Big Brother is watching you [PV Jonah]

Le casque posé sur ses oreilles diffusait un morceau de musique électro à un volume bien supérieur à celui recommandé par le département de la santé magique, et Priya pouvait presque sentir sa cage thoracique vibrer au rythme des basses. Etrangement, cela l’aidait à se concentrer. Ses collègues ne comprenaient pas comment elle parvenait à travailler dans de telles conditions, et lui assuraient qu’elle finirait par devenir sourde –ce qui était certainement vrai– mais il n’y avait qu’ainsi qu’elle parvenait à être à la fois créative et efficace.

De la pointe de sa baguette, la jeune femme achevait de tracer une reproduction lumineuse du circuit magique imprimé du futur Pear III, qu’elle examina sous tous les angles. Le Pear II connaissait un immense succès et tous les ingénieurs de Vargas travaillaient depuis plusieurs mois sur la prochaine innovation du géant de la technomagie. « Plus performant et plus compacte ». C’était un mariage qu’il était difficile de faire fonctionner, mais Priya était décidée à réussir cette prouesse.

Ils avaient essayé tous les sortilèges de refroidissement mais il n’y avait rien à faire, le Pear III restait trop gourmand en énergie magique et ses circuits ne tenaient pas le coup. Les sourcils froncés, elle fit le tour du circuit imprimé géant qui flottait dans son bureau et lança un sortilège pour le découper en deux. D’un nouveau coup de baguette, elle ajouta un maléfice d’entrave juste avant le port d’entrée de la résistance, espérant que cela ralentirait la surchauffe.

Optimiste mais pas encore satisfaite, Priya s’apprêtait à injecter le nouveau circuit dans un prototype du Pear III pour lancer une série de tests, quand une main s’abattit sur son épaule. La jeune femme bondit sur le côté avec un cri de surprise alors que son cœur s’affolait dans sa poitrine. Elle fit glisser son casque autour de son cou et se retrouva face à une Lydie confuse.

« Désolée, Je voulais pas te faire peur, j’ai frappé mais… La jeune secrétaire désigna le casque qui continuait de diffuser sa musique, parfaitement audible même à distance. Ton rendez-vous de onze heures est arrivé.
- Merci Lydie ! »

Priya coupa le son de son casque et agita sa baguette. Le circuit imprimé lumineux qu’elle avait tracé un instant plus tôt disparut, les tableaux noirs remplis d’inscriptions et de formules s’effacèrent et tous les documents qui trainaient dans la pièce se transformèrent en feuilles blanches complétement vierges. On ne plaisantait pas avec la confidentialité chez Vargas.

Elle avait rendez-vous avec Jonah Forbes, enseignant à Poudlard et futur auteur d’un ouvrage de vulgarisation sur la technomagie. C’était habituellement son supérieur, Norman, le responsable du Pôle Recherches et Innovation, qui menait ce genre d’entretiens, mais il croulait sous les demandes ces dernières semaines et avait relégué cette tâche à Priya, préférant se consacrer à son interview pour Multiplettes. Il était évident qu’un entretien avec un professeur de Poudlard promettait moins de gloire et de paillettes qu’une première page dans un quotidien à scandale, ce qui convenait parfaitement à Priya. Cette entrevue informelle l’angoissait déjà suffisamment comme ça ! Elle n’avait jamais été très douée pour les entretiens, ou pour parler avec les gens de manière générale.

Les portes vitrées de l’ascenseur se refermèrent sur elle pour l’emmener jusqu’au hall d’entrée de la Vargas Tower et Priya se força à respirer calmement. Inspirer sur quatre temps, expirer sur quatre temps. Elle révisa mentalement les conseils que Norman lui avait répétés : ne pas parler trop vite ; avoir l’air sûre de soi ; ne pas répondre à une question imprécise ; ne pas divulguer d’informations confidentielles ; ne pas critiquer l’entreprise. Ça n’avait pas l’air si compliqué que ça, pourtant elle commençait déjà à avoir chaud et sentait son ventre se nouer d’appréhension.

La jeune femme jeta un rapide regard dans les parois réfléchissantes de l’ascenseur pour examiner son reflet et grimaça. Elle s’était habillée comme à son habitude, un pull bleu et un jean délavé sur une paire de basket blanches. Dépitée, elle tira un peu sur sa queue de cheval pour lui donner un aspect plus net, dans l’espoir que cela lui donnerait un air vaguement professionnel. Sans succès. Elle ressemblait plus à une adolescente de seize ans qu’à une ingénieure… Tant pis, son interlocuteur serait bien obligé de se fier au badge !

Priya arriva dans le hall et reconnut rapidement Jonah Forbes -elle avait fait des recherches. Elle s’approcha de l’enseignant, un peu nerveuse, et essuya discrètement sa main moite sur son jean avant de lui tendre un bras un peu tremblant.

« Monsieur Forbes ? Je suis Priya, enchantée ! »

Ils avaient déjà échangé quelques messages par Pear, pour organiser cette entrevue mais également au sujet du système de vidéo surveillance qui allait être mis en place à Poudlard. Si cela n’avait tenu qu’à elle, elle aurait d’ailleurs continué à échangé par Pear uniquement. Elle avait beaucoup plus d’aisance et de répartie quand il s’agissait d’écrire des messages.

« Venez, je, euh… On va s’installer dans une salle de réunion ! »

Elle guida son invité jusqu’aux grands ascenseurs et patienta en silence pendant ce qui lui parut durer une éternité. Ils gravirent quelques étages et s’arrêtèrent un peu avant le sommet de la tour. Priya voulut s’engager la première quand les portes s’ouvrirent, se ravisa à la dernière minute pour laisser passer Jonah devant elle, lui écrasa le pied, se confondit en excuses, et sortit finalement de l’ascenseur devant lui. Ils se retrouvèrent à un étage qui paraissait complètement vide. Il n’y avait aucune cloison et l’on pouvait voir à des dizaines de mètres devant soi. Il n’y avait pas de meuble, et l’étage semblait désert. Seules quelques petites salles aux murs transparents, comme des bulles, occupaient l’espace.

Priya s’approcha de l’une des bulles et posa son badge magique sur le détecteur qui se trouvait à l’entrée. Une ouverture se dessina magiquement sur l’un des murs transparents et elle invita le Professeur Forbes à entrer et à s’installer. L’intérieur de la bulle était une spacieuse salle de réunion, avec une grande table, des chaises confortables, un buffet avec du thé et du café, de grands tableaux blancs.

« Vous avez une préférence pour le lieu ? s’enquit-elle en sortant sa baguette magique de la poche arrière de son jean. Urbain ? Champêtre ? Plage des Maldives ? »

A chaque option qu’elle énumérait, elle touchait les parois transparentes de la bulle du bout de sa baguette et tout le paysage autour d’eux changeait instantanément. Ils pouvaient tenir cette réunion dans n’importe quel endroit du monde. Les décors étaient tous impressionnants de réalisme, sensations, odeurs et bruitages compris. Elle déconseillait fermement le thème « banquise », elle avait failli y laisser ses orteils la dernière fois !

Une fois le cadre de la réunion choisi, Priya s’installa sur une chaise en face du Professeur Forbes et posa ses coudes sur la table, les mains jointes sous son menton. Elle se rappela alors les conseils prodigués par Norman et se redressa pour poser ses mains sur ses genoux. Elle croisa les jambes, les décroisa, recula un peu sa chaise, joua nerveusement avec le bout de sa queue de cheval, se demanda si elle était censée prendre la parole la première, réalisa qu’ils se regardaient en silence depuis au moins…une seconde. Était-elle censée parler la première ? C’était lui qui était censé poser les questions, en principe, mais peut-être devait-elle présenter l’entreprise ou son travail ? Elle n’avait rien préparé, elle ne savait pas du tout quoi dire ? Elle aurait dû prendre ses notes avec elle.

« Vous voulez boire quelque chose ? Un café ? Du thé ? » lança-t-elle précipitamment juste au moment où Jonah prenait la parole.

Elle lui adressa un sourire d’excuse et sentit ses joues s’enflammer. Elle avait probablement détruit en quelques minutes le peu de crédibilité qu'elle avait.

"Trés bien !" Priya sélectionna le décor "Vol en plein ciel" et ils se retrouvèrent aussitôt parmi les nuages et quelques oiseaux migrateurs qui traversaient le ciel au dessus de la table de réunion. C'était une ambiance qu'elle trouvait particulièrement apaisante et elle était ravie de ce choix, même si le sien ce serait peut-être porter sur "Pars au Japon", une vue nocturne sur la baie de Tokyo dont les lumières étaient captivantes.

La jeune fille s'installa à la table de réunion et observa Jonah Forbes sortir des notes de son sac en se disant qu'elle aurait peut-être du amener de quoi noter, elle aussi. Cela faisait plus sérieux.

"Non, non, pas de soucis !" s'empressa-t-elle de répondre quand l'enseignant lui demanda s'il pouvait enregistrer leur entretien sur son Pear.

Elle ne pouvait pas refuser l'utilisation d'une des technologies Vargas, ce ne serait pas très commerciale. Un peu nerveuse à l'idée que Mr. Forbes pourrait écouter et réécouter ses bafouillages confus autant de fois qu'il le voudrait, Priya l'écouta expliquer les raisons de sa visite en hochant régulièrement la tête.

Discuter de l'influence de la technologie moldue sur la technomagie ne lui posait pas de problème, elle avait l'habitude de devoir expliquer son travail. Les questions personnelles, en revanche, n'étaient pas vraiment son fort. Timide de nature, la jeune fille détestait parler d'elle et avait tendance à penser qu'elle n'avait rien d'intéressant à raconter. Elle avait horreur de devoir se présenter, mais savait qu'elle serait obligée de se plier à l'exercice. Elle écouta Jonah avec attention alors qu'il énumérait les différentes questions qu'il serait susceptible de lui poser, tout en préparant ses réponses dans sa tête, pour être prête, au cas où.

"Est-ce que le cadre vous convient ? Elle hocha la tête, un peu rassurée par ces explications. Si c’est le cas, je vous écoute.»

Ah. Elle ne s'était pas préparée à devoir prendre la parole si tôt. Elle n'avait pas noté exactement l'ordre des questions de son interlocuteur, pensant qu'il ne s'agissait que d'exemples donnés au hasard. Elle aurait vraiment du amener un carnet de notes ! Prise d'une bouffée de chaleur alors qu'elle s'efforçait de se remémorer les interrogations de l'enseignant, Priya hésita à lui demander de répéter la question mais y renonça finalement, peu désireuse de passer pour une imbécile. Elle aurait déjà dû répondre, réalisa-t-elle alors qu'un silence de plusieurs secondes s'installait entre eux. Elle avait le ventre noué et la gorge sèche. Elle aurait du apporter de l'eau.

"Je... commença-t-elle sans avoir la moindre idée de ce qu'elle allait dire. Je suis née-moldue. Mon père est ingénieur informatique, il m'a très vite appris à me servir d'un ordinateur. En temps normal, elle aurait préciser ce qu'était un ordinateur "une machine que les moldus utilisent pour tout un tas de chose, un peu comme un Pear géant", mais elle savait que Jonah Forbes était professeur d'étude des moldus et partit donc du principe qu'il était familier du terme. Ça m'a beaucoup manqué, quand je suis arrivée à Poudlard. J'avais l'habitude d'envoyer des emails à ma famille en Inde, et de pouvoir consulter Google quand j'avais des devoirs à faire pour l'école. La magie me permettait de faire énormément de nouvelles choses, évidement, et je trouvais ça merveilleux. Mais c'était aussi comme un retour en arrière sur plein d'aspects de ma vie : feuilleter tous les livres de la bibliothèque à la recherche d'une formule alors qu'il aurait suffi de quinze secondes pour la trouver sur internet me rendait folle !"

Maintenant qu'elle s'était lancée, elle s'était débarrassée d'une partie de son stress et réalisa même qu'elle avait parlé un peu trop vite. Elle s'imposa une pause et adressa un sourire timide à son interlocuteur, reconnaissante qui ne l'ait pas interrompue dans cet exercice difficile pour elle.

"Quand j'ai terminé Poudlard, j'ai décidé d'étudier la technomagie. On commençait à en parler de plus en plus à l'époque, même si les chercheurs rencontraient plus d'échecs que de succès, précisa-t-elle avec un sourire amusé. Je me suis inscrite à l'institut de technomagie d'Alaska, le seul établissement spécialisé pour le moment, j'ai été recrutée par Vargas à ma sortie de l'institut et... voilà."

Elle ponctua cette magnifique conclusion d'un haussement d'épaules, en espérant qu'elle n'avait pas répondu complètement à côté de la plaque.

"Est-ce que... Est-ce qu'il y a un type d'équipement qui vous intéressent en particulier ?" tenta-t-elle, en espérant que la discussion se concentrerait désormais sur la technomagie plutôt que sur son parcours qui n'avait rien d'exceptionnel.

Priya n'était jamais ravie d'entendre les termes "quelques questions supplémentaires" et "votre ressenti" dans la même phrase, mais se força à adresser un sourire enthousiaste à son interlocuteur. Elle détestait ce genre de questions où il n'y avait pas vraiment de bonne ni de mauvaise réponse. Depuis toujours elle avait une préférence pour les matières plus cartésiennes. Pendant ses deux ans passés au collègue moldu, elle avait vite réalisé qu'elle était bien plus à l'aise en mathématiques ou en chimie, là où les réponses étaient soit justes soit fausses, plutôt qu'en littérature ou en arts plastiques, où tout était une question d'argumentation et de point de vue. Cette tendance s'était largement confirmée par la suite.

"Hum, à vrai dire, je pense que la population magique n'était pas dans le bon...état d'esprit, jusque très récemment," commença-t-elle prudemment.

Elle savait qu'elle s'avançait sur une pente glissante et hésitait à livrer franchement son point de vue. Norman lui avait répété à plusieurs reprises d'éviter les sujets "politiques" et de ne surtout pas critiquer la société magique -ce qu'elle avait tendance à faire trop facilement. Elle entortilla nerveusement le bout de sa queue de cheval autour de son doigt avant de décider que Jonah Forbes avait l'air suffisamment curieux et tolérant pour pouvoir discuter de ce genre de sujets sans se sentir insulté en tant que sorcier.

"Il y a plein de choses que la technologie moldue a mis des décennies à mettre au point, alors que les sorciers les maitrisaient depuis des siècles, comme la possibilité de se déplacer vite et très loin. Je voudrais pouvoir vous donner la date de l'invention du Portoloin mais je ne la connais même pas, avoua-t-elle avec une grimace d'excuses. Pendant très longtemps les sorciers ont estimé qu'ils étaient bien plus...évolués que les moldus, et qu'ils n'avaient donc aucun intérêt à s'inspirer d'eux, enfin je pense, s'empressa-t-elle de nuancer. Et puis, on avait tendance à encourager les nés-moldus à s'immerger dans la culture magique et à oublier assez vite leurs racines, et les mariages mixtes n'étaient pas aussi fréquent qu'aujourd'hui, alors il n'y avait personne pour ressentir cette frustration d'être soudainement limité dans certains domaines. La magie est tellement puissante ! Qui aurait oser regretter de ne plus pouvoir passer de coup de téléphone et de devoir se trouver à proximité d'une cheminée ou être capable d'envoyer un patronus pour joindre quelqu'un à distance ?"

Réalisant qu'elle avait à nouveau parlé un peu trop vite, Priya s'accorda une pause pour reprendre sa respiration. Elle était incorrigible. Elle était toujours aussi nerveuse et le noeud d'angoisse dans son ventre ne s'était pas détendu, pourtant elle ne pouvait plus s'arrêter de parler. Elle était une bavarde timide. Sa vie était très compliquée.

"Je pense que la technomagie a commencé à voir le jour quand les sorciers ont pu admettre que les moldus les avaient peut-être dépassé dans certains domaines, grâce à la technologie."

C'était une conclusion qui n'était pas toujours facile à entendre pour un sorcier, mais Priya espérait que le professeur Forbes ne se sentirait pas offensé.

"C'est un point de vue très personnel, bien sûr", ajouta-t-elle en pensant à Norman qui aurait probablement jeté son éternel bonnet par terre d'énervement s'il l'avait entendue.

Tous les ingénieurs avaient leur avis sur la question, et cela donnait parfois lieu à des discussions très animées à la cantine, auxquelles Priya prenait très rarement part. Elle avait longuement écouté ses collègues débattre et s'était forgée sa propre opinion sur le sujet, sans jamais oser l'exprimer. Jonah Forbes semblait toutefois très intéressé par son avis puisqu'il reprit son interview en la questionnant sur les difficultés rencontrées dans son métier. Ah, elle aurait pu en parler pendant des heures !

"Le plus difficile, c'est de s'inspirer des technologies moldues tout en sachant que leur reproduction à l'identique est impossible, commença-t-elle avant de s'accorder une pause pour chercher un exemple accessible. Le WIFI, par exemple, ne pourra jamais fonctionner dans un environnement trop chargé en énergie magique, comme Poudlard ou Léopolgrad, ça brouille les ondes. Le système de connexion des Pears est donc différent de celui des ordinateurs ou des téléphones moldus, qui envoient des flux de données vers des serveurs -un peu comme des plateformes de stockage- qui les répartissent ensuite sur d'autres serveurs, jusqu'à ce qu'elles arrivent sur un autre terminal. Elle s'était mise à parler avec ses mains, reproduisant le voyage des données dans l'espace. Les Pears eux communiquent directement d'appareil à appareil, sans passer par des serveurs centraux, un peu comme des talkies-walkies, mais avec une portée bien plus large." Elle n'était pas certaine que son exposé soit très clair, il était difficile de vulgariser des principes qu'elle avait mis plusieurs années d'études à comprendre.

Ce n'était évidement pas la seule difficulté de son métier, il y avait aussi le fait que la discipline soit très jeune, et qu'ils aient peu d'historique ou de recul, la difficulté d'être original quand les moldus semblaient avoir déjà tout inventé, les questions éthiques, ou la forte majorité d'hommes dans le milieu, mais elle ne voulait pas noyer son interlocuteur sous un flot de réponses.

"Je pense que c'est le plus difficile : avoir toutes les technologies à dispositions et vouloir les offrir au monde magique, mais être obligé de tout repenser pour contourner les obstacles techniques, conclut-elle, légèrement essoufflé. Ça et le regard des sorciers sur le métier, qui n'est pas toujours aussi positif que le vôtre !" ajouta-t-elle en se permettant un sourire amusé.

Une grande partie de la société magique était favorable à l'essor de la technomagie, mais il y avait aussi une fraction plus traditionaliste de la population qui ne voyait pas cela d'un très bon oeil. Les ingénieurs en technomagie, souvent très jeunes, étaient parfois regardés comme des extrémistes qui tentaient par touts les moyens de "moldu-iser" le monde magique. Priya avait rarement eu à affronter ce genre de propos -les sorciers qui avaient de telles idées considéraient rarement une jeune femme de vint-et-un ans comme une menace- mais elle savait que c'était une opinion qui était plus répandue qu'il n'y paraissait.

Elle se sentait un peu mal à l'aise, d'avoir tant parlé alors le Professeur Forbes s'était contenté de posé des questions. C'était très certainement le principe d'une interview, songea-t-elle avec cynisme, mais elle trouvait cela dommage que le rapport soit si déséquilibré, et prit son courage à deux mains pour l'interroger à son tour.

"Pourquoi avoir décidé d'écrire un livre sur la technomagie ? lança-t-elle soudainement alors que le rouge lui montait aux joues. Si je peux me permettre, ajouta-t-elle précipitamment. C'est une excellente idée bien sûr ! ajouta-t-elle, un peu paniquée, en réalisant que sa question pouvait être prise pour une remise en question. C'est...Je...Je suis juste curieuse..."

Cela avait été une expérience très désagréable. Elle avait bafouillé, elle devait être rouge écarlate et elle se retrouva à essuyer discrètement ses mains moites sur son jean. Elle se contenterait dorénavant de répondre aux questions de son interlocuteur, c'était suffisamment angoissant comme cela. Poser des questions était beaucoup trop extrême, et elle avait utilisé sa dose de courage pour la journée.

Priya fut rassurée de voir le Professeur Forbes réagir si positivement à sa question, et lui rendit son sourire quand il affirma qu'elle avait parfaitement le droit de se montrer curieuse à son tour. Elle écouta attentivement les explications de l'enseignant et mit à profit ces quelques minutes de répit pour se calmer et faire un point rapide sur la situation. Elle estimait qu'elle s'en tirait plutôt bien, pour le moment. Elle devait parler un peu moins vite, et penser à respirer de temps en temps, mais pas de gaffes ou de silences embarrassants à signaler, ce qui relevait de l'exploit.

Il fallait admettre que Jonah Forbes était un interlocuteur plutôt agréable, et qu'il savait rendre les échanges faciles. C'était également quelqu'un d'intéressant et Priya ne put s'empêcher d'ouvrir de grands yeux ronds en l'entendant raconter qu'il avait vécu dix ans en immersion totale dans le monde mordu. Même en tant que née-moldue, elle aurait probablement du mal à se plier à l'exercice ! L'enseignant partageait en tout cas son point de vue sur l'ouverture de la magie aux inventions moldues. Ce n'était pas surprenant, et cela transparaissait déjà de leurs échanges par Pear, mais Priya était bien placée pour savoir que les messages écrits ne reflétaient pas toujours la réalité. Elle-même était toujours bien plus percutante et affirmée à l'écrit qu'à l'oral. Elle était donc ravie de constater que, même en chair et en os, Jonah Forbes était aussi intéressé et bienveillant qu'à l'écrit.

Faire une pause lui avait fait du bien, elle n'avait pas l'aisance de son interlocuteur et avait du mal à monologuer pendant plusieurs minutes. Rassérénée, elle aborda la suite de l'entretien avec plus de calme, et ne paniqua même pas quand le professeur l'entraina vers l'un des sujets que Norman qualifiait de "périlleux" : les détracteurs de la technomagie.

"Hum... Non, pas directement, répondit-elle après un court instant de réflexion. Je vous avoue que je n'ai jamais vraiment cherché la confrontation, avoua-t-elle avec une grimace. De manière générale, elle recherchait assez peu le dialogue, en fait. Bon, il y a bien sûr les sorciers plus... *arriérés* conservateurs, qui sont assez fermés à toute forme de nouveauté, mais leurs arguments n'ont pas grand-chose de...*intéressant* nouveau !"

Priya ne les classait même pas dans la catégorie des personnes méfiantes à l'égard de la technomagie. Ils étaient opposés à tout ce qu'ils ne connaissaient pas, par principe. Le dialogue avec ce genre d'individus était souvent difficile, et Priya ne voyait pas vraiment l'intérêt de s'appesantir sur le sujet, alors qu'ils étaient loin d'être les seuls à critiquer la technomagie.

"Et puis, je pense que d'autres personnes ont juste un peu peur, de voir tout ce que la techomagie peut permettre de faire, reprit-elle, un peu plus animée, en commençant à parler avec ses mains. C'est compréhensible, quand on voit toutes les nouvelles fonctionnalités, ne serait-ce qu'au niveau des Pears ! N'importe quel sorcier qui s'y connait un peu pourrait facilement suivre quelqu'un à distance, par exemple. Norman aurait probablement avalé son bonnet s'il l'avait entendu dire ça, mais cela servait sa démonstration, alors tant pis. Sauf qu'à bien y réfléchir, ce sont des choses que la magie permet aussi. Avec des sortilèges très complexes, que peu de gens maitrisent, bien sûr, précisa-t-elle aussitôt, consciente que suivre quelqu'un n'était pas à la portée de n'importe quel sorcier, mais c'est théoriquement possible. Contrairement aux apparences, la technomagie n'a encore rien inventé que la magie n'avait pas déjà rendu possible. C'est juste beaucoup plus simple d'envoyer un message qu'un Patronus, et plus facile de hacker un signal GPS que de créer un sortilège de traçage. Elle dut faire une courte pause pour reprendre son souffle, elle avait encore parlé trop vite. Elle avait tendance à s'emballer un peu sur ce genre de sujets. La technomagie a mis à la portée de tout le monde des possibilités qui n'étaient jusqu'alors accessibles qu'à une certaine élite de la population magique, conclut-elle plus posément. C'est plutôt positif, à mon avis, tant que ce n'est pas utilisé à mauvaise escient..."

Il était malheureusement impossible de veiller à ce que ce genre de technologies ne tombent pas entre de mauvaises mains. Ils étaient responsables des appareils qu'ils inventaient, pas de la façon dont les sorciers les utilisaient ensuite...C'est ce que disait le service juridique, en tout cas. Et Priya avait appris à ses dépens qu'il ne valait mieux pas les contrarier, ils avaient toujours raison de toute façon. Des gens très agaçants.

Priya grimaça en baissant les yeux sur la couverture de "la Gazette des vingt-sept" que le professeur Forbes venait de glisser sur la table, en affirmant qu'il avait l'intention de rencontrer l'auteur de l'article-titre.

"Bon courage !" lança-t-elle en balayant les premières lignes avec une moue dubitative.

Neuf sorciers sur dix favorables à une politique plus conservatrice ? Elle ne savait pas d'où provenait ces chiffres, mais elle était persuadée que ce n'était pas représentatif de la population magique en général. Bien sûr, la technomagie était parfois accueillie avec un peu de méfiance, mais n'était-ce pas le cas de tout ce qui était nouveau ? C'était difficile, pour une population qui était persuadée d'avoir atteint le summum du développement depuis le moyen-âge, d'accepter cette révolution, mais il suffirait d'un peu de temps pour que l'ensemble des sorciers comprennent que la technomagie pouvait leur apporter plus d'avantages que d'inconvénients. La jeune ingénieure restait intimement convaincue que c'était une excellente chose pour la société sorcière, tant que ce n'était pas utilisée à mauvais escient.

Elle avait dit cela sans vraiment réfléchir, uniquement pour nuancer son propos et pour ne pas passer pour une fanatique de Vargas incapable de remettre leurs inventions en question, mais le sujet sembla particulièrement intéresser son interlocuteur.

Priya se laissa quelques secondes pour réfléchir à la question de l'enseignant, et ramena par automatisme une de ses jambes sous elle, avant de se rappeler qu'elle était censée bien se tenir et de se redresser sur sa chaise, les deux pieds sagement posés au sol. Elle avait toujours eu du mal à bien se comporter dans ce genre de situation. Soit elle était trop nerveuse et osait à peine bouger, soit elle essayait de se détendre un peu et oubliait trop vite qu'elle n'était pas au milieu de son salon. C'était difficile pour elle, de réussi à se sentir à l'aise tout en réfléchissant à sa posture et à son attitude. Elle avait besoin de casser un peu les codes et de relâcher la pression pour réussir à se détendre.

"Je pense qu'à l'heure actuelle, notre meilleure protection contre le détournement de nos technologies c'est le secret, commença-t-elle, un peu hésitante, en continuant à réfléchir. Tous les espaces ici sont ultra-sécurisés, et tous les employés ont signé des accords de confidentialité assez contraignants. Elle était à peu près persuadée d'avoir violé l'accord en question une demi douzaine de fois depuis le début de cette entrevue, d'ailleurs. Mais il n'y avait pas de juriste pour lui faire les gros yeux, donc ça ne comptait pas. Il y a des tas de gens qui travaillent ici et qui ne savent même pas exactement comment fonctionnent les Pear ou les consoles de jeu. Mis à part les ingénieurs et les développeurs, je ne pense pas que qui que ce soit puisse réussir à reprogrammer une application Pear, par exemple."

Elle avait conscience que cela pouvait paraitre un peu prétentieux, mais c'était encore vrai, pour le moment. La technomagie était une discipline très jeune, peu de sorciers y étaient formés et Vargas protégeait suffisamment ses secrets d'affaires pour que le savoir-faire impliqué dans le développement des Pear ne soit pas encore dispersé dans la nature.

"Pour le moment, on peut encore se permettre de considérer que ce qu'on développe ne sera utilisé que pour les fins que nous avons prévues, mais il est évident que ça ne durera pas. Plus la technomagie va se démocratiser, plus les gens vont se l'approprier et l'utiliser...à leur façon. Elle haussa les épaules. C'est inévitable, je pense. On protège au maximum nos process et nos technologies mais il y aura forcément des petits malins qui arriveront à tout démonter et à tout reconstruire à leur sauce, c'est le principe du reverse engineering, et malheureusement on ne peut rien faire contre ça."

La jeune femme ponctua sa conclusion d'un nouveau haussement d'épaules. Elle avait conscience que cela pouvait paraitre inquiétant, mais à ses yeux cela faisait forcément partie du développement de la discipline. Si la technomagie entrait dans les moeurs sorcières, alors la concurrence allait se développer. Bientôt Vargas n'aurait plus le monopole sur ces technologie, et il ne faudrait que quelques mois ou année pour que de jeunes sorciers se l'approprient et trouvent de nouvelles exploitation. Il y aurait forcément des gens mal-intentionnés pour essayer d'utiliser la technomagie à des fins illégales. Il suffisait de penser au dark web moldu et à tous les réseaux qui s'étaient développés dessus pour avoir une idée de ce qui les attendait certainement. Le crime avait toujours su se mettre à la page.

La question sur le traitement des données personnelles la laissa pensive et, absorbée par ses réflexions, elle oublia toute volonté de bien se tenir et croisa ses jambes en tailleur sur sa chaise.

Jonah Forbes n'était pas le premier à s'interroger sur le sujet. Tous les sorciers qui avaient des attaches dans le monde moldu étaient familiers de ce genre de considérations. Ils avaient tous lu en diagonale les interminables mentions légales de Facebook avant de cliquer sur "j'accepte" sans avoir conscience qu'ils venaient d'autoriser la multinationale à récolter, traiter et vendre toutes leurs données personnelles. Elle n'avait jamais pris le temps de lire les conditions générales d'utilisation de Vargas -pour être honnête, elle s'en était servie de feuilles de brouillon et avait fini par en faire des avions en papier- mais elle était certaine que les juristes avaient tout prévu et que tout était parfaitement légal.

"Si ça peut vous rassurer, on a un service juridique très pénible, ils ne laisseraient personne vendre des données sans l'accord des personnes concernées !" répondit-elle avec un sourire amusé dans l'espoir de masquer sa gêne.

Priya n'était pas particulièrement à l'aise sur la question. Elle était elle-même utilisatrice de toutes ces technologies, qu'elles soient moldues ou sorcières. Et le fait qu'elle sache à quel point il était facile de récupérer des informations sur quelqu'un à partir d'un téléphone portable ou d'un compte Twitcher la rendait peut-être encore plus méfiante. Elle comprenait parfaitement les questions et les réticences des sorciers face à ce nouvel enjeu, et ne savait pas vraiment comment se défendre face à ces accusations. Les termes d'espionnage et d'entités obscures lui firent toutefois lever un sourcil, surprise. C'était une inquiétude qui lui paraissait un peu démesurée.

"C'est drôle, remarqua-t-elle à voix haute. J'ai passé trois ans aux Etats-Unis et c'était un sujet dont on parlait beaucoup, mais ce qui inquiétait le plus les utilisateurs, c'était que leurs données soient vendues. Les gens avaient l'air prêts à accepter de sacrifier une partie de leur vie privée pour un compte Snapechat, mais avaient peur que les entreprises se fassent de l'argent sur leur dos, poursuivit-elle. Depuis que je suis rentrée en Angleterre, j'ai l'impression que les inquiétudes sont un peu différentes, ici les gens ont vraiment peur d'être...observés, comme si quelqu'un pouvait avoir un intérêt à espionner des adolescents dans une école. Cela lui paraissait complètement dingue. Enfin, je veux dire, je ne vois pas ce qui aurait un intérêt à faire ça, non ?"

Que pouvait bien avoir à cacher la moitié de l'Angleterre pour être si inquiète ?

Jonah Forbes était un homme plutôt perspicace, songea Priya alors que l'enseignant émettait l'hypothèse selon laquelle il imaginait mal Logan Vargas ne rien tenter pour éviter toute procédure de reverse engineering.

"Vous le connaissez bien, admit-elle avec un sourire. Toutes les produits sont dotés de sortilèges de protection qui rendent presque impossible leur démontage. Tout résidait dans ce presque. Viendrait forcément un jour où quelqu'un serait suffisamment bien formé et suffisamment malin pour contourner ces mécanismes. Si quelqu'un essayait d'ouvrir un Pear pour accéder au circuit magique imprimé, par exemple, il annulerait aussitôt tous les enchantements qui permettent son fonctionnement et l'appareil serait inexploitable."

Il existait, heureusement, une procédure très précise à suivre pour éviter ce genre de désagréments. Procédure qui n'était, évidement, connue que des seuls ingénieurs chargés du développement des appareils. Adolescente, Priya n'avait jamais été très douée pour garder les secrets. Elle était pourtant loin d'être la plus bavarde ou la plus populaire des élèves de sa promotion, mais dès lors qu'elle détenait des informations qu'elle estimait intéressantes, elle éprouvait aussitôt le besoin de les partager avec les autres. Elle avait besoin de parler des choses pour les rendre réelles, et pour y voir plus clair. Heureusement pour elle, et pour ses amies de l'époque, elle n'avait jamais été très intéressée par les discussions de couloirs et les potins sur la vie amoureuse de ses camarades, et ne s'était que rarement retrouvée en possession d'un secret à protéger.

Depuis qu'elle travaillait chez Vargas, des secrets, elle en avait plein. Elle occupait un poste stratégique et avait accès à des données que seules une poignée de personnes étaient autorisées à consulter. Avant d'entrer dans l'entreprise, elle avait passé plusieurs entretiens destinés à évaluer sa capacité à défendre et à protéger les intérêts de Vargas. Elle avait tellement bégayé lors de sa première entrevue qu'ils avaient certainement considéré qu'elle ne représentait pas une menace. Elle n'était pas de ces employés bavards et un peu vantards, avec des contacts à la concurrence et des conflits en interne qui en faisaient des bombes prêtes à exploser. Elle s'entendait bien avec tout le monde, était passionnée par son métier et reconnaissante de pouvoir l'exercer au sein du leader mondial dans le domaine. Un parfait petit soldat.

Priya connaissait beaucoup de choses, oui, mais elle ne savait pas tout. La jeune femme tenta sans grand succès de dissimuler sa surprise quand le Professeur Forbes la questionna sur la propriété des images captées par les caméras de Poudlard. La conversation avait lentement dérivé sur le terrain des données personnelles et la jeune ingénieur se sentait beaucoup moins à l'aise. Parce qu'elle ne savait pas. Elle n'avait jamais lu le contrat qui liait Vargas Corp à l'école de magie, pour la bonne et simple raison qu'elle ne l'avait jamais eu entre les mains. Ce n'était que de la paperasse, lui avait-on dit. Rien d'intéressant, du jargon juridique, elle ne comprendrait pas.

La jeune femme aurait pu simplement dire la vérité et admettre qu'elle n'en avait pas la moindre idée, mais elle avait le sentiment que cela ne renverrait pas une image très positive de Vargas. Il était évident que le Professeur Forbes trouvait cette clause du contrat un peu louche et, sans vraiment savoir pourquoi, elle avait à coeur de la défendre.

"Oh, euh... Les serveurs sont placés chez nous -dans une salle sécurisée bien sûr- et... les compétences en matières de traitement et d'analyse des données sont plutôt chez nous aussi, alors j'imagine que...Que c'était le plus logique."

Ça ne l'était pas. Elle-même ne croyait pas un mot de ce qu'elle venait de dire. Poudlard était le donneur d'ordre et Vargas Corp un simple sous-traitant. Les données auraient du appartenir à Poudlard. Pourquoi n'était-ce pas le cas ? Priya voulait se persuader qu'il y avait une explication parfaitement rationnelle à cette situation mais, maintenant qu'elle y réfléchissait, ce n'était pas la seule zone d'ombre sur le projet Poudlard. On ne lui avait jamais communiqué les plans définitifs, alors même qu'elle les avait demandés à plusieurs reprises au service logistique -qui s'était occupé de l'installation des caméras. Elle avait pensé à une simple négligence de ses collègues mais elle se demandait si cela ne cachait pas autre chose.

La jeune ingénieure était convaincue que Vargas avait de bonnes raisons de vouloir conserver la propriété des données, et de protéger toutes les informations liées au projet Poudlard. Elle avait toute confiance dans son entreprise et voyait très mal la multinationales s'engager dans des activités douteuses avec les données personnelles d'enfants de quinze ans. Mais sa curiosité était piquée et, en vraie scientifique, elle était déterminée à comprendre ce qui se passait.

"Est-ce que...Est-ce que vous auriez une copie du contrat avec vous ? reprit-elle en espérant que son interlocuteur ne remarquerait pas ses joues qui viraient au rouge, et qu'elle sentait brûlantes. Mon service juridique me l'a certainement envoyé mais j'ai du l'égarer, ça m'évitera de leur redemander ! poursuivit-elle, consciente qu'elle donnait beaucoup trop d'informations pour que cela paraisse naturel. Elle avait encore des progrès à faire en matière de mensonge. J'aimerais bien jeter à nouveau un oeil sur cette clause relative aux données, et pouvoir vous apporter une réponse un peu plus précise."

Et, surtout, pour comprendre ce qui se passait et pourquoi il y avait tant de secrets dans ce dossier.

Priya sentit son ventre se tordre d'angoisse alors que Jonah Forbes brandissait son Pear en réponse à sa question. Evidement, il avait enregistré une copie du contrat dans l'appareil. C'était bien la première fois que la jeune ingénieur regrettait la grande capacité de stockage offerte par les équipements de Vargas. Elle nota mentalement de prévoir une réduire drastiquement la mémoire des prochains Pear. Elle renvoya un sourire un peu vacillant à son interlocuteur alors qu'il lui tendait l'appareil, qu'elle attrapa d'une main un peu tremblante.

Elle n'avait pas prévu de devoir analyser le contrat maintenant, sous le regard de l'enseignant. Elle aurait préféré qu'il lui tende une copie papier qu'elle aurait eu le temps de consulter tranquillement dans son bureau, à tête reposée. Elle fit défiler rapidement les premiers articles sans leur accorder vraiment d'attention : préambule, identification des parties, engagements et responsabilités, conditions financières, etc. Son regard accrocha finalement un terme qui lui fit froncer les sourcils.

Dans l'article qui listait les propriétés techniques des équipements mis à disposition, il était question de caméra W-Pro360, modèle 2B, or elle avait travaillé sur le développent du modèle W-Light280 spécialement dans le cadre du projet Poudlard. Pourquoi n'avaient-ils finalement pas utilisé les caméras prévues alors que Vargas avait fait des développements spécifiques pour l'école de magie ? Et pourquoi faire le choix d'un modèle plus ancien et moins discret ? Il ne s'agissait surement que d'une question de prix -les W-Light étaient plus chères- mais Priya ne pouvait s'empêcher de trouver cela étrange. Ce contrat cachait décidément bien des secrets !

La jeune femme ne fit pas part de sa surprise au Professeur Forbes, qui n'avait surement pas connaissance du travail investi dans le développement d'équipements qui n'étaient finalement pas utilisés, et poursuivit sa lecture. Elle sentit son anxiété grandir alors que ses yeux tombaient finalement sur l'article "traitement des données". Elle le parcourut lentement, pour essayer de gagner un peu de temps. Elle ne trouvait rien, aucun argument auquel se raccrocher. Elle sentit son coeur s'affoler alors que ses mains devenaient moites. En proie à un soudain stress, elle manqua de lâcher le Pear de Jonah lorsque celui-ci reprit la parole.

"Alors ? Qu’est-ce que vous en dites ?"

Elle releva la tête vers l'enseignant et ouvrit la bouche pour lui répondre mais aucun son ne franchit ses lèvres. Elle voyait dans la périphérie de son regard le voyant rouge du Pear qui lui rappelait que cette conversation était toujours enregistrée.

"Je..."

Elle ne savait plus quoi dire. Elle ne pouvait pas admettre que c'était parfaitement inhabituel, et qu'elle ne comprenait pas. Elle ne voulait surtout pas créer des soupçons autours de ce qui n'était certainement qu'un montage juridique complexe qui leur échappait à tous les deux. Elle opta donc pour la solution de facilité : blâmer les juristes.

"Je ne suis pas vraiment l'experte en la matière, répondit-elle, un peu hésitante, en baissant malgré elle les yeux sur le voyant rouge du micro du Pear. Il faudrait poser la question au service juridique... Je peux m'en charger ! ajouta-t-elle avec plus d'entrain. Je peux télécharger votre copie ? s'enquit-elle en sortant son propre Pear de sa poche. Je vais prendre le temps de relire le contrat, et j'irai leur poser la question."

Elle attendit l'accord de l'enseignant et posa son Pear par dessus le sien, toujours ouvert sur le contrat, avant de tapoter les deux appareils avec l'extrémité de sa baguette. Le sonnerie de son Pear -un bruit de Pokémon, tout à fait professionnelle- ne tarda pas à lui confirmer qu'elle avait bien reçu le document.

"Merci, souffla-t-elle en récupérant son appareil. Est-ce que...Est-ce que vous avez d'autres questions ?"

Elle n'avait aucune envie de poursuivre leur échange au sujet des données personnelles et fut ravi de voir la conversation se concentrer de nouveau sur le développement de la technomagie. Elle se détendit progressivement et le reste de l'interview se passa sans encombre. Elle quitta finalement le Professeur Forbes avec un sourire chaleureux et retrouva avec soulagement la quiétude de son bureau.

Elle venait de fermer le porte derrière elle, avec l'intention de se plonger dans la lecture du contrat qu'elle avait récupéré, quand Norman frappa à son bureau.

"Ça s'est bien passé ? s'enquit-il après qu'elle l'eut invité à entrer.
- Ouai, super ! Silence. Il attendait certainement plus de détails. Et toi, avec Multiplettes ?
- Bof, ils étaient plus intéressés par la vie amoureuse de Logan que par le Pear III, lui répondit-il avec un haussement d'épaules. Et toi, pas de mauvaise surprise ?"

Elle devenait peut-être paranoïaque mais elle avait l'impression que Norman la scrutait avec une attention particulière, comme s'il la mettait au défi de lui mentir. Et, sans trop savoir pourquoi, elle ressentit aussitôt le besoin de lui cacher la vérité. Ou du moins une partie de la vérité. Elle voulait attendre d'avoir compris ce qui lui échappait avant d'en parler éventuellement avec ses collègues.

"Non, que du classique ! éluda-t-elle en attrapant des papiers sur son bureau qu'elle rassembla en tas, plus pour s'occuper les mains que dans une réelle volonté de ranger. L'essor de la technomagie, les influences moldues, tout ça.
- Tu verras, encore trois-quatre interview comme ça et tu n'en pourras plus de raconter toujours la même chose ! lui répondit Norman en éclatant de rire. On devrait s'enregistrer sur hologramme, ça nous éviterait de nous répéter !"

Et, sans attendre de réponse, il quitta son bureau. Priya attendit qu'il se soit éloigné pour tirer de nouveau son Pear de sa poche et entamer sa lecture du contrat Poudlard. Elle s'empara d'un crayon à papier pour noter ses réflexions au dos d'un papier que les RH avaient distribué en début de semaine : "La bienveillance au travail". Elle n'avait pas terminé la lecture de la première page qu'elle avait déjà griffonné plusieurs questions.

Il y avait quelque chose qui clochait.