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Secret médical [OS Marlene & Eiluned]

Eiluned Wellington
Eiluned WellingtonMédicomage
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Profil Académie Waverly
Secret médical [OS Marlene & Eiluned] Icon_minitimeLun 20 Juil 2020 - 22:55
26 février 2011

A l’hôpital, il y avait toujours une agitation particulière, propre à ces structures qui ne dormaient jamais. A n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, on trouvait les mêmes éléments immuables : des infirmières aux chaussures en plastique qui s’affairaient dans les couloirs et dans les chambres, des médicomages qui discutaient entre eux, souvent à voix-basse, des brancardiers qui parcouraient les services en poussant des lits à roulettes, des familles inquiètes, accoudées contre le comptoir de la réception. L’hôpital était un lieu anxiogène pour beaucoup, mais Eiluned avait toujours aimé s’y rendre tous les matins, et y passer de longues nuits. Maintenant qu’elle était en dernière année, c’était encore plus simple pour elle, parce qu’elle avait de moins en moins ces craintes liées à un manque de savoir. Elle pouvait réaliser certains soins sans même réfléchir, avec l’habitude de celle qui les avait exécutés des centaines de fois auparavant, et c’était terriblement rassurant pour une femme qui avait tendance à manquer de confiance au quotidien. Mais elle n’était plus la même que celle qu’elle était lorsqu’elle avait commencé sa formation. Ses stages – éprouvants, souvent – l’avaient forgé au milieu médical qui n’était pas particulièrement tendre.

Eiluned terminait cette semaine un stage aux urgences de l’hôpital. De tous les services dans lesquels elle avait travaillé, c’était sûrement celui qu’elle préférait. Cela n’avait pas été simple, au début, parce qu’il s’agissait d’un service particulièrement stressant mais, à force d’y revenir, Eiluned avait appris à maîtriser l’adrénaline pour s’en servir comme moteur et non pas comme frein. En outre, les urgences lui évitaient un aspect de la relation avec le patient avec lequel elle n’était pas particulièrement à l’aise – elle l’avait notamment compris lorsqu’elle avait fait un stage en soin palliatif ou même en oncologie pédiatrique. Eiluned appréciait ce contact bref, direct, propre aux urgences, qui lui évitait une relation trop longue avec ses patients dans laquelle elle avait dû mal à trouver sa place.

Elle était un peu déçue de quitter ce service – surtout que sa prochaine affectation était en réanimation néo-natale. Elle se sentait de plus en plus indispensable, et c’était un sentiment qui aurait pu lui tirer une fierté certaine, si son moral n’avait pas été particulièrement miné ces derniers mois par des évènements extérieurs et parfaitement personnels qui ne donnaient pas souvent l’occasion de voir son visage s’éclairer d’un sourire. Depuis sa rupture avec Leonard, Eiluned avait drastiquement maigri, et s’était enfermée dans des habitudes qui n’étaient pas particulièrement saines. Elle travaillait beaucoup, utilisant l’excuse du concours qui l’attendait à la fin de l’année pour allonger ses heures du travail, en dépit de sa santé mentale qu’elle négligeait. Sujette à l’angoisse, la jeune femme avait de plus en plus de mal à ignorer ces examens qui approchaient à grands pas et qui signeraient la fin de ses études.

Elle redoublait d’efforts, à la maison devant ses manuels comme à l’hôpital. Sa garde touchait à sa fin, mais elle n’avait pas été de tout repos ; ils avaient reçu trois urgences vitales et Eiluned avait été détachée entièrement sur l’une d’elle, sans titulaire pour superviser son travail – sensation aussi angoissante que grisante. Son patient s’en était sorti – Merlin merci – mais elle avait dû réaliser de nombreux soins complexes, secondée par Marlene, qui effectuait l’un des stages de son externat dans le même service qu’elle.

Elle avait été heureuse de retrouver sa filleule sur son lieu de stage. Marlene et Eiluned se connaissaient depuis un an environ ; depuis l’entrée de Marlene en médicomagie à vrai dire, lorsqu’on lui avait assigné une marraine et que le choix s’était porté sur Eiluned. Et, à Saint-Mangouste, les liens qu’on tissait dans ce contexte en particulier étaient particulièrement forts ; Eiluned était elle-même très proche de Katlyne, sa propre marraine qui était déjà diplômée depuis quelques années. Cela constituait de véritables petites familles, qui ne cessaient de s’agrandir avec le temps, et des amitiés fortes et profondes se nouaient. Eiluned et Marlene se ressemblaient beaucoup – pas uniquement sur le plan physique, même si on ne cessait de les prendre pour des sœurs – mais avaient surtout de nombreux points communs et des attitudes assez similaires. Elles avaient tout de suite plutôt bien accroché, toutes les deux, et la galloise tentait de la soutenir au mieux dans les examens qu’elle passait – elle-même déjà validé cette partie de son cursus scolaire.

Actuellement, les deux femmes marchaient d’un même pas dans un couloir vidé de présence humaine. Il était trois heures du matin, un calme relatif régnait dans les services. Eiluned et Marlene sortaient d’une salle de pause silencieuse où elles avaient avalé un café et une barre chocolatée. Elles étaient dans un couloir éclairé par un néon blanc et se dirigeaient vers la salle principale des urgences, un peu rassérénées par ce moment suspendu qu’elles s’étaient accordés pour se requinquer. Eiluned ouvrait la bouche pour reprendre leur conversation lorsqu’un mouvement sur sa gauche attira son regard. Elles étaient à un carrefour entre plusieurs couloirs et, au milieu de l’un d’eux, se trouvait la réserve d’une pharmacie. La pièce n’avait qu’une seule entrée ; une large porte grise fermée par un code qui n’était connu que du personnel médical de l’hôpital. L’accès y était très réglementé ; chaque médicomage devait impérativement notifier dans un carnet à l’entrée tous les médicaments qu’il prenait, en quelle quantité, et à quelle heure. Des inventaires étaient réalisés tous les soirs, un peu avant dix-neuf heures, par un pharmacien, qui avait la charge de rapporter n’importe quelle incohérence. En ce moment, elles étaient nombreuses, et cela avait des répercussions drastiques sur l’hôpital, parce qu’ils connaissaient souvent des pénuries de certains types de médicaments et notamment des anti-douleurs – ce qui était particulièrement problématique aux urgences.

Une femme venait de sortir de la pharmacie, au moment où Eiluned et Marlene s’avançaient silencieusement dans le couloir. Les yeux de la jeune femme se posèrent sur elle, captèrent sans même le chercher ce sac blanc qu’elle dissimula sous sa blouse, avant de s’éloigner sans se tarder dans la direction opposée d’un pas pressé. Eiluned marqua un temps d’arrêt, un peu incertaine. Finalement, après plusieurs longues secondes, elle souffla à Marlene :

- Tu as vu ?

**

Marlene étouffa un long bâillement dans son coude. Il était trois heures du matin et la fatigue se faisait sentir, ses épaules étaient tendues, sa nuque un peu douloureuse. Elle avait encore du mal à se faire aux horaires de nuit, elle qui aimait se coucher tôt. Elle avait pris deux tasses de thé pendant sa pause avec sa tutrice Eiluned, afin de se réveiller un peu. Heureusement, aux urgences, elle n’avait pas vraiment le temps de s’endormir. Les gens allaient et venaient toute la nuit, pour des raisons variées. Cela allait du bébé malade, avec une fièvre qui ne tombait pas, à l’étudiant qui avait trop bu et s’était ouvert l’arcade sourcilière en essayant de traverser un mur du métro comme celui de la voie 9 3/4. Mais elle aimait beaucoup cela, elle aimait la diversité des cas, qui lui permettait - à son sens - d’apprendre plus vite. Il fallait toujours s’adapter aux urgences, s’adapter aux cas, aux différents publics rencontrés, aux circonstances particulières parfois. La nuit, on manquait parfois de spécialistes de garde, il fallait apprendre à composer avec. Elle ne savait pas encore quel serait son prochain service, il y avait eu un petit cafouillage au bureau des stages, mais elle était un peu déçue de quitter les urgences.

Elle attrapa l’élastique noir qui enserrait son poignet pour remonter ses cheveux encore blonds en queue de cheval, se préparant mentalement à reprendre sa garde. Elle vit Eiluned se tourner vers elle, ouvrant la bouche pour reprendre leur conversation, mais cette dernière s’interrompit, son regard semblant être attiré un peu plus loin. Marlene se retourna à temps pour apercevoir une silhouette qui sortait de la pharmacie, un baluchon blanc à la main. L’image était surprenante. Ils avaient tous accès à la pharmacie, évidemment, pour aller chercher les traitements nécessaires à leurs patients mais ils ressortaient généralement avec des boites dans les mains, ou bien quelques emballages dans leurs poches, au pire. Jamais de gros sac, qu’ils s’empressaient de dissimuler sous leurs blouses. Immédiatement, elle eut l’impression que quelque chose n’allait pas.

Les vols s’étaient multipliés dans les réserves médicamenteuses de l’hôpital depuis plusieurs mois. C’était véritablement problématique car ils se retrouvaient face à des pénuries, surtout de traitements analgésiques, ce qui les mettait en difficulté pour traiter leurs patients. Elle avait entendu des titulaires en parler, l’hôpital avait toujours fait face à des vols mais ces derniers temps, c’était devenu systémique. La direction avait resserré la vis, les procédures d’accès à la pharmacie étaient renforcées mais contrôler chaque praticien qui prescrivait était trop compliqué. Après de longues secondes de silence, Marlene se tourna vers Eiluned, qui semblait toute aussi interloquée qu’elle. Elle hocha la tête face à sa question, plongeant les mains dans les poches de sa blouse.

- Oui. C’était bien un gros sac de potions, hein ? demanda-t-elle, comme pour infirmer sa vision.

**

- Je crois… Eiluned sentit que son hésitation était bien plus motivée par sa surprise que par une véritable conviction, alors elle reprit : Oui, c’était ça. Un sac qui avait été rangé bien trop précipitamment sous une robe pour ce geste passe inaperçu. Il y a un registre à l’entrée de la pharmacie… Peut-être qu’elle l’a signé en rentrant ? tenta-t-elle, sans vraiment y croire.

**

Eiluned semblait tout aussi mal à l’aise qu’elle. Elle finit par lui confirmer ce qu’elles avaient vu toutes les deux, à savoir qu’un énorme sac de potions venait d’être sorti de la pharmacie puis cachée sous une blouse, ce qui ne semblait pas une attitude normale pour une Médicomage. Honnêtement, Marlene aurait préféré n’avoir rien vu. Elle avait l’impression qu’Eiluned et elle venaient de se mettre dans une situation délicate, quelque chose qu’elles n’avaient pas envie de gérer, qu’elles ne devraient pas avoir à gérer. La mention du registre lui fit hocher la tête. S’il avait été signé, il n’y avait pas de problème. Peut-être qu’elles étaient un peu parano, après tout. Cela faisait des semaines qu’elles entendaient, tout comme le reste du personnel, les consignes de vigilance communiquées par le Ministère de la Magie. Peut-être qu’il n’y avait pas de problème.

- On peut aller voir ! suggéra-t-elle en se forçant à mettre un peu d’entrain dans sa voix. Si ça se trouve, il n’y a aucun problème.

**

Il y avait certaines situations qui annonçaient déjà une fin désagréables, de celles qu’on n’avait pas envie de vivre, ni même d’envisager. Celle à laquelle elles venaient d’être confrontées en faisait partie, et Eiluned fut saisie d’un mauvais pressentiment avant même d’évoquer à Marlene le fameux registre que tous les médicomages devaient signer avant d’entrer dans une des pharmacies de l’hôpital. Oui, comme le disait Marlene, peut-être qu’il n’y avait aucun problème, que tout était en règle. Eiluned l’espérait, du plus profond de son coeur qui s’agitait déjà sous l’angoisse qu’elle n’avait jamais été très apte à gérer. Elle hocha la tête à la proposition de sa filleule :

- Oui, tu as raison. On va aller voir.

Il y avait, dans sa voix, une certaine nervosité qu’elle avait dû mal à dissimuler. Les deux jeunes femmes s’avancèrent dans le couloir désert, éclairé par un néon blanc à toute heure du jour ou de la nuit. Rapidement, elles arrivèrent devant la fameuse porte grise. Eiluned sortit de sa poche son badge d’interne, qui lui donnait accès aux réserves de médicaments. Elle le colla contre un registre, qui accepta de s’ouvrir. Elle fit défiler les pages sous ses doigts, jusqu’à arriver à celle du jour. La dernière signature remontait à une heure du matin, par un médicomage qui travaillait en pédiatrie. Le nom de la femme qu’elles avaient vu sortir quelques minutes plus tôt n’y apparaissait absolument pas ; ni sur cette page, ni sur celle d’avant, ni sur celle d’après.

- Ce n’est pas signé...

**

Marlene avait regardé autour d’elles avant d’entrer dans la pharmacie, comme si elles étaient en train de faire quelque chose d’illégal. Pourtant, elles n’enfreignaient pas les règles, elles ne le faisaient jamais (ou rarement.) Eiluned et elle ne se connaissaient pas encore très bien mais il lui semblait qu’elles partageaient des valeurs communes, notamment celle du respect de la hiérarchie. C’est pour cela qu’elles étaient si mal à l’aise à cet instant : elles sentaient qu’elles mettaient le doigt dans un engrenage désagréable.

Cette impression fut vite vérifiée. Le registre était vierge de la signature qui venait de sortir, il n’y avait rien eu depuis deux heures. Marlene eut un soupir et fit une grimace : ce qui se lisait sur son visage était sans équivoque. Elle trépigna quelque peu, comme si la solution allait leur tomber dessus.

- Qu’est-ce qu’on fait ? On lui court après pour lui dire qu’elle a oublié de signer ? Ou bien on le signale ? On est censées le signaler…

Depuis quelques semaines, les Médicomages avaient reçu des consignes très claires : faire remonter à la hiérarchie toute anomalie, notamment lorsque cela concernait des collègues au comportement douteux. Voler un gros sac de médicaments, ça, c’était très douteux…

**

Eiluned avait senti son coeur rater un battement lorsqu’elle s’était retrouvée face à ce registre vide d’une signature qu’elle désespérait pourtant trouver là. Elle n’aimait pas du tout avoir été témoin de cette scène et encore moins devoir agir en conséquence. Elle se connaissait, elle savait pertinemment qu’elle ne pouvait pas fermer les yeux et oublier ce qu’elle venait de voir - les consignes du ministère leur étaient répétées de trop nombreuses fois dans la journée pour que sa conscience en soit tranquille. Elle connaissait la procédure, elle savait ce qu’elle devait faire et Marlene venait justement de l’exprimer à voix haute ; elles étaient censées signaler cette situation à leur chef de service, et rédiger un rapport qui serait anonymisé. Mais la théorie ne lui avait jamais paru aussi difficile à appliquer et elle prit quelques secondes avant de répondre à Marlene :

- On ne peut pas oublier de remplir ce registre c’est la procédure la plus basique de l’hôpital... argua-t-elle en secouant la tête. Dans une urgence, peut-être, mais la médicomage lui avait paru bien plus effrayée à l’idée de rencontrer quelqu’un à la sortie de cette pièce que prise par l’adrénaline d’une situation d’urgence. On est censées rapporter cet événement au docteur Dahn. annonça-t-elle alors qu’elles quittaient la pharmacie. C’est possiblement un… Un vol. Eiluned ne voulait pas poser de jugement hâtif sur les raisons qui avaient motivé ce fait, parce qu’elles pouvaient être multiples, mais l’acte en lui-même ne changeait pas. Elle hésita une seconde avant de poursuivre : C’est ce qu’on nous demande de faire depuis des mois… Avec tous les vols et les pénuries...

**

Eiluned n’avait pas tort lorsqu’elle disait qu’il était hautement improbable qu’il s’agisse d’un oubli. Ils le faisaient tous machinalement, le registre était placé près de la porte, de manière à ce que ce soit un automatisme. Les médicaments avaient donc été sortis en toute illégalité volontairement, puis dissimulés sous une blouse… Et elles étaient témoins. Elles devaient le reporter, comme le disait Eiluned, à leur supérieur. Elles devaient faire un rapport pour que la Médicomage concernée soit sanctionnée, ou du moins entendue. Plutôt dans le sens inverse, d’ailleurs.

- Je sais, répondit Marlene sur un ton un peu plaintif lorsque sa tutrice lui rappela qu’elles étaient censées le signaler. C’est important, en plus il n’y avait pas qu’une seule potion dans ce sac, c’était vraiment beaucoup mais… Tu penses qu’elle nous a vues ?

Elle n’avait vraiment pas envie que tout cela lui retombe sur le coin du nez.

**

C’était important, Marlene avait raison. On leur répétait souvent à St-Mangouste, l’importance de la transparence dans leur métier. Ils étaient tous médicomages, tous confrontés à des situations difficiles, et c’était pour cela qu’ils devaient pouvoir compter les uns sur les autres. Ces vols répétés à l’hôpital avaient affaibli drastiquement certains services, dont celui des urgences où elle avait été en stage. Ils manquaient de médicaments de première nécessité, d’antidouleurs… Et cela pouvait s'avérer particulièrement dangereux, voire fatal, pour certains patients. Ils devaient composer, dans l’urgence, avec des médicaments de substitution, ou même parfois travailler sans… Eiluned resta un moment silencieuse, puis finit par secouer la tête.

- Non, elle ne nous a pas vu. affirma-t-elle. Elle a directement tourné. Ses doigts triturèrent nerveusement le bas de la manche de son gilet. Ecoute, on doit la signaler. C’est la procédure, ça a été rendu obligatoire par l’hôpital... Par l’hôpital, en qui elle avait confiance, et par le gouvernement, qu’elle croyait également - difficile de faire autrement, avec un frère et un ex-compagnon à la milice, et Llewella qui travaillait au ministère également… Malgré tout, elle ne pouvait s’empêcher de se sentir un peu nerveuse, un peu angoissée, comme toujours. Je vais le faire décida-t-elle d’un ton pourtant un peu incertain. C’est moi ta tutrice, je suis censée pouvoir gérer ce genre de situation.

**

Heureusement qu’elle ne les avait pas vues, songea Marlene. Elle n’avait pas vraiment envie de rendre des comptes, d’être celle qui avait tout rapporté… Elle l’avait déjà assez vécu en tant que Préfète-en-chef à Poudlard. Les gens lui reprochaient de faire appliquer le règlement, comme si c’était sa faute s’ils l’enfreignaient. Si tout le monde respectait les règles, il n’y aurait pas de problème. Elle n’aurait pas à rapporter les problèmes causés par ces mini-vauriens. Pour tout dire, elle n’était pas très à l’aise à l’idée de dénoncer une collègue, surtout qu’on ne connaissait pas les raisons qui l’avaient poussée à voler ces médicaments. Ce n’était pas forcément pour soutenir les mouvements terroristes, comme le craignait le gouvernement… C’était peut-être une addiction ? Ou bien elle allait revenir et noter la sortie sur le registre ? C’était plutôt improbable mais pourquoi pas…

- Je sais, souffla Marlene avec nervosité lorsque Eiluned lui rappela qu’elles avaient le devoir de faire un signalement. Mais tu ne vas pas prendre toute la responsabilité de cela, nous étions toutes les deux à la voir… On peut y aller ensemble si tu veux…

Elle n’avait pas très envie de se retrouver dans cette situation mais c’étaient les ordres et il fallait respecter les ordres, c’était comme cela, ils étaient donnés pour une raison. Une raison assez claire ici : il fallait que les vols dans la pharmacie cessent car cela mettait leurs propres patients en difficulté. Il n’était pas acceptable que le premier hôpital du Royaume-Uni manque d’anti-douleurs ou de matériel chirurgical.

- C’est la bonne chose à faire
, lança Marlene, pour se convaincre elle-même. En plus, ajouta-t-elle, ce n’est peut-être pas pour la raison à laquelle on pense. C’est peut-être de la toxicomanie ?

**

Les nouvelles réformes qui avaient été passées par le gouvernement avaient beaucoup fait parler, à l’hôpital. La majorité des soignants, qui restaient généralement silencieux face aux politiques, s’était insurgée de ce qui, selon eux, remettait en cause le serment qu’ils prêtaient à la fin de leurs études. Eiluned, elle, était plus mesurée. Peut-être parce que plusieurs membres de sa famille travaillaient au ministère, mais elle essayait de ne pas avoir une vision manichéenne du gouvernement. On ne leur demandait pas de devenir des informateurs au service de la milice, mais seulement de signaler les activités louches de l’hôpital. Evidemment, Eiluned ne comptait pas aller rapporter à son chef de service si l’une de ses collègues n’était pas très en accord un projet de loi porté par le gouvernement Marchebank ! Mais voler des médicaments dans une réserve de l’hôpital… Il était de son devoir de le faire - et d’ailleurs, cela aurait été le cas même sans l’intervention du gouvernement quelques semaines plus tôt. Ca ne lui faisait pas plaisir, elle n’était pas satisfaite à l’idée d’évoquer cette scène avec son chef de service mais… Mais elle ne pouvait pas la garder pour elle. Si quelque chose de terrible finissait par en découler, elle passerait la fin de ses jours à s’en vouloir.

-Peut-être, répondit Eiluned en jetant un dernier regard à cette lourde porte grise qui s’était refermée derrière elle. Ce n’est sûrement rien, de toute façon… Mais en même temps, si on n’en parle pas au docteur Dahn et qu’il se passe quoique ce soit après... Eiluned secoua la tête. Son coeur battait fort, elle n’était pas très sereine mais elle sentait, au fond, que c’était ce qu’elle devait faire. Je vais y aller… On peut y aller ensemble, si tu le sens. Je rédigerai le rapport,lui assura-t-elle alors. C’est ma responsabilité de le faire. Elle était en dernière année, presque diplômée… Elle était responsable de Marlene, et il s’agissait d’une notion qu’Eiluned chérissait particulièrement.

**
Eiluned avait raison. S’il se passait quelque chose… Elles s’en voudraient de n’avoir rien dit, d’avoir tu la vision de cette Médicomage reconnue volant des médicaments dans la pharmacie. Pour autant, l’idée remplissait Marlene d’angoisse. Elle avait peur que tout cela leur retombe dessus, d’une manière ou d’une autre. Pourtant, les consignes étaient claires : le docteur Dahn lui-même leur en avait lui-même reparlé voilà quelques jours. Elle voyait bien que Eiluned n’était pas très à l’aise non plus, mais elles n’avaient pas vraiment le choix.

- Allons-y ensemble, oui…

Mais cela l’arrangeait que le rapport ne soit pas signé de son nom, elle avait l’impression qu’elle pourrait moins s’impliquer comme cela… Ce n’était pas très courageux mais après tout, elle n’était qu’en première année…  Silencieusement, les deux jeunes femmes reprirent leur chemin dans les couloirs aseptisés de Sainte-Mangouste, pour se diriger vers le bureau du docteur Dahn, qui était, heureusement ou malheureusement, leur titulaire de garde.

Arrivées devant la porte, elles échangèrent un regard anxieux. Marlene s’efforça de sourire à Eiluned, comme pour se donner un peu de baume au coeur et leur donner du courage. Marly frappa quelques coups à la porte, jusqu’à entendre la voix grave du titulaire qui les invitait à entrer.

- Bonsoir, nous sommes désolées de vous déranger… Nous venions vous parler du Docteur Calder...



Eiluned Wellington


Time stands still, beauty in all she is

KoalaVolant