Antonino Tessio, Veilleur, 30 ans

« Lé grand blond, là-bas, avec lé noeud papillon. Tou sais qui c’est ? Avery Fitzgerald Worrell. Mais on lé sournomme Barnum, ici, comme lé célèbre Barnum qui a créé les freak shows aux Etats-Unis il y a des siècles, parce qu’il est propriétaire d’oune multitude d’industries du jeu dans lé pays. Il nous fait même la cour pour nous rachéter les Folies Sorcières et Roy doit déployer dé trésors d’ingéniosité pour refuser sans lé vexer, histoire qu’il continue dé venir lâcher dé l’argent ici. Son dernier jouet ? Lé parc d’attraction dé Leopoldgrad. Il est oune actionnaire majeur du parc. »

Quelqu’un qui passerait à la table qu’occupait Toni dans la vaste partie bar du casino aurait pu penser qu’il présentait différents profils à une chasseuse de tête, sur des investissements financiers d’importance. Il n’en était rien. Toni n’était aucunement recruteur, bien qu’il avait un carnet d’adresses épais comme l’Histoire de Poudlard et qu’il était littéralement capable d’énoncer la vie de chaque client des Folies Sorcières. Quant à Avalon, elle était bel et bien chasseuse, mais plutôt de criminels terroristes, ce que ce fameux Barnum, attablé plus loin en compagnie de ses amis, n’était pas du tout.

La vérité était qu’un tout autre type de chasse occupait les deux amis, actuellement. Une chasse clairement à l’initiative de Toni, un numéro qu’il avait l’habitude de jouer une fois par mois, à peu près, à chaque fois qu’Avalon avait le malheur de s’aventurer dans les Folies Sorcières sans être accompagnée. Il se pencha vers elle, en parlant plus bas, comme s’il lui révélait un secret :

« Un peu sousceptible. Mais plein aux as. Et plutôt romantique, si on en croit les rumeurs. Il est même altruiste, hé, il fait tous les ans des gros dons à des associations de protection des animaux. Jé n’ai jamais mis les pieds chez lui mais apparemment c’est oune véritable ménagerie, il a oune partie de son domaine qui fait genre cinq fois la taille dé ton appartement, uniquement destiné à recueillir des animaux. »

Il eut un sourire et un haussement de sourcils très suggestif dans la direction de la milicienne.

« Alors. Prête à faire des montagnes russes avec Barnum ? »

Avalon remuait distraitement sa paille dans son cocktail, le menton appuyé contre sa paume de main, observant avec un sourire amusé son ami de toujours lui chanter les louanges d'un homme qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam. Elle jeta un regard en direction de l'homme qui occupait la parole de Toni, haussant les sourcils dans une expression plutôt sceptique.

Comme à son habitude, environ une fois par mois, Toni décidait de présenter à Avalon tous les célibataires qui mettaient un pied aux Folies Sorcières - surtout s'ils étaient riches. Il en avait marre, arguait-il lorsqu'elle se rebiffait d'une telle manoeuvre, qu'elle l'appelle à n'importe quelle heure de la nuit pour qu'il vienne la tirer un énième rendez-vous étrange dans lequel elle avait le don de se fourrer. Son ami n'avait pas totalement tort ; Avalon était la reine des dates un peu louches. Mais, pour sa défense, il s'agissait là de pures coïncidences ; sur le papier, tous les hommes qu'elle rencontrait semblaient parfaits, ce n'était que lorsqu'elle les rencontrait qu'elle se rendait compte de la supercherie...

"Hum." lâcha-t-elle pour tout commentaire en terminant son Mojitroll. "Il est peut-être riche, mais dans moins de deux ans, il sera surtout complètement chauve." Il avait déjà une belle calvitie. Elle était un peu vache ; l'homme en question était tout à fait charmant, et elle cherchait le moindre petit défaut pour opposer un refus à son ami.

"Et puis, tu sais bien que je déteste les animaux." Elle avait déjà un million de frères et soeurs, elle n'avait pas besoin d'avoir un chat en plus. Encore moins une ménagerie magique. "Alleeeez, laisse tomber, je suis une cause perdue, tu sais bien." plaisanta-t-elle - à peine.

Antonino Tessio, Veilleur, 30 ans

Evidemment, Avalon ne pouvait pas acquiescer et démontrer de l’intérêt pour les profils que lui présentait l’italien. Il fallait toujours qu’elle trouve quelque chose à redire, cette scène avait un goût de déjà vu pour Toni qui, malgré tout, ne bougeait pas d’un pouce :

« Ouais mais hé, qui s’en fout des cheveux d’un mec ? C’est pas ça qui l’empêche d’être oune beau gosse, régarde-le. Au pire, il est assez riche pour sé racheter des cheveux, crois-moi. »

Il était quelque peu de mauvaise foi car en vérité, lui même accordait de l’importance à sa propre chevelure, il adorait ses boucles souples et serait très chagriné de devoir s’en séparer. Mais Avalon semblait décidée à ne pas se laisser conquérir, sa réplique défaitiste le fit s’insurger, évidemment, car Toni était du genre à tout prendre à coeur :

« Quoiiii mais tou n’es pas dou tout oune cause perdue, régarde-moi cé joli pétit minois ! fit-il en tapotant les joues de la jeune femme. C’est juste qué tou fais aucun effort pour t’intéresser aux bons mecs pour toi. Bon, puisqué tou aimes les cheveux, regarde lé brun là-bas près dé la roulette, désigna t-il avec un mouvement du menton. Il a oune corps presque aussi parfait qué lé mien. Et tiens toi bien, il a un métier assez original car il est… dresseur de Sombrals. Classe, non ? Bon, moins riche qué Barnum, mais honnête, ça paye très bien. Il est à peu près aussi bourrin et têtu qué toi, moi jé dis c’est lé début d’oune belle entente » ajouta t-il avec un grand sourire narquois.

Avalon grimaça en sentant la paume de Toni tapoter sa joue, à l'instar du geste affectueux qu'une grand-mère pourrait avoir pour sa petite-fille. Il ne servait à rien de se voiler la face ; sa vie sentimentale était au point mort depuis plusieurs mois. Elle avait eu, dans sa vie d'adulte, quelques relations plus ou moins longues avec des hommes plus ou moins respectables, ce qui débouchait sur un couple parfaitement instable. Et, à chaque fois, elle se jurait de ne plus recommencer ; elle prônait l'abstinence pendant une semaine, puis réinstallait Tinder.

Son regard suivit la trajectoire indiquée par le menton de Toni, et elle ne put retenir un sourire en observant l'homme barbu, visiblement concentré sur son jeu.

"Je le connais déjà." souffla-t-elle avec un regard appuyé sur son ami. "Et laisse-moi te dire que le port d'une telle barbe rend quelques pratiques sexuelles fortement désagréables." Elle exagérait un peu, mais ne conservait pas non plus un excellent souvenir de la nuit qu'elle avait passé avec le dresseur de Sombral - dont malheureusement, le nom lui échappait aujourd'hui.

La dernière remarque de Toni arracha à Avalon un cri offusqué et elle lui donna un coup sur l'épaule.

"C'est ton caractère de merde qui déteint sur moi, ça fait trop d'années qu'on se connait." répliqua-t-elle en souriant.

Antonino Tessio, Veilleur, 30 ans

La réponse plutôt culottée de la milicienne provoqua un grand éclat de rire chez Toni qui n’eut aucun mal à se figurer la scène qu’elle décrivait implicitement. Il adorait écouter ou raconter ce genre de ragots, il commençait à en connaître un paquet sur l’ensemble de sa clientèle, maintenant, car les filles de l’aile Ouest étaient plutôt bavardes pendant leur pause, aussi.

« J’ai compris, en fait il faut qu’on change dé terrain dé chasse, les gars des Folies, soit ils né t'intéressent pas, soit ils t’ont donné dé l’urticaire en bas, ma pauvre. T’en as d’autres, des histoires comme ça ? »

Il prit une gorgée de son verre, un sourire toujours sur les lèvres, alors qu’Avalon s’indignait de sa boutade. Evidemment, comme toujours, il s'offusqua avec beaucoup de théâtralité, en faisant des grands gestes de ses bras.

« Quoi ! Mon caractère dé merde ? Ose dire que tou l’aime pas comme ça, mon caractère dé merde, espèce de pétite ingrate, heureusement qué j’ai un caractère dé merde, sinon qui viendrait emmerder tous ces mecs chelou qué tu rencontres dans des souterrains ou jé sais pas quoi là ! Hein, bon. Moi jé peut-être un caractère dé merde, mais toi, tou es très doué pour te mettre dans la merde, Av’.»

"J'en ai beaucoup trop, Toni. Beaucoup trop. Mais surtout, contente que ça te fasse rire, au détriment de ma vie sentimentale et de ma santé sexuelle." lâcha-t-elle en reprenant une gorgée de son verre et en quittant du regard l'homme que lui avait désigné Toni.

Ce n'était pas qu'elle n'avait "pas de chance avec les hommes", c'était qu'elle était carrément maudite. Elle en plaisantait avec ses amis, souvent, et de toute façon, elle préférait avoir cette attitude plutôt que de songer que quelque chose clochait réellement avec elle. Elle avait eu quelques histoires plus ou moins sérieuses, toujours tumultueuse, avec des hommes qui ne méritaient ni son temps, ni son affection, mais qu'elle leur accordait quand même. Elle n'avait jamais été amoureuse à proprement parler, seulement dépendante affectivement et terrifiée à l'idée de se retrouver seule.

"Quoi ?" s'offusqua-t-elle. Il avait raison ; elle n'était pas seulement douée pour se mettre dans la merde, c'était un véritable talent chez elle, mais plutôt mourir que de le reconnaître. "Abuse pas, ça arrive pas si souvent que ça." Si. "Et je suis parfaitement capable de m'en sortir toute seule." Oui, mais pas quand elle était ivre, elle préférait appeler Toni à la rescousse. "C'est toi que ça amuse de venir dans des souterrains, ça te change de ton univers doré." plaisanta-t-elle en haussant les sourcils.

Antonino Tessio, Veilleur, 30 ans

« Sans rancune, p’tite soeur » déclara Toni avec un rire moqueur, en passant son bras autour des épaules de la milicienne.

Les mésaventures sexuelles d’Avalon l’amusaient beaucoup et Toni était globalement taquin avec son entourage, surtout s’il s’agissait de gens proches. Avalon avait une place spéciale dans son coeur, d’abord parce qu’elle était probablement sa seule amie du sexe féminin -il fallait bien une exception pour confirmer sa règle que l’amitié fille-garçon n’existait pas- ensuite parce qu’il la connaissait presque depuis autant de temps qu’il connaissait Fergus. Tous les deux faisaient partie des premières personnes avec qui il avait noué des liens en débarquant en Angleterre, dix ans plus tôt. Il se souvenait d’une Avalon beaucoup plus sauvage, à l’époque, paumée, blessée par des événements terribles et en cela, ils avaient eu de nombreux points communs qui leur avait permis de se rapprocher tous les deux. Maintenant, il n’était pas exagéré pour lui d’affirmer qu’Avalon était de sa famille, sa famille de coeur, aussi importante, si ce n’est plus, que sa famille de sang avec qui ses liens étaient très tumultueux.

Parce qu’il tenait beaucoup à Avalon, malgré ses nombreuses boutades, Toni souhaitait qu’elle soit heureuse. Il la voyait enchaîner les hommes pas fréquentables, égoïstes et cons, s’attacher à eux sans obtenir la même chose en retour et de nombreuses fois, il s’était mis en colère contre ces crétins qui pourrissaient sa vie -allant jusqu’à casser la figure à deux ou trois parmi eux. Il veillait férocement sur Avalon, et même s’il savait qu’elle savait parfaitement se défendre, parfois, elle se retrouvait dans des situations dangereuses et ne lui en déplaise, il était la première personne dans son répertoire qu’elle contactait pour l’en sortir. Telle était la vérité, malgré la mauvaise foi évidente dont elle faisait preuve et dont il avait l’habitude la concernant.

« Mon univers doré ? ricana t-il. Haha, chérie, crois-moi, tes souterrains louches né sont rien comparés à la crasse inhumaine qu’on peut trouver dans la Voie des Miracles. Il tapota l’épaule de son amie. Toi, tou as surtout un talent pour té rétrouver dans des situations totalement improbables. Parfois, jé mé dis qué tou lé fais exprès. Jé sais qué tou m’adores, mais t’as pas bésoin dé ça pour attirer mon attention, tou sais. »

Avalon se laissa entraîner de mauvaise grâce contre Toni, levant ostensiblement les yeux au ciel lorsqu'il la qualifia de "petite". Au fond, elle aimait profondément l'italien, et il le savait parfaitement. Elle le connaissait depuis des années, et le considérait comme son frère de coeur. Ils avaient passé dix ans à rendre Fergus fou - cet homme était d'une patience infinie - et à se chamailler pour des bêtises, qu'ils oubliaient souvent avant même que leur dispute ne prenne fin.

La mauvaise foi d'Avalon était légendaire, surtout dans la sphère privée - elle parvenait à être suffisamment professionnelle pour réprimer cette partie d'elle-même sur son lieu de travail et, en vérité, elle n'avait pas trop le choix. Toni la connaissait sous cet angle borné, buté, où rien, pas même la vérité exposée sous forme de solution simple comme 2+2=4 aurait pu la faire changer d'avis.

"J'ai fréquenté la Voie des Miracles, darling" railla-t-elle en souriant, "Ne me transforme pas en petite princesse, tu risquerais d'y perdre la plus précieuse partie de ton anatomie." Sa réflexion suivante lui tira un éclat de rire alors qu'elle secouait la tête. "Moi, je pense surtout que t'as besoin de jouer le preux chevalier et ça, mon cher Antonino, c'est pour typiquement masculin pour compenser un complexe." Elle lui adressa un sourire et déposa un bisou sur sa joue renfrognée.

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« Jé sais, mais ça a changé depuis le temps » répliqua Toni au sujet de la Voie, simplement pour avoir le dernier mot.

Effectivement, fut un temps où Avalon traînait avec Fergus et lui dans les recoins sales et sombres de la Voie, pour leur filer un coup de main sur leurs affaires. En vérité, c’était surtout une façon pour Fergus de garder Avalon à l’oeil et la tenir occupée loin de sa famille néfaste. Puis un jour, elle avait décidé de suivre un autre chemin, un chemin qui lui convenait mieux, s’il fallait être honnête, même si ce temps où ils faisaient un trio de délinquants tous les trois manquait un peu à Toni, parfois. Pour autant, Avalon ne les avait pas oubliés, comme il en avait eu la crainte au départ. Toni avait beaucoup moins bien reçu que Fergus sa décision de s’engager chez les Aurors, à l’époque. Mais la jeune femme avait su dissiper tout procès d’intention et désormais, Toni voyait largement des avantages à avoir une amie aussi proche dans le camp des forces de l’ordre.

« Wooooh, laisse ma bite tranquille, Av’, tou veux bien ». Il ajouta avec un large sourire et très peu d’élégance : « Elle rend heureuse beaucoup trop dé femmes. »

Pour rien au monde, il n’aurait échangé ces soirées sans nul autre objectif que de rire avec Avalon, la vanner et discuter de sujets sans importance, qui tournaient d’ailleurs souvent autour du sexe, sans grande surprise. Toni rejeta d’un geste de la main l’analyse pseudo-psychologique que son amie fit de sa personnalité, mais accepta sans broncher son bisou affectueux.

« Ah ouais ? Quel genre dé complexe, jé t’écoute, miss intello ? » Son sourire s’agrandit, alors qu’il se penchait sur Avalon, son bras passé autour de ses épaules : « Et après on parléra dé tes complexes à toi, genre ceux qui t’empêchent dé té trouver un mec correct. »

"Oui, j'imagine, que c'est beaucoup moins fréquentable depuis que les Veilleurs ont la main-mise sur tout Bristol." ironisa Avalon, bien décidée à ne pas lâcher l'affaire.

Elle avait connu Fergus, Toni et Roy à l'époque où le gang en était à ses débuts, où la rivalité et la concurrence était encore de mise - à coup sûr, la Voie des Miracles était bien plus sombre à cette époque, quoique puisse en dire Toni, qui, de toute façon, ne voudrait jamais lui donner raison.

"C'est ce qu'elles te disent, ça, chouchou." répondit-elle du tac-au-tac avec un clin d'oeil. "Mais c'est pas ce qu'on raconte en privé..." C'était faux - enfin, Avalon n'en savait rien, elle n'allait pas parler des prouesses sexuelles de son ami avec ses conquêtes - mais elle adorait l'embêter sur ce sujet, si précieux aux yeux de l'italien.

Toni et Avalon étaient deux grands enfants - surtout lorsqu'ils étaient ensemble. Ils avaient passé les dix dernières années à se disputer, à se hurler dessus comme des poissonniers, sous le regard épuisé mais patient de Fergus et encouragés par Roy, qui aimait attiser leur colère. En réalité, ils aimaient plus se chamailler qu'autre chose ; la plupart du temps, ils oubliaient le sujet initial de leur dispute bien avant avoir fini de crier l'un sur l'autre.

"Je vais pas te faire un dessin, ce serait trop petit, tu verrais rien." répliqua-t-elle, avant d'adopter une mine outrée lorsque Toni mentionna ses propres complexes, qui l'empêchaient visiblement de trouver un mec. Elle préféra lui couper l'herbe sous le pied avec une mine suffisante : "Oedipe non-résolu, c'est pour ça que je passe ma vie à traîner avec des mafieux."

Antonino Tessio, Veilleur, 30 ans

« Ça, bella, c’est oune question dé point dé vue, répliqua t-il d’un ton docte en levant son doigt, tel un professeur. Pour nous, c’est comme d’être chez nous. Pour les autres, c’est probablement plous hostile qu’avant » conclut-il en haussant les épaules, avec un sourire en coin.

Mais Avalon n’avait pas tort, il y avait une Voie des Miracles avant les Veilleurs et une autre après. L’ambiance avait totalement changé entre les deux époques. Chaque bar était un repaire de prédilection pour leur gang, leurs yeux et leurs oreilles étaient partout. A l’image de la ville de Bristol qui l’abritait, la Voie des Miracles était sous un contrôle bien maîtrisé, plutôt pesant pour les étrangers qui y mettaient les pieds. C’était littéralement leur territoire, leur marché.

Avalon faisait partie de ces quelques miliciens dont on tolérait la présence là-bas, pour ses liens de proximité avec des Veilleurs hauts placés, même si elle était souvent un peu trop insolente avec eux, de l’avis de Toni. Outré par sa petite pique sur un sujet sur lequel il démarrait effectivement au quart de tour, il eut ce geste insupportable pour ébouriffer les cheveux de la jeune femme, tel un enfant de huit ans qui embêtait sa soeur.

« Genre elles té racontent des trucs ! Comme si jé couchais avec tes potes. Enfin… Il mima un bref instant de réflexion. J’avoue, ça a du m’arriver oune ou deux fois. »

Peut-être un peu plus. Etait-ce sa faute si Avalon traînait avec de jolies femmes de leur âge ? Mais ce n’était pas fini, elle avait décidément enclenché le mode mitraillette ce soir, et sa taquinerie suivante au sujet de ses complexes fit prendre une posture théâtrale à l’italien.

« Jé vais faire comme si j’avais pas entendu, Av’, parce qué sinon on va sé battre toi et moi. »

En vérité il l’attaqua sur un sujet similaire et fut ravi de voir son visage se tordre en une grimace. Il pensait tout à fait qu’Avalon cachait des complexes sentimentaux pour avoir une telle poisse avec ses relations amoureuses, même s’il n’était en vérité pas assez fin psychologue pour en faire une analyse précise. Son sourire se fit moqueur tandis qu’il la provoquait un peu plus :

« Oh vraiment, Oedipe, hein. Et alors dans notre grande famille dé Veilleurs, qui joue lé rôle dé ton papa qué tou a secrètement envie dé té taper ? »

"Ca, c'est parce que mes amies ont bon goût." répliqua-t-elle, avant d'hausser un sourcil, et de rajouter : "Enfin, à part une ou deux..."

Si Avalon était purement objective, elle aurait pu reconnaître l'attractivité que l'italien exerçait sur la gente féminine. Elle le savait beau - elle lui disait, parfois ; rarement, parce qu'il avait tendance à prendre la grosse tête - mais elle ne parvenait pas à le voir de ses propres yeux. D'aussi loin qu'elle se souvenait, elle n'avait jamais envisagé le Veilleur sous une perspective amoureuse, ou sexuelle. Ils avaient noué des liens trop forts, trop intimes, à des moments de sa vie où Avalon n'était pas prête à laisser un homme entrer dans sa vie. Et c'était tant mieux.

"Et si on se bat, tu sais très bien que je gagne, Tessio." fit-elle d'un ton tranquille, un sourire provocateur accroché aux lèvres, alors qu'elle se retenait de rire.

Leurs petites joutes verbales constituaient l'un de ses moments préférés - même si elle ne l'aurait jamais avoué, et, de façon, elle savait que Toni savait aussi. Ce dernier s'empressa d'ailleurs de relancer une énième petite pique sur un sujet aussi douloureux qu'amusant.

"Hum." fit-elle, l'air songeuse. "Fergus, évidemment." Elle ne put s'empêcher de rire à sa propre blague, avant de rajouter : "Je pourrais devenir la belle-mère de Laoise, et officiellement sa personne préférée sur terre." Cheh.

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« La mauvaise foi d’Avalon Davies a encore frappé ! Arrête, tou sais très bien qué jé souis lé plou bel homme qué tou connais. »

Toni n’avait guère besoin de compliments pour s’aimer, il avait déjà une assez grande estime de lui-même, mais évidemment, cela faisait toujours plaisir d’entendre les autres reconnaître qu’il était le plus beau et le plus fort. Avalon passait sa vie à le charrier alors c’était rarement de sa part qu’il allait obtenir une belle déclaration d’amour. Quoique c’était arrivé quelques fois, à des heures avancées de la nuit, avec une grosse dose d’alcool de leurs organismes respectifs.

Il y avait un autre domaine où Toni aimait être reconnu comme le meilleur, alors évidemment, il prit immédiatement au sérieux la provocation d’Avalon, croisant ses gros bras musclés face à elle :

« Alors. Ca dépend. Duel façon moldu ou façon sorcier ? Parce qué dans le premier cas, il est évident que jé té bats. Dans le second… Moi jé dis, ça demande vérification. Alors, chiche ? »

Mais il y avait peut-être un dernier domaine de confrontation dans lequel Toni était encore plus sérieux que jamais. Avalon le toucha du doigt en prononçant le nom de Laoise et aussitôt, il se redressa sur ses jambes, dans une position où il pouvait facilement la toiser du haut de son mètre quatre-vingt.

« QUOI alors déjà toi qui té case avec Fergus, c’est grave sale -c’était la famille, quoi- et en plus tout lé monde sait qué la belle-mère c’est la pire position dou monde, t’as jamais regardé Blanche-Neige ou Cendrillon ou quoi, railla t-il, partageant des références moldues qu’ils étaient les seuls à comprendre dans leur bande, tou séras pas la personne préférée dé Laoise, tou seras celle qui lui vole son papa, déso. »

"T t t t..." fit Avalon en levant un doigt qu'elle pointa en direction de son ami. "C'est absolument pas évident. Déjà, c'est certain que je te bats en duel magique, et ensuite, je suis sûre de pouvoir te faire mordre la poussière à la moldue." fanfaronna-t-elle.

Pour autant, elle ne s'y risquerait pas, car Avalon était bien trop consciente qu'elle était largement moins forte physiquement que Toni, et elle préférait éviter de lui donner la satisfaction de la battre. De toute façon, les deux amis ne se battaient pas - sauf verbalement, et parfois, à raison de quelques coups bien sentis derrière la nuque. C'était ce qu'elle préférait, au fond - elle s'était déjà bien trop battue avec ses frères et soeurs, chez ses parents, pour toute une vie. Chez les Davies, c'était la loi du plus fort qui régnait. Celui qui criait le plus était celui qui argumentait le mieux, et celui qui tapait le plus fort était celui à qui on donnait raison. Avalon était la plus âgée des filles, mais Néro avait eu coutume de les martyriser un peu, elle et son jumeau parce qu'il était de son devoir, expliquait-il, de leur apprendre la vie. Elle avait bien appris à se défendre ; elle était à peu près certaine que Néro gardait dans le coup la marque de ses dents, un jour où elle l'avait mordu alors qu'il lui tordait le poignet.

"Ca va, tu sais bien que je déconne." railla Avalon lorsque Toni s'offusqua d'une union entre Fergus et elle - si elle devait être toute à fait honnête, elle dirait qu'elle ressentait également une légère sensation de malaise à cette idée. "Et non j'ai jamais regardé Cendrillon, tu crois vraiment qu'on était princesse et Disney dans ma famille ?" rétorqua-t-elle en arquant à sourcil. Mais, bon, oui, c'était plus pour l'argument, parce qu'elle avait en effet déjà vu Blanche-Neige. "Ouais, enfin, en même temps, avec la mère qu'a Laoise, c'est pas non plus une mauvaise idée qu'elle ait une autre figure féminine dans sa vie, hein."

Avalon échangea un regard entendu avec Toni. Parce que, s'ils adoraient passer des heures à se lancer des piques, ils avaient une véritable passion pour se liguer ensemble contre les autres.

Antonino Tessio, Veilleur, 30 ans

« Tou m’cherches, hein ! On va vraiment finir par sé battre, pour qué tou apprennes à rester à ta place ! »

Toni avait déjà mis à terre des hommes dix plus larges et plus haut qu’Avalon, dont le petit gabarit ne lui faisait absolument pas peur. En revanche, il savait qu’elle était une fine baguette et c’était entre autres ce qui lui valait sa position actuelle de lieutenante à la Milice alors il ne pouvait pas la sous-estimer sur ce plan, même s’il préférait mourir plutôt que de l’admettre. Leur terrain de confrontation était à peu près aussi large que leurs egos alors ils pouvaient continuer indéfiniment ce petit jeu de provocation. Une manière d’en sortir et qui avait largement fait ses preuves pour eux était de se trouver un ennemi commun et évidemment, Avalon le toucha du doigt en évoquant l’ex-femme de Fergus. Cela suffisait à tirer une grimace de dégoût à Toni, comme s’il se trouvait face à une chose véritablement repoussante.

« Té compare pas avec cette grosse pute, y a pas photo. »

La haine et la méfiance qu’il vouait à cette femme n’avait pas vraiment disparu avec les années, il sentait toujours son corps se tendre en apercevant sa silhouette ou en entendant parler d’elle. Elle avait fait souffrir Fergus à un niveau que Toni ne lui pardonnerait jamais, en plus d’avoir tenté de le séparer de ses amis. La seule et unique chose qu’elle avait fait de bien dans sa vie était d’avoir donné naissance à Laoise, que Toni aimait aussi chèrement que s’il s’agissait de sa famille.

Il vouait ce même amour filial à Avalon avec qui il n’avait pourtant aucun lien de sang et en l’honneur de cela, il l’attira dans ses bras, dans une de ces étreintes à la fois pleines de tendresse et de brutalité dont il avait le secret. Ainsi était Toni : il pouvait passer des disputes aux câlins et aux déclarations d’amour, sans aucune transition.

« Av’, j’suis content qué tou sois là, on té voit pas assez en cé moment, déclara t-il en tapotant son dos de sa grande main. Tou travailles trop hein. La prochaine fois qué jé vois Danielle, jé vais loui dire dé té laisser souffler un peu, elle té laisse faire trop dé sale boulot moi jé té dis. »