Parfois, il fallait faire bonne figure et c'était exactement ce que Avalon s'apprêtait à faire en pénétrant dans les Folies Sorcières, sa lourde cape violette de milicienne posée sur ses épaules. Ce n'était pas la première fois que la milice faisait une descente dans le célèbre cabaret Bristolien pour sauver les apparences et démentir la population sur les soi-disant liens qu'elle entretenait avec la mafia de Bristol.

En réalité, bien entendu que les Veilleurs et la milice étaient de mèche depuis plusieurs années maintenant ; d'ailleurs chaque milicien avait une liste de personnes à ne pas arrêter ou, du moins, à relâcher rapidement s'ils se retrouvaient dans leurs cellules. Pour autant, il était important d'agir avec eux comme ils l'auraient fait avec les autres groupes mafieux qui croisaient leur chemin et, par conséquent, il était cohérent et logique d'organiser des descentes aux Folies Sorcières, endroit connu pour être le temple de la débauche et du crime organisé.

Avalon s'était portée volontaire pour mener la mission - elle était excellente comédienne, vraiment - et avait, bien entendu, prévenu les Veilleurs en amont de sa visite. Elle avait pris quelques hommes avec elle, avait transplané à Bristol et entrait à présent dans le casino qui surplombait la jetée.

Elle dissimula un sourire sous un air sérieux en apercevant Fergus qui campait dans le hall et se dirigea vers lui d'un pas décidé. Ses yeux souriaient pour elle.

"Bonjour." le salua-t-elle en s'arrêtant à une distance raisonnable de lui - probablement l'aurait-elle étreint en d'autres circonstances. Elle lui tendit un mandat. "Permission de fouiller la salle de cabaret et le casino, ordre de la milice." D'un mouvement de tête, elle indiqua à ses hommes de s'y rendre. "Quant à moi, j'aurai besoin de vos papiers d'identité, et les différentes autorisations relatives à l'activité de ce commerce, notamment celles qui concernent la vente d'alcool." débita-t-elle en croisant le regard de Fergus.

Les descentes de police se faisaient régulièrement au prix d'arrangements entre la Milice et les veilleurs. Quelque chose de subtile qui permettent à l'opinion public de croire relativement que la police et plus spécifiquement les soldats de Leopold, continuaient à faire leur travail en faisant respecter la loi. Les Folies Sorcières avait un aspect louche, on les remettait en cause, souvent, parce qu'un casino fait mauvais genre et qu'on ne pouvait empêcher les rumeurs de circuler - des rumeurs basées sur des vérités, de plus.- Alors de temps à autre, pour faire bonne figure, Danielle envoyait ses troupes piquer une tête dans le commerce Bristolien, une tête prévenue d'avance, et Jayce, Roy, Toni, Solal ou Fergus anticipaient en préparant un lieu propre, versaient leur pot de vin et laissaient la Milice, contente, repartir en affirmant que les Folies Sorcières était un lieu respectable basé sur un commerce légal.

C'était donc pour Fergus une affaire de routine et il accueillit Avalon sans inquiétudes, laissant ses agents s'éparpiller aux quatre coins du casino, surveillés par ses hommes. Depuis Robin le besoins de Fergus de surveiller tout et tout le monde en permanence s'était accru. Il prit le mandat des mains d'Avalon en lui adressant un hochement de tête pour répondre à sa salutation. Il avait remarqué la lueur brillante dans son regard et haussa un sourcil, suspicieux. "Quant à moi, ajouta la jeune femme sur un ton un peu mutin, j'aurai besoin de vos papiers d'identité, et les différentes autorisations relatives à l'activité de ce commerce, notamment celles qui concernent la vente d'alcool." La bienveillance qu'il affichait et qui était l'apanage d'Avalon dans ce genre de situation disparurent le temps d'une brève surprise crispée. Fergus n'aimait pas les surprises, encore moins de ce genre, mais il était prévoyant. Il fit un signe à un de ses hommes qui se glissa derrière le bar pour en retirer les autorisations ainsi que les licences. Fergus les avait fait entreposer là le matin même en prévision dans le cas où quelqu'un remplace Avalon et ai la mauvaise idée de faire du zèle. Il secoua lentement la tête en lui tendant les papiers et tâta ses propres poches pour trouver les siens. Lentement, il lui tendit sa carte d'identité, qu'il ne lâcha pas lors-qu’Avalon la saisit entre ses doigts. Il tira légèrement en sens inverse et baissa la voix : " A ta place je ferais pas trop la maligne avec les coups de pression, Davis, où j'en connais qui finiront d'autres de leur soirées, sans aide, au fond des catacombes. " Il n'avait pas souri mais le sujet même de ses menaces laissait comprendre qu'il s'agissait d'une mise en garde sans violence.

Cela faisait environ dix ans que les routes d'Avalon et de Fergus s'étaient croisées, un peu par hasard, un soir d'été. Il était arrivé dans sa vie à l'exact moment où elle en avait désespérément besoin, même si à l'époque elle n'en n'avait absolument pas conscience. Elle ne savait pas trop ce qui l'avait poussé à la prendre sous son aile et, à vrai dire, ne s'était jamais risquée à le lui demander, se contentant de savourer sa présence dans sa vie. Et Merlin seul savait à quel point cette présence aurait pu disparaître rapidement en raison de l'attitude absolument exécrable qu'elle avait adopté pendant les premiers mois qui avaient suivi leur rencontre ; elle était alors en plein sevrage, hypersensible et n'avait déjà pas une personnalité très facile à vivre à l'origine. Mais Fergus avait tenu bon, contre vents et marées, et Avalon avait grandi, avait mûri et avait cessé de le voir uniquement comme cet homme étrange qui la forçait à le suivre comme son ombre, même le dimanche, même à quatre heures du matin, même sous la pluie. Leur relation avait évolué, s'était embellie, et le lien qui les liait tous les deux était particulièrement fort, bien qu'indéfinissable. Fergus était l'une des seules constantes dans la vie d'Avalon, la seule personne vraiment stable de son entourage et, même si elle ne le lui disait jamais, elle savait parfaitement qu'elle lui devait absolument tout ce qu'elle était aujourd'hui.


Et c'était avec toute cette gratitude qui remplissait son cœur qu'elle prenait toutefois un malin plaisir à observer Fergus avec un regard de défi, alors qu'il sortait sa pièce d'identité. Elle saisit la carte et se pencha en avant pour entendre ses paroles. Une moue outrée, contredit par ses yeux brillants, s'afficha sur ses traits.


"À ta place, je ne ferai pas de menace que je ne mettrai jamais en exécution, Avner." répliqua-t-elle sur le même ton. "Tu m'aimes trop pour me laisser mourir au fond des catacombes." assura-t-elle tranquillement avant de saisir la carte d'identité du Veilleur pour l'examiner - les photos des papiers officiels étaient toujours une merveilleuse chose à regarder - puis passa en revue les différents documents qu'elle lui avait demandé. "T'as de la chance que je sois de suffisamment bonne humeur pour ne pas te demander les copies de tous vos contrats de travail." commenta-t-elle distraitement - non en réalité elle ne l'aurait pas fait, elle avait horreur de toute cette paperasse mais il était particulièrement amusant d'imaginer l'expression crispée de Fergus si cette situation arrivait véritablement.


En réalité, les papiers qu'elle avait entre les mains étaient une belle mascarade ; et Avalon, pour avoir travaillé avec Fergus pendant quelques années, en avait parfaitement conscience. Elle les parcourut tout de même, un peu plus par curiosité que par véritable zèle, avant de les remettre dans les mains de Fergus.


"Si tu m'offres à boire je pense que je peux fermer les yeux sur les immenses blancs qui remplissent ces papiers." Conclut-elle avec un sourire en coin.