les médicomages pourraient s’occuper de cela aussi car il n’était pas certain que le look pirate ténébreux lui aille vraiment. Pourtant, il n’avait pas envie d’accabler Priya qui était vraiment au plus mal.

- Une bonne chose qu’on soit déjà à sainte-Mangouste alors !

Toujours voir le bon côté des choses ; ou bien au travers de la poche de glace qui tentait de diminuer la douleur de son nez cassé.

- Mais quand même, je vais finir par croire que tu ne m’aimes pas beaucoup, avec ce déchaînement de violence.

Car oui, même à l’hôpital, il était capable de sortir ses meilleurs moves (il tournait cette phrase dans sa tête depuis en réalité dix minutes.)

La remarque de Grady arracha un sourire dépité à Priya. Elle était admirative de la facilité avec laquelle il arrivait à voir le bon côté des choses. Elle venait de lui casser le nez et de le priver d'une moitié de sourcil et il arrivait à en rire, sans la moindre rancune. Son attitude était contagieuse et la jeune ingénieure se détendit un peu en reconnaissant qu'il avait raison : ils étaient à Sainte-Mangouste maintenant, Grady allait être pris en charge par un médicomage et tout serait réglé en quelques coups de baguette. La dame avec la plaie béante venait d'ailleurs d'être appelée par un médicomage, signe qu'ils seraient bientôt pris en charge. Plus rien ne pouvait leur arriver à présent.

Ce moment de calme fut malheureusement de courte durée et fut balayé par la prochaine remarque du jeune homme qui la plongea aussitôt dans le désarroi.

- Mais quand même, je vais finir par croire que tu ne m’aimes pas beaucoup, avec ce déchaînement de violence.

Elle savait qu'il plaisantait, évidement. Enfin, disons qu'elle en était sûre à quatre-vint-dix-huit pourcents. Elle ne pensait pas réellement qu'il puisse croire qu'elle avait agit consciemment uniquement parce qu'elle ne l'aimait pas, pour autant elle ne savait pas comment répondre à ça. S'ils avaient été dans une comédie romantique, elle aurait trouvé une réponse percutante, drôle et attendrissante -mais pas trop niaise, ils auraient ri au ralenti, puis se seraient regardés longuement dans les yeux sur fond de musique romantique, et se seraient certainement embrassé. Cette réponse-là lui viendrait certainement dans trois ou quatre heures, quand elle essaierait de noyer sa honte dans sa douche. Pour l'heure, elle avait les mains moites, une tachycardie, et le syndrome de la page blanche.

-Ce n'est pas ça c'est... Elle n'avait absolument aucune idée de comment terminer cette phrase. J'étais peut-être un peu stressée, avoua-t-elle finalement. Après cet accident je suis complètement détendue ! ajouta-t-elle avec un éclat de rire nerveux pour se moquer de sa propre timidité, qu'elle trouvait parfaitement ridicule. Mais je comprendrais que tu ne veuilles plus jamais me revoir, pour préserver ton intégrité physique...

Elle avait parfaitement conscience d'avoir fait de ce rendez-vous un désastre et elle ne serait pas étonnée de ne plus recevoir de nouvelles du jeune homme après ce soir, même si elle espérait qu'il accepterait de lui donner une nouvelle chance. Elle avait dit ça pour lui laisser l'opportunité de fuir en courant dès qu'ils sortiraient de l'hôpital, mais elle espérait qu'il ne le prendrait pas mal et n'irait pas s'imaginer qu'elle voulait se débarrasser de lui. Plus elle y pensait plus sa dernière remarque lui semblait lamentable. Elle en était à se la répéter pour la dix-septième fois quand une jeune médicomage fit son entrée dans la salle d'attente et appela le nom de famille de Grady en fouillant la pièce du regard, comme si elle espérait le reconnaitre.

Priya ne put s'empêcher de remarquer que la médicomage avait l'air très jeune mais se garda bien de douter de ses capacités pour autant. Elle-même paraissait à peine majeure, ce qui étonnait toujours les visiteurs chez Vargas qui ne se faisaient pas prier pour lui faire remarquer -et la mettre extrêmement mal à l'aise. La valeur n'attendait point le nombre des années (ou quelque chose du genre) et Priya était persuadée que cette jeune femme saurait les recevoir avec tout le professionnalisme attendu d'un jeune médicomage.

Grady avait le cœur battant après avoir prononcé sa phrase, comme si Priya allait soudainement déclarer « Haha, maintenant que tu le dis, effectivement je ne peux pas te voir en peinture. Bye bye ! » Parce qu’il est vrai que ce n’était pas évident derrière sa carrure impressionnante et son attitude de bad-boy mais il était en réalité quelqu’un de sensible. Puis il aimait bien Priya, elle était gentille, vachement intelligente et tellement jolie, avec ses longs cheveux noirs et ses grands yeux bruns. Il aimait comment elle se déplaçait, il trouvait ça adorable qu’elle soit plus petite que lui. Elle avait de jolies mains, toutes fines et elle sentait bon. Il l’aimait bien. Il voulait bien qu’elle aime bien en retour, malgré toute la violence physique qu’elle exerçait à son égard. Quand elle glissa qu’elle comprendrait qu’il ne veuille plus la revoir, il eut l’impression de lire chez elle les mêmes inquiétudes que chez lui, alors il lui adressa un sourire et haussa les épaules.

- Ne t’en fais pas, on dit de moi que j’aime vivre dangereusement.

C’est faux, personne n’avait jamais dit ça. Peut-être James, une fois, quand il l’avait vu essayer de mettre un maximum de curly dans sa bouche. Il avait atteint le nombre impressionnant de cinquante-trois avant d’en avaler un de travers et de manquer de s’étouffer. Cela aurait été une mort dommage mais vaguement originale. Alors qu’il s’apprêtait à reprendre la parole, il entendit son nom de famille être prononcé par une voix familière et les traits de son visage se figèrent.

Oh non.

De tous les gens qui travaillaient à Sainte-Mangouste, pourquoi est-ce que cela tombait sur lui ? Il n’avait rien contre Marlene, bien évidemment. Mais s’il pouvait éviter ses petits commentaires moqueurs et ses haussements de sourcils évocateurs quand elle allait le voir avec Priya... La mort dans l’âme, il se leva et lui fit un vague signe de la main. Leurs regards se croisèrent et il vit bien à sa tête qu’elle avait l’air amusé. Et bah super, merci de la solidarité ! Elle ne savait pas pourquoi il était là. Il aurait pu réchapper d’un grave accident ! Il aurait pu être un héros, qui avait sauvé Priya d’une attaque de loup-garou ! Et elle se moquerait de lui ! Il s’approcha d’elle, accompagné de Priya. Elle serait son bloc-notes contre sa poitrine, luttant visiblement pour garder un visage professionnel.

- Si vous voulez bien me suivre.

Elle les fit remonter un couloir parcouru de petites portes coulissantes, qui menaient à des petites salles d’examen. En tournant la tête vers la droite, Grady aperçut une personne qui avait une théière à la place de la tête. Ah. Ça devait être douloureux. Marlene ouvrit le box 12 et s’effaça pour les laisser passer.

- Il y a une chaise si vous voulez vous assoir, lança-t-elle à Priya. Elle l’observait d’un regard curieux. S’appuyant contre le mur alors que Grady se hissait sur la table d’examen, elle finit par reprendre la parole : l’infirmier d’accueil me disait donc que tu avais un traumatisme au nez, par objet contondant... Pour des raisons purement médicales, j’ai besoin de savoir en détails ce qui s’est passé.

Elle allait se marrer. Grady le voyait bien, les commissures de ses lèvres étaient remontées. Il se tourna vers Priya, pour expliquer ce qui se passait.

- Priya, je te présente Marlene, la copine de James, mon meilleur ami. C’est pour ça qu’elle se fout de moi.

Marlene eut l’air outré.

- Quoi ! Pas du tout, j’ai besoin de ces informations médicales pour remplir mon dossier. Regarde, fit-elle en retournant son calepin dans sa direction. C’est marqué là. J’ai besoin de comprendre comment on termine un rencard à l’hôpital, c’est tout.
- Je n’ai pas dit à l’accueil que c’était un rencard, répliqua Grady. Tu as parlé à James ?

Les joues de Marlene rougirent.

- Non.
- Priya, reprit-il avec éloquence en se tournant vers elle, tu vois comment le secret médical est brisé dans cet établissement ? Tu en es témoin ? Prête à témoigner devant le tribunal ?

Les joues de Priya prirent une teinte un peu pus soutenue quand Grady lui répondit qu'il aimait vivre dangereusement. Aimait-il le danger au point d'accepter un second rendez-vous avec une fille qui lui avait cassé le nez ? Elle l'espérait sincèrement. Leur soirée avait été interrompue beaucoup trop rapidement mais la jeune femme était persuadée que sans ce violent incident de hoquet ils aurait pu passer un bon moment.

Elle appréciait beaucoup la compagnie de Grady. Et c'était un sacré compliment de sa part, parce qu'il n'y avait pas beaucoup de gens qu'elle appréciait suffisamment pour quitter le confort de sa solitude. Les rapports sociaux étaient fatigants pour elle, et elle rentrait généralement de soirée avec l'envie de se rouler en boule sous sa couette et de ne plus voir personne pendant quarante-huit heures. Pourtant ce soir elle pensait déjà à un prochain rendez-vous, en espérant qu'il aurait lieu. Elle aurait été prête à sortir de nouveau dès demain si c'était pour revoir Grady et oublier ce premier rencard désastreux.

Elle n'eut évidement pas le temps de lui partager ce ressenti -de toute façon elle n'aurait jamais trouvé les mots- puisqu'une jeune médicomage appela le nom de famille de Grady. Priya fronça les sourcils (qu'elle avait la chance d'avoir entiers, elle) quand elle vit le visage du jeune homme se décomposer. Il n'était visiblement pas ravi de l'identité du professionnel de santé qui allait les recevoir. Le regard de Priya passa de Grady à la jeune femme qui les attendait à l'entrée de la salle d'attente et elle se demanda s'ils s'étaient connus à Poudlard. Ce parfaitement possible, ils devaient avoir à peu près le même âge. Elle pouvait comprendre l'embarras du jeune homme, elle-même aurait été très gênée de croiser un ancien camarade dans ces circonstances. Elle était généralement gênée quand elle croisait un ancien camarade, de toute façon. Les gens ne se rappelaient jamais d'elle, c'était embarrassant.

Ils suivirent la médicomage jusque dans une petite salle d'examen. Priya s'installa sur le bord de la chaise en observant les premiers échanges entre la jeune femme et Grady, un peu perplexe. Elle se demandait si elle se faisait des idées ou si cette dernière luttait vraiment pour retenir un sourire. Elle obtint une réponse assez vite quand le jeune homme lui expliqua que la jeune médicomage n'était autre que la petite-amie de son meilleur-ami, James.

"Enchantée," glissa-t-elle d'une petite voix alors que le dénommée Marlene démentait son soi-disant manque de professionnalisme.

Priya rougit en même temps que la jeune femme quand celle-ci qualifia cette soirée de rencard, information qui ne figurait certainement pas dans la fiche d'information qu'ils avaient rempli à l'accueil. Elle sourit à la remarque de Grady en songeant que si elle devait un jour témoigner devant un tribunal ce serait la plaidoiries la plus longue, la plus bégayante et la plus embarrassante de l'histoire des plaidoiries.

"Je ne sais pas si le tribunal m'acceptera comme témoin, répondit-elle. Je suis déjà l'accusé, ajouta-t-elle avec une grimace. C'est ma faute, reprit-elle à l'attention de Marlène. Je lui ai envoyé un palet de hockey dans le nez."

Mais faute avouée à moitié pardonnée ?

Grady vit avec plaisir que Priya entrait dans le jeu, ce qui voulait dire qu’elle n’était pas complètement embarrassée par la situation (pas comme lui. Il savait très bien que James allait se moquer de lui lorsqu’il allait rentrer à l’appartement. Il connaissait son meilleur ami comme le dos de sa main ; et il connaissait très bien le dos de sa main, pour avoir passé des heures à l’observer en Histoire de la Magie). Elle affirma qu’elle serait également l’accusée au procès qu’il allait intenter à Marlene pour rupture du secret médical et il enchaîna :

- Mais ça serait l’occasion pour toi de passer un accord ! En échange de l’immunité, tu dévoiles un délit bien plus grave ! Il pointa Marlene du doigt et cette dernière secoua la tête, d’un air amusé. Une apprentie médicomage corrompue ce n’est rien face à un petit accident de rien du tout contre lequel je ne vais même pas porter plainte.

Quel grandeur d’âme il avait, quand même. Marlene leva les yeux au ciel. Un jour, elle allait rester coincée comme ça, il en était persuadé.

- Je ne suis pas corrompue. James aurait pu être ton contact d’urgence !
- Tutututut, ne t’enfonces pas plus. C’est ma mère mon contact d’urgence.

Et il préférait ne pas la présenter à Priya dès le premier rendez-vous, ça c’était gênant. Sentant la pente glissante, cette Serpentard de Marlene se tourna vers Priya.

- Un palet dans le nez donc... ? Il devait l’avoir mérité. Pour des questions parfaitement médicales, est-ce que tu pourrais m’expliquer comment... ?
- Ne te sens pas obligée de répondre, Priya, intervint Grady. Ne parle qu’en présence de ton avocat.

Priya se contentait de sourire, mi-amusée mi-gênée, en suivant l'échange entre Grady et la dénommée Marlène, qu'il accusait d'être un médecin corrompu. Elle n'était pas certaine que les faits soient suffisamment graves pour être qualifiés de corruption, mais elle laissait volontiers cette analyse aux juges. Elle avait déjà du mal à rester éveillée pendant les formations sur "La Protection des Données Personnelles" dispensées par le service juridique de Vargas tous les ans, le droit n'était vraiment pas sa tasse de thé.

Son sourire s'agrandit et elle échangea un regard amusé avec la jeune médicomage quand Grady indiqua que son contact d'urgence n'était pas James mais sa mère. Elle aurait été bien mal placée pour se moquer, elle avait le même contact d'urgence (enfin, sa mère à elle, pas celle de Grady, cela aurait été très étrange).

Ce rôle de spectatrice lui convenait très bien et elle commençait à se sentir un peu moins mal à l'aise quand Marlène s'adressa à elle pour lui demander de lui raconter les évènements. Ah. Priya n'était pas douée pour raconter des histoires. Elle ne faisait définitivement pas partie de ces gens capables de charmer tout un auditoire en lisant ce qu'ils avaient mangé au petit-déjeuner. On pourrait lui confier le pitch du meilleur roman policier de l'année qu'elle réussirait à se mélanger les pinceaux et à se perdre en détails insignifiants.

Elle hésita un instant à saisir la perche de Grady et a exigé la présence d'un avocat qui parlerait pour elle -elle était certaine que les avocats faisaient ça très bien- mais se résigna à se comporter comme la jeune femme adulte et mature qu'elle était.

"Hum, oui, bien sûr. Alors euh... On était à la salle d'arcades. Très adulte et mature. C'est dans le Londres moldu, c'est un endroit avec des vieux jeux-vidéos, des flippers, des babyfoot, ce genre de trucs... Elle espérait que Marlène avait un minimum de culture moldue sinon elle n'allait pas comprendre grand chose de ses explications. On a voulu faire une partie de Air Hockey, c'est euh...Le souvenir de sa dernière explication du jeu lui revint en mémoire et la fit rougir. Un jeu sur une table et... Il y a des buts de chaque côté, et un palet qui euh... Qu'il faut mettre dans le but adverse. Elle avait plus ou moins résumé le principe du air hockey sans parler de faire entrer des machins dans des fentes et elle n'en était pas peu fière. Elle avait conscience d'être loin du discours éloquent d'un avocat et plus proche d'une série de bafouillages sans queue ni tête, mais elle était à son maximum. Je crois que je me suis laissée un peu emportée et je...J'ai renvoyé le palet mais il a décollé et de la table et..."

Elle désigna Grady, qui tenait toujours la poche de glace sur son nez, avec une grimace embarrassée.

"Je suis désolée, répéta-t-elle pour ce qui devait être la dix-septième fois depuis leur arrivée à l'hôpital. Et ce n'était même pas la fin de cette histoire. On a transplané directement ici mais je... Sous le coup du stress j'ai...Enfin, il a perdu un peu de sourcil..."

Elle était certaine qu'elle allait être la risée de tout Sainte-Mangouste dès la prochaine pause des internes.

Grady baissa les yeux sur son jean lorsqu’il sentit une goutte d’eau tomber : la poche de glace commençait à fondre à force d’être appliquée sur son visage. Il avait le nez engourdi ce qui lui permettait de moins sentir la douleur mais il avait tout de même assez hâte que Marlene lui arrange. Le seul problème était que son amie semblait très absorbée par le récit de Priya, hochant la tête régulièrement, se retenant visiblement de ne pas ricaner.

- Je vois très bien, commenta-t-elle en bonne née-moldus lorsque la salle d’arcade fut mentionnée.

Ce fut en revanche la mention du palet qui fit réagir Grady, qui hocha la tête, mettant un peu plus d’eau sur son jean :

- Un très gros palet. Un palet massif même.

Un palet qui faisait très mal en tout cas (et qui lui avait semblé énorme lorsqu’il était arrivé tout près de son visage.) C’était un traumatisme contondant - contendant ? coutoudant ? Il ne savait plus - comme ils disaient dans la nouvelle émission sur Vargas TV, Godric’s Anatomy. Il était devenu accro en quelques épisodes : cela se passait dans un hôpital fictif de Godric’s Hollows (mais évidemment fortement inspiré de Sainte-Mangouste.) Cela parlait de la vie amoureuse des très beaux médicomages, entre deux cas dramatiques. Il n’était pas remis de l’épisode de la semaine dernière avec une petite fille qui était réanimée après une tentative de noyade par strangulot... Laissant de côté sa série (et puis, il n’était pas encore prêt à avouer à Priya qu’il regardait ce genre de choses, il avait un honneur à maintenir, surtout maintenant qu’il avait versé des larmes de douleur devant elle), il secoua la tête lorsqu’elle s’excusa encore.

- C’était un accident. Ou du moins c’est la version que tu devras maintenir devant la Cour, d’accord ?

La mention de son bout de sourcil manquant lui fit néanmoins faire la grimace. Il avait peur que ce soit plus difficile à rattraper que le nez (et il n’était pas certain de pouvoir bien assumer le look un peu pirate au sourcil tranché). À cette mention, Marlene décroisa les bras et déposa son calepin sur la table d’examen, s’approchant de lui.

- On va voir ça. Tu me laisses regarder ?

Il écarta la poche de glace pour qu’elle puisse s’approcher.

- J’ai les mains un peu froides, prévint-elle avant d’avancer ses doigts pour appuyer légèrement sur les côtés de son nez et sur l’arrête, ce qui lui tira une réaction tout à fait virile.
- Aïïeeeeuh.
- Je t’ai à peine touché, murmura-t-elle sans s’écarter, les sourcils légèrement froncés. C’est un peu déplacé, finit-elle par annoncer. Compte-rendu, commença-t-elle. La plume bleue qui était coincée dans les arceaux de son calepin s’en extirpa et sembla s’imbiber d’encre en sa pointe, avant de se positionner au dessus d’un dossier orange. Fracture OPN, légère déviation sur le côté droit, épistaxis bilatérale stoppée par compression. Pas de trace d’hématome septal mais... Elle appuya légèrement sur ses pommettes de ses pouces et il lui lança un regard noir. Hématome en lunettes en développement.
- Ça veut dire quoi ?
- Que t’as le nez cassé, aussi basiquement que... Non, non, rature, rature. Ne note pas ça. La plume barra avec énergie les derniers mots. Ça s’arrange d’un coup de baguette. Tu me regardes ? Ne bouge pas. Elle leva sa baguette et Grady loucha légèrement sur sa pointe. Episkey.

Un éclair de lumière bleue, un brusque craquement, une vive chaleur puis une sensation glacée envahirent Grady qui poussa un son qui pouvait s’apparenter à un couinement. Il porta les mains à son son visage pour sentir son nez redressé sous ses doigts. Croisant le regard de Priya et se rappelant le son qu’il venait d’émettre, il se racla la gorge.

- Même pas mal.

Marlene eut un sourire en coin en apercevant où il avait regardé mais eut l’amabilité cette fois-ci de ne pas faire de commentaire.

- Pour ton sourcil, rien de grave, je vais te prescrire une potion pour faire repousser les poils, expliqua-t-elle en sortant un bloc d’ordonnances de sa poche sur lequel elle griffonna quelque chose. Tu l’appliques matin et soir pendant trois jours sur la zone où étaient les poils, avec un petit coton-tige. Pour être certain de bien reproduire la ligne de ton sourcil, je te conseille de délimiter la zone avant avec un crayon. Je t’ai aussi prescrit une potion anti-douleur, une dose toutes les cinq à six heures si tu as mal, pas plus de trois fois par jour. Des questions ?

Grady secoua la tête, songeant qu’il allait clairement emprunter les crayons de maquillage de Marlene qui traînaient dans la salle de bain (enfin, qui trainaient... qui étaient rangés dans un petit pot blanc comme la maniaque qu’elle était).

- Super. Il faut que je fasse contresigner mon ordonnance par un interne, donc tu vas pouvoir retourner dans la salle d’attente, un infirmier te la donnera quand elle sera prête. Priya, lança-t-elle en se tournant vers elle, ça m’a fait plaisir de te rencontrer. À la prochaine, peut-être. Mais de préférence pas ici, quand même.

Elle se dirigea vers la porte coulissante du box, après un sourire. Grady crut qu’elle allait s’en aller, mais elle se retourna juste avant de la refermer, un air un peu narquois sur le visage.

- Au fait. Dans le transplanage, il est possible que d’autres parties de ta personne aient pu être impactées. On recommande donc toujours de réaliser une inspection très très minutieuse de tout le corps... Mais je suis certaine que vous ferez ça très bien tous les deux.

Et, sur ces derniers mots, elle s'effaça.

Priya fronça légèrement les sourcils en écoutant le diagnostique de Marlène, qui incluait des mots assez compliqués. Elle les nota dans un coin de sa tête en se promettant de faire une recherche plus tard. Cela ne lui serait d'aucune utilité dans sa vie quotidienne -elle doutait de pouvoir replacer "épistaxis bilatérale" lors d'un dîner- mais elle avait toujours été curieuse et elle aimait découvrir de nouvelles choses.

Il lui arrivait assez régulièrement de se prendre de passion pour un sujet parfaitement incongru et de passer des jours et des semaines à intégrer un maximum d'informations sur le sujet en question, jusqu'à l'indigestion, puis de s'en désintéresser complètement. Il y avait eu la mission Apollo 11, les statistiques et résultat de toutes les Coupes du monde de Quidditch depuis 1287, la géographie du Népal, et sa prochaine passion serait visiblement les fractures du nez. Cela lui faisait une collection assez importante d'anecdotes et de faits divers plus ou moins étonnants, qu'elle avait malheureusement rarement l'occasion de raconter.

Elle retint son souffle en voyant Marlène pointer sa baguette en direction du nez de Grady, et grimaça à l'entente d'un craquement malheureusement familier. Sa maladresse légendaire lui avait valu de se casser plusieurs os au cours de sa vie, et elle avait déjà expérimenté la méthode magique pour les réparer -bien plus rapide que le plâtre qu'elle avait gardé plus d'un mois à l'école primaire.

"Même pas mal."

Le mensonge de Grady la fit sourire, mais elle ne se permit pas la moindre moquerie, parfaitement consciente qu'il endurait tout ça par sa faute. Elle reporta plutôt son attention sur Marlène pour noter mentalement toutes les consignes qu'elle donnait à Grady. Priya avait une excellente mémoire et retenir ce genre d'informations la rassurait, alors même qu'elle n'était pas directement concernée.

"Moi aussi, répondit-elle avec un sourire quand Marlène la salua. Je n'espère pas !" ajouta-t-elle quand la médicomage ajouta qu'elle ne préfèrerait pas la recroiser à Sainte-Mangouste.

La jeune ingénieure quitta sa chaise en plastique, un peu ragaillardie maintenant que tout était arrangé. Ce qui aurait pu virer au drame s'était réglé en un coup de baguette et elle sentait son estomac se dénouer un peu. Elle suivait Marlène en direction de la porte quand celle-ci se retourna soudainement.

"On recommande donc toujours de réaliser une inspection très très minutieuse de tout le corps... Mais je suis certaine que vous ferez ça très bien tous les deux.
-Oui bien sûr."

Se propre voix lui parvint avec un temps de retard. Elle avait répondu par réflexe, avant que son cerveau n'ait eu le temps d'analyser le dernier conseil de la médicomage et elle sentit immédiatement le rouge lui monter aux joues.

"Euh non ! Surtout pas, se corrigea-t-elle précipitamment. Enfin, non, pas surtout pas, mais je... Je veux dire, hum..."

Marlène était déjà partie et Priya préféra se taire plutôt que de continuer à se ridiculiser. Les joues brûlantes, elle rejoignit la salle d'attente et repéra deux chaises libres où elle prit place en maudissant son manque de spontanéité. Elle aurait pu répondre quelque chose de drôle, d'un peu mignon, ou de légèrement provoquant. Mais non, il avait fallu qu'elle bafouille et qu'elle montre une nouvelle fois à quel point elle était incapable de réagir à une conversation comme une adulte normalement constituée ! Dans ces moments-là elle avait parfois du mal à se supporter.

Embarrassée, elle n'osa pas regarder Grady dans les yeux et resta silencieuse alors qu'ils patientaient quelques minutes qu'un infirmier viennent leur apporter l'ordonnance de Grady. Le jeune homme qui leur amena le document les invita aussitôt à quitter les lieux, et ils ne se firent pas prier.

Retrouver l'air frais fit du bien à Priya, qui se tourna vers Grady avec un sourire gêné.

"Je suis désolée, répéta-t-elle pour la soixante-quatorzième fois de la soirée. Tu n'as pas trop mal ? Encore une fois, elle savait d'expérience que la douleur pouvait subsister plusieurs heures après que la fracture ait été réparée. J'imagine que c'était le pire rendez-vous que tu aies jamais eu ?"

Et probablement le dernier qu'ils partageait. Elle ne lui en voudrait même pas de ne pas la recontacter après ce soir. Elle lui avait quand même cassé le nez en moins de vingt minutes, ill y avait de quoi fuir en courant.

Grady et Marlene ne s’étaient pas vraiment connus pendant les premières années de leur scolarité. Ils étaient dans la même année mais dans deux maisons différentes. L’étrange bisbille que James et elle avaient entretenu pendant longtemps (il ne savait même plus d’où c’était parti) n’avait pas aidé. Tout avait changé au cours de leur septième année lorsque brusquement, Marlene était entrée dans son quotidien. Au début, c’était un peu gênant. Il faisait des blagues, elle ne les comprenait pas, un silence pesant s’établissait entre eux. Au fil du temps, les choses s’étaient améliorées, ils avaient appris à se connaître et même, à s’apprécier. Il avait appris à identifier les vannes qui la faisaient rire et, il fallait le dire, elle s’était décoincée un peu. Au final, on pouvait dire que Grady et Marlene étaient potes. Exclusivement potes, évidemment, et il tenait à faire cette précision en raison de l’Incident-Dont-On-Ne-Parlait-Pas. Désormais, il la connaissait assez pour savoir quand elle préparait un mauvais coup. Alors la mine qu’elle faisait, au moment de refermer la porte du box, ne lui disait rien qui vaille.

Et il avait raison : avant de s’effacer, elle glissa une petite remarque tout à fait tendancieuse. Outré, Grady lui fit immédiatement les gros yeux mais Marlene avait déjà disparu, telle la petite vipère Serpentard qu’elle était. Le problème n’était pas d’être choqué car il était un grand adepte de remarques graveleuses, James et lui s’en donnaient à cœur joie sur le sujet. Marlene ne leur arrivait pas à la cheville (même s’ils commençaient visiblement à avoir une mauvaise influence sur elle.) Mais il avait bien compris que Priya n’était pas trop dans ce délire-là et en plus c’était leur premier rencard, donc c’était gênant. Il tourna bien vite la tête vers elle alors qu’elle répondait sans la moindre hésitation « oui bien sûr. »  

AH !  

Et bien. C’était. Bien. Une excellente nouvelle. Enfin lui ne disait pas non. Au contraire. Il était content de l’apprendre. Merci Marlene. Mais bien vite, le sourire qui s’était affiché sur son visage disparut lorsque Priya s’empressa de se corriger avec un « surtout pas. »  

Ah.  

L’air de panique qu’elle affichait brusquement contribuait à la rendre la chose encore un peu plus blessante (même s’il s’en remettrait très bien.) Elle tenta de se rattraper, de manière relativement peu efficace, mais cela ne fit qu’installer un silence un peu gênant dans le box. Fait assez rare pour être noté, Grady ne prononça pas un mot, le temps de digérer sa petite humiliation. Il se doutait bien qu’elle n’avait pas forcément voulu dire « surtout pas » au sens de « rêve Grady McNeil, je ne t’approcherai même pas si je portais une combinaison d’apicultrice doublée d’un scaphandre de cosmonaute parce que tu es un être repoussant, aussi attractif que le pus à l’intérieur d’une bavboule pourrie. » Sinon ils ne seraient en train d’avoir un rendez-vous. Elle avait sûrement été prise au dépourvu par la remarque de Marlene (merci hein) mais bon. Cela piquait légèrement.

Ils sortirent tous les deux pour rejoindre la salle d’attente en attendant le retour de l’ordonnance. L’endroit était encore relativement vite, en dehors d’un jeune qui vomissait dans un seau quelque chose de multicolore (Grady aurait parié sur des shots enchantés comme on en trouvait au Déluminator) et une vieille dame dont la peau des bras avait été remplacée par des écailles. Le silence s’étira en longueur et il eut tout le temps d’observer les autres patients (le jeune s’était à moitié allongé sur deux chaises, il était très pâle.) Dans le box d’accueil, les infirmiers allaient et venaient. Un peu plus loin dans les couloirs, on voyait passer des médicomages au pas pressé. Au bout de quelques minutes, un infirmier vint leur remettre son ordonnance et les invita à quitter les lieux, avant d’aller s’accroupir auprès de l’étudiant ivre.

Ils se retrouvèrent bien vite dehors et Grady fit une légère grimace – douloureuse – en sentant l’air frais passer au travers de son conduit nasal fraichement réparé. Ils firent quelques pas avant que Priya ne se tourne vers lui, répétant encore qu’elle était désolée. Il lui fit un sourire en secouant la tête. Il le savait bien.

- Non, ça va, mentit-il. Tu sais, j’étais sportif à Poudlard, j’étais capitaine de l’équipe de Bavboules, donc je suis un peu habitué (un malencontreux accident à cause de Horace Gullivern qui ne savait pas viser.)

En réalité, il douillait et il avait l’intention de prendre une bonne dose de potion antidouleurs en rentrant à la maison. Quand elle ajouta que c’était sûrement le pire rendez-vous qu’il n’ait jamais eu, il eut un rire avant de se reprendre.  

- Oui. C’est vrai.

Il se retint très fort d’ajouter que d’habitude, les filles attendaient le troisième rendez-vous pour le violenter parce que après, Priya allait croire qu’il faisait des trucs bizarres, qu’il traînait dans les clubs épicés de Leopoldgrad.  

- Mais, reprit-il avant de s’interrompre. Il avait le cœur qui battait à tout rompre alors qu’il s’approchait d’un pas de Priya, Allez Grady. Il lui fallait mobiliser tout son courage de Poufsouffle (et les blaireaux étaient des animaux très courageux !). J’ai quand même passé un bon moment, souffla-t-il en levant sa main. Doucement, avec son pouce, il effleura l’arrondi de la joue de Priya. Si on excepte la partie où tu me brises les os du visage, c’était bien.

Il avait envie de l’embrasser.  

Priya sentit un poids tomber sur son estomac quand Grady confirma qu'il s'agissait effectivement du pire rendez-vous qu'il ait jamais connu. Elle ne lui en voulait même pas de l'admettre, au moins il se montrait honnête. Elle aurait pu enchainer sur une plaisanterie en affirmant qu'elle aimait faire une forte impression, mais le coeur n'y était pas.

Elle n'avait aucune envie d'être le pire rencard de sa vie. Elle n'aspirait même pas à être le meilleur -elle était réaliste- mais elle aurait voulu vivre un rendez-vous sympa, normal, qui se serait conclu par la perspective de prochaines retrouvailles. Pas une énième de ces catastrophes dont elle avait le secret. Elle avait parfois l'impression qu'elle était condamnée à n'être toujours que ça : une anecdote un peu marrante, cette fille avec qui on sortait une fois mais qu'on ne rappelait pas pour s'éviter un nouveau désastre. Elle devait être le sujet de plusieurs histoires ridicules commençant par "Je vous ai parlé de la fois où une fille..?". Et elle deviendrait certainement pour Grady "la fille qui lui avait cassé le nez".

Elle releva la tête vers lui, le coeur battant d'un nouvel espoir, quand il se reprit pour affirmer qu'il avait quand même passer un bon moment. Il ne cherchait probablement qu'à être gentil avec elle mais elle lui sourit malgré tout, touchée par cette attention. Un frisson glissa le long de son dos alors que le pouce de Grady effleurait sa joue et son coeur se mit à battre encore plus fort. Elle se retint de souligner que -si on exceptait la partie où elle lui cassait le nez- leur rendez-vous avait duré moins de dix minutes, et se contenta de hocher la tête. Oui, c'était bien. Les dix meilleures minutes de sa semaine.

Le temps s'était suspendu entre eux et elle eut soudainement envie de l'embrasser. Ce n'était pas quelque chose qu'elle aurait tenté en temps normal. Elle ne faisait absolument pas partie de ces personnes surhumaines capables de faire le premier pas. Elle était habituellement paralysée par la peur de se ridiculiser, mais elle s'en sentait étrangement libérée ce soir. Peut-être parce qu'elle n'avait plus grand chose à perdre. Elle lui avait déjà cassé le nez, que pouvait-il arriver de pire ?

Elle leva de nouveau la tête vers lui mais se retrouva confronter à un problème parfaitement mathématique. Il était beaucoup trop loin d'elle, parce que beaucoup plus grand. Même en se hissant sur la pointe des pieds, elle n'arriverait jamais à combler les trente centimètres de distance qui les séparaient. Et elle voulait bien faire le premier pas, mais elle préférait s'épargner l'humiliation de tendre les lèvres vers lui et de ne recevoir aucun baiser en retour. Le constat était sans appel : s'il ne se penchait pas vers elle, elle ne pouvait pas l'embrasser.

Son soudain élan de courage retomba comme un soufflé alors qu'elle prenait conscience qu'ils allaient peut-être se quitter comme ça, sans s'être embrassés, juste parce qu'elle était trop petite. Cette perspective lui laissait un goût amer dans la bouche et lui serrait le coeur.

"J'ai passé un bon moment aussi, répondit-elle en espérant faire durer ces aurevoirs le plus longtemps possible. Je...J'espère que je pourrais me rattraper, une prochaine fois ?"

Elle n'avait pas réussi à l'embrasser, mais suggérer un deuxième rendez-vous était déjà une grosse prise de risques à ses yeux, et elle sentait son coeur cogner contre ses côtes alors qu'elle cherchait à accrocher le regard de Grady. Et la marche à suivre lui parut soudain évidente. Timidement, elle attrapa la main que le jeune homme avait glissé sur sa joue un peu plus tôt et entremêla ses doigts aux siens. Elle tira alors tout doucement sur son bras pour l'inviter à se pencher vers elle, et vint poser ses lèvres sur les siennes.

Elle avait toujours aimé résoudre les problèmes mathématiques.

Grady s’était absorbé quelques secondes dans la contemplation du visage de Priya, ses yeux noirs, ses longs cils, ses joues roses, ses lèvres. Il avait envie de l’embrasser mais il n’osait pas. Il avait peur de la brusquer. De paraître maladroit. Il n’était jamais très doué pour faire le premier pas. La dernière fois qu’il avait essayé, c’était avec Nora et il l’avait fait tomber dans la neige. Ils n’étaient certes pas très loin de l’entrée de Sainte-Mangouste mais s’ils pouvaient éviter d’y retourner... Il avait déployé tout son courage pour caresser doucement sa pommette, sentant sa peau douce sous ses doigts. Priya n’avait pas l’air de fuir en courant et en hurlant donc il considérait que c’était déjà un point positif. Un sourire s’épanouit sur ses lèvres alors qu’elle répondait qu’elle avait passé également une bonne soirée. Quand elle suggéra de se rattraper une prochaine fois, il hocha légèrement la tête.

- J’ai plein d’autres os à casser de toute manière !

S’il avait connu le nombre exact, il aurait peut-être pu faire une meilleure vanne. Du style « Tu as encore 205 rencards devant toi. » Une blague de qualité made in Grady McNeil. Il ferait une recherche sur son PearOne, histoire de pouvoir la faire la prochaine fois. Mais il n’eut pas vraiment le temps de réfléchir à ses prochains traits d’esprit (il fallait bien miser sur ses atouts) qu’il sentit la main de Priya se glisser contre la sienne. Elle entremêla leurs doigts et il sentit son coeur faire un looping. Alors là. Là. PAS DE PANIQUE. Elle tira sur sa main légèrement pour qu’il se penche vers elle... avant qu’elle ne l’embrasse. Leurs lèvres s’effleurèrent quelques secondes avant qu’une des mains de Grady ne remonte sur le visage de Priya pour la rapprocher un peu plus de lui. Il l’embrassa avec tendresse, savourant chaque seconde de ce premier baiser.

Jusqu’au moment où une vive douleur lui irradia tout le visage.

- Aïe, s’exclama-t-il en reculant immédiatement de quelques centimètres, portant ses doigts à son nez.

Il avait tenté un décalage de la tête qui ne lui avait pas réussi : leurs nez s’étaient légèrement cognés et le sien avait fait un malaise vagal dans l’attaque. Il resta quelques secondes à le tenir, comme s’il allait tomber (c’était peut-être ce qui était arrivé à Voldemort, on ne savait pas. Un date qui tournait mal à la salle d’arcade, un nez cassé, un baiser trop fougueux, un nez qui tombait, une haine des nés-moldus à cause de la salle d’arcade... C’était une histoire de méchant tout à fait banale. Peut-être qu’il allait finir comme ça et lancer le mouvement des Grademorts.) Une fois qu’il sentit la douleur se dissiper un peu, il reprit, avec un sourire d’excuse à l’adresse de Priya.

- Priya. J’aime bien t’embrasser. Mais ça te va si on reporte ce concept-là ?

Il était tout à fait disposé à l’embrasser sans douleur dans quelques jours. Mais pour autant, désireux de ne pas la quitter si tôt, il ajouta.

- Mais on peut aller manger une glace, si tu veux ? Avec distanciation sociale tant que tu as un objet en métal dans la main. Je me méfie maintenant.

Est-ce qu’il allait un jour renoncer à lui rappeler qu’elle lui avait brisé les os ? Non. Jamais. Il était ivre de ce pouvoir, tel le grand mage noir qu’il devenait.

Priya soupira de soulagement et de plaisir en sentant Grady l'embrasser en retour. Les battements de son coeur s'affolèrent de plus belle alors que le jeune homme l'attirait un peu plus contre lui et elle ferma les yeux pour savourer ce moment de tendresse. Elle aurait voulut en profiter encore de longues secondes mais sentit Grady s'éloigner brusquement avec une exclamation de douleur. Ah. Oui. Ce genre de contact rapproché n'était certainement pas recommandé avec un nez cassé. Elle l'observa avec une grimace désolée alors qu'il se tenait le nez, luttant difficilement contre l'envie de s'excuser une énième fois.

Elle sourit quand il expliqua qu'il aimait bien l'embrasser, mais qu'ils allaient devoir garder l'idée pour plus tard. Elle n'avait pas beaucoup d'expérience en la matière, et seulement deux points de comparaison, mais elle avait beaucoup aimé l'embrasser aussi. Elle avait hâte de pouvoir recommencer, même si elle n'était pas mécontente de pouvoir redescendre en pression et retrouver un rythme cardiaque à peu près normal.

"Oui, bien sûr, évidement, répondit-elle, un peu gênée. Je suis désolée ! C'était plus fort qu'elle, ça venait tout seul. Je prendrai mon mal en patience", ajouta-t-elle avec un sourire.

Elle aurait compris que Grady veuille écourter leur rendez-vous pour rentrer chez lui et avaler un litre de potion anti-douleur mais, contre toute attente, il lui proposa d'aller manger une glace. Très heureuse de cette proposition qui leur permettrait normalement de finir la soirée sur une note moins sanglante, Priya hocha vivement la tête.

"Avec plaisir ! Je t'invite !"

Cela lui semblait être la moindre des politesses que d'offrir une glace aux personnes dont on avait cassé le nez. Enfin, il n'y avait peut-être pas de règle écrite sur le sujet, mais cela paraissait être la chose à faire. Elle rit doucement quand il profita de l'occasion pour lui rappeler à quel point cette idée pouvait se révéler dangereuse, avec elle.

"Je me tiendrai éloignée des couverts en métal, promis. J'ai le droit au petit gâteau en gaufrette quand même ?"

Elle avait le sentiment qu'elle n'était pas prête d'oublier cette histoire de nez cassé. Un instant plus tôt elle avait été mortifiée à l'idée que cette anecdote la suive éternellement, mais elle parvenait déjà à en rire. Ils n'auraient pas eu le premier date parfait, loin de là, et elle aurait certainement préféré que les choses se passent autrement, mais la soirée avait été spéciale à sa manière et cela leur ferait une histoire à raconter. Une histoire qui, elle l'espérait, serait vite complétée par d'autres chapitres impliquant moins de nez cassés.

RP Terminé