Counting 1 2 3 [Sofya]

Joséphine se leva avec l'ensemble de la salle pour applaudir à tout rompre Sofya qui s'avançait sur les planches pour saluer. C'était le premier soir du "Mois des Festivités" où la danseuse ne se produisait pas, et cela pour une excellente raison : la scène des Folies avait été réservée pour la première représentation de la dernière pièce de Sofya. Joséphine n'avait pas hésité longtemps avant de renoncer à sa soirée de repos pour venir voir jouer sa petite-amie, qui avait été éblouissante. Elle joignit ses acclamations à celles de la foule et résista à l'envie de jeter un regard noir à l'homme en costume, au premier rang, qui venait de s'approcher de la scène pour tendre un bouquet de fleurs à la comédienne. Elle espérait pour lui qu'il n'avait pas prévu d'attendre Sofya à la sortie des artistes, parce que Joséphine avait prévu de retenir la belle actrice dans sa loge pour une partie de la soirée.

La danseuse attendit que la salle se vide un peu pour quitter son siège et se diriger vers les coulisses. Quelques spectateurs tournèrent la tête sur son passage, surpris, mais personne ne l'arrêta. Elle était bien connue de la sécurité ici, et n'avait aucune difficulté à accéder aux loges des artistes. Elle avait senti quelques regards curieux se poser sur elle alors qu'elle prenait place avant le début de la pièce. Les habitués des lieux l'avaient très certainement reconnue, mais à en croire la confusion dans leurs yeux, ils se demandaient certainement si cette jeune femme en robe élégante et aux boucles d'oreilles en perle était bien la danseuse qui se déshabillait sur "Santa Baby" la veille.

Elle se glissa dans un couloir derrière la scène, passa devant plusieurs porte avant de s'arrêter devant celle qui annonçait pour ce soir "Belinski" en lettres d'or. Elle frappa trois coups contre le bois sombre et s'annonça d'un "C'est moi" dans lequel on pouvait entendre son sourire. Elle se faufila dans la pièce en refermant soigneusement la porte derrière elle et se tourna vers sa petite-amie avec un regard pétillant.

"Tu as été incroyable ! assura-t-elle avec chaleur en s'approchant de Sofya pour déposer un long baiser sur ses lèvres. Très émouvante, et très belle."

Elle s'empara de nouveau des lèvres de la comédienne et glissa une main dans ses boucles blondes. Les deux jeunes femmes avaient des emplois du temps bien chargées, particulièrement en soirée, et pas toujours compatibles. Mais pour une fois elles avaient toutes les deux le reste de la nuit de libre, et Joséphine comptait bien en profiter. Ses doigts se perdirent dans les cheveux de Sofya avant se s'égarer dans son cou, et le long de son dos.

"Besoin d'aide pour enlever ton costume ?" suggéra-t-elle avec un sourire mutin alors que ses doigts se refermait sur le premier bouton de la jolie robe de la comédienne.

Sofya s'avança vers le rebord de la scène et salua son public. Une fois, deux fois, trois fois. Elle se redressa, observa les sorcières et les sorciers qui applaudissaient, ignora les quelques récalcitrants qui restaient assis, arbora son plus beau sourire. Bientôt, le reste de la troupe sortit des coulisses pour venir la rejoindre sur scène et saluer tous ensemble. Elle attrapa la main de son partenaire masculin avec plaisir, et celle, moite, du metteur-en-scène avec un peu moins de plaisir, et salua une ultime fois. Avisant un homme qui lui tendait un bouquet de fleurs somptueux, elle le gratifia de son plus beau sourire, savourant l'adrénaline qui courait dans ses veines.

Merlin, ce qu'elle aimait ce moment. Ce n'était pas seulement la gloire, les applaudissements, le feu des projecteurs sur ses joues maquillées, ni le costume fabuleux qu'elle avait la chance de porter. C'était, plus globalement, cet instant de fusion, cette impression de faire partie intégrante de cet univers de paillettes et d'imaginaire. Le seul endroit dans lequel elle avait toujours estimé avoir sa place, sur les planches, dans la peau d'un.e autre. C'était le Mois des Festivités des Folies Sorcières et l'atmosphère y était encore plus exaltante qu'à l'accoutumée. D'ailleurs, maintenant que sa grande première était passée, Sofya aurait peut-être l'occasion d'assister à l'un des shows de Noël de Joséphine... A cette pensée, elle sourit de part d'elle tandis que les lourds rideaux de velours la dissimulaient finalement à la vue du public.

Sa petite-amie se trouvait quelque part dans le public, et cette pensée l'avait poussée à se surpasser encore plus que d'ordinaire. Elle était envahie d'impatience à l'idée de la retrouver dans quelques minutes, mais d'abord il y avait un autre instant qu'elle adorait : le moment de communier avec la troupe. Sofya suivit le reste des comédiens qui se réunissaient autour de Richard, le metteur en scène. De grande stature, quasiment aussi grand qu'Hagrid et presque aussi épais, Richard pouvait avoir l'air impressionnant mais c'était en réalité un gros nounours. Sofya l'appréciait beaucoup en dépit du manque de tact dont il pouvait faire preuve parfois. Disons qu'il ne fallait pas être susceptible lorsqu'il donnait son avis sur les répétitions... mais il avait un grand cœur.

"C'était super, bravo à tous !", commenta Richard, "Super travail, vraiment. Sofya, ta transformation sur la scène de la bataille de Poudlard était parfaite, tu maîtrises bien le sort maintenant."

Sofya esquissa un sourire et fronça du nez pour toute réponse : aussitôt, celui-ci se changea brièvement en groin de cochon. Tandis que Richard se tournait vers son co-lead, Sofya ôta sa perruque violette qui commençait à lui irriter le cuir chevelu. Incarner Nymphadora Tonks lui avait demandé énormément de travail, pour apprendre à maîtriser les sortilèges de métamorphose. N'étant ni métamorphomage comme son personnage, ni experte dans cette discipline, elle avait dû s'entraîner d'arrache-pied, mais elle y était arrivée : après tout, il lui arrivait fréquemment de devoir altérer son apparence pour une mission chez les Veilleurs...

"Et toi, Calvin, tu as fait un Remus plus vrai que nature. Cette expression torturée sur ton visage, lors de la scène de la mort, c'était... brr ! Bon, encore quelques cafouillages sur l'acte de la Salle sur Demande, mais on en parle lors de la répétition de demain. Allez, filez vous reposer pour ce soir !"

Sofya ne se le fit pas dire deux fois. Après avoir esquivé un pseudo Harry Potter défiguré et barbouillé de suie, elle salua sa troupe puis se dirigea vers sa loge avec empressement. L'excitation liée à sa prestation retombait peu à peu et elle sentait une fatigue saine l'envahir. Cet apaisement profond, elle l'appréciait toujours énormément. Finalement, rien ne la faisait jamais se sentir aussi vivante que ça, ou presque rien...

Sofya s'installa à sa coiffeuse et entreprit d'ôter les épingles qui retenait son abondante chevelure prisonnière. Une à une, ses boucles dorées se libérèrent et tombèrent en cascade sur ses épaules. Elle se munit ensuite d'un large coton pour se démaquiller, et retrouva peu à peu son visage sous cette montagne d'artifices. L'espace d'un instant, elle resta immobile, à observer son visage nu et sans fards. Elle s'attarda sur cette petite marque blanche au-dessus de son arcade sourcilière gauche, cicatrice récente récoltée en mission, qui ne paraissait pas décidée à disparaître, puis nota les petites rides qui se formaient ici et là, signes du temps qui passe, et l'expression indicible de son regard.

Sofya était à l'apogée de sa carrière, elle le savait. Bientôt, les années allaient apporter la gloire à une actrice plus jeune et plus lumineuse qu'elle... mais pas tout de suite. Tout de suite, elle devait profiter.

Les trois coups frappés à la porte de sa loge la tirèrent de sa méditation.

"Entrez !", lança-t-elle avant de lancer un sourire éclatant à Joséphine, qu'elle vit dans le miroir. Se tournant vers sa petite-amie, elle se leva et se tourna vers elle pour lui rendre son baiser. Ses compliments lui firent chaud au cœur. Elle avait beau savoir que Joséphine n'était pas tout à fait objective, cela lui faisait plaisir quand même. Ce rôle n'était pas facile, après tout, car contrairement à toutes ses dernières pièces, il s'agissait de jouer un épisode récent et douloureux de la vie de leur pays. Une pièce commandée par le Ministre de la magie en personne, auprès de Mildred Magpie.

"Merci... C'est parce que tu étais dans la salle, je voulais t'impressionner", répondit-elle en haussant un sourcil insolent : "ça a marché ?"

En guise de réponse, Joséphine captura de nouveaux ses lèvres, et Sofya se laissa faire avec un soupir de satisfaction. Elle glissa ses bras dans le dos de la jeune femme pour l'attirer un peu plus près d'elle tout en s'adossant à sa coiffeuse, faisant rouler au sol un tube de mascara au passage. Une bouffée de désir l'envahit quand elle sentit les doigts de Joséphine s'attaquer aux boutons de sa robe de sorcière.

"Absolument, mes mains sont trop occupées pour s'en charger elles-même", souffla-t-elle, mutine, tout en caressant les courbes de la jeune femme à travers le tissu de sa propre robe. "Tu es vraiment magnifique ce soir..."

C'était rare, de voir Joséphine aussi élégante, et Sofya devait bien avouer que cela ne la laissait pas indifférente. Cette robe lui allait à merveille, et elle prit soin de l'observer sans vergogne avant que ses lèvres ne se perdent dans le long cou gracile de Joséphine. Bientôt, elle sentit sa propre robe glisser sur ses hanches, alors elle fit tourner Joséphine pour qu'elle se hisse sur la coiffeuse et entreprit de glisser ses mains le long de ses jambes, jusqu'en haut de ses cuisses, jusqu'à effleurer un tissu en dentelle...

Joséphine se laissa bien volontiers attirer contre Sofya, ignorant royalement les flacons de parfums et autres objets fragiles qui vacillaient dangereusement sur la coiffeuse de la comédienne. Un sourire mutin s'étira sur ses lèvres maquillées et elle défit lentement les premiers boutons de la robe de sorcière de sa petite-amie, effleurant la peau de son dos du bout de ses doigts.

"Merci, répondit-elle au compliment de Sofya avec un sourire plus timide. Moi aussi je voulais t'impressionner..."

Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas ressenti l'envie de faire des efforts pour plaire à quelqu'un. Un ensemble de lingerie et une paire de talons hauts suffisaient généralement à satisfaire ses clients et le reste du temps elle ne s'apprêtait que pour son propre plaisir, parce qu'elle aimait prendre soin d'elle. Pourtant ce soir elle avait mis un soin particulier dans le choix de sa tenue et de son maquillage, en pensant à Sofya et au désir qu'elle voulait voir dans ses yeux. Sentant le regard brûlant de la jeune femme glisser doucement sur elle, la danseuse estima que l'exercice était réussi.

Elle frémit quand les lèvres de la comédienne s'égarèrent dans son cou et renversa sa tête en arrière dans une cascade de cheveux roux. Elle acheva de défaire les derniers boutons de la robe de Sofya avec empressement et fit glisser l'étoffe le long des courbes de sa petite amie, qu'elle attira un peu plus contre elle pour sentir son corps contre le sien. Joséphine se retrouva dos à la coiffeuse et se redressa sur la pointe des pieds pour se hisser sur la tablette en bois, au milieu des pinceaux de maquillages et des tubes de rouges à lèvres. Ses jambes s'enroulèrent autours de la taille de Sofya et elle enfoui son visage dans le cou de la jeune femme qu'elle embrassa avec douceur. Elle laissa ses mains courir dans le dos dénudé de la comédienne et dégrafer habilement son soutient-gorge, qui ne tarda pas à rejoindre son costume abandonné au sol.

Elle laissa échapper un gémissement alors que la main de Sofya remontait entre ses cuisses et s'empara fougueusement des lèvres de sa petite-amie. Soudainement gênée par cette robe qu'elle avait mis tant de temps à choisir, elle la fit passer au dessus de sa tête et l'envoya rejoindre les affaires de Sofya avant de reprendre leur baiser là où elle l'avait interrompu. Ses jambes toujours enroulées autours de la taille fine de la comédienne, elle se cambra pour presser son corps contre le sien, le souffle court. Ses mains s'égarèrent dans le dos de Sofya, passèrent sur son ventre qu'elle effleura doucement avant de se glisser sous l'élastique de ses dessous en dentelle.

Etourdie de désir et complètement absorbée par leur étreinte, Joséphine mit un instant à réaliser que la porte de la loge venait de s'ouvrir, et s'immobilisa brusquement pour jeter regard surpris et confus en direction de l'intrus qui se tenait dans l'ouverture.

La soirée touchait doucement à sa fin. Ignacio rangeait tranquillement son bar, gardant un oeil attentif sur les derniers clients qui finissaient leurs verres. Il n'était pas rare, qu'à cette heure-ci, de violentes disputes éclatent entre deux clients ivres morts, qui se menaçaient en battant des poings comme des enfants mécontents et pathétiques. Rien ne semblait toutefois troubler l'ordre - relatif - des Folies Sorcières.

Tant mieux, songea-t-il, car il n'avait aucune envie d'assister à une bagarre approximative ce soir. A vrai dire, il aspirait surtout à rentrer chez lui - peut-être s'attarderait-il un peu pour boire un verre avec quelques employés des Folies. Les derniers mois n'avaient pas été de tout repos pour Ignacio, qui avait enchaîné missions délicates, et découverte familiale plutôt surprenante.

Il avait encore du mal à assimiler qu'il avait une grande-soeur. D'aussi loin que remontaient ses souvenirs, sa famille s'était toujours composée de son père et lui. Il ne connaissait de sa mère que son prénom - Alice - et savait qu'il tenait d'elle sa couleur de peau. Il n'avait jamais vraiment eu besoin d'en savoir plus sur elle ; contrairement aux idées reçues, à l'adolescence, il n'avait pas ressenti ce besoin de la chercher, de connaître l'intégralité de ses origines. Ignacio était un homme rancunier, et ne comprenait absolument pas pourquoi il ferait des efforts pour trouver une femme qui l'avait délibérement abandonné, alors qu'il n'avait même pas un an.

Et, sans prévenir, Isobel Lavespère était devenue sa soeur. Le caractère inattendu de cette annonce avait créé un véritable choc chez les deux adultes, qui avaient mis du temps à s'apprivoiser. Mais, plus ils se fréquentaient, plus Ignacio pouvaient voir leurs ressemblances - physiques, mais aussi mentales - et en tirait étrangement une certaine satisfaction.

Chassant sa situation familiale de ses pensées, Ignacio balaya la surface du comptoire du regard, à la recherche d'un verre sale ou d'une serviette en papier utilisée. D'un coup de baguette, il fit voleter les derniers verres abandonnés sur les tables de la salle vers lui, puis les dirigea vers l'évier, où deux éponges enchantées frottaient vigoureusement la surface.

Il laissa la magie opérer, saisit un plateau et se dirigea machinalement vers les loges des artistes. Il n'était pas rare que les employés des Folies sirotent un ou deux verres avant ou après les spectacles et il était rare qu'ils pensent à les ramener dans la salle principale. Ignacio aurait pu les enchanter pour qu'ils descendent jusqu'à lui, mais il était prêt à parier que la porte des loges était fermée, et qu'il exploserait un plateau entier de verres contre elle s'il s'adonnait à cette méthode - ce qu'il préférait éviter.

Il escalada les quelques escaliers, frappa deux coups et poussa la porte... Avant de se retrouver devant une scène fort intéressante. Le barman ne put s'empêcher de laisser fleurir un sourire, à la fois charmeur et amusé, sur ses lèvres.

"Mesdames, excusez-moi de vous interrompre." lâcha-t-il face à une Sofya et une Joséphine peu habillées. Il déposa son plateau à côté de lui, agita sa baguette magique, et les quelques verres qui étaient posés sur les tables s'envolèrent paresseusement pour s'y poser. Le moment était aussi drôle qu'embarassant.

Il n'avait pas fallut longtemps aux deux sorcières pour que leur étreinte ne passe de sensuelle à enfiévrée. Entièrement absorbées l'une par l'autre, elles se retrouvèrent bientôt quasiment nues, étourdies de ce désir qui émergeait si naturellement entre elles. Sofya ne se lassait pas de retrouver ces sensations désormais familières aux côtés de Joséphine, car cela faisait longtemps que personne, homme ou femme, ne lui avait fait un tel effet. Entre elles, l'alchimie était indéniable, leur relation était à la fois naturelle et encore très intense, car elles étaient encore cette période de grâce provoquée par la nouveauté du couple. Cette simplicité avait eut tôt fait de dissiper les nombreux doutes qu'elles avaient pu connaître l'une et l'autre, et Sofya se contentait désormais de savourer le plaisir de retrouver ces moments de bonheur à deux.

Sofya s'était tant et si bien abandonnée à cette étreinte qu'elle n'entendit pas la porte de la loge s'ouvrir. Seule l'attitude de Joséphine, qui s'était soudain figée, lui mit la puce à l'oreille et elle finit par suivre son regard en direction de l'entrée. Ah. Prises sur le fait, songea-t-elle avec un mélange obscur de pudeur, de frustration et d'amusement. De toute évidence, elles avaient oublié de tourner la clef dans la serrure... Reconnaissant Ignacio, elle songea que le mal aurait pu être plus grand : on était loin d'être face au plus macho et au plus lourdingue des veilleurs.

Un soupir frustré s'échappa de ses lèvres rougies, et elle retira à regret sa main des dessous de Joséphine pour la glisser dans son dos. S'écartant légèrement de la jeune femme - et révélant sa poitrine au passage, mais elle n'avait pas grand chose à cacher - Sofya tourna un regard ironique vers Ignacio, qui semblait profiter tranquillement du spectacle. De toute évidence, il n'était pas trop pressé de partir, puisqu'il se permit même une petite remarque. L'expression de son visage était éloquente, et passée la première gêne de la situation, Sofya ne pouvait s'empêcher de trouver la situation amusante. Parce que c'était Ignacio, son collègue de comptoir avec qui elle passait de nombreuses heures pour papoter, espionner tranquillement la foule qui se pressait aux Folies, ou encore siroter ses délicieux cocktails en compagnie d'Isobel.

"Ignacio, je vois bien que tu es désolé", répliqua-t-elle en lui glissant un regard plein de langueur, encore étourdie par l'étreinte qu'elle n'aspirait qu'à reprendre. D'ailleurs, elle tenait toujours fermement la taille de Joséphine et ne manifestait guère l'intention de reprendre une posture plus digne. Ignacio n'était pas un prude, après tout, il en avait certainement vu d'autres. Avisant les verres que le barman attirait à lui grâce à un sortilège, elle jeta un coup d’œil aux tables désormais vides.

"C'est gentil de nous faire de la place, on n'avait pas encore testé toutes les surfaces", lança-t-elle avec un clin d’œil mutin, ponctué d'un petit rire qui trahissait son embarras. A quoi bon démentir ou dissimuler leur activité, leur tenue - ou plutôt absence de tenue - était suffisamment éloquente...

Joséphine n’était, heureusement pour elle, pas quelqu’un de particulièrement pudique. Du moins elle ne l'était plus depuis de nombreuses années. Elle avait appris à être parfaitement à l’aise avec la nudité -la sienne comme celle des autres- et ne se sentit pas gênée le moins du monde par l’arrivée d’un visiteur alors qu’elle se trouvait en sous-vêtements dans les bras de sa petite-amie. Et puis, le visiteur en question n’était autre qu’Ignacio, à qui elle n’avait plus grand-chose à cacher. Depuis le bar, il assistait à tous les spectacles des Folies et l’avait déjà vue bien moins vêtue que cela. A en croire son sourire amusé, il trouvait d’ailleurs la situation plus drôle qu’embarrassante.

La danseuse jeta un regard un peu hésitant en direction de Sofya, à moitié nue, en se demandant comment la jeune femme allait réagir. Elle fut agréablement surprise par l’attitude pleine d’assurance de sa petite-amie, qui ne parut pas se formaliser de se retrouver en position compromettante face au barman des Folies. Voir Sofya assumer si pleinement son corps et leur relation, l’excitait encore davantage et Joséphine n’aspirait plus qu’à reprendre leurs activités là où elles en étaient avant d’être interrompues.

L'interruption en question n'avait pour objectif que de débarrasser la loge de l'actrice des quelques verres vides qui trainaient. Ceux-ci s'envolèrent pour rejoindre le plateau d’Ignacio et Joséphine suivit avec un sourire amusé l’échange entre la comédienne et le barman. Sourire qui se fit espiègle à la remarque pleine d’humour de sa petite-amie. Elle constata qu'Ignacio leur lavait effectivement libéré plus de place qu'elles n'en avaient besoin. La loge était largement assez spacieuse pour abriter les ébats de deux personnes, ou plus.

"Tu aurais pu nous apporter une bouteille de champagne en échange de tous ces verres vides," ajouta-t-elle en joignant un rire léger à celui de Sofya.

Ses clients commandaient souvent du champagne dans les chambres, ou quand ils préféraient boire un verre au bar avant, mais Joséphine connaissait suffisamment bien la carte des Folies pour savoir qu'ils sélectionnaient rarement le meilleur -qui était hors de prix mais excellent. Elle s'en plaignait d'ailleurs souvent à Ignacio, avec qui elle aimait bien discuter en début de soirée, ou entre deux clients. Il écoutait toujours avec attention ses anecdotes les plus insolites, et sa conversation était agréable, tout comme son physique, cela dit en passant. Le regard de Joséphine glissa justement sur le corps du barman, alors que son esprit échauffé lui soufflait quelques idées pas très raisonnables.

"Il serait peut-être temps de fermer cette porte, fit-elle remarquer avec nonchalance alors qu'un comédien de la troupe de Sofya passait dans le couloir, non sans avoir essayé de jeter un oeil à l'intérieur de la loge. Alors, tu rentres ou tu sors ?" proposa-t-elle finalement en redressant la tête pour planter ses yeux brillants dans ceux d'Ignacio, comme pour le mettre au défi.

La danseuse ne savait pas exactement d'où lui venait cette idée. Elle s'était laissée porter par l'attitude désinvolte de Sofya et celle, charmeuse, d'Ignacio, et n'avait pas vraiment réfléchi. En temps normal c'était pourtant quelque chose dont elle aurait discuté avec son ou sa partenaire, avant d'éventuellement proposer à quelqu'un d'autre de les rejoindre, mais l'énergie qui circulait entre eux lui avait paru telle qu'elle s'était permise de prendre les devants. Elles pourraient parler plus tard, pour l'heure Joséphine n’avait pas l’attention d’attendre plus longtemps avant de laisser parler son désir, avec ou sans invité surprise.

L’attitude des deux jeunes femmes, bien loin d’être offusquées de son entrée, lui tira un sourire amusé et charmeur. Il connaissait Sofya et Joséphine depuis quelques années maintenant, et savait qu’elles n’étaient ni spécialement pudiques, ni particulièrement prudes, mais son arrivée dans les loges privées des artistes, alors qu’elles étaient visiblement occupées l’une par l’autre, aurait pu les surprendre, les agacer, les rendre impatientes de son départ.

« Ca aurait été dommage que vous terminiez avec des bouts de verre dans le dos. » lança-t-il avec un sourire en coin en réponse à la remarque de Sofya. Les délicats verres à pied venaient délicatement se poser sur son plateau en argent, posé à côté de lui.

Il avait toujours apprécié Sofya pour son franc-parler, attitude qu’il attribuait généralement plus aux hommes qu’aux femmes, et qu’il appréciait retrouver chez ses interlocuteurs. Ils s’étaient souvent retrouvés tous les deux, l’une étant espionne, l’autre assassin, partageant des missions secrètes, délicates, qui les amenaient généralement dans les endroits les plus sombres du monde magique. La découvrir ainsi dénudée, les yeux brillants et les cheveux en bataille ne le laissait pas clairement pas indifférent.

Son regard se dirigea vers Joséphine, qui lui faisait nonchalamment  remarquer qu’il était plus que temps que de refermer la porte, dont l’ouverture attirait les regards des curieux qui passaient devant. La proposition qui suivit lui tira un haussement de sourcil, et il tira doucement la porte vers lui pour la clore. Ses yeux détaillaient le corps de Joséphine – magnifique – son regard presque provocant, qui les défiait de venir les rejoindre.

Ignacio n’était pas un homme prude ; cela faisait bien longtemps qu’il partageait certaines de ses nuits en excellente compagnie. Son instinct (appelons cela son instinct) l’invitait à réduire l’espace qui le séparait de ces deux femmes très séduisantes. Il s’apprêtait à le faire, quand sa raison lui rappela qu’une participante, restée silencieuse, n’avait pas encore tout à fait validée sa venue.

« Sofya ? » demanda-t-il simplement, en tournant vers elle un regard interrogateur, l’œil rendu cependant plus vif par le désir qui, petit à petit, s’emparait de lui.

Il fallut au moins le passage dans le couloir de l'un des membres de sa troupe pour que Sofya ne se résigne à se décoller de Joséphine. Le rouge lui était monté aux joues beaucoup plus sûrement qu'avec Ignacio, car elle affichait réellement plusieurs visages : celui qu'elle montrait aux Veilleurs était beaucoup moins prude que celui qu'elle affichait sur scène, auprès de sa troupe de comédiens. Il en allait de sa couverture, après tout, et il n'était pas très prudent de sa part de se montrer aussi frivole publiquement, quand bien même elle se fichait assez de sa réputation : qui, parmi les comédiens qui se produisaient régulièrement ici, pouvaient se vanter d'avoir résisté aux danseuses avec lesquelles ils se disputaient la scène ?

Cette mésaventure fut néanmoins bien vite oubliée lorsque sa petite-amie fit une suggestion qui la laissa pantoise. Son regard vif passa d'Ignacio à Joséphine, puis de Joséphine à Ignacio, tandis qu'elle tentait de processer l'information. Le sous-entendu était assez clair, à en juger par le calme avec lequel le barman ferma la porte derrière lui. Une pointe de colère passa dans le regard de Sofya, qui relâcha pour de bon la main de Joséphine, qu'elle tenait encore dans la sienne. Est-ce qu'elle n'aurait pas pu lui poser la question avant ?, songea-t-elle avec une possessivité farouche, qui ne lui ressemblait guère, mais qu'elle ne chercha pas à réfréner. Depuis quand avaient-elles besoin d'un homme pour s'amuser? Et puis leur relation était exclusive, à ce qu'elle sache. C'était une chose que d'accepter que l'une ou l'autre ne passe entre les bras d'autres personnes pour le bien de leurs fonctions. S'en était une autre que d'accepter de la partager dans le cadre de leur vie privée, de leur couple...

Son prénom, prononcé par Ignacio, la prit de court et elle reporta son attention sur le jeune homme. Il la fixait d'un air interrogateur, le regard assombri par quelque chose qui ressemblait à du désir. Un frisson parcourut son dos dénudé à cette vision, alors que des désirs contradictoires s'emparaient d'elle. L'idée de son collègue les rejoignant se frayait un chemin dans son imagination sous la forme de mille pensées inavouables. Ses pensées s'obscurcissaient, emportant son jugement. Depuis combien de temps n'avait-elle pas partagé un tel moment avec deux autres personnes ? Des années, avant son mariage, dix ans peut-être. Elle n'avait jamais imaginé Ignacio sous cet angle là, pour autant, il lui avait toujours fait de l'effet - comme à la plupart des personnes attirées par la gent masculine, c'était un constat objectif : il était tout simplement canon et, par Merlin, elle n'était qu'une femme...

Alors... quel mal pourrait-il bien y avoir ? Cela ne mettrait pas forcément à mal leur début de relation. Ignacio n'était pas un homme à faire des histoires. D'accord, elle s'efforçait à ne pas coucher avec ses collègues en temps normal, mais... juste une fois... Cela resterait enfermé dans cette loge, juste entre eux trois...

Quelques secondes s'étaient écoulées, dans un silence chargé par une tension érotique qu'elle ne pouvait nier. Finalement, Sofya reporta son attention sur sa petite amie, magnifique, avec ses cheveux vifs qui tranchaient sur sa peau de porcelaine, ses lèvres gonflées et son regard qui brillait de plaisir. A cette vision, elle se sentit céder, à l'idée de réaliser ce fantasme dont elle n'avait même pas idée quelques instants auparavant.

"Très bien...", murmura-t-elle en adressant un regard de défi à sa petite-amie. Elle n'allait pas se défiler, surtout face à Ignacio. Joséphine voulait jouer à ce petit jeu là ? D'accord. Mais c'était elle qui menait la danse.

Sofya se détourna de Joséphine, traversa la petite loge d'une démarche louvoyante, considérant Ignacio sous ses cils blonds. Elle s'arrêta devant lui, redressa la tête pour l'observer, se laissa une demi-seconde pour embrasser l'incongruité de la situation - combien de fois s'étaient-ils retrouvés dans des contextes purement professionnels ou amicaux, tous les deux, aux Folies ou en mission ? Pourquoi est-ce que ce regard bleu qui caressait leurs deux peaux nues lui procurait autant d'effet ? Elle secoua la tête, comme pour en chasser toute pensée parasite, et ses longues boucles échevelées tombèrent sur sa poitrine. En bonne Gryffondor, elle allait plonger tête la première dans ce moment, avant de trop réfléchir.

Elle attrapa le tissu de la chemise d'Ignacio et l'attira jusqu'à elle. Glissant son autre main sur la nuque du barman, elle se hissa sur la pointe des pieds et captura ses lèvres en un baiser sensuel, explorant avec curiosité cette nouvelle sensation. Puis, son regard indolent assombri par le désir, elle se retourna pour tendre la main vers Joséphine, et l'attira jusqu'à eux...

Un frisson d'excitation parcourut le corps de Joséphine alors qu'Ignacio refermait doucement la porte de la loge derrière eux. La danseuse s'était laissée complètement emportée par cette atmosphère chargée de tensions et de désir, n'écoutant que ses envies là où elle aurait peut-être du accorder un peu plus d'attention à celles de sa petite-amie. Elle sentit son coeur se serrer alors que Sofya lui lâchait soudainement la main, un éclair de colère au fond des yeux. Joséphine se mordilla nerveusement la lèvre intérieure en observant la jeune femme avec appréhension. La comédienne avait perdu cette attitude nonchalante et séductrice que la danseuse avait, à tort, considéré comme un accord tacite. On ne devrait jamais présumé ces choses là (#chooseconsent).

Elle s'apprêtait à questionner sa petite-amie sur ce dont elle avait envie ou pas -prête à congédier poliment Ignacio aussi rapidement qu'elle ne l'avait invité à rentrer- quand ce dernier la prit justement de vitesse en interrogeant Sofya. Celle-ci sembla hésiter un instant et Joséphine l'observa avec des yeux brillants où se disputaient le désir et l'appréhension. Un sourire s'étira doucement sur ses lèvres maquillées alors que la comédienne acceptait finalement cette proposition en lui jetant un regard de défi. Joséphine fut à la fois frustrée et agréablement surprise de voir Sofya s'éloigner d'elle pour aller rejoindre Ignacio de l'autre côté de la loge.

Elle les observa alors qu'ils se jaugeait du regard et que sa petite-amie s'emparait de la chemise du barman pour l'attirer à elle. Sofya n'avait pas mis longtemps à se faire à l'idée d'une aventure à trois, et tenait visiblement à récupérer le pouvoir d'initiative dont Joséphine l'avait privé. Cette attitude provocante et un brin vengeresse attisait le désir de la danseuse autant que sa jalousie. La comédienne était plus attirante et sensuelle que jamais, et beaucoup trop loin d'elle à son goût. Voir Sofya s'emparer des lèvres d'Ignacio réveilla en elle une possessivité farouche dont elle n'avait pas eu conscience jusqu'à présent.

Joséphine n'eut pas à lutter longtemps contre ses sentiments contradictoires et s'abandonna complètement à ses désirs charnels en s'emparant sans hésitation de la main que Sofya tendait dans sa direction. Elle rejoignit la comédienne et le barman en quelques enjambées, toujours perchée sur ses talons hauts. Frustrée d'avoir été tenue à l'écart, elle se glissa entre Ignacio et sa petite-amie, attirant la belle actrice contre elle alors que son dos se pressait contre le torse d'Ignacio. Elle adressa une moue d'excuse à Sofya avant de glisser une main dans ses épais cheveux blonds et de l'embrasser avec passion.

Les tensions des derniers instants s'évanouirent aussitôt pour laisser place à une énergie érotique, qui semblait parfaitement circuler entres les trois employés des Folies. Il n'y avait plus aucune gêne ni appréhension, et Joséphine se sentait parfaitement à l'aise et en confiance, prête à laisser s'exprimer tous ses désirs. Délaissant momentanément sa petite-amie, elle se retourna pour faire face à Ignacio, toujours beaucoup trop habillé.

"Tu as du retard à rattraper..."

Il était parfaitement injuste que lui soit encore vêtu de sa chemise et de son pantalon alors que Sofya et elle étaient à moitié nue. Et Joséphine était comme ça, elle n'aimait pas l'injustice. Elle s'attaqua aux boutons de la chemise du jeune homme, qui ne tarda pas à rejoindre leurs vêtements sur le sol de la loge.

Ignacio observait Sofya avec un regard intense, chargé d’un désir qu’il ne cherchait plus à dissimuler. La proposition de Joséphine avait mis tous ses sens en alerte, et il sentait que la tension de la pièce était devenue plus forte, plus lourde, plus sensuelle. Il  n’avait réfléchi que quelques secondes avant de se décider à refermer la porte derrière lui, mais n’avait pas bougé pour autant, attendant l’aval de la comédienne pour prendre la moindre initiative.

Finalement, il n’eut pas à faire quoique ce soit, puisque Sofya, après avoir défié Joséphine du regard, s’était avancée vers lui d’une démarche louvoyante. Ignacio l’accueillit avec un sourire charmeur, et soutint son regard pendant qu’elle le dévisageait. Il n’avait jamais envisagé sa collègue sous cet angle-là, mais était désormais sidéré par sa beauté sensuelle qui se dégageait de son attitude. Il referma un bras dans son dos, glissa son autre main dans ses cheveux blonds, alors que la comédienne se hissait sur la pointe des pieds pour l’embrasser. Il répondit à son baiser avec la même sensualité, faisant jouer ses lèvres contre les siennes avec lenteur, son corps collé contre le sien. Un long frisson lui parcourut le dos, alors qu’il se détachait de Sofya et que cette dernière se retournait vers Joséphine pour l’entraîner dans cette drôle d’étreinte.

La jolie danseuse se glissa entre lui et la comédienne, qu’elle embrassa fougueusement. Ignacio observa ce baiser avec envie, avant de laisser glisser ses lèvres dans le creux du cou de Joséphine, qui ne tarda pas à se retrouver contre lui, avec une remarque tout à fait justifiée aux lèvres.

« Pas pour longtemps. » constata-t-il alors qu’elle s’attaquait aux boutons de sa chemise, qui ne tarda pas à glisser sur le sol, dévoilant sa peau mate. Il fit ensuite glisser son pantalon à terre, qui se retrouva à côté des vêtements des deux femmes – désormais, ils étaient quittes.

La situation – pourtant incongrue – était incroyablement sereine, et aucun doute ne traversa l’esprit d’Ignacio alors qu’il se penchait vers Joséphine pour capturer ses lèvres en un long baiser passionné. Il se sentait à l’aise, débarrassé de ses précédents questionnements. L’atmosphère sensuelle, chaude, enveloppait les trois employés des Folies Sorcières, qui laissèrent libre court à leurs envies et à leurs désirs.


Ignacio boutonnait lentement sa chemise, son regard caressant encore les corps des deux femmes avec qui il venait de passer un moment de qualité, disons-le, supérieure. Un certain calme était retombé sur la loge privée, et tous se rhabillait dans le silence. L’atmosphère sensuelle était devenue – évidemment – bien plus gênante, maintenant qu’ils étaient repus de désirs, et que seules les questions subsistaient dans leurs esprits. Ce fut Ignacio qui rompit le silence le premier.

« J’ai passé un très bon moment. » signifia-t-il avec un léger sourire en coin, préférant témoigner directement de son plaisir à Joséphine et à Sofya, plutôt que de partir comme un voleur. « Merci. » Il leur adressa un sourire plus franc, plus sincère. Puis, il lissa sa chemise d’une main, et considéra le plateau, qu’il avait déposé plus tôt dans un coin de la pièce. « Il paraît que certains n’avaient pas complètement fini de travailler… » Il les salua d’un dernier clin d’œil et pivota pour quitter la pièce…

Étendue sur une petite causeuse de velours pourpre, Sofya laissait sa main glisser le long du dos de Joséphine en une caresse lascive. Pourtant, ce n'était pas sur sa petite-amie que s'attardait son regard alangui, mais bien sur Ignacio, occupé à boutonner sa chemise blanche. L'intense tension érotique qui avait régi leurs actes quelques instants auparavant s'était évaporée au profil d'un curieux mélange de volupté et d'embarras, alors que tous reprenaient peu à peu leurs esprits et prenaient la mesure de ce qu'ils venaient de partager. Ignacio venait d'accéder à un niveau d'intimité inédit avec ses deux collègues, quant à elles, elles avaient momentanément élargi la bulle que constituait leur couple pour y inclure une troisième personne...

Un petit sourire étira les lèvres de la comédienne quand son regard croisa celui d'Ignacio, avant de s'agrandir à sa remarque. Même si la situation était quelque peu inconfortable, elle ne pouvait nier qu'elle avait, très largement, apprécié l'expérience... les souvenirs des derniers instants l'aurait fait rougir si elle avait été plus prude que cela, mais elle se contenta de répondre, avec un clin d’œil :

"Plaisir partagé."

Après tout, si Ignacio ne laissait pas cet évènement rendre leurs rapports bizarres, il n'y avait pas de raison qu'elle le fasse non plus. Tandis qu'il se dirigeait vers son plateau, elle écarta une mèche de cheveux de Joséphine pour dévoiler sa nuque délicate, sur laquelle elle déposa un léger baiser. Elle salua Ignacio alors qu'il s'éclipsait pour retourner à son travail, après cette pause relativement peu conventionnelle, puis se redressa légèrement pour faire face à Joséphine. Sans trop qu'elle ne sache analyser pourquoi, une pointe d'appréhension était née en elle.

"Eh bien... voilà qui fut...intéressant", commenta-t-elle avec prudence, tout en fouillant le regard de Joséphine, tentant de deviner ses pensées.

Leur relation était belle, mais complexe depuis le début, de part leurs métiers respectifs et leurs blessures passées. Pourtant, Sofya était heureuse comme cela et elle ne tenait pas à ce que leur petite escapade sexuelle ne viennent ébranler cet équilibre qu'elles avaient atteint... Mais les actes ne trompaient pas, et elle était persuadée que Joséphine avait apprécié ce moment partagé à trois. Sofya, elle, se sentait plus détendue qu'elle ne l'avait été depuis longtemps, comme vidée d'une énergie et d'une tension qu'elle ne réalisait même pas ressentir. En réalité, elle n'aurait jamais imaginé apprécier autant intégrer une troisième personne dans leur lit - ou, en l'occurrence, leur loge - et pourtant cela avait bel et bien été le cas.

Joséphine était lentement attirée par le sommeil, allongée contre Sofya qui lui caressait doucement le dos. Ses paupières ne demandaient qu'à se fermer mais la danseuse tenait à garder les yeux ouverts pour profiter de la vue d'Ignacio, occupé à boutonner sa chemise. Elle avait passé un excellent moment, le meilleur depuis longtemps, et ne demandait qu'à se laisser portée encore un peu par l'énergie érotique qui circulait entre eux, mais déjà elle sentait une certaine gêne peser sur l'atmosphère de la loge.

Le barman des Folies n'avait d'ailleurs pas l'intention de s'éterniser puisqu'il les salua avant de récupérer son plateau et de leur annoncer que le devoir l'appelait.

"Merci à toi, lui répondit Joséphine en lui retournant son clin d'oeil. Bonne fin de soirée."

Il aurait plutôt été l'heure de lui souhaiter une bonne nuit, mais les employés des Folies vivaient généralement en horaire un peu décalé. La danseuse se retourna sur la causeuse en velours pour faire face à Sofya et enveloppa sa petite-amie d'un regard plein d'interrogations. Ses questions restèrent sans réponse suite à la remarque de Sofya qui qualifia les derniers instants d'intéressant. Intéressant, un choix de mot qui pouvait recouvrer bien des sentiments.

Depuis qu'elle était adulte, Joséphine n'avait jamais vécu le couple de façon traditionnelle, surement du fait de son métier. Elle n'avait eu que très peu de relations exclusives, qui s'étaient toutes mal terminées. Elle n'avait jamais pu respecter les standards et ne pouvait obéir à aucune règle, elle avançait en se fiant uniquement à ce qu'elle ressentait, sans se soucier que cela ne soit pas toujours conventionnel. Aujourd'hui elle était certaine d'une chose, elle était amoureuse de Sofya. C'était incontestable, et elle chérissait chacun de leurs moments à deux. Mais elle était certaine aussi d'avoir apprécié ce moment à trois. Elle avait eu le sentiment que sa petite-amie avait apprécié également, mais avait pris la résolution de ne plus présumer ce genre de chose, et décida qu'il valait mieux en parler ouvertement.

"Ça t'a plu ?" s'enquit-elle, presque timidement, en effleurant la clavicule de la comédienne du bout des doigts.

Elle avait conscience que la possibilité d'inviter une troisième personne à partager leur intimité aurait dû être discutée avant, mais mieux valait tard que jamais.

"Tu aurais envie de recommencer, de temps en remps ?"

Elle-même avait plutôt envie de renouveler l'expérience, qui l'avait agréablement surprise. Elle avait eu peur de ne pas réussir à partager Sofya, en sentant cette vague de jalousie s'emparer d'elle à la vue de sa petite-amie embrassant Ignacio, mais cette possessivité s'était finalement effacé pour laisser uniquement place au plaisir de la découvrir d'une nouvelle façon.

Là où l'intrusion d'une troisième personne entre elles aurait pu les éloigner, elle avait le sentiment qu'elles étaient au contraire plus proches que jamais. Il n'y avait pas eu de jalousie ni de compétition entre eux, ils avaient abandonné leurs à priori, leurs doutes et leurs attentes pour s'abandonner entièrement à cette expérience et cela avait été parfait. Comme si ensemble ils n'avait pas été qu'une addition de combinaisons possibles mais un véritable trio. Elles avaient trouvé une harmonie avec Ignacio que Joséphine n'avait jamais connue avant, et elle se demandait si Sofya ressentait la même chose.

L'expression sérieuse de Sofya s'évanouit lorsque Joséphine s'enquit de savoir si l'expérience lui avait plu. Cela semblait être son cas, puisque sa petite-amie lui fit une proposition à laquelle elle ne s'attendait pas. A vrai dire, Sofya n'avait guère eu le temps d'anticiper cette expérience-ci, ni même d'assimiler tout à fait ce qui s'était passé : elle se sentait encore étourdie par les sensations qu'elle avait éprouvé, et la proximité qu'elle partageait encore avec Joséphine ne l'aidait pas exactement à y voir plus clair. Pourtant repue de désirs, Sofya n'aurait pas été contre prolonger l'étreinte à trois d'une prolongation à deux... Mais elle sentait qu'elles avaient toutes les deux besoin de mettre des mots sur ce qu'elles avaient partagé.

Sofya se pencha brièvement vers Joséphine pour déposer l'ombre d'un baiser sur un petit grain de beauté qui effleurait sur la pommette de la jeune femme, puis elle s'écarta pour l'observer.

"Oui, cela m'a plu, énormément", confirma-t-elle finalement en réponse en penchant légèrement la tête avec malice, "Et je ne crois pas me tromper en affirmant que ça t'a plu aussi..."

Leur complicité à tous les trois avait été déroutante et, il fallait bien l'admettre, quelque peu déroutante. Il n'était pas toujours aisé de trouver une harmonie sexuelle avec un nouveau partenaire, alors à trois l'équilibre pouvait être d'autant plus difficile à trouver. Les rares expériences passées de Sofya en la matière avaient été beaucoup plus laborieuses, bien qu'enrichissantes, et elle n'avait jamais imaginé que cela puisse être aussi... évident.

"Quant à recommencer...", reprit-elle avant de s'interrompre, baissant les yeux avec une once de timidité. Elle posa doucement sa main sur celle de la jeune femme, et entremêla ses doigts aux siens. Sofya laissa planer un silence, le temps de rassembler ses pensées, et finit par redresser un regard, dans lequel transparaissaient ses doutes. Qu'est-ce que cela voulait dire, de temps en temps ? Et avec qui, Ignacio, quelqu'un d'autre... ? Joséphine ne pouvait-elle pas se satisfaire de ce que Sofya avait à lui offrir ? Pourtant, à peine cette pensée s'était-elle formulée dans son esprit que Sofya l'avait écarté. Si elle était honnête avec elle-même, alors elle réalisait que cela avait ajouté une nouvelle dimension à leur relation, plus que de l'amoindrir.

Alors, pourquoi avait-elle peur ? Espionne pour le compte de la mafia, Sofya s'était bien souvent retrouvée dans des situations autrement plus menaçantes que celle-ci, alors pourquoi se sentait-elle terrifiée par la proposition de Joséphine ? Elle le savait bien, au fond. Elle était éblouie par cette jeune femme incroyable et magnifique, leur relation l'apaisait autant qu'elle l'électrisait, ajoutait une saveur supplémentaire à sa vie pourtant haute en couleurs. Joséphine la bouleversait, mais en réalité, Sofya n'en croyait pas encore tout à fait sa chance. La peur de voir s'évanouir cette relation, comme toutes les autres auparavant, la retenait. Et si Joséphine se mettait à rechercher dans d'autres bras que les siens quelque chose que Sofya ne pouvait lui offrir ? Et si sa chance n'avait pas tourné, et si Joséphine s'en allait comme Nasreen l'avait fait avant elle, pas si longtemps auparavant... ?

"J'en aurais envie, bien sûr. C'était une expérience incroyable et j'ai adoré la partager avec toi, et l'idée de recommencer, hmm... Ne serait pas pour me déplaire, c'est évident. Mais, Jo, j'ai juste peur que...", s'interrompit-elle afin de chercher ses mots. Elle avisa les grands yeux expressifs de Joséphine et sentit son cœur rater une embardée. "Je ne voudrais pas que cela puisse bouleverser l'équilibre de notre couple, tu comprends ?"

Elle guetta la réaction de la jeune femme, rapprocha légèrement son visage du sien, puis murmura du bout des lèvres :  

"Je t'aime, Jo."

Un sourire s’étira sur les lèvres de Joséphine à la remarque de Sofya et elle se contenta de confirmer son hypothèse d’un hochement de tête. Elle n’avait pas cherché à cacher le plaisir nouveau et intense que lui avait procuré cette étreinte à trois, et il lui avait d’ailleurs semblé que ce plaisir était partagé par sa petite-amie. La comédienne lui répondit effectivement avoir apprécié l’expérience, avant d’hésiter un peu quant à l’idée de recommencer.

Se morigénant intérieurement pour avoir été une nouvelle fois peut-être trop entreprenante, Joséphine s’empara de la main que Sofya venait de poser sur la sienne et entremêla ses doigts au sien pour l’encourager à se confier. Elles étaient seules dans la loge désormais et protégées dans la bulle de leur intimité. Il n’y avait pas d’appréhension à avoir, pourtant le regard de la comédienne était plein de doutes et de craintes qu’elle semblait hésiter à verbaliser. En observant le visage troublé de Sofya, Joséphine réalisa qu’elle aurait fait à peu près n’importe quoi pour effacer cette mine contrariée du visage de la jeune femme et lui rendre son beau sourire. La puissance de ses propres sentiments pour Sofya lui apparaissait de plus en plus souvent avec une évidence presque brutale.

"On n’est pas obligées, la rassura-t-elle dans un murmure. C’est comme tu veux, moi je m’en fiche tant que je suis avec toi."

Sofya finit par partager les raisons de sa peur et un sourire tendre se dessina sur le visage de Joséphine, qui hocha doucement la tête. Elle aurait qualifier leur relation de montagnes russes ou de saut à l'élastique plutôt que d'équilibre, mais elle comprenait la crainte de Sofya, pour la partager en grande partie. Tout était très arrivé très vite entre elles, et de façon très intense. Elles s’étaient caché des choses importantes, s’en étaient livrées d’autres encore plus importantes, elles s'étaient dévoilées l'une à l'autre parfois sous la contrainte, parfois par choix. Elles portaient toutes les deux les nombreuses cicatrices que la vie leur avait laissées, et trainaient chacune un lourd bagage. Objectivement, leur relation était loin d'être parfaite, pourtant c'était ce qu’elle avait de plus précieux et elle n'y aurait rien changé. Et parfois elle avait peur que tout disparaisse aussi vite que c'était arrivé.

"Ça n'arrivera pas, assura-t-elle pourtant avec conviction, autant pour Sofya que pour elle-même. Même tous les barmans sexy du monde n'arriveraient pas à me détourner de toi..." ajouta-t-elle avec un sourire avant de s'interrompre en voyant sa petite-amie rapprocher son visage du sien.

Son coeur loupa un battement alors qu'elle se suspendait aux lèvres de Sofya, avant d'exploser de bonheur à l'entente des trois petits mots qui s'en échappèrent. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas sentie aussi heureuse. C'était peut-être idiot, d'accorder tant d'importance à des mots. La vie aurait dû lui apprendre que les gens mentaient, et que parfois ils changeaient d'avis. Mais elle avait envie de voir ces mots comme la promesse que tout irait bien, parce que Sofya l'aimait.

"Je t'aime aussi, répondit-elle dans un souffle. Plus que tout. Tu me rends complètement folle, tu me donnes le vertige, et tu as réveillé des choses en moi que je pensais éteintes pour toujours. Et chaque fois que je suis avec toi j'ai envie que ce moment ne s'arrête jamais. Elle détacha ses doigts de ceux de la jeune femme pour glisser doucement une main dans ses cheveux blonds. Celui-ci en particulier..."

Les yeux brillants d'émotions et le coeur battant la chamade, elle termina sa phrase en déposant un long baiser sur les lèvres de sa petite-amie.

Lorsque Joséphine répondit à sa déclaration, et de la plus belle des manières, Sofya sentit son cœur imploser dans sa poitrine. Une douce impression de chaleur se répandit en elle, qu'elle accueillit avec plaisir. Qu'il était bon de savoir ses sentiments partagés, de se sentir reliée à une autre personne par un tel lien ! Farouchement indépendante, Sofya s'était longtemps méfiée de ce sentiment qui l'avait conduit, trop souvent, au bord du précipice. Pourtant, elle se sentait chamboulée par les tendres paroles de sa petite-amie et bouleversée par l'émotion, les promesses et l'érotisme qu'elle dégageait à cet instant. Sofya laissa définitivement tomber ses barrières pour se fondre dans le moment - et dans les bras de Joséphine. Elle accueillit son baiser avec langueur, savourant pleinement leur proximité et leur complicité, et ce bonheur de sentir son cœur pulser sur le même rythme que quelqu'un d'autre.

Cette soirée était parfaite - l'excitation de la scène, le succès de sa pièce, la sensualité du moment partagé avec Joséphine et Ignacio, prolongé par une véritable déclaration d'amour... C'était un moment de bonheur et d'harmonie, dont la comédienne se souvenait longtemps, et qu'elle n'avait pas non plus envie de voir se terminer.

"Alors, faisons-le durer", souffla-t-elle en réponse à Joséphine, les yeux brillants. Ses mains glissées dans le dos de la jeune-femme, elle l'attira doucement à elle pour capturer ses lèvres et l'inciter à s'allonger sur elle. Alors elle se laissa emporter par la douceur de la peau de Joséphine contre la sienne, et tenta de lui expliquer, par ses gestes, ce que Joséphine lui avait si bien dit par les mots...

RP terminé