Sous incarcerem [Emma, Melchior & Angus]

07 janvier 2011

La voix de Jimmy Holliday résonnait sur le chantier depuis  plus de deux heures maintenant, couverte de temps à autre par celle d’Angus qui reprenait les refrains en chœur avec son idole.

Live à Dublin 2002. Le meilleur album de Jimmy.

Angus avait assisté au concert d’anthologie du rockeur en compagnie de ses amis d’enfance et il gardait en mémoire le souvenir d’une soirée magique. Il avait tatoué sur sa peau la date de ce live juste sous le portrait de Jimmy qui ornait son épaule et il ne se lassait pas d’écouter l’enregistrement de cette soirée. Ce qu’ils faisaient d’ailleurs  avec Emma depuis le début de l’après midi.

La jeune femme avait passé la nuit chez lui et les deux amants avaient longuement trainé au lit ce matin. Il était midi passé lorsqu’ils avaient consenti à se lever pour déjeuner. Enfin « se lever » c’était un grand mot :  Ils avaient pique-niqué sur les draps défaits avant qu’Emma ne s’éclipse dans la salle de bain. Elle en était ressortie en tenue de chantier –salopette de rigueur- prête à honorer son engagement et à l’aider dans ses travaux.

Pour être honnête, Angus avait été surpris – et un peu touché, il devait l’avouer- qu’elle respecte sa promesse. Séduit, il avait enfilé son bas de survêtement, ses chaussures de sécurité et son marcel sans rechigné. Les deux amants avaient rejoint la maison en chantier pour s’atteler au lancement des charmes d’isolation. Ils avaient ensuite jeté plusieurs sortilèges d’assainissements, d’anti-humidité avant de poser le carrelage de la cuisine ouverte. Angus avait expliqué à Emma les principes de base et il l’avait laissé se débrouiller seule avec les sorts de découpe et de collage tandis qu’il posait des lambourdes dans l’autre coin de la pièce censé  accueillir le plancher de la grande pièce à vivre donnant sur l’extérieur par de hautes baies vitrées.  
Depuis quelques semaines, il avait l’impression qu’Emma cherchait à passer plus de temps avec lui et il ne savait pas vraiment quoi en penser. Il avait décidé de ne pas trop se poser de questions et de prendre cette relation comme elle venait : Emma apportait de la tendresse et de la sensualité dans sa vie. Elle soufflait  un vent de jeunesse et de fraicheur revigorant. Angus appréciait leurs moments partagés et même une après-midi entière à faire des travaux devenait une partie de plaisir en sa compagnie. Il n’avait pas remis les pieds dans sa maison en chantier depuis plusieurs mois et il se surprenait à apprécier de nouveau cette ambiance devenue particulière, presque festive, maintenant qu’il la partageait avec quelqu’un.

«OOOOooooh fini... fini pour moi ! chantonna-t-il au dessus de la voix de Jimmy qui s’élevait depuis le poste de la RITM posé sur les marches d’escalier qui menaient à l’étage. Angus agissait tout naturellement, comme s’il avait été parfaitement seul, Je ne veux plus voir mon image dans tes yeux . »
Il attrapa sa baguette comme un micro et poursuivit sa prestation en enjambant les lambourdes fixées au sol en direction de l’espace cuisine, esquissant même quelques pas de danse :

« Dix ans de chaîne sans voir le jour c'était ma peine forçat de l'amour
Et bonne chance à celui qui veut ma place !
Dix ans de chaîne sans voir le jour c'était ma peine forçat de l'amour  
J'ai refusé, mourir d’amour sous incarcereeeem. »

Les jappements de Nox se mêlèrent à la voix de son maître. Visiblement, le vieil English Mastiff n’appréciait que très modérément la prestation d’Angus puisqu’il vint se positionner devant lui, l’air agité, la patte en suspension pour griffer son jogging. Le milicien tapota la tête de son chien afin de l’apaiser quelque peu:
« Et ben alors, tu n’aimes pas quand je chante gros pépère ? »
Il se pencha pour le dorloter quelques instants avant de s’approcher d’Emma qui semblait en pleine contemplation de  son travail accompli.
«  Héé, sacré boulot ! lâcha Angus en enserrant le buste  de  la jeune femme qui lui tournait le dos. Il appuya sa mâchoire contre la tempe d’Emma et resserra légèrement son étreinte, On dirait que tu as fait ça toute ta vie, ajouta-t-il  en observant d’un œil expert la qualité des joints et l’alignement des carreaux, Une vraie pro du chantier… C’est surement grâce à la salopette. »
Son visage se para d’un sourire canaille tandis qu’il faisait sauter  les attaches maintenant les bretelles du vêtement d’un geste expert.  Il se pencha un peu pour embrasser la clavicule de la jeune femme par-dessus son tee shirt et ajouta, On a assez travaillé pour aujourd’hui. Tu ne crois pas ? »

Hum.

Voilà à quoi se résumaient la plupart des rendez-vous entre Angus et Emma. Non, ils ne passaient pas leurs journées à refaire le monde, ni à se chercher des points communs qu'ils étaient parfaitement  conscients de ne pas avoir de toute manière. Personne n'était dupe dans cette histoire. Qu'auraient ils bien pu partager d'autre, mise  à part du sexe ?
Angus avait bien conscience qu'ils ne pouvaient pas être plus différents l'un de l'autre - entre leur différence d'âge, leurs centres d'intérêts divers et leurs milieux sociaux, rien ne collait- mais il s'accommodait de cette situation. Ils n'avaient pas besoin d'avoir les mêmes goûts pour honorer leur accord. Emma était jolie, désirable et ouverte aux nouvelles expériences. Que demander de plus ? Tant que leurs entrevues s'inscrivaient dans le respect de l'autre, Angus ne voyait aucun inconvénient.

Le milicien détacha ses lèvres de la jeune femme et la reposa au sol avant de  réajuster quelques peu ses vêtements, le souffle court, le cœur battant. C'était toujours comme ça avec Emma: Ils étaient pris d'une fièvre soudaine - contre laquelle ils n'avaient aucune envie de lutter- et ils se laissaient emporter dans ce tourbillon sensuel et enivrant, allant jusqu'à oublier tout ce qui les entourait. Ils n'avaient peut être aucun point commun culturellement parlant mais leur alchimie physique était réelle et incontestable.

Angus esquissa un sourire pour son amante et reporta son attention sur l’extérieur à travers les larges baies. Le paysage environnant baigné d’une lumière crépusculaire annonçait la fin de cette journée …et de leur rendez-vous. En effet, ce soir, Angus avait prévu de passer sa soirée  avec Melchior. Les deux amis étaient censés se retrouver chez Mel avant d’aller manger un bout quelque part et de poursuivre la soirée dans un endroit festif. Une boite de Leopolgrad,  peut-être, ou les Folies, ils n’avaient pas encore décidé. Tant qu’ils évitaient les clubs gays, le milicien  se fichait bien de la destination.

« Tu veux prendre une douche avant de partir ? » proposa-t-il avant de se rendre compte qu’il n’avait pas encore évoqué sa soirée avec Emma, J’ai un truc de prévu ce soir, il ne va pas falloir que je tarde trop. » ajouta-t-il  en ordonnant le chantier. Il rangea quelques éléments, éteignit sa radio poussiéreuse et convoqua ses animaux de compagnie d’un sifflement avant d’ouvrir la porte pour les faire sortir. Le froid et l’humidité s’engouffrèrent à l’intérieur, tandis qu’Angus s’effaçait pour laisser passer Emma afin qu’ils rejoignent le mobil-home, quelques dizaines de mètres en contre bas.

Les casseroles sales de leur petit déjeuner trainaient encore dans l’évier, comme leurs assiettes empilées à la hâte sur le plan de travail. Angus remisa la vaisselle à plus tard (demain ou après demain, tout dépendrait de l’état dans lequel il allait rentrer ce soir) et préféra se sortir une bière du frais.

« Tu en veux une ? » Il leva sa canette format XL de Kinness  pour la montrer à Emma avant de détailler le contenu du placard assez peu garni  en boisson non alcoolisée, il devait l’avouer- si tu préfères j’ai du jus d’orange ( un fond qui restait du petit-dejeuner)ou… de l’eau. »

En effet, il avait cru deviner que la Kinness n’était pas la bière préférée d’Emma – si tant est qu’elle eut aimé la bière !

Il lui servit finalement de quoi se désaltérer après cette journée de sexe de travail et s’assit sur le rebord du lit défait, savourant cette petite pause salutaire avant de partir à l’assaut d’une nuit festive. Angus but une première gorgée de Kinness et poussa un long  soupir de contentement. Ce n’était peut-être pas la bière le plus désaltérante du monde–une blonde lager aurait été plus efficace- mais il préférait de loin sa bonne vieille stout ! Le milicien posa ses coudes sur ses genoux largement ouverts – Visiblement, il n’avait pas entendu parlé du magespreading- et engagea la conversation avec la jeune femme.

« Au fait, ça en est où votre recherche d’appart’ avec ton amie ? il avait cru comprendre qu’Emma projetait de s’installer en colocation, vous cherchez dans quel secteur ? » s’enquit-il avant de descendre une autre goulée de bière.

Melchior et Angus étaient installés depuis plusieurs heures dans une alcôve de la partie lounge d’un célèbre club leopoldgradien. Ils avaient boudé la piste de danse à leur arrivée, préférant prendre le temps de discuter un peu de leurs vies respectives, et ils n’avaient pas bougé depuis. S’ils étaient prompts à se chambrer et à plaisanter la plupart du temps, il leur arrivait parfois de parler un peu plus sérieusement. C’était justement l’une de ces soirées où les confidences allaient bon train entre les deux amis d’enfance, confidences qu’il partageaient autour d’un bon verre de whisky confortablement assis sur une large banquette en cuir en forme de demi-cercle.

« Elle n’est plus aussi compétente qu’avant, expliquait Angus avec animation, son verre dans une main et son autre bras appuyé sur le dossier, Elle ne se rend pas compte que ses embaumements laissent à désirer. L’autre jour,  j’ai été obligé de repasser derrière elle pour rectifier le sourire qu’elle avait fait à un cadavre. »

Saroise Rice, la mère de Doreen et Angus s’évertuait à maintenir à flot l’entreprise familiale de pompes funèbres en dépit de son âge avancé. Elle ne se gênait pas pour le faire remarquer à ses enfants d’ailleurs – enfin surtout à Doreen- en la gratifiant fréquemment de petites piques culpabilisantes, Je pense qu’elle a des problèmes de vue, comme la cataracte, mais elle ne veut pas se l’avouer, et encore moins consulter, Angus avait essayé d’aborder le sujet quelques fois mais il s’était pris, en retour, une volée de bois verts, Tu connais ma mère ! »

Évidemment, Melchior avait déjà rencontré les époux Rice. Du temps de sa scolarité à Poudlard, il avait passé plusieurs jours à Caherciveen durant les vacances et Angus avait fait de même chez les Haïk. D’ailleurs leurs parents respectifs ne pouvaient pas être plus différents. Les exacts opposés même :Traditionnels et sévères pour les Rice, libertaires et modernes pour les Haik.

« Enfin, que veux tu, c’est le cycle de la vie : Les responsabilités et les inquiétudes s’inversent. Souffla Angus d’un air fataliste en faisant tourner son whisky irlandais dans le cristal, On entre doucement dans la période où, nous, les enfants, allons devoir prendre soin de nos parents. On va s’ inquiéter pour eux et demander qu’ils nous envoient un patronus quand ils arrivent à destination après un long transplanage… plaisanta-t-il en riant doucement, Enfin, toi, tu vas plutôt rappeler à Tiberus qu’il doit avoir des rapports sexuels protégés ! »

Les préoccupations chez les Rice et chez les Haïk étaient loin d’être les mêmes !

Angus faisait de l’humour sur ces sujets mais il n’était pas aussi détaché qu’il n’y paraissait. La quarantaine approchant dangereusement il pensait souvent à l’éphémérité de la vie et surtout à la rapidité avec laquelle elle passait. Il se surprenait de plus en plus régulièrement à faire le bilan de son existence.
Etait-ce la fameuse crise de la quarantaine ? Peut-être, même s’il n’avait pas l’impression de partager grand chose avec ces quadra avides d’entretenir leur jeunesse coûte que coûte. Certes, il fréquentait actuellement une femme de 18 ans sa cadette mais il n’avait pas l’impression d’avoir recherché cette différences d’âge entre eux dans le but de se rassurer sur son sex-appeal. Ils s’étaient plus mutuellement, un point c’est tout. Et puis, Emma et lui, ce n’était pas sérieux, n’est-ce pas ?

Ce qui le préoccupait davantage toutefois, c’était son incapacité à construire une relation durable. Cette lacune le privait de la vie de famille qu’il rêvait d’avoir, un manque certain dans son existence  qu’il n’évoquait  qu’en de très rares occasions. Ils étaient peu nombreux, autour de lui, à mesurer pleinement son désir d’enfant. Il faut dire qu’il en parlait rarement et que son mode de vie actuel ne se prêtait pas vraiment à la paternité : Entre les missions de la Milice, les soirées au pub et ses rendez-vous charnels avec Emma, il y avait peu de place pour des enfants dans l’équation. Pourtant Angus était sûr qu’il ferait un bon père le jour venu. Il n’avait aucun doute concernant sa capacité à élever un enfant,même seul.

D'ailleurs, il y pensait de plus en plus.

Ce désir profond et puissant -qu’il avait toujours eu en lui- ne faisait que grandir devant l’urgence de la situation et les années défilant inexorablement. Angus ne voulait pas passer dans ce monde sans rien construire, ni rien transmettre à quiconque. Bien sûr il avait Chelsea et Lester, ses neveux, mais ce n’était pas pareil. Il n’était que leur oncle -leur oncle préféré, certes- mais Angus aspirait à tellement plus. Il était las d’attendre la soi-disant « femme de sa vie » pour fonder une famille. D'ailleurs, il commençait même à avoir d’autres projets qu’il n’avait encore évoqué avec personne.

Mais, peut-être que ce soir…

Le milicien releva les yeux vers Melchior et finit par demander :

« Comment va ton père au fait ? Et Rosie ? La forme ? »

Former un apprenti, en soit l’idée se tenait, mais Angus doutait fortement que sa mère laisse entrer autre chose qu’un Rice dans sa salle d’embaumement. S’ils devaient attendre que Chelsea ou Lester, ses neveux, se découvrent une passion pour les cadavres et les corps en décomposition, ils n’étaient pas rendus ! Le milicien se promit toutefois d’évoquer l’éventualité de former un repreneur auprès de Saroise, au moins pour qu’elle commence à se faire à l’idée qu’il était temps de passer la main.

La remarque suivante de Melchior lui tira un léger rire silencieux. Ses épaules massives tressautèrent tandis qu’il se rappelait ses folles journées chez les pères de son ami durant sa prime jeunesse. Il se souvenait encore du choc qu’avait représenté pour lui la découverte de ce mode de vie bohême et libertaire. C’était chez Melchior qu’Angus, du haut de ses treize ans, avait vu la première femme nue de sa vie. Pas de ça chez les Rice, bien sûr, mais chez les Haik-Avery, il n’y avait aucun tabou, aucune pudeur, aucune limite. Le sens du mot adulte ne semblait pas être le même entre les murs de leur villa : Les pères de Melchior n’étaient pas obnubilés par les responsabilités, contraints par le monde, formatés par la société, il ne vivaient que pour une chose : Jouir de leur existence.

Adolescent, Angus avait été fasciné par ce couple hors du commun et leur conception de l’éducation. Il lui était arrivé d’envier profondément le quotidien de Melchior, quotidien affranchi des règles de vie strictes auxquelles, lui, il devait se conformer (plus ou moins !). Mais au fil du temps, Angus s’était rendu compte que la liberté de son ami n’était que relative : Qui nettoyait l’appartement après les fêtes et les orgies de ses parents ? Melchior. Qui gérait les papiers administratifs chez les Haik ? Melchior, encore et toujours.

Mel avait assuré l’intendance toutes ces années pour que ses pères puissent vivre dans l’insouciance. Dès lors, la vision que se faisait Angus de Tiberus et Salim avait changée : Même s’il les trouvait toujours aussi géniaux et amusants, leur aura était ternie par leur égoïsme. C’était  Mel qui avait endossé les responsabilités que ses pères refusaient de prendre.

Il avait raison, il assurait le rôle de chef  de famille depuis bien longtemps, lui.
Angus médita quelques instants cet état de fait avant de s’enquérir, justement ,de la santé de Rosie et Tiberus. L’expression de Melchior vrilla instantanément, il plissa le nez dans une grimace de dégout et son ton – lapidaire- aiguisa l’intérêt et l’inquiétude du milicien.

« Comment ça –t’imagines ?- demanda Angus en fronçant les sourcils, c’est quoi le problème ? »

Il connaissait assez Melchior pour savoir que quelque chose clochait. Du moins, autre chose que son cocktail vert fluo visiblement infect . Mel ne tarda pas à se confier plus en détail sur la situation de son père et de sa « tante ». Si Angus avait craint pour la santé des deux séniors il fut rassuré d’entendre l’origine du problème, qui, à ses yeux, n’en était pas vraiment un : Tiberus et Rosie vivaient ensemble…
« Et alors ? » dit il avec une moue tombante, « Ils ont toujours vécu plus ou moins ensemble, non ? »

Aussi loin qu’Angus se souvienne, Rosie avait toujours trainé dans la maison de Melchior – comme des dizaines d’autres personnes d’ailleurs. Ce qui semblait poser problème à Mel, aujourd’hui, c’était l’exclusivité sentimentale de Tiberus envers Rosie. A l’écouter, les deux seniors partageaient des sentiments amoureux et Melchior ne pouvait pas supporter l’idée que Salim, son défunt père, soit , soi-disant, détrôné dans le cœur de Tiberus. Fusse même par sa génitrice.

« Qu’est ce que j’en penserais si ma mère se remettait avec quelqu’un d’autre que mon père ? Angus réfléchit quelques instants à la question avant de s’en remettre à l’humour, Je plaindrais ce pauvre fou.»

Il rit de sa boutade avant de retrouver un ton plus approprié.

« Allons Mel, ton père ne renie pas sa vie avec Salim, c’est juste que Salim n’est plus là, depuis longtemps, et qu’on ne partage rien avec un mort. -sauf les nécrophiles, bien sûr- songea-t-il en retenant sa blague, conscient que ce n’était pas le bon moment. Les conversations sérieuses se respectaient. Angus but une gorgée de whisky et reprit, tu préférerais le voir se morfondre seul ? Ou enchainer les conquêtes pour oublier qu’il a perdu l’amour de sa vie ? Il interrogea son ami du regard, Tes pères s’aimaient profondément et ça, rien ne pourra le changer.Mais Tiberus n’est pas mort avec Salim, il a le droit de refaire sa vie et d’être heureux de nouveau auprès de quelqu’un. En plus, c’est Rosie,   tu l’as toujours adorée. Angus laissa passer quelques instants de silence, Personnellement, je trouve que c’est une super nouvelle pour ton père, il esquissa un léger sourire compatissant, bien conscient de s’inscrire en faux. S’ils étaient amis depuis tant d’années c’était justement parce qu’ils se montraient sincères l’un envers l’autre, après tu peux dire à Tiberus que tu apprécierais de le voir seul de temps en temps ou alors lui proposer des sorties père/fils sans que Rosie, Mary et le bébé ne soient là. » Angus interrogea Mel du regard, les sourcils haut, le front lissé. « Vous pouvez aller faire du shopping – Son ami adorait cette activité- avec un peu de chance il ne t’emmènera pas  dans un magasin de vêtements pour bébé ! » plaisanta Angus.

La conversation dériva tout naturellement vers les enfants et sur la pression que subissait Mémel pour en avoir . Visiblement Tibérus avait hâte d’être grand-père !

« Parce que tu crois que je suis épargné ? ! Moi, j’ai droit au sempiternel  «  Alors Gus, quand est-ce que tu nous présentes quelqu’un ? » expliqua-t-il, un large sourire aux lèvres, C’est bien connu, il suffit de  claquer des doigts pour trouver la femme de sa vie ! » Le milicien termina d’un trait son whisky et reporta son attention sur les clientes de la boite qui dansaient un peu plus loin ou qui discutaient entre amies. Il y avait peut-être « la bonne » parmi toutes ces filles mais comment le savoir ?Angus était las d’essayer et d’échouer systématiquement à construire des relations durables. Ces échecs successifs rendaient son rêve d’une vie de famille de plus en plus inatteignable. Hors, il n’avait pas envie de faire une croix sur ce projet.

Le milicien héla une serveuse, commanda une nouvelle tournée et se tourna vers Melchior. C’était l’occasion rêvée pour aborder ce sujet avec  son ami d’ailleurs. Mel et lui étaient dans une bonne dynamique ce soir et Angus se sentait assez en confiance pour exposer cet aspect de son intimité, chose qu’il n’aurait surement pas fait en présence d’autres personnes. Sous ses airs de gros beauf se cachait tout de même une âme sensible et pudique.

« Tu sais, ça ne me gênerait pas d’avoir des enfants – Melchior le savait déjà : Angus avait toujours affirmé vouloir être père, et ce depuis son adolescence. Toutefois, il n’évoquait plus vraiment  le sujet depuis son célibat, en fait, j’aimerais beaucoup. »
Il croisa le regard de Melchior et esquissa un léger sourire.
« J’y pense même sérieusement. » ajouta-t-il en passant une main dans sa barbe  pour entortiller les poils à son extrémité autour de son index, J’ai demandé de la documentation au centre d’adoption magique et j’ai commencé à regarder les clauses pour une GPA. » Voilà, c’était dit, D’ailleurs, tu sais comment ça c’est passé pour toi ? Pour ta conception ? Trop conscient du fait que Melchior allait surement saisir cette perche pour l’inonder de détails scabreux il poursuivit, Je veux dire, tes pères connaissaient Rosie avant ou ils l’ont rencontrée  spécifiquement pour te concevoir ? »

"Si tu prends son parti en plus…"

En guise de réponse, Angus se contenta d’hausser légèrement ses épaules massives. Il ne servait à rien de vouloir faire entendre raison à Melchior. Quand bien même Rosie fut une femme adorable, son ami  refusait  de la voir changer de statut dans le cœur de Tibérus.

Mel avait toujours chéri son organisation familiale atypique, originale qui le rendait si particulier. Il la portait comme un étendard –avec fierté- exactement comme ses costumes colorés.

Sur cet aspect là de sa vie Mel était quelqu’un d’entier. Il n’avait jamais cherché à cacher à qui que ce soit ses origines, au contraire. C’était  cette honnêteté qui avait plu à Angus alors qu’il entrait tout juste dans l’adolescence et qu’il venait de rencontrer Melchior. Même s’ils étaient considérablement différents l’un de l’autre, ils  étaient semblables dans leur quête d’ authenticité.

Cet aplomb, poussé à son paroxysme,  pouvait toutefois se traduire par un véritable entêtement. Buttés et  bornés, ils l’étaient tous les deux et Mel illustrait présentement –et parfaitement- ce trait de caractère en s’enfonçant dans son ressentiment envers Rosie et Tibérus.

« C’est ridicule. Ils sont ridicules." Gronda le directeur de département, le regard flamboyant de colère.

« Mel, c’est toi qui est ridicule là, répondit toutefois Angus, je suis ton pote, je préfère te le dire , ajouta-t-il en s’accoudant sur ses genoux, Tu réagis comme un gros gamin égoïste.  Il ne cherchait aucunement à être méchant ou vexant envers son ami, il tenait juste à ce que Melchior prenne la pleine mesure de son comportement puérile. Afin d’atténuer  la dureté de ses propos il posa une épaisse paluche sur l’épaule de son ami  et  leva son verre pour trinquer avec lui  «  Allez Mèmel, ton père baise ta mère biologique, il y a pire comme problème, tu ne crois pas ? » lâcha-t-il, un vague sourire aux lèvres.

Angus retrouva toutefois son sérieux quelques instants plus tard pour aborder un sujet qui lui tenait réellement à cœur. Cette boite de nuit bruyante n’était peut être pas l’endroit le plus propice pour parler désir d’enfant et gestation pour autrui – pas du tout même- mais les deux amis se lancèrent toutefois dans ce débat, imperméables à l’esprit festif qui les entourait.  De sublimes créatures, accoudées au bar,  tentaient de capter le regard magnétique de Melchior mais ce dernier était absorbé dans le récit de son histoire personnelle.  Angus imita son ami lorsqu’il esquissa un sourire nostalgique  à l’évocation de ses deux pères puis il l’écouta jusqu’au bout, sans l’interrompre.

Point de paperasse à remplir pour envisager une GPA ou une adoption dans le récit de Melchior. Tout s’était fait naturellement avec des accords tacites passés entre la mère biologique et les deux pères de son ami. A l’écouter, la démarche de Salim et Tibérus avait semblé simple et facile à mettre en œuvre mais Angus se doutait que les parents de Mel  avaient du nourrir quelques inquiétudes et rencontrer leur lot d’obstacles dans leurs quête de paternité.

"C’était illégal bien sûr de faire ce qu’ils ont fait, conclut d’ailleurs Melchior, Et absolument pas encadrés. Aujourd’hui, c’est différent. Il y a plus de contrôles. Et ce sera plus simple pour toi si tu prends une femme que tu ne connais pas. Regarde où j’en suis maintenant."

Le milicien s’appuya sur la banquette et étendit son bras sur le dossier, son whisky déjà à moitié vide dans l’autre main. Il évalua son ami du regard, un mince sourire aux lèvres .

« Ça va, il y a pire. Ok, tu es un gamin capricieux mais tu n’as pas si mal réussi ta vie. »

Pour ne pas dire très bien ! Melchior faisait un boulot qui lui plaisait, menait sa vie personnelle comme il l’entendait et  semblait tout à fait heureux de son existence -si l’on exceptait le fait ,bien sûr, que son papa ose refaire sa vie, le vilain ! Mise à part cette microscopique ombre au tableau, Mel paraissait tout à fait épanoui. Si Angus avait eu un fils, il aurait aimé qu’il lui ressemble (les costumes colorés en moins, toutefois.)

Son ami lui demanda d’ailleurs depuis combien de temps il nourrissait ses projets d’enfant. Le milicien leva les yeux au plafond et se donna quelques secondes de réflexion.  Il passa une main sur sa mâchoire et tritura l’extrémité de sa barbe entre son  pouce et son index avant de répondre.

« Je dirais que ça fait environ  deux ans que j’y pense – il avait commencé à envisager l’ idée d’être père célibataire l’année de ses 35 ans- mais j’ai commencé à me renseigner sérieusement il y a seulement quelques mois.  Pour le moment je glane des informations par çi par là. » expliqua-t-il d’un air détaché.

Ce projet n’était pas encore pleinement défini. Certes, il voulait des enfants mais la méthode pour y parvenir restait encore floue : gestation pour autrui, adoption, arrangement conjoint avec une femme désireuse d’être mère, Angus ne se fermait aucune porte…si ce n’est celle que lui suggéra Melchior.

« Ma régulière ? Mais quelle régulière ? interrogea-t-il, les sourcils hauts, le front plissé, tu parles d’Emma ?La fille du Mirror Of Erised ? Angus balaya l’air de sa grosse paluche, Naaah, c’est pas sérieux ça, Même s’il passait de très bons moments avec la jeune femme, il ne lui serait jamais venu à l’esprit d’évoquer avec elle son désir d’enfant. Je la vois uniquement pour l’entretien de la machine. » précisa-t-il avec un bref mouvement du bassin évocateur.

Ils avaient convenu, avec Emma, qu’ils se fréquentaient seulement  pour le sexe et rien d’autre… Certes, ils avaient passé l’après-midi à faire des travaux ensemble mais cela ne voulait rien dire. Emma s’était engagée à l’aider dans la construction de sa maison sans réfléchir et elle était trop bien élevée pour revenir sur son engagement, tout simplement.

Pensif, Angus resta un instant silencieux à triturer ses poils de barbe, refaisant le fil de ses rendez-vous avec la jeune employée du département des mystères. A vrai dire, ils s’étaient vus plutôt régulièrement ces derniers temps. Bien qu’ils n’aient aucun point commun et très peu d’affinités - autres que sexuelles – Emma avait passé beaucoup de temps en Irlande, chez lui, et le milicien avait apprécié ces moments de tendresse partagée.

Il ne savait pas trop quoi penser de cet état de fait… Etait-elle sa régulière ? Hum, pas vraiment. Juste un plan cul ? Plus tout à fait non plus, il devait se l’avouer.

« Accio n’est pas dangereux. » releva-t-il alors en reportant son attention sur Melchior. Il avait suivit d’une oreille les propos de son ami bien que son esprit fut ailleurs, du côté des instants volés avec Emma. Il chassa la jeune femme de ses pensées et reprit avec plus de vigueur, Il n’est pas agressif avec les enfants. Seulement avec les gros cognards. » ajouta-t-il avec un vague sourire en coin. Il recouvra toutefois son sérieux pour poursuivre, «  Après je pense que tu as raison concernant tout l’aspect administratif. » Devenir père célibataire de manière totalement légale s’avérait être un véritable parcours du combattant juridique. La liste des pièces à fournir pour son dossier et la présentation des différentes étapes en vue d’accéder à la paternité l’avait fait blêmir d’anticipation, surtout pour lui qui n’était guère porté sur la paperasse. « C’est pour ça que j’envisage toutes les possibilités, même celles qui sont un peu plus…en marge. » confessa-t-il en faisant référence à l’histoire personnelle de son ami. «  Le souci c’est que, contrairement à tes pères, je n’ai pas d’amie d’enfance dévouée ,prête à porter mon gosse pendant neuf mois. »

Angus n’avait pas de bonne vieille copine disposée à jouer le rôle de mère porteuse, comme avait pu le faire Rosie. Il s’accouda sur ses genoux écartés et demanda : « T’aurais pas une amie qui pourrait être intéressée ? »  Melchior fréquentait des tas de personnes très ouvertes d’esprit.« Parce que c’est pas avec Emma qui vit encore chez ses parents que je vais pouvoir avancer de ce côté-là. »

"C’est même plus une régulière à ce niveau. C’est ta meuf."

Melchior aimait bien charrier Angus sur ce point. Le milicien avait beau affirmer qu’il ne se passait rien de sérieux entre Emma et lui, Mel s’évertuait à vouloir y voir les prémices d’une véritable relation de couple.

En  tout cas, Melchior avait raison sur un point : Angus ne pouvait pas ignorer les nombreux signaux allant dans ce sens : Emma et lui passaient beaucoup de temps ensemble même s’ ils ne sortaient jamais du mobil-home – si ce n’est pour aller faire des travaux, vingt mètres plus loin, dans la maison.

Toutefois, Angus ne tenait pas à se bercer d’illusions. Certes, il appréciait la compagnie de la jeune femme mais, pour le moment, il s’en tenait à leur arrangement. Ils avaient défini ensemble les limites de leur relation et il entendait bien respecter ce deal même s’il avait conscience qu’ils débordaient parfois du cadre qu’ils s’étaient eux-mêmes imposé. Mais où était le mal ?

Mi-amusé, mi-agacé par les insinuations de son ami, le milicien brandit son majeur dans la direction de Mémel, un vague sourire aux lèvres contredisant toutefois la dureté de son geste. Il but une gorgée de whisky et ne répondit pas,  parfaitement conscient qu’il ne servait à rien d’argumenter face à Melchior. Plus il mettrait de la vigueur à vouloir contredire son ami plus ce dernier allait insister avec sa petite moue narquoise et son sourire de conspirateur. Angus ne lui ferait pas ce plaisir.

"Emma ne passera pas sa vie chez ses parents." Ajouta d’ailleurs Mémel tout à fait innocemment, provoquant par ses dires le rire silencieux du milicien. Melchior était incorrigible.

« Je vais finir par croire que tu veux absolument me caser avec elle, s’exclama-t-il,  Je croyais que tu la trouvais coincée. » Ou trop guindée, il ne se souvenait plus du terme exact qu’il avait employé pour qualifier Emma devant leurs amis communs au Mirror Of Erised.

« Écoute, reprit-il alors trop conscient du fait que Mel n’allait pas le lâcher tant qu’il n’aurait pas admis avoir quelques sentiments pour la jeune fille, Je ne veux pas me prendre la tête avec cette relation en cherchant absolument à la définir,   Plan cul ? Histoire sérieuse ? Amour d’une vie ? Angus avait compris depuis longtemps que les choses n’étaient pas si catégorisées dans la réalité et qu’une même relation pouvait passer par différents stades, C’est vrai, je suis bien avec elle quand on se voit et elle me plait, avoua-t-il sincèrement et sans faux-semblant. Il sourit malgré lui. Et j’ai l’impression qu’elle m’apprécie aussi , sinon pourquoi passer autant de temps avec lui ? mais ce que je vis avec cette fille c’est complètement indépendant de mon désir d’enfant, tenta-t-il d’expliquer à Melchior, comme deux réalités parallèles qui ne peuvent pas se rencontrer. »

Emma était deux fois plus jeune que lui, il la fréquentait seulement depuis deux mois et il ne connaissait rien d’elle hormis ce qu’elle avait bien voulu lui dire. Il n’avait jamais rencontré ses amis, sa famille, ses proches. Il l’appréciait vraiment  mais il était incapable de l’imaginer comme la potentielle mère de son enfant.

Étrangement, il envisageait plus facilement l’idée de concevoir sa descendance avec une parfaite inconnue. Avoir recours à la  gestation pour autrui était d’ailleurs en pole position dans son esprit, bien avant l’adoption. Il voulait transmettre à ses futurs enfants ses propres valeurs, bien sûr, mais aussi, et surtout, les gènes irlandais des Rice. Melchior sembla se satisfaire de son explication puisqu’il affirma être en mesure d’activer son réseau…si tant est qu’Angus puisse payer.

« Ça, c’est pas un problème. »  Le milicien balaya l’air de la main comme pour clore ce point.

Ses affaires avec  les Veilleurs et d’autres gangs lui avaient permis de mettre un peu d’argent de côté, argent qu’il conservait religieusement. De plus, il n’avait pas vraiment un mode de vie dépensier : Il ne payait pas de loyer-son terrain lui appartenant-et il n’était pas matérialiste au point d’acheter compulsivement toutes les dernières nouveautés en terme d’équipements divers. Les dépenses qui creusaient le plus son budget s’avéraient être…Les tournées de bières.

« Pour le choix de la fille je ne veux pas me précipiter, il faut que j’ai un bon feeling avec elle, et il entendait bien mener sa petite enquête afin d’exclure les profils trop borderlines. Trouver la mère de son enfant n’était pas une mince affaire, même en excluant tout sentiment amoureux, donc si tu as des contacts, des noms, hésites pas, je suis preneur. » expliqua-t-il avant que Melchior ne remette Emma, une nouvelle fois sur le tapis.

Quant il avait une idée fixe celui là, difficile de la lui faire passer !  Angus jeta un regard entendu à son ami  et laissa fleurir un sourire désabusé sur ses lèvres. Sous ses allures de dandy, Mel pouvait être au moins aussi lourd que lui ! Le milicien secoua la tête et haussa les épaules tranquillement face au sous-entendu de Melchior : « Parce que selon toi, tu trouves que c’est plus judicieux de dire à une nana de 18 ans que je connais depuis seulement deux mois que je veux des enfants, maintenant, là, tout de suite ? » Il se mit à applaudir ironiquement «  Permet moi de douter de l’efficacité de ton conseil .»
Elle n’attendrait même pas les deux biberons et le bébé pour fuir en courant !

"C’est pas elle là-bas justement ?" intervint alors Melchior.

« Mais, oui, c’est ça, bien sûr, répondit Angus sans croire une seule seconde aux dires de son ami qui avait décidé d’être en boucle sur Emma Blackbonnes ce soir. Le milicien tourna la tête machinalement, pour la forme, et son visage changea d’expression en découvrant bel et bien Emma dans l’allée de la boite de nuit qui conduisait non loin de leur table. Le sourire d’Angus s’agrandit en la voyant s’approcher alors qu’elle ne semblait pas encore les avoir remarqués. Il leva la main pour attirer son attention et lança à l’emporte pièce:

« Hey Emma ! ça alors, quelle surprise ! » Quelle bonne surprise, même.

Le sourire engageant d’Angus se figea lorsqu’Emma passa devant lui sans même lui accorder un regard.
« Hé ! Emma ! » insista-t-il  en se tournant à moitié sur son siège, pensant ne pas avoir été entendu la première fois.
Rien, aucune réaction. La jeune employée des Mystères poursuivit son chemin rejoignant la terrasse sans même se retourner pour le saluer ou, plus  simplement, lui sourire. Elle l’avait vu et entendu, il en était persuadé : elle était passée à moins d’un mètre de lui, l’inverse n’était pas possible. Pourtant elle venait de faire comme s’il n’était pas là.

Comme s’il n’existait pas.

La chevelure rousse de la jeune femme disparut finalement au milieu des clients de la boite de nuit. Angus pivota lentement sur la banquette pour retrouver sa place initiale et reporta son attention sur Melchior qui semblait particulièrement amusé par la situation.

Ce qui était loin d’être le cas de Gus. Il se sentait… bête. Et il détestait ça.  Il avait beau refaire le fil de la journée, chercher une parole blessante ou maladroite qu’il aurait pu avoir envers Emma et qui justifierait cette mise à distance, il ne voyait pas :  Ils avaient passé un bon après midi –excellent même – et  s’étaient quittés en très bons termes. Rien ne justifiait un tel traitement. C’était parfaitement infondé : Emma venait de le snober royalement, sans raison apparente.
Le milicien ne connaissait pas de comportement plus insultant que celui-ci. Non seulement il exécrait le fait d’être ignoré de la sorte mais, en plus, il subissait cet affront devant Melchior, son ami, ce qui n’arrangeait rien.  La remarque du directeur de département ne le dérida pas d’ailleurs, bien au contraire, elle ne fit qu’accroitre sa frustration.

« Et après tu veux que je lui dise que j’ai envie d’avoir des gosses. » gronda Angus en finissant son verre d’un trait.

A bien y réfléchir, il n’était pas étonnée qu’elle puisse agir ainsi. Il y avait eu des signes avant-coureur  et dès leur premier rendez-vous il avait su, au fond,  qu’elle en était capable. Elle arborait déjà ce petit air hautain lorsqu’elle s’était assise sur le tabouret convoité par Josie le soir de leur rencontre. Elle avait eu la même condescendance avec « P’tit Poulet ».   Angus s’était simplement cru au dessus de ça, protégé de ce mépris par leur arrangement commun…mais  il s’était trompé. Emma pouvait se montrer dédaigneuse, même avec lui et le snober comme s’ils n’avaient jamais rien partagé ensemble. Force était de constater qu’il ne s’était pas assez méfié d’elle – la  jeune femme peu expérimentée, mon œil- et il s’en voulait aujourd’hui  d’incarner le stéréotype  du Poufsouffle gentil et naïf.

« Plan cul ou pas j’aime pas qu’on me prenne pour un con. » répondit-il à la remarque de Melchior.

Le blaireau docile avait fait son temps et il tenait à tirer les choses au clair, rapidement. Angus n’avait pas envie de laisser la situation se gangrener avec des non-dits ou des silences lourds de sens. Sa détermination à régler ce conflit latent grimpa d’un cran en voyant Mel chercher les bons mots pour lui remonter le moral :  il devait vraiment sembler contrarié pour que son vieil ami, habituellement si prompt à le chambrer,  se montre cette fois si attentionné et bienveillant.


"Je vais te trouver la meilleure mère porteuse d’Angleterre. Tu verras."

Angus accrocha un sourire sur ses lèvres, bien décidé à ne pas inquiéter Mel davantage, ni à se laisser pourrir la soirée par Emma.
« J’en attends pas moins de toi ! » répondit-il en claquant la cuisse de son ami. Il l’observa un instant –heureux de le compter parmi ses proches et reconnaissant de son tact -  avant d’ajouter, On va danser ? »


Ils étaient six à trainer sur la place devant la boite de nuit depuis près d’une demi-heure. Le froid n’entamait pas leur bonne humeur respective et les éclats de rires se succédaient depuis qu’ils avaient quitté la piste de danse. En effet, Angus et Melchior étaient tombés sur une collègue de travail de ce dernier, Charlize –interprète au ministère.  Elle était venue passer la soirée à Lepolodgrad avec quelques amis à elle et Angus avait vite compris que Mel avait jeté son dévolu sur Emilio, un des amis de Charlize, cadre financier à la Marchebank. Ils avaient donc passé une grande partie de la soirée avec le petit groupe, enchainant les tournées dans la salle réservée à la clientèle d’âge mûre, pour la plus grande satisfaction d’Angus.

Il n’aurait pas pleinement apprécié sa soirée s’il avait été amené à recroiser Emma à plusieurs reprises. Au moins, après son vent mémorable, il avait pu se concentrer sur autre chose et profiter du moment sans avoir trop l’occasion de ruminer.

« Bon, je vais y aller, souffla Emilio, Tu rentres à pieds Melchior ? demanda innocemment le cadre financier, on peut faire un bout de chemin tous les deux entre résidants de Leopoldgrad ! »

Angus savait très bien ce que cachait cette proposition anodine mais, par égard pour son ami, il se garda de tout commentaire graveleux. Certes, Mel et lui avaient convenu d’aller prendre le petit déjeuner ensemble dans le salon de thé qui venait d’ouvrir au sommet de la flambant neuve Griseda Tower mais Angus libéra Melchior de ses obligations de meilleur pote pour ce soir.  Il en avait déjà bien assez fait pour lui.

« Je vais y aller aussi, le jour se lève presque, dit il en faisant une brève accolade à son ami. Le ciel avait pris une teinte doucement rosée annonçant un lever de soleil imminent.  On s’appelle ? »  Il salua les autres membres du petit groupe et s’éloigna en les gratifiant d’un geste ample du bras avant de prendre la direction d’une boulangerie de sa connaissance située non loin de la boite de nuit. Il allait s’acheter quelques viennoiseries et rentrer en Irlande pour apprécier le lever de soleil. Rien ne l’apaisait plus que l’observation de la nature sauvage et des grands espaces et Merlin seul savait à quel point il avait besoin de faire le vide aujourd’hui.

Fort de cette résolution il s’apprêtait à hâter le pas lorsqu’il reconnut justement la silhouette d’Emma, seule, à quelques mètres de lui. Elle venait probablement  de quitter le club elle aussi.  Angus marqua un temps d’arrêt mais il n’hésita pas longtemps avant de poursuivre dans sa direction.

Ce n’était peut-être pas très judicieux de vouloir régler cette affaire à chaud mais, à choisir, il préférait plutôt que de faire face à l’incertitude. La communication était une clef essentielle de toute relation –quelle qu’elle soit- et il espérait bien obtenir des explications  afin de comprendre le comportement méprisant d’Emma ce soir.
Il s’arrêta donc non loin d’ elle – Elle ne pouvait pas le rater cette fois tant il n’y avait personne d’autre qu’eux sur cette place. Sans être hostile, son expression n’était pas des plus engageante non plus lorsqu’il prit la parole :

« On peut parler ? » Il riva ses mains au fond de ses poches et demanda finalement « Alors, c’est quoi le problème ? »

Emma ne semblait absolument pas voir où était le problème. En tout cas, sa surprise ne paraissait pas feinte mais comment en être totalement sûr  maintenant que la confiance qu’Angus plaçait en elle était entamée? Le Milicien plissa légèrement les paupières  comme pour évaluer le degré de sincérité de la jeune femme. Elle avait l’air vraiment surprise pour le coup. Pire, même : elle levait sur lui de grands yeux innocents comme si elle n’avait absolument rien à se reprocher.

Etait-elle trop alcoolisée présentement pour avoir déjà oublié son comportement méprisant du début de soirée ? Peut-être, mais cela ne l’excusait en rien. Angus se souvenait parfaitement de la situation pour deux.  Le milicien ne changea pas d’expression et resta immobile, planté au milieu du trottoir tandis que le jour se levait progressivement sur Leopoldgrad.

Il regarda Emma ôter ses souliers et se mettre à l’aise, pieds nus sur le bitume  de la mégalopole sorcière. En d’autres circonstances il aurait trouvé ce tableau mignon – et même vraiment sexy - mais la jeune femme  ne parvenait plus à retrouver totalement grâce à ses yeux. Quelque chose s’était brisé : Il était moins prompt à se laisser charmer ou attendrir, préférant faire preuve de la même réserve qu’il convoquait dans ses activités de milicien. Il faut dire qu’elle l’avait profondément vexé en se conduisant de la sorte. Angus était capable de laisser couler beaucoup de choses : il pouvait être conciliant, arrangeant , serviable à condition que ses valeurs ne soient pas bafouées et qu’il se sente considéré. Or Emma venait de faire exactement le contraire.    Le sorcier ne tenait pas à tourner autour du pot très longtemps. Visiblement Emma avait besoin que quelqu’un lui rafraichisse la mémoire et Angus était tout disposé à le faire.

« Donc tu ne te souviens pas ? » demanda-t-il une dernière fois  pour la forme, Tu ne te rappelles pas le moment où tu m’as complétement ignoré en rentrant dans la boite ? » Il l’interrogea du regard, les sourcils hauts, le front plissé.

Le milicien haussa les épaules, incrédule, « Pourquoi tu as fait comme si tu ne me connaissais pas ? » reprit-il alors en fronçant légèrement les sourcils.

Angus était réellement désireux de comprendre ce qui avait bien pu lui passer par l’esprit. Il secoua légèrement la tête et rectifia, "C’était même pire que ça : tu as fait comme si je n’existais pas. » Il écarta les bras.

Insignifiant. Invisible.

Le milicien ne pensait pas mériter un tel traitement. Il savait très bien qu’Emma préférait rester discrète mais il y avait un pas énorme entre ne pas ébruiter cette relation et ignorer totalement l’autre.  Ou alors, elle avait simplement voulu frimer devant son amie et le faire passer pour ce qu’il n’était pas.  Angus ne savait pas encore mais quelque soient les raisons, il y avait peu de chance pour qu’il les trouve recevables…

Angus n’éprouva aucune satisfaction à voir l’expression ingénue d’Emma se muer progressivement en air coupable. Maintenant qu’il lui avait rappelé l’incident qui l’avait mis en rogne, elle ne pouvait plus faire comme si rien ne s’était passé. A l’instar d’un enfant pris en faute, la jeune femme baissa les yeux et s’excusa platement. Au moins, elle ne lui faisait pas l’affront de lui dire qu’elle ne l’avait pas vu ou entendu –c’était déjà ça- mais Angus ne pouvait pas se contenter de ces quelques mots murmurés. Il voulait comprendre ce qui l’avait poussé à agir ainsi, il n’hésita donc pas à insister pour en savoir davantage.

Les réactions d’Emma lui échappaient parfois et il avait des difficultés à saisir son fonctionnement. Elle pouvait paraitre tantôt gauche et empruntée et tantôt méprisante et hautaine. C’était très déstabilisant pour lui qui était souvent d’humeur égale.

Hésitante, la jeune femme se lança dans des explications plutôt embrouillées. Elle prétexta tour à tour que c’était plus simple de faire comme s’ils ne se connaissaient pas puis  elle lui expliqua ensuite qu’elle ne voulait pas que Marisa devine qu’ils couchaient ensemble de peur que tout le Ministère soit au courant, avant de confesser, les yeux baignés de larmes,  qu’elle craignait à l’idée de se disputer avec ses parents.

Oui, rien que ça.

Angus poussa un soupir las. Essayer de discuter sérieusement avec une personne alcoolisée s’avérait très compliqué. Parfois les cellules de dégrisement avaient du bon.  Le milicien releva les yeux sur Emma tandis qu’elle essuyait les larmes sur ses joues et son cou. Il avait vu assez de personne lors de ses interrogatoires se refugier derrière des torrents de pleurs  pour être en mesure d’y rester relativement insensible. Bien sûr, il n’aimait pas la voir dans cet état – pas du tout même-  mais le milicien ne perdait pas son objectif de vue.

« Je ne vois pas en quoi le fait de t’arrêter deux secondes pour me saluer puisse  déclencher un conflit entre toi et tes parents. » résuma-t-il afin de lui démontrer qu’elle extrapolait complètement.

Il secoua la tête : « Tu croyais quoi ? Que j’allais t’embrasser au milieu de la boite devant tout le monde ? La question était surtout rhétorique, Je sais que tu veux rester discrète sur notre relation et que tu n’as pas envie qu’elle s’ébruite pour diverses raisons – ça à la limite, je peux le comprendre – même si, lui, il estimait qu’ils n’avaient rien à cacher de ce côté-là - mais t’arrêter pour me dire bonjour quant tu me croises quelque part ne signifie pas , aux yeux de tous, qu’on couche ensemble Emma.  C’est juste la base : être polie et faire preuve de considération envers l’autre. Je salue des dizaines de personnes par jour et ça ne veut pas dire que je  baise avec toutes. »

Il ne savait pas ce qui se passait entre Emma et ses parents pour qu’elle craigne autant leur jugement mais il voyait bien que cette situation la rendait aussi méchante que malheureuse. Si elle disait vraie, c’était la perspective d’un conflit avec son père et sa mère qui l’avait poussé à agir de manière étrange et qui l’attristait tant, aussi, ce soir. Angus n’était pas le seul responsable de ses larmes : L’alcool et l’introspection faisaient rarement bon ménage.

Il  avait pourtant du mal à suivre son raisonnement, et  pour être honnête,  il n’avait absolument pas envie de faire l’effort d’être plus compréhensif. Angus était en colère contre Emma et peu disposé à accueillir ses plaintes ou son ressenti, aussi sincères fussent-ils. Si elle avait des problèmes avec ses parents, elle devaient les régler avec eux et ne pas faire payer à d’autres personnes leurs manquements.

« J’aime pas qu’on me prenne pour un con, c’est tout. » dit-il alors posément, en guise d’avertissement. Pour toute réponse, Emma s’excusa une seconde fois, puis une troisième,  entre deux reniflements. Angus l’observa quelques instants de son air sombre comme pour évaluer l’authenticité de ses dires. Déformation professionnelle surement. Il ne la connaissait pas assez pour être totalement convaincu de sa bonne foi mais il voulait bien lui laisser le bénéfice du doute, cette fois. Il ne chercherait pas à l’accabler pendant des heures et des heures. Maintenant qu’il lui avait fait comprendre qu’il n’avait guère apprécié son comportement – et que visiblement le message était passé- il ne comptait pas la culpabiliser davantage.

« D’accord, c’est bon, on en parle plus, finit-il par dire sans chaleur toutefois. Il ne fallait pas trop lui en demander. Je voulais juste que tu prennes conscience que ça ne m’avait pas plu. »

Angus était prêt à pardonner mais certainement pas à oublier. Il espérait qu'à l'avenir, Emma ne lui manquerait plus de respect de la sorte.

Il reporta son attention sur le ciel aux reflets rosés et soupira : En plus, il venait de rater le lever du soleil.

« Non l’attrapeur des Flèches est bien moins vif et moins rapide que celui de Portree, moi je te dis, si je devais miser sur une équipe pour ce soir, ce serait sur les Pride ! » Angus se pencha légèrement au dessus du billard Magique et envoya la boule Egalité au trou, sans hésiter. »  ajouta-t-il en attrapant sa pinte de Kinness posée sur la cheminée de l’étage du Miror Of Erised, complétement bondé et surchauffé en cette fin de semaine.

Il avait rejoint le pub avec un gars de la Brigade Fléro-technique, Ian, amateur de billard comme lui. Les deux collègues avaient enchainé les parties depuis l’happy hour, bavardant allégrement animaux magiques, tatouages et sports entre  deux pintes. Enfin une vraie soirée de relâche dans cette ambiance chaude et chaleureuse du vendredi soir. Il faut dire que ces derniers jours  avaient été stressants au travail et Angus était ravi de pouvoir décompresser un peu en s’adonnant à l’une de ses activités favorites en bonne compagnie.

Ian rentra d’ailleurs la boule Coleman et laissa le soin au milicien de s’occuper de celle du petit Mémel, pour le plus grand plaisir d’Angus.  Il visa le sourire resplendissant de son ami  imprimé sur la surface concave  tout en réalisant qu’il ne l'avait pas revu depuis leur soirée à Leopoldgrad : Melchior était en déplacement à l’étranger depuis et il lui envoyait de temps en temps quelques vidéos holographiques de ses chambres d’hôtel luxueuses, entre autres.  Les deux comparses n’avaient pas vraiment reparlé de ce qu’ils s’étaient confiés ce soir là, au club,  au sujet de la GPA – ni de l’affaire Emma d’ailleurs- mais Angus savait que son ami n’était pas du genre à oublier ses engagements.

Il ne tarderait pas à revenir vers lui avec des informations.
Le Milicien ferma un œil, tira et rentra la boule sans aucun effort. Un large sourire éclaira son visage tandis qu’il écartait le bras pour checker Ian, son partenaire dans la partie.  

« Hé ouai, on trouve toujours le trou ! » commenta-t-il très finement, pas peu fier de leur tour de force. Si le tenancier organisait un tournoi de Billard Magique, il s’inscrivait direct avec Ian, songea Angus en attrapant sa pinte de brune.

Ce fut toutefois une rousse qui passa devant lui pour le saluer brièvement. Et quelle rousse ! Le milicien tiqua légèrement en reconnaissant Emma –il ne s’attendait pas à la voir ce soir- et resta quelques instants, immobile, son verre devant ses lèvres.
« Salut Emma. » finit-il par dire avant de boire une longue gorgée de bière. Ainsi, elle était venue lui dire bonjour  sans qu’il n’ait à insister du regard. Angus louait l’effort !

Il ne l’avait pas vu accéder à l’étage et il se demandait depuis combien de temps elle était ici, mélangée à la clientèle du pub. Il s’était promis que si jamais il tombait sur elle par hasard, ici ou au Ministère, il ferait le premier pas pour aller l’accoster. Non seulement elle s’était excusée mais il préférait aussi savoir à quoi s’en tenir avec elle, d’entrée de jeu. Il ne servait à rien de nier que leur dernière conversation avait soufflé un froid sur leur relation : ils n’avaient pas cherché à se recontacter depuis, signe qu’ils avaient besoin de prendre un peu de distance l’un vis-à-vis de l’autre. Pourtant,  Angus n’était pas vraiment rancunier. Il disait ce qu’il avait à dire- parfois un peu sèchement- mais il ne cherchait pas particulièrement à entretenir un climat de malaise entre Emma et lui.

Sa colère retombée, il estimait que cet incident était derrière eux maintenant et pour être tout à fait honnête, elle lui avait manqué. Il avait souvent repensé à elle depuis leur dernière entrevue et il se surprennait parfois à la confondre avec d'autres rousses du ministère. D’ailleurs, il n’était pas contre l’idée de recontacter la jeune femme maintenant que la glace était brisée par ces simples salutations. Il avait bien passé quelques soirées dans l’aile ouest depuis leur dernier rendez-vous mais ce n’était pas pareil. Et cela coutait plus cher.

Angus suivit donc distraitement Emma du regard tandis qu’elle se faufilait entre les clients pour retourner à sa table.

« C’est qui cette fille ? » demanda Ian qui n’avait pas raté le bref échange entre les deux ex-amants.
« C’est la fille de Blackbonnes. Le gars du service de régulation des animaux fantastiques, expliqua Angus en déposant un peu de craie à l’extrémité de sa queue de billard.
« Anthony ? »
« Lui-même. »
« Je savais pas qu’il avait une fille. Elle bosse au Ministère ? »
« Oui, Aux Mystères. » répondit Angus  distraitement, soucieux d’abréger le sujet.
« Oh mais oui, tu as raison !  s’exclama Ian qui s’était hissé sur la pointe des pieds, Elle est avec Marisa ! Hey Mary ! »  s’exclama-t-il.

Ian fendit la foule et rejoignit en quelques enjambées la table où Emma venait tout juste de s’installer. Hum, non : les choses ne devaient pas se passer ainsi, songea Angus en observant la scène à distance. Ian venait de se jeter dans les bras de « Marisa » et saluait maintenant, un à un, tout ces collègues, dont Emma. Il le vit discuter encore  un peu avec Mary, rire avec elle de choses qu’Angus ne pouvait pas entendre à cette distance mais il comprit rapidement ce qui allait se passer en voyant tout le monde se serrer sur les bancs en bois pour leur réserver une petite place à l’extrémité. Non, pas ça.

Ian se tourna, le chercha du regard dans la foule et finit par le trouver pour lui faire signe d’ approcher. Angus doutait fortement que cela soit une bonne idée mais refuser l’invitation risquait d’éveiller davantage la suspicion de son collègue :  Angus Rice ne refusait jamais de boire une pintes en bonne compagnie! Le milicien attrapa donc son verre et s’approcha de la table pour saluer tout le monde.

« Bonsoir ! » dit il avec un franc sourire.
« Angus je te présente Mary, une amie, on était ensemble à Poudlard. » Il s’installa à côté de Marisa et fit signe à Angus de prendre place en face de lui,… juste à côté d’Emma, évidemment. « Mary, Angus un collègue de la brigade. »

« Enchanté ! lança le milicien, Une fesse sur le banc, l’autre au dessus du vide. Ils étaient vraiment beaucoup trop serrés, songea-t-il en tentant de se faire une petite place tout contre Emma, ce qui était difficile compte tenu de son gabarit assez massif. Il se releva légèrement pour chasser la robe de la jeune femme sur laquelle il s’était partiellement assis -« Pardon. »- et  tendit son bras tatoué par-dessus le tonneau pour serrer la main à l’équipe des Mystères . Il termina par Emma qu’il salua en ses termes.
« Nous on s’est déjà croisé. » Il lui accorda un bref sourire agréable avant de reporter son attention sur les autres invités. Sa pinte était presque terminée, il n'avait que quelques minutes à tenir avant d'avoir un très bon pretexte pour quitter la table.
« Ah oui, Angus m’a dit que tu étais la fille d’Anthony du service Créatures Magiques ! C’est vraiment un plaisir de bosser avec ton père, tu sais. » abonda Ian « C’est comme ça que vous vous êtes connus tous les deux ? » demanda-t-il innocemment.

Angus tourna la tête vers Emma, curieux de savoir ce qu’elle allait répondre à la question de Ian. Si cela  n’avait tenu qu’à lui il aurait dit la stricte vérité : Ils s’étaient croisés ici et avaient sympathisé. Le milicien avait rencontré bon nombre de connaissances - et même certains amis- au Mirror Of Erised.  Emma et lui n’auraient pas été les premiers à fraterniser autour d’une pinte sans que leur relation n’aille forcément plus loin. Toutefois  Emma préféra une autre version qui restait assez proche de la réalité, en vérité : en effet,  Accio leur avait bel et bien permis de se revoir après la « petite » bévue d’Angus dans l’affaire « Amélie ».

Le milicien valida donc  les dires de la jeune femme en hochant la tête, l’air tout à fait naturel. Elle aurait inventé un autre scénario qu’il aurait agit avec le même flegme. Rencontre sur des montagnes russes ? Tout à fait. En achetant des glaces chez Florian Fortarôme ? Evidemment.

Il avait bien compris que sa jeune amante ne tenait pas particulièrement à afficher publiquement leur drôle histoire pour diverses raisons. Il en comprenait certaines mais d’autres lui échappaient totalement. Toutefois il ne tenait pas à forcer la situation et si Emma était disposée à reprendre leur relation là où ils l’avaient laissé, il n’était pas contre l’idée. Cette soirée allait peut-être être l’occasion de renouer un peu…qui savait.

Il était tout à ses pensées lorsque Marisa s’adressa à lui sans retenue aucune. Plutôt surpris  par cette entrée en matière étonnante –il pensait que tous les employés des Mystères étaient aussi délicats et snobs qu’Emma- Angus laissa échapper un franc éclat de rire.

« Et ben ! On peut dire que t’es plutôt directe toi ! lâcha-il en riant toujours. Il passa une main sur sa barbe avant de répondre à sa question, Ni l’un, ni l’autre, je suis libre comme l’air. »
Si l’on se fiait à  son ton enjoué et son expression malicieuse on aurait pu croire que cette situation lui convenait parfaitement hors c’était loin d’être le cas. Alors, bien sûr, il adorait les soirées entre amis au pub, les apéros interminables, les sorties improvisées après le travail mais une part de lui aspirait à un autre mode de vie.

D’autres plaisirs.

Le milicien risqua un nouveau regard en direction d’Emma et s’écarta légèrement d’elle pour la laisser quitter le banc sur lequel ils étaient installés. Il se demanda un instant si cette fuite vers les toilettes avait un lien avec ce qu’il venait de dire à Marisa mais il chassa rapidement cette idée de son esprit préfèrant se concentrer  sur Ian, Mary et les collègues des Mystères  plutôt que de fomenter des scénarios dans sa tête : Comme disait sa mère, « Si ma tante en avait, ce serait mon oncle ! »
Il fit rapidement la connaissance de Tom et des autres gars du service, échangea encore quelques mots avec Marisa – qui ne manquait pas de naturel !- et commençait presque à apprécier la soirée lorsqu’Emma revint vers leur table, sans toutefois s’asseoir.

"J’ai promis à Marlène de ne pas rentrer trop tard. Je vais vous laisser, on se voit demain, bonne soirée."

Difficile d’ignorer la pointe de déception qu’Angus ressentit à cet instant. Il aurait bien aimé qu’elle vienne se réinstaller tout près de lui et que leurs deux corps se frôlent mais Emma en avait décidé autrement. Ses collègues  la saluèrent en chœur et Angus hésita un instant sur la marche à suivre. Il pouvait rester là -Même si les collègues d’Emma n’avaient pas l’air d’être les plus funs du monde Marisa semblait vraiment sympa- ou il pouvait partir et avoir l’occasion d’échanger quelques mots avec Emma.

Dilemme.

« Je crois que je vais suivre le mouvement. » décida-t-il en s’étirant. Il préférait éclaircir sa situation avec Emma afin de savoir à quoi s’en tenir à l’avenir. L’occasion était trop belle pour qu’il la laisse filer, Je suis de service demain. » ajouta-t-il  toutefois pour justifier son départ prématuré. Oui, bon, ok, il attaquait seulement à 14h mais ça Ian n’était pas censé le savoir.
« Coleman est vraiment impitoyable, tu aurais dû rester à la PM ! » Commenta ce dernier tandis qu’Angus s’éloignait déjà en direction des escaliers après avoir salué tout le petit groupe.

Il pensait rejoindre la sortie rapidement pour rattraper  Emma mais, primo, le bar était vraiment bondé, et secundo, il croisa quelques habitués à l’étage inferieur tout à fait prompts à le traquenarder. Ils essayèrent même de le faire rester pour une partie de fléchettes en exhibant sous son nez une pinte pleine, remplie de bière brune. Le milicien trouva la force de refuser –étrangement-  mais lorsqu’il sortit à l’extérieur il ne vit aucune trace d’Emma. Il y avait seulement quelques clients, debout près de tables hautes, fumant la pipe ou la cigarette autour de leurs verres de bière blonde.

Le milicien retint un soupir et sortit son PearPro de sa poche. Il remisa ces messages non lus à plus tard et ouvrit sa conversation avec Emma. Il ne tapait pas aussi vite que ces adolescents dont le Pear semblait être un prolongement de leur corps et il lui fallut plusieurs longues secondes pour pianoter ce bref message :

Angus était occupé à consulter ses hiboux non-lus lorsque la voix d’Emma s’éleva dans son dos. Surpris, il se tourna pour faire face à la jeune femme qui venait d’apparaitre sur le parvis du Mirror Of Erised, comme par enchantement . De toute évidence elle était revenue au pub suite à son message afin de l’y trouver. La remarque sur Marisa étonna quelque peu le milicien et  lui fit même hausser les sourcils. C’était bien la première fois qu’il devinait, entre les lignes, une pointe de jalousie dans les propos d’Emma.  Toutefois il ne verbalisa pas cette pensée – ce n’était pas le bon moment pour la taquiner sur ce point-  et il préféra se contenter d’un léger sourire en guise de réponse.

Visiblement, il n’était pas le seul à avoir apprécié cette soirée. Non pas qu’ils se soient véritablement parlé tous les deux  – quelques secondes, tout au plus - mais le fait qu’ils se recroisent au pub  leur avait permis de briser la distance instauré depuis leur accrochage .Angus s’était de nouveau senti légitime pour contacter Emma, et elle, pour répondre favorablement à son appel du pieds.

De toute évidence, ils avaient  tous les deux à cœur de renforcer les liens distendus depuis Leopoldgrad –sinon Emma ne l’aurait pas rejoint-  mais une certaine réserve perdurait toutefois. Angus le voyait bien dans le regard fuyant de la jeune femme, dans ses coups d’œil vers la porte du pub  comme si elle craignait que Tom ou Marisa ne surgisse à l’extérieur. Il aurait voulu qu’il fasse aussi froid que le soir de leur rencontre pour que les clients du Mirror Of Erised ne songent même pas à mettre le nez dehors mais, malheureusement,  il y avait encore trop d’employés du Ministère autour d’eux pour qu’ils soient totalement libres d’agir à leur guise.

"On marche un peu ?"

Angus valida la proposition d’un mouvement de la tête et suivit Emma dans les rues de Londres, dopées par l’arrivée du week-end. Les londoniens et londoniennes avaient investi en masse le quartier de King Cross offrant un spectacle nouveau à chaque coin de rue : Ici un enterrement de vie de jeune fille, là un saxophoniste talentueux cherchant à capter la foule. Ils traversèrent cette faune bigarrée sans échanger un mot et rejoignirent finalement une rue un peu plus calme, à l’écart du quartier festif. Emma s’arrêta alors devant un immeuble et poussa la lourde porte du hall. Interloqué, Angus l’interrogea du regard. Il pensait bien qu’elle attendait d’être dans un endroit plus calme et isolé pour discuter mais de là à s’installer dans une cours d’immeuble, il y avait un pas.

"C’est ici que j’habite maintenant. Tu veux entrer ?" proposa-t-elle en maintenant la porte ouverte.

« Oh. » Angus releva les yeux sur la façade ancienne et observa les fenêtres allumées aux étages supérieurs. Honnêtement, il l’aurait bien suivie mais il n’avait aucune envie de tomber sur sa colocataire une fois en haut. Pas ce soir. Ils venaient tout juste de quitter une situation plutôt gênante avec les collègues du Ministère ce n’était pas pour la revivre à l’identique quelques minutes plus tard, Et ton amie ? » demanda-t-il en reportant son attention sur la jeune femme. Emma ne tarda pas à confesser son mensonge : Non Marlène ne l’attendait pas -elle travaillait même- elle avait juste voulu partir plus tôt de la soirée sans inquiéter ses collègues.

Angus et elle seraient donc seuls là-haut.

« D’accord. » répondit simplement le milicien. Il lui emboita le pas etiIls montèrent en silence jusqu’à l’étage indiqué. Une fois sur le palier,  Angus attendit sagement en retrait qu’Emma ouvre la porte de l’appartement.

L’odeur de neuf le frappa dès qu’il mit un pied dans le salon. Il aurait pu s’attarder sur les peintures fraiches, le mobilier tendance et rose poudré, la décoration soignée mais il se fichait bien de toutes ces choses là pour le moment : Il attendit simplement qu’Emma referme le battant derrière elle  pour s’approcher d’elle et l’étreindre tendrement entre ses bras.

Bercé par le rythme lent de sa propre respiration, il resta ainsi de longues secondes, savourant ce contact d'une infinie douceur.  Allez. On oublie tout. Tout est pardonner, semblait-il dire en silence.

Il s’écarta finalement de la jeune femme et balaya la pièce du regard. C’était …propre. Très féminin. Digne d’une page de couverture d’Art & Décoration.

« Vous êtes bien installées. » finit-il part dire après quelques instants.

La pièce principale était impeccablement décorée et rangée, un peu trop d’ailleurs aux yeux d’Angus. Il ne s’imaginait pas vivre 24h/24 dans un appartement témoin. Il avait besoin d’un peu de désordre dans son quotidien pour se sentir tout à fait à l’aise. Ce n’était visiblement pas le cas de Marlène et Emma.
Un élément attira toutefois le regard du milicien dans cette harmonie de couleurs douces oscillant entre le vieux rose, le blanc et le beige : une tache noir, mouvante.  Un magnifique chat angora.

« Salut toi. » lâcha-t-il en s’accroupissant près de l’animal qui venait de se frotter contre les fines chevilles d’Emma, C’est le tien ? » ajouta-t-il en relevant la tête, une main tendue en direction du chat afin qu’il se familiarise à son odeur.

Emma confirma et expliqua qu’ils étaient dans une période de test et d’acclimatation pour le bel angora : il n’avait pas pour habitude d’être citadin. Jusqu’alors, il avait partagé son quotidien entre Poudlard et la bâtisse des parents d’Emma –qu’Angus imaginait grande et dotée d’un vaste parc arboré . Il comprenait que la jeune femme rechigne à se séparer de son animal de compagnie. Un chat ou un chien était une présence permanente à vos côtés, une source intarissable de petites joies, de plaisir et même de réconfort parfois.

Personnellement, Angus n’avait jamais pu se résoudre à ne pas posséder au moins un animal dans son quotidien. Même lorsqu’il vivait en collocation avec Melchior et sa phobie des poils sur les vêtements ! Il espérait sincèrement que le chat d’Emma allait s’acclimater facilement à son nouveau mode de vie… et ne pas marquer son territoire sur le canapé flambant neuf des deux colocataires, sans quoi, il risquerait vite de rejoindre la maison d’Anthony Blackbonnes !

A la demande d’Emma, le milicien se redressa pour se débarrasser de sa cape. Il en profita pour quitter  son pull tant ces appartements rénovés étaient beaucoup trop chaud et bien isolés pour lui. Il fit quelques pas dans le salon jusqu’à la cuisine ouverte blanche immaculée et observa le plan de travail en bois clair et les finitions des placards avec intérêt.

Le fait de reprendre les travaux de la maison avec Emma lui avait redonné un petit coup de fouet et il s’était surpris à feuilleter de nouveau les magazines de bricolage, chose qu’il n’avait pas fait depuis plusieurs mois, laissant le projet en stand-by.

« Je veux bien visiter. » répondit-il distraitement à la question d’Emma avant de relever la tête de ses observations très pratico-pratiques : Plan de travail en bois massif ? Stratifié ? lamellé-collé ? Il perçut seulement à ce moment là la lueur malicieuse dans le regard de la jeune femme et devina non sans mal quelle pièce ils allaient découvrir en dernier.

Ils commencèrent la visite par la porte close de la chambre de Marlène  puis par la petite terrasse jugée plutôt agréable  avec ses arbustes en pots . Elle manquait toutefois d’une belle vue dégagée sur la nature, selon Angus.

Il avait vécu quelques années en ville –essentiellement durant sa collocation avec Mel- et pour rien au monde il n’y reviendrait. Il ne comprenait pas d’ailleurs pourquoi les sorciers s’infligeaient ce mode de vie citadin et son lot de nuisances. Autant il pouvait comprendre les moldus, pour qui les déplacements longues distances prenaient un temps fou, autant les sorciers n’avaient pas ce problème grâce au transplanage. Ils pouvaient très bien décider de sortir où ils voulaient, quant ils voulaient, tout en habitant en pleine nature. Angus ne supportait pas l’idée d’ouvrir ses rideaux le matin et de tomber nez à nez avec une voisine étendant son linge depuis  l’immeuble d’en face. Non merci.  Il préférait ses collines, ses prés verts à peine troublés par ses abraxans, le ciel irlandais instable  offrant un tableau  changeant toute l’année,  à toutes  heures du jour.

Il garda cependant ses observations pour lui, conscient qu’Emma devait être particulièrement heureuse et excitée à l’idée de vivre  dans son propre appartement. C’était une étape importante dans la vie d’un jeune adulte : Ce pied à terre londonien  lui offrait la liberté et l’indépendance qu’elle attendait surement depuis longtemps. La relation tendue qu’elle entretenait avec ses parents -et qu’elle avait évoquée pour la première fois lors de leur dispute- lui pesait peut-être plus qu’il n’y paraissait et quitter le nid serait peut-être salutaire.
Doreen ne dirait pas le contraire.

Toutefois Angus ne questionna pas Emma  sur ce sujet et préféra la suivre jusque dans la spacieuse salle de bain – presque aussi grande que l’espace cuisine de son mobil-home.

« Sympa la baignoire. » commenta-t-il, le coude appuyé haut sur le chambranle de la porte. « On peut y tenir à deux, non ? » demanda-t-il innocemment en posant ses yeux rieurs sur le visage de la jeune femme à côté de lui.

La réserve imposée par leur dispute s’évanouissait lentement et ils retrouvaient progressivement la proximité et la complicité des mots, des gestes et des regards. Angus n’oubliait pas ce qui s’était passé ce soir là à Leopoldgrad mais il estimait que toute relation comportait son lot de tensions. Ils avaient réussi à surmonter celle-ci.
La visite guidée  se termina assez logiquement par la chambre d’Emma. Angus pénétra dans la pièce joliment décorée dans un camaïeu de bleu/gris. Merci Merlin, Il n’aurait pas supporté une chambre aux murs roses semblable à celle de sa petite nièce Chelsea.  Il fit quelques pas en direction de la fenêtre, observa quelques secondes la vue –ou plutôt l’absence de vue- entre les stores vénitiens et chercha finalement le regard d’Emma.

Son visage s’éclaira alors d’un sourire tranquille.