28 mars 2011

Une scène des plus habituelles se jouait actuellement aux Folies Sorcières : Avalon était installée face à Toni, un verre de Whisky devant elle. Elle avait retrouvé son ami une vingtaine de minutes plus tôt, lorsqu'elle était sortie du ministère et qu'elle avait rejoint le cabaret bristolien pour un dernier verre en compagnie de son plus proche ami. L'air jovial d'Avalon, cependant, était un peu terni et elle répondait aux plaisanteries de son ami avec moins d'entrain que d'ordinaire.

Elle était, à vrai dire, envahie par un sentiment assez piquant et très désagréable, qui l'avait saisi à un moment où, par mégarde, son regard s'était posé sur Roy, attablé face à une jeune femme brune, vêtue d'une robe minuscule et perchée sur des talons particulièrement hauts qui lui donnaient l'air d'avoir des jambes interminables. Les sourcils d'Avalon s'étaient froncés ; cette vision lui inspirait une vive jalousie, qu'elle n'appréciait absolument pas ressentir... Au moins autant qu'elle n'appréciait pas cette image.

La situation était particulièrement compliquée. Depuis ce jour où ils s'étaient endormis ensemble, dans les bras l'un de l'autre, et où ils avaient pris, ensemble, la décision de ne pas explorer cette attirance indéniable qui existait entre eux, Avalon avait souvent envisagé d'envoyer valser toutes ces bonnes considérations pour céder à son instinct premier qui la poussait, toujours, à chercher son contact. C'était une assez curieuse sensation, qui lui creusait souvent le ventre lorsqu'elle croisait son regard ou qu'elle lui offrait un large sourire. Elle avait essayé, évidemment, de retrouver la relation qu'ils avaient eu pendant des années, cette complicité amicale teintée de moqueries bienveillantes, mais force était de constater que leurs regards étaient toujours chargés d'un sens plus profond qu'avant, que leurs yeux traînaient souvent l'un sur l'autre, et que, finalement, Avalon n'avait pas particulièrement envie de ce statut d'amie qu'elle avait pourtant proposé.

Mais cette réflexion avait été assez rapidement balayée par la vision du sourire en coin que Roy offrait à cette jeune femme brune, par sa main qui se posait tantôt sur son bras, tantôt sur sa main, et par ses lèvres qu'il approchait de son oreille pour lui murmurer elle ne savait quelles paroles. Elle avait dû mal à cacher ce que lui inspirait cette situation : une profonde jalousie, une indignation assez certaine qu'elle ne pouvait pas vraiment exprimer, et au fond d'elle, une tristesse un peu lancinante.

"Hum ?" Fit-elle à l'attention de Toni en relevant son regard de sa boisson. "Non, je ne bosse pas ce weekend mais je vais surement passer voir Vivianne." indiqua-t-elle. "Elle a gagné je ne sais pas quel concours de maths au collège, alors je lui ai promis de passer toute une journée avec elle." Cette pensée lui tira un sourire, mais bien plus petit par rapport à la fierté et l'impatience qu'elle ressentait véritablement. Un dernier regard vers Roy acheva de la renfrogner.  

Toni n’était pas fin psychologue. Il n’était pas le genre à déceler facilement les pensées des autres, il avait plutôt besoin que les choses soient dites clairement, en face à face, et si ce n’était pas le cas, il faisait des gaffes, parce qu’il n’avait pas anticipé que telle action allait blesser telle personne. Mais dans le cas d’Avalon, il n’avait pas besoin de grand discours ou d’un manuel d’explication. Elle était un tel livre ouvert, avec toutes ses émotions qui se lisaient toujours clairement sur son visage, que Toni pouvait actuellement affirmer avec certitude qu’elle n’écoutait qu’à moitié ce qu’il lui racontait, trop occupée à faire la tête.  Ce regard assombri, ce sourire forcé, l’absence de l’éclat habituel sur son visage, tous les signes montraient qu’Avalon avait perdu sa bonne humeur depuis quelques minutes, alors qu’elle était arrivée plutôt souriante. Il s’était donc passé quelque chose sur le temps de leur conversation à leur table. Un message inquiétant sur son Pear ? Un mauvais souvenir qui lui revenait en tête ? Rien de tout ça, devinait Toni, car ce n’était pas bien compliqué de savoir ce qui se passait dans la petite tête de son amie. Il suffisait de suivre la direction de son regard pour le voir régulièrement se porter vers une autre table, quelques mètres sur le côté.

« Tou fais quoi ce week-end ? Tou vas bosser ? » l’interrogea t-il directement plutôt que de lui raconter des banalités sur sa vie, car il voyait bien qu’elle n’écoutait pas.

Ce ton interrogatif parut réveiller Avalon, qui sortit de sa contemplation silencieuse et pensive de son verre pour lui répondre. Toni remarqua le caractère inhabituel de sa réponse. Avalon était fière de sa plus jeune sœur Vivianne, elle ne manquait jamais une occasion de parler de ses exploits avec un sourire rayonnant : rien qu’il ne voyait sur son visage actuellement. Toni répondit avec entrain, comme pour rattraper cela et lui tirer un vrai sourire :

« Oh mais c’est trop bien ! Bravo à elle. Oune vraie tête chez les Davies dis donc, elle va finir avec oune prix Nobel, elle. »

Mais la lumière ne revint toujours pas dans le regard d’Avalon qui semblait régulièrement attiré par la scène qui se jouait plus loin. Toni tourna la tête à son tour et vit quelque chose qui ne devait étonner personne : Roy, en charmante compagnie, assis à une table plus loin, avec une expression qui ne laissait pas beaucoup de doutes sur la teneur de sa discussion. Il flirtait clairement avec cette jeune femme et Avalon semblait dérangée par ce spectacle qui était pourtant habituel. Toni ne savait pas exactement ce qui se passait entre ses deux amis puisqu’ils mettaient un point d’honneur à esquiver ses questions quand il en posait mais il n’était pas aveugle. Il se passait –ou s’était passé- quelque chose entre Avalon et Roy, leur relation avait subtilement changé au cours des dernières semaines. Il les avait vus plus proches que d’habitude, plus taquins, plus tactiles, comme deux personnes qui se plaisaient mutuellement et s’en rendaient compte. Ce jeu semblait s’être arrêté depuis quelques jours mais Toni n’avait aucune information supplémentaire à ce sujet. Le moment semblait propice à essayer d’en savoir plus, ne serait-ce que pour savoir ce qui tracassait autant sa meilleure amie. Fidèle à lui-même, il mit les pieds dans le plat :

« Bon. C’est avec moi ou avec Roy qué tou as envie dé passer ta soirée là ? »

Son ton n’était pas celui du reproche mais plutôt de la gentille moquerie. Une lueur de préoccupation se lisait dans son regard également car il connaissait assez Avalon pour savoir qu’elle n’était pas seulement contrariée. Son regard terne laissait voir autre chose.

Toni tira légèrement Avalon de ses sombres pensées en évoquant sa petite-sœur. Malgré son agacement profond et intérieur, elle ne pouvait s’empêcher de ressentir une vive fierté à l’égard de Vivianne, et esquissa un petit sourire qui trahissait ce sentiment. La jeune fille, âgée de onze ans – bientôt douze – était un véritable génie. Elle nourrissait depuis des années une passion pour les mathématiques qui avait surpris l’intégralité de sa famille, mais qu’Avalon s’efforçait d’encourager autant qu’elle le pouvait, même si elle ne vivait plus à Londres avec elle. Vivianne avait un esprit vif, curieux, et posait beaucoup de questions à son entourage – qui ne se donnait pas souvent la peine de lui répondre, voire de l’écouter. Sa grande-sœur alimentait plusieurs craintes sur son avenir, justement parce qu’elle la savait peut-être un peu plus fragile, un peu plus sensible et que ces deux qualités n’étaient pas forcément les bienvenues dans le milieu aussi violent dans lequel elle grandissait. Il s’agissait d’un sujet sur lequel elle était particulièrement incertaine, qui lui revenait beaucoup en tête, surtout ces derniers temps. Dans la fratrie Davies, trois enfants étaient encore mineurs : Morgane, qui avait seize ans, Garlan, qui en avait treize et Vivianne, qui en avait onze. Avalon entretenait une relation particulièrement conflictuelle avec Garlan, notamment parce qu’il lui reprochait de s’opposer aussi frontalement à leurs parents alors que lui recherchait désespérément leur approbation et leur considération. Morgane était le cliché de l’adolescente un peu rebelle, mais les deux sœurs étaient souvent en contact – généralement, Morgane appelait Avalon à des heures improbables de la journée pour lui raconter ses déboires amoureux, que sa grande-sœur écoutait patiemment en essayant de la conseiller au mieux – conseils qui, de toute façon, n’étaient que très rarement suivis. Mais c’était de Vivianne qu’Avalon était la plus proche, parce que leur relation était presque maternelle. Pour cette raison, et pour des milliers d’autres, Avalon songeait depuis quelques mois à demander la garde de sa petite-sœur, qui paraissait déjà si heureuse lorsqu’elle passait un weekend chez elle, et de proposer la même chose à Garlan et à Morgane. Elle avait déjà évoqué le sujet avec ses parents et s’était évidemment heurtée à un violent refus, ce qui avait déclenché une dispute toute aussi violente.

« Evidemment. » se contenta-t-elle de répondre à la prédiction de Toni, les pensées à mille lieues de leur conversation.

Elle évoquait pourtant généralement sa sœur et ses exploits avec le plaisir et la fierté d’une mère, et ne tarissait pas d’éloges sur son intelligence. Toni, en plus, connaissait bien Vivianne pour l’avoir vu à plusieurs reprises lorsqu’Avalon la gardait avec elle pour un weekend, et pour être déjà passé quelques fois dans l’appartement londonien de ses parents. La petite-fille adorait l’italien – son rire tonitruant, particulièrement – et demandait souvent à Avalon « quand est-ce que Toni revenait la voir ». Mais aujourd’hui, la chef de la milice n’avait pas vraiment cœur à s’étendre sur son adorable petite-sœur, déjà aux prises avec un sentiment qui ne laissait pas beaucoup de place aux autres. Un regard vers Roy, qui venait de glisser un mot à l’oreille de la jeune femme brune en face de lui en lui décrochant un clin d’œil, acheva de renfrogner Avalon, qui dut lutter pour ne pas lever les yeux au ciel. Sans trop de surprise, Toni remarqua immédiatement son agacement, et en devina assez justement la raison. Sans trop de surprise non plus, Avalon ne céda pas devant sa question directe et assez indiscrète.

« Quoi ? Mais n’importe quoi. » lança-t-elle en reportant les yeux sur lui. Elle chassa vainement ce sentiment piquant et offrit un sourire qui manquait cependant d’éclat à son meilleur ami. « Je suis venue te voir toi, tu sais bien. » lui assura-t-elle. « Excuse, j’étais dans mes pensées. » admit-elle cependant. « Mais non, je n’ai pas envie de passer ma soirée avec Roy. Et, de toute façon, il a l’air bien occupé. » ajouta-t-elle en évitant bien soigneusement de regarder dans sa direction.

Les réponses brèves d’Avalon, alors que d’habitude elle pouvait s’élancer dans de grands discours élogieux sur sa petite sœur qu’elle aimait comme sa fille, étaient des signaux évidents que quelque chose n’allait pas, même Toni pouvait le voir. Or, il n’était pas le genre à laisser passer ce genre de signaux, si Avalon n’allait pas bien, il considérait de son devoir de savoir de quoi il en retournait et d’essayer de lui remonter le moral. Par chance, c’était assez facile à deviner, même si Avalon, dans sa grande mauvaise foi habituelle, s’obstinait à nier. Sa dernière phrase acheva de la trahir, car Toni y lisait volontiers un aveu de son agacement : il avait vu juste, elle n’aimait pas voir Roy en compagnie de cette jeune femme plantureuse.

Toni n’avait pas pour habitude de faire preuve de tact, alors évidemment, son intervention fut très directe, d’autant plus qu’il estimait avoir suffisamment tourné autour du pot ces derniers temps, avec eux deux qui refusaient de répondre à ses questions. Toni n’était pas tellement vexé que son amie ait les pensées tournées vers quelqu’un d’autre ce soir, alors qu’ils avaient prévu de passer du temps ensemble. Il voulait surtout la vérité, parce qu’il voulait aider Avalon. Et lui aussi, il voulait passer une bonne soirée avec elle, mais de toute évidence, c'était difficile à faire si elle n’était pas dans son assiette, alors il chercha à régler ces non-dits une bonne fois pour toutes :

« Bon, Av’, mé prends pas pour oune idiot. Jé sais qué t’es contrariée, c’est aussi évident qué lé décolleté dé Mildred. Et jé sais aussi qu’il sé passe un truc entre Roy et toi, même si vous réfusez d’en parler, ça sé voit qué vous êtes plus proches qu’avant. Alors, qu’est-ce qui sé passe ? » Il posa sa grande main sur son épaule, pour inviter sa meilleure amie à se confier. « Jé m’en fous qué ça concerne Roy, tou peux tout mé dire, ok ? »

Evidemment, Toni ne se laissa pas avoir une énième fois par la réponse évasive qu’elle s’était contentée de lui donner. Elle lui avait très spécifiquement fait comprendre qu’elle n’avait absolument pas envie d’aborder avec lui ce qu’il aurait pu se passer – ou non – entre Roy et elle. Généralement, elle confiait les moindres détails de sa vie à Toni, et cela depuis une dizaine d’années maintenant, mais, cette fois-ci, elle s’était retenue, peut-être un peu par pudeur, peut-être aussi parce qu’il fréquentait Roy tout autant qu’elle, et qu’elle ne voulait pas le placer dans une position inconfortable vis-à-vis de ça. Peut-être encore parce qu’elle le savait particulièrement indiscret et qu’elle voulait éviter ses lourds regards sous-entendus. Peut-être enfin parce qu’elle avait eu envie de garder pour elle cette nouvelle saveur qu’elle sentait peser sur leur relation, au moins jusqu’au moment où ils se décideraient à agir en conséquence.

Et ce jour était arrivé, quelques semaines plus tôt, lorsqu’elle était blottie contre Roy, sa tête posée contre son épaule, les yeux levés vers son visage. Ils avaient décidé, d’un commun accord, de ne pas explorer cette nouvelle intimité, pour des raisons qui, si elles semblaient toujours particulièrement valables et logiques, n'en demeuraient pas moins difficiles à tenir.  Et c’était sûrement ce qui rendait cette jalousie qu’elle ressentait encore plus difficile à vivre pour la jeune femme ; elle détestait se retrouver aux prises d’un tel sentiment alors qu’elle avait volontairement choisi la situation dans laquelle elle se trouvait. Et oui, quand elle réfléchissait rationnellement, les raisons qui l’avaient poussé à s’éloigner de Roy étaient cohérentes, raisonnables ; ils étaient toujours amis, ils travaillaient toujours ensemble, et elle ne voulait toujours pas perdre le lien qu’ils avaient créé depuis dix ans pour une simple attirance physique.

Oui, mais. Force était de constater que sa raison avait légèrement tendance à disparaître lorsqu’elle se retrouvait confrontée à des images particulièrement désagréables comme celle qui se trouvait sous ses yeux, à quelques mètres d’elle. Elle n’aimait pas cet agacement qui la saisissait, ni cette tristesse plutôt incompréhensible qu’elle mit sur le compte d’une solitude un peu trop marquée ces derniers temps et qu’elle chassa assez rapidement de son esprit. Le regard de son meilleur ami fit céder les dernières barrières qu’elle avait érigé autour d’elle et elle haussa les épaules. De toute façon, il n’y avait plus rien à cacher, puisqu’il ne se passait plus rien.

« Ok, ok. » soupira-t-elle en avalant une gorgée de son whisky, plutôt pensive. « Il ne se passe plus rien entre Roy et moi. » assura-t-elle en haussant les épaules brièvement. « A vrai dire, techniquement il ne s’est jamais vraiment rien passé. Je te jure. » insista-t-elle parce qu’elle se doutait bien que son meilleur ami peinerait à la croire. « On s’est juste rapprochés, ces derniers temps. Tu sais, avec tout ce qu’il s’est passé… On a passé de plus en plus de temps ensemble et, bon, je crois qu’on se plaisait un peu mutuellement. » Ce joli euphémisme respirait le mensonge. « A sa soirée d’anniversaire, on a juste dormi ensemble mais… Bref, on aurait pu finir la soirée tout à fait autrement, j’imagine. Et le matin, on s’est accordés tous les deux pour dire que c’était une mauvaise idée de continuer comme ça. Tu sais, on est potes depuis longtemps, on taffe ensemble, et sérieux, c’est déjà assez compliqué comme ça parfois. » C’était la pure vérité, et ils en avaient eu l’exemple parfait au moment de tout ce fiasco autour de St-Mangouste.

Avalon agita doucement sa boisson à l’intérieur de son verre, un peu songeuse.

« Donc il ne se passe rien. » conclut-elle. « Et il ne se passera jamais rien, c’est mieux. » Elle ne savait pas trop qui elle essayait de convaincre, elle ou lui. « Bref. Il a bien raison d’agir comme il le fait. En réalité, je devrais faire pareil, c’est sûrement le plus simple. »

Indiscret qu’il était, Toni n’avait pas toujours pris en compte les volontés de ses deux amis et les avait interrogés plusieurs fois –sans tact- sur cette alchimie qu’il sentait se nouer entre eux. Si jusqu’à maintenant, cela avait été simplement pour satisfaire sa curiosité, cette fois-ci, il interrogeait Avalon par réel souci pour elle. Il voyait bien son regard terne et cette tension au coin des lèvres qui traduisait de l’agacement chez elle, un malaise et peut-être même une certaine peine. C’était drôle de la taquiner sur cette proximité qu’elle entretenait avec Roy depuis quelques semaines, parce que cela semblait aller dans les deux sens et les mettre de bonne humeur. Il n’y avait plus de quoi rire en revanche si cette relation faisait tomber un voile sombre sur le visage d’Avalon.

Aussi la figure de Toni n’était pas moqueuse, mais concernée, quand il interrogea son amie. Sans doute, ce fut ce qui la motiva à accepter enfin de se confier à lui. Elle le fit avec un soupir d’abandon, puis un ton préoccupé qui retint l’attention de Toni. Il ne cacha pas son scepticisme lorsqu’elle affirma que rien ne s’était passé avec Roy, mais elle le répéta avec une telle sincérité qu’il se mit hésiter. Il aurait parié qu’il y avait eu au moins un baiser d’échangé entre eux, si ce n’était plus : ils avaient eu tant d’occasions. Cette soirée qui célébrait la Milice, où ils avaient passé de longues minutes à danser ensemble et Toni avait entendu un des Veilleurs affirmer les avoir vus ensemble sur la terrasse. Puis leurs soirées d’anniversaires respectives où on les avait aperçus souvent ensemble aussi, parfois seuls. Globalement, tous les moments qu’ils avaient partagés à plusieurs avec leurs amis communs et où ils avaient vu Avalon et Roy profiter de chaque occasion pour se mettre un peu à l’écart. Mais il ne s’était rien passé, affirmait la milicienne. La surprise se lut sur le visage de Toni. Il peinait vraiment à y croire, car cela ne ressemblait pas à ses deux amis. Roy ne se posait jamais de questions avant d’approcher une femme qui lui plaisait, il était vrai qu’il aimait faire durer le jeu mais pas aussi longtemps non plus. Quant à Avalon, Toni savait qu’elle avait une théorie comme quoi il ne fallait pas coucher avec ses amis, mais il savait aussi qu’elle suivait son instinct en dépit de la raison, en général, et son attirance pour Roy lui avait semblé si réelle qu’il était persuadé qu’elle avait fini par y céder.

Mais ce n’était pas le cas. Pourquoi ? Alors même qu’Avalon lui confessait enfin que leur ami commun lui plaisait, elle affirmait n’avoir rien fait. Cette attitude était un mystère pour Toni, que les explications d’Avalon ne suffirent pas à percer. Il la regarda, sourcils froncés, déclarer qu’il ne se passerait jamais rien et qu’elle devrait elle aussi s’intéresser à d’autres hommes. C’était peut-être vrai, mais la voix d’Avalon sonnait comme celle de la résignation et non celle de la décision. Ce fut ce qui poussa Toni à réagir :

« T’es sûre de toi là, c’est cé que tou veux ? »

Pour Toni, deux scénarios étaient possibles : soit l’attirance qu’elle avait développée pour Roy n’était pas si forte et elle pouvait passer au-dessus, comme elle était en train de le suggérer, un comportement que Toni pouvait comprendre, car il y avait effectivement des histoires qui ne valaient pas la peine d’être vécues. Soit elle était bien ancrée en elle, et elle était juste en train de s’accrocher à des arguments raisonnables pour ne pas y céder, ce qui était un comportement que Toni comprenait moins, en revanche. Il tenta de l’expliquer, à sa manière :

« Qué vous soyez potes ou pas, si vous vous plaisez, en vrai, vous êtes déjà plus vraiment potes… Après si tou penses vraiment qué c’est pas grand-chose et qué tou peux passer au-déssus dé ça, tant mieux, fais-le. Mais si t’essayes dé sauver un état passé qui est trop loin pour révénir, bah, tou perds ton temps et tou vas juste finir frustrée… Moi jé pense qué c’est un domaine où faut pas trop sé poser dé questions hein, fit-il en balayant l’air de sa main. C’est simple en vrai, Roy té plaît ou Roy té plaît pas, et s’il té plaît, bah fonce. Même si c’est pour dire lé lendémain qué finalement c’était lé coup d’une fois. T’as toujours fait comme ça, non ? » ajouta t-il sur une légère note d’humour, mais c’était néanmoins une vraie question. Il essayait de comprendre pourquoi, soudainement, Avalon avait refusé de suivre son instinct.

Était-elle sûre que c’était ce qu’elle voulait ? Avalon tiqua sur la question de son ami pendant une poignée de secondes, avant d’hocher la tête positivement, sans reprendre la parole pour autant. Avait-elle vraiment le choix, de toute façon ? Elle avait évoqué – la première, en plus – toutes ces raisons pour lesquelles explorer cette attirance, pourtant forte, elle voulait bien l’admettre, s’apparentait à une très mauvaise idée. Elle avait été persuadée de ce qu’elle disait, certaine qu’il s’agissait de la bonne chose à faire. Puis, les jours s’étaient écoulés, ils avaient traversé, une nouvelle fois, des épreuves particulièrement fortes, et Avalon avait été moins assurée de ce choix. Quelque chose lui manquait, très certainement, parce qu’elle avait eu du plaisir à cultiver ce nouveau lien pendant quelques semaines. Elle avait ressenti un profond désir pour Roy, comme elle ne l’avait pas expérimenté depuis longtemps, et cela avait été une sensation agréable, délicieuse même. Faire une croix dessus avait été un peu plus douloureux qu’elle ne l’avait prévu, elle l’admettait volontiers.

Mais quoiqu’il advienne, la décision était prise, et Avalon se voyait mal revenir dessus maintenant. Ils avaient décidé de ne pas céder à ces impulsions qui les poussaient l’un vers l’autre, et si Roy comptait bien s’y tenir, alors elle aussi. Elle voulait bien reconnaître – pas admettre à voix haute, mais intérieurement – qu’elle ressentait un vif agacement qui s’apparentait à de la jalousie à la vision de Roy et de cette jeune femme brune qui discutaient un peu plus loin, mais c’était majoritairement parce que sa fierté était piquée, et qu’Avalon était une femme assez orgueilleuse. Cette peine qui voilait son regard était due à une simple blessure de son ego – situation classique, mais peu agréable à vivre.

« C’est vrai. » lança Avalon lorsque Toni lui fit remarquer qu’elle ne prenait pas la peine de se poser autant de questions habituellement. « Mais bon » ajouta-t-elle avec un sourire en coin, « on ne peut pas dire non plus que ça m’ait beaucoup réussi pour le moment, alors il est peut-être temps de changer de méthode. » Et sur ce point-là, Toni ne pourrait pas être en désaccord avec elle ; Avalon avait enchaîné les relations désastreuses plus ou moins longues, souvent parce que justement elle refusait de réfléchir quelques instants à ce qu’elle ressentait véritablement, pas plus qu’aux conséquences que ses actions pouvaient engendrer.

Elle trempa ses lèvres dans sa boisson pour en avaler une gorgée. Une énième fois, son regard glissa vers Roy, et une nouvelle pulsation s’empara d’elle. Elle préféra reporter son attention sur Toni, méditant un instant ses paroles.

« Non mais, au fond, ce n’était pas grand-chose. » affirma-t-elle avec le ton de celle qui croyait véritablement à son propos. « Et puis, ce n’était vraiment pas une bonne idée, ça aurait foutu trop de bordel. » Et c’était justement pour ça qu’elle ne dérogeait pas à sa règle d’or qui était celle de ne jamais s’engager dans une quelconque relation sexuelle avec ses amis. Mais Roy n’était déjà plus son ami, venait de lui expliquer Toni, souffla une petite voix intérieure qu’elle s’empressa de faire taire.

« Je sais pas pourquoi ça me fait chier. » admit cependant Avalon en désigna d’un signe du menton la scène qui se jouait à quelques mètres d’eux. « En fait, si, je sais, c’est juste une question d’ego. » corrigea-t-elle, parce qu’elle n’avait pas envie que Toni interprète différemment ce qu’il se passait sous ses yeux. Elle offrit un petit sourire décidé à son meilleur ami, bien loin des considérations qui secouaient réellement son esprit, et conclut : « Je dois juste passer à autre chose, c’est tout. » Et ce n’était pas bien compliqué, au fond. « Tu veux me conseiller un énième mec ? Peut-être que pour une fois que je vais t’écouter. »

« Ouais » admit Toni, au sujet de ses échecs passés. « Mais bon, c’est pas la même situation non plus. »

Notamment parce qu’elle ne s’intéressait pas à un énième abruti qui allait la traiter comme une chaussette. C’était de Roy qu’ils parlaient, Roy leur ami, Roy en qui elle pouvait avoir confiance, à priori. Quoiqu’il ressente de son côté, il avait suffisamment d’affection et de respect pour Avalon pour ne pas la blesser inutilement, Toni en était persuadé. Pour le moment, il soupçonnait que cette décision qu’elle avait prise avec leur ami ne la satisfaisait pas totalement, il le voyait derrière son regard sombre, pensif. Elle semblait aux prises avec un dilemme, qu’elle finit par balayer d’une parole.

Ce n’était pas grand-chose, disait t-elle. Toni l’espérait sincèrement pour elle, puisqu’elle semblait tenir à sa décision de rester éloignée. Ce serait plus facile pour elle si ce qu’elle disait était vrai et qu’elle pouvait mettre de côté cette attirance qu’elle ressentait pour Roy. Ce n’était que de l’ego, selon elle, une explication que Toni pouvait parfaitement comprendre et croire. A sa place, s’il avait été intéressé par une femme et qu’elle avait été flirter avec un autre homme sous ses yeux, il aurait ressenti la même vive blessure à sa fierté qu’Avalon évoquait. Ce n’était jamais agréable, ce sentiment de rester en arrière quand l’autre personne en face semblait passer très facilement à autre chose.

Il eut un dernier regard observateur pour elle, comme pour chercher à percer la signification de ses sourires et son ton décidé. Il finit par se dire qu’elle semblait sincère, alors il ne lui en fallut pas plus pour répondre à sa demande. Avalon avait besoin de lui pour l’aider à se changer les idées, alors il ne se ferait pas prier plus longtemps :

« Ah ! Jé prends cette affirmation très au sérieux, attention, dit-il quand elle lui promit de l’écouter. Toni the wingman est dé retour ! »

Evidemment, c’était un peu étrange pour lui de chercher un profil pour faire oublier à sa meilleure amie le souvenir de son autre meilleur ami. Mais Roy et Avalon étaient de grandes personnes, deux adultes qui prenaient leurs décisions. Ils avaient jugé qu’il valait mieux ne pas faire prendre un tournant à leur relation amicale, et si cela leur convenait à tous les deux, alors Toni n’avait d’autre choix que de l’accepter à son tour, même s’il trouvait cela dommage, au fond. Il connaissait assez ses deux amis pour savoir qu’ils avaient de nombreux points communs, alors peut-être que cela aurait pu marcher entre eux, ne pouvait-il s’empêcher de songer.

Mais pour le moment, c’était du réconfort dans les bras d’un autre homme dont Avalon avait besoin. Si possible, un homme beau et intelligent, donc, cherchait Toni, en activant mentalement son infini carnet de contacts et son excellente mémoire des visages. Fidèle à son poste, il finit par désigner du menton un homme brun, bien bâti, occupé à commander une boisson près du comptoir :

« Lui. C’est lé petit frère de Chomsky, le gardien des Pies de Montrose. Pas joueur dé Quidditch, mais taillé pour, expliqua t-il avec un sourire en coin. Il est avocat, tou l’as peut-être déjà croisé au Ministère ? »

Non, ce n’était peut-être pas tout à fait la même chose, Toni avait raison sur ce point. Roy n’était pas l’une de ses nombreuses et habituelles conquêtes, qui n’inspiraient confiance à personne et qui ne lui plaisaient parfois que vaguement. Mais justement, c’était cet aspect qui était aussi particulièrement délicat et qui les avait conduits à prendre la décision de ne pas explorer cette attirance commune, quelques semaines plus tôt. Il y avait trop de risques à prendre pour voir leur relation fonctionnelle entachée par un désir tout nouveau, tout récent, se répéta Avalon en se concentrant sur le visage de son meilleur ami. Oui, en effet, elle était piquée par la vision de Roy qui flirtait avec une femme, mais parce qu’elle avait toujours été une personne assez orgueilleuse, et que cette image avait réveillé sa fierté. Le fait que Toni ne relève aucune incohérence dans ses propos la conforta sur cette vérité qu’elle exprimait, et elle préféra l’amener sur un sujet plus léger, où il était parfaitement à son aise.

Toni avait toujours été un excellent « wingman », et Avalon lui rendait souvent la pareille. L’enthousiasme dont il fit preuve lui tira un sourire – le premier véritablement jovial de la soirée – et elle secoua doucement la tête, comme pour chasser ces sombres pensées qui l’avaient envahi quelques instants plus tôt. Avalon était une femme qui avait besoin de mouvement vers l’avant pour se sentir bien ; elle n’était pas coutumière avec le fait de s’apitoyer sur son sort, et préférait, au contraire, mettre tout en œuvre pour se sortir de ces états parfois lourds de sentiments désagréables. Et qui de mieux pour l’aider dans cette entreprise que son meilleur ami, qui ce ne cessait jamais de lui vanter les mérites de ses connaissances, visiblement désespéré à l’idée de lui trouver un homme qu’il jugerait suffisamment bien pour elle ? Pour une fois, Avalon s’en remit entièrement à son jugement, sans même songer à discuter de ses choix parfois douteux.

« Ah, oui, je l’ai déjà vu quelques fois à Londres. » confirma Avalon en observant l’homme brun à quelques mètres d’eux. « Heureusement que ce n’est pas un joueur de Quidditch, vraiment, je ne comprends toujours pas l’intérêt de ce sport. » lança-t-elle avec un sourire en coin en terminant son verre d’une gorgée. « Bon. Tu sais quoi, je vais te faire confiance. » décida-t-elle avec un dernier regard vers l’avocat. « Si je te dis qu’il y a derrière toi une jolie rousse qui te mate depuis quinze minutes, tu m’en veux un peu moins de te planter là ? » Elle ajouta, avec un sourire : « Il y a de toute façon cinquante pourcents de chance que je revienne te voir dans vingt minutes parce que je suis encore tombée sur un immense psychopathe, qui sait. »

Après une dernière plaisanterie échangée avec son meilleur ami, Avalon se dirigea vers le comptoir, son verre vide à la main. Elle échangea avec le barman un habituel sourire. « La même chose, s’il-te-plait. »

Un regard vers l’avocat lui suffit à l’inciter à lui parler.

« Quand on commence à tutoyer les barmans, ce n’est pas bon signe. » fit-il remarquer avec un sourire moqueur.

« Peut-être. » répondit-elle. « Ou alors c’est le signe d’une profonde loyauté à un lieu qu’on fréquente souvent, tout dépend du point de vue. »

« Certes. » Un éclat de rire s’échappa de son interlocuteur. « Caleb Chomsky, enchanté. » Il tendit la main entre eux, et l’interrompit alors qu’elle s’apprêtait à se présenter à son tour : « Et vous êtes Avalon Davies, la nouvelle chef de la milice. Difficile de ne pas vous reconnaître. »

Un sourire étira les lèvres d’Avalon alors qu’elle serrait la main de Caleb. « Je savais qui vous étiez aussi. Vous avez déjà collaboré avec nous avant, n’est-ce pas ? »

« Oui, je fais un peu de commis d’office pour les gardes-à-vue. » répondit-il en avisant le barman qui tendait son verre à Avalon. « Je vous l’offre ? » proposa-t-il en sortant son portefeuille. « Histoire de participer à votre loyauté. »

Avalon hocha la tête : « Avec plaisir. » répondit-elle avec un sourire en coin.

Elle le suivit jusqu’à une petite table, dans un coin de la grande salle des Folies Sorcières et, sans trop de difficulté parce qu’Avalon était une personne assez facile au premier abord, la conversation s’engagea entre elle et Caleb. C’était un homme assez charmant, Avalon en était persuadée, mais elle était en même loin d’être transcendée par leur discussion. Ses pensées s’égarèrent une nouvelle fois vers Roy, avant qu’elle ne le repousse brusquement de son esprit. Ce n’était qu’une question d’habitude, décida-t-elle en reportant un regard caressant sur Caleb, qui y répondit par un sourire charmeur, en effleurant sa main alors qu’il saisissait son verre.

Jessica Penley. C’était le nom de la séduisante jeune femme avec qui Roy parlait depuis plusieurs dizaines de minutes en ne l’écoutant que d’une oreille seulement. Il avait développé un certain talent dans le mode automatique qui lui permettait de tenir des conversations et y paraître impliqué sans totalement l’être. Ce sentiment de profonde lassitude qu’il ressentait lui était familier. C’était celui qui le prenait quand il se réveillait aux côtés d’une énième inconnue dans son lit, depuis sa douloureuse rupture. Joséphine Lavespère était peut-être la seule avec qui il s’était un peu amusé et qu’il avait daigné garder plus longtemps auprès de lui, et encore : comme les autres, il avait fini par se lasser et se détourner. Aucune de ces relations infertiles ne le satisfaisait totalement. C’était difficile de retrouver un centième de ce qu’il avait ressenti près d’une femme qu’il avait vraiment aimée, dans ces multiples relations qui s’enchaînaient sans but.

Pourquoi continuait-il, dans ce cas ? Pourquoi cherchait-il toujours la compagnie d’une femme alors même que ses rencontres le laissaient frustré ? Parce que c’était tout ce qu’il savait faire. Parce qu’il ne connaissait pas d’autre moyen de combler sa solitude et même si cela ne devait la combler que l’espace de quelques heures, eh bien c’était déjà ça de pris. C’était triste à dire mais il en était là. Jessica était identique à toutes ces femmes qu’il rencontrait dans ses soirées : belle, attirante, mais sans l’ombre de ce qu’il recherchait vraiment.

Et que recherchait-il ? Parfois, Roy ne savait même plus le dire. L’idée de vivre une autre relation de couple, aussi forte et aussi prenante que celle qu’il avait vécue avec Juliana, lui manquait autant que cela le terrifiait. Il trouvait dans son célibat une totale indépendance et une tranquillité qu’il avait perdue et qu’il aimait retrouver, il aimait le fait de ne prendre des décisions que pour lui-même, de ne pas être sans cesse tiraillé par des dilemmes insolubles, de garder un cap clair dans sa vie, de préserver ce qu’il avait mis tellement de temps à construire. Mais parallèlement la solitude le rongeait, le sentiment d’être aimé lui manquait.

Comme si cela n’était pas suffisamment compliqué, depuis quelques temps, une autre personne s’ajoutait à ce millefeuille déjà complexe d’émotions et de pensées, en venant remuer un peu plus ses doutes et ses questionnements. Parfois, souvent, il se surprenait à laisser ses pensées s’évader vers les moments qu’il avait passés avec Avalon. Il ne parvenait pas à ôter de son esprit cette image d’elle, blottie contre lui, la peau chaude et les cheveux un peu en bataille, tandis qu’ils se parlaient à voix basse sous les draps de son lit. Comme pour tout le reste, Roy ne savait pas dire où il en était, il ne savait pas si ce moment d’intimité avec Avalon avait été trop, ou au contraire pas assez. Son avis changeait régulièrement, fluctuant avec ses émotions et avec la présence ou l’absence de son amie. Quand elle était loin de lui, c’était facile, évidemment, de se dire qu’il avait pris la bonne décision et que leur relation était très bien comme elle était. Puis quand il la voyait, qu’il la regardait sourire, plaisanter, bavarder, un certain regret s’emparait de lui et il ne pouvait s’empêcher de rêvasser à autre chose : à d’autres étreintes avec elle, à une caresse partagée, à un baiser volé…

Mais Roy refusait de se laisser aller et se faire confiance, au fond, parce qu’il se connaissait. Il se lassait vite. Or il n’avait pas envie de se lasser d’Avalon, il n’avait pas envie qu’elle rejoigne le rang de toutes ces femmes de qui, après avoir satisfait un désir passager, aussi puissant soit-il, il finissait par se détourner. Roy n’était peut-être pas le plus attentionné des amants, ni le meilleur des amoureux, quand on voyait comment toutes ses relations de couple s’étaient terminées sur de violents échecs, avec pertes et fracas. En revanche, l’amitié signifiait beaucoup pour lui et s’érigeait même au rang de valeur dans son coeur. C’était à ses amis qu’il dédiait toute sa loyauté. Tourner le dos à une femme qu’il ne connaissait pas vraiment, qui était une amante passagère, il savait faire, c’était facile, pas très engageant. Tourner le dos à une femme avec qui il avait partagée une histoire plus engageante et qui devenait son ex, c’était plus douloureux mais il savait faire aussi. Tourner le dos à une amie, en revanche… L’idée lui déplaisait profondément.

Avalon était quelque part à la frontière entre l’amitié et une attirance trouble dans laquelle Roy peinait à déceler ce qui relevait d’un simple désir et ce qui pouvait s’apparenter à des sentiments plus forts. Il n’avait jamais expérimenté cette situation avec quelqu’un. Pas même avec Isobel, qui était son autre amie proche, tout avait toujours été très clair et sans équivoque entre eux. Ils avaient commencé par se fréquenter sur un plan purement sexuel d’abord, puis leur relation s’était transformée avec le temps pour évoluer naturellement vers une simple amitié.

Mais tout était à l’envers avec Avalon. Ou plutôt, tout était dans un sens que la plupart des gens expérimentaient -se mettre à sortir avec un ou une amie- mais qui paraissait totalement incongru à quelqu’un comme Roy qui, il fallait le dire, n’avait pas beaucoup d’amies femmes dans sa vie. Alors quand elles se mettaient à passer d’un statut à un autre, brusquement et sans prévenir, il y avait de quoi le troubler totalement.

Bref, Roy était dans la mouise.

Il tentait vainement de s’en dépêtrer en portant son attention sur d’autres femmes et pour le moment, cela ne marchait pas si bien, contrairement à ce que son sourire sur son visage laissait penser. Jessica lui glissait d’une voix suave en effleurant son poignet de ses doigts :

« C’est exactement le genre d’endroit dans lequel j’aime venir pour décompresser et faire des rencontres intéressantes… Pas du tout la même ambiance que les boîtes à Leopoldgrad, ici, c’est…. Wahou ! »

Eh bien formidable, la conversation n’irait pas très loin avec cette femme incapable d’aligner deux adjectifs, mais bon, ce n’était probablement pas ce que Roy attendait d’elle ce soir. Quoiqu’il n’était plus trop certain de savoir ce qu’il voulait. Son regard vagabonda un bref instant dans la foule, comme s’il espérait y voir une meilleure distraction mais mal lui en prit. Ce fut plutôt une vision fort désagréable qui s’imposa à lui, sans prévenir.

Roy connaissait les clients réguliers de son cabaret, surtout ceux qui avaient un nom connu dans le monde magique et dont il valait mieux se faire des alliés plutôt que des ennemis. Caleb Chomsky était l’un d’eux : un avocat huppé, frère d’un célèbre joueur de Quidditch. Les Chomsky présentaient tout un tas d’intérêts que Roy pouvait lister de tête : de potentiels investisseurs, des personnalités aux bras longs, qui pouvaient faire des mises en relation de choix… Bref, à priori pas des personnes qu’on voulait assassiner d’un regard, comme Roy était actuellement en train de le faire, sans même s’en rendre compte.

Il n’avait même pas vu Avalon arriver. Depuis quand était-elle ici ? Et pourquoi avait-elle choisi une table aussi proche de la sienne pour draguer ce bellâtre ? Car Roy ne pouvait pas mal interpréter ce qui se passait derrière ces oeillades et ces contacts répétés entre leurs bras et leurs mains. Pendant un bref instant, il eut une expression interdite, incapable de s’arracher à cette vision. Puis d’un coup, le sang lui monta à la tête et plutôt que de s’interroger sur ce vif agacement qui le prenait, il préféra s’en extraire et faire cesser sa propre conversation pour laquelle il venait de perdre patience.

« Excuse-moi, je dois y aller, j’ai une chose urgente à régler.
-Oh ! s’exclama son interlocutrice, surprise. D'accord... On se retrouve plus tard ? »

Signe qu’il était vraiment contrarié, Roy ne prit même pas la peine de répondre avec sa voix de joli coeur pour prendre congé de Jessica, comme il l’aurait fait en temps normal pour écourter cette conversation. Pour le moment, il avait juste envie de s’éloigner d’ici et ce besoin le poussa à s’enfoncer dans la foule, jusqu’au bar. Il savait qu’Isobel y était, car il l’avait aperçue en compagnie d’une collègue et saluée, plus tôt dans la soirée. Il eut la bonne surprise de l’y retrouver, cette fois-ci, seule, occupée avec son verre et son Pear One. Il arriva à ses côtés sans s’annoncer, si ce n’était par l’appel qu’il fit au barman en lui désignant le verre d’Isobel :

« La même chose. En double. »

Comme s’il fallait que sa colère se fixe sur quelque chose, les quelques qualités qu’il avait perçues chez Jessica disparurent d’un coup et ni elle, ni n’importe qui dans ce casino ne trouva grâce à ses yeux. Boire en compagnie de son amie plutôt que draguer des femmes inintéressantes, voilà qui lui semblait un meilleur plan de soirée. Il se fit donc pas prier pour boire une longue gorgée du verre qu’on posa devant lui.

« Hummm, fit-il avec une vive grimace, mais c’est ultra sucré. »

C’était sa faute en même temps, il n’avait pas pris la peine de demander ce que contenait le verre d’Isobel. Malgré cette déconvenue, il lui tendit le sien en proposant :

« Trinquons à cette bonne soirée de merde. »

Isobel était sortie après le boulot prendre un verre avec sa collègue Beryl et avait suggéré les Folies. Cela faisait quelques jours qu’elle n’y était pas passée et elle aimait toujours venir ici. Elle avait espéré voir Ignacio au bar mais il ne travaillait visiblement pas ce soir. Si Beryl et elle s’étaient dit au début qu’elles ne parleraient pas de travail, elles avaient vite basculé sur le débriefing de leur dernière réunion. Elles ne pouvaient pas s’en empêcher, elles étaient toutes les deux très impliquées dans la vie du bureau. Toutes les dix minutes, elles s’exclamaient « Bon, parlons d’autre chose ! » mais finissaient toujours par revenir à une anecdote sur Josy de la compta qui était encore sous l’eau, le lundi matin à dix heures. Sur les coups de vingt-et-une-heure, Beryl annonça qu’elle devait rentrer, car elle était le genre de femme qui était au lit à vingt-deux-heures.

Isy aurait pu en profiter pour être raisonnable et rentrer elle aussi, mais elle était bien, là. Elle n’avait pas fini son verre et elle appréciait l’ambiance des Folies Sorcières. Roy l’avait saluée tout à l’heure, peut-être qu’elle pourrait trouver Avalon, ou Toni, pour prolonger un peu sa soirée. Elle promena un regard curieux autour d’elle, ses yeux s’arrêtant sur une table particulièrement animée, qui parlait fort. Elle avait l’impression de connaître l’une des filles, aux cheveux blonds, mais d’où... Sa réflexion fut interrompue par une soudaine présence à ses côtés. Elle tourna la tête pour découvrir Roy et eut un sourire en reconnaissant son meilleur ami. Lui, en tout cas, n’avait pas vraiment l’air ravi. Comme à son habitude ces derniers temps, il avait l’aura ombrageuse. Il commanda la même chose qu’elle et elle attrapa son propre verre pour en prendre une gorgée. Visiblement, la boisson n’était pas du tout au goût de son ami.

- C’est un russe blanc en même temps, fit-elle remarquer de manière laconique.

Elle appuya son visage dans la paume de sa main, fixant Roy avec une certaine curiosité. Elle cherchait à démêler les différents entrelacements de son aura. Il tendit son verre vers le sien et elle cligna des yeux. Leurs verres s’entrechoquèrent avant qu’ils n’en prennent chacun une gorgée.

- Tu ne passes que des soirées de merde en ce moment, non ? fit-elle remarquer.

En tout cas, ces derniers temps, tout semblait le contrarier. Il se baladait avec sa mine des mauvais jours et son tempérament tempétueux.  

Un russe blanc. Seigneur. Roy ne put s’empêcher de pester contre ce pauvre cocktail qui ne lui avait rien fait :

« Putain mais quelle idée de mélanger du lait et de la vanille avec de l’alcool, sérieux. »

Signe qu’il était franchement déconcentré, il n’avait pas vérifié le contenu de son verre avant de le boire. Peut-être pouvait-il avoir ce genre d’imprudence en compagnie de Fergus qui avait à peu près les mêmes goûts snobs que lui en matière d’alcool et de nourriture en général, mais Isobel, elle, buvait parfois des choses étonnantes. Enfin, c’était toujours mieux qu’Avalon et les litres de sucre, d’arômes et d’épices qu’elle mettait dans ses cafés pour les gâcher d’une terrible façon… Roy fronça un peu plus les sourcils, contrarié de penser encore une fois à elle alors qu’il cherchait précisément à se l’ôter de l’esprit.

« Hum ? » fit-il au commentaire plutôt provocateur de sa meilleure amie. Son premier réflexe fut de nier, comme toujours quand on le prenait en défaut : « Non. C’était bien ma soirée d’anniversaire. »

Ah oui, cette fameuse soirée où tout le monde avait pu le voir en train de discuter avec Avalon sur son canapé, en étant bien trop proche d’elle et à s’échanger des regards bien trop équivoques… Il chassa ce souvenir, contrarié contre lui-même, contrarié contre cette soirée qu’il venait d’évoquer, contrarié contre la manière dont elle s’était conclue, contrarié contre tout. Le commentaire d’Isobel n’avait rien d’étonnant face à l’aura de mauvaise humeur qu’il devait dégager et pourtant il fit preuve d’une certaine mauvaise foi en répondant :

« Quoi, je suis de si mauvaise compagnie ? » répliqua t-il en haussant un sourcil.

Son regard alla accrocher bien malgré lui la compagnie qu’Avalon avait choisie, pour occuper sa soirée, quelques tables plus loin devant lui. Et malheureusement, elle n’avait pas l’air d’être mauvaise à ses yeux, elle.

Rien ne semblait trouver grâce aux yeux de Roy, même pas le pauvre cocktail qu’elle avait choisi et qu’il se retrouvait donc à boire aussi. Elle l’aimait bien, elle, songea-t-elle en reprenant une gorgée avec sa paille. C’était doux et sucré, très frais, cela changeait du bourbon qu’elle aimait prendre d’habitude et qui était bien plus âpre. Elle avait de toute manière l’impression que même cette traditionnelle boisson n’aurait pu lui apporter satisfaction ; il avait sa tête des mauvais jours. Loin de s’en formaliser, son aura négative n’affectait pas la bonne humeur d’Isy. Elle se sentait plutôt joyeuse, elle avait passé une bonne soirée et avait bien envie de remonter un peu le moral de son meilleur ami. Avec un peu de chance, elle pourrait même lui tirer un vague sourire. Il s’empressa de nier ses propos, affirmant qu’il avait passé une excellente soirée d’anniversaire. Ah ça, elle l’avait vu, comme tout le monde : il avait été absorbé en excellente compagnie. Tous les convives avaient pu assister au petit flirt entre lui et Avalon. Ce n’était même pas le premier épisode de cet saga, d’ailleurs : elle était présente à la soirée en hommage à la Milice, qui s’était tenue dans ce même lieu.

- On se demande pourquoi, répondit-elle avec son petit sourire en coin.

Voyons, elle aurait pu faire référence à n’importe quoi. L’élégante décoration, la profusion de cadeaux, tous ses proches et amis réunis pour le célébrer : peut-être même à la splendide pièce montée réalisée par les bons soins du Paradis d’Eden. Ou bien à une de leurs amies communes pour qui il semblait avoir développé une brusque passion. Tout était possible. Le contraste entre Roy et Isobel était plutôt présent. Il avait l’air froissé et ses réponses étaient un peu sèches. Elle avait l’air un peu amusé et ses phrases frisaient l’insolence. Alors quand il lui demanda de manière bourrue s’il était si mauvaise compagnie, elle lui répondit avec un sourire.

- Un peu, mais comme je suis une âme naturellement généreuse, je t’aime quand même.

Mais malgré ses petites plaisanteries, le regard de Roy n’était pas fixé sur elle. Il regardait par dessus sa tête, à un autre endroit de la salle. Sans grande discrétion, Isobel se retourna complètement pour voir ce qui attirait son attention. Elle ne fut pas bien surprise de découvrir Avalon qui semblait en grande discussion avec quelqu’un du Ministère, il lui semblait. Isobel pivota de nouveau sur sa chaise, les sourcils haussés.

- Mais c’est toi qui aimerait être avec quelqu’un d’autre que moi, non ?

Elle porta sa paille à ses lèvres, avec son petit sourire amusé.

- Doucement, tu vas me vexer si je te vois baver sur les baskets d’Avalon toute la soirée.

 

Si Roy était de mauvaise humeur, Isobel, elle, arborait son sourire des bons jours. Parce qu’elle en avait l’habitude, elle ne se formalisa pas outre mesure de son ton bourru et se permit même de le taquiner à plusieurs reprises. Volontairement, Roy ne releva pas sa remarque sur sa soirée d’anniversaire, qu’il s’en voulait d’avoir évoqué maintenant, parce que ce souvenir le ramenait à des moments qu’il avait partagé avec Avalon. Un peu perdu dans ses pensées, il répondit presque automatiquement à sa boutade suivante, le regard fixé par-dessus l’épaule d’Isobel :

« Quelle bonté de ta part. »

Habituellement, il y aurait mis un ton plus sarcastique et son manque de répartie sembla alerter sa meilleure amie. Il se fustigea davantage d’être aussi évident quand Isobel se retourna avec une remarque équivoque. Actuellement, il s’agaçait contre lui-même, ce qui n’améliorait pas sa mauvaise humeur.

« Je bave pas sur ses baskets » répliqua t-il en détournant les yeux, plein de mauvaise foi.

Ce n’était presque pas un mensonge : à choisir, c’était d’autres zones du corps d’Avalon qui attiraient son regard, généralement. Evidemment, il n’en parla pas et préféra relâcher sa contrariété en râlant contre l’homme qui avait ravi la compagnie d’Avalon pour la soirée.

« Non mais je connais le mec avec qui elle parle en plus, c’est un con prétentieux. Elle a vraiment le chic pour traîner avec des sales types. »

Un point sur lequel ils étaient à peu près tous tombés d’accord, dans leur groupe d’amis, et qui était la raison pour laquelle Toni tâchait de lui recommander des rencards plus fréquentables. Mais cette fois-ci, le commentaire de Roy n’était pas vraiment sorti par altruisme pour son amie.

- Je sais, répondit Isobel sans se démonter quand Roy commenta ironiquement sa bonté. Tu ne me mérites pas.

Mais leur échange de vannes n’était pas aussi dynamique que d’habitude, elle voyait bien que son ami était distrait et pas vraiment concentré sur ce qu’elle disait. Avalon, plus loin dans la pièce, semblait bien plus intéressante. Elle ne put s’empêcher d’en faire la remarque un peu ironiquement, ce qui eut pour effet de contrarier Roy. Et bien dis donc. Il détourna les yeux avant de maugréer plein de mauvais foi une excuse un peu nulle. Isobel se retourna une nouvelle fois sur sa chaise, pas plus discrètement que la première fois, afin de constater ce qu’elle avait vu. Lorsqu’elle fit de nouveau face à Roy, elle haussa les épaules.

- N’importe quoi, je le connais aussi. Il est plutôt sympa, pas si prétentieux que ça - pour un avocat, du moins. Et il est carrément beau. Et sexy. Franchement, niveau qualitatif, je lui mets un sept.

Elle sirota une gorgée de son cocktail, tout en observant Roy de ses yeux sombres.

- Souffle un coup, t’es vert de jalousie.

Roy était en effet plein de mauvaise foi. Si on lui avait demandé son avis sur Caleb Chomsky quelques heures avant, il aurait certainement tenu un autre discours. Cet homme était connu pour être un brillant avocat, charismatique, charmant. Mais à cet instant, il apparaissait plutôt comme une espèce de petit cafard embêtant aux yeux de Roy qui aurait voulu ne pas voir le regard d’Avalon briller pour cet homme, son sourire s’étirer face à ses plaisanteries. Cette vision le contrariait si profondément qu’il ne parvenait pas à le masquer et Isobel ne manqua pas d’attiser ce sentiment chez lui, par ses piques qui le firent réagir vivement :

« Oui bah ça va, putain, toi t’en rajoutes ! »

Non mais, « plutôt sympa, carrément beau et sexy », mais toujours plus, songea t-il en pestant intérieurement. Isobel avait raison sur ce point, il était jaloux et c’était bien ce qui l’embêtait : il n’était pas sensé développer ce genre de sentiment, qui ne lui semblait pas avoir déjà nourri à l’égard des agissements d’Avalon, qui n’en était pas à sa première conquête masculine entre les quatre murs de ce cabaret. Depuis quand en avait-il quelque chose à faire ? Il aurait dû se sentir encore plus détaché après cette discussion qu’il avait eue avec Avalon, où ils avaient décidé d’un commun accord de rester simplement amis. Et pourtant, son ego ne semblait plus d’accord, Roy le sentait bien protester en son for intérieur, s’indigner du fait qu’Avalon semble tourner la page avec facilité et trouver son bonheur dans un flirt avec un autre homme. La manière dont Isobel le soulignait en appuyant bien dessus ne faisait que le piquer davantage

« Ça m’aide vraiment ce que tu dis, merci » lâcha t-il, le regard sombre.

Isobel ne s’attendait pas à une réaction aussi vive de la part de Roy. Il s’emporta un peu brusquement, jura au passage et elle se tendit un peu. Hé, elle n’était pas responsable de cette situation qui le contrariait. Heureusement, elle était d’assez bonne humeur pour ne pas s’emporter en retour, laissant le ton de la conversation monter. Le regard presque accusateur qu’il posa sur elle la fit froncer les sourcils.

- Pardon, lâcha-t-elle, en se forçant un peu. J’énonce juste un fait, souligna-t-elle un peu laconiquement. Il était effectivement jaloux. Mais ce n’est pas ma faute si elle parle avec lui, hein... 

Peut-être que cela contrariait beaucoup Roy, mais elle n’était pas responsable de cela. De toute façon, elle ne connaissait pas les détails de leurs relation. Elle savait qu’ils s’étaient rapprochés, qu’ils flirtaient, mais ils n’étaient pas ensemble. Quand Roy et elle se fréquentaient, qu’elle drague un autre homme n’avait jamais posé de souci, elle n’était pas censée savoir que cela en serait un avec Avalon.

Parce qu’il la connaissait bien, Roy sentit dans le ton qu’Isobel adopta qu’elle était piquée à son tour. Il mesura alors la colère qu’il avait laissée paraître dans ses mots, une colère qui n’était au fond, pas vraiment dirigée contre Isobel. Elle en faisait les frais, parce qu’elle était là, au mauvais moment et parce qu’elle appuyait sur cette jalousie qui le rongeait et dont elle ne prenait sans doute pas la mesure. Roy lui-même était surpris de se voir réagir de la sorte. Il n’avait jamais fait preuve d’un quelconque sentiment de possessivité à l’égard d’Avalon. Et pour le moment, il n’arrivait pas à cerner d’où cela venait, exactement : une frustration face à la décision qu’ils avaient prise ? Ou une simple piqûre à son ego, car ce n’était pas agréable de la voir passer à autre chose si vite ?

« Désolé, lâcha t-il, en s’efforçant de se calmer et faire taire toutes ses pensées agitées. Il songea un instant à se contenter de ce mot d’excuse, avant de se dire qu’Isobel méritait un peu plus d’explications sur son attitude particulièrement revêche. T’as raison, ça me soûle de voir Avalon avec ce type, mais ça devrait pas… Elle fait ce qu’elle veut. »

Elle ne lui devait rien, et lui non plus, d’ailleurs. Après tout, il était en train de faire exactement la même chose qu’elle, quelques minutes plus tôt à peine. Mais cela n’avait rien donné pour lui, alors qu’elle semblait passer sa meilleure soirée en compagnie de cet avocat et le fait d’en être témoin lui déplaisait. Il fronça les sourcils, songeant bien malgré lui à un élément qui lui semblait récurrent dans les conquêtes qu’il connaissait d’Avalon.

« Elle a un truc avec les avocats, non ? »

Effectivement, songea Isobel, Avalon faisait ce qu’elle voulait. Et Roy serait bien mal reçu par leur amie commune s’il s’avisait d’aller lui interdire quoi que ce soit à ce sujet (et elle aurait bien raison de le remettre en place.) Il était jaloux, bon. Cela pouvait se comprendre. Mais être désagréable avec tout le monde comme cela n’allait rien changer, il aurait mieux fait d’aller lui expliquer directement ce qu’il ressentait... (oui, maintenant qu’elle était dans un couple heureux et épanoui, elle se permettait de penser des choses comme cela, au sujet des autres.) Sauf qu’elle sentait bien que son ami n’était pas dans les bonnes dispositions pour entendre cela. Il était trop contrarié et sûrement pas assez au clair pour aller en parler à Avalon. Sa mauvaise humeur n’arrangeait rien : elle le voyait bien ruminer en fixant Av’ et son charmant compagnon.

- Non, mentit Isobel. C’est juste un mec comme ça, te formalise pas.

Elle lui posa une main sur l’épaule et lui adressa un sourire.

- Allez, tu vas pas rester là à bougonner. Roy Calder, qui passe son samedi soir à râler ? Pas son style. Laisse Fergus et Toni gérer les affaires, on sort.

Elle ne lui laissait pas vraiment le choix. Ils allaient se trouver un autre bar, de préférence où elle pourrait danser, et boire quelques cocktails. Tout pour éloigner Roy d’Avalon ce soir.