The Social Network [Priya & Angus]

6 février 2011

Privé d’intervention. Oui, oui, vous avez bien lu ! Interdiction totale d’aller sur le terrain. L’information était tombée deux jours plus tôt de la bouche même de Danielle Coleman. Tant qu’il n’aurait pas suivi la formation aux nouveaux outils numériques –Netflics et autres applications de traque en ligne sur les réseaux magiques-  Angus n’aurait pas le droit de retourner enquêter sur le terrain.

A quoi cela lui avait-il servi de retrouver le corps décomposé d’un directeur de département ?! De mettre la main sur Amely Weaver ?! Hein ?

Absolument à rien ! Il ne pouvait même pas esquiver ces formations technomagiques qui n’avaient guère d’intérêt à ses yeux. Il savait lire un message sur Netflics, rédiger un rapport et accéder aux ressources en ligne. Il le possédait son foutu niveau 1 de maitrise –le niveau dit d’Initiation comme disait sa convocation- mais non ! Danielle voulait absolument qu’il ait le petit « diplôme certifié Vargas », obligatoire depuis peu, afin de le joindre à son dossierde milicien. Comme s’il n’avait pas d’autres affaires sur le feu en ce moment. C’est vrai que les terroristes comptaient attendre bien sagement qu’il ait obtenu son stupide brevet pour fomenter un nouvel attentat ! L’ennemi « W » n’avait que ça à faire, attendre que Gus ait sa médaille en chocolat !

Angus détestait être infantilisé de la sorte.

Alors oui, il n’avait pas honoré les précédentes formations. Oui, il avait à chaque fois trouvé des excuses pour ne pas y assister parce qu’il estimait que sa place était sur le terrain et non pas enfermé dans son bureau devant un PearPro. Angus connaissait parfaitement ses compétences : Il était bien plus utile à la Milice en intervention plutôt qu’au QG à scroller des profils instamag d’influenceurs. D’autres miliciens spécialisés dans la traque technomagique étaient nettement plus qualifiés que lui pour cette tâche !

Mais Coleman en avait décidé autrement. Angus avait eu beau argumenter longuement, pester, et même s’énerver, la position de sa cheffe n’avait pas bougé d’un iota.

Le milicien capable de faire changer d’avis Danielle Coleman n’était pas encore né.

D’humeur ombrageuse, Angus poussa donc la porte d’entrée de l’immeuble Vargas assez énergiquement. Non seulement il était convoqué pour cette formation mais EN PLUS il devait se rendre à Leopoldgrad pour y assister, en civil. Durant cette journée, il ne pourrait même pas compter sur le soutien psychologique de ses collègues . Quoique, pas sûr qu’au QG il ait pu trouver quelconque soutien auprès d’Avalon par exemple. Elle aurait surement été très amusée de le voir trimer sur Netflics, la vile.

« Bonjour. J’ai rendez-vous pour une formation avec Priya Rahman. » Il posa le parchemin qui indiquait  « dernière convocation avant blâme » sur le comptoir d’accueil, s’accouda sur le rebord et reporta son regard derrière lui sur le hall épuré, décoré de larges écrans holographiques vous plongeant dans des ambiances diverses. Il crut même reconnaitre parmi les thèmes qui se succédaient la côte irlandaise baignée par le vent et  bassement imitée par une foret de pixels magiques. Pathétique.

« Prenez l’ascenseur jusqu’au 25ème étage, monsieur Rice. » répondit l’agent d’accueil en lui tendant un badge « visiteur » qu’il accrocha à sa cape kaki.

Le milicien regagna  les ascenseurs ,manqua de peu de percuter une jeune femme visiblement surbookée qui en sortait en trombe et  pénétra dans l’habitacle. Il resta tout particulièrement  insensible à la débauche de technomagie que lui réservait cet espace confiné. Les portes s’ouvrirent alors sur un large open-space dont la façade vitrée donnait  sur les gratte-ciel de  Leopoldgrad.

Angus fit un pas pour sortir  de l’ascenseur et balaya la ruche d’un regard circulaire. Des dizaines d’employés s’affairaient sur leurs Pears Pro format XL, conversant avec des hologrammes ou jonglant entre les dossiers numériques avec dextérité. Angus  détonnait quelque peu dans cet univers jeune et branché. Vêtu de sa longue cape de pluie kaki et dépassant allégrement la trentaine, il n’avait rien de l’employé Vargas type à l’allure juvénile et au style résolument moldu. Il fut donc repéré assez rapidement par une femme étonnement jeune. Si elle n’avait pas eu un badge Manager épinglé sur son tee-shirt arc en ciel, Angus lui aurait donné 14 ans tout au plus. L’exacte opposée de Sasha Benson la copine  de Sissi, en somme.

«Bonjour monsssiieeeur ! s’exclama-t-elle, Elsa pour vous servir. Je peux vous aider ? »
« Hm, oui. Je cherche Priya Rahman. »
« Son poste est plus loin là-bas, dans la rangée, tout au bout. Cherchez une fille avec un tee-shirt Mickey ou Star Wars ! »
Gné ? Mais quelle langue parlait donc cette Elsa ?
« Mickey » insista-t-elle en dessinant avec ses doigts deux arcs de cercle au sommet de son crâne. Non, toujours pas ? semblèrent demander ses grands yeux expressifs. Angus, lui, ne changea pas d’expression : Mickey ne lui disait absolument rien. Le sourire d’Elsa se figea quelque peu, elle baissa les yeux sur la cape d’Angus et reprit alors avec entrain.
« Je vais vous accompagner ! Venez, suivez-moi. »
Ce n’était vraiment pas  agréable du tout de se sentir comme un vieil homme dépassé, constata Angus en suivant  la salariée de Vargas. Il réprima tant bien que mal ce léger malaise et tacha de focaliser son attention sur les fourmis technomagiques. Elsa le guida dans l’open-space et ils s’arrêtèrent finalement dans une allée, devant un bureau vide  entre plusieurs informagiciens au travail.
« Oh zut elle est pas là ! »
Il s’agissait donc du poste de sa formatrice. Intéressant. Angus avisa les bouchons mâchouillés et les post-it colorés, cherchant à analyser le moindre détail, comme pour tenter de définir le profil psychologique de Priya Rahman. Déformation professionnelle oblige.
« Damian tu as vu Priya ? »
« Nope ! » répondit un jeune homme assis de l’autre côté de l’îlot, portant une veste en jeans – cette matière diabolique inventée par les moldus, enfin, pas depuis le café de ce matin ! Tu sais que je l’ai pulvérisée à Mario Kart en salle de pause ?»
Elsa  esquissa un sourire en coin « C’est cela oui. » avant de se tourner vers un autre jeune homme, oreillettes vissées dans les oreilles , air concentré.
« Jude. Hé Jude ! » insista-t-elle.
« Heyyy Juuuude ♫, don't make it baaaad ♫! » entonna le fameux Damian avant de s’interrompre brusquement  sous le regard blasé du Jude en question qui venait d’ôter son oreille à rallonge , pardon ça m’a échappé. »

Angus avait la désagréable impression que tout lui échappait ici. Il ne comprenait absolument rien, ni Star Wars, ni Mickey, ni les Cartes Mario ni la référence musicale qui avait fait tiquer le fameux Jude.  Il ne possédait pas les codes et  il en était réduit à suivre chaque échange  avec attention pour tenter de comprendre quoique ce soit.

Jude releva d’ailleurs les yeux vers Elsa pour l’interroger du regard.« Priya ? Tu l’as vue ? » répéta la manager. Il secoua la tête négativement et reprit son travail sans plus de cérémonie.

« Priya ? Un troisième larron assit un peu plus loin dans la rangée – et répondant au doux nom d’Eden d’après la carte d’anniversaire épinglée sur la paroi de son box-  s’appuya sur le dossier de son siège pour l’incliner en arrière et ainsi observer Elsa. Elle avait une formation ce matin avec un flic de la PM ! »
« Oui c’est moi. Enfin, je suis de la Milice. » rectifia Angus.
« Et bien, elle est descendue vous accueillir en bas. »

Angus passa une main lasse sur sa barbe et entortilla les poils inferieurs autour de ces doigts. Il sentait que cette journée allait être particulièrement longue. Il s’apprêtait à proposer aux jeunes employés de rejoindre à nouveau l’accueil lorsqu’un concert de « Aaaaaaahhh ! Enfiiiin !» accueillit une employée débouchant des ascenseurs.
« La voilà ! »
« Et ben c’est pas trop tôt Priya ! Ton rendez-vous t’attend ! »

Le milicien reconnut sans mal la jeune femme qui avait failli le percuter dans le hall quelques minutes plus tôt. Il tendit la main pour la saluer lorsqu’elle arriva à sa hauteur.

« Angus Rice. On s’est manqué de peu en bas. » ajouta-t-il alors.

Priya n'était pas quelqu'un du matin. Elle ne rechignait jamais à rester au bureau jusque tard dans la nuit mais il était très difficile pour elle d'être présente au briefing de 9h30. Dans le meilleur des cas elle arrivait dix minutes avant la fin de la réunion, qu'elle loupait complètement au moins deux fois par semaine. C'était plus fort qu'elle, son corps n'était pas capable de fonctionner correctement avant onze heures du matin. Cela tenait très certainement au fait qu'elle joue à World of Wizard jusqu'à trois ou quatre heures du matin, mais cela restait à prouver. En l'absence de preuves, elle continuait ses parties de jeu nocturnes et blâmait son "horloge interne" pour ses réveils tardifs.

Ses collègues n'avaient pas caché leur étonnement en la voyant débarquer quelques minutes après neuf heures. Elsa -la manager la plus cool de la terre- l'accueillit avec des applaudissements et un sourire moqueur, et Damian fit mine de tomber de sa chaise quand elle s'installa en face de lui. Le reste de la rangée était vide. Elle ne se souvenait pas être jamais arrivée avant Jude et les autres.

"Mais que nous vaut l'honneur de ta présence de si bonne heure ?
- J'avais vraiment très envie de te battre à Mario Kart après le brief, ça m'a tiré du lit."

C'était faux. Même l'idée de mettre une raclée aux jeux-vidéo à son collègue pendant la post post-brief n'aurait pas suffi à la faire sortir de sa couette. Il lui avait fallu trois alarmes, dont une qu'elle avait mise dans sa cuisine pour se forcer à se lever et à traverser son appartement. Et elle avait quand même envisager de retourner se coucher ensuite, mais s'était ravisé en se rappelant son rendez-vous de 10h. Elle refusait en général les réunions et autres rendez-vous si matinaux, mais elle n'avait pas cherché à négocié avec la Milice.

Ce serait la première fois qu'elle se trouvait de nouveau confrontée directement à un agent de la Milice depuis qu'elle avait lu les journaux prêtés avec Jonah. Depuis qu'elle savait. Sa vision du corps d'élite avait largement changé mais elle savait qu'elle ne devait rien en laisser paraitre, et continuer de collaborer avec ses agents. Elle comptait néanmoins profiter de cette journée de formation pour essayer de récupérer quelques informations sur le fonctionnement du service.

"J'ai un rendez-vous avec un agent de la Milice à 10h, pour une formation.
- Je comprends mieux, t'avais peur de te prendre une amende si t'arrivais en retard !"

Quelques rires s'élevèrent dans l'open space, qui se remplissait doucement, alors que Priya se laissait tomber sur sa chaise de bureau et luttait contre l'envie de se rendormir aussitôt.

Elle n'était généralement pas en charge des formations parce que parler devant plusieurs personnes la mettait très mal à l'aise. Elle parlait très vite quand elle était nerveuse. Et les gens ne comprenaient rien quand elle parlait très vite. Ce qui était dommage, pour une formation. Et puis, Elsa adorait donner les formations, et elle réussissait toujours à attirer l'intérêt et la sympathie des participants.


Il était 10h02. Elle avait tout fait pour être à l'heure, elle s'était arraché à son lit à une heure grotesque, avait sagement assisté au brief de 9h30, avait soigneusement préparé sa réunion, et elle était quand même en retard. C'était une malédiction. Elle avait été sollicité par un collègue d'un autre service sur un bug ridicule dans un algorithme de TinderSurprise et elle n'avait pas vu le temps passer. Maintenant il était 10h02 et elle se retrouvait à appuyer frénétiquement sur le bouton de l'ascenseur, comme si cela pouvait le faire venir plus vite. Cela lui apprendrait à se lever tôt ! Elle ne ferait plus jamais cette erreur.

Priya sortit en trombe de l'ascenseur, les bras chargés de ses notes et de brochures explicatives, et manqua de percuter un homme qui y entrait. Elle s'excusa d'une grimace gênée et se rua en direction de l'accueil. Elle laissa échapper un soupir en constatant que quelqu'un était déjà en pleine conversation avec le réceptionniste. Elle aurait pu se servir de son statut d'employé pour interrompre brièvement leur échange et poser sa question directement à Terrence mais elle n'osait pas. Elle patienta donc une minutes en jetant nerveusement des regards en direction de l'heure, magiquement projetée sur le mur au dessus de l'accueil.

"Salut Terrence ! le salua-t-elle en s'approchant du comptoir. J'ai rendez-vous à 10h avec un agent de la milice, quand il arrivera est-ce que tu pourras...?
- Je te l'ai déjà envoyé, il vient de prendre l'ascenseur.
- Quoi ?!
- Il vient de prendre l'ascenseur...
- Merde ! Pardon, merci Terrence ! Bonne journée !"

Elle n'attendit même pas la réponse de l'agent d'accueil et se précipita vers les ascenseurs. Déjà ses mains devenaient moites et elle commençait à avoir trop chaud. elle détestait être en retard ! Quelle opinion son client de la journée allait-il avoir d'elle maintenant ? Elle hésita un instant à monter à pieds, tout en sachant pertinement qu'avec son manque d'endurance elle mourrait certainement à mi-chemin. Heureusement l'ascenseur fut bientôt là, et la déposa en quelques secondes au vingt-cinquième étage. Elle débarqua dans l'open space sous les exclamations soulagées de ses collègues et repéra immédiatement le milicien au milieu de l'étage.

"Priya Rahman, enchantée ! le salua-t-elle en attrapant la main qu'il lui tendait pour la serrer. Et désolée pour le retard, je comptais vous attendre en bas, et..."

Elle se tut en croisant le regard blasé d'Elsa, qui semblait signifier que personne n'en avait rien à faire de ses mésaventures à l'accueil. Compris.

"Venez, on va s'installer en salle de réunion."

Elle entraina le milicien vers l'une des bulles vitrées qui se trouvait au milieu de l'open space, qu'elle déverrouilla avec son badge magique. A l'instant ou la porte vitrée se referma derrière eux, ils se retrouvèrent brusquement isolés des bruits de l'open space, qui semblait avoir complètement disparu.

"Il y a une ambiance que vous préférez ?" s'enquit-elle en faisant défiler différents paysages particulièrement réalistes sur les murs transparents: Tokyo by night, balade en forêt, plage hawaïenne.

Une fois le décor choisi, Priya s'installa face à l'agent Rice et balaya ses notes d'un regard pour se remettre son dossier en tête, même si elle l'avait lu déjà dix fois ce matin.

"Alors, vous avez déjà suivi le programme d'initiation, c'est ça ? Elle l'interrogea du regard. Et vous venez pour la certification, très bien ! Il y a un domaine que vous souhaitez approfondir en particulier ? La géo-localisation ? Les réseaux clandestins ? Le hacking ? Le fishing ? Vous avez des questions sur l'application Netflics ?"

« Pas de problème. » répondit Angus afin d’abréger les justifications de sa formatrice en retard.

Il n’était pas spécialement impatient de commencer son initiation mais plutôt d’en finir. Plus vite ils auraient débuter, plus vite il pourrait agiter son petit diplôme sous le nez de Danielle ( ou, plus vraisemblablement, le lui poser sagement sur son bureau). Il ne se fit donc pas prier lorsque Priya Rahman lui suggéra de rejoindre une salle de réunion. D’un hochement de tête, il remercia les informagiciens qui lui étaient venus en aide et suivit l’ingénieure jusqu’à une grande bulle vitrée située au milieu de l’open-space.

Si Angus apprécia l’isolation phonique du lieu – propice à la concentration- il jugea le défilement des thèmes quelque peu hors contexte. Il était potentiellement là pour passer la journée la plus ennuyante de sa vie, une plage hawaïenne en arrière plan de sa formatrice n’y changerait pas grand-chose. Il observa toutes les ambiances une à une en se demandant laquelle était la plus plébiscitée par les employés et les clients de Vargas puis il se décida à choisir.

« La première. La transparente.»

Bref pas de thème.

S’il avait l’opportunité d’avoir une vue dégagée sur l’open-space qui l’entourait  et sur ses employés Angus n’allait pas s’en priver. Déformation professionnelle oblige. Il contourna la table et s’installa en face de sa formatrice. Après avoir quitté sa longue cape, il s’assit, posa son Pear pro à plat devant lui et joignit les mains en attendant que Priya relève le nez de ses notes.  

"Alors, vous avez déjà suivi le programme d'initiation, c'est ça ? »

Angus haussa les sourcils, creusant son front de fines rides horizontales et parallèles. Non seulement elle était en retard mais en plus elle n’avait pas le bon dossier sous les yeux. Booon. Il s’apprêtait à rectifier cette petite erreur  mais  c’était sans compter sur le débit de parole de sa formatrice.  En effet, elle enchaina rapidement -sans même lui laisser le temps de répondre- et lui posa une série de questions, déblatérant un jargon incompréhensible d’informagicienne rempli de « molduscisme». Angus esquissa un mouvement de recul du buste. Il détestait tous ces termes empruntés à la culture moldue. Ils étaient sorciers, après tout, et totalement capables d’inventer leur propre vocabulaire.

Cette formation promettait d’être très efficace s’il  ne pouvait pas en placer une et s’il ne comprenait qu’un mot sur deux. Heureusement Rahman finit par se taire lui laissant ainsi l’opportunité d’ouvrir la bouche. Angus laissa passer trois longues secondes pour s’assurer que Priya avait bien terminé puis il esquissa un sourire poli mais sans chaleur.

« Je crois que vous vous êtes trompé. »

Il baissa les yeux sur les notes de la formatrice comme s’il pouvait les lires à distance et reporta de nouveau son attention sur elle.

« Je suis l’agent Rice. Rice tout court – et non pas Denton-Rice, sa douce jumelle qui avait suivit avec beaucoup de zèle et d’abnégation les formations Vargas au QG- Je viens passer le niveau 1, expliqua-t-il en indiquant de sa main un palier virtuel au ras de la table. Il profita que Rahman lui laissait encore la parole pour apporter quelques précisions, Franchement, je pense avoir les compétences  pour le niveau d’initiation car j’utilise ce truc depuis décembre, il désigna  d’un mouvement du menton le PearPro posé sur la table, mais vous n’êtes pas sans savoir que la Milice et votre entreprise ont passé des accords qui nous obligent , nous miliciens, à prouver que nous sommes  parfaitement formés à l’utilisation des outils numériques. Angus afficha un sourire sans joie, J’ai donc besoin de votre diplôme de certification  pour continuer à exercer mon métier. Il sortit sa convocation de sa poche, la déplia et lui indiqua la mention « Dernier avertissement avant blâme. ».

Il se doutait que Priya Rahman n’était pas emballée à l’idée d’effectuer une formation pour un agent récalcitrant et borné. Cela lui coutait aussi de perdre une journée entière ici. Au fond, ils étaient dans le même bateau, tous les deux. L’ expression du milicien se radoucit quelque peu à cette idée et il poursuivit :

« Je sais allumer et éteindre mon pear. Rédiger un rapport. Répondre à un message et effectuer une recherche dans les archives. Dites moi que j’ai mon niveau 1. »

"Presque !"
Et merde.

Angus répondit au sourire encourageant de Priya Rahman par un bref rictus qui s’apparentait davantage à une grimace qu’à un sourire. Il aurait tellement aimé qu’elle le libère de ses obligations et qu’elle lui remette d’office son petit diplôme d’informagicien-milicien en herbe. Malheureusement ses compétences ne semblaient pas encore assez développées pour qu’il puisse prétendre au niveau 1 d’acquisition. La jeune ingénieure exposa d’ailleurs le plan de la formation et lui demanda gentiment  si cela lui convenait. Clairement, non, absolument pas, mais avait-il le choix ?

« C’est très bien. » mentit-il sans toutefois paraitre pleinement convaincant. Son regard balaya la pièce en quête du café dont il allait avoir grandement  besoin pour supporter cette matinée  mais il ne trouva aucune trace de ce salutaire breuvage dans la salle de réunion : Pas de café, pas de viennoiseries, ni de jus de fruit. Absolument rien. Quid du sens de l’accueil chez Vargas ? Le milicien fronça imperceptiblement les sourcils et balaya l’open space du regard tandis que Priya mettait en place la projection à partir de son Pear. Il avisa Elsa, la manager, faisant léviter un plateau garni de grands gobelets  et de pains au chocolat dans leur direction. Ah enfin. Le visage du milicien s’éclaira momentanément avant de s’assombrir de nouveau lorsque la jeune femme passa devant la porte vitrée de leur salle, sans même s’arrêter . Elle s’en alla distribuer ses cafés à quelques  employés installés plus loin, les yeux rivés sur leurs écrans holographiques.  Super, songea Angus  en reportant son regard morne sur la projection de l’interface Netflics. En effet, il reconnaissait un peu cet environnement, à une différence près :  La version de Rahman n’avait pas toutes les notifications -rouges et clignotantes- qu’Angus pouvait voir sur les onglets « Rapport à rédiger » et « Hiboux à lire » de son propre écran d’accueil.

Il ouvrit d’ailleurs l’application sur son PearPro et compara d’un regard les deux versions qui lui semblaient un tantinet différentes. Les éléments n’étaient pas ordonnés de la même manière, ni rangés au même endroit et il peinait quelque peu à s’y retrouver. Le temps qu’il arrive à ce constat, Priya avait déjà développé une partie de son argumentaire et évoquait une icône invisible pour Angus.

« Quelle poire ? grogna-t-il en fronçant les sourcils au dessus de son Pear posé à plat sur la table, J’ai pas la poire moi. Ses yeux fouillaient frénétiquement l’interface et ses épaisses paluches restaient en suspension dans les airs  de part et d’autre de son visage concentré, à bonne distance du Pear. Il leva le menton en direction de l’ingénieure, Pourquoi j’ai pas la poire ? »

Il détestait se sentir si dépassé. C’était humiliant.  Il était pourtant compétent dans son travail mais son désintérêt total pour ces outils numériques le faisait passer pour un grand béta mal dégrossi. Le milicien prit une profonde inspiration – s’il commençait à perdre patience au bout de cinq minutes de formation il n’allait pas tenir- et tacha de trouver la solution par lui-même. Il n’était pas stupide après tout ! Il pouvait très bien se débrouiller ! D’ailleurs, il gardait vaguement un mémoire un hibou reçu courant janvier –qu’il n’avait même pas ouvert-  l’invitant à télécharger la dernière version de l’application. A coup sûr, le mystère de la poire allait se résoudre avec cette ultime actualisation.

« C’est bon je crois que j’ai trouvé. » dit-il en cliquant de la pointe de sa baguette sur ce fameux parchemin encore scellé. Le Pear lui demanda de saisir son mot de passe afin de lancer le téléchargement et il tapa lentement, avec son gros index, les lettres et les chiffres les uns après les autres :  « A-C-C-I-O-1-9-7-4-K-I-N-N-E-S-S ». Voila, parfait.  La mention « La mise à jour va prendre quelques minutes. », illustrée d’un retourneur de temps en rotation sur lui-même, s’afficha sous ses yeux. Bon. Il n’avait plus qu’à attendre.

Un bref coup d’œil au pictogramme du niveau de batterie lui indiqua qu’il n’était  plus qu’à 11% des capacités de chargement de son Pear . Pas sûr qu’il tienne toute la journée à ce rythme là, aussi Angus s’empressa de le recharger d’un sortilège de Tension informulé.
Après quelques instants d’attente, le nouvel interface, en tout point semblable à celui de la projection se matérialisa sous ses yeux. Voila, parfait. La petite poire était visible, comme prévu.  Angus était fin prêt pour commencer sa formation ! Il releva les yeux sur Priya : Où en étaient-ils déjà ?  

"… plutôt bien pour les petits délits. Vous l'avez déjà utilisé ?" Le milicien resta muet. De quoi parlait-elle Bordel ?  Dites-moi si vous avez des questions."insista Priya.

« Huuuum, alors oui. Angus se racla la gorge un peu mal à l’aise et passa une main dans sa barbe,  pardon mais vous pouvez reprendre à partir de la poire s’il vous plait ? »

Angus accueillit son café allongé et son pain au chocolat avec une  immense gratitude. Enfin ! Merci Merlin. Une bonne dose de caféine, du sucre, du chocolat et du beurre pour tenir jusqu’à midi, songea-t-il en mordant dans sa viennoiserie. Allez, il n’allait pas se laisser abattre par un ridicule objet technomagique. Il chassa les miettes de pain au chocolat tombées sur son écran  et déverrouilla son Pear Pro, prêt à en découdre . Il allait décrocher ce fichu diplôme avant même la fin de la journée et venir frimer dans le bureau de Danielle, c’était décidé. Maintenant qu’il avait la bonne version du logiciel et ouvert l’application Poire plus rien ne pourrait l’arrêter.

« Attendez, fermez l'application poire pour l'instant. »

Ah. Peut-être que si finalement.

Le milicien retint un soupir et mit quelques instants  à s’y retrouver parmi les onglets déjà ouverts . En effet, il avait du cliquer, sans le faire exprès, sur l’icône « Santé » qu’il était sensé enclencher pour tous ses entrainements physiques avec la milice. Honnêtement, il ne l’avait pas ouvert une seule fois si ce n’est le jour où il avait demandé à  Avalon de lui renommer l’application en « Mais Pas Des Pieds », ce qui l’avait amusé – et l’amusait encore beaucoup.

Il parvint toutefois  à retrouver la barre de recherches en haut de l’interface. Il savait déjà chercher un suspect dans le registre et avait même utilisé cette fonctionnalité  à maintes reprises. C’était très pratique d’avoir accès à ce répertoire de délinquants  surtout  en intervention sur le terrain. Cela leur faisait gagner un temps fou  même si, il devait l’avouer,  il n’était pas très très rapide pour taper sur le clavier : il préférait prendre son temps  sans quoi ses doigts épais transformeraient vite le fameux « John Doe » en « Jihb Diz » (Oui, dans la précipitation,  il avait toujours une légère tendance au décalage sur la gauche.)

« Vous n'êtes pas obligé d'utiliser le clavier virtuel, vous pouvez écrire avec la pointe de votre baguette, comme avec un stylo, »

« Vraiment ? » S’étonna Angus. Enfin une première information utile en …. 30 minutes de temps. Pas trop tôt. « Ah oui, ça s’utilise comme une plume... » rectifia-t-il peu adepte des molduismes, C’est très pratique . »

Il suivit laborieusement les instructions de Priya et parvint finalement à croiser le fichier fictif de « John Doe » avec ses pseudos informations Pear. Ce petit objet technomagique stockait de nombreuses données techniques plutôt  anecdotiques mais qui pourraient s’avérer utile dans un travail d’investigation. Les deux fonctionnalités les plus prisées restaient tout de même la géolocalisation et la mise sur écoute, disponibles en un simple clic.

« Personnellement, j’ai déjà utilisé la mise sur écoute Pear dans une affaire, Pour surveiller Lawrence Davenport, un magnat de l’immobilier implanté à Leopoldgrad et soupçonné de tourner aux drogues moldues. Enfin c’est ma coéquipière qui avait tout paramétré » précisa-t-il même si Priya l’avait surement deviné compte-tenu des compétences d’Angus, ça nous a été plutôt utile. » avoua-t-il.

Il reporta son attention sur l’icône planète de la projection et ajouta :

« Par contre je n’ai jamais utilisé la géolocalisation. »

Angus cliqua de la pointe de sa baguette sur l’icône planète et l’hologramme d’une carte en trois dimensions se déplia sous ses yeux, indiquant l’emplacement du suspect.

« Hum. Mauvaise nouvelle Mme Rahman. Si j’en crois les informations du Pear, John Doe travaille chez vous. »

En effet, le petit point lumineux indiquait la ville de Léopoldgrad et plus précisément l’immeuble de Vargas Corp.

« Comment on zoome ? » demanda alors Angus qui commençait lentement à se prendre au jeu. Il tenait à éprouver la précision de la carte  qui lui permettrait d’ entrevoir l’utilisation qu’il pourrait faire de cette application directement en intervention.

Certes, il n’aurait pas pu utiliser cette fonctionnalité dans le cadre de la traque de l’ennemi W dans la forêt : Les deux suspects du meurtre de Dalhiatus  semblaient aussi réfractaires que lui aux nouvelles technomagies numériques et ne possédaient pas de Pear, quant à Amely, elle avait réduit le sien en miette avant même d’avoir quitté le Ministère. (Hum, elle avait surement du être présente et particulièrement attentive lors de la formation de niveau 1 de décembre.) Toutefois , Angus s’imaginait presque  avoir recours à ces fonctions à l’avenir. Il faudrait juste qu’il se souvienne du chemin virtuel qu’il avait emprunté pour accéder à cette page :  Sélectionner la poire. Non il ne devait pas cliquer sur cette icône en premier. Si ? Hummm, pas sûr. Bon, il redemanderait à la formatrice un peu plus tard.

Angus chassa ces interrogations secondaires de son esprit, estimant que connaitre par cœur tous ces cheminements à la fin de la journée n’était pas si importants. Alors certes, il venait se former à la maitrise des outils mais il pouvait bien s’écarter un peu de ces exercices pratiques durant quelques instants.

Son esprit pragmatique d’enquêteur prenait peu à peu le dessus. Certes il n’était pas très doué dans l’utilisation de tous ces outils numériques mais il percevait toutefois leur utilité, leur potentiel,… et leur limite, aussi.

 « Est-ce qu’il y a une fonctionnalité qui nous permet  de savoir si le Pear est toujours en possession de son véritable propriétaire ? » demanda-t-il alors «  Je ne sais pas, il pourrait y avoir une sorte d’empreinte magique, un lien qui lie l’objet à son utilisateur de manière irrémédiable.  Conscient que ses propos pouvaient peut-être sembler obscurs, il poursuivit, je réfléchis en terme d’enquête. Si je suis sur le terrain, la géolocalisation me permet d’identifier, à priori, la localisation de mon suspect. Qu’est-ce qui empêche mon homme de confier son Pear à un ami pour nous faire partir dans la mauvaise direction ? »

Il haussa les sourcils curieux de savoir si Vargas avait songé à une fonctionnalité pour parer ce désagrément.

« Vous pourriez facilement le faire accepter par l’opinion publique en le présentant comme un dispositif anti-vol, en plus. » ajouta-t-il, en croisant les bras, paumes coincées sous les aisselles.

« Et j’ai une autre question aussi, oui, clairement, il préférait échanger à propos des fonctionnalités potentielles plutôt que de batailler de longues minutes pour s’y connecter, concernant la fonction mise sur écoute. On est d’accord que, pour le moment, on ne peut entendre que les conversations Pear – il chercha l’approbation de Priya avant de poursuivre, est-ce que vous et vos camarades vous ne pourriez pas élargir le champs de compétences de ses oreilles à rallonge -et pourquoi pas de la caméra interne également - à l’environnement immédiat du Pear. Même hors communication ? »

Il savait bien que ces questions soulevaient quelques problèmes éthiques mais l’entreprise Vargas avait développé tout un tas d’objets technomagiques espions pour le compte de la milice – caméras, mouchards et autres micros. Angus estimait qu’il pouvait parler assez librement à ces alliés du régime…

En fait, discuter des fonctionnalités potentielles de ces petits objets insignifiants s’avérait nettement plus intéressants que de chercher à les utiliser, coûte que coûte. Etonnamment,  Angus prenait même un certain plaisir à converser de ses sujets là avec l’ingénieure de chez Vargas même s’ il ne fut pas complètement séduit par la fonctionnalité que la firme était actuellement en train de développer. Le sortilège de reconnaissance faciale, censé garantir l’identité du propriétaire, lui tira d’ailleurs une moue dubitative :

« Et que faites-vous des personnes sous polynectar ? »

Angus arqua  un sourcil avant d’esquisser un léger sourire pour contrebalancer ses propos. Il ne tenait pas particulièrement à démonter tous les arguments de Priya Rahman mais il se devait d’envisager tous les scénarios. Il faut dire qu’il avait déjà été échaudé dans sa jeunesse à la P.M après avoir pris un trafiquant en filature, pendant plusieurs jours, trafiquant qui s’était avéré être, en vérité, la grand-mère du mafieux sous polynectar. Il n’avait pas particulièrement passé un bon moment en découvrant la vieille dame dans la salle d’interrogatoire ! Pour lui, cette histoire d’empreinte magique restait la meilleure solution.

« Vous devriez vous rapprocher du département des Mystères. Les langues de plombs mènent  des recherches très sérieuses au sujet de l’empreinte magique. » Il était bien placé pour le savoir puisque sa compagne, elle-même, travaillait sur ses questions là, songea-t-il avec fierté.

Priya Rahman  en profita pour louer la qualité de ses idées et elle lui suggéra même de venir travailler ici, chez Vargas, en compagnie de John Doe. Angus accueillit la boutade de l’ingénieure avec un léger rire, sentant peu à peu l’ambiance se détendre. Il se permit à son tour  une petite remarque, hors cadre.

« On sait très bien, vous et moi, que nous nous entretuerions  si nous venions à travailler ensemble Mme Rahman, il leva son Pear pour lui faire admirer l’interface localisation sur lequel il était connecté et avoua, je ne me souviens plus exactement comment j’ai fait pour arriver jusqu’ ici. Il grimaça et reposa l’objet sur la table avant de recroiser ses bras, paumes sous les aisselles,  pour reprendre plus sérieusement, par contre je pense qu’il y a un vrai partenariat à monter entre les gens de chez nous et  ceux de chez vous. Je veux dire, vous ne devriez pas être les seuls à nous proposer des applications, on devrait pouvoir vous dire quelles sont les fonctionnalités dont nous avons besoin dans notre quotidien d’enquêteur , comme cette histoire de mouchard directement intégré au Pear, par exemple. »

Angus fut étonné d’apprendre que cette fonctionnalité était déjà  au point, du moins techniquement parlant. Les cadres de chez Vargas et les juristes travaillaient maintenant à un moyen d’inscrire l’application dans un cadre légal et moral, cadre dont ne s’encombrait pas vraiment la Milice, en vérité.  Angus nota à travers les propos de l’ingénieure une vague inquiétude sous-jacente liée à la potentielles surveillance généralisée des populations, sous couvert de mesures sécuritaires. L’hôpital qui se fiche de Sainte Mangouste, songea-t-il sans toutefois verbaliser son ressenti. Rahman concevait de toutes pièces les applications pour ensuite s’inquiéter de leur utilisation… Quelle douce ironie !

Il ne se donna pas la peine de répondre à sa question – dont elle connaissait déjà la réponse si elle prenait le temps de se livrer à un petit examen de conscience- et se contenta d’abonder dans son sens :

«  Personnellement je suis prêt à utiliser tous les moyens en ma possession pour éviter que des terroristes puissent planifier d’autres attentats semblables à celui de la Marchebank. »  Il haussa les épaules et ajouta  «  C’est ce qu’on attend de la Milice et c’est ce que je fais. »

Qu’il cautionne ou non l’utilisation des nouvelles technologies pour espionner la population n’était pas la question. Angus estimait que le contre-espionnage était le moyen le plus sûr pour lutter efficacement contre la menace terroriste. Tant pis, si, pour cela, il devait porter atteinte à quelques libertés fondamentales…
Il était tout à ses pensées lorsque son PearPro se mit à vibrer sur la table. Le portrait de Yasmine Tituba se matérialisa sous la forme d’un hologramme tournoyant sur lui même.

« Ah. Veuillez m’excuser. » souffla Angus en connectant une paire d’oreillettes à rallonge  sur son Pear pour activer le mode « conversation privée » et ainsi éviter que Priya puisse être témoin de  la totalité de leur échange.

« Agent Rice j’écoute, lança-t-il après avoir décroché,  Non, pas aujourd’hui…. Parce que je suis chez Vargas…Oui, toute la journée…Le niveau Un… Si, le niveau Un…. Non mais je ne rigole pas : Le niveau un. …. Je sais pas moi, s’agaça-t-il,  on m’a convoqué sur une journée entière, j’y reste la journée entière .» Angus reporta son attention sur Priya et  roula ostensiblement des yeux, Oui…si je l’ai tapé hier. Eh ben oui tu vois, ça m’arrive parfois…. Je peux te l’envoyer  maintenant , enfin, dès que j’ai raccroché… Sans problème. Tu m’appelles si jamais il y a un souci… Ok… Ok. Bye »

Il interrompit la communication et leva un index en direction de Priya : « Je vous demande juste deux minutes ! » -A dire vrai, il en eut besoin de quasiment dix  pour retrouver son rapport et l’envoyer à sa collègue de la Milice non sans lui avoir fait partir un premier message sans la pièce jointe. « Voilà c’est bon, Excusez-moi » finit-il par dire en relevant les yeux sur l’ingénieure.

Cette petite manipulation en direct venait d’ailleurs de lui faire prendre conscience d’une chose… La Milice n’était pas la seule entité capable d’espionner les  utilisateurs des Pear. Il y avait également les programmateurs, les développeurs, les informagiciens et autres ingénieurs de l’entreprise Vargas qui possédaient un accès illimité à ce flux de données incessant et particulièrement sensible.  

Angus reporta lentement son attention sur les employés de l’open space qui s’agitaient derrière la bulle transparente. Son regard passa sur Elsa, en grande conversation avec Damian puis sur Jude et Eden, les yeux rivés sur leurs écrans holographiques, traitant de longues  lignes de codes qu’eux seuls comprenaient… Il y avait peut-être, parmi tous ces jeunes gens, un employé qui venait d’intercepter le rapport envoyé à sa collègue….Qui savait ?

Angus passa lentement sa main dans sa barbe, l’air pensif.

« Je peux vous poser une question Miss Rahman, dit-il alors en relevant les yeux dans sa direction,  – question qui n’a pas forcément à voir avec l’acquisition du niveau 1- expliqua-t-il toutefois,  Les employés sont recruté sur quels critères exactement ? Vous traitez des informations sensibles tout de même,  comment Logan Vargas s’assure-t-il de votre fiabilité au juste ? »

Il était par exemple curieux de savoir si la multinationale demandait à ses employés un extrait de casier judiciaire… Si ce n’était pas le cas, il faudrait peut-être que la Milice se penche sérieusement sur la question.

« Vraiment ? » Angus fronça les sourcils. Il ignorait tout de ces enquêtes numériques visant à interroger les agents sur leurs pratiques professionnelles. Sur les conseils de Priya Rahman, il interrogea ses messages dans sa boite de réception et tomba finalement sur un hibou de Vargas daté de mi-janvier, pourtant marqué comme lu. Le milicien fronça les sourcils et cliqua de nouveau sur le lien de la pointe de sa baguette pour découvrir le questionnaire commençant par :


Ah ben, voila. Tout s’expliquait. Effectivement, les questions suivantes portaient sur l’utilisation des fonctionnalités Netflics et sur les modifications éventuelles à apporter mais Angus n’avait pas dépassé cette première question.
Fort heureusement, Priya Rahman nota ses suggestions orales pour les communiquer ensuite à ses supérieurs. Angus s’estima donc dispensé de répondre à cette enquête et la  fit glisser innocemment dans les oubliettes de son Pear .

Un peu de ménage numérique ne faisait pas de mal.

Priya et Angus avaient eu des premiers échanges un peu compliqués mais ils semblaient dorénavant s’accorder sur un point : Il n’avaient pas vraiment envie de poursuivre cette stupide formation et préféraient visiblement discuter d’autres sujets, nettement plus intéressants que d’apprendre à effectuer un double-clique. Si Angus avait été à l’initiative de cet échange quelque peu hors cadre, Priya semblait tout à fait disposée à l’alimenter en répondant longuement aux interrogations du milicien. Angus nota mentalement les étapes qu’elle avait du franchir  pour accéder à ce poste à responsabilités au sein de la multinationale. D’après elle, l’employé lambda de Vargas devait donc posséder des compétences techniques indéniables, des  références sérieuses et notables et être en mesure de convaincre de nombreux interlocuteurs différents avant de pouvoir accéder à un emploi au sein de l’entreprise ! Cela s’apparentait à un véritable parcours du combattant …censé, plus ou moins, garantir la fiabilité des informagiciens.

Angus était plutôt mitigé sur cette question tant le profil d’Amely Weaver collait si bien à cette description de l’employée modèle, triée sur le volet...  Et pourtant. Aucune institution ne pouvait garantir l’intégrité totale de ces agents. Aucune. Ni Vargas, ni la Milice, ni le Gouvernement.  

Priya chercha toutefois à le rassurer  en affirmant que le vol de données était quasiment impossible sans que les autres employés de la firme ne le découvrent. Angus n’avait pas les compétences pour éprouver la véracité des propos de l’ingénieure. Les technomagies étaient loin d’être son domaine de prédilection –ils le savaient tous les deux-  et seuls les membres de la future nouvelle brigade cybercriminelle seraient en mesure d’apporter de véritables contre-arguments à la jeune femme.  Angus avait cru comprendre que la Milice  formait plus spécifiquement quelques recrues de l’académie au cyber-espionnage mais il ne s’était pas particulièrement penché sur la question avant aujourd’hui.

"Mais j'imagine que les mêmes questions se posent à la Milice, reprit d’ailleurs Priya Rahman, comme si elle avait lu dans ses pensées, Il doit être important pour vous de pouvoir compter sur la loyauté et l'intégrité des agents. »

Le milicien croisa le regard de Priya et esquissa un vague sourire énigmatique . Il se doutait  qu’elle faisait référence à Amely Weaver. Qui d’autre ? Sa trahison avait fait couler beaucoup d’encre en  Une des journaux et l’ensemble du monde magique était au courant de cette traitrise. Son ancienne collègue était actuellement en attente de son jugement et Angus souhaitait une sanction exemplaire pour celle qui avait trahie ses frères d’armes: La peine capitale.

« Ce n’est pas important, répondit-il alors, C’est essentiel. »

La confiance au sein de la brigade était une composante primordiale à ses yeux. La Milice devait recruter des agents convaincus par la force du collectif. Leur entité était si décriée, parfois même  au sein du département de la justice magique – coucou les Aurors- , que les accromantules devaient faire front, ensemble.  Sa formatrice le questionna justement sur le mode de recrutement garantissant ce sens aigu de la loyauté et du travail collaboratif.

« Les modes de recrutement sont multiples, commença Angus sans vraiment entrer dans les détails, Vous pouvez postuler en interne si vous appartenez déjà à un service du Ministère, comme c’était le cas des Aurors, des briseurs de sorts, des agents de la P.M ou de la B.S.M, On peut vous approcher directement si votre profil est jugé intéressant pour l’organisation. C’était ce qui lui était arrivé quant la Milice avait cherché à engager un Maitre-Fléreur pour compléter son champ de compétence, mais le mode de recrutement principal, aujourd’hui, c’est l’Académie. La formation mise en place par Danielle Coleman en personne visant à former et entrainer les miliciens de demain. La jeune génération.  J’imagine que je vous apprends rien. Vu comment nos jeunes recrues maitrisent vos outils facilement , Vargas doit déjà y dispenser quelques modules de formation non ? »

Si, comme le disait Priya Rahman,  le partenariat entre la milice et Vargas était déjà bien avancé, les informagiciens devaient surement assurer des cours auprès des aspirants.

Pour être tout à fait honnête, Angus ne connaissait pas vraiment le contenu des enseignements de l’Académie. Il savait que quelques collègues de la milice, de la BSM et de la Brigade Fléro-technique y dispensaient plusieurs modules – sur la base du volontariat rémunéré - mais Angus ne s’était jamais porté volontaire pour cette tâche. Préparer des cours ? Très peu pour lui. Il était bien plus heureux sur ses missions de terrain plutôt qu’enfermé dans une pièce  avec  des dizaines d’aspirants. Par chance, il avait même réussi à esquiver la matinée d’immersion des recrues au flénile, en arguant haut et fort qu’il avait déjà fait sa part du job en terme de formation. En effet, il avait accueilli la petite stagiaire de Poudlard, Sasha Benson,   durant  une matinée entière courant janvier. Chacun son tour.

Priya Rahman semblait même disposer de plus d’éléments que lui concernant les cours de  l’Académie. Outre les formations aux technologies numériques dites « basiques », Vargas proposait également un module spécialisé dans la cybercriminalité -Module essentiel pour anticiper les futurs délits liés aux technomagies, lui assurait d’ailleurs Priya.

« Vous savez s'il y aura une équipe dédiée ?"

Pour le coup, elle lui posait une colle. Il avait cru comprendre que la Milice  formait quelques aspirants de l’académie au cyber-espionnage mais il ne savait pas si Danielle avait le projet de créer un pôle entier – voir une brigade- de ces agents  aux compétences bien spécifiques.

« Aucune idée. » admit-il.  Il haussa les épaules «  A votre avis ça peut représenter beaucoup d’infractions le… « cybercrime » ? »

C’était bien la première fois de sa vie qu’il employait ce terme !

Ses connaissances du monde moldu étant assez limitées, il n’était pas en mesure d’imaginer  la complexité et l’immensité des réseaux informatiques clandestins. Mais Angus  était tout de même curieux de comprendre. S’ils étaient à l’aube d’une nouvelle forme de délinquance, la Milice devait être en première ligne pour lutter contre celle-ci. Il écouta donc avec beaucoup d’attention l’exposé de l’ingénieure qui lui détailla les deux principales activités illégales liées à l’utilisation des outils numériques.

Il y avait d’un côté des phénomènes d’extorsion de fonds par usurpation d’identité ou non. Et de l’autre, ce que Priya Rahman appelait le Dark Web.

« Le Darkoueb ? » répéta-t-il  avec une drôle de moue- jamais entendu parler.

Pourtant il s’agissait, d’après la spécialiste, de la principale menace pour eux: Des réseaux clandestins, particulièrement difficile à détecter et à infiltrer.  Angus avait beaucoup de mal à suivre sa formatrice pour le coup. Il n’arrivait absolument  pas à visualiser le fonctionnement de ces organisations obscures. Tout lui semblait vraiment trop abstrait. Il s’apprêtait à demander quelques éclaircissements à Priya Rahman lorsqu’elle interrompit cet échange pour louer leur apparente productivité.
Angus se fendit d’un sourire et consentit à admettre :

« Désolé, je suis un stagiaire dissipé. Je sais. »

Il devinait que Priya suggérait  poliment qu’il se remette au travail et qu’il trouve enfin, de lui-même, le chemin jusqu’à la poire.  Il releva les yeux vers elle et tenta toutefois de se trouver des excuses «  Ce n’est pas de ma faute si je me trouve une passion soudaine pour le darkoueb ! Il se mir à rire doucement, tressautant des épaules «  J’ai juste une dernière question et après je vous laisse tranquille. Vous aurez le droit de me torturer autant que vous voulez avec vos applications. Il s’accouda sur la table et se pencha en avant pour demander , Comment se fait-il que ces réseaux clandestins soient si difficiles à détecter et qu’ils ne laissent aucune traces de leurs activés ? Vous m’avez dit tout à l’heure qu’une intrusion dans  vos … – il agita les mains autour de son visage afin d’illustrer une notion assez  vague pour lui- espaces virtuels ne pourrait pas passer inaperçue et que personne n’est indétectable sur les réseaux – C’était textuellement ce que lui avait dit l’ingénieure : Le système était bien gardé et fiable, il n’y avait pas d’inquiétudes à avoir. La Milice pouvait rester tranquille.  Comment font-ils pour se rendre invisibles de ceux qui ont crée les outils qu’ils utilisent ? »

Après la réponse de Priya, promis, il irait chercher la poire…

Accoudé sur la table, buste penché en avant en direction de son interlocutrice, Angus écoutait l’exposé de Priya Rahman avec un intérêt non feint. Mais malgré toute la bonne volonté du monde, certains aspects de cette conversation lui échappaient complètement. Par exemple, il ne voyait pas comment les acteurs du Darkoueb pouvaient utiliser un outil Vargas et s’affranchirent des règles et des protections mises en place par la multinationale.

Pour Priya Rahman tout semblait très clair mais pas pour lui ! De la manière dont il envisageait les chose dans son esprit très cartésien, il n’y avait qu’un seul et unique parchemin – en l’occurrence l’objet Pear- sur lequel Vargas écrivait avec une encre visible et les hackers avec une encre invisible. Voila tout.

Mais la jeune formatrice semblait si fière et si sûre de sa comparaison qu’Angus ne se donna pas la peine de chercher à la contredire. En plus, il avait promis de se mettre au travail et de chercher la poire...

« Aaah D’accord. » même si pas d’accord du tout. « Je comprends mieux. » Absolument pas.

La lutte contre le crime organisé l’intéressait plus que tout mais les réseaux numériques n’étaient clairement pas son domaine d’expertise.  Il laissait volontiers ces histoires de surveillance virtuelle aux petits jeunes de la Milice comme son collègue Leonard qui semblait partager le même goût et le même intérêt que Priya Rahman pour ces petits objets démoniaques. Il suffisait de le voir traficoter son Pear pour changer la voix des appelants pour être persuadé qu’il n’aurait pas détonné au milieu des jeunes informagiciens  de l’open-space de la tour Vargas. D’ailleurs,  Lenny serait sûrement plus  à même d’argumenter face à la jeune ingénieure sur ces questions de contre-espionnage virtuel.

Si Angus excellait dans la traque physique d’une personne il n’avait aucun doute sur le fait que son jeune collègue des renseignements allait devenir son pendant numérique.

« Mais peut-être que la Milice compte remédier à ça ! » suggéra d’ailleurs sa formatrice.

« Si le darkoueb, comme vous dites, échappe à tout contrôle et menace la sureté de l’Etat je n’ai aucun doute sur le fait que Danielle Coleman prenne ce problème à bras le corps, Le milicien se fendit d’un large sourire, elle aura juste la clairvoyance de ne pas me mettre sur cette mission ! »

Il reporta son attention sur l’écran noir de son Pear et  poussa un soupir .  « Bon… » lâcha-t-il laconiquement.
De toute évidence, la récréation était terminée.


Angus planchait sur son formulaire de « validation des acquis » depuis vingt bonnes minutes. Pour être tout à fait honnête, il saturait com-plè-tement. Il avait passé sa journée entière sur son Pear à se balader sur les différents interfaces des applications Vargas avec plus ou moins de facilités – enfin surtout moins dans son cas- et n’avait pas mi le nez dehors, une seule fois, ce qui était purement impensable pour lui.

Il n’avait même pas eu le loisirs de faire une véritable pause à midi puisqu’il avait pris son repas à la cafeteria, assis face à Priya et encadré de Damian et Elsa qui  avaient parlé durant toooouuut le déjeuner de la mise en place d’un burndown chart pour la gestion lean d’un projet obscur.

Angus avait envisagé une DBD par les fenêtres de la cafet’.

Il était 17h passées, maintenant, et il savait bien qu’il aurait dû boucler ce foutu test en quelques minutes à peine, mais voilà, il ne se souvenait plus du cheminement pour rejoindre la fonction «  numérisation en trois dimensions des pièces à conviction. ». Priya Rahman, dont il voulait bien louer l’infinie patience, était encore assise en face de lui à attendre qu’il daigne bien terminer ce maudit formulaire censé parachever sa formation et le couronner de succès – ou pas-.

Le milicien massa ses yeux rougis par cette exposition excessive aux hologrammes et ne put  retenir un soupir agacé. S’il échouait et que Danielle lui recalait une seconde fois la même formation, il allait décéder. Il releva donc les yeux sur Priya et demanda innocemment :

« Vous êtes sûre que vous m’avez montré ce qui est demandé en question quatre ? »

Allez quoi,… juste un petit coup de main…

Merlin bénisse Priya Rahman. Angus n’aurait plus jamais de pensées négatives à son égard, se promit-il  tandis que la chevelure brune de l’ingénieure frôlait son épaule. Elle était penchée juste au dessus et lui indiquait toutes les erreurs sur son test , les unes après les autres.

Docile comme un agneau, Angus rectifiait chaque réponse en silence, conscient d’agir dans leur intérêt à tous les deux.

Il se savait incapable de mémoriser toutes ces manipulations en une journée à peine. Il lui faudrait surement plusieurs semaines d’entrainement pour maîtriser toutes les fonctions de base du PearPro et il se promit intérieurement de fournir quelques efforts pour pallier ses lacunes. L’avenir de la Milice passait par la maitrise de ces objets démoniaques et il ne pourrait pas y couper. Mais aujourd’hui, son cerveau saturait d’informations qu’il n’avait pas encore digérées.

Quant à Priya elle n’avait surement aucune envie de le voir revenir dans leur locaux pour repasser cette formation. En somme, elle lui offrait le niveau I pour se débarrasser définitivement de lui (enfin, jusqu’à la formation de niveau II, bien sûr).  Sa remarque sur la confidentialité du mot de passe donna l’impression à Angus qu’elle lisait en lui comme dans un livre ouvert . Peut-être avait-elle accès à cette donnée le concernant depuis ses lignes de codes indéchiffrables ? Il ne fit cas de rien et apporta la modification souhaitée par sa formatrice directement sur le questionnaire.

Il se promit toutefois de changer son mot de passe en quelque chose de plus subtil et de moins personnel comme par exemple « 1,2,3,4,5 » (Mais non Priya, il plaisante,  ne te jette pas par la fenêtre de l’open space.)

Dix minutes plus tard, ils se tenaient tous les deux debout devant la porte de la salle de réunion.

"Voilà qui devrait vous permettre de ne pas revenir de si tôt !"
80% de bonnes réponses : Assez pour valider sans que cette réussite ne paraisse trop louche. Danielle allait être satisfaite. Angus espérait qu’elle allait lui laisser quelques mois de répit avant de l’inscrire- de force- à la formation de niveau 2. Il avait besoin de temps pour assimiler réellement les fonctionnalités du niveau débutant.

« C’est tout ce que je nous souhaite. » répondit-il en tendant sa main entre Priya et lui. Cette séparation était incontestablement un soulagement pour tous les deux, « Merci pour votre patience. » dit-il, parfaitement conscient que ces plus vilains travers ressortaient chez lui dès qu’il se trouvait devant un Pear Pro au fonctionnement obscur «  …et pour le reste. » Oui merci pour la bonne dizaine de réponse qu’elle lui avait demandé de compléter sur son test de validation des acquis.

Il accorda un dernier sourire à sa formatrice et quitta prestement l’immeuble Vargas. Il s’arrêta sur le parvis de l’immeuble pour envoyer un dernier message à Danielle Coleman, , non dénué d'humour,  et coupa définitivement son Pear Pro. Terminé pour la journée !

Il transplana sans attendre, pressé de retrouver ses terres irlandaises.