Family First [Urban, Katrine & Blair]

29 mars 2011

Vêtue d'une longue cape émeraude et de son écharpe assortie, Blair marchait d'un pas décidé sur l'artère principale de Pré-au-Lard, ses longs cheveux blonds s'emmêlant derrière elle dans le vent écossais.  Ses pas martelaient les pavés de la chaussée tandis qu'elle avançait droit sur un groupe de miliciens situé sur la place centrale du village. Les accromentules observaient les allées et venus des badauds et se montraient de plus en plus régulièrement les jours de sortie des élèves. Comme pour conjurer le sort, elle passa à leur proximité, visiblement rassurée par leur présence protectrice, calquant son comportement sur celui des élèves pro-régimes.

Elle leur accorda un bref regard avant de pousser distraitement  la porte des Trois Balais, littéralement bondé.

Une fois n'est pas coutume, elle n'avait pas prévu de retrouver Urban au pub aujourd'hui. Ils avaient convenu d'un autre lieu de rendez-vous un peu moins exposé aux rondes des accromentules. Depuis que la Milice se montrait davantage au village et qu'Arhen s'était fait agresser pour d'obscurs raisons, les Williams avaient décidé d'être un peu plus discrets pour leurs échanges. Urban devait lui transmettre les derniers exemplaires des journaux clandestins pour qu'elle les fasse entrer au sein de l'école aussi Blair rejoignit sans tarder la cheminée des Trois Balais sans même s'arrêter au comptoir pour commander sa traditionnelle eau gazeuse.
Elle se positionna à la queue derrière les camarades de dortoirs de Noah - Forbes, Drop et Artoff- et ne put s'empêcher d'écouter leur conversation, bouche entrouverte, comme si elle faisait partie de leur petit groupe. Sa curiosité maladive était bien utile pour tenter de repérer d'éventuels sympathisants du LEXIT mais elle ne perçut rien de tel dans les propos des trois garçons. Ils allaient simplement faire des emplettes à Leopoldgrad avant de rejoindre "les filles". Ils disparurent les uns après les autres dans l'âtre puis se fût à son tour de dicter sa destination. Elle avait noté l'adresse sur sa main avant de quitter son dortoir, elle s'appuya donc sur son antisèche et déclama distinctement.

"La Mouette Mystérieuse, Île de Wright."

Elle avait cru comprendre que son frère avait  un reportage à réaliser sur cette petite île au sud de l'Angleterre qui accueillait sa toute première équipe de Quidditch. Urban était sensé  rencontrer sa soeur dans ce bar sorcier, en bord de plage, sûrement après qu'il ait interviewé les dirigeants ou visité les infrastructures du nouveau club. Elle ne connaissait pas vraiment son emploi du temps en vérité mais elle savait qu'il était là pour le travail.

Blair constata d'emblée, en arrivant sur place, qu'elle était habillée bien trop chaudement pour la région. Elle venait de quitter une Écosse froide et brumeuse et se retrouver en terre anglaise chaude et ensoleillée. Elle dessera son écharpe et quitta sa cape  qu'elle posa sur son avant bras avant de faire quelques pas à l'intérieur . Ces collants opaques sous sa mini jupe étaient définitivement de trop ici. Le bar était baigné d'une douce lumière printanière et ses grandes baies vitrées donnaient sur une plage de galets en contrebas. Blair positionna sa main en casquette, gênée par la luminosité ambiante, et chercha la silhouette de son frère parmi les personnes assises à contre-jour mais elle ne distingua pas la haute stature d'Urban. Elle prit donc place juste derrière une vitre - histoire de photosynthétiser, elle en avait cruellement besoin après cet hiver long et rigoureux- et commanda la boisson la moins sucrée de la carte en attendant.

Depuis sa dernière entrevue avec Urban, sa colère était largement retombée. Si Blair montait très vite dans les tours elle parvenait tout de même à se raisonner, à tête reposée. L'agression d'Arhen lui avait mis un sérieux coup au moral et elle s'inquiétait réellement pour son camarade, chose étonnante. Elle était plus que jamais convaincue qu'elle devait être très prudente et concentrée sur ces modestes missions résistantes plutôt que d'entretenir les querelles familiales (enfin, en théorie). Elle s'était promis de ne pas trop asticoter Urban cette fois même si sa nouvelle résolution, et cette bonté d'âme peu coutumière, étaient incontestablement liées au fait qu'elle avait réussi à mettre la main sur sa propre graine de Ténébrosia. Cela avait été compliqué et fastidieux mais elle n'avait pas failli. Depuis Blair était nettement plus rassuré à l'idée de l'avoir toujours sur elle. Étrangement, ce poison qu'elle traînait dans son sac la rendait plus sereine. D'ailleurs elle avait hâte de montrer à son frère que, malgré son jeune âge, elle était pleine de ressources (et oui ok, elle voulait le narguer, aussi, un peu.)

Elle était justement occupée à fomenter son annonce - elle avait prévu quelque chose d'un peu... théâtral- lorsque Urban poussa la porte de la Mouette Mystérieuse.
Un immense sourire éclaira le visage de Blair tandis qu'elle lui faisait de grands signes pour qu'il la rejoigne. Alors qu'il approchait elle le détailla du regard cherchant quelques indices trahissant son état de forme physique et psychique : Avait-il les traits tirés ? Parvenait-il à voler sans avoir de vertiges ? Et surtout,... avait-il invité Astrid à sortir ?
Elle lui poserait ces questions plus tard, pour le moment, elle tenait avant tout à l'accueillir dignement.

«Hiiii, je suis contente de te voir ! lança-t-elle joyeusement quand il arriva à sa hauteur. Elle tapota plusieurs fois la table du bout de la main pour l'inviter à s'asseoir en face d'elle. « Alors c'était comment avec la nouvelle équipe ? Ils ont recruté de bons joueurs ? Qui va l'entraîner ? »

Comme souvent, le Quidditch était un excellent sujet pour démarrer une conversation entre eux même si Blair n'avait qu'une idée en tête: Annoncer à Urban qu'elle avait sa propre graine. Elle s'était promis d'attendre un peu avant de lui dire, mais sa résolution souffrait de son impatience. Leur dernière dispute planait encore au-dessus d'eux alors autant crever l'abcès. Elle attendit donc qu'Urban réponde à ses questions avant de s'assurer d'un regard que personne ne les regardait. Tout en écoutant son frère, elle fouilla distraitement dans son sac, passa une main sur  son visage pour chasser une mèche de cheveux devant sa bouche et tendit finalement son poing fermé au-dessus de la table, entre elle et lui.

« J'ai quelque chose à te montrer » souffla-t-elle avec une lueur de défi dans le regard.

Elle l'avait prévenu qu'elle ferait ce geste le jour de leur dispute . Elle allait ouvrir la main et lui montrer la Ténébrosia au creux de sa paume. Tout était prévu, planifié. Toutefois lorsqu'elle desserra les doigts, sa main se révéla totalement vide. Aucune trace de la graine. Son regard faussement étonné chercha celui de son frère et elle attendit d'avoir capté l'attention d'Urban avant d'ouvrir la bouche en grand. Posée sur sa langue, entre deux filets de salive, une bille beige, sa graine de Ténébrosia. Fière de sa blague, Blair ne manqua rien de l'expression d'Urban. Elle se mit à rire à gorge déployée avant de recracher la graine dans le creux de sa main.

Initialement elle avait voulu lui faire croire qu'elle s'étouffait avec, mais elle s'était ravisée de peur qu'Urban ne veuille plus jamais lui adresser la parole après ça , ou pire, qu'il fasse  un arrêt cardiaque par sa faute. Ça aurait été ballot. Toujours riant, elle rangea soigneusement sa graine dans son porte-monnaie et reporta son regard sur Urban, un léger sourire mi fier mi coupable aux lèvres, guettant sa réaction.

« Allez, on est quitte... On fait la paix ?» souffla-t-elle alors avec un peu de tendresse dans la voix.

Olalah… Ce qu’Urban pouvait être rabat joie parfois ! Il était incapable d’apprécier une petite blague à sa juste valeur.  Merci, elle savait que sa graine de Ténébrosia n’était pas un jouet et qu’elle pouvait l’anéantir en moins de quelques minutes. C’était justement pour cela qu’ il avait refusé de lui en donner une et qu’elle avait pris de nombreux risques pour se procurer son propre poison.

" Qu'est-ce qui se serait passé si tu l'avais avalé par inadvertance ?"  gronda  furieusement son frère ainé.
« Et bien je serai déjà morte. » répondit- Blair en haussant les épaules avant de porter la paille de sa boisson à ses lèvres sans quitter des yeux son frère.

Elle savait que la résistance était une activité sérieuse, lourde en conséquences. Il n’y avait pas de place pour l’approximation et les répercutions de leurs actes étaient souvent irrévocables. Blair avait conscience du poids qui pesait sur ses épaules, jour et nuit, et des risques insensés qu’elle prenait pour défendre ses idéaux.  Toutes ses pensées l’empêchaient parfois de dormir mais elle refusait plus que jamais d’arrêter de rire et de plaisanter même si pour cela elle devait contrarier un peu son grand frère. Autant avaler sa graine de Ténébrosia de suite si être résistante impliquait de devoir rester  raisonnable et tristement  sérieuse jusqu’à la fin de ses jours.   Elle savait qu’Urban ne voulait que son bien mais ses instincts protecteurs pouvaient être si étouffants parfois qu’elle prenait un malin plaisir à le tourmenter.

L’adolescente s’efforça toutefois de ne pas trop fanfaronner auprès de lui. Selon ses propres critères, elle estimait avoir brillamment remporté cette bataille qui l’avait opposée à son frère et même s’il affirmait qu’ils n’étaient pas en guerre tous les deux, Blair nota mentalement qu’elle était arrivée à ses fins, elle,  contrairement à lui.

Cela suffit à la satisfaire et elle hocha gentiment la tête pour valider les propos conciliants d’Urban. Elle n’avait pas prévu de s’opposer davantage à lui si bien qu’elle resta tout à fait agréable lorsqu’il se plaignit de ne pas avoir su qu’elle effectuait son stage dans l’entreprise d’Adrian… avant que le principal intéressé  ne vende la mèche, bien sûr. Son ex-tuteur pouvait donc être bavard. Première nouvelle. Blair aurait bien aimé savoir ce que disait cette missive mais elle se refusa à tout commentaire, de peur d’éveiller la curiosité de son frère.

"Je ne savais que tu t'intéressais aux plantes. C'est une nouvelle passion ?"  s’enquit alors Urban. Il savait pertinemment pourquoi Blair avait choisi d’effectuer sa période de formation en milieu professionnel chez un botaniste si bien qu’elle ne chercha même pas à lui mentir.

« J’ai fait mon stage à la ferme de Wicklow pour une seule raison, Urban… lâcha-t-elle dans un souffle. Elle le gratifia d’un regard appuyé qui voulait clairement dire « La Ténébrosia et rien d’autre. » avant de boire une nouvelle gorgée de jus de citron à la paille.

Honnêtement, elle se fichait bien des végétaux et  elle n’était pas  particulièrement douée pour s’en occuper, Adrian ne dirait surement pas le contraire. Elle avait noyé sous l’arrosage quelques cactus durant son dernier jour de stage, d’ailleurs. Blair plissa le nez à ce souvenir tandis qu’Urban avait un peu de mal à se réjouir de la savoir en possession d’une graine meurtrière.

Il aurait pu être fier de sa débrouillardise, de son esprit d’entreprise et de son culot, mais non. Il était incapable d’admettre qu’elle avait eu des tripes sur ce coup. Tant pis. Elle se contenterait de ses propres félicitations mentales, d’elle à elle-même.

«  Bravo Blair, vous m’avez épatée !
- Oh merci Blair !
-Quelle prise de risque ! Quelle audace !
- C’est trop d’honneur !
-En plus vous avez supporté durant cinq jours Adrian Calder !
-N’est ce pas ! Il en faut du courage !
-Je ne vous le fais pas dire, Blair.
-Hihihi !
-Hohoho !»

"Que s'est-il passé ? » La voix d’Urban perça son petit scénario mental et fit presque sursauter l’adolescente. Blair sortit brusquement de ses pensées et cligna des paupières en tachant de reprendre le fil de la conversation : Ah oui, l’agression de Poudlard. Arhen. Un voile d’inquiétude passa sur le visage  de la Serpentard. Elle se dandina sur son siège et joignit ses mains sur la table avant de répondre à son frère :

« Ce n’est pas vraiment un « ami » à proprement parler, elle avait mimé les guillemets avec ses doigts,  mais il fait partie des élèves dont je me suis rapproché dernièrement, sous entendu ses camarades résistants. Il ne sait pas pourquoi il a été agressé, il n’a aucun souvenir de ce moment mais on préfère rester prudents et ne pas s’afficher ensemble, au cas où. Blair commença à ronger l’ongle de son pouce, qu’est-ce que tu en penses ? »

Elle débutait dans la résistance et elle n’avait pas envie de se faire confondre après seulement un mois d’activité. Elle était prête à accueillir les conseils de son frère avec humilité lorsqu’une silhouette familière attira son regard près de la cheminée de la « Mouette Mystérieuse ». Il ne lui fallut guère plus d’une fraction de seconde pour reconnaitre la personne qui avançait vers leur table.

« KATRINE !!! »

Blair poussa une exclamation sonore qui fit se retourner quelques clients et bondit littéralement de sa place pour se jeter dans les bras de sa grande sœur qu’elle serra dans ses bras, fort, fort, fort tout en se balançant d’un côté et de l’autre. «  Je ne savais pas que tu venais ! Je suis si contente de te voir ! » dit-elle sa joue pressée contre celle de son ainée, l’étouffant presque. Blair prit un peu de recul et déposa un gros baiser sur la pommette de sa frangine, laissant là un trace du rouge à lèvres corail qu’elle avait exceptionnellement mis aujourd’hui par coquetterie.

« Pourquoi tu ne m’as rien dit !? » dit elle alors en se tournant vers Urban sans toutefois lâcher sa sœur. Il était forcément dans la confidence tant Katrine et lui étaient proches. Il ne se passait pas une semaine sans que sa sœur n’aille passer quelques jours dans le cottage d’Urban sur l’île de Søren. « Bande de petits cachottiers. » souffla Blair en attirant sa sœur sur la banquette à côté d’elle.

A vrai dire, elle était ravie de cette surprise. Blair aimait lorsque ses frères et sœurs prenaient un peu de temps dans leur quotidien respectif pour venir lui faire un petit coucou et prendre de ses nouvelles.  Ils ne pouvaient pas lui faire plus plaisir en réalité.

Si avec Urban, la conversation s’orientait d’emblée sur le quidditch, les deux sœurs débutaient généralement leurs échanges d’une toute autre manière. En effet, Blair observa Katrine assise à côté d’elle et attrapa le col de sa veste entre ses doigts, comme pour apprécier la qualité du tissu :
« C’est nouveau ? » Katrine et elle avaient deux styles radicalement différents mais elle partageaient le même goût pour la mode et les pièces rares dégottés dans des friperies. « J’adore, c’est hyper doux ! » Même si Blair avait une passion irraisonnée pour les vêtements à  motifs et outrageusement colorés, elle savait apprécier la belle pièce, bien taillée que portait Katrine aujourd’hui.

«  Oh ! D'ailleurs ! Il faut que je te montre ce que j’ai trouvé à Dublin ! » s’exclama-t-elle soudain à la fois impatiente et excitée comme une puce.

La jeune femme dénoua son écharpe qu’elle avait encore autour du cou avant de se débattre avec ses longs cheveux détachés – elle savait qu’elle aurait du les tresser !- puis elle parvint à quitter son pull pour dévoiler le tee-shirt qu’elle avait trouvé dans une friperie. Elle l’étira sur sa poitrine afin que son frère et sa sœur puissent lire le message inscrit dessus.

« Je suis sûr qu’Urban va trouver qu’il me sied parfaitement. » dit-elle alors, consciente qu’on lui reprochait très souvent d’avoir un sale caractère.

Du coup, autant annoncer la couleur d’emblée!

Blair afficha un sourire satisfait lorsqu'Urban et Katrine validèrent le message impertinent de son tee-shirt.

« La réappropriation d'insulte est une stratégie de résistance. » expliqua doctement l’adolescente avant de boire une gorgée de boisson  à la paille.

Elle avait lu un article très intéressant dans le mensuel envoyé aux adhérents de l’OFFRE portant justement sur le fait de transformer des propos injurieux en marque de fierté.  Si, pour certain,  s’affirmer un tant soit peu signifiait être une « bitch », Blair avait décidé de porter ce qualificatif comme étendard. Elle accueillit d’ailleurs avec la même fierté le badge #girlboss donné par sa sœur ainée.

« Oooh ça y est ? s’exclama la jeune femme sans masquer son enthousiasme. Elle posa une main sur le poignet de sa sœur, Tu as bouclé le projet ? »

Katrine développait ce programme  de valorisation des femmes entrepreneurs depuis quelques temps déjà. Aux dernières nouvelles, elle était sur le point de terminer la mise en place de ce nouveau dispositif basé sur l’esprit de sororité et d’entraide entre différentes entrepreneuses.  Blair tourna vivement la tête en direction de son frère lorsqu’il fit mention d’un entretien de Katrine avec  Sheba Twilfit. Visiblement Urban avait une longueur d’avance sur l’actualité familiale. Et elle n’aimait pas trop ça.
« Tu avais un entretien chez T&T ?  demanda-t-elle en reportant de nouveau son regard sur sa sœur avec la même vivacité débordante qui la caractérisait, Pourquoi je ne suis pas au courant ? » Petite moue de désapprobation. Blair pouvait vite se froisser de ce genre d’omission – elle détestait être la dernière informée de la fratrie -  mais sa  curiosité naturelle l’emporta toutefois sur sa contrariété cette fois, C’était quand ? Tu lui a demandé d'être la marraine du dispositif ? Qu’est-ce qu’elle a dit ? Tu lui as montré tes chapeaux ? Elle a aimé ? Obligé, elle a aimé. »

Sheba Twilfit était connue dans le monde magique pour son bon goût et son élégance. De l’avis de Blair, cela ne faisait aucun doute que la patronne de T&T avait remarqué la créativité et le potentiel de sa sœur même si Katrine tarda à confirmer son intuition. En effet, l’inquiétude se lut brusquement sur son visage et un léger froncement de sourcils brouilla ses traits doux.

« Tu ne trouves pas qu’il est tout blanc ? » demanda-t-elle alors de but en blanc, ses yeux bleus braqués sur leur frère.

Blair arbora exactement la même expression que sa sœur, la tête légèrement inclinée sur le côté, regard scrutateur de rigueur.  Urban devait clairement se sentir épié par ses deux frangines tandis qu’elles pratiquaient leur expertise. Il ne manquait plus que Mia pour compléter le tableau.

« Tu as raison. » répondit finalement Blair sans le quitter des yeux. "Il est tout blanc. » Le verdict était sans appel. Elle plissa donc les paupières, suspicieuse, Qu’est-ce que tu as fait ?»

Un match…Hum, mais encore ?… Avec des joueurs pros…Ben voyons.

Blair se retint  in-extremis de lever les yeux au ciel lorsqu’il avoua, penaud, qu’il avait peut-être un peu forcé sur les figures … Heureusement que ses médecins lui avaient conseillé de reprendre le sport «  en douceur » . Urban ne trouvait rien de mieux que d’aller se confronter à des professionnels.  

« Tu devrais essayer de battre le record d’altitude la prochaine fois, Urby. » répliqua Blair en croisant les bras sous sa poitrine. Elle n’ajouta aucun autre commentaire à cette remarque teintée d’ironie. Elle détestait lorsque son frère se montrait surprotecteur étouffant avec elle alors elle ne comptait pas agir de la même manière avec lui. Elle aurait pourtant voulu lui dire d’être prudent, de ne pas brûler les étapes. Son comportement n’avait rien de raisonnable et il ne devait pas jouer avec sa santé fragile mais elle se contenta de jeter un regard entendu à Katrine. Elle était surement la seule à pouvoir faire entendre raison à Urban alors Blair s’en remettait à elle… même si leur frère semblait désireux de changer de sujet. Elle voyait bien qu’il ne souhaitait pas s’étendre sur son cas et qu’il essayait d’esquiver en questionnant de nouveau Katrine sur son rendez-vous professionnel.

Pour être honnête, Blair aurait surement utilisé la même parade tant elle exécrait l’idée d’être prise en faute -Technique de Serpy- et  elle se demandait si Kat allait se laisser entrainer sur ce terrain là  ou tenter d’en savoir davantage sur l’état de santé véritable de leur frère…

Parfois Blair avait l’impression de ne jamais dire ce qu’il fallait. Pas les bons mots, ni le bon timing. Elle s’était fendue d’une simple petite remarque ironique, à priori anodine, mais qui blessa Urban bien plus que ce qu’elle ne l’aurait crue. Leur frère était habituellement très  secret sur ce qu’il pouvait ressentir et il cherchait toujours à préserver ses frères et sœurs. Il s’obstinait souvent à faire passer le bonheur de la fratrie avant le sien mais  il ne chercha pas cette fois à masquer toute l’étendue de son mal être.

"Mais vous pouvez pas comprendre. C'est pas à vous qu'on a enlevé sa raison d'exister."


Blair échangea un bref regard inquiet avec Katrine, brusquement alarmée par la tournure tragique de la situation. Même si elle ne faisait cas de rien, l’adolescente savait que son frère était ressorti très  fragilisé de son accident. Il avait toujours été ce garçon timide –bien plus qu’elle- et parfois même un peu gauche mais elle ne l’avait jamais entendu tenir des propos si… sinistres.  Les deux sœurs s’empressèrent de réagir, chacune à leur manière. Katrine commanda une douceur sucrée et étendit le bras par-dessus la table pour presser la main d’Urban et Blair commença à se ronger l’ongle du pouce visiblement anxieuse.

Il y avait des comportements qu’elle n’aimait pas voir changer et le caractère habituellement calme et posé de son frère lui apportait la stabilité dont elle avait besoin. Elle aimait se dire que les siens seraient toujours là pour elles, solides comme des rocs. Immuables. Elle était elle-même assez emportée dans la vie – pour ne pas dire très impulsive- et elle éprouvait un certain réconfort au contact de personnes  comme Urban dont la patience, l’optimisme et la constance n’était plus à prouver.

Aussi, lorsqu’elle le vit, les yeux brillants de larmes,  prendre sa tête entre ses mains sous le coup d’un désespoir qu’elle ne lui connaissait pas elle se sentit submerger par une vague d’angoisse. Elle ne voulait pas voir ça, ni accroitre le malaise de son frère.

L’adolescente eut un nouveau regard pour Kat et glissa finalement de la banquette pour venir s’installer à côté d’Urban qu’elle attrapa entre ses bras. Elle posa sa joue tout contre son omoplate et le serra fort. Elle ne parvenait pas à faire le tour de sa stature avec ses petits bras mais ce n’était pas si grave, elle voulait juste qu’il aille mieux et qu’elle retrouve son grand frère qui tolérait en soupirant tous ses écarts de comportements.

Blair consentit finalement  à relâcher son étreinte lorsque la serveuse déposa une tarte devant Urban. Ce dernier commença à la picorer tout en écoutant les explications de Katrine à propos de sa rencontre avec Sheba Twilfit. Bien qu’elle soit particulièrement fière du projet de sa sœur, Blair ne parvenait pas totalement à s’enthousiasmer pour elle. La détresse d’Urban l’avait profondément déstabilisée et elle n’avait plus vraiment le cœur à l’allégresse.

Elle se promit d’aborder ce sujet avec Katrine, en tête à tête. Le comportement de leur frère  était inquiétant. Elle pouvait comprendre qu’il veuille reprendre l’entrainement et éprouver ses limites mais il se mettait réellement en danger en brulant sciemment les étapes. Non seulement il prenait des risques inconsidérés mais, en plus, il semblait particulièrement déprimé en ce moment.
Se sentait-il seul ? Blair le croyait en tout cas. Elle aurait aimé le voir plus entouré -voir même accompagné dans la vie par une compagne ou un compagnon - et elle savait, pour en avoir discuté à de maintes reprises avec elle, que  Katrine partageait son avis.

Blair continua de surveiller son frère du coin de l’œil, guettant les expressions de son visage à intervalles réguliers comme si elle craignait de voir une nouvelle fois le vernis se fissurer mais  Urban semblait avoir retrouvé le sourire grâce aux exploits de Katrine, évidemment. Elle était incontestablement celle qui savait le mieux composer avec lui et lui montrer à quel point il était important pour elle, voir même indispensable dans sa vie.

Urban a dit que je devrais quand même le faire, que ce serait dommage de ne pas en profiter… Et il avait raison.

Blair esquissa un sourire, à la fois rassérénée et un peu jalouse de cette complicité entre eux.  Elle appuya son visage entre ses mains jointes et les observa un instant tandis qu’ils se souriaient en échangeant une pression de la main. Elle ne chercha pas à interrompre ce moment en attirant l’attention sur elle et attendit même en silence qu’ils aient terminé pour féliciter son entrepreneuse de sœur à son tour.

«Je suis tellement fière que Girlboss soit enfin lancé, que Sheba Twilfit ait accepté d’être la marraine du programme , et qu’en plus, comme si cela ne suffisait pas, que  tu te payes  le luxe d’exposer  tes créations sur le Chemin de Traverse au passage! Blair tendit la main au dessus de la table pour que Katrine la tope.  Compte sur moi pour te trouver des mannequins. Je peux demander à Moreen si tu veux. »

Car oui, elle tenait absolument à aider sa sœur mais certainement pas en posant comme modèle. Déjà, elle n’avait pas la patience pour rester immobile pendant des heures et ensuite, elle ne correspondait pas tout à fait aux canons de beauté actuels avec  ses gros bras de camionneuse. Elle bougea légèrement sur son siège, subitement encombrée par la conscience de ses épaules développées et de ses biceps dessinés mais elle chassa ses complexes à grand renfort de bavardages :
« Je peux aussi m’occuper du maquillage et des coiffures. Tu sais combien j’adore tresser les cheveux d’Urban ! S’exclama-t-elle en coulant un regard vers son frère qu’elle avait maintes fois maitrisé avec ses tests de tresses africaines,  Quand est-ce que tu comptes faire le shooting ? Ce serait bien pendant les vacances comme ça je pourr… »
« Excusez moi de vous déranger. »
Blair fronça les sourcils. Qui osait l’interrompre  en plein récit voyons ? Elle leva les yeux sur la belle jeune femme qui venait de s’arrêter tout près de leur table  et qui scrutait son frère avec insistance.
« Vous êtes Urban Williams de la Team, n’est-ce pas ? »
« Oui c’est lui. » s’empressa de répondre Blair. Ben quoi ? Urban allait encore bégayer pendant deux heures si elle le laissait répondre tout seul. Pour une fois qu’une femme s’intéressait ouvertement à lui, Blair l’entremetteuse ne comptait pas laisser passer l’occasion.
« Florence Everton Redactrice en chef chez Quidditch Mag, enchaina la journaliste en tendant une main en direction de l’ancien batteur. Je tenais à vous dire que j’ai beaucoup apprécié votre dernier papier sur la gestion du club des Harpies. »
Blair tourna ostensiblement son visage en direction de son frère, guettant sa réaction et attendant sa réponse. Elle espérait qu’il allait trouver un truc intéressant à dire à cette jolie consœur qui venait de louer la qualité de son travail.

« Enfin, je tenais juste à vous saluer, ajouta-t-elle en lissant une mèche de cheveux derrière son oreille,  Je ne veux pas vous déranger avec vos amies… »
Blair étendit la jambe sous la table pour donner un puissant coup de pieds dans le tibia de Katrine. Elle avait fait sa part du job, c’était à sa soeur de jouer maintenant…

Florence Everton? La Florence Everton du Quidditch Mag ? Celle-là même ! Etait-il encore utile de la présenter ? Elle avait repris les rênes du célèbre magazine spécialisé deux ans plus tôt et avait marqué de sa plume la ligne éditoriale du mensuel. Le magazine était connu pour ses dossiers thématiques complets, ses enquêtes impartiales et ses interviews sans concession.
Si la Team était le journal de référence pour tous les amateurs de sport du pays, Quidditch Mag restait l’hebdomadaire le plus prisé des fans du jeu à quatre balles.

Blair fût donc ravie de voir la rédactrice en chef accepter l’invitation de Katrine et rejoindre leur table. L’adolescente se présenta et lui serra la main par-dessus la part de tarte au citron d’Urban  «  Moi aussi je joue au quidditch. » ajouta-t-elle, l’air de rien.

« Oh, vraiment ? » répondit Florence plus par politesse que par réel intérêt. D’ailleurs, elle écourta assez rapidement cette tentative de conversation puisqu’elle préféra répondre à la question de Katrine.

« Plusieurs années, oui. J’ai même brièvement rencontré votre frère à sa sortie de Poudlard, elle coula un regard en direction d’Urban, A l’époque j’étais correspondante à la Selección, le journal espagnol, et j’écrivais un article sur les étoiles montantes du quidditch européen. Vous veniez de signer à Fichucastel, c’était votre première conférence de presse. »
Florence semblait garder un bon souvenir de cette brève  rencontre mais Blair jeta un regard inquiet en direction de son frère. Elle craignait que la mention de son passé de joueur ne ravive ses récents tourments mais il n’en fut rien. Bien au contraire. Urban, en bon professionnel, préféra rebondir sur la ligne éditoriale de Quidditch Mag et loua la qualité du dossier thématique de mars sur les arbitres nationaux et internationaux.
« Oui, moi aussi je l’ai lu ! Je l’ai trouvé super intéressant ! » Approuva vivement Blair en secouant la tête. Elle ne pouvait pas s’empêcher de participer à cette conversation qui l’intéressait fortement.
"J'imagine que vous êtes là pour la nouvelle équipe de l'île ?" s’enquit toutefois son frère, le regard brillant d’intérêt pour Florence. Il se pencha au dessus de la table et la rédactrice l’imita aussitôt.
« Et j’imagine que vous aussi. » répondit sa consoeur avec exactement la même expression que lui.

Oh,oh,oh.  Blair écarquilla les yeux et tourna lentement la tête pour croiser le regard de sa sœur. *Est-ce que tu vois ce que je vois ? * semblait dire ses grands yeux verts et son demi-sourire à peine perceptible.

Urban était lancé. Dès qu’il était question de quidditch, sa timidité légendaire s’envolait pour laisser parler sa passion avec une assurance qui lui était peu coutumière mais qui lui allait terriblement bien.  Il ne semblait jamais aussi à l’aise que lorsqu’il parlait de son sport préféré et, en bon journaliste, il inonda de questions cette chère Florence qui se fendit d’un léger rire.

« D’habitude c’est moi qui pose les questions monsieur Williams ! »

Ils travaillaient dans des journaux concurrents et Florence semblait hésiter à l’idée de partager son expertise avec un autre rédacteur. Elle dodelina de la tête, esquissa un léger sourire et leva la main entre Urban et elle.
« Bon. Ce que je m’apprête à vous dire c’est du Off, d’accord ? Elle ne tenait visiblement pas à être citée dans un autre magazine que le sien, Le recrutement de Fitzgérald est prometteur, c’est vrai, il a su trouver l’équilibre entre joueurs expérimentés et jeunes pousses mais je nourris tout de même quelques doutes concernant la viabilité de cette nouvelle équipe. Florence accrocha le regard d’Urban, Ne me dites pas que vous n’avez pas remarqué, vous connaissez Herman mieux que moi ! Fitzgerald et Jean-Michel Aulus, le dirigeant du club, n’ont absolument pas les mêmes objectifs pour la saison. Herman veut roder son équipe, lui faire gagner en confiance alors que Aulus vise ouvertement la LEQ dès la première année de vie de club. »
« L’un n’empêche pas l’autre, non ? » s’enquit Blair en adoptant la même posture volontaire que les deux passionnés.  Elle les regarda tour à tour, attendant fébrilement leur avis sur la question,  avant de reporter son attention sur Katrine.
Ah oui. C’est vrai. Blair  avait oublié qu’elle devait (un peu) se faire oublier. Mais la conversation était siii intéressante ! Comment ne pas participer ?  Elle afficha une petite moue triste avant de consentir à mettre en branle la stratégie silencieuse qu’elle avait cru deviner dans le regard de sa sœur.
« Je vais commander à boire. Vous voulez quelque chose Mme Seigal ? » souffla-t-elle en se levant à contre cœur. Qu’est-ce qu’elle ne ferait pas pour donner un coup de pouce à la vie amoureuse de son frère !
«  Pourquoi pas, oui. Un jus de tomate s’il vous plait. Et appelez-moi Florence. »
« Un jus pour Florence, nota l’adolescente avant de se tourner vers son ainé, Urban ? » Elle attendit que son frère lui passe commande avant de demander à sa sœur, Kat, tu peux m’aider à porter les verres, s’il te plait ? Son regard se posa de nouveau sur la rédactrice en chef de quidditch Mag, Je ne peux pas encore faire léviter les objets en dehors de Poudlard. J’aurais 17 ans dans cinq mois. Le 07 septembre. Silence. Je vous ai dit que j’étais  batteuse dans mon équipe ? »
Incorrigible Blair.

Florence écouta attentivement l’analyse de son confrère, curieuse d’avoir son avis sur la question. Urban Williams ne venait pas du journalisme, contrairement à elle, puisqu’il avait engagé sa reconversion après son accident de quidditch. Sa vision des choses différait légèrement de la sienne. Il connaissait l’entraineur des fléreurs personnellement si bien qu’il avait peut-être eu accès à des informations qu’Herman gardait exclusivement pour ses amis. En tout cas, Urban avait l’air de croire en cette nouvelle équipe mais Florence ne pouvait pas s’empêcher de douter de son objectivité sur cette question. Tout le monde savait dans le milieu qu’Herman avait été très chagriné par l’accident de son poulain et qu’Urban entretenait encore d’excellents rapports avec lui. Difficile de mettre l’affect de côté dans ces conditions.

"Cela dit, je peux me tromper. Mais jusqu'à présent la plupart de mes prédictions se sont réalisées."

Florence leva les yeux au ciel devant cette remarque teintée d’arrogance. Elle esquissa un vague sourire amusée avant de répondre.

« Vous êtes un prédicateur Urban ?  Je préfère me voir comme une analyste. Et d’après les données que je possède, je peux vous dire que non seulement les fléreurs ne joueront pas le LEQ l’année prochaine mais qu’en plus Herman et Aulus vont se livrer à une petite guéguerre de communication totalement contreproductive. Croyez moi, je sens ses choses là, elle tapota le bout de son nez fin de la pointe de son index, On verra lequel de nous deux a eu raison à la fin de la saison. » Le rendez-vous était pris pour un débriefing en règle.

Pour Florence, le regard purement journalistique des ex-joueurs de quidditch pouvait être altéré par leurs anciennes  amitiés mais elle devait admettre que  ces relations privilégiées s’avéraient parfois particulièrement utiles. Urban ne tarda pas à en faire la démonstration d’ailleurs. Il avait décroché un scoop qu’il était prêt à partager avec elle, sous certaines conditions.

"Je peux vous faire confiance pour garder le secret jusqu'à ce qu'elle fasse l'annonce elle-même n'est-ce pas ?"

« Evidemment. » répondit Florence.
A partir du moment où le mot « Off » avait été prononcé dans leur conversation, Florence s’était engagée à respecter cette condition. Les journalistes échangeaient souvent entre eux et ceux qui ne respectaient pas cet accord tacite étaient vite évincés des conversations. Urban n’était pas connu pour être un dissident, et elle non plus.
Son regard s’anima d’intérêt  lorsqu’Urban lui dévoila son scoop au sujet de Gwenog Jones. Non seulement la batteuse allait mettre un terme à sa carrière mais elle  allait devenir la nouvelle entraineur des Harpies.
« Vraiment ? Dans la foulée  et sans transition ? » Un exercice difficile que de passer du statut de  coéquipère à  celui de coach. Toutefois la journaliste ne doutait pas des compétences de  Gwenog. Elle imposait le respect au sein de son groupe.

Florence imaginait déjà le numéro spécial de Quidditch Mag suivant cette annonce. Le dossier retraçant l’incroyable carrière de la joueuse, des extraits d’entretiens passés, des photos d’archives… Elle avait même déjà la couverture en tête. Une « Une » à contrecourant. Elle était prête à parier que les journaux allaient faire leurs couvertures avec une photo de Gwenog dans sa prime jeunesse, jugée fièrement sur son balai mais son magasine allait se démarquer. Florence avait su s’entourer de jeunes talents chez Quidditch Mag et elle avait en tête le cliché parfait, capturé quelques mois plus tôt par Candice, une jeune photographe free-lance avec laquelle elle aimait travailler. Un portrait noir et banc en gros plan, saisi juste après un match long et fastidieux remporté par les Harpies. Gwenog couverte de transpiration, les cheveux collés sur son visage, le visage creusé, les rides marquées mais le regard franc et résolu transperçant l’objectif. Une photo fascinante.

« Merci pour le scoop… J’attendrais que l’annonce soit faite pour sortir le numéro de Quidditch Mag qui va battre tous les records de vente au sujet de la reconversion de Jones. Elle esquissa un sourire confiant  en écho au rictus arrogant qu’Urban avait eu précédemment, Avec un peu de chance, vous aurez droit à une double page sur le sujet dans la Team. » Ajouta-t-elle un brin piquante.

Si La Team était le journal sportif par excellence, Quidditch Mag restait de loin l’hebdomadaire le plus spécialisé. D’ailleurs, l’heure était venue pour Florence de se lancer. Elle avait accosté Urban dans ce bar pour une raison bien précise et les quelques mots qu’ils avaient échangés venaient de la conforter dans sa décision…

« Vous savez Urban,  je cherche des journalistes pour enrichir ma rédaction et je ne vais pas vous cacher que votre profil m’intéresse. Il avait le réseau, la finesse d’analyse et le talent d’écriture, J’aimerais beaucoup que vous veniez visiter nos locaux et rencontrer les membres de l’équipe. Elle ouvrit son sac à main et en sortit sa carte de visite qu’elle fit glisser sur la table, Vous n’êtes pas obligé de me donner une réponse  tout de suite mais n’hésitez pas à m’appeler . Même si c’est pour me dire non.» Elle assortit cette dernière phrase d’un vague sourire. Elle n’était pas contre l’idée de recevoir un message de sa part… quel qu’il soit.



Blair s’était accoudée sur le comptoir et observait d’un regard envieux Urban et Florence, une moue tombante aux lèvres. La rédactrice de Quidditch Mag était à quelques mètres d’elle et elle ne pouvait absolument rien tenter pour l’approcher.

« Tu penses qu’ils parlent de moi ? » s’enquit-elle sans quitter des yeux les deux journalistes dont elle ne pouvait pas entendre les mots de là où elle était située.

« Est-ce que votre sœur est aussi talentueuse que vous ? » dit-elle en calquant ses paroles sur les lèvres mouvantes de Florence, comme si la rédactrice en chef parlait d’elle.
« Elle l’est encore plus que moi ! » fit-elle répondre à Urban avec une grosse voix masculine.
« Vraiment, croyez vous qu’elle soit disponible pour une interview ? »
« Je ne sais pas, Blair est très prise en ce moment, entre ses cours et les nombreuses activités qu’elle mène de front. »
« Je peux l’interviewer durant un intercours. Entre Potions et Sortilèges par exemple. Oh, s’il vos plait Urban. Organisez moi cet entretien avec la future star du quiddtich anglais ! Je veux être la première à l’interviewer !»

L’adolescente poussa un long soupir, remisant ce doux rêve dans un coin de son cerveau. Les interviews et autre joyeusetés allaient devoir attendre encore quelques années.

"Désolée Blairounette. Mais on devait saisir cette occasion, si on laisse Urban se débrouiller tout seul il finira sa vie célibataire."

Blair reporta son attention sur sa sœur avant d’admettre. « C’est vrai. Tu as raison. » Leur grand frère était presque un cas désespéré, elles devaient s’allier entre sœurs pour lui donner un petit coup de pouce. «  C’est fou quand même qu’il ne trouve personne. » reprit-elle alors en secouant la tête. Elle ne se souvenait pas d’avoir vu son frère en galante compagnie ne serait-ce qu’une seule fois.  « C’est le plus gentil de nous tous – sous entendu, des enfants Williams. Oui Blair avait un classement dans sa tête et son frère et elle se tenaient chacun à une extrémité de cette liste- Je trouve ça incroyable que personne ne se rende compte à quel point il ferait un mec parfait. » Elle haussa vaguement  les épaules avant d’exposer son analyse à sa sœur pour expliquer le célibat de leur frère: «  Tu sais, je crois que certaines personnes aiment la difficulté dans leur relations. Elles ne veulent pas de quelqu’un de trop gentil, ni de trop serviable, ni même de trop amoureux… Elle grimaça, consciente de l’incongruité de ses propos, Tu vois ce que je veux dire ? » Blair ne savait pas vraiment comment formuler ce drôle de constat mais elle se classait très clairement dans cette catégorie de personne. Elle n’aimait pas la facilité en général que ce soit dans les relations humaines ou dans ses choix de vie. Sinon, elle n’aurait jamais envisagé de devenir une batteuse excellente avec son gabarit de lilliputienne.

« Et puis, il ne va pas fort en ce moment, ça n’aide pas. » reprit-elle, soucieuse. Tu as vu tout à l’heure ?  J’ai bien cru qu’il allait se mettre à pleurer. Elle frissonna malgré elle, Je déteste le voir comme ça. » Deviner ses failles, son trouble et son mal être.

Elle reporta son attention sur son frère toujours assis en face de Florence. Il semblait aller bien mieux en compagnie de sa consœur.  Leurs visages s’étaient rapprochés au dessus de la table et l’échange semblait fluide entre eux. Urban arborait même un sourire aussi complice que mutin. «  Je le préfère ainsi. »  Blair esquissa un vague sourire moqueur  avant de se lancer dans un nouveau doublage de son cru.

« Florence, vos yeux sont aussi brillants qu’un vif d’or. Quand je vous vois mon cœur fait un plongeon d'Orazio. » L’adolescente pouffa de rire avant de s’arrêter subitement. La rédactrice fouillait dans son sac. « Aaahhh ? »  Blair s’approcha tout près de sa sœur pour attraper son bras sans quitter des yeux la scène qui se jouait un peu plus loin. « Wait…wait… Gniiiiiiiiii ! » chuchota-elle en sautillant sur place, visiblement surexcitée. Florence  venait de tendre sa carte à Urban « Oh Katrine ! Ca marche ! » Elle secoua légèrement sa sœur, On est les reines de l’entremise ! »
Les déesses même ! Les sœurs Williams étaient de véritables petits cupidons en herbe.
« Trop. Fortes. »
L’adolescente s’installa face au zinc en arborant l’air mi-blasé mi-serein des plus grands experts.  Même si le barman venait de déposer les boissons sur le comptoir, elle ne comptait pas apporter son jus de tomate à Florence tout de suite.
"Et toi alors ? s'enquit-subitement Katrine en se rapprochant d’elle. Personne en vue en ce moment ?"
Ah.
La question.
Immédiatement, une silhouette bien connue se matérialisa dans l’esprit de Blair. Un teint halé, des yeux sombres, un pull taché de pollen,… le tout auréolé d’une ridicule lueur divine. Merlin. Ce qu’elle pouvait s’agacer elle-même ! Pourquoi cet idiot d’Adrian Calder lui venait il à l’esprit lorsqu’on lui demandait si elle avait un crush actuellement ?
Elle aurait voulu se donner des baffes mais au lieu de ça  elle préféra répondre avec détachement :

« Pas vraiment le temps pour ça. Entre le quidditch, les cours et tout le reste – sous entendu : la résistance, le club de jeu de rôle, le club des arts, et  l’OFFRE - je vois pas comment je pourrais caser quelqu’un là-dedans. Elle se tourna vers sa sœur et consentit à se montrer un peu plus honnête toutefois, Et puis, le souci ce n’est pas de rencontrer des gens, je fréquente plein de monde, mais je trouve ça difficile de trouver quelqu’un qui me corresponde. Une personne qu’elle supporterait et qui la supporterait en retour. Merlin seul savait à quel point cette tache pouvait s’avérer compliquée. L’adolescente haussa faiblement les épaules, un peu résignée,  avant de retourner sa question à sa sœur.
« Et toi alors ? Tu es toujours avec..heu…comment il s’appelait déjà ? » Katrine avait la fâcheuse tendance à se lasser très vite de ses conquête et Blair devait avouer qu’elle avait un peu de mal à suivre…

Florence masqua son étonnement lorsqu’Urban ne se donna même pas la peine de réfléchir à sa proposition. Une offre d’emploi dans une revue spécialisée comme Quidditch Mag n’était pas le genre de  proposition que l’on déclinait facilement lorsque l’on était journaliste sportif. Si la rédactrice fut quelque peu déçue par son refus immédiat, elle n’en laissa rien paraitre. Au contraire, elle préféra rebondir sur les derniers mots du jeune homme qui ne fermait pas complètement la porte à une collaboration future.

« Si j’ai encore besoin d’étoffer mon équipe dans quatre mois, je n’hésiterai pas, dit-elle avec un large sourire. Il n’était pas le seul à savoir se faire désirer après tout, Vous avez d’autres projets dans l’immédiat ? » ne put-elle s’empêcher de demander.

Si Urban souhaitait qu’elle le relance plus tard dans l’année, il avait surement une bonne raison. Etait-il en ballottage avec un autre candidat pour  une promotion chez la Team ?  Florence avait entendu dire que le journal concurrent  cherchait un nouveau responsable des publications  pour la section « Vol sur Balai », peut-être qu’Urban s’était positionné…

Quoiqu’il en soit, son nouveau projet semblait clair et défini. Il ne changerait pas d’avis aujourd’hui. Elle pouvait le deviner à travers sa moue désolée et  dans sa manière d’éluder la question et de conduire la conversation vers un sujet moins personnel. Tout en douceur. Florence retint un sourire et n’insista pas pour une fois, elle qui était pourtant connue pour être une redoutable intervieweuse. Elle n’avait pas envie de le mettre dans l’embarras, et puis,  elle aimait bien le calme qu’il dégageait  et cette profonde gentillesse qui émanait de lui.

Pourtant, elle avait appris à se méfier lors de ses dates Tindersurprise.  Une attitude agréable, un sourire charmeur et des louanges pouvaient enrober une âme noire et perfide.   Toutefois les compliments d’Urban ventant ses qualités d’écriture résonnaient différemment aux oreilles de Florence.  Pour une fois, elle avait envie de croire à ses belles paroles plutôt que de se dire qu’elle était tombée, comme souvent,  sur le pire des flagorneurs du monde magique. En effet, Urban avait l’air dénué de toute arrière-pensée.

Il risqua d’ailleurs un regard en direction de ses sœurs, comme s’il était impatient de les retrouver enfin...


« Pedro. »
« Mais oui ! s’exclama Blair en frappant son front du plat de la main. Pedro, Comment avait-elle fait pour oublier ? Pedro, beaux pectoraux. C’était le petit surnom que Mia et elle avaient donné à la dernière conquête de leur sœur lorsque Katrine leur avait montré une photo du jeune homme moulé dans un tee-shirt qui ne laissait pas de place à l’imagination.

« Pourquoi ça n’a pas collé ? » s’enquit Blair en pressentant toutefois la réponse.

Si Urban avait beaucoup de mal à trouver quelqu’un, Katrine n’avait jamais eu de difficultés sur ce plan là. Blair ne comptait plus le nombre de conquêtes qu’avait eues sa grande sœur. Si Katrine trouvait facilement potion à son chaudron elle avait toutefois beaucoup de mal à conserver une relation dans la durée. Il faut dire que, comme Blair, elle avait un quotidien bien rempli et qu’elle ne comptait pas vouer sa vie entière à un homme. Merci bien, les femmes du XXIème siècle avaient d’autres aspirations, aspirations que ce cher Pedro n’avait semble-t-il pas vraiment compris.

« Je suis désolée pour toi que ça n’ait pas marché, souffla Blair avec une petite moue triste. Elle posa brièvement sa tête sur l’épaule de sa sœur avant de reprendre d’un ton plus énergique, mais s’il était trop pressant tu as eu raison de t’en débarrasser ! Après tout, on n’a pas forcément besoin d’hommes dans nos vies, on se débrouille très bien toutes seules  d’abord ! »

La jeune fille leva son verre pour trinquer avec sa sœur. Blair ne tenait pas de tels propos féministes pour remonter le moral de son ainée – elle le pensait sincèrement.  Une femme pouvait tout à fait être épanouie et heureuse  sans un homme dans son quotidien. Katrine approuva d’ailleurs  sa vision des choses puisqu’elle affirma avoir besoin de rester célibataire quelque temps.
Sage décision mais Blair pinça les lèvres et fit taire la petite voix mesquine dans sa tête qui lui soufflait (ou plutôt  criait) « ON SAIT TRES BIEN QU’ELLE N'Y ARRIVERA PAS ! ».En effet, si Katrine ne restait pas en couple très longtemps, elle détestait encore plus être seule.
Mais plutôt que de verbaliser son intuition, Blair préféra encourager sa sœur dans son entreprise vaine.

« Excellente idée ! Prends un peu de temps pour toi. Fini les Pedros qui veulent que tu leurs repasses leurs slips ! » Non mais.

L’adolescente risqua un regard par-dessus son épaule pour vérifier si Urban et Florence allaient justement bientôt entamer ce genre de relation mais elle capta le regard des deux apprentis tourtereaux posés droits sur elles. Oups, prises en flagrant délit en train de siroter tranquillement un verre au comptoir !  Blair esquissa un petit sourire mal à l’aise et brandit le jus de tomate au dessus de sa tête.

« C’est bon, il est prêt ! » Elle croisa le regard de Katrine et sauta littéralement du tabouret haut sur lequel elle s’était installée pour rejoindre son frère et son amie d’une démarche sautillante.

« Un jus de tomate pour Florence, un thé glacé pour moi-même et rien pour mon cher frère. » énuméra-t-elle en se glissant sur la banquette à côté d’Urban. Elle lui adressa d’ailleurs un sourire qui n’augurait rien de bon pour Urby. Ses entremetteuses de sœurs étaient de retour dans le game.

Florence -qui était à mille lieu d'imaginer ce qui se jouait entre les différents membres de la fratrie- se fendit alors d'un commentaire.

"Qu'est-ce que vous ressemblez tous les trois, c'est saisissant." Elle s'accouda dans sa paume et chercha le regard d'Urban puis de Katrine, Vous êtes jumeaux ?"

Florence n’était pas la première à penser qu’Urban et Katrine étaient des jumeaux. Non seulement ils se ressemblaient énormément physiquement mais ils étaient également très proches l’un de l’autre, et ce depuis toujours. La relation que Blair entretenait avec son frère était un peu plus conflictuelle et teintée d’agacement mutuel. Elle avait parfois du mal à trouver sa place auprès d’Urban qui se montrait trop protecteur avec elle ou qui la jugeait puérile. S’il considérait Katrine comme son égale, Blair voyait bien qu’il avait encore des difficultés à la voir comme une adulte à part entière. Dans le regard de son frère, elle était encore trop souvent  la petite Blair, impatiente et capricieuse ou celle qu’il devait mettre en garde contre les dangers de l’existence quand il se contentait d’être charmant avec Katrine…

D’ailleurs, Blair les observa tour à tour tandis qu’ils répondaient à la question de Florence en suivant une mécanique bien rodée entre eux, faite de réponses parfaitement complémentaires -Si Katrine était la plus vieille, Urban restait le plus grand- et de regards complices trahissant leur évidente proximité.  Blair esquissa un léger sourire avant de s’appuyer dans la paume de sa main, consciente d’être comme Florence, une simple spectatrice de leur duo de charme. Elle n’en faisait pas une affaire personnelle, pour en avoir discuté avec Ole, elle savait que ce ressenti était partagé par les autres membres de la fratrie. Katrine et Urban avaient grandi ensemble, leur degré d’intimité ne connaissait pas d’égal au sein de la famille.

« J’ai un petit frère également, révéla Florence en réponse à la question de Katrine, Et il est aussi plus grand que moi en taille, avoua-t-elle avec une légère moue, sauf lorsque  je mets des talons. Elle but une gorgée de jus de tomate et chercha le regard de ses consœurs féminines, Je vous laisse deviner d’où vient ma passion pour les escarpins. »

Blair laissa échapper un éclat de rire. Elle aimait bien Florence, elle était rigolote. L’adolescente aurait bien tenté le même subterfuge pour dépasser Urban mais elle allait sans nul doute devoir opter pour une paire d’échasses plutôt que pour des Loutoubins.

« Votre frère travaille aussi dans le milieu du quidditch? » s’enquit l’adolescente. Oui, elle n’était guère plus inventive qu’Urban quand il s’agissait de trouver des sujets de conversation.
« Oh non absolument pas. Malory a le quidditch en horreur. Il est agent-comptable au Ministère. »
«Ah, souffla Blair sans chercher à cacher sa déception.  Comment pouvait-on décemment détester le quidditch ? Elle voulait bien croire que ce sport laisse certaines personnes indifférentes – à la rigueur- mais de là à le haïr ? Ce Malory ne devait pas être humain, assurément.

Heureusement, si Florence le désirait, elle pouvait partager sa passion avec Urban, et même, bien plus encore... L’adolescente retint un sourire coquin et observa tour à tour son journaliste de frère et sa collègue.

« Et sinon, vous êtes mariée ? » s’enquit-elle de but en blanc.
Florence parut un peu surprise.
« Pardon ? »
« Est-ce que vous êtes mariée ? » répéta Blair, ses pupilles vertes braquées sur Florence,  ignorant volontairement son frère et sa sœur à la périphérie de son champs de vision. Elle ne tenait pas à croiser d’éventuels regards réprobateurs même si elle était persuadée que la réponse intéressait tout le monde autour de cette table.

« Euh…Non. Pourquoi cette question ? »

Blair haussa les épaules. «  Juste comme ça. Pour faire la conversation.  Katrine vous demande si vous avez un frère, moi,  si vous avez un mari. » expliqua-telle avec une candeur et un détachement parfaitement feints. Elle porta la paille de sa boisson à sa bouche et but quelques gorgées délicieuses.

« Et bien non. Pas de mari. » Un bruit de vibreur étouffé  retentit alors et Florence fouilla dans son sac à main posé sur la banquette. Elle sortit son Pear et se leva prestement de table, Excusez moi, j’en ai pour une minute, dit-elle à leur attention avant de s’éloigner en direction des grandes baies vitrées pour décrocher.

L’expression faussement candide de Blair se mua subitement en une mimique nettement plus fourbe. Son sourire s’agrandit inexorablement tandis qu’elle tendait le poing fermé  devant elle pour checker sa sœur ainée par-dessus la table.
« Elle est libre comme l’air. Blair se tourna vers son frère, Vas-y Urby. Fonce ! »