Lonely Feelings [JR Sasha & Casey]

11 Novembre 2010

Immobile devant la porte de la salle de Potions Casey attendait Sasha. Tous les matins il venait ici pour faire le trajet avec elle jusqu’à la Grande Salle pour le petit déjeuner. Le Poufsouffle se levait tôt, le premier de son dortoir, afin d’ être sûr de ne pas la rater.

Ils allaient bientôt fêter leur trois mois – dans deux jours- et Casey avait déjà trouvé son cadeau : Un beau livre sur l’histoire de Salem. Bien qu’il l’ai acheté d’occasion, ce présent avait sérieusement entamé son budget de Noël mais ce n’était pas si grave. Virgil n’avait pas besoin d’avoir un beau cadeau cette année. Ni les années suivantes. Tant que cette vilaine cicatrice resterait sur son bras, Casey ne ferait pas particulièrement d’efforts pour faire plaisir à son ainé.
L’adolescent s’assura d’un coup d’œil que le couloir était désert et  releva discrètement sa manche. La cicatrice était fine et propre mais belle et bien visible. POISON. Il n’avait pas encore trouvé le courage d’en parler à Sasha. Avec l’affaire Sorden, sa petite amie avait traversé des épreuves encore plus éprouvantes que la sienne et il ne tenait pas à se plaindre de sa « petite » agression alors que Sasha avait été enlevé pour la Mardolienne  qui lui avait fait Merlin-sait-quoi.
Il voyait bien que Sasha se posait des questions mais il ne voulait pas l’embêter avec ça…ni avec quoi que ce soit d’autre d’ailleurs. Casey se pliait en quatre pour répondre favorablement au moindre désir de Sasha : Elle voulait passer son samedi à la bibliothèque  pour préparer un devoir, il restait avec elle et faisait une croix sur la sortie à Pré-Au-Lard. A quoi bon aller au village sans sa petite-amie ?
Sa petite-amie. Même trois mois plus tard, il avait encore du mal à réaliser la chance qu’il avait d’être avec cette fille.

Un  groupe de Serpentard déboucha au fond du couloir et Casey tira vivement sa manche jusqu’à son poignet. Il s’agissait de Gliterspoon et de quelques amis à lui qu’il voyait passer tous les matins. Comme à l’accoutumé, le poufsouffle se perdit dans la contemplation d’une nature morte accrochée au mur –qu’il allait bientôt connaitre par cœur à ce rythme là- tandis que les vert et argent passaient dans son dos. Depuis que Norman et Virgil s’étaient battus pour une raison obscure, le Serpentard jetaient de sérieux travers à Casey qui s’efforçait de fuir son regard la plupart du temps.

Fort heureusement, Sasha ne tarda pas à arriver avec son groupe d’amies. Il ne comptait pas lui dire qu’il attendait depuis plus de trente minutes ici et qu’il avait vu passé la quasi-totalité des Serpentard. Il le voulait bien après tout et rien ne le mettait plus en joie de bon matin que de voir Sasha marcher vers lui dans ce couloir. Trente minutes, c’était rien.

Le jeune homme afficha un léger sourire en s’approchant de sa petite amie.
« Bonjour. » dit-il avant de déposer un bref baiser sur ses lèvres. Il n’était pas très à l’aise à l’idée de l’embrasser devant toutes ses copines, « Tu as pu finir ton devoir de Sortilèges ? » s’enquit-il alors. Ils ne s’étaient pas vus la veille au soir dans la salle des quatre maisons car Sasha avait préféré rester dans sa salle commune pour travailler…

Il ne doutait pas une seconde que Sasha ait bouclé son devoir de Sortilèges. Ils partageaient quelques cours ensemble et il ne l’avait jamais vu terminer sa composition dans le couloir, juste avant l’entrée en cours, comme certains de leurs camarades le faisaient. Il n’était pas coutumier du fait lui non plus, mais ces différentes dissertations ne lui ramenaient jamais d’aussi bons résultats que ceux de Sasha. Toutes matières confondues, il pouvait compter sur une seule main le nombre d’Effort Exceptionnel qu’il avait reçu ce trimestre.  Quand aux Optimal, le calcul était vite fait, il n’en avait eu aucun. Et ce n’était pas faute de travailler pourtant !
Tout le monde ne pouvait pas avoir les mêmes facilités que sa petite amie. Sa petite amie. Cette relation en avait étonnée plus d’un au sein de l’école et Casey avait du subir les questions de ses camarades de dortoir. Comment avait-il fait, lui qui n’alignait pas deux mots, pour draguer Sasha Benson ? Casey avait esquivé toutes les interrogations avec plus ou moins de gêne mais il avait entendu  plusieurs fois ses camarades de chambrée chuchoter alors qu’ils le pensaient endormi dans son lit.

« Je pense que  Sasha ne lui a même pas demandé son avis. Elle a fourré sa langue au fond de sa bouche…et voila ! »
-Mais qu’est-ce qu’elle lui trouve franchement ?
-Et lui, qu’est-ce qu’il trouve à Benson ! ? Tu aimerai sortir avec une miss-je-sais-tout-despotique ? Tu as vu dans quel état il est depuis qu’il sort avec elle ? Il sursaute dès qu’il entend une porte qui claque.»

Casey avait fermé les yeux très fort et il avait lentement enfoncé ses index au fond de ses oreilles pour ne plus entendre les stupidités de ses camarades. Ils dans ne comprenaient rien. Absolument rien. Sasha était justement la seule personne qui l’aidait à aller mieux. Il ne savait pas ce qu’il aurait fait sans elle. Durant les moments qu’ils passaient ensemble, il en oubliait presque son agression. Bien sûr il ne parvenait pas totalement à faire abstraction de sa cicatrice qu’il cherchait encore à camouffler par tout les moyens mais Sasha l’aidait à aller de l’avant. Il aimait l’écouter parler -elle était tellement intelligente- et il ne se lassait pas de la regarder. Cela suffisait à apaiser ses craintes. Avec elle, il se sentait bien, du moins jusqu’à ce qu’elle prononce la phrase tant redoutée :

"Il faut qu'on parle."

La petite bulle de confort et de quiétude éclata subitement « Plop ! »

Non, Casey ne voulait pas parler. Il voulait juste écouter Sasha lui raconter sa soirée durant le trajet qui les menait jusqu’à la Grande Salle. Casey chérissait plus que tout cette routine rassurante. Elle allait lui expliquer que des petits Serpentard s’étaient montrés bruyants la veille et, qu’en tant que préfète, elle les avait recadré avec professionnalisme. Elle allait ensuite lui dire ce qu’elle avait mis dans sa copie de Sortilèges et il allait se rendre compte à quel point son propre devoir comportait des lacunes et enfin ils allaient s’embrasser juste avant d’arriver dans le réfectoire et ils allaient rejoindre chacun la table de leur maison. C’était comme cela que cette matinée devait se passer, pas autrement !

Lorsqu’il la vit pénétrer dans la salle de potions, il sut qu’il n’allait pas couper à cette discussion. Elle allait le larguer, il n’y avait pas d’autres scénario envisageable. Il la suivit docilement, le cœur battant, et resta tout penaud au milieu de la pièce, incapable de savoir ce qu’il devait dire. Il tordait ses mains dans tout  les sens,  signe que cette confrontation à venir le rendait particulièrement nerveux. Plus Sasha avait l’air sûre d’elle, moins il s’affirmait, hors le ton autoritaire qu’elle avait employé ne l’invitait pas particulièrement à se sentir à l’aise.

"Qu'est-ce qui ne va pas ?" demanda-t-elle alors. Elle ne semblait pas en colère mais son attitude volontaire ne souffrait d’aucune ambigüité : Elle tenait à cette conversation.

« Rien…ça va… » balbutia-t-il sans trop savoir où Sasha voulait en venir. Il n’avait pas l’impression d’être différent de d’habitude. Au contraire. Tout s’était exactement passé comme toujours : Il l’avait attendu dans le couloir. Ils s’étaient embrassés. Il avait pris de ses nouvelles. Où était le problème ? Qu’avait-il fait de travers pour qu’elle veuille en découdre ?
« Tout va bien je t’assure. » répéta-t-il. Il voulait juste retourner dans le couloir et marcher avec elle jusqu’à la Grande Salle.
Rien de plus.

Sasha fit un pas en arrière pour s’appuyer sur l’un des bureau de la salle et elle l’invita à faire de même. Casey n’avait pas envie de s’asseoir mais il s’installa tout de même face à elle pour ne pas la froisser davantage. Il voyait bien qu’elle était remontée contre lui et il ne comprenait pas pourquoi. Qu’avait-il fait de mal ?
Casey releva les yeux vers sa petite amie et les rebaissa instantanément lorsqu’elle l’accusa de lui mentir.  C’était faux. Il ne lui mentait pas. Avec elle, il allait bien, il était heureux de la voir, il aimait passer du temps en sa compagnie, lui tenir la main, l’embrasser…

Ce revirement soudain dans le comportement de sa petite-amie l’inquiétait au plus haut point. Il n’avait pas l’impression d’avoir changé depuis trois mois. Bien sûr il avait eu un été difficile mais il s’efforçait de ne pas faire rejaillir ses problèmes sur sa relation avec Sasha. Il n’avait jamais évoqué son agression avec elle parce qu’ils voulait plus que tout que leur couple reste cette bulle de chaleur et de réconfort mais aujourd’hui tout s’effondrait. Allaient-ils rompre ? Voulait-elle qu’ils se séparent ? En avait-elle assez de lui ?

« Est-ce que...C'est à cause de moi ?"

La question de Sasha le laissa abasourdi. Casey releva les yeux vers elle et secoua la tête avec vigueur. Comment pouvait-elle se remettre en question.
« Absolument pas ! s’exclama-t-il soucieux de la rassurer, Tu es la meilleure chose qui me soit arrivée, Sasha. Ses propres paroles le firent rougir et il pencha la tête sur ses mains nouées. Il n’avait pas pour habitude de dévoiler ainsi ses sentiments mais il était guidé par l’urgence de la situation. Il ne voulait pas la perdre. Cette éventualité lui comprimait la poitrine et il sentait sa respiration s’accélérer. C’est juste que …que..je comprends pas pourquoi on a cette discussion, osa-t-il objecter en relevant les yeux sur elle, Tout allait bien et d’un coup, tu m’accuses de te mentir. Il secoua de nouveau la tête. Il aurait préféré ne pas avoir à le dire sous la contrainte mais c’était peut-être le moment pour lui avouer qu’il tenait à elle et qu’il l’aimait. Il n’avait pas encore osé franchir ce pas depuis trois mois bien qu’il soit tout à fait sûr de ses sentiments envers elle. Il n’avait jamais ressenti cela pour personne avant, Je... Je suis bien avec toi, je t’assure… »

"Ton bras est guéri. » lâcha-t-elle alors de but en blanc. Casey accueillit cette remarque comme si Sasha lui avait envoyé un uppercut en pleine face. Il était en train de lui déclarer son amour et…et…elle lui parlait de son bras.  Il se savait trop sensible, à fleur de peau même,  mais cette remarque –et surtout son timing- raisonnait en lui avec violence. Elle n’avait pas pensé à mal, songea-t-il immédiatement pour panser son cœur meurtri, elle prenait des nouvelles de son état de santé, tenta-t-il de se persuader. Casey était toujours prompt à excuser le manque de tact de sa petite-amie. Il savait qu’il prenait les choses trop à cœur et qu’il devait laisser couler. Sa capacité à encaisser les vexations était réduite alors il compensait avec son bon cœur quitte à se fragiliser encore davantage. Il s’apprêtait à lui répondre lorsqu’elle sembla remettre en doute la durée de cicatrisation d’un ton méfiant.

Pourquoi cherchait-elle à le tourmenter avec cette insinuation ? Casey détestait ce procédé détourné. Avec cette phrase pleine de sous entendus, Sasha distillait un climat inconfortable dans la pièce. Elle le savait. Forcément. Elle était intelligente, pourquoi cherchait-elle à le rendre encore plus mal qu’il ne l’était déjà?
Si elle avait remarqué quelque chose d’étrange avec son bras elle n’avait qu’à le lui dire plutôt que de se montrer si fourbe, songea Casey en repliant ses bras contre son torse, comme pour se protéger. Il se sentait blessé qu’elle utilise cette technique avec lui. Il ne parlait peut-être pas aussi bien qu’elle mais la cruauté de cette situation ne lui échappait pas. Sasha avait deviné. Elle savait que sa blessure n’était pas naturelle. Elle se doutait qu’il y avait un lien entre sa sensibilité exacerbée des derniers mois et ce bandage qu’il avait porté sur son avant-bras trop longtemps. Beaucoup trop longtemps.

Pourtant, elle cherchait à le faire culpabiliser davantage. Était-ce si difficile de lui exposer ces conclusions sereinement et calmement ?

Alors oui, peut-être qu’il n’avait pas joué franc-jeu avec elle mais il n’avait agi ainsi que pour préserver leur histoire naissante. Lorsqu’ils s’étaient retrouvés en tête à tête dans le Poudlard Express en septembre, il n’avait pas trouvé le courage de lui expliquer son agression. Quel genre de garçon entamait une relation en se lamentant sur son sort ? Et puis, elle était si heureuse à l’idée de lui raconter la fin de son camps d’été à Salem qu’il n’avait pas eu à cœur de casser l’ambiance. Il lui avait dit s’être foulé le poignet en tombant et ils en étaient restés là. Sa blessure n’était plus jamais revenue dans la conversation. Jusqu’à aujourd’hui.

« Je n’ai pas envie de parler de ça. » souffla-t-il alors d’une voix hachée. Il avait mobilisé beaucoup d’énergie pour ne pas balbutier et donner corps à ses propos. Il se sentait acculé, poussé dans ses retranchements mais il ne tenait pas à jouer le jeu des sous-entendus et il refusait que Sasha le traite ainsi. Il était prêt à encaisser beaucoup de choses par amour pour elle mais il estimait mériter un autre traitement, je…je peux gérer ça tout seul. » affirma-t-il alors, la gorge serrée par le stress et l’émotion que cette conversation lui inspirait.

Il espérait que Sasha allait se montrer aussi compréhensive que lui lorsque, cet été, il avait été question de l’affaire Sorden. Il avait respecté sa décision sans insister et il n’en attendait pas moins d’elle aujourd’hui.

Est-ce que cacher la vérité était une forme de mensonge ?Surement mais pour le moment Casey n’était pas en mesure de réfléchir à cette question. Il se sentait acculé, poussé dans ses retranchements si bien que son cerveau était dans l’incapacité de trouver une pirouette pour se sortir de là.

Surtout que Sasha avait trouvé le bon angle d’attaque. Elle savait. Du moins, elle avait deviné que sa blessure n’était pas étrangère à son comportement étrange des derniers mois. Tout dans son attitude montrait qu’elle se sentait trahie par cette omission volontaire et qu’elle entendait bien le lui faire comprendre.
Cette méthode frontale n’eut qu’un seul résultat : Pousser Casey dans un profond mutisme qui ne consistait qu’à nier l’évidence. Il se sentait agressé et il ne comprenait pas l’approche violente de sa petite amie. La respiration du Poufsouffle devenait de plus en plus saccadée, l’air lui manquait, il suffoquait et le spectre de la crise d’angoisse dont il avait été victime chez les Barclay planait maintenant au dessus de lui. Pas ça. Il ne voulait pas que cela recommence. Il s’était ridiculisé devant Balthazar et il ne tenait pas à retraverser le même état d’anxiété, encore moins devant sa petite amie. Cette simple idée le rendait encore plus nerveux. Un vrai cercle vicieux.

Casey se força à fixer son regard brillant sur l’angle supérieur de la pièce et tenta de respirer lentement et amplement pour calmer son appréhension. Il sentait la crise arriver mais il espérait encore pouvoir gérer cette situation seul, bien que Sasha lui affirma qu’il n’avait pas à le faire. Il n’avait pas à porter le poids de cette agression sur ses épaules. Oui, il était celui qui avait insisté pour que l’incident ne s’ébruite pas. Il ne voulait pas être stigmatisé par les autres, vu comme une victime. Il était déjà moqué quelque fois pour sa timidité et sa maladresse, c’était largement suffisant. Ne pas se faire remarquer, telle était sa devise.

Le ton radouci de Sasha et son attitude soudainement plus conciliante le réconforta quelque peu. Une chose était certaine avec Casey, vouloir passer en force s’avérait rédhibitoire. Elle s’approcha de lui et il hésita à se dérober lorsqu’elle posa sa main sur la sienne en signe de soutien. Son ton sec et ses sous-entendus raisonnaient encore à son esprit mais il ne pouvait pas nier que cette simple étreinte le réconfortait bien plus que n’importe quel traitement de Rachelle Silvester.

L’adolescent tourna la tête pour observa Sasha. Elle promettait qu’elle saurait garder son secret. Il n’en doutait pas une seule seconde. Sa principale réticence à lui dire la vérité résidait dans le fait qu’il n’offrait pas l’image du parfait petit-ami équilibré. Officiellement, Il n’y était pour rien dans cette agression mais, au fond de lui, il savait que l’homme l’avait choisi à dessein. Il était le plus docile des enfants Forbes. L’agresseur ne s’en était pas pris à Gabriel, le plus jeune pourtant, mais à lui, uniquement parce qu’il savait qu’il se laisserait malmener. Cette faiblesse de caractère l’empêchait de s’envisager comme une victime innocente. S’il avait été un peu plus affirmé les choses auraient surement été différentes.

Pourtant il ne pouvait pas expliquer toute cette histoire à Sasha. Lui parler des menaces de son agresseur…et de celles de son frère. Elle ne comprendrait pas. Elle allait accuser Virgil de l’avoir laissé tomber –ce qui n’était pas faux- et elle ne saisirait surement pas pourquoi, lui,  il s’était laissé faire. Elle était fille unique, le fonctionnement compliqué d’une fratrie –émaillé de non-dits, de secrets, de compromis et d’accords tacites- lui était étranger.

Toutefois, il pouvait lui livrer une partie de son expérience. Elle était sa petite-amie et de toute évidence, elle ne souhaitait pas rompre avec lui comme il l’avait pensé initialement. Les bases d’une relation saine ne résidaient-elles pas dans le dialogue ? Fort de ce constat, Casey prit une profonde inspiration.

« Je me suis fait agresser. Lâcha-t-il sans préambule, sur le Chemin de Traverse, à peine quelques jours avant la rentrée. L’homme m’a… , torturé ? Le mot était fort, trop fort pour que Casey puisse le verbaliser de la sorte. Il ne voulait pas inspirer la pitié de sa petite-amie. Tout, mais pas ça,… il m’a violenté. »
L’adolescent déglutit péniblement et reprit :
« Il a réussi à s’enfuir et la Police Magique ne l’a pas encore retrouvé. » expliqua-t-il en luttant pour apparaitre le plus digne possible. Conscient que les tremblements de sa main sous celle de Sasha le trahissaient, il se dégagea doucement et croisa les bras sur son torse, les épaules rentrées. Il risqua un regard anxieux en direction de sa petite amie –il avait un peu peur qu’elle s’énerve d’avoir été maintenue dans l’ignorance – et s’empressa d’ajouter.
« Je…je ne voulais pas t’embêter avec ça. Ta rentrée était parfaite : Tu revenais de Salem, tu étais promue préfète, on sortait ensemble…je ne voulais pas gâcher ce moment. »
Casey se sentit soudainement très malheureux.
« Et… c’était pas un mensonge. » lâcha-t-il alors d’une voix éraillée comme pour se justifier « Je voulais juste nous préserver, c’est tout. Je me disais que si je n’en parlais pas, cela finirait par ne jamais avoir existé. En quelque sorte. » Il suffisait de loger ce souvenir dans un coin de son esprit et de ne plus y revenir. Jamais. Faire comme si rien ne s’était passé. Le genre de chose plus facile à dire qu’à faire… Casey passa une main sur son visage en soupira.  « Tu as réussi à gérer des choses terribles dans ta vie, sans jamais flancher ou t’en plaindre… je me disais que je pouvais réussir à encaisser, moi aussi. »

Lorsque Sasha affirma qu’il n’aurait jamais du garder cela pour lui, Casey haussa brièvement les épaules. Il avait estimé –et il estimait toujours- qu’il s’agissait de la meilleure chose à faire. Il n’aurait pas supporté d’être vu comme une bête curieuse. Ses camarades de dortoir auraient voulu lui poser des questions, voir sa cicatrice. On aurait parlé de lui dans toute l’école sur son passage. Non, il était incapable d’envisager un tel scénario. Il ne cherchait pas à être mi en lumière, bien au contraire. Il était rassuré par le doux ronronnement de son quotidien répétitif et de son relatif anonymat au sein de l’école. Les rares événements qui l’avaient rendus plus visibles aux yeux de ses camarades – la nomination de son père comme professeur et la liaison de ce dernier avec Thelma Corrigan- n’avaient fait qu’accroitre son mal-être. Il ne savait pas quoi répondre aux remarques. Il n’avait pas de réparties. Sa relation avec Sasha avait aussi essuyé son lot de commentaires plus ou moins sympathiques, commentaires qu’il avait fait mine de ne pas entendre, la plupart du temps.

Casey fuyait toute forme de confrontation mais il n’avait pas pu échapper cette fois à l’insistance de sa petite amie. L’adolescent releva les yeux sur Sasha, assise à côté de lui sur le bureau, battant l’air des pieds.

Elle affirmait que l’affaire Sorden n’avait rien à voir avec ce qu’il avait vécu –peut-être - mais Casey était tout à fait en capacité de comparer comment Sasha avait géré la médiatisation de cette histoire –avec force et dignité- et comment il venait de réagir à l’instant – frôlant l’arrêt cardiaque.

"Je suis désolée » finit par dire sa petite-amie en croisant son regard.
« C’est pas grave » assura-t-il . Il ne voulait pas que Sasha se sente mal à cause de lui. Elle était sa petite-amie et elle avait juste voulu qu’il se libère de ce poids, même s’il s’était senti quelque peu malmené par sa volonté de fer et ses sous-entendus, il comprenait sa démarche, t’as pas à t’excuser. »

Le Poufsouffle poussa un long soupir. Il n’arrivait pas à savoir si cette conversation le soulageait ou pas. C’était une épreuve à traverser, incontestablement, mais se sentait-il mieux à l’idée de ne plus porter ce fardeau seul ?

Il lui faudrait surement un peu plus de temps pour constater les effets –bénéfiques ou non- de cet aveu. Tout ce qu’il espérait au fond, c’était que Sasha tienne parole et qu’elle n’en parle à personne, même pas à Cindy. Sa camarade reprit d’ailleurs la conversation pour obtenir quelques détails sur l’agression. Casey ferma les paupières et déglutit avant de reporter son attention sur la manche de son pull. L’émotion était telle qu’il pouvait sentir son sang pulser dans la cicatrice sous ses vêtements. Le mot POISON semblait gonfler au rythme de ses battements de cœur.

« Oui c’est…c’est lui qui m’a blessé avec un maléfice de découpe, expliqua-t-il alors, il a utilisé un …un sortilège de magie noire qui empêche la plaie de cicatriser. Les médicomages de Sainte Mangouste n’étaient pas sûrs qu’elle puisse se refermer un jour  mais ils ont fait appel à des spécialistes pour élaborer un protocole quotidien de soins. Casey se tut quelques instants. C’est pour ça que je vais tous les jours à l’infirmerie voir Mme Silvester. Parler du traitement mi en place était nettement plus facile que d’évoquer l’agression en elle-même, elle commence par nettoyer la plaie puis elle enchaine sur toute une série de sortilèges de cicatrisation assez compliqués et enfin elle refait le pansement. C’est plutôt en bonne voie de guérison. J’aurais...J'aurais une cicatrice mais au moins elle ne sera pas à vif. »

Un peu gêné par toutes ces confessions, Casey se hissa sur le bureau à côté de Sasha et coinça ses mains jointes entre ses cuisses.

« Je compte sur toi pour ne rien dire à personne – tu m’as promis-, lui rappela-t-il, Il n’y a que mes frères, mon père et l’équipe pédagogique qui sont au courant et je n’ai pas du tout envie que cet événement s’ébruite. »

Cette hypothèse lui faisait horreur. Il n’osait même pas imaginer l’état de détresse dans lequel il serait plongé si tout le monde était au courant. Il avait déjà bien du mal à vivre avec le mot poison écrit sur son bras, c’était largement suffisant. L’adolescent reporta son attention sur sa petite-amie. C’était la première fois, en quatre mois de relation qu’ils parlaient de choses aussi intimes. Portés par les confidences qu’il avait lui-même faites, Casey inclina légèrement la tête sur le côté et se décida finalement à briser le silence.

« Co…Comment tu as fait pour gérer l’après Sorden… Je veux dire… Toute la médiatisation autour de l’affaire et de ton implication dans sa mort. Casey  se tut et s’empressa d’ajouter, je ne veux pas te forcer à me parler de ce qui s’est passé si tu n’en as pas envie, je veux juste savoir comment… comment tu as réussi à… Il chercha les bons mots pour exprimer son souhait le plus cher,…à retrouver une vie normale. »

Casey esquissa un sourire timide en entendant Sasha lui assurer que sa cicatrice lui donnait un petit côté aventurier. Il appréciait les efforts qu’elle faisait pour dédramatiser la situation -surtout après l’avoir quelque peu bousculé- mais il avait encore un peu de mal à se sentir mieux.

Il avait fait un récit volontairement tronqué des événements de cette journée et il avait notamment passé sous silence l’implication de Virgil dans cette histoire.  Toutefois aucun détail ne semblait échapper à Sasha. Assise à côté de lui, elle réfléchissait tout haut, essayant de mettre en lumière les intentions et les motivations de l’agresseur . Si elle ne réussissait pas dans le droit magique, Casey lui promettait une belle carrière en tant qu’Aurors. Il ne lui fallut pas plus d’une minute pour en arriver à la conclusion qui s’imposait : Le déséquilibré avait agit à dessein.

Casey reporta son attention sur ses mains jointes devant tant de clairvoyance. Sasha était vraiment intimidante parfois. L’adolescent déglutit et  mobilisa toute son énergie pour lui répondre de la manière la plus détachée possible :

« Non il ne m’a rien volé. La PM n’a pas vraiment de piste. Les enquêteurs pensent qu’il était sous polynectar. »

Casey mordilla l’ongle de son pouce –déjà bien rongé- et tourna légèrement la tête pour observer Sasha. Il espérait qu’elle n’allait pas insister. Peut-être qu’il lui en dirait davantage, plus tard. Il avait besoin de se préparer pour cette nouvelle épreuve afin de ne pas être pris au dépourvu comme aujourd’hui. Casey n’aimait pas être acculé et il se promit intérieurement qu’il ferait le premier pas la prochaine fois.
Il était obligé de constater que cette conversation venait de briser une barrière invisible entre eux. Elle les avait même rapprochée et c’était surement la première fois, depuis qu’ils étaient ensemble tous les deux, qu’ils parlaient de sujets aussi intimes. Portés par ses propres confessions, Casey interrogea Sasha sur la manière dont elle avait géré le traumatisme de l’Affaire Sorden. Personnellement, il avait beaucoup de mal à faire face à ses angoisses au quotidien, même avec l’aide de Rachelle Silvester, et il se demandait si sa petite amie était passé par les mêmes moments difficiles.

La réponse qu’elle lui fit l’étonna vraiment. Essayer de tirer profit de la situation ? Merlin, cela ne lui serait jamais venu à l’esprit et il ne voyait même pas comment tirer du positif dans son agression . Plus il connaissait Sasha, plus il constatait qu’ils n’abordaient pas la vie de la même manière.

Etait-ce vraiment une opportunité d’être témoin de la mort d’une personne à seulement 12 ans ?  

Sasha semblait le croire, ou en tout cas, elle voulait y croire.

Casey l’observa un instant en silence, cherchant à décrypter sa manière de penser à travers son récit. Elle ne revenait pas sur l’aspect négatif de cette expérience. A aucun moment il ne fut question de son enlèvement, de  la mort de l’arithmancienne, de la manière dont son accointance avec Sorden l’avait mise à l’écart de nombreux élèves et l’isolait encore aujourd’hui au sein de Poudlard.  Elle focalisait sur le positif pour ne pas se laisser entraver.

Pourtant, des séquelles, des cicatrices, des peurs, elle en avait - elle le lui confessa à demi-mot, les yeux posés sur ses pieds comme si elle avait honte d’être faillible. Pourtant, ce fut cette partie du récit qui créa le plus de résonnances en Casey et celle qui le rassura le plus sur ses propres facultés et ses capacités à avancer.
Sasha n’était ni surhumaine ni inhumaine. Elle avait traversé cette période compliquée et elle s’en était sortie. Pourquoi pas lui ? Elle avait raison, ils ne pouvaient rien changer à ce qui s’était passé mais allait-il vraiment pouvoir se débarrasser de ce sentiment d’angoisse quotidien ?

La peur, ça finit par partir.

Et s’il arrêtait d’avoir peur, maintenant, ici. Que craignait-il au juste, seul, dans cette salle de classe avec sa petite amie ? Il était avec Sasha –même s’ils ne se comprenaient pas toujours, il était sûr qu’elle ne lui voulait aucun mal. Elle lui faisait assez confiance pour lui laisser entrevoir ses faiblesses et cela lui donnait envie de croire en lui.

Arrêter d’avoir peur, cela passait peut-être par une petite victoire sur soi-même dès aujourd’hui. L’adolescent prit une profonde inspiration, releva la manche de son pull et défit le bouton de sa chemise. Il enroula soigneusement la manche sur elle-même, laissant apparaitre les lettres roses au grand jour, une à une.

Poison.

Voilà, il venait de faire un premier pas vers l’acceptation.
« Un mal pour un bien tu dis ? » reprit-il alors sans détacher son regard de l’inscription sur son bras, Le côté positif de cette agression, commença-t-il en réfléchissant à voix haute,…c’est que … Il inclina sa tête sur le côté, grâce à cette cicatrice on a pu se parler toi et moi. » Casey laissa passer un silence. « Se parler vraiment je veux dire. » Il attrapa la main de Sasha dans la sienne et releva les yeux vers elle : «  Je sais que je parle pas beaucoup – c’est difficile pour moi-  mais… je pense qu’en fait on est un peu pareil tous les deux… avoua-t-il finalement, Alors oui, tu es capable de disserter sur des centaines de sujets différents, mais les choses qui te touchent vraiment tu n’en dis rien. Jamais. Même aujourd’hui, il esquissa un sourire, On les devine juste dans tes silences. »

Casey avait l’impression que quelque chose venait de changer dans sa relation avec Sasha. Comme s’ils venaient de franchir un cap important de leur histoire commune. En tout cas, il était sûr d’avoir vécu une expérience formatrice aujourd’hui : Une expérience douloureuse, bouleversante mais… utile, en quelque sorte.

L’adolescent pressa doucement la main de Sasha. Contre toute attente, ses confidences –si difficilement arrachées- lui avaient fait du bien. Il avait pu échanger sur son vécu et son ressenti avec sa petite amie et il en venait même à se demander pourquoi il avait gardé le silence sur son agression tout ce temps. Certes, il n’avait pas voulu embêter Sasha avec cette histoire mais était-ce vraiment l’embêter que de lui expliquer les raisons de son mal être des derniers mois ?

A la lumière de l’explication qu’ils venaient d’avoir, il se rendait compte à quel point il aurait du parler plus tôt au lieu de s’enfermer dans ce mensonge par omission. Sasha venait de lui donner une leçon sur la vie de couple : Ils devaient se soutenir dans les bons  comme dans les mauvais moments et ne pas avoir peur du jugement de l’autre.

Certes, Sasha l’avait quelque peu brusqué pour lui faire comprendre cet état de fait mais Casey était soucieux maintenant de lui renvoyer la pareille. Elle aussi, elle pouvait parler librement de ses problèmes, de ses doutes, sans craintes d’être jugée ou incomprise. Ses propres confidences avaient amené sa petite-amie à se dévoiler un peu plus, à demi mot,  ou en tout cas, à laisser entrevoir un pan de sa personnalité que Casey ne connaissait pas encore. Sa belle assurance ne s’était pas fissurée –loin de là, Sasha semblait toujours aussi sûre d’elle- mais Casey devinait dorénavant le travail considérable que sa petite amie avait du faire sur elle-même pour être la jeune femme qu’elle était aujourd’hui.

Il aurait voulu qu’elle lui parle un peu plus de tout cela et qu’elle ne s’arrête pas aux quelques phrases sibyllines prononcées « La peur ça finit par partir. » La peur ? La peur de quoi ? De qui ? Pourquoi ne lui parlait-elle pas à cœur ouvert comme il venait de le faire. Il ne se souvenait pas avoir eu une conversation aussi intime avec qui que ce soit, même pas avec ses propres parents, et il avait l’impression d’être touché par un état de grâce maintenant. Ses propres confidences, en appelaient d’autres en retour, forcément, pour un juste équilibre de leur relation. Casey estimait  qu’il pouvait aborder certains sujets restés tabous entre eux…et peut-être même tabous pour Sasha elle-même qui semblait avoir enfoui tous les aspects négatifs de ses expériences. Il se sentait légitime pour se montrer aussi insistant qu’elle, avec peut-être un peu plus de douceur toutefois.

« Tu sais que…toi aussi tu peux tout me dire. »
Pour la première fois depuis qu’il la cotoyait, Sasha sembla hésiter.
«  C’est juste que…Si je commence, je ne suis pas sûre de pouvoir m’arrêter. »
« Je peux tout entendre. » assura-t-il. Un fou avait gravé le mot poison dans sa chair - à vie- juste pour envoyer un message à Virgil. Il savait à quel point l’espèce humaine pouvait être horrible.
« Je suis quand même plus bavarde que toi. »
Il secoua légèrement la tête sans la quitter des yeux.
« Ça ne me gène pas. »
«  Et puis, on a cours dans vingt minutes. »
Sasha faisait tout pour esquiver, pour se soustraire à lui. Certes, Casey la sentait un peu sur la réserve mais il n'imaginait pas à quel point elle se sentait acculée, prise au piège et terrifiée.
« De quoi as tu peur Sasha ? » demanda-t-il alors en resserrant légèrement sa prise autour de la main de la jeune fille.

Sasha et Casey venaient de franchir un pas dans leur relation. Il y avait dorénavant quelque chose de  plus profond entre eux,  de plus intime aussi. Ils n’étaient plus seulement deux enfants se tenant la main dans les couloirs de l’école et se bécotant de temps en temps entre deux conversations futiles. Ils pouvaient  maintenant être là l’un pour l’autre, estimait le jeune homme qui pressa doucement la main de sa petite amie, comme pour l’inviter à se confier à lui en juste retour des choses.
La réaction de Sasha ne se fit pas attendre longtemps mais elle ne fut pas celle escomptée, loin de là. La Serpentard retira brusquement sa main de celle de Casey et s’éloigna de lui tout aussi rapidement comme s’il venait de l’agresser. Le Poufsouffle resta interdit devant cette attitude aussi abrupte qu’inattendue. Il ne comprenait pas. Quelques instants plus tôt, elle était douce et gentille et maintenant, elle lui parlait aussi sèchement que dans le couloir. Comment pouvait-elle changer aussi rapidement de comportement ? Il se sentait déstabilisé, désarçonné.

Casey glissa du bureau pour se mettre debout mais resta à bonne distance de Sasha, pressentant que c’était le mieux à faire.

« Je … excuse-moi… Je  pensais que…  balbutia-t-il les mains nouées entre elles.
La belle assurance que Sasha avait réussi à lui insuffler quelques instants plus tôt venait de s’envoler . Le Poufsoufle tira sur la manche de son pull pour recouvrir sa cicatrice et déglutit avec appréhension. Il se sentait de nouveau vulnérable et il constata avec horreur qu’il craignait même la réaction de sa petite amie. Il pouvait le voir à son expression, elle n’était pas simplement ébranlée par ses questions mais en colère contre lui. Il aurait tout donné pour revenir quelques instants en arrière et être de nouveau assis, épaule contre épaule, tout prêt d’elle. il ne savait pas précisément ce qu’il avait fait de mal mais il tenait à rattraper le coup.


« Je…Je … -arrête de balbutier s’intima-t-il en fermant brièvement les yeux. Il savait que ses bégaiements  agaçaient Sasha. Bien qu’elle ne lui ai jamais rien dit à ce propos, il l’avait senti. Inconsciemment, il s’était mi à adapter son comportement pour lui faire plaisir. Quand elle était dans un bon jour, c’était facile de lui parler, mais lorsqu’elle était un peu irritée, il réfléchissait  longuement à chaque phrase avant de les prononcer afin qu’elles ne soient pas entrecoupées de silences. Il ne tenait pas à accroitre l’agacement de sa petite amie.
Malheureusement aujourd’hui, il n’avait pas vraiment le temps, ni les facultés, pour agir ainsi. L’urgence de la situation  l’obligeait à se presser. Il voulait à tout prix éteindre le feu qu’il avait allumé, Je… Je ne voulais pas te brusqu…

"Tu veux savoir ce qui s'est vraiment passé avec Sorden ?" cracha-t-elle alors avec une lueur de folie au fond des yeux qui le fit taire instantanément. Casey ne l’avait jamais vu ainsi. Ses pupilles claires et féroces étaient braquées sur lui et s’il n’avait pas déjà été acculé tout contre le bureau, il aurait probablement fait un pas en arrière sous l’insistance de son regard. Sasha semblait le défier : « Tu veux savoir ? Tu vas savoir. »

Pourtant il ne le voulait pas. Il ne le voulait plus, pas dans ces conditions en tout cas. L’adolescent déglutit et garda le silence avant de secouer la tête négativement en guise de réponse. Elle n’était pas obligée. Elle pouvait attendre et laisser retomber cette colère.

"Je l'ai poussé sur une plante carnivore et je l'ai regardée se faire dévorer vivante."

Pour toute réaction, les yeux de Casey s’arrondirent de surprise. Il n’arrivait plus à penser, tétanisé qu’il était par les aveux de sa petite amie. Sasha avait tué quelqu’un.  Ces mots tournaient dans sa tête mais ils refusaient de s’imprimer en lui, comme dépourvus de sens.

Sasha était une meurtrière. Une tueuse.

L’implacable Sorden se matérialisa alors dans l’esprit du jeune homme, puis l’énorme plante carnivore aux dents acérées, et enfin, Sasha -portée par cette énergie dévastatrice qu’il venait d’entrevoir en elle- poussant l’arithmancienne et observant ce spectacle de ses yeux déments.

Sans quitter la jeune femme du regard, Casey s’accrocha au rebord du bureau et le pressa de toutes ses forces. Les battements de son cœur pulsaient jusque dans ses tempes, ses jambes tremblaient et il se sentait à deux doigts d’une nouvelle crise d’angoisse, mais pourtant quelque chose le maintenait ardemment dans le présent, exactement  comme lors de son agression : Un sentiment de peur intense qui perdura de longues secondes, même après que Sasha se soit soudainement calmée.

Après cet aveu terrible, sa colère était retombée aussi rapidement qu’elle était venue. Sasha était redevenue la  Sasha qu’il connaissait, du moins, qu’il croyait connaitre. Qu’ils pensaient tous connaitre. Combien étaient-ils à l’avoir vu sous ce jour là – presque folle, démente ?

Casey desserra lentement ses mains du bord du bureau et resta les bras ballants le long du corps, le regard braqué sur Sasha, guettant ses réactions et les traits de son visage. Il s’attendait à tout moment à voir ressurgir l’Autre Sasha si bien que sa perception de la jeune femme était totalement embrouillée dans son esprit. Elle lui inspirait des sentiments contradictoires entre compassion et répulsion. Il avait sous les yeux cette fille, à la fois fragile et terrible. Touchante et distante. Sincère et …terrifiante.

« T'es content ?"  demanda-t-elle alors comme si tout était de sa faute à lui, comme s’il était le responsable de cette situation critique.
« Non,…Non, je ne suis pas content. » répondit-il avec un peu plus de vigueur.« Pourquoi est-ce que je serai content de savoir que tu as tué quelqu’un, Sasha ? » ajouta-t-il en secouant la tête d’incompréhension.

Casey voyait parfaitement que Sasha n’allait pas bien mais il hésitait sur la marche à suivre tant il était tiraillé.

Le jeune homme risqua un regard en direction de la porte d’entrée de la salle. Sasha était folle. Elle avait en elle une noirceur insoupçonnée, une noirceur qui la consumait littéralement de l’intérieur. Elle arrivait à la camoufler, la plupart du temps, mais cette folie restait tapie en elle et pouvait exploser à tout moment avec violence. Pouvait-il endurer cette instabilité ? Etait-il capable de partager la vie d’une fille qui avait laissé mourir un être humain ?

Mais cette violence n’était-elle pas un moyen pour elle de lutter, de s’accrocher à la vie, de ne pas sombrer ? Casey reporta son attention sur Sasha et expira lentement. Il savait très bien qu’ils ne géraient pas leurs traumatismes de la même manière l’un et l’autre. Elle semblait lasse et surtout elle paraissait vraiment seule avec ses démons. Pour la première fois, elle lui apparaissait comme quelqu’un de vulnérable. Elle s’était ouverte à lui et, d’une certaine manière, elle lui avait fait confiance pour lui révéler ce terrible secret. Qu’allait-il faire en retour ? Sortir d’ici et claquer la porte derrière lui ?

L’empathie naturelle de Casey le poussait à aller vers elle, à faire un pas dans sa direction mais il en était incapable. Maintenant qu’elle s’était fait une place dans son esprit, l’image de la Sasha meurtrière n’arrivait pas à s’effacer. Sa petite-amie  lui faisait peur. Elle avait déjà mal réagi lorsqu’il avait tenté un rapprochement entre eux et il tenait pas à réitérer l’expérience surtout maintenant qu’il savait ce dont elle était capable. Pourtant il ne pouvait pas non plus se résoudre à l’abandonner ici sans essayer, au moins une dernière fois, de la comprendre.

« Pourquoi est-ce que tu l’as poussée ? » demanda-t-il alors sans ciller cette fois. Pour la première fois dans leur histoire commune, il avait l’impression de s’adresser à elle sur le même pied d’égalité. Il était conscient que la réponse qu’elle allait lui faire conditionnerait la suite de leur relation mais il était prêt à tout entendre…

En posant cette question, Casey voulait sans nul doute être convaincu. Convaincu que Sasha avait agi par légitime défense. Elle n’avait pas eu le choix, il n’existait pas d’autre issue possible pour elle que de pousser Ana Sorden dans  le gosier d’une plante carnivore.
"Elle m'aurait tuée si elle avait pu. »
L’adolescent ne pouvait pas imaginer que quelqu’un s’en prenne à sa petite amie. Cette idée même lui était intolérable. Les aveux de Sasha le bouleversait à tel point qu’il en tremblait d’émotion. Son expression désorientée contrastait pourtant avec le calme et la neutralité de la jeune femme. Il aurait voulu s’approcher d’elle, lui prendre la main ou la serrer fort dans ses bras -Personne ne devrait avoir à choisir entre sa vie et celle d’une autre personne-  mais il n’arrivait pas à esquisser le moindre geste vers elle.
Non seulement il avait peur d’être de nouveau mal accueilli mais il n’était pas sûr qu’elle ait réellement besoin -ou envie-  de ces marques d’attention et de soutien. Au contraire, elle semblait les fuir comme la peste. Casey resta silencieux, immobile, songeant aux derniers mots de sa petite amie sous un éclairage nouveau. Avec Sasha, il avait appris à lire entre les lignes : Ce n’était pas ce qu’elle disait qui était important, mais ce qu’elle taisait.
"Elle m'aurait tuée si elle avait pu. »
Sasha avait-elle pris les devants en anticipant les réactions de Sorden, en lui prêtant des intentions ? Sa petite-amie était intelligente -Casey ne le savait que trop bien- avait-elle prémédité la mort de l’arithmancienne en se sentant menacée ? Impossible, se morigéna-t-il en fermant brièvement les yeux, et pourtant, il n’arrivait pas à balayer totalement ses doutes qui s’immisçaient sournoisement dans son esprit et qui montraient Sasha sous un tout autre jour : Nettement plus sombre…

Comme pour confirmer ses craintes, sa petite amie le questionna sur l’homme qui lui avait laissé sa cicatrice sur le bras.

"Toi, si tu le pouvais, est-ce que tu ne voudrais pas tuer celui qui t'a fait ça ?

Alors que Casey était totalement perdu face à ses réflexions intérieures, cette question lui fit l’effet d’un électrochoc. Il savait très bien ce que Sasha sous-entendait par cette phrase. Il déglutit sans quitter des yeux sa petite amie. Tout son monde s’écroulait autour de lui. Il avait l’impression que la pièce dans laquelle il se trouvait était sur le point de chavirer comme une barque en pleine tempête. Rien n’était normal dans cette conversation. Absolument rien. Sasha parlait de meurtre, on ne peut plus sérieusement, comme s’il s’agissait d’un acte quasi-normal.
Il la regardait mais il ne la reconnaissait plus. Ou était donc passé cette fille brillante et intelligente qu’il croyait connaitre ?

Il avait face à lui une inconnue -tantôt agressive, tantôt vengeresse- qui cherchait sans nul doute à convoquer les plus sombres côtés de  sa personnalité.

Casey voyait bien que sa question était orientée. Sasha voulait faire ressortir ce qu’il y avait de plus mauvais en lui. En évoquant de la sorte ce récent traumatisme, elle souhaitait lui faire éprouver ce qu’elle ressentait peut-être au plus profond d’elle-même: Une haine dévastatrice.

Casey était timide –timoré même. Il dévoilait rarement le fond de sa pensée de peur que ses idées fâchent ou ne fassent pas consensus. Il ne s’opposait  jamais à rien, ni à personne et pourtant, il ne lui fallut guère plus de quelques instants de réflexion pour répondre d’un ton sidéré:

« Non ! »

Instinctivement il replia ses bras contre lui, cicatrice contre le torse. Cela restait un sujet sensible et il ne se sentait plus que jamais désorienté par cet échange.

« Non… » Il secoua la tête, réellement ébranlé. « Je voudrais qu’il..qu’il soit puni, je voudrais comprendre pourquoi il a fait ça, je…je, bégaya-t-il de plus belle, fébrile. Il aurait aimé avoir l’éloquence de Sasha à cet instant, et son pouvoir de persuasion aussi, mais il devait se contenter de ces propres armes, je  voudrais qu’il soit mi hors d’état de nuire mais… je ne veux pas le tuer, ni le voir mort. Il haleta plusieurs secondes, le rouge aux joues, le souffle court. Ni lui, ni personne d’autre. » Cette conversation lui coutait. Chaque mot était difficile à formuler, à verbaliser à voix haute mais Casey sentait qu’il devait aller au bout de sa démarche. Sasha avait son point de vue, il devait défendre le sien. « Co…comment envisager de répondre à la violence par la violence ?»

Merlin seul savait à quel point Casey était sorti ébranlé de son agression mais une chose était vraie pourtant : Il n’avait jamais nourri de rêve de vengeance à l’égard de son agresseur. Pas une seule fois il n’avait songé à lui rendre la pareille, à lui faire mal jusque dans sa chair et encore moins à l’anéantir définitivement. Par peur, peut-être, par stupidité –estimeraient certains-  mais quel-qu’en soit la raison, Sasha ne parviendrait pas à le convaincre du contraire. Il n’était pas comme tous ces gamins stupides de leur âge, ayant fréquemment recours à la loi du talion : Œil pour œil, dents pour dents. Ils étaient au dessus de ça. Elle était au dessus de ça, plus intelligente qu’eux… Du moins, Casey l’avait cru, jusqu’à aujourd’hui.

« Je ne sais pas ce qui s’est passé pour que tu en arrives à penser que tuer quelqu’un est la meilleure solution pour rendre justice, Casey releva les yeux vers elle. Il comprenait davantage pourquoi le droit l’attirait tant maintenant, peut-être que tu as toujours pensé ça d’ailleurs- Il l’observa comme pour chercher une confirmation dans cette intuition, mais moi…  je… je ne suis pas comme toi. » dit-il en secouant la tête.

Malgré ce qu’il avait traversé, il avait encore foi en l’humanité. Il était persuadé qu’il existait du bon en chacun, même en Sasha Benson. Certes  elle venait de lui dévoiler de sombres penchants insoupçonnés - qui s’avéraient plutôt incompatibles avec sa vision de la vie et ce qu’il était- mais il restait intimement convaincu que Sasha faisait du mieux qu’elle pouvait compte tenu des circonstances.

Tous les deux, ils ne géraient pas leurs traumatismes de la même manière. Ils étaient très différents, voir même diamétralement opposés. Ils ne partageaient pas les mêmes valeurs, les mêmes convictions. Avec cette conversation, Casey avait à la fois l’impression de mieux connaitre Sasha et de ne pas savoir qui elle était véritablement : Tantôt brillante, tantôt déconcertante. Il doutait d’elle, de ce qu’elle était, de sa sincérité, même  de sa personnalité…et pourtant il en était toujours amoureux, si ce n’est même davantage.

Elle n’était peut-être pas la Sasha parfaite qu’il avait idéalisée de nombreux mois mais elle était une autre fille, celle qu’il avait entraperçue aujourd’hui et qui lui avait semblé bien plus profonde et  authentique que l’irréprochable préfète.

Son instinct lui dictait pourtant de se montrer prudent. Il l’avait encouragé à se dévoiler plus intimement mais il n’était pas sûr d’apprécier ce qu’il avait découvert d’elle. Etait-il de taille pour faire face à la fureur flamboyante qu’il avait entraperçue tout à l’heure ?

Casey était malheureux de cette situation : Il sentait bien que, d’une certaine manière, Sasha avait fait un pas vers lui, qu’elle lui avait fait confiance mais devait-il, pour autant, ignorer les signaux que lui envoyait sa raison ? Il devait prendre soin  de lui, être attentif à son propre bien-être. Se protéger des autres et de lui-même. Il se savait sensible, à fleur de peau et, à la lueur des derniers événements,  il doutait que Sasha puisse l’accompagner sereinement dans la vie et ce constat lui brisait le coeur. Casey n’aimait pas prendre des risques. Il cherchait une relation apaisée, stable, basée sur la confiance mutuelle et le partage des valeurs essentielles, hors, l’Autre Sasha avait allumé un petit signal d’alerte dans son cerveau. Il ne pouvait pas l’ignorer même s’il aurait tellement souhaité le faire.  

« Sasha, je…je t’aime, souffla-t-il sincèrement. Il l’aimait mais il avait aussi conscience du risque qu’elle représentait pour lui et pour son équilibre personnel. Elle était comme une drogue dont il allait devoir se sevrer….mais  je ne suis pas sûr que les choses puissent fonctionner entre nous. » ajouta-t-il d’un air désolé, la gorge serrée par l’émotion.

Il n’en revenait pas d’être le premier à mettre en doute si clairement la pérennité de leur relation.

La verbalisation des doutes de Casey précipita la fin de leur échange. Sasha ne chercha pas à contester ses remarques cette fois. Elle qui appréciait tant débattre et défendre ses idées  à l’accoutumée, elle n’objecta pas un seul contre argument pour tenter de lutter. Rien.

Pourtant, Casey ne savait pas trop où il en était lui-même. Il avait de sérieux doutes concernant la viabilité de leur couple, bien sûr, mais son cœur luttait ardemment contre cette décision raisonnable. Il mourrait d’envie qu’elle fasse un pas vers lui. Qu’elle essaye de lui prouver par A+B  que leur histoire pouvait survivre à ça, qu’ils étaient plus forts que ces désaccords mais Sasha s’y refusait. Par orgueil ou par conviction.

Aurait-il toujours voulu prendre ses distances s’il avait senti qu’elle vivait la fin de leur relation comme un véritable déchirement ?

C’était exactement ce qu’il ressentait, lui, mais il était le seul à renifler et à avoir les yeux brillants de tristesse. Il pinça les lèvres en la regardant ramasser ses affaires et la suivit du regard  tandis qu’elle passait devant lui en l’ignorant.

Voilà. C’était ainsi que tout allait se finir entre eux. Sans un mot de plus.  Elle ne se battrait pas pour lui, elle n’essaierait pas de le garder. Ni de le faire changer d’avis.
Il était celui qui avait amorcé leur rupture et pourtant, il était aussi sonné et anéanti que si Sasha avait été à l’initiative de leur séparation. Ce n’était pas tant le fait qu’elle ait tué Sorden qui avait précipité la fin de leur couple mais plutôt son discours martial, cette agressivité latente et cette brutalité qu’il devinait dorénavant en elle caché derrière sa politesse et son calme apparent. Le déséquilibre entre leurs deux personnalités était trop grand, leurs convictions trop éloignées, leurs conceptions de la vie trop différentes, mais Merlin ce que c’était difficile ! Casey avait pris la bonne décision pour lui-même - il le savait intimement : Il n’était pas prêt pour vivre une relation si compliquée actuellement- pourtant les larmes roulaient sur ses joues sans qu’il ne puisse les retenir. Il devait se faire violence pour ne pas rattraper Sasha et tenter de faire machine arrière.

Lorsque la jeune femme s’immobilisa d’elle-même devant la porte de la salle, un espoir inespéré naquit en lui. Il se redressa et sécha ses larmes sur le revers de sa manche, le cœur battant. Elle allait se raviser, revenir vers lui et le prendre dans ses bras. Partager avec lui ce contact humain simple -mais tellement salvateur- qu’elle lui avait refusé avec brusquerie un peu plus tôt.

"Personne ne le sait. Et je voudrais que ça reste comme ça." Souffla-t-elle alors en guise d’ ultime mise en garde. Il n’était pas question d’eux, ni de la fin tragique de leur histoire commune, mais d’elle, seulement d’elle, et de ce que les autres pourraient bien penser en apprenant son secret.
Sasha le connaissait pourtant, elle devait bien savoir qu’il ne la trahirait pas. Jamais. Ravalant sa désillusion, Casey hocha la tête pour donner sa parole.

S’il n’ avait plus que ça pour lui faire plaisir alors il tiendrait ses engagements.

"Au revoir Casey." Souffla-t-elle.
« Au revoir. » répondit-il d’une voix rauque.

La porte claqua et le silence se fit.