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Aigreur du passé, première phase - Joséphine

Constantine Égalité
Constantine ÉgalitéDirecteur du Département des Mystères
Messages : 382
Profil Académie Waverly
Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeDim 10 Mar 2019 - 0:15
6 août 2010

Le vent et la pluie fouettent la côte assombrie de l'île de Skye, et les éclairs illuminent un ciel de suie avec une régularité menaçante. Engloutit sous d'épais nuages de nuit, l'orage bat l'air, pleins des grondements sourds qui éclatent comme des bombes au-dessus de la mer rendue féroce par l'attrait des vagues. Elles s'agitent en tourbillons profonds et bouillonnants, clabaudent contre les récifs déchiré, s'élèvent en tempêtes, danseuses infatigables, imprévisibles, lèches les flèches de goudrons rocailleuse, s'échouent sur les brisant dans un bruit de tonnerre. Je fend les airs dans la hurlante, le corps cinglé des épines acides de la pluie battante et glacée. Ramassé sur mon balais je vol bas, contraint par la menace des nuages.

J'ai fait une station à Dornie. En fin de journée, l'horizon se laissait baigner des derniers reflets d'un soleil chaud, descendant lentement vers la ligne imperceptible de la mer. Le nord de l'Ecosse, même en pleins mois d'août, n'offrait pas un climat permettant réellement d'apprécier le spectacle sans sentir s'insinuer sous la peau, contre les os, la rumeur froide de l'humidité charriée par le vent frissonnant venu des flots. Le transplanage m'avait laissé nauséeux. Après des jours passés enfermé au Département, la vivacité du froid, tapis dans les derniers trémolos d'une journée clémente, et les secousses biologiques brutales imposées à mon corps par le voyage, m'avaient contraint à une halte de quelques heures. Ce délais avait laissé à l'orage le temps d'arriver près de Skye, d'en longer la côte, et d'éclater brutalement au couchant.

Je fixais la nuit. De l'autre côté, sur une terre similaire et différente, Joséphine attendait depuis deux jours. Je n'avais été informé du bon déroulement de son acheminement que par des rapports réguliers tenus par mon informateur. De son pleins grès, on était venu la chercher, on l'avait escorté jusqu'au Département secret du centre de réhabilitation mémorielle. On lui avait apprêté une cellule qui devait contenir tout le nécessaire pour qu'elle s'y sente le mieux possible. Je l'imaginais, engloutie sous les flots orageux avec pour seul éclat le phare de Nest Point transposant sa lumière sur les épaisseurs condensées de brumes. Incapable de creuser l'horizon obscur. Malgré les réticences et la prévenance de mes hôtes, j'avais enfourché mon balais un peu plus tard avec une combativité absurde, et décidé de traverser l'océan sous les roulement ombrageux et naissant de l'orage.

Je ressens un plaisir intense, désormais, à fendre les kilomètres qui me séparent d'elle dans le danger du tonnerre grondant et la cadence déchaînée des éléments. C'est comme un test dans lequel je les mets au défi de punir le scénario sordide qui est en train de se jouer, de l'arrêter si possible en me frappant d'une déferlante et en m'engloutissant dans les flots épais de la mer. J'ai les tempes agitées de spasmes, les mâchoires serrées, les mains crispées d'anxiété, d'inquiétude, d'aigreur et d'avidité. L'impatience, l'excitation se mêlent à une traînée de sentiments négatifs qui me donnent à la fois envie de fuir et de me confronter à Joséphine le plus vite possible. J'ai comme de l'avidité à me confronter à la punition que je suis en train de mettre en place pour moi-même au travers d'elle. Je suis terrorisé à l'idée de m'y opposer et absolument résolu d'en avoir besoins.

J'imagine naïvement que faire face à ses souvenirs, m'infliger la douleur de revoir Camille au travers de ses yeux, d'en partager les abysses de sentiments et de réminiscences, pourra me faire payer ma peine et m'assouvir de l'absence, retrouver un peu de lui en elle, et purger ma culpabilité. Je suis avide de la présence de la seule qui sache. J'ai autant envie, tandis que je fend la nuit, à moitié aveuglé par l'eau de la mer et du ciel qui se confondent et me heurtent, de la sentir proche et de la fuir. J'ai peur et une grande impatience masochiste pour notre confrontation.

A quelques centaines de mètres de la côte, un éclair me frôle. Je dévie d'un coup sec, surpris par la décharge qui se transmet à la masse d'eau obscure. La baguette serrée contre le manche de mon balais, j'ai à peine le temps de formuler un charme de protection : le vent me dévie brutalement alors que ma prise se relâche, et je m'érafle le long d'une arrête aiguë. La roche arrache un long sillon sur ma manche et déchire ma chaire sur plusieurs centimètres. Je sens à peine la morsure. D'un coup sec, je réoriente ma trajectoire, et redresse brusquement mon vol pour longer le récif. J'atteins Nest Point dans un rase motte désordonné. La frayeur passagère a déclenché un fou rire rempli de nervosité que j'achève à peine en pénétrant dans le bastion du centre de Réhabilitation Mémoriel.

Nial m'accueille avec une sorte de déférence surprise. Trempé jusqu'aux os, la moitié d'une manche déchirée sur la longueur, j'offre probablement une vision relativement cauchemardesque de l'idée qu'on se fait d'un Directeur de Département. Je lui souris, affable, alors qu'il me laisse pénétrer le premier Passage. Je m'enfonce ensuite dans les profondeurs de Skye, jusqu'au niveau -6.

Cecil lève la tête de son dossier en me voyant arriver et exécute un vague geste de la main. Il me considère en silence, jauge ma mise mais se retient de tout commentaire parce que mon regard n'est pas franchement engageant. Son sérieux pleins de laconisme se fend d'une salutation polie, et il m'indique rapidement la cellule de Joséphine. Les murs sont aussi sombre que la nuit à l'extérieur, reflètent la profondeur des flots marins, et le bruit étouffés des couloirs suspend un instant mon souffle.

Vivre là doit rendre profondément claustrophobe.

D'une impulsion magique, je déverrouille la porte sclérosée de charme, et pénètre dans la cellule aménagée de Joséphine. Il me faut quelques longues secondes pour appréhender les lieux. Explicitement, j'ai demandé à ce qu'on réponde à ses moindres caprices. Je la trouve enfin, et la dévisage longuement. La découvrir ici me donne un coup au cœur que je dissimule sans ciller. Je la fixe sans m'inquiéter de ce qu'elle pense de mon apparence absurde, puis je glisse une main dans la poche intérieur de ma robe et en ressort un carnet que je gardais contre mon cœur. D'un geste brusque, je le lui tends : " tiens, dis-je sèchement. C'est le journal de Camille. Je remarque soudain une sensation chaude contre ma main. De la plaie, une longue ligne sanglante a coulé sur mes doigts et mouille le précieux livre. " Merde." Fais-je un ton plus bas. Je baisse la senestre et me saisit du carnet à l'aide de ma main valide, le secoue un peu pour en égoutter le sang, maladroitement. Je suis automatiquement dépité par cette entrée en matière et tente machinalement d'éponger les traînées rouge sur le revers de ma robe.


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Joséphine Walker
Joséphine WalkerProfesseur de danse
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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeDim 24 Mar 2019 - 17:18
Une prison aux airs de chambre d'hôtel, ce n'était rien de plus que ça. Le lit immense, les draps en satin et la baignoire en marbre ne suffisaient pas à faire oublier que la porte était verrouillée de l'extérieur, et que la cellule était protégée par des dizaines de sortilèges. Joséphine était désespérée de sa propre bêtise. Elle s'était laissé manipuler par Constantine avec une facilité qui la mettait hors d'elle. Il avait su dire exactement ce qu'il fallait pour éveiller en elle suffisamment de culpabilité, et elle avait finit par accepter de prendre part à son expérience. Elle avait regretté cette décision à la seconde où la porte de la cellule c'était refermée sur elle, il y a presque deux jours.

Cela fait deux jours qu'elle est enfermée ici, sans aucun signe de Constantine. Elle commence à devenir folle. Elle a essayer d'envoyer un message à Sofya mais son Pear ne capte pas le moindre signal. Evidement. Elle a donc renoncé à l'idée d'une conversation agréable avec la belle comédienne, et abandonné le projet d'incendier Constantine par message. Elle se sent utilisée, flouée, et elle lui en veut terriblement de l'avoir entrainé ici. Elle a rarement été si en colère, même contre lui. Sa rancoeur à l'encontre du directeur des Mystère a eu tout le temps de s'alimenter pendant ces longues heures passées à attendre et elle est bouillante de rage au moment où la porte de sa cellule s'ouvre finalement pour laisser entrer Constantine.

Sa colère s’évanouit brusquement alors qu’elle découvre l’état lamentable dans lequel il se trouve. Il est complètement trempé et sa cape est déchirée au niveau de la manche. Un instant plus tôt elle était prête à lui hurler dessus, et à présent elle ne peut plus détacher ses yeux du filet de sang qui s’écoule de la plaie sur son bras. Ils restent silencieux un instant à se jauger mutuellement du regard.

« Qu’est-ce qui t’est arrivé ? » l’interroge-t-elle avec un soupir de lassitude.

En guise de réponse, Constantine sort un carnet de l’intérieur de sa robe, qu’il lui tend en lui annonçant sèchement qu’il s’agit du journal de Camille. Une expression de surprise passe momentanément sur le visage de la danseuse, prise au dépourvue.

Leurs échanges sur le sujet, quelques semaines plus tôt, lui reviennent alors en mémoire, tout comme ce soir où elle l’a attendu devant les Folies et où il n’est jamais venu, et ravivent son agacement. A nouveau, sa colère se trouve balayée par l’attitude pitoyable de Constantine qui réalise à cet instant que le sang qui coule sur son bras vient de tâcher la couverture du journal. Joséphine tend le bras et lui arrache le précieux carnet des mains.

Elle s’efforce de ne pas montrer le moindre trouble et de se comporter comme si cet objet venu du passé n’avait aucune importance à ses yeux. Elle pose à peine les yeux sur la couverture, refuse de le contempler trop longtemps. Elle aurait voulu n’en avoir réellement rien à faire, pourtant elle sent déjà une curiosité morbide la dévorer de l’intérieur.

« Tu l’as lu ? » demande-t-elle avec une nonchalance feinte en levant la main dans laquelle elle tient le carnet.

Elle est partagée entre le besoin impérieux d’ouvrir le journal et d’en parcourir avidement chaque page, et l’envie de jeter ce souvenir le plus loin possible, et de ne plus jamais y penser. En réapparaissant dans sa vie Constantine a rouvert des plaies qu’elle pensait cicatrisées depuis longtemps. Elle a déjà fait son deuil de Camille, et avant ces derniers mois, elle n’avait plus pensé à lui depuis des années. Pourtant, elle ne résiste plus et feuillette distraitement le carnet, faisant défiler les pages avec un détachement qui laisse place à une expression de surprise mêlée d’inquiétude quand ses yeux accrochent son prénom, écrit tout en haut d’une page.

Elle s'étonne de la facilité avec laquelle elle reconnait l’écriture serrée et un peu penchée de Camille, et son cœur manque un battement alors qu’elle lit les premiers mots de la page qu’elle a sous les yeux.

« Ma très chère Joséphine, »

Elle retient son souffle et tourne plusieurs pages du journal, fébrile, oubliant complètement la présence de Constantine à côté d’elle. Ce n’est pas seulement un journal, c’est un recueil de lettres. Des lettres qui n’ont jamais été envoyées, et qui lui sont toutes destinées.

Joséphine referme brusquement le carnet et le jette sur le lit derrière elle, comme si la couverture lui avait brûlé les doigts. Son cœur cogne fort contre ses côtes alors qu’elle s’efforce d’éloigner tous ses souvenirs qui reviennent soudainement à la surface et menacent de la submerger. En lisant ses mots, les mots que Camille lui a adressés et qu’elle n’a jamais lus, elle pouvait presque entendre la voix de son ancien petit-ami à nouveau. Elle refuse de s’y confronter, elle ne se sent pas assez forte pour faire face à son fantôme, et s’interdit de craquer devant Constantine. Elle ne s'était pas préparée à ça.

Joséphine passe une main tremblante sur son visage et s'efforce de faire disparaitre de ses traits toute trace de cet instant d’émotions intenses. Elle se détourne du lit sur lequel trône le journal et reporte finalement son attention sur son interlocuteur, décidée à ignorer ce qui vient de se passer.

« Bon, on commence ? » s’impatiente-t-elle.

Elle n’a pas réellement hâte de laisser Constantine explorer son esprit, et cherche uniquement à changer le sujet de la conversation, mais elle a conscience que plus vite ils commenceront cette fameuse expérience, plus vite elle sortirait d'ici.


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Constantine Égalité
Constantine ÉgalitéDirecteur du Département des Mystères
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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeDim 14 Avr 2019 - 19:28
Joséphine adopte un air détaché, dans une tentative un peu vaine destinée  à faire croire que le carnet ne l'intéresse pas. Elle est pourtant incapable de dissimuler ses mains qui se tendent aussitôt avec un voile d'hésitation, l'élargissement de ses pupilles, figées sur la couverture en cuire bleue, le tremblement indistinct de ses doigts qui s'en saisissent et la régularité de son souffle qui se brise. Une fois en main, elle prend garde à ne pas le scruter. A ne pas l'ouvrir. Et je peux sentir sa peur. " Non. " Admets-je lentement. Impossible. Impossible de le lire. Je sais qu'il s'adresse à Joséphine. Chaque entrée lui est destinée, et je l'ai feuilleté, évidemment. De la même manière que Joséphine le feuillète à présent : rapidement, les doigts et le regard brûlé par les quelques mots appréhendés. Solitude. Constantine. Chère Joséphine. Peu d'amis. Je n'ai jamais osé en voir plus. Je suis terrorisé à l'idée du poids de culpabilité que pourrait me donner la lecture de l'écoulement, jours après jours, de cette période terrible pendant laquelle il a lentement évolué vers ces gens, vers ces choix. Je sais que j'y trouverai toutes les réponses : comment s'est-il laissé guidé. Pourquoi s'est-il laissé entraîner. A quel moment est ce que ça a été trop tard. A quel moment est-ce qu'il a compris. Les reproches qu'il pourrait me faire. Car je sais qu'il s'est senti seul. Seul au point d'écrire dans un journal, à cette petite amie laissé en France, abandonnée pour me suivre moi, qui l'ai accueilli avec mon absence. Je sais ce que je trouverai dans ce journal, et je ne suis pas capable d'y faire face.

Et je sais, parce que je l'ai vu, sans jamais oser la lire. Je sais que la dernière entrée est datée, deux jours avant sa mort. Et je le sais parce que c'était évident dans son attitude. Camille, en venant au Département ce jour-là, savait qu'il n'aurait pas la capacité de me tuer, et qu'il allait mourir.

Joséphine parcourt les pages et découvre, comme je l'ai découvert quelques années auparavant, que tout le journal lui est adressé. Son joli visage diaphane pâlit sous les tentures, ses lèvres pourpre se pincent, s'assèchent, et mon cœur se sert dans ma poitrine. Je ne sais plus si je lui inflige ça par cruauté, par je ne sais qu'elle vengeance, parce que je ne veux pas être le seul à souffrir. Ou simplement parce que j'ai terriblement besoins de partager ça avec quelqu'un mais je n'ai aucune idée de la manière de m'y prendre pour que ça ne soit pas aussi destructeur que pour moi. Un instant je m'en veux profondément de ce que je suis en train de lui faire, et je me déteste d'essayer de la détruire autant que je me sens détruit. Mais je combat ce sentiment avec une telle force que je parviens à le repousser, une fois de plus, et je la dévisage presque froidement alors qu'elle jette le carnet. Elle se tourne vers moi, superbe.
- Bon, on commence ? "
- La dernière entrée. Je crois que c'est un genre de lettre d'Adieu. " Dis-je gravement, sans parvenir à me confronter à son regard. Je n'en suis pas certain. Mais il me semble que ça l'est. Je ne m'avoue pas encore que je comptais sur sa présence pour arriver à lire au moins cette lettre. Et maintenant qu'elle me toise, les mots restent figés dans ma gorge encore plus sûrement. Je m'ébroue. " Ouais. " D'un geste, je laisse glisser ma robe et retire ma veste. Je ne porte plus qu'une chemise et pourtant l'atmosphère me semble toujours étouffante. " Assieds-toi où tu veux. " Lui intimes-je en retroussant mes manches. Je laisse tomber mes vêtements sur un fauteuil et prend place prêt d'elle. Elle a choisi le bord du lit, ce qui facilite notre proximité mais ne rend pas forcément la situation particulièrement agréable. Je la sonde un instant du regard sans rien dire. Pendant de longues secondes, j'observe le fond de ses yeux, me projette lentement, avec une infinie douceur contre son esprit tendue, rigide. Je sens qu'elle attend l'intrusion de la même manière qu'elle s'attendrait à recevoir une gifle. Je presse mon esprit contre le sien pour l'habituer à ma présence, sans m'y projeter puis brise le contact en cillant. Je lève une main près de son visage. " Je peux te toucher ? " Elle me donne son assentiment avec froideur. Doucement, je fais glisser mes doigts sur ses tempes, entres ses mèches souples. Sa peau tendu est douce est chaude et je sens le sang battre contre sa tempe au même rythme que son pouls. Je pose mes doigts à leur creux, mes paumes contre la courbe de sa mâchoire. Je ne sers pas, prend garde à ce que le contact sois doux. Je rouvre les yeux et me plonge à nouveau dans les siens. " J'y vais. " La préviens-je juste avant de projet mon esprit à nouveau contre le sien.

Cette fois je force.

La bulle crève sans résistance.

L'esprit de Joséphine est d'une clarté limpide. Je m'y projette aussi facilement que dans l'esprit d'un nouveau née. Aucune protection, aucune barrière, elle s'offre à moi dans la simplicité la plus suprême. Je m'engouffre en elle le cœur battant. Je cherche des signaux, des souvenirs, des projections du futurs qu'elle n'a pas encore vu dans le but de les isoler, d'en remonter la source, d'en découvrir l'origine et d'en comprendre le fonctionnement. Pour le moment, je n'en vois nul part. Il n'y a qu'une succession de souvenirs récents et d'une précision qui me fait pâlir d'envie. Moi entrant dans la pièce, le bras dégoulinant du sang qui coagule lentement sur mon bras de chemise. Me voir au travers de ses yeux n'est pas une expérience agréable : je découvre qu'elle trouve que je ressemble à Camille. En moins beau. Mes cernes sont atrocement marquées. Non, vraiment, j'ai une sale gueule.

J'abandonne notre temporalité, et remonte. Joséphine tourne en rond dans sa cellule. Elle me maudit de tout son être, tente de joindre Sofya Belinsky. Tiens donc. Elle enrage, fauve piégée contre son grès. Je continue, je fais défiler sans m'arrêter jusqu'à un virage qui me heurte brutalement, entre deux tentures tirées des folies sorcières, deux spectacles, deux accouplements sordides. Il y en a un qui me heurte si fort que j'en ai le souffle coupé. Le souvenir me happe avec la brutalité d'un tourbillon et je me retrouve projetée dans l'une des chambres privées que je ne reconnais pas. Joséphine est jeune, parée de ses dentelles de soie. Elle fait bien dix ans de moins, a le regard fière et trouble à la fois, comme si elle craignait ce qui était en train de se passer, et pourtant, dans le port fière de sa tête, il y a une résignation qui me fend le cœur. Un homme qui la dépasse d'une tête et doit avoir le double de son âge prend son menton délicat entre ses doigts, trouve ses lèvres, la saisit au creux des reins pour la déposer comme une poupée de chiffon sur le grand lit de soie. Elle ne sait pas comment réagir. Ses mains sont figées. Je comprends, parce que les émotions qui transpercent le souvenir sont celles de Joséphine, qu'elle n'a jamais partagé cette intimité avec personne. L'homme glisse une main sur la dentelle de sa culotte, l'attire à lui, écarte ses cuisses.

Je détourne la tête et d'une impulsion, tente de fuir le souvenir si fort, qu'il m'englue. J'esquisse une feinte, et rue si brutalement contre l'influence de l'acte et la lourdeur des sentiments qui traversent Joséphine, que je m'extrait d'elle.

Le retour à la réalité et brutal. Je souffle, cligne des yeux. " Je croyais… Je croyais que Camille et toi… " Je suis incapable de savoir pourquoi ce sont les premiers mots que je prononce. Je suis horrifié de constater ce qu'à subit Joséphine. Horrifié de constater que j'y réagis, et je sais par avance qu'elle va me battre froid mais je ne peux pas m'en empêcher. Je ne comprends pas. Je pensais qu'elle avait partagé ces caresses avec mon frère. Je suis sidéré de comprendre que ça n'a jamais été le cas.



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Joséphine Walker
Joséphine WalkerProfesseur de danse
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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeDim 14 Avr 2019 - 22:25
- La dernière entrée. Je crois que c'est un genre de lettre d'Adieu.

Les mots de Constantine la heurtent en plein cœur, une frappe nette et précise, juste là où ça fait mal, et toutes ses convictions vacillent. Malgré elle, Joséphine jette un regard en arrière, observe furtivement le carnet abandonné sur le lit, et se détourne. Elle ne veut pas le lire, elle ne veut pas savoir. Elle sait déjà qu'elle retrouverait entre ces lignes tout ce qu’était Camille, le rythme de ses phrases, la façon qu’il avait de s'adresser à elle, d'appréhender le monde autour de lui, et elle refuse de le faire revivre. Il est mort il y a plus de dix ans, elle ne veut pas le perdre à nouveau.

Elle garde le silence et fais comme si elle n'avait rien entendu, comme si cette déclaration n'avait eu aucun impact sur elle. Constantine l'invite à s'asseoir et elle s'exécute avec une raideur inhabituelle. Elle qui était si pressée de se débarrasser de cette tâche ingrate se sent soudainement un peu anxieuse alors qu'elle l'observe se défaire de sa cape, puis de sa veste. Elle réalise qu'il fait trop chaud, hésite à réclamer un verre d'eau, mais renonce à repousser davantage ce moment désagréable. Constantine prend place à côté d'elle sur le bord du lit et son regard la met aussitôt mal à l'aise. Elle se sent mise à nue, comme s'il voyait à travers elle. Inconsciemment, elle retient son souffle. Bien qu'elle en ait envie, elle ne parvient pas à se soustraire à ce lien qui se tend entre eux, elle se sent prisonnière de cet ensemble un peu déséquilibré que forment leurs deux esprits. La tension se rompt brusquement et Joséphine respire à nouveau.

Elle tressaille quand Constantine lève une main à hauteur de son visage, tendue par l’expérience désagréable qu’elle vient de vivre. Pourtant elle hoche silencieusement la tête, les lèvres scellées et le regard dur. Il pose délicatement ses doigts sur sa tempe et elle frissonne. Sa peau est glacée et sa paume contre sa mâchoire est un peu rugueuse. Tous les muscles de son corps se contractent et elle ferme les yeux par réflexe, dans une ultime tentative de rejeter l'intrusion de Constantine dans son esprit, en vain.

Aussitôt la chambre disparait, la réalité s'évanouit et elle retrouve cette sensation désagréable qui accompagne toujours ses expériences de transe. Elle n'a plus aucune attache avec le moment présent, n'a plus vraiment conscience de là où elle se trouve physiquement. Sauf que cette fois-ci, ce n’est pas l’avenir qui s’offre à elle. Sans qu'elle ne puisse rien contrôler, ses souvenirs les plus récents s'imposent dans son esprit avec une clarté troublante. Les dernières heures puis les derniers jours défilent sous ses paupières closes et elle les observe avec curiosité, les découvrant pour la première fois d’un point de vue extérieur.

Puis d’un seul coup, les choses s’accélèrent et ils se retrouvent plus de dix ans en arrière, à un moment de sa vie dont Joséphine préfèrerait ne pas se souvenir. Mais elle reconnait immédiatement cette adolescente d’à peine vingt ans, qui ressemble à une fille déguisée en femme, avec ses grands yeux de biche où se mélangent la peur et la détermination. Elle vacille un peu sur ses talons hauts, elle vient de s’enfiler trois shots d’une tequila bon marché et a simplement hoché la tête quand une fille à peine plus âgée qu’elle lui a promis qu’elle ne sentirait rien.

Joséphine se souvient brusquement de tout avec une précision terrible, et sait exactement ce qui va suivre. C’était son premier client, sa première fois avec un homme. Il avait payé très cher, celui-là. Elle voudrait ne pas voir ça, elle voudrait ne jamais revivre ce souvenir mais elle a beau fermer les yeux aussi forts qu’elle le peut, la scène se joue dans son esprit, sans qu’elle ne puisse y échapper. Et tout se déroule exactement comme douze ans plus tôt. Ses regards craintifs ne trouvent aucun écho chez cet homme, elle tourne la tête, fixe un détail au plafond, ses mains s’accrochent aux draps, elle serre les dents, et retient ses larmes.

Tout disparait soudainement mais Joséphine ne rouvre pas les yeux, encore habitée par toutes les sensations que ce souvenir a fait renaitre en elle. Son cœur s’est affolé dans sa poitrine, comme il l’avait fait dix ans plus tôt. Elle a encore mal, elle a encore peur. Les mots de Constantine la ramènent brusquement à la réalité, à ce rituel ridicule qu’ils s’imposent tous les deux, au nom de la science, de ce futur qu’il faut connaitre pour l’empêcher. Elle se rappelle leur expérience, se rappelle l’intrusion de Constantine dans son esprit et comprend qu’il a vu exactement la même chose qu’elle.

« Non », le coupe-telle sèchement, dans un souffle à peine audible.

Elle rouvre finalement les yeux, fait face à son incompréhension, à sa surprise, et ne supporte pas son regard. Elle tourne la tête pour se soustraire à ses questions et ses yeux tombent sur le carnet, abandonné sur le lit.

Elle avait seize ans quand elle s’est séparée de Camille, et elle ne se sentait pas prête. Ils étaient tous les deux jeunes et curieux de ces choses-là, et ils s’étaient découverts l’un et l’autre, tout doucement, sans jamais aller jusqu’au bout. Elle avait peur du regard des autres, avait été élevée avec l’idée que c’était quelque chose d’important, aucune de ses amies ne l’avaient fait, alors elle avait voulu attendre. Elle disait qu’ils avaient le temps, qu’ils avaient la vie devant eux. Comme elle avait regretté…

Elle se sent gênée, et en colère que Constantine ait si facilement pénétré ses souvenirs les plus intimes. A-t-il volontairement choisi ce moment de sa vie ? Elle n’ose même pas lui poser la question. Elle ne veut pas en parler, cela ne le regarde pas. Au prix de grands efforts, elle se redresse pour lui faire face à nouveau, le menton haut, la mâchoire serrée. Elle lui présente un regard noir, chargé de menaces, comme pour le mettre au défi de faire le moindre commentaire.

« On continue ? » lance-t-elle, impérieuse.

Sa voix sonne étrangement à ses propres oreilles, dépourvue de la moindre chaleur et vide de toute émotion. La main de Constantine se place à nouveau sur sa tempe et elle est de nouveau happée par ses souvenirs, arrachée brusquement à la réalité.

Un nouveau décor se matérialise sous leurs yeux. Ils sont encore plus loin dans le passé, dans le parc de Beauxbâtons, en plein hiver. Face à eux, au loin, deux adolescents remontent en direction de l’école d’un pas vif. Elle est plus petite que lui et doit courir à moitié pour se maintenir à sa hauteur. Elle parle vite, et trop fort, en agitant les mains. Elle semble sur le point de fondre en larmes. Lui est livide, comme effrayé par ce qui est en train de lui arriver. Ils se rapprochent et leurs éclats de voix sont de plus en plus audibles. Leurs paroles résonnent cruellement aux oreilles de Joséphine, qui se souvient de chaque mot échangé. Elle voudrait que Constantine n’entende pas, elle voudrait que personne ne sache ce qui s’est dit ce jour-là, mais elle sait qu’elle n’échappera pas non plus à ce souvenir.

Le couple arrive à leur hauteur, ils sont tous les deux essoufflés par cette dispute qui dure depuis déjà trop longtemps. Camille a l’air complètement désemparé, et Joséphine à la fois folle de rage et désespérée.

« Tu sais quoi ? lui hurle-t-elle, dans un français agressif. J’espère que ça arrivera ! J’espère que tu te feras tuer, et tu verras que j’avais raison ! »

Elle se souvient avoir regretté ses mots à la seconde où ils avaient franchi sa bouche. Elle se souvient comme l’expression douloureuse sur le visage de Camille lui avait fait de la peine. Elle se souvient également de ne jamais s’être excusée. Elle avait éclaté en sanglots et était partie en courant. C’était leur dernière dispute. Il était parti en Angleterre quelques mois plus tard et ils ne s’étaient jamais revus.

Le souvenir se dissipe, la solitude de Camille s’efface et laisse place à la chambre de Skye, où règne un silence de mort. Les larmes que Joséphine a versé quinze ans plus tôt se retrouvent encore sur les joues de la danseuse, qui n’avait pas réalisé qu’elle avait commencé à pleurer en même temps que son propre souvenir. Elle les essuie d’un geste précipité, la main tremblante. Elle n’ose pas croiser le regard de Constantine. Elle a honte, et elle a mal, exactement comme elle a souffert ce fameux jour d’hiver. Elle pensait pouvoir visionner ses souvenirs avec une certaine distance. Elle pensait que les années écoulées lui permettraient de relativiser et de ne pas se laisser atteindre, mais elle s’était trompée.

« Je veux qu’on arrête… » lance-t-elle finalement d’une voix étranglée, les yeux rivés au sol.


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Constantine Égalité
Constantine ÉgalitéDirecteur du Département des Mystères
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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeSam 4 Mai 2019 - 18:29
Elle me repousse de toute la force de son regard. J'y vois distinctement des ombres de haine y danser à mon attention et j'en sourirais presque, acide, si sa présence ne heurtait pas autant ma nervosité. Elle me défi d'entrer en elle, les lèvres scellées, fière de quelque chose qui me dépasse et tout son être tente de m'interdire l'accès à ses souvenirs, aux secrets sordides qu'elle dissimule sous les plis fermés de sa bouche rose, sous le fard à peine dessiné de ses paupières, sous le carmin pâlit de ses joues. Je ferme les yeux à demi comme si je m'apprêtais à échanger avec elle un baiser langoureux et accueil son esprit qui se cambre contre moi sans lutter. Il me suffit de tomber en avant et elle s'ouvre à moi avec une réticence pudique.

Lorsque je m'extraie c'est pour retrouver ses traits tirés, glaciaux, enténébrés de colère et de honte refoulée. La puissance de son rejet m'atteins presque physiquement, comme une gigantesque lame de fond pressée contre la coque d'un navire, mais je ne me laisse pas noyer et je soutiens son regard, dans ma confusion. A ma question elle répond par une négation tranchante et pleine de fiel. Sa lèvre frémit alors qu'elle lève le menton et je lis dans ses yeux avec une limpidité effrayante sa question muette. La rage que déclenche toujours sa présence près de moi s'est évanouie et je suis pris d'un besoins irrépressible de me justifier, de la rassurer. " Je n'ai pas fait exprès, dis-je en prenant aussitôt conscience qu'elle va me détester un peu plus de formuler quoi que ce soit au sujet de ce que nous venons de voir. Je suis attiré par les expériences fortes. Je ne voulais pas spécifiquement…
- On continue ? " C'est comme une gifle. Je hoche lentement la tête. Ma main, qui s'était baissée, retrouve sa tempe. Je me laisse aller contre son esprit, une deuxième fois.

Je suis brutalement aspiré. Incapable de diriger mes pas, j'ai un instant de flottement distendu et me retrouve projeté au beau milieu du parc de Beauxbâtons. J'en reconnais chaque hais, chaque allées, chaque distances, acheminant et bordures longées d'herbes fraîches et disciplinée. Je suis pris d'un élan de nostalgie profonde. Cette école n'a pas toujours été tendre avec moi, mais j'en garde les meilleurs souvenirs de mon adolescence. Elle m'avait servi de refuge pour côtoyer ma famille le moins possible. Lorsque Camille m'avait rejoint, nous avions passé des heures, étendus sur l'herbes, à composer nos plans d'avenir. J'y avais joué des match qui me laissaient dans le cœur un souvenir d'aigreur simple. Je m'y étais fait les pire blessures. J'avais appris à me connaître, à me battre, à aimer la magie. Les soirées de printemps avec Lou, sous le couverts de feuillages bruissant et l'odeur des derniers bourgeons dans les narines me manquait. Et je n'imaginais pas, en posant un pieds dans ce parc construit de souvenir, prendre conscience du fait que cette époque me manque terriblement. Une époque d'insouciance malgré l'adversité et quelques douleurs. Une époque où Camille était encore en vie et où le poids de l'absence et de la culpabilité n'existait pas. Ais-je été heureux depuis la mort de Camille ? Les paroles de Joséphine me reviennent en mémoire comme un poison lent. J'ai l'impression d'entrevoir une partie de la réponse dans les sensations que je retrouve à contempler les arbres hauts du parc.

Je ne suis pas prêt à affronter la scène qui se déclare brusquement dans notre champ de vision. J'entends d'abord la voix de Joséphine, épuisée, entrecoupée de hoquets qui traduisent une détresse qu'elle ne cherche pas à dissimuler. Puis une autre voix, une voix douce malgré son ton coupant, une voix de ténor, d'adolescent en fin d'adolescence, douce et un peu haut perché, la voix de Camille.

Mon cœur cesse de battre. Je me retourne brutalement, transpercé par les notes, le rythme, les modulations de ce chant que je connais par cœur, que je n'ai jamais oublié, qui rode dans mes oreilles à la moindre occasion, empli mes nuits et mes cauchemars et que je connais désormais si bien dans les modulations du hurlement. J'ai le souffle coupé en apercevant Joséphine, mon cœur accélère en battement profonds qui me serrent la gorge, me paralysent, je sens mes mains se verrouiller dans un geste de crispation qui m'atteins jusqu'au plus profonde de mes nerfs. Camille surgit devant moi. Un cri monte en moi mais ne franchit jamais mes lèvres.

Ses yeux brun lancent des éclairs. Il a les cheveux noirs, indomptables. Le menton relevé, et les traits doux malgré la colère qui les modulent. Il défi Joséphine comme elle m'a défié un peu plus tôt, ses lèvres bougent mais je ne comprends pas ce qu'il dit. J'esquisse un geste dans sa direction, je voudrais pouvoir marcher vers lui. Mon corps ne me répond pas alors que je voudrais l'appeler, me jeter à ses genoux et lui demander pardon mais je ne fais rien hormis chercher l'air qui a déserté mes poumons. Et puis la voix de Joséphine éclate entre nous : j'espère que tu te feras tuer, et tu verras que j'avais raison.

Je retire ma main de sa tempe comme si elle m'avait brûlé. Le retour à la réalité et brusque et brutal, je chancèle sur le lit, la main levée, horrifié par je ne sais quoi. Je n'ai plus de souffle, le sang a quitté mon visage et je sens dans mes mains la crispation caractéristique, celle que j'avais lorsque mes doigts s'étaient refermés sur le manche du couteau. Je ne parviens plus à ouvrir les doigts. Sur les joues de Joséphine, il y a une vague de larmes qui coulent comme son souvenir, là-bas, qui pleure en regrettant ses paroles. Je cherche à inspirer sans trouver comment faire, je dois me lever, tremblant, pris d'une nausée glaçante. Un tourment de rage, de colère sourde, de douleur, de tristesse, de manque, tourne dans ma poitrine, me dévaste. J'ai envie de vomir mais il n'y a rien qui sort de moi. Je reste là, debout, stupidement, tremblant, frigorifié. Comment a-t-elle pu dire une chose pareille ? Comment a-t-elle pu alors qu'elle savait ? " Je veux qu'on arrête… " Le son de sa voix me redonne le pouvoir de me mouvoir et je fais volte-face. " Dis-moi que ce ne sont pas les derniers mots que tu lui as adressé. " Je connais déjà la réponse : s'il s'agissait d'un souvenir ayant connu une fin heureuse, il n'aurait sûrement pas pris une telle importance. " Je l'ai tué, t'avais raison. Bravo. " Mes phrases n'ont pas de cohérence entre elle, j'en ai à peine conscience, je suis étouffée par une rage douloureuse et fébrile contre Joséphine et encore plus contre moi-même qui suis responsable de tout. Je me rassois brutalement. " Non. On n'arrête pas. " Lui sommes-je, agressif. Je prends sa tête dans ma main mais sans douceur, la force à s'incliner et me projette contre son esprit comme si j'enfonçais une porte. Au dernier moment, j'inverse le processus. Je ne suis plus dans l'esprit de Joséphine, c'est Joséphine qui pénètre le mien. Je l'accueil sans chaleur, la jette entre quatre mur, ceux du Département, pour qu'elle voit Camille, le tatouage ondulant sur l'avant-bras, désespéré, pour qu'elle voit la confrontation douloureuse, qu'elle voit le rayon vert jaillir de sa baguette, se fracasser sur le mur sans m'atteindre. Qu'elle voit ma main se refermer sur le poignard, et le poignard fondre sur Camille, pénétrer ses chaires et lui ôter son souffle d'air chaud. Qu'elle sente ma rage, mon désespoir, mon envie de mourir. Qu'elle sente l'abysse comme je l'ai sentit, déchirer mon humanité. qu'elle partage avec moi le néant de douleur qui m'assaille lorsque Camille expire contre mon cœur et que je me mets à genoux près de son cadavre, agité de tremblements de fièvre glacée. Je me regarde me balancer, les bras repliés, les mains fermés sur le couteau que j'ai retiré machinalement. Je claque des dents avec des sanglots compulsif mais aucune larme ne jaillit de mes yeux secs. Le souvenir cesse, je la tire vers la réalité d'une traction qui me demande un effort monstrueux. Je tremble dans le présent aussi, je ne sais plus si je vis l'instant où le passé je me sens pris d'une folie passagère, dépassé par la puissance du mélange de sentiments qui me traversent. " Tu vois. Tu avais raison. Tu avais VRAIMENT raison. " Je n'ai aucune idée de ce qui m'a poussé à lui montrer ça. Aucune idée, alors que personne n'a jamais vu ce souvenir, qu'il est dangereux pour moi de le lui laisser. " Tu vois. " Dis-je à nouveau, sans conviction. Je suis épuisé, soudainement. Je sens un grand vide m'envahir, seulement habité d'une profonde angoisse. J'ai posé mais mains fermées sur mes cuisses et les sert si fort que mes phalanges en blanchissent. Je respire mal. Je suis terrorisé.


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Joséphine Walker
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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeDim 2 Juin 2019 - 12:30
Joséphine ne prend pas la peine de répondre quand il lui demande si ce sont les derniers mots qu'elle a adressés à Camille. Son silence et les larmes échouée sur ses joues blanches parlent pour elle. C'était leur dernière dispute, celle de trop, celle qui avait mis fin à quinze ans d'amitié et à deux ans de relation amoureuse. Il était parti pour l'Angleterre quelques mois plus tard, alors qu'elle se préparait à entrer en dernière année. Elle ne lui avait même pas dit au revoir. Elle a terriblement honte de la façon dont les choses se sont terminées. C'est un souvenir qu'elle a essayé d'oublier, et y être confrontée à nouveau lui retourne les entrailles.

Les piques de Constantine, hors de lui, l'atteignent à peine. Elle sait. Camille est mort, elle avait raison depuis le début. Jamais elle n'avait autant voulu avoir tort. La souffrance du Directeur des Mystère l'effraie autant que sa colère et elle a soudain peur de là où cette expérience peut les mener. Elle n'est pas prête à affronter d'autres souvenirs, elle refuse de partager davantage son passé avec Constantine. Elle veut tout arrêter.

Ignorant sa question, il se rassoit brusquement à côté d'elle. Sa réponse négative fait l'effet d'une gifle à Joséphine, qui le dévisage un instant avec un regard encore larmoyant empreint de peur. Elle n'essaie même pas de résister quand il lève à nouveau la main pour la presser brutalement contre ses tempes. La danseuse n'a que le temps de fermer les yeux pour se préparer à une nouvelle intrusion du Directeur des mystères dans son esprit. Mais cette fois-ci elle ne sent aucune autre conscience venir parasiter sa mémoire, et se retrouve plongée dans un souvenir qu'elle ne connait pas. Pourtant, le décor ne lui est pas étranger. Elle a déjà vu ces murs, une fois. Dans une de ses visions, il y a plus de quinze ans.

Elle comprend aussitôt où elle se trouve, et elle sait exactement ce qui va suivre. Elle ne l'a pourtant pas vécu, car cette mémoire n'est pas la sienne, mais elle a déjà assisté à cette scène, bien avant qu'elle n'ait lieu. Et elle la regarde de nouveau se dérouler sous ses yeux, impuissante. Là où sa vision était brève et un peu floue, le souvenir de Constantine est d’une précision terrible. Joséphine sent son cœur se serrer à la vue du tatouage sombre sur le bras de Camille, et est frappée par l'expression douloureuse de son visage aux traits fatigués. Lui qui avait toujours été si beau apparait malmené par la vie, abimé par ses mauvais choix et rongé par le regret. Pour la seconde fois, elle voit le poignard fondre sur Camille et s'enfoncer dans son ventre. Un cri reste coincé dans sa gorge et elle se tient immobile, figée par l'horreur, alors que les deux frères tombent au sol, Constantine agenouillé sur le cadavre de son cadet. Elle ressent avec une puissance terrifiante la souffrance de ce souvenir, une douleur qui n'est pourtant pas la sienne mais qui pèse sur sa poitrine, qui l'empêche de respirer. Puis tout s'arrête.

Joséphine met un instant à comprend qu'ils sont revenus à la réalité. Les images des derniers instants de Camille restent imprimées devant ses yeux, comme si une partie d'elle était restée prisonnière des souvenirs de Constantine. Elle réalise qu'elle retient sa respiration depuis de longues secondes et inspire un filet d'air, le souffle court.

" Tu vois. Tu avais raison. Tu avais VRAIMENT raison." La voix de Constantine à côté d'elle la fait sursauter et achève de la faire revenir à elle.

Elle sait qu'elle est folle de rage contre lui, contre son expérience cruelle et contre l'autorité qu'il détient sur elle entre ces murs, mais elle est encore habitée par la douleur de son souvenir et elle se contente de tourner la tête vers lui. Il tremble. Elle le dévisage un instant, bousculée par un élan de compassion alors qu'elle voudrait lui hurler sa souffrance au visage. Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose mais ses mots se perdent quelque part entre "Je te déteste" et "Je suis désolée".

"Tu vois. "

Oui, elle voit. C'est justement ça, le problème. Elle voit des choses qu'elle préférerait ignorer, elle voit des scènes qui ne se réaliseront pas avant plusieurs années, et elle ne peut rien y faire.

"J'ai vu, répond-elle dans un souffle à peine audible. J'ai vu la même chose qu'il y a quinze ans. Sa voix est un peu rauque mais elle se force à hausser le ton. Je l'ai vu, et ça n'a rien changé ! La fin de sa phrase se perd dans les aigus alors qu'un sanglot lui noue la gorge. Ça ne sert à rien..."

Cela ne sert à rien de vouloir provoquer ses visions, de chercher à les comprendre, ils ne peuvent rien y faire. Joséphine se sent soudainement épuisée, à bout de forces. Toute cette expérience n'a aucun sens, et ne sert qu'à leur faire du mal, ils doivent absolument s'arrêter avant d'aller trop loin. Elle cherche à accrocher son regard mais Constantine a baissé la tête sur ses mains, crispées sur ses cuisses. Elle tend le bras et pose sa main sur les siennes.

"On arrête."

Ce n'est plus une requête mais un ordre. Ils ne peuvent pas continuer à fouiller dans les souffrances de leur passé, ils vont se rendre fous. Joséphine esquisse un geste pour retirer sa main mais ses doigts se raidissent malgré elle. Elle est brusquement prise d'une sensation de vertige familière, comme si elle avait loupé la dernière marche d'un escalier, et perd complètement pied dans la réalité. Sa conscience, après avoir été promenée dans son passé et dans celui de Constantine, se projette maintenant sur l'axe du temps, droit en avant.

Son futur proche s'offre à elle avec une clarté limpide, et il est terrifiant. Ils sont toujours dans la même cellule. Plusieurs heures, peut-être même des jours, semblent pourtant s'être écoulés. Ils ont abandonné le bord du matelas et ont échoué à même le sol, le dos contre le lit, clairement épuisés. Ils font peur à voir. Le teint blafard, des cernes creusées, mais surtout un regard complètement fou, qui semble incapable de se fixer sur un point particulier. Un regard qui en a trop vu. Pourtant le bras de Constantine se lève un énième fois, comme s'il semblait peser trop lourd, vient trouver la tempe de Joséphine, et leurs deux esprits se joignent à nouveau, usés et vidés de tous leurs secrets.

Le futur s'estompe soudainement pour laisser place à un présent quasiment identique. La danseuse s'accorde quelques secondes pour retrouver ses esprits et digérer l'information. Ils n'arrêteront pas. Pas avant qu'il ait eu ce qu'il voulait. Les derniers mots qu'il lui a adressés, ce fameux soir aux Folies, lui reviennent en mémoire. "Je ne lâcherai pas prise, Joséphine. J'ai besoins de toi." C'était clair depuis le début. Elle n'aurait jamais dû accepter.

Elle se demande s'il a vu sa vision, lui aussi, s'il a eu le temps de s'introduire dans son esprit alors qu'elle était en transe. Elle tourne lentement la tête vers lui et l'observe avec inquiétude, la peur au fond des yeux.

"Pourquoi on fait ça ? demande-t-elle finalement, impuissante, lasse. Qu'est-ce que tu veux ?"

Elle serait prête à lui donner n'importe quoi pour pouvoir quitter cet endroit, pour que toute cette expérience s'arrête. Mais elle sait très bien qu'elle ne s'arrêtera pas, elle l'a vu. Cela ne fait que commencer.


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Constantine ÉgalitéDirecteur du Département des Mystères
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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeDim 29 Sep 2019 - 18:46
Il n'existe aucun souvenir, aucun souvenir plus précis que celui de la mort de Camille. Dans ma mémoire au long parcours, qui s'étend comme l'iridescence abstraite d'une arborescence impraticable, il est le seul point de repère absolu, celui qui ne bouge jamais, qui ne s'inscrit dans aucune chronologie et qui reste fiable, toujours. Tous mes traumatismes sont clairsemés. Il m'arrive de perdre de vue des épisodes douloureux, et de les retrouver avec l'absence du temps comme on ouvrirait un coffre délaissé dans lequel croupi de vieilles images ridées. Le poignard dans la chaire, la voix, les attitudes, la couleur sombre de la pièce, l'anéantissement, eux, ne sont jamais enterrés par les soubresauts erratiques de ma mémoire dérangée. Je le retrouve toujours aussi sûrement que je sais où sont ma bouche ou mes yeux lorsque j'y porte la main. Contrairement à tout le reste, je n'ai aucun chemin à parcourir, aucun chemin détourné à emprunter pour retrouver ces fragments de pellicules de vie, en espérant qu'ils n'ont pas été dérangés ou déplacés par le ménage insistant et aléatoire qui m'affecte. Il se tient là, toujours au même endroit, accroché à sa colonne comme une statue titanesque au centre d'un hall de douleur et de regrets.

Il est sur le palier lorsque j'ouvre ma porte.

Je tremble, les mains serrés contre mes cuisses avec le désir désespéré de fuir le tourment désordonné qui m'assaille comme à chaque réveil d'un cauchemar trop précis. Ma respiration se perd dans l'angoisse, j'aimerais pouvoir m'arracher à moi-même pour ne plus être confronté au poids qui m'écrase, à l'envie de hurler, au torrent de sentiments violents qui me donnent envie de m'arracher la peau pour ne plus être moi car dans ces moment-là, je ne sais plus réfléchir. Je garde les yeux fixés devant moi, sur le vide, et invoque les couloirs du Département.

L'entrée de l'ascenseur. Le hall sombre éclairé par les torches magiques, la pierre noire, froide, les reflets outremer qui s'y déplacent avec une variété infini et brillantes. La première porte puis les douze autres, les motifs, le damier spécifique et le calme, le contrôle, la certitude d'être dans un endroit qui est chez moi et où il ne peut plus rien m'arriver. Je n'ai jamais su m'expliquer pourquoi dans les moments de crise, je pouvais invoquer ce chemin qui me mène jusqu'à mon bureau, jusqu'aux salles d'études du Département, comme s'il s'agissait de ma maison alors que Camille y est mort. J'ignore quelle partie de mon cerveau fragmente et conditionne pour me faire croire qu'il ne s'agit pas du même lieu, que trop de choses y ont changées. Je ne comprends pas cette capacité à compartimenter quand je pourrais scruter le sol et y chercher des traces de sang. Je n'ai plus peur d'y revenir le Département pour moi est devenu autre chose.

Je lève la tête en retrouvant un rythme d'inspiration coordonnée, pour me heurter au regard de Joséphine qui me renvoie quelque chose de triste et d'insupportablement compassionnel. Je ne dis rien, mais je pâlit légèrement à l'idée qu'elle puisse avoir pour moi un élan de positivité affectueuse. Il me paraît insupportable à ce moment qu'elle puisse compatir et cesser de me haïr un instant, d'imaginer qu'elle puisse me plaindre ou avoir pitié de moi. Je préférai mourir plutôt qu'elle me pardonne. "J'ai vu, dit-elle doucement. J'ai vu la même chose qu'il y a quinze ans. Je l'ai vu, et ça n'a rien changé ! Ça ne sert à rien..." Sa voix ressemble à un crissement étranglé par les larmes mais ne me fais pas réagir en silence, je reste immobile à écouter le son de ma respiration. Je crois qu'une partie de moi prend conscience que j'ai besoins d'elle pour me punir, qu'égoïstement sa haine est la seule chose acceptable pour apaiser ma culpabilité. Parce qu'en souffrant de sa colère, c'est comme si enfin quelqu'un me reprochait mon acte. La solitude du silence et le poids du secret, je réalise que je ne les supporte plus. J'ai un nœud dans la gorge et dans les tripes. Elle a raison. Ça ne sert à rien. A rien d'autre qu'à pouvoir enfin partager le poids de ce fardeau qui me noie et en subir toute la violence qu'il mérite.

Le contact de sa main douce et chaude me fait l'effet d'une brûlure insupportable et j'esquisse un geste brutal pour me dégager. Mon corps se bloque et mon esprit se trouble brusquement, je suis projeté à l'abandon de quelque chose de différent, quelque chose que personne n'a invoqué. J'y plonge avec sur la peau la trace du contact de Joséphine.

***

Je ne trouve rien. Aucune accroche, aucune certitude, et pourtant nous sommes laminés par l'expérience réciproque de nos souvenirs. J'ai lu en Joséphine tellement de choses que j'ignore désormais comment ordonner les sentiments que j'ai pour elle. Je n'y réfléchis plus, je suis simplement las, épuisé, le montant du lit dans mon dos dur contre mes omoplates et je rêve de dormir quelques heures en sachant que j'ai perdu le fil des minutes écoulées. Lentement je me lève. Mon bras est retombée une énième fois sans que je parvienne à trouver dans son esprit le terrain d'accroche neutre qui me permette d'accéder ou de déclencher ses visions. Je sais qu'il existe, pourtant. Une intuition profonde comme une lumière dans la nuit qu'on traque mais qui ne cesse de reculer tandis qu'on avance, si proche et si lointaine. De quoi devenir fou. Le déclencheur est là, quelque part. Le déclencheur est là, à portée de main, mais perdu sous des strates d'autres choses indiscernables et ma maîtrise ne me permet pas encore d'en dégager l'accès. Je sais que je ne suis pas loin. Je sais qu'il me suffit presque de tendre le bras dans la bonne direction pour activer ce qui permettra à Joséphine de devenir maîtresse de ses transes, de les invoquer, de les diriger, de les amplifier dans toutes les directions. De lire l'avenir avec contrôle.

Mais je ne trouve pas. Je ne trouve rien d'autre que des souvenirs d'elle et de Camille, d'elle et de sa famille, de sa sœur, enfermée, de sa vie en Angleterre, de ses dettes aux folies, de ses passes et de ses désirs.

Je fixe le vide un moment, cligne des yeux et me remet debout avec une lenteur de vieille personne. Je sors ma baguette en trébuchant à moitié de fatigue contre le lit, agar, et invoque un patronus. "On crève la dalle. Merci." Je me passe une main sur le visage lentement et me tourne vers Joséphine qui est assise contre le lit, silencieuse. Je me demande quel genre de haine elle me voue désormais. "Pourquoi on fait ça ? Qu'est-ce que tu veux ?" M'avait-elle demandé. Je ne lui avais pas répondu. Je m'étais contenté, en silence, de dégager mes mains, et de recommencer. Désormais, elle doit remarquer, comme moi, que nous y sommes. "Ça y est, dis-je sans sourire. Moi qui utilise l'humour comme catharsis je ne parviens plus à rire de rien. On est arrivé à cet instant, Joséphine." Incapable de tenir debout, je m'assois sur le lit et me laisse lentement tomber en arrière, une main sur le ventre et l'autre sur la poitrine. Mon cœur bat profondément. "Pourquoi on fait ça... poursuis-je lentement. C'est une bonne question... Pourquoi fait-on les choses qu'on fait... Pourquoi agit-on, pourquoi ne pouvons-nous nous contenter de rester immobiles..." Je souris à demi en fermant les yeux et mon sourire disparaît. "Pourquoi ai-je tué Camille ?" Un silence. C'est comme si des heures n'avaient pas séparés le moment où elle m'a posé cette question, lasse. "Je ne sais pas, Joséphine. Peut-être que tu es mon absolution. Peut-être que ta haine me fait respirer." Je rouvre les yeux et tourne un peu la tête pour l'apercevoir, au pieds du lit. "Ou peut-être que je cherche à faire de toi une voyante au service du gouvernement. Qu'est-ce que tu en penses ?" A nouveau je ferme les yeux, soupir. "Dans tous les cas, c'est détestable. Détestable."


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Joséphine Walker
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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeSam 5 Oct 2019 - 18:48
Elle est épuisée, alors même qu'elle n'a pas bougé depuis des heures. Elle se sent vidée de la moindre énergie, et de toute sa substance. Elle se demande s'il y a encore en elle des choses que Constantine ignore. Ils ont passé toute sa vie en revue, ses souvenirs d'enfance, ses tourments d'adolescence, ses souffrances d'adulte. Ses pensées, ses désirs, ses mensonges. Elle n'a plus rien à cacher, plus rien à offrir, et pourtant il continue de chercher. Et elle est si fatiguée qu'elle ne cherche même plus à résister. A quoi bon, de toute façon ? Elle n'a plus d'image à entretenir, plus de fierté à préserver.

Elle le suit des yeux alors qu'il se relève péniblement et n'esquisse pas le moindre geste pour l'imiter. Elle ne sait même pas si elle a faim, comme il le prétend, elle ne ressent plus rien d'autre qu'une écrasante fatigue. Leurs regards se croisent un instant, des fenêtres grandes ouvertes sur leurs âmes malmenées. Cette situation lui est étrangement familière.

"Ça y est, on est arrivé à cet instant, Joséphine."

Elle laisse échapper un éclat de rire amer en prenant conscience du ridicule de la situation. Ils ont déjà vécu cette scène, des heures plus tôt, à travers l'une de ses visions. Ils ont rattrapé le futur. Le temps lui apparait maintenant comme une boucle infinie dont ils seraient prisonniers, et elle commence à avoir le sentiment qu'ils ne sortiront jamais d'ici.

Constantine disparait momentanément de son champs de vision alors qu'il se laisse tomber en arrière sur le matelas. Elle ne bouge pas, le dos toujours appuyé contre le cadre du lit, et l'écoute à peine répondre à la question qu'elle lui a posé des heures plus tôt, ou était-ce à l'instant ? Ellen'a plus de repères, et commence à mélanger ses souvenirs et ses visions avec la réalité. Elle n'est pas tout à fait certaine de savoir si le moment qu'ils vivent actuellement est ancré dans le présent.

"Pourquoi ai-je tué Camille ?"

Joséphine garde le silence, elle le laisse se débattre tout seul avec sa question, régler ses problèmes avec sa conscience. Le souvenir de la mort de Camille plane sur eux depuis le début de cette expérience, sans qu'ils n'arrivent jamais à s'en éloigner tout à fait. Elle voudrait ne plus y penser mais les images tournent en boucle dans son esprit tourmenté. Elle ne sait plus quoi faire pour s'en débarrasser, pour avoir ne serait-ce qu'un instant de répit.

"Peut-être que ta haine me fait respirer,
- Peut-être que ma haine va t'étouffer avec un coussin," réplique-t-elle sans agressivité.

Elle ne se rappelle plus exactement quand elle a commencé à penser à voix haute, sans aucun filtre. Elle n'esquisse pas le moindre geste pour mettre sa menace à exécution. Elle n'en a plus la force, et pas vraiment envie. Sa colère a doucement laissé place à une certaine résignation. Elle est incapable de savoir ce qu'elle ressent pour Constantine à cet instant. Une part d'elle continue de le haïr profondément et de lui en vouloir, mais elle se sent étrangement connectée à lui. Il la connait maintenant mieux que personne. Ils sont plus intimes l'un avec l'autre que ne le seront jamais les couples mariés et les amis d'enfance. Plus de secrets, plus de barrière, plus de jardin secret, rien.

La danseuse se redresse imperceptiblement et étire son dos douloureux quand il mentionne, au milieu de ses divagations vides de sens, une piste de réponse qui réveille son intérêt. Elle a commencé à comprendre les vrais motivations de Constantine bien plus tôt, alors qu'il s'acharnait à trouver un moyen de provoquer ses visions, mais l'entendre formulée à voix haute donne à cette information une nouvelle dimension. Une voyante au service du gouvernement. Cela ne l'écoeure pas autant que cela aurait dû. Ils sont si loin du résultat espéré que cette révélation ne provoque rien de plus en elle qu'une profonde indifférence.

"Je pense que tu es mal parti, répond-elle finalement, lasse. Et que c'est détestable."

Joséphine se lève à ton tour péniblement et grimace en dépliant ses jambes engourdies. Imitant Constantine, elle s'assoit à côté de lui au bord du lit et se laisse lentement tomber en arrière. Son omoplate rencontre quelque chose de dur et elle glisse une main dans son dos pour récupérer le journal de Camille. Elle se fige un instant et observe le carnet avec un mélange de crainte et de curiosité. Elle a l'impression qu'il s'est écoulé des jours entiers depuis qu'elle l'a jeté sur le lit, effrayée par ce qu'elle pourrait y trouver.

Le précieux carnet entre les mains, la jeune femme se redresse difficilement et en caresse la couverture du bout des doigts. Les mots qui s'y cachent l'effraient toujours autant, mais elle réalise qu'elle n'est pas la seule à les redouter. Constantine doit être aussi terrifié qu'elle par le contenu de ce journal, s'il n'a jamais trouvé le courage de le lire. Elle tient entre ses mains un élément de pouvoir, un moyen de le tourmenter en retour, de lui faire payer tout ce qu'il lui fait subir.

Partagée entre la haine et la crainte, elle ouvre le carnet d'une main tremblante, et en fait tourner précipitamment les pages, jusqu'à tomber sur la dernière. Son coeur, qu'elle pensait éteint depuis des heures, se réveille soudainement et se met à cogner furieusement dans sa poitrine alors que ses yeux s'accrochent à la date, écrite tout en haut de la page.

"12 septembre 1998, lit-elle à voix haute. C'est le jour de sa mort ?"

Elle n'attend même pas de confirmation de sa part et, le coeur battant, entame sa lecture d'une voix tremblante. Il voulait savoir pourquoi il avait tué Camille. Et c'était Camille qui allait leur répondre.

"Chère Joséphine..."


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Constantine Égalité
Constantine ÉgalitéDirecteur du Département des Mystères
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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeMar 1 Sep 2020 - 20:43
Chère Joséphine. Mon amour, ma vie,

La marque ne s'efface pas. J'ai essayé par tous les moyens, à m'en arracher la peau et voir au travers de mes veines bleues le sang rouge se répandre mais la marque reste, noire et mouvante comme une nuée d'insecte glissée sous ma chair, nette. L'œil cave de ce crâne haï me guette, je crois qu'il attend en silence que je le trahisse. J'ai senti ces derniers jours la suspicion se refermer sur moi et j'ai surpris une conversation qui m'a glacé la cœur. On me pense incapable de m'investir, on me pense incapable de tuer, on pense que je ne hais pas suffisamment. Ils ont raison. Je ne comprends plus cette cause et si je l'avais comprise je ne m'y serais jamais liée. Je me sens trahis par des idéaux qui me dépassent et je ne comprends pas comment j'ai pu en arriver là. Je suis seul, isolé il me semble, autant que Constantine que j'imagine terré dans sa grotte de pierres noires luisantes à contempler la terreur de son reflet.

On est venu me chercher à six heures hier matin. Il faisait sombre et j'ai été réveillé par un claquement sec. Ils ont ce pouvoir : celui d'apparaître chez toi si tu as juré. Certains lieux ne sont plus des havres mais des cachots condamnés, des souricière où l'ont se prend au piège tout seul. Ils étaient deux, je ne te dirais rien qui les concerne, et surtout par leur nom car si un jour, par le biais d'un destin cruel tu venais a connaître ces écrits je ne voudrais pas que tu aies ce savoir terrible de témoigner contre des gens. J'espère que tu es en France, de toutes façons. À l'abris. Je te connais et tu ne pourrais jamais marcher avec eux quand bien même ce serait encore la seule manière de survivre.

Ils étaient deux, alors, et ils m'ont dit : "Camille, ton frère refuse toujours de coopérer." Je ne savais pas quoi répondre, j'avais vu Constantine deux fois et toujours nous nous étions confrontés durement. J'évitais sa proximité et les sous-entendus des mangemorts en espérant qu'ils oublieraient un soldat des Mystères qui savait se faire discret. Mais ils avaient des doutes, sur moi surtout, sur lui je ne sais pas. Les chercheurs semblent agréer tu sais, pourtant Tu-sais-qui perd du terrain. Ils ont publié il y a quelques mois de faux comptes rendus au sujet des moldus pour justifier leur génocide. Le monde est devenu fou, et j'ignore comment Constantine survie. J'aurais aimé qu'il parte. Je ne comprends pas pourquoi il reste.

En tout cas j'ai senti qu'ils cherchaient à me mettre à l'épreuve. J'ai répondu quelque chose qui ne les a pas convaincu, je ne me souviens pas quoi. Quelque chose qui les a fait se regarder par en-dessous et rire comme si j'avais fait une blague. Une blague hilarante à s'en mordre la langue. Je voulais pleurer. Ils m'ont dit : "Si tu es fidèle tu nous le prouvera en faisant parler ton sang. Le Maître veut des informations sur la chambre des prophéties, tu vas les lui demander." J'avais les lèvres cousues et sincèrement j'ai pensé vomir. "Nous avons confiance en toi, Camille. Tu sauras raisonner ton frère et prouver à tous que tu sers la cause avec la plus grande intégrité." J'aurais voulu mourir.

J'ai pensé à toi sans interruption depuis mon arrivée à Londres, tu le saurais si tu pouvais lire les pages de ce journal. Je regrette parfois de ne jamais t'avoir envoyé ces lettres, parce que tu aurais su et à la fois, je n'avais aucun droit de chercher encore à te retenir alors que je suis parti. Je donnerais tout, désormais, pour être avec toi et n'avoir jamais quitté la France. Je donnerai tout pour te sentir contre moi, aimer encore la saveur de tes baisers et la profondeur de tes étreintes. J'ai besoins de tes bras comme jamais. Parfois je rêve que nous sommes réunis et que je m'endors contre ton souffle. Souvent j'invoque ton image pour apaiser les angoisses lancinantes qui m'étreignent le cœur et j'imagine le son de ta voix qui me raconte des histoires du passé, des histoires sans drames, sans sang, sans morts. Et je prie de toutes mes forces pour que tu sois libre et heureuse, épanouie et belle comme tu as toujours sue l'être.

J'ai pensé à toi aussi à ce moment parce que ta prophétie est gravée dans mon esprit avec la rectitude d'un fer bouillant. Je n'y avait plus pensé, et je te demande pardon. Je te demande pardon du fond du cœur. Du fond de mon sang palpitant, du fond de l'amour brûlant que je te porte et qui ne s'éteindra jamais, je te demande pardon et je ne sais comment réparer ce tord abject que je t'ai fait en ne t'écoutant pas. En étant lâche. Je n'ai pas besoins de te dire que tu avais raison. Tu le sais, et tu ne voudrais pas l'entendre. Mais je vois maintenant, alors que j'écris ces lignes, combien ta prophétie se rapproche.

J'ai pensé à me tuer, Joséphine, pour annuler ce choix terrifiant mais je n'ai pas pu. Je n'ai pas la main assez sure, pas l'âme assez solide et surtout, je ne peux empêcher un espoir fou de m'animer, de me faire apercevoir au travers du voile de folie que je traverse que peut être le destin va se modifier sous nos pas. Que peut-être il existe une solution pour que Constantine n'atteigne pas cette extrémité inévitable. Car je sais que si je vais au Département aujourd'hui pour lui parler, il ne dira rien. Et je sais que s'il ne dit rien il faudra que je le tue, parce que c'est ce qu'ils attendent de moi. Parce que si je ne lève pas ma baguette contre un traître alors c'est moi qu'ils tueront. Et je ne sais plus, Joséphine, comment je dois agir. Je ne me sens pas capable de vivre, mais je ne sais pas non plus comment mourir. Je suis tétanisé par la peur qui m'étouffe et ne peux rien faire d'autre que pleurer.

Peut-être que Constantine aura une solution. Peut-être qu'il ne me tuera pas, peut-être que je ne le tuerai pas. Peut-être qu'ensembles nous échapperons au chemin que le Destin a tracé pour nous. Peut-être que nous pourrons tous les deux te donner tort.

J'ai peur. Et tu me manques.

J'aimerai revenir en France. J'aimerai de tout mon cœur pouvoir te regarder encore une fois, te parler, t'aimer comme tu mérites de l'être. Je ne veux pas mourir mais je ne veux pas tuer mon frère. Je donnerai n'importe quoi pour revenir en arrière et ne pas tomber au fond de ce gouffre horrible. Je ferais tout pour te revoir. Je ne serais plus digne de te toucher, sûrement, car j'ai fait des choses abjects avec lesquelles j'ignore comment grandir. La vie ne ressemble plus à ce qu'elle doit être, quelque chose de brillant et de beau. C'est une route dégoûtante pavées de nos malheurs, de nos regrets, avec dans le ciel un crâne gigantesque qui vomi une tête de serpent.

Je vais au Département voir Constantine, peut-être une dernière fois. Quoi qu'il advienne, au-delà de tout, mes sentiments te serons restés fidèles et je te remercie profondément pour les années de bonheur que tu m'as donné si généreusement depuis notre enfance. Je te remercie profondément de m'avoir écouté au travers de ce journal. Je prie chaque jours pour que tu vives et grandisse heureuse. Et j'espère encore malgré moi qu'un jours nos chemins se recroiseront et que je pourrais te dire en face combien je regrette.

Je t'aime.


À tout jamais tien,

Camille Égalité.


Je respire en filament hachés et ne sent aucune des larmes épaisses qui coulent le long de mes tempes et se noient dans l'édredon. Les mots s'étouffent dans ma gorge autant que les sanglots que je réprime par pudeur mais je ne cherche plus à me cacher. Joséphine n'ignore plus rien de moi, il n'y a aucun aspect de ma dignité que je pourrais sauver en dissimulant mon visage à son regard. Je m'abîme dans la douleur profonde que ces mots ont éveillés en moi. La voix de Camille si seul, si atrocement, profondément seul, abandonné à lui-même, par ma faute. Joséphine a tout dit, jusqu'à la signature. Et je sens sa douleur aussi palpable. Nous sommes deux enfants frappés au sang par une tragédie extraite du passé à bout de bras. C'est la première fois que je me confronte à la mort de Camille avec des mots. La première fois que j'en embrasse tout le vide et tout l'atrocité laissé comme un goût âcre au fond de la gorge. Lentement je porte mes mains à mon visage. Les larmes coulent toujours en silence entre mes doigts, et même si je le voulais je ne pourrais les retenir. Je voudrais parler mais je ne peux pas. Et toute mon âme demande pardon, à l'unisson de Camille et de ses regrets.


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Joséphine Walker
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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeMer 2 Sep 2020 - 7:55
Elle s’est emparé du journal de Camille comme d’une arme en pensant s’en servir pour blesser Constantine, pour que ces heures passées enfermées ici soient aussi insupportables pour lui qu’elles le sont pour elle. Elle veut s’en servir pour lui faire du mal, pour qu’il la supplie d’arrêter, pour qu’il la libère de cet enfer. Pourtant, à peine a-t-elle prononcé les premiers mots d’une voix tremblante que c’est elle qui reçoit un coup de poignard en plein coeur. Cette plaie à laquelle elle n’a jamais donné le temps de cicatriser, cette blessure qu’elle a ignorée, considérée comme appartenant à un passé révolu, vient de se réouvrir sans qu’elle ne s’y soit préparée. Et la douleur est insupportable.

Parce que d’un seul coup, c’est comme s’il était de nouveau là. C’est pourtant sa propre voix, hésitante et un peu étranglée, qui lui rapporte ses mots, mais elle le retrouve tellement derrière ces phrases que c’est comme s’il s’adressait directement à elle. Elle pourrait presque l’entendre, le voir. Elle voudrait le toucher, le prendre dans ses bras. Elle l’imagine seul, pris au piège et terrifié par le choix qui s’impose à lui. Elle découvre ses angoisses, ses remords et elle repense avec tristesse à cet adolescent doux et bienveillant qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. Elle aurait voulu ne pas savoir. Elle aurait voulu garder de lui le souvenir de son amour d’enfance, heureux et éternel. Elle aurait voulu ne jamais connaitre ces tourments qu’il avait traversé, et pourtant elle est incapable de s’arrêter. Elle a besoin d’aller jusqu’au bout de cette torture qu’elle leur inflige, parce que Camille mérite qu’ils sachent.

« Je donnerais tout désormais, pour être avec toi et n’avoir jamais quitté la France. je donnerais tout pour te sentir contre moi… »

Joséphine se tait, incapable de continuer et étouffe un sanglot derrière sa main alors que les premières larmes coulent sur ses joues. Elle tente de reprendre son terrible récit mais sa voix se perd derrière ses pleurs. Elle abandonne et poursuit sa lecture silencieusement, consciente que Constantine est toujours là, dans un coin de son esprit, et qu’il lit avec elle ces mots qu’elle est incapable de prononcer.

Elle n’avait aucune idée qu’elle lui avait manqué à ce point. Après leur rupture, elle avait essayé de ne plus penser à lui. Elle avait rangé leur dispute et sa prémonition dans un coin de son esprit pour se débarrasser de ce fardeau. Elle se sent soudainement égoïste de l’avoir si facilement gommé de sa vie alors qu’elle n’avait jamais cessé de faire partie de la sienne.

Elle se sent submergée par une vague de culpabilité qu’elle essaye vainement de repousser, pour ne laisser aucune prise à Constantine. Elle ne veut pas qu’il sache à quel point elle se sent responsable, elle refuse de lui donner raison en admettant qu’une part d’elle a toujours su que, peut-être, elle aurait pu sauver Camille. Elle ne résiste pas bien longtemps et tout son esprit se projette malgré elle dans cette possibilité. Et elle s’en veut, terriblement, d’avoir refusé d’y croire, à l’époque. Elle regrette de ne pas avoir essayé, elle regrette de ne jamais avoir su ce qu’il avait vécu, de ne pas avoir été là pour lui. Elle regrette de ne jamais lui avoir dit qu’elle était désolée, et à quel point elle l’aimait.

Elle se sent ralentir malgré elle alors qu’elle se rapproche de la fin de la page, à la fois parce que les mots sont de plus en plus difficiles à lire et à accepter, mais aussi parce qu’elle sait ce qui se passe après. Plus rien. Ce sont les derniers mots jamais écrits par Camille, et après il n’y a plus rien que des années de silence.

« Je vais au département voir Constantine, peut-être une dernière fois »

Il savait, quand il était allé trouvé son frère ce soir-là. Il savait parce qu’il s’était souvenu de sa vision. Peut-être même qu’il était aller voir Constantine en espérant que cette prémonition se réaliserait, et que son cauchemar prendrait fin. Cette idée lui sert le coeur et lui tord les entrailles mais Joséphine poursuit sa lecture silencieuse, véritable supplice. Ses mains tremblent quand elle referment finalement le journal et ses épaules sont secoués de sanglots.

« Je suis désolée… » articule-t-elle dans un souffle.

Désolée de lui avoir imposé ça, et surtout désolée de ne pas avoir été là, quinze ans plus tôt. Elle déplace doucement sa main sur le lit et la pose maladroitement sur celle de Constantine, glacée. Elle hésite un instant avant de presser ses doigts dans les siens, peut-être un peu trop fort.

Elle ne cherche pas à retenir ses larmes, elle pleure comme une enfant. Elle pleure comme elle aurait du pleurer en apprenant sa mort et comme elle ne l’a pas fait, parce qu’elle avait décidé d’oublier. Tout le chagrin qu’elle a tenu éloigné pendant des années se déverse sur elle d’un seul coup. Elle se sent submergée par une immense vague de tristesse et de douleur d’une puissance redoutable, et comprend qu’il ne s’agit pas seulement de ses propres sentiments.

Elle ne sait pas si c’est parce qu’il a projeté son esprit contre le sien un instant plus tôt mais elle a l’impression de ressentir la peine de Constantine, en écho à la sienne, et d’éprouver une partie de sa douleur, de sa culpabilité. Elle retire aussitôt sa main de la sienne et emprisonne son crâne entre ses doigts tremblants, dans une vaine tentative de mettre un terme à cette connexion qu’elle ne supporte plus. Elle n’arrive pas à supporter toutes ces émotions d’un seul coup, elle a la sensation d’être broyée, étouffée par quelque chose de trop lourd pour elle.

« Arrête, le supplie-t-elle, sans agressivité. Sors de ma tête. S’il-te-plait…»


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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeSam 12 Sep 2020 - 20:14
Cette douleur je n’avais jamais pensé la ressentir en présence de quelqu’un, ces larmes je n’avais jamais pensé les laisser couler en présence de quelqu’un, et ma culpabilité je ne voulais pas la partager, mais la souffrance de Joséphine s’immisce en moi aussi sûrement que je lui ouvre grand les portes de mon âme pour qu’elle y pénètre et épouse les langueurs dévastées de ma peine. Comme aux premiers jours passé l’état de choc, comme aux premiers jours où après de longues semaines à agir comme si rien, aucun acte abject, n’avait été commis de ma main, comme si l’abysse atroce creusée dans ma poitrine n’avait aucun motif, comme si toutes ces douleurs physiques qui sévissaient pour contredire le démentit de mon esprit n’existaient que par un hasard tragique. Ensuite le choc était passé et j’avais réalisé la perte et l’acte, et j’avais reconnu que le sang qui s’était glissé sous mes ongles était celui de mon frère et de mon ami. Et la douleur est la même, et la culpabilité est la même, et le vide désespérant, terrifiant, est le même qu’alors. Chaque larme lourde qui roule sur mes tempes, dégringole du coin de mes yeux, exacerbe une partie de ma souffrance, la rend plus tangible, lui redonne vie. Ma poitrine me fait si mal que je me demande comment je vais pouvoir y survivre. Je sers les dents terriblement pour ne pas laisser échapper les sanglots qui m’agitent, que je déteste.

La main de Joséphine se glisse contre la mienne. C’est une caresse silencieuse. Ses doigts fins et chauds s’harmonisent dans une étreinte vive et forte. Je la sens physiquement, mais à peine, comme un appel très éloigné de moi, dissipé par le vent ou l’épaisseur des murs. Par contre ses sentiments, eux, me heurtent de plein fouet. Je perçois avec exactitude le moment où, désespérée, elle tente vainement de réprimer sa propre culpabilité et où, échouant, elle la laisse surgir en vague épaisse et grasse. Elle me recouvre et m’étouffe autant que son regret. Je suis choqué de découvrir toutes les facettes de ses regrets. Son oubli. Ses excuses. Son manque. Je ferme les yeux un instant pour comprimer ma poitrine, incapable de calmer les battements douloureux de mon cœur. Mon souffle se restreint et je reconnais sans certitude exacte l’étau glacé d’une crise d’angoisse lancinante qui emprisonne mes organes dans leur étau de vagues froides. Mon corps doucement s’agite de spasmes, et pendant de longues secondes j’ai l’impression que je vais mourir.

Joséphine retire brutalement sa main, rompt une part infime du contact alors que je l’accueillais enfin avec résignation, elle disparaît mais les émotions elles ne disparaissent pas. Greffées à moi, accrochées, ancrées profondément, elles lancinent comme une lame rouillée raclerait l’os ouvert d’un tibia. J’ouvre les yeux sur le plafond, toute cette entreprise me semble d’une absurdité vaine et pourtant je suis incapable de me lever pour partir, il y a quelque chose de coincé en moi, quelque chose qui s’épanoui dans la punition que l’on s’inflige. « Tu demandes pardon pour quoi ? » Dis-je lentement, avec un retard explicite. J’ai bien entendu ses excuses proférées à mi-voix comme si elle n’en assumait pas tout à fait la reconnaissance même si je sais désormais qu’elle se sent véritablement responsable de ce qui est arrivé à Camille. « Pour quelle partie de toi ? Celle qui l’a oublié comme s’il avait été un étranger croisé par hasard ? Est-ce qu’il représentait quelque chose pour toi, Joséphine ? »

Je dis ça pour la blesser. Je sais très bien, dans tous les témoignages de ses sens qui se sont déversés en moi, son amour réprimé pour Camille, son désarroi. Mais j’ai entendu ses pensées aussi, comment ai-je pu… ? Et je ne comprends pas. Pour moi qui vis avec ce poids depuis tant d’années, depuis que Camille m’avait évoqué cette prophétie sans que j’arrive à déterminer si je devais y croire ou non, je vis dans l’attente de la souffrance et dans la douleur de la perte. Comment a-t-elle pu, elle, remiser cela dans un coin de sa tête pour ne plus y penser jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à mon retour ? Aurait-elle passé le reste de sa vie sans jamais se rappeler sa mémoire si je n’étais pas venu fracasser sa tranquillité ? « Lui, il s’est souvenu de toi. » Je suis vaguement amer mais sans ferveur. Machinalement, je tente d’exécuter son souhait pour repousser loin de moi ses sentiments à elle et faire le tri dans mes pensées qui commencent à s’éparpiller négligemment et m’inquiètent comme un fond sonore désaccordé.

J’essaie de sortir de sa tête.

Et j’essaie encore.

Et encore.

- Je ne peux pas, dis-je d’une voix tendue, et c’est vrai. Mes efforts ne me permettent pas de rompre un contact que je devrais pouvoir, pourtant, couper avec la facilité de l’habitude. Je me redresse en passant une main sur mes joues pour en effacer les larmes, en réprimant une vague panique qui commence à remonter. Tu me retiens, fais-je encore. C’est comme si tu me retenais, je ne comprends pas. Si on attend un peu ça suffira sûrement…

A faire redescendre les émotions et débloquer quelque chose que je maîtrise normalement à la perfection mais qui, en état de crise existentielle, se détraque, je le sais, je connais ça, si bien, mais Joséphine ne peut pas s’en douter.


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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeDim 27 Sep 2020 - 12:07
La poitrine comprimé par un étau imaginaire et le souffle court, Joséphine sent une nouvelle forme de panique se distiller dans ses veines. Elle a la quasi-certitude qu'elle va mourir, sans pouvoir comprendre l'origine de cette angoisse. Elle met quelques secondes à comprendre que ce ne sont pas ses propres émotions mais celles de Constantine, à côté d'elle, qui continuent de s'imposer dans son esprit. Elle a l'impression que sa tête va exploser. Elle perçoit aussi son incompréhension, et parvint à saisir son intention de la blesser juste avant qu'il ne la verbalise dans des reproches qui l'atteignent en plein coeur et qui ravivent une culpabilité qu'elle tente d'étouffer depuis des années.

Elle n'a jamais oublié Camille, elle en aurait été incapable. Elle a simplement décidé de se résigner, de ne plus y penser, pour ne plus en souffrir. Elle a commencé à faire son deuil le jour de leur séparation, avec la douloureuse conviction que sa prophétie finirait par se réaliser. Elle a fait ce deuil comme elle le pouvait du haut de ses seize ans : mal, et trop vite. Elle a rejeté sa part de responsabilité pour ne pas vivre avec le poids de la culpabilité, renié son amour pour Camille pour moins souffrir de son absence. Elle a jeté un voile opaque sur leur histoire dans une vaine tentative de cacher son échec, de faire oublier tout ce qu'elle n'a pas fait pour le sauver. Et elle s'est cachée pendant quinze ans derrière cette certitude qui lui semble de moins en moins solide : elle n'aurait rien pu faire. Elle n'y croit plus qu'à moitié, elle doute, pourtant elle continue de s'y accrocher désespérément.

"Qu'est-ce que ça aurait changé, de me souvenir ? commence-t-elle faiblement. Qu'est-ce que ça aurait changé que je pense à lui chaque jours ? poursuit-elle plus fort. Tu savais toi, tu te souvenais, et tu l'as tué quand même. Elle ne cherche pas à dissimuler les reproches dans sa voix. Il peut lui en vouloir d'avoir oublié, il peut la haït pour ça, la mépriser, elle le déteste depuis bien plus longtemps. Elle lui en voulait déjà pour son crime alors même qu'il ne l'avait pas encore commis. Et elle savait déjà qu'elle ne le lui pardonnerait jamais. Ça n'aurait rien changé." Son ton sans appel ne trahit rien de son incertitude, de ses doutes et de sa culpabilité, mais elle sait qu'elle ne peut plus rien cacher de ses sentiments à Constantine.

Ils ont déjà eu cette conversation, des mois plus tôt. Elle revoit très clairement Constantine balayer ses piètres excuses d'un ton calme mais glacial "Tu aurais pu changer le futur. Mais tu as fuis. Et tu le sais". Elle savait déjà, ce jour-là, qu'il avait raison, mais elle avait lutté contre cette idée, avait rejeté ses affirmations, elle n'en a même plus la force aujourd'hui. Alors qu'elle se replonge malgré elle dans le souvenir désagréable de leurs retrouvailles, celui-ci lui apparait sous un angle nouveau. Elle ne le voit plus seulement à travers sa propre mémoire mais aussi à travers celle de Constantine. Elle se voit par ses yeux, perçoit sa colère, son trouble, qui se mélangent à son propre ressenti et elle ne sait plus vraiment si les émotions qui la traversent sont les siennes ou celles de Constantine, ni si elles datent d'hier ou d'aujourd'hui.

Elle se sent prise de vertiges. La sensation est presque la-même que celle qui précède l'instant où elle tombe en transe, mais celle fois-ci ce n'est pas une vision de l'avenir qui l'attend. Il n'y a plus d'avenir, de passé, de présent. Ils ont trop joué avec le temps, avec ses visions et avec leurs mémoires. Elle ne sait plus vraiment où ils sont, ni quand ils sont. Elle n'arrive plus à reprendre pieds, à ordonner ses pensées parasitées par celles de Constantine. Elle a besoin qu'il sorte de sa tête, elle n'arrive plus à gérer. Il ne peut pas. Joséphine tourne la tête vers lui. Son regard se veut menaçant mais brille d'une peur qu'elle se refuse à verbaliser.

"Essaie encore, lâche-t-elle entre ses dents serrées, en s'efforçant d'ignorer la sensation que son crâne est broyé par une poigne de fer.
- Tu me retiens.
- Je ne fais rien du tout, se défend-t-elle, agressive.
- C’est comme si tu me retenais, je ne comprends pas. Si on attend un peu ça suffira sûrement…"

Elle ne prend même pas la peine de répondre. Elle ne veut pas attendre, elle ne supporte plus toutes ces pensées qui bourdonnent dans son esprit, désordonnées, incompréhensibles. Elle perçoit l'angoisse de Constantine, démunis face à cette situation qu'il connait pourtant bien mieux qu'elle, y mélange la sienne. Cette accumulation de peur, de culpabilité, de regrets et de désespoir est insupportable. Elle a l'impression de devenir folle, est persuadée qu'elle pourrait basculer d'un instant à l'autre, perdre le peu de repères qu'il lui restent et ne plus jamais retrouver son chemin vers la réalité.

Elle se laisse retomber en arrière sur le lit et presse ses paumes de main fort contre ses paupières closes comme pour forcer son esprit au silence mais le tapage dans son cerveau refuse de s'arrêter. Il s'écoule un instant, qui ne dure peut-être que quelques secondes mais qui pourrait aussi avoir été des heures entières, avant que le calme ne retombe brusquement. Elle est incapable de dire si c'est l'esprit de Constantine qui s'est finalement détaché du sien, si elle a perdu connaissance ou si elle s'est endormie, mais après un bref silence elle se retrouve finalement seule avec ses pensées et parvint à retrouver une respiration régulière.

Lentement, elle retire les mains de ses yeux et se redresse légèrement. Son regard ne s'est pas encore habitué à la lumière et sa vision est un peu trouble. Son esprit est confus, elle ne reconnait pas son environnement, ne sait plus où elle est, mais ses yeux accrochent une silhouette familière aux traits flous et un bref sourire éclaire son visage.

"Camille..."


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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeDim 11 Oct 2020 - 14:50
Et alors nous en sommes là, à nous faire mutuellement du mal, consciencieusement, dans des accès de cruauté rempli d’émotions contradictoires et de culpabilité dévorantes. Tout est devenu intime entre nous en quelques heures, intimes la proximité de nos corps, intimes les vagues perpétuelles de nos pensées, intimes les éclatements indistincts de nos sentiments. J’entends tout d’elle, elle entend tout de moi. Sa voix vrille dans mes tympans, se glisse jusqu’à mon cœur et se mélange aux propos qu’elle ne tient pas, ceux de ce qu’elle ressent, des remords, de la haine, de la colère, et puis une espèce de compassion désagréable et enivrante à la fois, une compréhension partagée, une douleur commune. Ça n’a pas de sens, toujours pas. Encore je constate ma présence ici, encore je constate ce qu’on se fait l’un à l’autre sous un prétexte qu’il me semble avoir inventé il y a des années mais qui n’existe plus maintenant que sous la forme d’une réminiscence vague, un peu absurde, subtilement incohérente.

La punition fonctionne à merveille. Toutes les émotions passées et présentes se mélange en flot continue, je ne suis plus seul dans le désert aride de mon passé désormais je le partage avec Joséphine, je l’assimile. Son dégoût partagé depuis toujours et cette rage qu’elle m’adressait avant que la prophétie ne s’accomplisse me fait grimacer. C’est dur d’être haï pour quelque chose qu’on n’a pas commis. C’est injuste. C’est pire lorsqu’on sait soi même que cette haine à une raison d’être et qu’on la ressent aussi, et qu’on se l’inflige. Après tout je ne peux pas la blâmer d’avoir cru à sa prédiction. Elle avait raison, j’ai bien tué Camille, j’ai bien enfoncé le couteau dans sa chaire, tranché ses muscles, fouaillé son cœur. J’ai bien laissé ses poumons se remplirent de sang, le sang quitter son visage, son visage pâlir, sa pâleur s’éteindre et s’éteindre son souffle. Et si j’ai besoins de reprocher cette action à quelqu’un, de croire, encore, que quelqu’un aurait pu l’empêcher, si je jette cette responsabilité sur le dos de Joséphine et qu’elle l’accepte parce que dans sa vulnérabilité et sa culpabilité elle ne peut faire autrement, une partie de moi me souffle avec certitude que je mens et que je la blâme de quelque chose auquel elle n’aurait rien pu faire. Mais trop longtemps j’ai porté seul cette responsabilité, et je n’en supporte plus le poids. Maintenant Joséphine est là, Joséphine qui a connu et aimé Camille autant que je l’ai aimé et que je l’ai connu, et j’ai besoins de partager avec elle l’écrasante et destructrice présence de ce passé qui s’étiole entre nous. Je ne veux plus souffrir seul. Je veux que quelqu’un d’autre ressente ce que je ressens peut-être pour pouvoir aussi croire que je n’aurais réellement pu faire autrement, seul.

Il est terrible d’accepter que le meurtre de son frère soit inscrit dans ses gênes.

Mais Joséphine a raison. Je savais. Je me souvenais.

Et je l’ai tué quand même.

Je ne réplique rien. Je ferme les yeux quelques secondes, pour apaiser la fatigue qui court le long de ma nuque et embrume mon esprit. Il y a tant de choses qui occupent mon crâne, tant d’images qui troublent ma vision, des images qui viennent de mes souvenirs mais que je partage désormais avec Joséphine et cette constatation est surprenante. Ça crée des mises en abîmes étranges. Elle contemple nos retrouvailles en spectatrice passive au travers de mon regard et revis un souvenir commun d’un point de vue qui ne lui appartient pas. Je la laisse faire, je la laisse découvrir mes émotions et mon état d’esprit alors que je touche les siens du bout des doigts. Si je n’étais pas aussi épuisé, aussi confus dans les méandres de mon propre cerveau, j’aurais sûrement un instant d’intense curiosité pour les phénomènes qui sont en train de se développer entre nous, cette espèce de connexion partagée, mélangée, terrifiante et incroyablement puissante à la fois.

Et puis j’essaie de couper le lien sans y parvenir et ce fond de fascination se meut en inquiétude, en angoisse, transmises, renvoyée par Joséphine. Dans un souffle éperdu j’interromps ma tentative, et soudain tout se confond dans mon esprit.

C’est une crise.

Ma vision se trouble. J’attends Camille devant le Département.
Non.
La France, les vacances de la Toussaint, Saul et Fabre sont revenus à la maison, c’est lourd, je n’ai pas du tout envie de les voir, ces deux-là. Ils ont déjà des regards en coin et méprisant qui me donnent envie de me battre.
Non.
Beauxbâton, Lou embrasse mes lèvres mais elle sourit à peine. Demain c’est son anniversaire, je ne sais toujours pas quoi lui offrir. La dernière fois, c’était une catastrophe. Est-ce que je dois lui dire que j’ai été approché par les langues de plombs ?
Non.
Joséphine me donne un coup de pieds sur la table, je grimace et la foudroye du regard. Cette sale petit dinde. Trois jours qu’elle est là et que Camille et moi avons à peine échangé une heure. Elle prend toute la place, petite garce menteuse. Elle le sait et ça la rend heureuse. Je lui rends son coup de pieds.
Non.
Après l’enterrement de Camille mon père et ma mère me font venir et me disent Constantine, tu as une attitude qui ne convient pas au rang de notre famille. Je leur réponds, froidement, que je ne comprends pas ce qu’ils attendent de moi. Je ne parviens plus à faire de magie, et j’ai envie de mourir, ils pourraient comprendre. Ils m’expliquent : il faut faire ton deuil rapidement et te remettre. Tu ne vas pas passer ta vie à pleurer ton frère. J’ai envie de hurler. Pourquoi eux ne pleurent pas ?
Non.
Une chambre sur l’île de Skye capitonnée, avec Joséphine, nos pensées emmêlées dans un bruit terrible de vagues qui se heurtent aux rochers drus lors d’une tempête, elle pâle allongée sur le lit, elle se redresse, elle me regarde.
oui.

- Camille…
- Quoi ? » Je reviens à moi, avec un terrible mal de crâne, quelques vertiges. Je trouve ses yeux, elle me regarde comme si j’étais à des kilomètres d’elle et elle finit par me sourire d’un air qu’elle ne m’a absolument jamais adressé. Je fronce les sourcils, incertain. Non, je suis bien dans le présent. Je suis bien là où je suis censé être.

Son air ne change pas.

Alors je comprends. Je pâlis. Je recule.

- Non. Non, Joséphine… » Une terreur sourde m’envahit. « C’est Constantine, ce n’est pas… » Les mots se bloquent dans ma gorge quand je vois son regard changer.


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Spoiler:
Joséphine Walker
Joséphine WalkerProfesseur de danse
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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeLun 2 Nov 2020 - 8:22
Joséphine s'étonne d'abord d'entendre Camille lui répondre en anglais, avant de réaliser que sa voix est différente. Elle fronce les sourcils, et prend conscience d'un violent mal de crâne qui l'empêche de réfléchir. Elle a l'impression qu'un cognard s'est déchainé à l'intérieur de sa tête. Elle essaie de balayer son environnement du regard mais sa vision est trouble. Elle ne sait pas où elle est, elle ne se rappelle plus comment elle est arrivée ici, ni ce qu'elle est censée y faire. Un sentiment de panique s'empare d'elle alors qu'elle cherche désespérément des repères auxquels se raccrocher.

"C'est Constantine".

Et puis tout lui revient. Vingt-cinq ans de souvenir qui lui tombent dessus comme une seule masse, qui l'écrasent. Sa vie ne défile pas devant ses yeux, tranquillement et ordonnée, elle lui arrive d'un seul coup, de façon condensée et chaotique. Elle se rappelle, maintenant. Elle se rappelle Skye, cette maudite cellule aux murs immaculés. Elle se rappelle Constantine et son acharnement à trouver ce qui déclenche ses visions, pour des raisons qui n'appartiennent qu'à lui. Elle se rappelle les longues heures passées à s'égarer entre le passé et le futur. Elle se rappelle leur souvenirs partagés malgré eux, leur souffrance commune. Elle se rappelle la mort de Camille. Evidement que ce n'est pas lui qui se tient devant elle. Il est mort depuis longtemps. Ce n'est que Constantine. Son meurtrier.

"Evidement."

La couleur a quitté son visage et la douceur quitte son regard qui s'éteint aussitôt. Elle sait qu'elle devrait être en colère contre lui, folle de rage même. Elle devrait lui en vouloir, pour ce qu'il a fait à Camille et parce qu'il la retient ici malgré elle. Elle déteste cette situation, pourtant elle n'arrive plus à le haïr, elle n'en a plus la force. Elle a beau ne pas comprendre ses motivations, qui lui apparaissent comme des prétextes lointains et fragiles, elle s'est convaincue qu'il n'agissait pas par cruauté, qu'il ne lui voulait pas de mal. C'est peut-être le fait d'avoir partagé ses pensées, ou le simple résultat des trop nombreuses heures passées enfermée ici mais la haine et la crainte qu'elle devrait ressentir à son égard ont été remplacées par une forme de compassion qu'elle ne cherche pas à réprimer. Il est la seule autre personne enfermée ici avec elle et elle a besoin de s'identifier à lui pour ne pas sombrer.

Elle en est arrivée à se dire qu'ils sont dans la même position, tous les deux coincés ici, alors même qu'elle est le cobaye et lui le savant fou. Il est le seul avoir le choix. Elle sait tout ça, elle réalise à quel point sa perception de la réalité est faussée, mais elle n'essaie même pas de la corriger. A quoi bon ? Elle ne veut pas y réfléchir et encore moins chercher une explication. Elle a traversé trop d'émotions intenses et contradictoires et maintenant tout lui parait fade, sans importance. Elle n'a plus la volonté de rien, elle arrive à peine à former des pensées cohérentes. Son cerveau a reçu trop d'informations d'un seul coup et refuse d'en traiter une seule de plus.

"Quand est-ce que ça va s'arrêter ?" demande-t-elle, avec lassitude et sans agressivité.

Elle serait prête à lui donner ce qu'il cherche, quoi que ce soit, mais elle a un peu oublié ce que c'était, et même si elle s'en rappelait elle en serait incapable. Pourtant il faut que ça s'arrête, elle ne se sent plus capable de penser ni de réagir de façon cohérente à ce qui est en train de se passer. Elle a besoin dormir, longtemps, de pleurer et de se retrouver seule. Elle se laisse de nouveau tomber en arrière sur le lit et ferme les yeux dans une vaine tentative de s'échapper un peu d'ici.

A peine ses paupières sont-elles closes qu'elle se sent aspirée par ce qu'elle pense d'abord être un autre tourbillon de souvenirs. Elle se retrouve de nouveau loin, très loin du moment présent. Elle ne sent plus le matelas dans son dos, ne distingue plus le bruit des vagues qui se fracassent contre les parois rocheuses. Son corps s'est raidi malgré elle et elle ne parvient pas à rouvrir les yeux. Elle n'a déjà plus de contrôle sur ses propres muscles. Elle n'est plus vraiment là. Mais elle n'est pas perdue dans le passé cette fois-ci. C'est l'avenir qui se manifeste.

C'est une vision. Plus intense que les quelques visions qu'elle a eu jusqu'ici et qui ne lui ont montré qu'un avenir proche et sans intérêt dans lequel ils étaient toujours coincés ici. Elle s'y abandonne complètement.


Aigreur du passé, première phase - Joséphine Signature-Jo
Constantine Égalité
Constantine ÉgalitéDirecteur du Département des Mystères
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Aigreur du passé, première phase - Joséphine Icon_minitimeMer 9 Déc 2020 - 18:49
L'attitude de Joséphine a changé, son regard a changé, tout dans l'épuisement et alors qu'elle revient à elle semblent avoir anéanti sa colère, sa révolte, sa fureur. Des émotions si présentes depuis que nous sommes entrées ici -depuis une éternité que nous sommes là - que les voir disparaître me tétanise un instant.

Pourquoi cette compassion que je lis dans son ton ? Pourquoi cette bienveillance, cette pitié ? J'accuse un long malaise, terrifié. Un frisson froid et moite me glace la colonne vertébrale. Je ne comprends pas pourquoi il n'y a aucun satisfaction parmi les épines douloureuses qui serrent ma poitrine. Pourquoi je n'ai pas un souffle de soulagement ni un battement de plénitude. Rien, rien que je ne ressentais pas déjà, plus étouffant, plus écrasant encore, avec la certitude que Camille me tuerait pour ce que je suis en train de faire, et l'obligation désormais de faire face à ce que j'ai engendré en me demandant quelle partie de moi a été capable d'une telle calamité.

- Quand est-ce que ça va s'arrêter ?
- Bientôt… " Doucement je viens près d'elle. Il n'y a plus d'animosité dans sa voix alors que je l'aurais préféré en colère. Furieuse, elle est toujours elle. Pleine de haine, impitoyable, je ne l'aurais pas encore brisée. Je retiens ce qui me pousse à la prendre dans mes bras pour la bercer doucement. Je reste debout, stupidement. Je la regarde basculer en arrière et répète doucement : " Bientôt ".

Parce que j'ai réussis. À l'instant où j'ai pénétré sa mémoire pour la énième fois, lorsqu'elle a bifurquée vers le futur, j'ai trouvé le loquet de sa conscience. Je l'ai soulevé avec précaution.

La vision est d'une clarté incroyable. Plus que les contours flous d'une souvenir elle ressemble à une mémoire passée en boucle dans une pensine. Tous les détails apparaissent à nos yeux engourdis. La salle de la mort prend forme autour de nous comme un jeu de construction dont nous serions les pions involontaires. Sombre, la porte s'y dresse, l'exacte jumelle de celle qui se trouve à plusieurs kilomètres de nous, enfouie sous la terre. Chacune de ses volutes palpites avec une précision inquiétant, et dans l'arche les visages hurlant tentent toujours de traverser le voile, les bouches tordues par les implorations muettes des âmes qui s'y agitent. Devant la porte, une réplique de moi-même. Les deux bras plongés dans le miasme de mort. Des hurlements, ceux de Joséphine et d'autres personnes. Du portail quelque chose s'extrait, quelque chose d'humain. Mon cœur se met à battre plus fort. De longues minutes de mots distincts échangés qui se gravent dans ma mémoire.

Et puis du portail émerge le visage de Camille. Les jambes de Camille. Le torse de Camille. Camille qui chancèle sur la pierre en clignant des yeux. Camille qui passe une main dans ses cheveux clairs avec incertitude et gêne. Exactement comme Camille l'aurait fait.

Je trésaille.

Lorsque je rouvre les yeux la chambre capitonnée n'a pas changé. Joséphine est toujours couchée sur le lit. Je tremble.

J'ai réussis.

FIN DU RP


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