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Encore un soir [OS]

Melchior Haik
Melchior HaikDirecteur de la coopération magique
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Encore un soir [OS] Icon_minitimeMar 1 Déc 2020 - 6:24
28 juillet 2011

La peur. Ce sentiment devenu familier au fil des derniers mois, comme une vieille amie dont je n'arrive pas à me débarrasser. Cette boule d'angoisse qui m'étrangle la gorge, m'empêchant de respirer sereinement. Ce nœud dans mon estomac et ma poitrine qui ne me quitte plus me donnant l'impression qu'il a toujours été présent. Je ne me rappelle plus vraiment comment c'était avant, est-ce que je ressens encore quelque chose ? Toutes les autres émotions semblent étouffées, comme si tout été engourdi en moi, il n'y a plus rien d'important, tout est si dérisoire désormais. Les mains croisées sur mes genoux, je tente de retenir les larmes qui montent en moi alors que je pose le regard sur lui. Il décline de jour en jour et le temps qu'il nous reste est compté. Combien de mois nous reste-t-il ? J'ai l'impression que ce ne sera jamais assez, j'ai encore tellement de choses à lui raconter, tant de choses à vivre à ses côtés. Je n'accepte pas cette fatalité, je ne suis pas prêt à lui dire au revoir, pas prêt à subir cette perte.

Je déglutis difficilement, ravalant ma tristesse pour sourire bravement à l'homme que j'aime le plus au monde. Ce n'est que sa seconde hospitalisation en un mois après un retour à la maison de deux semaines. Je saisis sa main dans la mienne et tente d'oublier la culpabilité qui m'assaille. Toutes les mauvaises pensées ou paroles que j'ai pu avoir à son encontre, toutes mes mesquineries qui me prennent à la gorge. Tout cela semble parfaitement ridicule devant la situation actuelle, j'aurai dû passer outre, ne pas m'attarder sur des détails. Profiter de ce que nous avions quand nous le pouvions au lieu de chercher le conflit là où il n'y avait pas lieu d'être. J'aurai dû comprendre que le rapprochement de Rosie n'était pas uniquement une question d'inclinaison romantique. Elle passait trop de temps en sa compagnie pour que ce soit totalement honnête.

Il avait caché avec brio sa maladie, insistant pour que je n'apprenne rien. Il ne voulait pas m'inquiéter pour rien avait-il dit. Mais Rosie savait, elle avait été dans la confidence et s'était occupé de lui. Elle avait tenu le rôle que j'aurai dû avoir. Ma main serre compulsivement la main de mon père alors que je chasse la colère qui monte en moi. Je suis passé par tous les états depuis l'annonce. La colère, l'abattement, l'espoir de le voir se rétablir et maintenant... la fatalité. Je n'ai appris la cruelle vérité que lors d'une visite impromptue. La maison était vide, j'avais donc décidé d'attendre qu'il rentre. Mais je ne vis que Rosie qui consentit à m'expliquer la situation, presque à contre cœur. Il était hospitalisé depuis une semaine et personne ne m'avait prévenu.

Personne ne m'avait tenu au courant de son malaise peu avant Noël, soi-disant pour ne pas m'inquiéter alors que j'étais à l'étranger. Il était vrai que je voyageais beaucoup et que je ne prenais pas toujours le temps de rendre visite à mon père. Pas aussi souvent que j'aurai dû. J'avais espacé mes visites, incapable de supporter le rapprochement qui avait eu lieu avec Rosie. Mais pas pour les raisons que j'avais cru. En décembre la maladie avait été découverte, des traitements avaient été mis en place. L'espoir avait été permis, il avait de bonnes chances de s'en sortir selon les médicomages. Six mois plus tard, ils revenaient sur leurs pas. Ils n'étaient plus aussi certains d'eux. Les traitements ne fonctionnaient pas. Pire encore, ils semblaient aggraver son état. Les mots avaient été crus, sans détour.

Il n'y avait plus rien à faire, la seule chose qu'ils pouvaient encore faire pour lui semblait être de soulager la douleur. Ils lui avaient proposé un dernier traitement mais même eux n'étaient pas convaincus par ce qu'ils proposaient. Ils pouvaient lui faire gagner trois mois tout comme le traitement pouvait accélérer sa fin de trois mois. Un traitement avec les effets secondaires qu'on lui connait. Nausées, fatigue extrême, fièvre. Tibérius a donc décidé de ne pas le prendre. Il veut vivre ce qu'il lui reste de vie paisiblement. Sans souffrance. J'ai accepté son choix. Que me reste-t-il d'autre ? Je ne peux pas exiger de lui un calvaire supplémentaire par égoïsme, sans avoir la certitude que cela fonctionnera et le laissera à mes côtés trois mois de plus.

Les antidouleurs semblaient fonctionner, les premiers jours. Il avait pu remarcher un peu mais ces derniers jours ses déplacements sont laborieux. Sa fatigue est générale et il a été décidé avec le service d'hospitalisation à domicile qu'il serait mieux à Ste Mangouste. Il a besoin d'une surveillance constante qui n'est pas optimale à la maison. Au moins le temps qu'ils trouvent la cause ou qu'ils arrivent à annihiler la source de ses saignements à répétition. Je suis impuissant, incapable de réduire sa souffrance. Je ne peux qu'être là, observer et attendre. Spectateur impuissant. Ils lui donnent quelques mois. Combien précisément ? Ils sont incapables de répondre. La maladie évolue vite. Trop vite à mon goût. Il n'y aura certainement pas d'autre Noël et cette perspective me déchire le cœur.

Il m'a exposé ses dernières volontés, j'ai tenté de lui dire que nous aurions le temps de voir tout cela plus tard. Mais la vérité c'est que je n'en ai pas la moindre idée. Alors j'ai écouté sans protester ce qu'il désire. Le style de cérémonie, l'endroit où il veut être inhumé, les personnes qu'il veut que je prévienne. J'ai hoché la tête, tout noté mentalement incapable de parler, certain que si j'ouvrais la bouche je craquerai. J'ai inspiré profondément tout en serrant plus fort sa main dans la mienne alors que les larmes coulent sur ses joues. Je l'attire contre moi et le serre fort contre mon cœur. Lui qui a été si fort au long de sa vie, le voir dépérir ainsi est une torture. Il a parfaitement conscience de ce qui lui arrive, il se voit mourir, rongé de l'intérieur par la maladie.

"Je suis arrivé au point culminant de la déchéance. Incapable de me déplacer seul, de faire quoique ce soit seul."

Je ferme les paupières, ne pouvant plus retenir mes propres larmes devant sa détresse. Je m'agrippe à lui, caressant tendrement ses cheveux pour le rassurer.

"Ce n'est pas grave. Personne ne t'en veut pour ça tu sais."

J'embrasse sa tempe avant de le relâcher pour l'observer, essuyant ses larmes de mon pouce. Je voudrais que les derniers mois qu'il lui reste soient paisibles. Je voudrais qu'il soit heureux, tout en sachant pertinemment que j'ai été incapable de lui donner tout ce qu'il a espéré. Il aurait voulu connaître la joie d'être grand-père et c'est une chose que je ne me sens pas prêt à lui offrir. Le temps nous manquera. Je ne veux pas avoir de regrets mais je sais que j'en aurai. Il a façonné l'homme que je suis devenu, il a fait des erreurs et il n'était pas parfait mais il a toujours fait de son mieux pour que je devienne un homme accompli, pour que je ne manque de rien et pour que je sois heureux. Il peut partir avec l'assurance que j'ai eu tout ça et plus encore. Il me restera l'assurance d'avoir été aimé plus que tout. Et pour autant, je ne suis pas prêt à le voir partir. Pas maintenant. Pas aussi vite. Mais la vérité semble être que je ne serai jamais prêt pour ce genre de chose. Et le plus dur reste encore à venir. Des mois difficiles nous attendent et je tremble de peur, je suis effrayé à cette perspective.

J'ai l'impression que je ne serai jamais à la hauteur, incapable de rester fort face au deuil qui m'attend. Est-ce que je réussirai à surmonter cette tristesse ? Le simple fait d'imaginer ma vie sans lui me cause une détresse sans nom. Et pourtant, je dois me préparer à cette perspective, je dois me familiariser avec ce vide qui emplira bientôt mon quotidien. Et je ne suis pas le seul à avoir conscience que cette épreuve sera insurmontable. Pas quand je croise le regard rempli de pitié du personnel soignant. Pas quand je peux lire dans leurs yeux qu'ils sont sincèrement désolé pour moi. Mais je n'ai pas le choix. Je dois rester fort. Et apprendre à vivre avec cette angoisse, sans savoir ce que demain nous réserve. Avec simplement la certitude que le pire reste à venir dans un avenir très proche. Beaucoup trop proche.


Fin du Rp




Darkness is your candle.