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Une histoire de non-dits [OS Eiluned]

Eiluned Wellington
Eiluned WellingtonMédicomage
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Profil Académie Waverly
Une histoire de non-dits [OS Eiluned] Icon_minitimeLun 3 Aoû 2020 - 13:57
9 mars 2011

Eiluned leva la tête pour la troisième fois en une dizaine de minutes. Elle tapota l’écran de son Pear, qui n’affichait aucun nouveau message, et poussa un soupir de frustration. Elle s’appuya contre le dossier de sa chaise et leva les yeux vers son plafond d’un blanc immaculé. Elle avait échangé ses gardes avec l’une de ses camarades, pour pouvoir prendre quelques jours de repos après son agression – elle sentait bien qu’elle n’était pas d’attaque à reprendre le travail tout de suite, et elle avait terriblement peur de faire une erreur si elle manquait de concentration. Elle avait prétexté une quelconque maladie car mentionner sa hanche brûlée aurait soulevé des questions auxquelles elle ne voulait surtout pas répondre et personne ne l’avait questionné plus que nécessaire. Après le départ de Leonard, hier matin, elle n’avait vu personne et était sortie uniquement pour faire quelques courses, sans pouvoir s’empêcher de regarder fréquemment par-dessus son épaule.

L’angoisse liée à son agression n’avait pas tout à fait disparue et continuait de la réveiller fréquemment la nuit. Elle ne dormait de toute façon que d’un œil, l’esprit en alerte, attentive au moindre bruit qui sortirait de l’ordinaire. Autant parce qu’elle avait désespérément besoin de se changer les idées et parce qu’elle avait horreur de rester désœuvrée, Eiluned s’était installée en fin de matinée à son bureau, et avait ouvert un manuel sur les soins pédiatriques qui était censé la préparer au passage de ses ECM – épreuves classantes en médicomagie – qui auraient lieu à la fin de l’année. Il s’agissait de l’examen le plus important de ses études, qui définirait sa future spécialité. Les étudiants les mieux classés auraient tout le loisir de choisir leur discipline, tandis que les autres devraient se contenter de celles restantes. Ces épreuves étaient particulièrement stressantes pour les étudiants de cinquième année, qui commençaient à les préparer au moins deux ans à l’avance. Eiluned s’y était prise dès l’été entre sa troisième et sa quatrième année, en commandant les différents manuels dont elle allait avoir besoin pour ses révisions – douze en tout, particulièrement épais, qui trônaient sur une solide étagère.

Particulièrement consciencieuse, Eiluned avait toujours attaché un soin tout particulier à ses révisions. Elle faisait des fiches sur les principales pathologies dans les différentes disciplines et classaient ces dernières par ordre alphabétique dans des classeurs dédiés. Elle travaillait beaucoup avec la couleur – elle n’avait jamais su dire si elle avait une mémoire particulièrement visuelle ou auditive, mais elle préférait se parer à toutes les situations. Aussi, elle avait une trousse remplie de surligneurs colorés, et avait un code précis depuis sa première année : jaune pour les étiologies, vert pour les symptômes, rose pour les traitements, bleu pour les complications. C’était une méthode qui fonctionnait plutôt bien chez elle, parce qu’elle avait l’impression de pouvoir s’y retrouver assez facilement lorsqu’elle réouvrait ses manuels, quelques semaines après sa première lecture.

Mais aujourd’hui, Eiluned peinait à avancer. Elle relisait plusieurs fois les mêmes phrases sans en comprendre le sens, était déconcentrée par le moindre coup de vent qui agitait ses volets, et ne pouvait s’empêcher de jeter des regards fréquents vers l’interface de son Pear, qui restait désespérément vide de toute notification. Elle n’avait eu aucune nouvelle de Leonard depuis qu’il était parti de chez elle hier matin, et elle sentait une vive inquiétude s’emparer d’elle. Elle savait qu’il lui avait promis de faire attention, de ne pas se lancer sans réfléchir aux trousses de son agresseur mais… Mais elle ne pouvait s’empêcher d’envisager les pires scénarios. Et si cet homme encapuchonné qui l’avait agressé s’en était pris à Leonard ? Et s’il avait été fait captif par ces Veilleurs qui régnaient sur Bristol ? Et s’il avait disparu, comme sa petite-sœur quelques années plus tôt ? Elle avait cessé de lutter depuis plusieurs heures pour repousser ces pensées anxiogènes, qui revenaient toujours à la charge, et feignait simplement une concentration pour ne pas devenir folle.

Elle avait essayé d’appeler Leonard, évidemment, mais il n’avait jamais décroché et elle avait dû se contenter de laisser quatre messages différents sur son répondeur, en le suppliant de bien vouloir la rappeler, « juste cette fois » avait-elle assuré, en écho à la promesse qu’elle lui avait fait, malgré elle, hier soir. La nuit qu’elle avait passé à ses côtés, blottis contre lui dans ce canapé trop petit, l’avait ramené à cette époque bénie où elle partageait encore sa vie et où son avenir, aux côtés de Leonard, lui semblait tout tracé. Son cœur s’était serré une nouvelle fois lorsqu’elle l’avait observé quitter son appartement hier matin, parce que cela illustrait douloureusement la fin de leur histoire. D’un autre côté, la tendresse qu’elle avait senti dans ses gestes, dans ses paroles, dans leurs étreintes et leurs regards, l’avait particulièrement troublé parce qu’elle s’opposait en tout point à la froideur des mots qu’il avait employé pour rompre avec elle, au début du mois de janvier.

Eiluned poussa un profond soupir et repoussa sa chaise en arrière pour s’éloigner de son bureau. Cela faisait vingt minutes qu’elle relisait le même paragraphe sur les détresses respiratoires des nouveau-nés, et elle perdait le fil dès la seconde phrase. Elle consulta une nouvelle fois son Pear – toujours rien – et se leva avec précaution pour étirer ses jambes engourdies. Le mouvement de sa hanche gauche lui arracha une grimace et elle prit appui sur la surface de son bureau le temps de stabiliser. Elle avait réussi à traiter sa brûlure avec plus ou moins de succès. Leonard avait réussi à contenir le maléfice, ce qui l’avait empêché de s’étendre, mais la cicatrisation était difficile. Elle avait déjà vu des brûlures de la sorte, aux urgences de l’hôpital, alors elle était assez au fait de son évolution pour savoir qu’elle avait devant elle plusieurs semaines plus ou moins douloureuses devant elle, incluant des soins quotidiens, si elle voulait espérer que sa peau ne soit pas marquée à jamais. Pour l’instant, sa brûlure était toujours couverte d’un pansement gras, qu’elle changeait deux ou trois fois par jour, sans constater une véritable amélioration.

La jeune femme, appuyée contre l’accoudoir de son canapé, releva vivement la tête lorsque quelques coups secs furent frappés à sa porte. Les battements de son cœur s’accélèrent drastiquement, alors qu’elle se figeait dans son salon. Les coups se répétèrent alors, tout doucement, sans faire de bruit, Eiluned s’approcha de la porte d’entrée et jeta un coup d’œil à travers le judas, persuadée de se retrouver face à son agresseur. Lorsqu’elle découvrit Ulysse, la mine aussi préoccupée que dévastée, sa panique augmenta encore d’un cran.

« Ulysse ? » fit-elle en ouvrant la porte. « Qu’est-ce que tu fais là ? »

« Lili… » Ulysse paraissait hésitant, lui d’ordinaire si sûr de lui. « Je dois te parler. »

Cette phrase l’interpella tout particulièrement, alors Eiluned s’effaça pour permettre au jeune homme d’entrer dans son studio.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? » Elle le devina à son expression, qui corroborait toutes les affreuses hypothèses qu’elle n’avait pas pu s’empêcher de formuler tout au long de la journée. « C’est Leonard ? »

Ulysse hocha douloureusement la tête et Eiluned sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. « Il est à l’hôpital. »

Au moins il était en vie, songea-t-elle en vrillant un regard inquiet dans celui d’Ulysse. « Qu’est-ce qu’il est passé ? »

« Il a fait comme une… Une crise, au travail. » Eiluned tordit nerveusement ses mains, écoutant le récit d’Ulysse avec appréhension. « Il est tombé, il a perdu conscience. Les médecins disent qu’il sortira bientôt… »

Eiluned se sentit brusquement submergée par une vague de soulagement, elle qui avait eu si peur que son ex-compagnon ait perdu la vie. Lorsqu’elle releva les yeux vers Ulysse, elle nota ses traits tirés et les cernes profondes qui creusaient ses yeux et fut brusquement prise d’un immense doute qui lui tordit l’estomac. « Qu’est-ce que tu ne me dis pas ? » demanda-t-elle alors, en craignant déjà la réponse.

Sa question eut l’air de déclencher quelque chose chez Ulysse, qui passa une main lasse sur son visage et la contempla longuement avec tristesse. « Ulysse… » fit Eiluned en le suppliant du regard de mettre fin à ce silence.

« Leonard est malade. » Ces quelques mots restèrent un long moment suspendus dans les airs, avant de frapper Eiluned de plein fouet. « Il a un cancer. Une tumeur, au cerveau. » Elle recula de quelques pas, sous le choc de l’annonce, et ses genoux butèrent contre sa table basse. « Les médecins lui ont donné trois ans. Un peu moins maintenant. »

Elle avait l’impression de vivre un véritable cauchemar. « Non » souffla-t-elle, les yeux écarquillés. « Non » répéta-t-elle en portant sa main devant sa bouche. Son corps ne semblait plus lui répondre, sa voix l’avait abandonné ; elle se sentait incapable de former une phrase plus longue qu’un seul mot. Ulysse hocha la tête, comme pour confirmer ses propres paroles, et Eiluned étouffa un hoquet de douleur.

« Il l’a su quand ? » demanda-t-elle finalement, la gorge serrée.

« En janvier. »

Il ne fallut qu’un regard entre Eiluned et Ulysse pour que, brusquement, toute la rupture prenne enfin sens à ses yeux. Elle se sentait partagée entre l’envie d’hurler et de s’effondrer au sol. Extérieurement, si ses émotions se lisaient dans son regard, elle demeura parfaitement immobile, le visage fermé. Ulysse esquissa un mouvement vers elle, mais elle se dégagea ; s’il la prenait dans ses bras, elle serait incapable d’avoir la moindre pensée cohérente, et elle se raccrochait pour l’instant à son esprit rationnel pour ne pas sombrer.

« C’est pour ça que… ? » questionna-t-elle tout de même.

Ulysse hocha doucement la tête. « Il ne veut pas que tu le voies mourir. »

Eiluned sentit brusquement une vague d’angoisse la submerger, et elle dû s’accrocher à l’accoudoir de son canapé pour ne pas se laisser tomber au sol. Elle avait l’impression de manquer d’air, elle suffoquait dans ce petit appartement ; c’était comme si son cœur s’était emballé puis s’arrêtait brusquement. Elle s’avança vers la fenêtre qu’elle ouvrit d’un geste saccadé et se força à prendre de longues inspirations. Elle était blême, son visage était aussi pâle que celui d’un fantôme. Lorsqu’elle se retourna vers Ulysse, ce dernier n’avait pas bougé. Il était au centre de pièce, le regard baissé vers la pointe de ses chaussures.

« Il ne sait pas que tu es là, hein ? » murmura-t-elle en s’adossant au mur, à la fois pour s’ancrer dans cet espace et dans cette réalité et pour s’assurer de ne pas basculer en arrière.

« Non. » répondit Ulysse avec l’honnêteté caractéristique des Wellington. « Il a interdit qu’on t’en parle, à toi ou à ta famille… »

« Quel idiot. Mais quel idiot ! » fulmina Eiluned en relevant un regard flamboyant sur Ulysse.

Son cœur se serra dans sa poitrine et elle secoua la tête, en prise à plusieurs émotions contradictoires, majoritairement dominées par la colère et l’inquiétude.

« Il est persuadé d’avoir pris la meilleure décision pour toi, Lili. » souffla Ulysse, mais la jeune femme balaya ses paroles d’un geste sec de la tête.

« Il est à St Mangouste ? » demanda-t-elle alors brusquement.

« Oui. » Ulysse sentait qu’il ne gagnerait rien à lui mentir.

« Très bien. »

La jeune femme saisit une veste qu’elle passa sur ses épaules. Elle ne ressemblait à rien, pensa-t-elle en croisant son reflet dans le miroir. Elle avait ce legging gris qu’elle avait revêtu ce matin en se levant, pour maintenir le pansement sur sa brûlure et qu’elle mettait généralement pour se rendre au studio de danse, un sweat-shirt rose clair à l’effigie de Vargas qu’elle avait piqué à Aderyn la dernière fois qu’elle était allée chez elle, ses cheveux étaient relevés en un gros chignon informe sur le haut de son crâne, et son visage était ravagé par les émotions. Mais son apparence était bien son dernier problème, alors elle chaussa des chaussures en toile blanche et saisit son sac à main qu’elle passa à son épaule droite.

« Je t’y emmène. » déclara alors Ulysse en esquissant un geste vers lui.

Mais Eiluned refusa sa proposition d’un geste de la tête. « Non. J’y vais seule. »

Le jeune homme parut embêté et la considéra un instant en silence. « Ecoute Lili… Tu n’es pas en état de transplaner seule, et c’est mieux si j’explique à Leonard que je suis allé te voir. »

Eiluned, bien loin de se laisser convaincre, fronça ses sourcils blonds en une expression butée. « Non. » répéta-t-elle avec une fermeté qu’on ne lui connaissait pas. « C’est une histoire entre Leonard et moi, j’y vais seule. Et je commence à en avoir très sérieusement marre qu’on me dise quoi faire. »

Ulysse leva les mains en signe de reddition et hocha la tête. « Ok, ok. »

Ils quittèrent l’appartement quelques minutes plus tard, et Eiluned referma soigneusement la porte à double tour derrière elle. Ils descendirent les escaliers et se retrouvèrent dehors. Il était dix-neuf heures, et Leopoldgrad était toujours aussi agitée, les sorciers allaient et venaient, inconscients du drame qui se jouait dans la vie de la danseuse. Elle glissa un regard vers Ulysse, et, après un instant d’hésitation, le serra dans ses bras. « Je suis désolée. » souffla-t-elle à son oreille, alors qu’il refermait ses bras dans son dos. « Moi aussi. » répondit-il alors qu’elle se détachait de lui.

Elle l’observa une seconde supplémentaire, avant de disparaitre dans le bruit caractéristique du transplanage.

Elle réapparut à quelques mètres de l’hôpital, lieu dans lequel elle se rendait presque quotidiennement depuis maintenant cinq ans mais qu’elle n’avait jamais contemplé avec autant de douleur au fond des yeux. Ulysse avait eu raison ; elle n’était pas en état de transplaner, et c’était un miracle qu’elle ne se soit pas désartibulée. Elle prit une profonde inspiration avant de faire quelques pas hésitants vers l’entrée de l’hôpital. Ses mains tremblaient, et seule sa vive inquiétude pour Leonard – ainsi sur le profond agacement qu’elle ressentait – l’empêchait de sombrer dans la tristesse. Elle se dirigea machinalement vers l’infirmière d’accueil, qui l’accueillit avec un sourire.

« Tiens Lili, je ne savais pas que tu bossais aujourd’hui. » la salua-t-elle.

« Je ne travaille pas vraiment… » répondit Eiluned en s’appuyant contre le comptoir qui la séparait de l’infirmière. « Tu peux me dire où est hospitalisé Leonard Wellington, s’il-te-plait Greta ? »

Cette dernière jeta un coup d’œil à sa montre.

« Les heures de visite sont terminées depuis longtemps, Lili, tu devrais savoir ça… »

« S’il-te-plait. C’est important. » Si son ton urgent ne suffit pas à alerter l’infirmière, son regard suppliant l’incita à pianoter le nom qu’elle venait de lui donner sur l’écran de son Pear Pro.

« Service d’oncologie, secteur Morgane, quatrième étage, chambre 403. » énonça alors Greta. « Je compte sur ta discrétion ? »

« Promis. Merci, Greta. » souffla Eiluned, tendue, en quittant le hall de l’hôpital pour se diriger vers les ascenseurs.

Elle monta dans le premier, en veillant à son fixer à sa poitrine son badge de l’hôpital pour ne pas s’attirer les regards curieux des autres médicomages. Elle patienta quelques instants, le temps que l’ascenseur parvienne au quatrième étage, ce qui lui parut durer une éternité. Lorsqu’enfin le « bip » sonna dans l’habitacle, Eiluned bondit hors de la machine, le cœur battant. Elle se dirigea machinalement vers le secteur Morgane, qu’elle connaissait bien pour avoir travaillé juste à côté – au secteur Merlin – en oncologie pédiatrique au moment de sa troisième année. Les marques violettes, dessinées au sol, lui permirent de rejoindre rapidement le bon secteur, et elle passa en trombe devant les portes des chambres, sans accorder un seul regard au personnel soignant qui, après avoir avisé son badge professionnel, la laissait tranquille.

Finalement, elle se retrouva face à la porte 403, et se s’immobilisa devant. Sa traversée de l’hôpital s’était faite d’une traite, tant elle était portée par l’urgence de la situation. Mais, face à cette porte close, une vive appréhension se répandait dans ses veines, consciente qu’elle s’apprêtait à affronter la vérité la plus difficile de toute son existence.

Elle appuya sur la poignée, poussée à cette envie irrépressible de voir Leonard et par son cœur meurtri de la nouvelle qu’elle venait d’apprendre. Il était là, plongé dans la lecture de papiers dont elle ne pouvait pas deviner le contenu, ses cheveux ébouriffés autour de son visage. Eiluned s’avança dans la pièce et, sans lui laisser le temps de dire quoique ce soit, annonça :

« Ulysse m’a tout dit. »



Eiluned Wellington


Time stands still, beauty in all she is

KoalaVolant