Lucy In The Skye With Diamonds [Meredith]

Leopold sentit le sol arriver brusquement sous ses pieds et il s'accrocha quelques instants au bras d'Alessandro en réprimant la nausée qui menaçait de le submerger. Le transplanage lui était chaque jour un peu plus difficile, hélas il n'avait pas la possibilité de programmer chacun de ses déplacements au point de toujours programmer un portoloin. Du moins, c'était ce que ses médicomages lui disaient de faire, mais on n'avait pas toujours ce que l'on voulait dans la vie...

"Ça va aller ?", s'enquit son garde-du-corps, sans tenter de feindre la moindre sollicitude - Alessandro avait simplement envie d'éviter qu'il ne rende son déjeuner sur ses chaussures parfaitement cirées. Cette indifférence relative de son nouvel Alan lui convenait parfaitement, il était suffisamment entouré de flagorneurs au quotidien pour ne pas s'infliger cela avec son homme à tout faire.

Leopold grommela une réponse entre ses dents, et inspira profondément en s'efforçant de perdre son air verdâtre. Glissant une main dans la poche intérieure de son long manteau gris clair, il en tira une flasque qu'il porta à sa bouche. Le Ragnarov était le seul remède efficace à son mal des transports et il ne comptait pas s'en passer. Rasséréné par la sensation familière du liquide qui lui brûlait l’œsophage et lui réchauffait les membres, le ministre se dégagea de la prise d'Alessandro et prit enfin conscience des environs. Ils se trouvaient juste devant le désormais célèbre Phare Magique de Neist Point, porte d'entrée du centre de réhabilitation mémorielle... notamment. Cette vision commençait à être familière, songea Leopold en avançant vers l'entrée, sortant sa baguette et son badge d'accès pour se soumettre aux contrôles. Ministre ou pas, Leopold était soumis à la même enseigne que n'importe qui souhaitait pénétrer en ces lieux : après tout, son apparence pouvait être imitée par n'importe quel clampin capable de concocter un Polynectar décent.

Depuis le lancement de son projet ultra confidentiel de recherche génétique avec Constantine, Leopold s'était rendu à Skye à plusieurs reprises pour suivre les travaux, et même servir lui-même de cobaye. Entre ça et les visites officielles - comme le tragique accident sur une plaque de verglas de cette jeune ambulancière, au printemps - Leopold commençait à bien connaître les lieux. Aussi, flanqué par son Alessandro, le ministre trouva seul son chemin à travers les couloirs et les étages jusqu'au bureau de la Directrice de la Prison. Car s'il s'était déplacé aujourd'hui, ce n'était pas pour son projet de recherche, cette fois, mais bien pour s'entretenir avec la très sérieuse Meredith Kane.

Leopold attendit qu'on l'annonce puis pénétra, seul, dans le bureau de la sorcière. De sa démarche assurée habituelle, il se dirigea droit vers Meredith en lui tendant la main.

"Meredith ! Bonsoir", la salua-t-il, la gratifiant d'un sourire affable. "Quel plaisir de vous voir ici dans votre milieu naturel..."

Promenant son regard autour de lui, il remarqua la netteté chirurgicale des lieux mais s'abstint de tout commentaire. A l'invitation de Meredith, il prit place dans l'un des deux sièges qui faisait face au bureau et croisa ses longs doigts sous son menton, observant la femme qui lui faisait face. Merdith Kane était probablement l'une des personnalités les plus impénétrables de son cercle rapproché, qui comprenait pourtant des olibrius tels que Peter Virtanen ou Danielle Coleman... Mais Meredith, c'était encore une autre paire de manche. Il l'avait déjà titillé à quelques reprises pour tenter de percer sa carapace, sans grand succès pour le moment. Le ministre n'avait guère insisté, conscient de l'importance stratégique de maintenir une bonne relation professionnelle avec cette femme. Skye était un élément clef et primordial de sa stratégie pour le pays. Il ne pouvait se permettre de perdre sa mainmise sur cet endroit, de laisser le cours des évènements échapper à son contrôle... et c'était bien l'objet de sa présence ici. Malgré les réunions fréquentes qu'il organisait avec ses alliés, Leopold avait le sentiment de ne pas parvenir à échanger suffisamment avec la directrice de Skye. Il avait donc provoqué cette rencontre, pour faire le point sur les avancées - pour le moins spectaculaires - de leurs projets...

"Comment allez-vous ? Comment se porte notre centre de réhabilitation mémorielle ?", s'enquit-il d'un ton badin, pour lancer la discussion.

Le centre de réhabilitation mémorielle : un beau nom pour ce qui s'apparentait surtout à une prison et à un laboratoire humain. Comme toujours, Isobel s'était montrée créative.

Dans un dernier regard circulaire, la directrice de Skye inspecta millimètre par millimètre si aucune imperfection ne venait troubler la blancheur immaculée de son si vaste bureau. Rien ne devait en perturber l'équilibre. Car dans ce décorum à la fois si lisse et ordonné, la psychomage ne recherchait rien d'autre que l'harmonie, et la sensation d'être en osmose parfaite avec son moi intérieur. Une fois cet accord réalisé, tout visiteur posant le pied dans cet havre de paix artificiel, en ressentirait immédiatement les vertus et un profond bien-être. Une nécessité absolue au vue du prestigieux invité qui s’apprêtait à franchir le seuil du Centre de Réhabilitation Mémorielle. En effet, aujourd'hui, Skye avait l'immense honneur de recevoir la visite du Ministre de la Magie en personne, le grand Leopold Marchebank. Mais là, où tout le monde serait éminemment stressé d'avoir commis un impair, ou omis une consigne dans les objectifs imposés par le Ministère ; Meredith dégageait une certaine forme de sérénité. Il faut dire que depuis le printemps dernier, et le malencontreux incident du "verglas", tout avait été mis en œuvre pour renforcer le périmètre de sécurité extérieur. Derrière ses beaux atours de Centre de Réhabilitation Mémorielle, Skye était littéralement devenue une forteresse inviolable, qui sans accréditation ou laisser-passer, n'offrait plus aucune forme d'intrusion. Tout était définitivement sous contrôle.

Mais au-delà de la simple sécurisation du site, Meredith Kane détenait une autre source de satisfaction, bien plus renversante et spectaculaire. En effet, il s'agissait d'une prouesse neuroscientifique et magique qui allait sans conteste ravir l'exigeant Leopold Marchebank, et révolutionner le monde magique de demain. Répondant aux prérogatives du Ministre, sur l'étude du mystère magique et sur la compréhension de l'origine de la magie chez les sorciers ; La cellule de recherche de Skye, œuvrant en étroite collaboration avec la salle des cerveaux du Département des Mystères, venaient de faire une découverte fondamentale. Le genre d'avancée qui pourrait conférer des pouvoirs magiques au plus impotent des cracmols, ou au contraire détruire l'usage de la magie d'un sorcier jugé trop dangereux. S'appuyant sur des expérimentions menées sur des détenus en voie de réhabilitation, Meredith Kane et ses chercheurs avaient, en effet, localisé avec précision la zone du cortex cérébral, dans laquelle germait les pouvoirs magiques. Bien entendu, cet endroit spécifique située entre l'aire de Broca et celle du langage sensoriel, n'étaient pas aussi développée d'un sujet à l'autre, en fonction de ses dites compétences magiques. Mais longtemps insaisissable, l'étude approfondie sur des cerveaux humains a permis de générer un véritable miracle. En effet, après de nombreuses pertes humaines sur l'autel du progrès, les chercheurs de Skye et des Mystères, ont réussis conjointement l'exploit d'élaborer un fluide magique, qui une fois injecté dans les veines, avait la faculté de réveiller ou booster l'étincelle magique inhérente dans chaque  sorcier. Était-ce les prémices d'un dopage magique à grande échelle? Ou une solution curative pour offrir l'outil magique aux cracmols? De nombreuses questions éthiques découlaient naturellement de cette découverte, qui pouvait devenir également une redoutable arme bactériologique si certaines substances étaient inversées. Bref, rien ne serait accompli sans l'aval du Ministre et de ses chargés en communication...

Dans son for intérieur, Meredith Kane avait l'impression d’effleurer des doigts le Prix Nobel de Magie, mais dans également d'ouvrir une redoutable boite de pandore. Perdue dans ses pensées les plus profondes, la directrice de Skye en fut soudain extirpée, quand résonna la voix monocorde de celle qui assurait désormais sa garde rapprochée.

"Veuillez m'excuser Madame Kane, mais le Ministre vient tout juste d'arriver, et souhaite vous rencontrer... "

Meredith Kane leva son regard polaire sur sa non moins glaciale garde-du-corps, Lena Vilender; Cette ancienne baguette magique d'élite, assurait désormais sa protection, et la suivait dans tout ses déplacements. Ce qui était au début une contrainte imposée par le Ministère, était devenue au final un gage de sécurité, aussi bien pour Meredith que pour sa famille. Avec la montée des extrémistes anti-free, il n'était jamais trop prudent d'assurer ses arrières.

"Je vous en prie, Lena : Dites au Ministre de bien vouloir se donner la peine d'entrer. Je dois m'entretenir avec lui... Seul à seule. " suggéra Meredith d'une voix douce, mais sans détour. Sa gardienne s’exécuta sans broncher. Meredith réajusta alors machinalement le col de son chemisier, avant de décaler légèrement ses dossiers de la section recherche sur le rebord de son bureau. Tout était parfait, alors pourquoi ressentait-elle subitement un certain malaise? L'image ou plutôt la sensation subliminale de la main chaude du Ministre venant glisser dans son dos nu lui revint alors en souvenir... Mon Dieu! Comment avait-elle pu se montrer aussi dévergondée? Aussi dépravée...

Ce jour-là, l'alcool aidant, elle avait l'impression de s'être ridiculisée aux yeux du ministre. Comment une mère de famille respectable comme elle, osait se conduire de la sorte? Lors de cette soirée de débauche, toute vêtue de cuir comme une vulgaire prostitué des Folies Sorcières ; Meredith ne s'était jamais sentie aussi éloignée de la conception morale qu'elle se faisait d'elle même. E,n effet, alors qu'elle n'admettait toujours pas sa séparation avec Douglas, estimant être la femme d'un seul homme ; Meredith nageait en pleine confusion quand elle pensait au plaisir sensuel que lui avait procuré ce contact charnel de la main du Ministre dans son dos. Leopold Marchebank était assurément l'homme qu'elle admirait le plus au monde... et ce soir là, il n'avait eu d'yeux que pour elle. Meredith éprouvait une sensation des plus contradictoire, oscillant entre plaisir coupable et honte de se dévergonder de la sorte avec un homme marié. Quoiqu'il en soit, cette caresse sensuelle la hantera à jamais comme le souvenir le plus érotique de toute sa vie.  

Alors que ses joues si blême d’ordinaire rougissait imperceptiblement sous l'effet d'un désir coupable, Meredith ne tarda pas à retrouver ses esprit en voyant le Ministre pénétrer avec assurance dans son bureau. Comme tout homme fort qui se respecte, il donnait l'impression de marche en terre conquise. Se levant de son siège avec classe et élégance, Meredith inclina légèrement la tête en signe de respect, avant de tendre sa main froide au dessus de son bureau, pour la joindre à celle du Ministre.

"Bonsoir monsieur le Ministre. Le plaisir est partagé. Sachez que votre visite m'honore, et que je suis très heureuse de pouvoir vous faire partager nos avancées en matière de réhabilitation mémorielle. "

Dans l’atmosphère aseptisé de son bureau, le flair infaillible de Meredith sentit comme une effluve alcoolisée émanant de la bouche du ministre. Avait-il bu? Peu de détail lui échappait, et certainement pas la mine un brin verdâtre du père de la Nation sorcière. Un brin inquiète de l'état de santé de son mentor, Meredith chercha prudemment et avec tact à en savoir davantage, quitte à lui faire quelque confidence.

"J'espère que vous avez fait bon voyage? Pour beaucoup de monde, Skye est une terre lointaine au climat capricieux. Même si je me porte à merveille, je me surprends parfois à regretter l'animation et les fastes grandioses de Leopoldgrad. Mais il faut bien reconnaitre que Skye est un lieu si apaisant, qui invite durablement à la méditation. Le cadre idéal pour s'offrir une seconde chance... "

Bien entendu Meredith pensait aux patients qui venaient intégrer le programme de réhabilitation mémorielle, mais elle eu peur que ses propos soient trop équivoques. Pourquoi pensait-elle encore à cette main baignée de chaleur venant délicieusement effleurer son dos? Même si aucune émotion ne venait troubler le masque froid de son visage, Meredith préféra se dérober de son bureau pour rejoindre une petite table en marbre faisant office de minibar. Malheureusement pour Leopold, on était très loin de l'ambiance de la carte des Folies Sorcières.

"Avant que nous abordions des questions d'ordre professionnel. laissez-moi vous offrir quelque chose à boire. Je crains de n'avoir point d'alcool à vous offrir. Mon rôle de responsable de la Santé Magique m'impose en effet une discipline et une sobriété sans égale. Mais je peux vous suggérer un délicieux smoothie magique, à base de goyave, de concombre et de pousse d'épinard. Garantie bien entendu sans lactose et sans gluten. "

Dans l'attente d'une réponse du Ministre, Meredith jeta un regard inquisiteur par dessus son épaule délicate. Dieu soit loué, aucun smoothie même à base d'épinard ne la forcerait à se compromettre. Dans son milieu naturel froid et aseptisé, la frigide Meredith espérait bien que rien ne la ramènerait au poids de cette chaude et pécheresse caresse...

Comme Meredith s’enquérait poliment de son voyage, avant de lui vanter les mérites de l'île de Skye, Leopold se contenta d'un sourire de circonstance en guise de réponse. En réalité, il se sentait encore secoué après son transplanage, qui datait désormais de plusieurs minutes. Tentant de discipliner l'inquiétude qui pointait en lui, Leopold suivit sa collaboratrice jusqu'à la table en marbre ornée de bouteilles colorées qui occupait un coin de son bureau, et l'examina avec soin. Pas d'alcool à l'horizon, heureusement, Leopold ne se déplaçait jamais nulle part sans son propre stock. A cet égard, comme à bien d'autres, il ignorait scrupuleusement les recommandations de son équipe aguerrie de médicomages.

Accueillant la proposition d'un smoothie avec un sourire attendri, Leopold hocha poliment la tête : "Un smoothie sera parfait, je vous remercie. Je me suis mis à apprécier ces boissons puisque ma fille s'obstine à m'en apporter au ministère tous les lundis matin. Elle dit que c'est bon pour ma santé... elle n'a certainement pas tort."

Haussant les épaules tout en observant Meredith qui s'affairait, il laissa échapper un soupir de lassitude en constatant qu'il ne parvenait pas à dénouer le nœud d'inquiétude qui s'était formé au creux de son estomac. Après un instant d'hésitation, il finit par se décider à se confier auprès de la directrice de Skye : "Pour être tout à fait honnête avec vous, Meredith, les nouvelles ne sont pas très bonnes, je..."

Captant son regard clair comme de l'eau de roche, Leopold s'interrompit, de nouveau en proie à l'indécision. Lui qui n'aimait guère montrer le moindre signe de faiblesse, surtout face à une femme d'une telle envergure, se sentait face à une impasse. Trop longtemps, il avait joué l'autruche en ignorant les rapports inquiets de ses médicomages, se contentant d'exercer une pression sur Meredith et sur Constantine pour que leurs recherches aboutissent, sans vraiment leur expliquer pourquoi. Quasiment personne au sein du pays ne savait aujourd'hui à quel point sa situation était critique, à quel point il avait joué avec le feu. Hélas, Leopold craignait d'avoir bientôt épuisé sa chance et son temps, et il se sentait suffisamment à l'aise avec Meredith pour le lui exprimer : membre de confiance de son cercle, c'était aussi une psychomage, avec les habitudes de discrétion propre à sa profession...

Se redressant de toute sa stature, il se racla la gorge et reprit d'un ton neutre : "Je vous en parle dans le plus grand secret, bien entendu, mais il semblerait que je ne supporte plus le moindre acte magique. Depuis l'effondrement de la March Bank, et mon coma de l'automne dernier, la situation s'est nettement empirée, et continuent d'empirer de jour en jour. Un simple transplanage d'escorte comme celui que j'ai réalisé tout à l'heure suffit à me secouer très profondément. En réalité, il faudrait que je parte vivre en terre moldue loin de toute interférence magique, mais au vu de ma fonction, vous comprenez que ce n'est pas possible... surtout au vu de la situation. Certains seraient beaucoup trop pressés d'en tirer profit."

Son regard s'était assombri, conférant un air inquiétant à ce visage marqué par les années et zébré par sa fine cicatrice. S'avançant un peu plus près de la sorcière, il ajouta à voix basse :

"Alors j'espère sincèrement que vous aurez bientôt de bonnes nouvelles à m'annoncer, Meredith, car, sans vouloir être mélodramatique, c'est réellement de ma vie dont il s'agit."

De sa vie, et de l'avenir du pays tout entier... Mais il se garda de formuler cette dernière pensée à voix haute. L'alliance qu'il avait noué avec l'un de ses homologues devait rester strictement confidentielle pour le moment. Le plan qu'il avait imaginé dans les méandres de son esprit machiavélique pouvait déplaire à certains des plus proches de ses collaborateurs, il en était persuadé, et Leopold peinait à savoir de quel côté Meredith se placerait le moment venu.

"Je vous en parle en toute liberté, parce que je vous fais confiance", ajouta-t-il en exerçant une brève pression sur l'avant-bras de Meredith. Il pouvait sentir sa peau chaude à travers le tissu luxueux de sa chemise blanche. Ce geste sembla suspendre l'instant, et il finit par la lâcher pour reprendre une certaine distance, la laissant poursuivre sa tâche. Finalement, Meredith finit par lui tendre un verre dont il s'empara d'une main ferme. La boisson était sirupeuse, d'une couleur vert pomme éclatante. La première gorgée fut comme un coup de fouet, qui sembla lui redonner un regain d'énergie.

"Délicieux, vraiment délicieux", commenta-t-il d'un ton léger, l'air approbateur, comme s'il ne venait pas de lui annoncer une nouvelle des plus funestes...

Disait-il cela pour ravir les oreilles de la responsable de la santé magique ? Ou l'amateur et le grand connaisseur de vins magiques serait-il devenu subitement soucieux de son bien être ? En tout cas, il s'agissait d'une excellente nouvelle pour le Monde Magique. Car même pour les bons vivants comme Leopold Marchebank, l'alcool était en soi un véritable poison qui pouvait vous tuer à petits feu ou altérer vos décisions. En somme, un bien dangereux cocktail pour un leader politique en charge de la Nation sorcière. En responsable attentive de la santé magique, la trop sage Meredith Kane s'était très vite rendu compte de la dépendance manifeste du Ministre pour la boisson. Bien entendu, elle s'était gardée d'émettre le moindre jugement moralisateur ou de signifier son inquiétude, car il était de son devoir de savoir rester à sa place… Mais elle était forcée de constater que lors des nombreuses réunions du Cercle restreint, Leopold avait cette fâcheuse tendance à lever le coude plus que de raison. Qu'il prenne conscience de cette dépendance était salvateur autant pour sa santé personnelle que pour la nation entière. Voilà pourquoi le choix du smoothie ministériel réchauffa le cœur si froid de la Directrice de Skye.

"Vraiment? Tous les lundis? Vous m'en voyez ravie, et il est de mon devoir de féliciter votre fille pour ce rituel bienfaiteur… " Le regard affairé de Meredith se posa alors sur une large coupe en cristal, dans laquelle s'écoula le si salvateur liquide verdâtre. "Au risque de ne rien vous apprendre, il existe un dicton indien qui enseigne qu'il faut faire du bien à son corps pour que son âme ait envie d'y rester. Qu'en pensez-vous? "

De sage parole contre le démon alcool… Après le spectacle pitoyable qu'elle avait elle-même livrée lors de cette honteuse soirée cuir moustache, c'était la moindre chose que pouvait instruire la responsable de la santé magique pour se réhabiliter. Mais comment oublier autant de dévergondage ? Et cette nuit placée sous le signe d'une inqualifiable débauche, dans laquelle elle ne se rappelait même plus la finalité tant le Fakir lui avait retourné l'esprit. Que s'était-il passé ? Qu'avait-elle dit ? Mystère… Après un immense trou noir ponctuant une ultime gorgée alcoolisée, Meredith avait tout bonnement émergé avec une terrifiante gueule de bois dans son luxueux appartement de Leopoldgrad ; Sans même savoir qui avait pris la précaution de la ramener chez elle pour la border dans son lit soyeux. Aussi honteuse que coupable de s'être ridiculisée de la sorte, Meredith souhaitait tout oublier de cet indicible chapitre de sa vie. Même si ce dernier avait éveillé certaines choses, comme l'étincelle d'un désir coupable… Elle préférait l'étouffer dans le silence absolu.


Fort heureusement, Leopold avait eu l'infinie délicatesse de ne jamais lui en reparler, et c'était mieux ainsi. L'important étant désormais de rester professionnel en toute occasion… Touillant avec grâce le smoothie bienfaiteur qu'elle s'apprêtait à lui servir ; Meredith se figea un instant quand le Ministre lui confia à demi-mot que les nouvelles n'étaient peut-être pas aussi bonnes à son sujet.  Le fin sourire délicat qui étirait ses lèvres pales s'estompa immédiatement, alors qu'elle se retournait pour interroger le Ministre du regard. Ce dernier lui apparut alors sous son plus mauvais jour. Prostré, le visage morne ; il n'était plus que l'ombre du leader de la nation sorcière. Profondément inquiète, Meredith se figea un instant, son verre de smoothie à la main.  

"Monsieur le Ministre? Pardonnez-moi, mais quel mal vous ronge ? Je vous en prie, dites-moi... " quémanda presque la psychomage soucieuse de l'état moral inquiétant de son leader.

Après un ultime raclement indécis, Leopold finit par briser le silence et le plafond de verre qui protégeait sa conscience. Il se confia alors sur ce qui représentait sans doute sa plus grande faille et également sa crainte la plus inavouable. Celle de ne devenir qu'un vulgaire cracmol… Car oui, le Ministre souffrait d'un triste paradoxe : Celui d'être l'homme le plus puissant du Monde Magique, et d'être en même temps incapable de supporter ou de développer le moindre artifice magique. Depuis la tragédie de la Marchebank, plutôt que d'accepter sa condition, il voyait cette tare magique se développer au point de devenir un véritable handicap. En psychomage avisée, Meredith lui avait confié que parfois la véritable magie était celle qui émanait de la pensée et non dans l'usage de sortilèges ; Mais cette réponse consensuelle ne satisfaisait désormais plus le Ministre impatient qui avait engagé des sommes astronomiques auprès du département des Mystères et de Skye, sur la recherche de l'origine et la source de tout pouvoir magique.  

Ce n'était pas par pure courtoisie que Leopold Marchebank s'était déplacé en personne dans les contrées isolées de Skye. En exposant de la sorte ses faiblesses et sa frayeur de devoir quitter le Monde Magique, Leopold avait un but bien précis que devinait précisément la clairvoyante Meredith Kane ; Le Ministre était excédé par son état, et il en avait plus qu'assez d'attendre un miracle qui tardait à venir. Cela ne faisait pas l'ombre d'un doute : Leopold exigeait le retour sur investissement qu'il était en droit d'attendre du centre de réhabilitation mémoriel. Signe de son impatience, Leopold avança en direction de la Directrice de Skye, le regard aussi sombre que son tourment intérieur, avant de l'interroger sur le rendu de ses recherches magiques. Bien qu'immobile et de marbre, la gorge de la responsable de la Santé magique sembla se raidir encore davantage.

"Monsieur le Ministre, soyez assuré que nous œuvrons corps et âmes pour répondre à votre requête. Et je peux d'ores et déjà vous soumettre un rapport détaillé sur les avancées prodigieuses effectué par nos chercheurs mémoriels. La source de toute magie n'est plus un mystère, et je peux vous certifier que l'amélioration de votre état est notre priorité absolue… "

Peut-être l'avait-elle vexé ? Mais en utilisant le terme "d'état" pour qualifier son impuissance chronique dans l'art et l'usage de la magie, Meredith semblait avoir piqué au vif l'égo incommensurable du ministre. La réaction ne se fit point attendre, quand lui saisissant l'avant-bras, Leopold lui rappela qu'il attendait d'elle la plus grande discrétion. Plutôt que de s'insurger de se moyen de pression, Meredith Kane plongea son regard franc et déterminé dans celui de son leader suprême. Il était temps qu'il comprenne son extrême dévotion

"Votre confiance m'honore et soyez assurez de ma discrétion absolue. Je n'existe que pour vous servir, et seule la mort me libérera de mes engagements. Sur la vie de mes enfants, je vous en fait le serment… "

Comment pouvait-elle mettre la vie de ses enfants en jeu? Quelle folie l'avait contrainte à jurer sur ce qu'elle avait de plus précieux en ce monde? La dévotion de Meredith Kane atteignait des sommets dangereux, alors que son engagement politique prenait le pas sur sa propre famille. Aucun battement de cils ne vint ternir la puissance de son regard, alors qu'elle dévisageait Leopold sans vaciller. Allait-il enfin ressentir toute l'étendue de son indéfectible loyauté? Relâchant son poignet, le Ministre changea alors radicalement d'attitude. Sans doute devait-il se satisfaire de cette promesse éternelle, alors qu'il faisait désormais l'éloge du délicieux breuvage vitaminé.

"Vous m'en voyez ravie! Mais il se trouve que j'ai autre chose d'encore plus délicieux à vous soumettre… " Jouait-elle les vulgaires séductrices de bas étage? Mais après un dernier jeu de regard complice, elle se baissa en direction d'un tiroir de son bureau pour en extirper un volumineux dossier. Avec pour seule mention "Project M606", l'épais document dissimulait entre ses pages une incroyable avancée neuroscientifique. Comme une offrande magique, Meredith déposa le mystérieux recueil sur son bureau, à portée de main du Ministre…

"Je vous en prie, monsieur le Ministre ; donnez-vous la peine d'y jeter un œil. Ce dossier classé confidentiel contient ce qui pourrait-être l'une des plus grandes découvertes de la Nation Sorcière. Conjointement avec le département des Mystères, nous avons élaborer une potion analeptique qui stimule l'une des deux principales zones du cerveau sorcier responsables du traitement du langage magique. Je vous épargne les détails et les pertes humaines nécessaires à l'élaboration de ce prodige ; Mais désormais l'origine de toute magie n'est plus un secret pour Skye. Elle se trouve dans l'aire de Broca, et il suffit de la stimuler pour réveiller ses capacités magiques. "

Froide et déterminée, Meredith Kane s'avança d'un pas victorieux en direction de l'homme quel admirait le plus en ce bas monde.

"Bref. En quelques gouttes injectées vous pourrez très bientôt devenir ce que vous avez toujours rêvé de devenir… Un sorcier digne de votre génie politique. " Mais comme dans toutes grandes découvertes, il y avait un prix à payer que ne pouvait pas négliger une neuroscientifique aussi avisée que le Docteur Kane. Certes, la Directrice de Skye ne voulait pas balayer l'enthousiasme de son Ministre, mais il était de son devoir de le prévenir également du danger de certains effets secondaires.

"Toutefois, il est de mon devoir de vous prévenir qu'un usage répété ou abusif de cette potion analeptique peut avoir de graves conséquences sur votre métabolisme. Une forme de dépendance et des effets secondaires qui pourraient s'avérer dévastateurs sur le long terme… Voila pourquoi vous n'étiez pas encore sensé être informé de nos avancées, tant que nos chercheurs n'auront pas trouvé une manière de stabiliser l'équilibre de cette potion encore trop dangereuse en l'état actuel… " presque déçue de faucher les espoirs du Ministre, Meredith Kane s'assit sur le rebords de son bureau, son regard consterné tourné vers le sol. Elle se mordilla la lèvre inférieure avant d'ajouter : "Vous m'en voyez désolée, mais cela pourrait prendre des années, voire des décennies pour réduire le facteur risque à zéro… "

Maintenant la question était de savoir si oui ou non le Ministre fragilisé allait daigner patienter autant de temps? Ou ouvrir cette boite de Pandore sans se préoccuper des risques ou des effets secondaires. Ni d'autres découvertes encore plus terrifiantes qui sommeillaient dans le secret abyssal des entrailles de Skye…  

"Je n'ai pas la moindre année à perdre."

La réponse de Leopold était tombée comme un couperet, sans qu'il ait besoin du moindre temps de réflexion : elle avait jaillit comme l'évidence même.

"Encore moins des décennies. Je me fiche éperdument des risques, Meredith. Si j'attends le risque zéro, je serai probablement mort d'ici là, consumé par la magie tout autour de moi et que je ne peux supporter. Alors le bilan coût avantages est vite fait, vous ne croyez pas ? Si j'étais homme à ne pas prendre de risques, alors je ne serai pas là où j'en suis aujourd'hui."

Le risque zéro... il avait dépassé le stade du risque zéro depuis bien, bien longtemps. Pendant des années, Leopold avait marché, tel un funambule, le long d'une longue ligne : celle qui représentait un point d'équilibre entre l'audace et la prudence. C'était ce qui avait fait son succès et lui avait permis de connaître le succès qu'on lui connaissait. Mais il savait que son temps lui était compté, il pouvait ressentir son destin qui s'accélérait et cela l'amenait, fatalement, à prendre des décisions plus radicales, plus risquées.

Ce remède, aussi imparfait et instable soit-il, représentaient sa seule chance de survie. Et puis Leopold était plus coriace que son entourage le pensait. Tous les risques et toutes les addictions ne l'avaient pas tué, celui-ci ne le ferait pas non plus...

"Et vous nous plus, d'ailleurs. Je suis persuadé que vous comprenez ma décision, que vous vous y attendiez même... n'est-ce pas ? Vous voyez clair en moi, plus clair que bien d'autres."

Son regard accrocha celui de Meredith, qui ne cillait pas. Meredith n'avait jamais reculé derrière la moindre action, elle n'avait jamais hésité à prendre les mesures qui s'avéraient nécessaires, aussi moralement condamnables soient-elles. Elle avait foi en lui, une foi indéfectible, dont il se nourrissait pleinement. En retour, Leopold avait placé sa confiance en elle, et Meredith Kane venait de lui prouver aujourd'hui qu'il avait eu raison.

Une avidité certaine pouvait se lire au fond de ses pupilles sombres. Ce n'était pas un simple calcul rationnel qui animait Leopold à cet instant, c'était évident : l'annonce de Meredith l'avait plongé dans un réel état de fébrilité et d'impatience. Elle venait d'offrir à l'impétueux ministre ce qu'il attendait depuis bien longtemps, elle lui offrait littéralement de la puissance en bouteille et ses pouvoirs sur un plateau... Rien qu'à la pensée des possibilités qui s'offraient à lui, Leopold sentait l'ivresse le gagner. Oui, il allait être ivre, ivre de pouvoir, il pouvait déjà imaginer la magie qui couraient dans ses veines et jaillissait de sa baguette en une formidable gerbe de pouvoir.

"Testez cette potion", ordonna-t-il avec ardeur, "Testez cette potion sur moi, dès que possible. je serai votre patient zéro. Cela vous permettra d'avancer et de l'améliorer rapidement, j'en suis persuadé. J'ai toute confiance en vos capacités."

Et l'échec n'était pas une option. Elle ne l'avait pas été pour les archimages de Leopoldgrad, elle ne l'était pas d'avantage pour les chercheurs de Skye. Ce que Leopold voulait, il l'obtenait, et il n'avait jamais désiré quoi que ce soit comme il désirait ce remède aujourd'hui...

Sa main se referma sur le dossier qu'elle lui avait montré, dont il ouvrit la couverture pour pouvoir le parcourir du regard. Mais il se sentait trop exalté pour se concentrer sereinement sur sa lecture. Reportant l'attention sur la directrice de Skye, il l'observa avec un air insondable, avant d'ajouter :

"Si vous m'offrez ceci, Meredith, je saurai ne pas l'oublier. Tout ce que vous désirerez, de plus fou... vous n'aurez qu'à le demander, ce sera à vous."

Dans les limites de ce qu'il était en capacité de lui offrir - c'est-à-dire à peu près tout.

"Si vous m'offrez ceci, Meredith, je saurai ne pas l'oublier. Tout ce que vous désirerez, de plus fou... vous n'aurez qu'à le demander, ce sera à vous."

Tout ce que vous désirez… Un long instant, Meredith resta comme interdite devant les propos incroyables du Ministre de la Magie qui sonnait comme le gage d'une promesse. Les rôles semblaient s'être inversés alors que Leopold la sondait de son regard implacable, et que la psychomage se voyait contrainte de farfouiller dans sa conscience pour y trouver une réponse à cette question primordiale : Que désirait-elle vraiment ? Quel était le véritable but de sa vie ? L'heure était grave. En effet, en l'espace de quelques secondes, la vie de Meredith Kane venait de coulisser dans cet instant à la fois magique et fatidique, où tout pouvait basculer du bon ou du mauvais côté. C'était l'heure du choix, et d'une sérieuse remise en question où les critères d'ordre éthique venait percuter les ambitions personnelles. Signe d'un certain émoi intérieur venant briser la glace des apparences ; La main blanche et délicate de la Directrice de Skye vint caresser sa tempe, alors qu'elle cherchait simplement à glaner du temps pour clarifier et exposer ses doutes…

"Monsieur le Ministre, soyez assuré que ma volonté est de répondre à vos attentes, et de ce fait au besoin de la nation sorcière. Tout comme vous, je souhaite bâtir un monde meilleur, dans lequel nos enfants pourront s'épanouir en toute sécurité… " Mais ce rêve avait malencontreusement un prix, que certains réfractaires bien-pensants n'étaient pas encore prêts à payer. " Mais au-delà des effets indésirables de ladite potion, je crains que vous risquiez d'entendre dans les prochains jours, certaines plaintes émanant d'une frange de la communauté des sorciers érudits, siégeant au département des mystères. En effet, certains d'entre eux dénoncent nos méthodes et nos expérimentions, les jugeant à la fois trop hâtives dans leurs conclusions, et dangereuses d'un point de vue purement déontologique. Le très controversé sorcier, Michael Sixmesse ose même nous menacer de saisir la justice magique ; Si Skye et moi-même, continuons à mener certaines de nos expérimentions en sourdine. Bref, vous comprendrez que je n'ai pas entièrement les mains libres, et que ce que vous me demandez pourrait malheureusement se heurter à certaines barrières d'ordre éthique… "

A vrai dire, Meredith Kane était profondément frustrée de détenir une découverte qui pouvait purement et simplement révolutionner le monde Magique, sans qu'elle puisse l'utiliser ou même pour l'heure la breveter. Car si pour mener à bien ses expérimentations, la directrice de Skye avait carte blanche du Ministère et de Leopold Marchebank lui-même ; Certains de ses confrères commençaient à s'ériger sur ce qu'ils qualifiaient de jeu dangereux dans lequel d'apprentis sorciers étaient sur le point d'ouvrir une boite de Pandhore dont ils ne maitrisaient rien du contenu. Meredith Kane était prête à entendre les critiques, et écouter toutes les récriminations… Mais à trop vouloir tergiverser, on finissait indubitablement par sombrer dans l'immobilisme. Si l'un de ses modèles moldues, Marie Curie s'était limitée aux prérogatives ; Jamais au grand jamais, elle n'aurait découvert le radium. Toutes découvertes avaient sa part d'ombre. Il n'y avait jamais de risque zéro. Et il en allait de même pour sa potion miraculeuse, sensée transformer le plus impotent des cracmols en vaillant sorcier. Si cette dernière pouvait réveiller les consciences magiques endormies, elle pouvait également les éteindre à tout jamais.

En effet, il suffisait de modifier certaines composantes, et certains séquençages pour que la potion se transforme littéralement en poison. Sans même le vouloir ou même le chercher, Meredith Kane et ses chercheurs avait mis la main sur le germe et la souche de ce qui s'apparentait à l'un des plus dangereux Magicovirus n'ayant jamais existé en terre magique. Sous forme d'un liquide violacé, il avait suffi de deux simples misérables gouttes versées sur un condamné à mort, pour voir celui-ci perdre totalement sa magie, et même mourir de fatigue. Loin des regards et des consciences ; Les expériences menées sur les cobayes humains sacrifiables s'étaient multipliées, aussi vite que les conclusions macabres. Simplement vaporisé dans l'air ; Le mélange suffisait à détruire la magie, et non l'hôte. Mais était-ce contagieux d'un infecté à l’autre ? Le doute subsistait encore sur la question. Sans le savoir véritablement, Meredith Kane était en train de broder les contours d'une menace pouvant détruire une nation sorcière, ou même purement et simplement faire disparaitre la magie en ce bas monde. Bien entendu, le Ministre Marchebank avait été informé secrètement de cette sinistre trouvaille. Aucune objection, aucun contrordre d'abandonner les recherches n'était parvenu sur le bureau de Meredith Kane ; Tant trouver coûte que coûte l'origine même de la magie était devenue une véritable obsession dans l'esprit de Leopold Marchebank. Plutôt que de détruire la chose, elle était pour l'heure conservée et confinée dans les entrailles de Skye. Dans l'attente d'une quelconque décision scellant définitivement son sort. La menace sommeillait et n'avait pour l'heure même pas de nom...  

D'un côté, Meredith Kane se félicitait que cette dangereuse découverte soit tombée entre de bonnes mains, mais d'un autre elle craignait également d'en être tenue un jour pour responsable. Même s'il demandait un rapport et un compte-rendu détaillé sur toutes les expérimentations menées à Skye ; Leopold Marchebank demeurait totalement aphone sur la question. Certes, qui ne dit mot consent. Mais Meredith Kane commençait à trouver le silence de son leader suprême plutôt troublant. Alors que le crédo de la fin justifiant les moyens prévalait sur toutes autres considérations laxistes ; Elle avait besoin de se sentir rassurer, et d'être conforter dans ses recherches pour le moins redoutables. Voilà pourquoi, elle chercha au détour d'une remarque anodine, l'aval du Ministre :  

"Vous avez lu nos rapports, monsieur le Ministre. Vous savez donc pertinemment que nous avons franchis depuis longtemps certaines limites justifiables... et justiciables. "

Une manière subtile de dire que la loyauté n'était pas à sens unique. Meredith avait besoin de se rassurer sur les intentions du Ministre et la noblesse de leur projet pour changer radicalement le monde. La psychomage n'était pas du genre à livrer ses désirs profonds et ses motivations, sans assurer au préalable ses arrières. Changer le monde avait un prix. Briser la glace également. Dans cette cordée dangereuse : La chute de l'un entrainerait forcement celle de l'autre...

Un tressautement sur le front de Leopold, au pli formé par ses deux sourcils froncés, trahit la contrariété qui venait de le gagner. Comme chaque fois qu'il attendait un "oui, bien sûr, tout de suite monsieur le ministre" qui ne venait pas. A la place, sa directrice de la santé magique, qui détendait au creux de sa main toutes les réponses qu'il attendait depuis si longtemps, tenait à lui exposer ses doutes, ses craintes. Expirant doucement, Leopold se détendit en songeant que c'était bien pour cela qu'il s'était entouré de femmes et d'hommes brillants et rationnels au sein de son gouvernement. Il avait la vision créative mais, ivre de ce pouvoir illimité, des possibilités à sa disposition de façonner son pays comme il l'entendait, qui n'avaient comme limites que celle de son imagination, il lui arrivait parfois de ne pas toujours savoir lorsqu'il allait trop loin. Cette limite, il la repoussait, la franchissait allègrement, l'effaçait avec mépris du bout du pied, mais il lui était bon de se rappeler que tout homme de pouvoir pouvait trébucher, et que ses ennemis attendaient, tapis dans l'ombre, toujours plus nombreux et organisés.

Meredith avait raison de lui rappeler les dangers que présentait encore ce remède miracle pour sa propre santé, comme celle des amis ou ennemis auprès desquels il pourrait le répandre. Elle avait tout aussi raison de lui exposer ses doutes, car les affres du pouvoir le tenaient bien souvent trop éloigné de Skye et de sa reine de glace. Leopold et Meredith se croisaient la plupart du temps autour des conseils des directeurs qui se tenaient chaque semaine ou, plus rarement, lors des réunions privées et confidentielles de son cercle proche. Ses rapports sur les avancées des recherches, il les lisait généralement au creux de la nuit, lorsque toutes ses tâches de la journée étaient achevées et que le silence avait gagné le ministère. Perclus de fatigue, il en dévorait pourtant chaque ligne, l'avidité et l'espoir gravés dans ses traits émaciés. Après, il s'écroulait dans le canapé de son bureau, ou regagnait son manoir pour retrouver la chaleur du lit conjugal, et tombait dans un sommeil agité de rêves troublés.

Alors, quand Meredith lui parlait d'éthique et de déontologie, cela ne trouvait évidemment aucun écho en lui. Homme d'une amoralité implacable, qui avait poussé à une mort sanglante des milliers d'innocents sorciers qu'il prétendait gouverné, Leopold ne s'était trouvé une conscience que récemment, et bien trop tard, au détour du souvenir amer d'une jeune fille aux cheveux blonds encrassés de sang. Il avait déjà été si loin, il avait déjà tellement noirci son âme et abandonné tout espoir de rédemption, qu'il ne pouvait se permettre de s'abandonner à des considérations éthiques. Sinon, ce serait renoncer, ce serait admettre qu'il avait eu tort, depuis toutes ces années, depuis toujours. Non. Leopold ne reculerait devant rien pour soumettre le monde magique au joug impitoyable de sa volonté. Certainement pas devant quelques expérimentations sur les furoncles qui servaient de cobaye à Meredith.

Il comprenait, néanmoins, que la psychologie de sa collaboratrice était différente. Qu'elle n'avait pas, elle, abandonné toute considération morale et se devait de se poser ces questions, qu'elle se devait de rechercher son soutien et qu'il devait le lui apporter, coûte-que-coûte. Meredith devait pouvoir se reposer sur sa motivation inébranlable, elle n'était pas seule avec ces expériences, elle répondait à une commande, à un ordre même. Elle pouvait se reposer sur lui, lui abandonner tout le poids de la responsabilité et de la conscience, il avait les épaules assez large pour l'assumer.

Après un instant lourd de silence, Leopold se rapprocha, à peine, de Meredith, puis amorça un geste infime pour poser sa main sur la sienne, blanche, froide et rigide comme celle d'une statue. Il l'enserra dans une poigne douce, chaude, paternaliste, celle du père de la nation qu'il prétendait être, et posa sur elle un regard franc.

"Meredith...", souffla-t-il, comme pour conférer un ton intimiste à leur échange, balayer cette distance polie qu'elle prétendait instaurer entre eux. "Bien sûr que nous avons franchi ces limites. Je ne ferai pas d'arrangement avec ma conscience, pour vous prétendre le contraire. Mais je ne vous demanderais pas de mener ces expériences, ces sacrifices si je n'estimais pas qu'ils étaient parfaitement nécessaires, si je n'étais pas convaincu de la justesse de notre projet. Aucune découverte, qu'elle soit magique ou scientifique ne s'est jamais faite par hasard, sans recherche ardue ni sacrifice. C'est le prix à payer pour un tel accomplissement. C'est aussi notre travail de taire tout ce qui peut être tu, car nos citoyens ne sont pas tous prêts à entendre cette vérité terrible... Mais je suis prêt à assumer les conséquences de ce qui sera rendu public un jour ou l'autre. C'est mon rôle, mon propre sacrifice."

Quelle grandeur d'âme ! Leopold savait parfaitement que son image auprès du peuple ne tenait qu'à un fil, celui de la propagande. Ses méfaits étaient trop nombreux pour être tus à jamais... Bah ! Qu'ils éclatent au grand jour après sa mort, lorsqu'il ne serait plus là pour le voir.

"Laissez-moi m'occuper des plaintes et récriminations, et faites-moi confiance... comme je vous fais confiance."

En père de la Nation assumant pleinement son rôle et ses devoirs, Leopold Marchebank osait se sacrifier sur l'autel de la découverte scientifique et magique. Avec son audace légendaire, le ministre engageait ni plus ni moins sa responsabilité dans la poursuite de ces recherches, dont l'issue ouvrait la sphère de tous les possibles et de tous les dangers. Se défiant des préconisations les plus élémentaires émanant de certains érudits du département des mystères, il choisissait délibérément de contourner toutes les barrières morales et déontologiques. Fin calcul ou intuition géniale, il autorisait Skye de mener à bien l'une des expérimentions les plus controversées de l'histoire sorcière. Mais que faire de l'éthique et de ses contretemps, quand il s'agissait de changer le cours de l'histoire? Par cet engagement et cette promesse clairement assumée ; Leopold venait d'ôter un fardeau considérable des épaules de la Directrice de Skye. Le regard de Meredith s'emplit d'une admiration à la limite de la dévotion. Dans le regard aveuglé de la psychomage, Leopold n'était autre que cet homme providentiel qui allait guider son peuple de l'ombre à la lumière. Un prophète inespéré qu'elle se devait d'aider dans sa quête légendaire. Doutait-il encore de sa confiance aveugle et absolue? Meredith n'allait pas tarder à le rassurer sur sa loyauté sans faille…

"Leopold. Ma confiance en vous est sans faille. Et je tiens à vous le prouver dans l'instant, en vous confiant rien de moins que la destinée de ce monde… " Meredith se soustrait un bref instant de sa poignée chaleureuse, pour retourner délicatement la main du Ministre, et l'ouvrir paume vers le ciel. Regard envouté, la Directrice de Skye contempla cette main qui allait assurément changer radicalement la face du monde, et dont elle ne pouvait oublier la divine et sensuelle caresse. Il était temps de lui conférer les pouvoirs d'un dieu. Meredith posa dans sa paume ouverte ; Deux petites fioles mystérieuse arborant respectivement les sigles "MK606" et "MK666". "Monsieur le Ministre… Il se trouve que je n'ai point attendu vos consignes pour anticiper vos exigences. Si vous arrivez à lever les réticences morales du Département des Mystères ; Vous disposez de quoi faire de vous le gardien de ce monde. Les clefs du pouvoir absolu, et une découverte qui bouleversera l'histoire de notre monde magique. Mais ne vous y trompez pas : Si l'une des fioles arborant le sigle 606, boostera vos compétences et fera de vous un sorcier aussi émérite que feu Dumbledore lui-même… Sa variante, au contraire, videra votre corps de toute sa substance magique, et ce pour toujours…  Voilà pourquoi, mes chercheurs et moi-même, nous l'appelons communément le baiser de détraqueur. "

Un sourire insoluble balaya son visage de marbre, avant qu'elle ne précise tous les efforts et les sacrifices qu'elle avait dus elle-même consentir pour réaliser un tel prodige.

"En parlant d'efforts et de sacrifices ; Vous n'imaginez pas à quel point cette découverte a impacté ma vie et ma conscience. Sous vos pieds résonnent encore les hurlements des nombreux prisonniers, que j'ai délibérément sacrifié sur l'autel du progrès. Parfois ces cris viennent me cueillir jusque dans mon sommeil. Ils ont eu raison de mon mariage, et de la quiétude de mon foyer. Mais si c'est le modeste prix à payer pour rendre notre monde meilleur… Alors soit! Aux grands maux les grands remèdes. Même si je m'en remets à vous et votre bon vouloir, sachez que je serai toujours à vos côtés. Pour le meilleur et pour le pire. Nos destins seront éternellement liés. Et seule l'histoire sera en mesure de nous juger… "

Pour le meilleur et pour le pire… Cette formule éternelle ramenait Meredith Kane au souvenir heureux de son mariage, et à la trahison douloureuse qui s'en était suivie. Ce leurre merveilleux qui des années durant avait dirigé et rythmé sa vie ; Avant que Douglas ne sombre dans la facilité et l'adultère. La plupart des hommes n'attendent des femmes que le meilleur, et se dérobent lâchement de leur responsabilité dès la première turbulence. Longtemps, elle s'était remise en question, cherchant des excuses à un époux infidèle, là où il n'y en avait pas l'ombre d'une seule. Meredith lui avait donné quatre enfants. Elle s'était toujours comportée en épouse loyale et dévouée, tout en assurant à la perfection son rôle de mère. Toute sa vie durant, elle ne s'était donnée qu'à un seul homme. Réprimée ses pulsions et ses désirs, pour offrir l'image lisse et parfaite d'une mère de famille sans histoire. Auprès de Douglas et de sa famille ; Meredith n’était même plus l'actrice de sa propre vie… Elle se contentait de suivre les convenances comme une vulgaire marionnette déshumanisée. Sans l'irruption salvatrice et inspirante de Leopold Marchebank dans sa routine de mère de famille modèle ; Qu'est-ce que l'histoire aurait retenu d'elle? Probablement rien…  

Depuis cet instant complice et coupable qu'elle avait échangé avec le Ministre lors de la soirée de débauche organisée aux Folies Sorcières ; Une évidence avait brisé la glace de ses certitudes, et chambouler profondément sa morale. En effet, ce qui n'était au départ qu'une admiration sans faille pour les idées d'un dirigeant politique, s'était muée en une passion secrète qu'elle se refusait obstinément à admettre. Une terrible et impardonnable déviance qui la poussait à biser les sacrosaints liens du mariage, et de convoiter un homme qui lui-même était marié. Des pensées pécheresses dont elle était toujours arrivée à écarter les flèches, mais qui aujourd'hui se rapprochait dangereusement de son cœur de glace. Allait-elle céder? Se corrompre et trahir ses idéaux? Mettre en péril sa carrière et tous son travail de recherche pour un amour interdit? Sans battre des cils, telle une statue de sel ; Meredith fixa longtemps celui qui retenait son âme prisonnière. Dans un geste tendre et protecteur, elle enserra la main du Ministre pour faire refermer celle-ci sur les fioles aux pouvoirs incommensurables. Puis elle se décida enfin à s'abandonner complètement à un désir interdit, depuis trop longtemps inassouvi… Paupière closes, elle avança ses lèvres froides avec l'espoir de les réchauffer dans la douceur d'un baiser. Quel crime odieux était-elle en train de commettre? Sans l'écho d'un bruit, le tumulte extérieur et les vagues venaient s'écraser sur la vitre magique du Bureau de la Directrice de Skye, sans que cette dernière ne puisse se soustraire au plaisir de cette union interdite. Sa main froide vint caresser avec passion la nuque ministre, tandis qu'elle prolongeait la durée d’un baiser qu'elle voulait à jamais éternel. Peut-être dans le but de n'avoir jamais à se justifier de sa conduite auprès de Leopold? Ou plus simplement, parce que Meredith Kane venait de tomber éperdument amoureuse...

Un sorcier aussi émérite que Dumbledore lui-même... les paroles résonnèrent longuement en Leopold, alors que son regard s'attardait longuement sur les deux petites fioles. Une lueur triomphante dansa dans le regard du ministre, alors que l'ivresse de cette victoire envahissait tous ses sens, si bien qu'il peinait à garder le fil du discours de Meredith. Enfin, souffla-t-il intérieurement, enfin le pouvoir était sien. Après toutes ces années, à subir les moqueries et quolibets à Poudlard, à ronger son frein, à se frayer tant bien que mal un chemin au Ministère jusqu'au sommet de l'Etat, malgré son impuissance magiques. Aujourd'hui, c'était toute une vie à dépendre des autres qui prenait fin : Leopold allait pouvoir transplaner sans l'aide de personne, lancer un sortilège, du plus simple au plus complexe, exister et se mouvoir dans la société magique comme n'importe quel sorcier. Mieux que n'importe quel sorcier, car il comptait bien apprendre, et à apprendre vite, à maîtriser cette magie qui coulerait dans ses veines...

Le champ des possibles venait de s'ouvrir à l'infini pour Leopold, qui entrevoyait sans mal les multiples chemins que cette double découverte venait tracer devant lui. Avec ces deux potions, qui venaient d'exploser les limites de la recherche, c'était le monde magique dans son ensemble qui allait trembler : l'esprit visionnaire et mégalomane de Leopold tournait à plein régime, alors qu'il voyait ses désirs devenir réalité - tous ses désirs. Tout cela grâce à la femme qui lui faisait face. Rendu ivre par la joie intense que lui procurait cette découverte, Leopold s'accrocha au regard de Meredith comme pour tenter de garder pied avec la réalité. Ses paroles peinaient à arriver jusqu'à son esprit saturé d'informations. Les efforts et les sacrifices, les hurlements des prisonniers qui la hantaient n'étaient bien que peu de choses face à l'ampleur phénoménal de cette découverte : que pesaient la vie de quelques cobayes anonymes, moldus et sorciers, face à ces potions qui pouvaient changer la face du monde ?

Les dernières paroles de Meredith résonnèrent longuement en lui.

"Seule l'histoire sera en mesure de nous juger...", répéta-t-il doucement. Il médita cette phrase, tout en faisant rouler les deux potions contre la paume de sa main. Comme pour le Bloody Sunday, qui l'avait uni à jamais à Jacob Dalhiatus, Leopold sentait que son destin et sa conscience venaient d'être liés, irrémédiablement, à celui de Meredith. A jamais ils partageraient le poids de ces recherches, le secret de ce qu'elles avaient coûté et le plaisir de ce qu'elles permettraient d'accomplir. Une complicité indéfectible s'était nouée entre le ministre et la directrice, qui s'exprima à travers un long regard et un silence ému. Leopold ne détacha pas son regard de la sorcière, alors qu'elle refermait délicatement sa main sur les deux petites fioles. Il y avait quelque chose de tendre dans ce geste, qui fit naître quelque chose d'inédit en lui. Leopold retint son souffle en avisant Meredith clore ses paupières et avancer son visage vers le sien, en une intention tout à fait claire. Son pouls s'accéléra alors qu'il sentait un mélange de culpabilité et de désir puissant l'envahir, mais il ne songea pas à s'écarter. Il entrouvrit les lèvres et accueillit le baiser de Meredith avec curiosité et anticipation. La sensation de sa main froide et délicate qui se posait sur sa nuque avec passion provoqua un frisson de désir chez Leopold, faisant céder toutes ses réticences sous l'assaut d'un désir écrasant. Il enveloppa la taille fine de Meredith et l'attira tout contre lui alors qu'il approfondissait ce baiser et s'y abandonnait complètement, savourant l'impression de puissance absolue qui se répandait en lui.

Meredith lui avait redonné l'impression d'être un véritable sorcier, un homme à part entière, et il serait à jamais reconnaissant pour cela. Tandis que sa main droite retenait son corps contre le sien, sa main gauche trouva à l'aveugle le bureau à côté d'eux et y abandonna les deux fioles de potion comme si elles n'avaient plus désormais la moindre importance. Enserrant Meredith entre ses bras, il la fit tourner pour prendre appui contre le bureau et plongea dans son cou, pour y déposer une série de baisers brûlants, jusqu'à l'échancrure de son décolleté.

"Meredith...", gémit-il, ivre de désir, tandis que ses mains s'égaraient sous le tissu délicat de sa chemise blanche. Il avait toujours trouvé qu'il y avait quelque chose de véritable sexy qui se dégageait de sa collaboratrice, quelque chose qui tenait de sa droiture, de sa froideur, mais il n'aurait jamais imaginé pouvoir réaliser ce fantasme, et cela rendait ce baiser d'autant plus savoureux, libérateur, jouissif. Emporté par un élan, Leopold en oublia qu'ils étaient en train de commettre un double-adultère, qu'il s'agissait d'une conquête au sein même de son cercle rapproché, que ce n'était probablement pas une bonne idée. Entièrement absorbé par la sensation des lèvres de Meredith sur les siennes et enivré par son délicat parfum, il ne songea pas un instant à rompre cette étreinte...